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MAI 1968
Directeurs: Guy Sitbon, Claude Perdriel, Rédacteur en chef: Jean-Jacques Brochier, Assistant: Emmanuel de Roux, Mise en pages:
Michel Rossignon, Administration : Lydia Darras, Service direction : Simone Arous.
Ce numéro a été réalisé par : Geneviève Antonelli, André Bercoff, Rudi Dutschke, Ernest de Gengenbach, Pierre Hahn, Georges Henein,
Claude Kiejman, Francis Lacassin, André Laude, Michel Le Bris, Jean Montalbetti, Jean-Michel Palmier, Pascal Pia, Daniel Puig, Etienne
Rambert, Lucienne Rey, Dominique de Roux, Philippe Sollers, Michel Vaucaire, Philippe Venault, Bruno Vincent, Jean-Didier Wolfromm,
Serge Zal, Jean-Claude Zylberstein.
Photos de couverture: Gamma-Gilles Caron, Pic, Editions de Minuit - Photos: AFP, Agip, Gisèle Freund, Gamma-Gilles Caron, Editions
Gallimard, Keystone, Annette Lena, Viollet.
Publicité générale: Publicness, 30, rue Le Pelletier, Paris-IX", Tél. 523-39-81. Publicité littéraire: au journal, LAF. 25-11. Imprimerie:
Edicis,
Prix: France, 3 F - Belgique, 35 FB - Abonnements: France, 15 mois: 36 F, 30 mois; 65 F - Etudiants: 15 mois, 30 F - Etranger:
15 mois, 46 F, 30 mois : 75 F - Pour tout changement d'adresse, joