Au moment où,par leur courage, les étudiants ont gagné une
première bataille, un groupe d'enseignants et de chercheurs,réu-
nis à Paris le 12 mai, a estimé utile d'appeler tous les groupes
intéressés à une transformation démocratique de l'Université fran-
çaise à définir les grandes lignes d'un proorraame et de soumettre,
sans attendre, à la discussion ^e tous quelques données et quelques
orientations, il s'agit moins de réaffirmer des revendications qui
s'affirment ou s'affirmeront en tout cas (droit des étudiants à
participer à la g££rtip_n et au Ç_ontrôl_e de l'enseignement, trans-
formation de la nature du rapport pédagogique, droit à l'expression
et à l'activité non-universitaire dans les facultés, etc...) que
d'énoncer les laçâmes que tout programme défini dans l'institution
par les bénéficiaires du système a la plus grande chance de présen-
ter ,

II nous parait que la participation des enseignants et des
chercheurs à un mouvement qu'ils ont suivi plutôt que déclenché
ne saurait sans risques se fonder plus longtemps sur les bons sen-
timents, qu'il s'agisse de "l'affection" des "maîtres" pour leurs
élèves ou de l'indignation légitime contre la répression policiè-
re. Il nous paraît en effet qu'une analyse objective du fonction-
nement de l'Université et de ses fonctions, tant techniques que
sociales, est seule capable de fonder un programme def_reyendica-
tions_assez explicitos_ et cohérentes_p_o_ur résister aux_ tentatives
de__récupé_rat_ion_tec_hnp^ qui ne manqueront

pas de se multiplier. Il nous paraît on conséquence nécessaire de
rappeler deux faits fondamentaux que les conditions mômes dans
lesquelles le mouvement s'est déclenché risquent do faire oublier:

- premièrement, les principales victimes du fonctionnement et
de l'organisation actuels du système scolaire sont, par définition,
à l'extérieur du système pour en avoir été éliminés; par consé-
quent, les rrroupes dont la voix ne s'est pas fait entendre dans
la discussion universitaire, discussion entre bénéficiaires du
système, sont ceux mêmes qui auraient le plus directement inté-
rêt à une transformation réelle du système, même si, en l'état
actuel, lour exclusion du système les empêche de formuler leur
revendication d'un système capable de les intégrer.

'Lion do conservation sociale- du sytîtècie scolaire ess neces-
sairèment fictive. "Plus., malgré leur radicalisme apparent,
toutes les contestations partielles et superficielles ont
pour effet fie déplacer le point d'application de la critique

versitaire"comme mécanisme de perpétuation de "l'ordre social".
C'est ainsi qu'il" faut dénoncer les tentatives pour réduire la
crise actuelle à un conflit de générations, comme si l'arnarte-
nance à une même classe d'âge ou,, plus encore, à la condition
étudiante, pouvaient effacer magiquement les différences entre
les classes sociales.

Les première,- propositions rassemblées ci-après ne préten-
dent "as constituer le programme complet d'une transformation
de l'Université mais visent seulement à illustrer quelques di-
rections privilégiées d'une politique universitaire/En effet,
il importe de s'armer centre le danger d'une utilisation tech-
nocratique de la situation créée: si la crise de l'Université
n'est qu'un Kmalaise': lié à l'anxiété des débouchés ou aux frus-

nificaticn technocratique du développement de 1'enseignement en

fonction des seuls besoins du marché du travail ou des conces-
sions fictives sur la participation des étudiants à la vie uni-
versitaire „ Les changements que le mouvement étudiant introduit
de^_fa_ctc! dans les facultés - et qui peuvent contribuer à la cons-
titution d'une a~< titude ^rï;tig_ue_ propre à s'étendre au-delà du
rapport pédagogique - ni ont chance rie marquer durablement la vie
universitaire et la vie sociale que si les rapports entre l'Uni-
versité et la société subissent une transformation radicale.
En déclarant l'Université ''ouverte aux travailleurs", même s'il
ne s'agit là que d'un geste symbolique et illusoire, les étudi-
ants ont montra au moins qu'ils étaient ouverts à un problème
qui ne saurait être résolu que par une action sur les mécanis-
mes qui interdisent l'accès ce certaines classes à i!enseigne--
nent supérieur.

- III -

i) S'agissant de promouvoir la j.énocrati_sation, c'est-à-dire de
nettre en place une no1.itique visant à neutraliser aussi complè-
te ment que possible l'effet dos méchanismes sociaux qui assurent
l'inégalité et la perpétuation '<e l'inégalité devant l'école et
la culture, il importe d'affirmer que :

1- la t>oi?tée réelle d'une transformation du système sco-
laire se mesure au degré auquel sont transformées les procédures

^§_ÊII§£ilil£2.5Ë_£^_:J:£Ë__£il£:'- Ceci in~D 1 iquo

que le problème de l'enseignement supérieur ne
sans mystification des problèmes posés par l'organisation des au-
tres ordres ^ ' enseignement, ;5n limitant la réflexion et l'action
à l'enseignement supérieur où 1 ;!3 jeux sonc; déjà faits, et depuis
longtemps, on s'interdit toute transformation réelle de l'ensei-
gnement, y compris de l'enseignement super:;.sur.

2- la portée réelle d'une transformation du système sco-
laire se mesure à son aptitude à c on trecarrer_les^mecani sme s pr o-
pronient _scolaires _dàéliminatiqn__et de..relevatio_n comme élimina-
tion différée : ainsi, la démocratisation de l'entrée dans le se-
condaire reste fictive ^ufait de l'inégalité des établissements
et des sections qui accueillent inégalement les enfants des dif-
férentes classes sociales. Une politique technocratique d'orien-
tation et à plus forte raison, de sélection, ne ferait que per-
fectionner et cautionner le fonctionnement d'un système qui ména-
ge à tous les niveaux (des C.E.G. aux I..U.T.) des masses ou des
voies de garage à l'usage dos classes populaires»

3- la portée réelle d'une transformation du système sco-
laire se mesure au degré auquel elle réussit à minimiser les ef-
fets^ de 1^héritage décelasse par une redéfinition dos contenus
transmis (c'est-à-dire des programmes), des techniques de trans-
mission et des manières de contrôler l'effet de la transmission..

4- la portée réelle d'une transformation des rapports en-
tre le système scolaire et le système social se mesure au degré
auauel on réussit à déposséder les titres scolaires de leur fcnc-

tion _de critère exclusif de I_a_cqmpi5te:nce en même temps qu'à as-
surer une utilisation professionnelle à la qualification : le di-
•olôme constitue en effet aujourd'hui un des mécanismes principaux

-IV-

qui s'opposent à l'application du principe"à travail égal,
salaire égal", en faisant apparaître comme inégaux des travaux
ou des travailleurs séparés seulement par leurs titres scolaires.
Ce phénomène qui s'observerait dans tous les secteurs d'activi-
té est particulièrement visible dans l'enseignement qui, à tous
les niveaux, se dote au moindre coût d,1 enseignants privés, par
des différences subtiles entre les titres scolaires,des droits
logiquement attachés à la fonction qu'ils accomplissent.effecti-
vement (par exemple, adjoints d'enseignement, certifiés, bi-
admissibles dans les lycées; ou, dans l'enseignement supérieur,
chargés de cours,assistants, maîtres-assistants et chargés d'en-
seignement) .

Il) S'agissant d'inscrire dans le système d'enseignement les exi-
gences sociales de la démocratisation et les exigences scientifi-
ques de l'enseignement et de la recherche, il faut s'attaquer en
première urgence aux mécanismes qui commandent le fonctionnement
de l'Université traditionnelle,

1- Toute tentative pour modifier la pédagogie, les program-
mes, l'organisation du travail et les techniques de transmission
qui ne s'accompagne pas d.'une transformation (voire de la supjpres-
sion, toutes les fois qu'il se peut) de 1'examen_traditionnel
reste nécessairement fictive„Toutes les fois que l'examen ne peut
être remplacé par le contrôle continu (et il pourrait l'être la
plupart du temps dans l'enseignement supérieur où les enseignants
jugent leurs propres étudiants, si les moyens d'encadrement
étaient suffisants), il doit faire l'objet d'un contrat claire-
ment défini entre enseignants et enseignés: un cahier de charges
étant établi par la discussion, les enseignants s'engageraient
à ne demander que ce qu'ils ont enseigné et conformément à un
modèle clairement défini; ils s'autoriseraient alors légitime-
ment à demander tout ce qu'ils ont enseigné, c'est-à-dire tout
ce qui définit explicitement le niveau de compétence attesté
par le titre; le collectif des enseignants et des enseignés d'une
discipline devrait, s'il était constitué corme une unité réelle
d'enseignement et de recherche, déterminer les types d'épreuves
rationnellement, c'est-à-dire par référence

aux objectifs de la formation et aux différents "oublies
les enseignants charg'.s du contrôle des résultats devraient
être scientifiquement fumés aux techniques (et nas
seulement docimologiquec) permettant d- contrôler les
connaissances acquises et le travail fourni r>ar références
à des critères explicites .Toute cotation étant un jugement,
il va de soi que l'examinateur doit être en mesure do la
justifier s'il est appelé à le faire.

2- La, profession d. ' enseignant (dans une paternelle ou
dans une faculté) devrait être définie, non nlus s^lon
seuls critères traditionnels de la compétence , nais par
l'aptitude à transmettre à tous, par le recours à de nouyeJL-
les techniques pédagogiques , ce quo ruulquus-uns seulenent,
c'est à. dire les enfants des classes privilégiées , doivent

à. leur milieu far.il lai .

3- La transformation du fonctionnement des établis-
sements d'enseignement supérieur et en "oarticulier de le.

^^y^]iïâ_il£^_.££rï'5:â:^::'_3 °t .^C_i2: dï^Zii^ii^iSï: d\.l pOUVOir

à 1 ' intérieur suni tés d ' ense inenent et dr3ch

-V-

constitue le préalable à toute transformation réelle des
moeurs pédagogiques et scientifiques: la répartition' .des
attributions et des responsabilités pédagogiques et ,
scientifiques devrait être exclusivement fonction de la
compétence reconnue à chacun par la totalité des membres
de chaque unité d'enseignement et de recherche (ce qui
implique la prise en compt.e à part égale des aptitudes
pédagogiques et des travaux scientifiques et, par voie de
conséquence, la suppression de la référence exclusive et
automatique à' la thèse et à tout autre titre (grande école
ou agrégation) et mène et surtout à 1 ' ancienneté) ,A CC'UT-^
terne, l'action .devrait se porter en première urgence sur
ces obstacles à toute redéfinition de la pédagogie et de
la vie scientifique que sont L'agrégation et la thèse de
doctorat coame production individuelle soumise à des cri-
tères archaïques. Bref, il s'agirait de rechercher tous le
moyens de lever les obstacles à la réalisation du meilleur
ajustement entre la compétence et la fonction en brisant
les cloisonnements institutionnels oui s'on-osent à la

- VI-

circulation des enseignants et des enseignés entre les divers
ordres et les différents domaines de l'enseignement et de la
recherche.

III) L'élaboration technique du programme d'une transformation
systématique de l'Université conformément à ces principes ne
Deut être le fait eue de l'ense

c'est-à-dire des représentants réellement représentatifs de
tous les groupes qui participent au fonctionne lient de tous les
ordres d'enseignement, du primaire au supérieur, et, plus par-
ticulièrement, des classes sociales exclues actuellement par
le système d'enseignement ainsi que des organisât/ions corres-
pondantes .

Les soussignés appellent, toutes les pa,rties prenantes
définies ci-dessus à entreprendre, sans attendre, l'organisa-
tion d'Etats Généraux de l'enseignement et de la recherche et
à les préparer par des discussions entre enseignants et ensei-
gnés ainsi que par l'établissement de cahiers de charges et de
doléances .

Adhésion, suggestions, corrections et informations seront
reçues par R.Castel, P boulevard de Peuilly, Paris XTIe.

M. Astier Fac . des Sciences, r. Barbut S.P.H'.E. ,L. Bian-
co E.P.H.E., O.Benoît-Guilbot C.N.R.S., L.Bernot E.P.H.E.,
J.Bollack Fac. de Lille,M.Bollack Fac, de Lille, j.E.Boltanski
Sorbonne, J.Eoltanski E.P.H.E., H.Bonamour Sorbonne, p.Bosserdet
C.N.R.S., P.Bourdieu E.P.H.E., J.C.Bruyère Eac . de Lille,
C.Carcassonne E.P.H.E., R.Castel ^orbonne, J.G .Chamboredon E.P.H.E.,
I.Chiva E.P.H.E., J.C.Conbessie Sorbonne, r-'.Conche Eac, de Lille,
G.Condominas E.P.H.E,, J.Cuisenier C.N.R.S., A.Culioli Sorbonne,
Y.Delsaut C.N.R.S., J.Lerrida E.H.S.Uln, J.Dumazedier C.N.R.S.,
F.Lumont C.N.P..0-., J.P.Eaguer E.P.H.E., J.C.Garcias Eac. de Lille,

L.Goldnann E

, A.Gramain E.K.c'.Ulm, C.Gri-

gnon I.N.R.I., G.Herzlich C.N.R.S., D.Julia Sorbonne, M.Jullien
OHSTOH, Y.Karady ClN.R.S., H. Le More H.E.G., J.Lallot E.N.S.Ulm,
J.Lautman C.N.R.S., M.Lenaire E.P.H.E., J.Le Goff E.P.H.E.,
E.Leroy-L-adurie E.P.H.E., O.Lev/andowski Sorbonne, A. Maillet Eac.
des Sciences, P.Maldidier E.P.H.E., J.Mallet C.N.R.S.

- VII -

L. Marin Fac0 de Nanterre, A.Matheron C.N.R.S., A.Miquel E.P.H'.E.,
R. Moulin E.P.H.È;, A.Nicolaî Fac. de Droit de Lille, p.Nicolaî Fac .
de Droit de Lille, J.Ozouf Fac, de Tours, F.Ozouf Lycée Fenelon,
J.C. Passeron FAC. de Nantes, J.C.Perrot Sorbonne, r.Perrot Sorbonne,
C.Piétri Fac. do Lille, P.pividal S or bonne, J.B.Pontalis O.N.H.S.,
F.Poitrey Centre d'enseignement par correspondance, J,Y.Prevot E.P,,
H.E., Claude pabant Fac, de "lernont, ïï.Rc-gnier Fac. de Bordeaux,
P.Ricoeur Fac, de Fan terre, D. Roche E.N.S. 7air;t-Cloud, ?",Roncayolo
E.P.H.E., M. de Saint-Martin E,P.H*E., A. Salin C.N.P.S. ,T*.H. Salin

I.P.M., J. Singer

^ristani Sorbonn

, Verre t

de Fan

tés, J.M.Vincent E.P.H.E., E.Vill Sorbonne, S.vriarre Fac. des Let-

tres de Lille, N.watchel E.P.H

^-Joronoff

REALISE PAR LE COMITE DE COORDINATION TECHNIQUE D'ANGLAIS

PARIS,le JI MAI 1968.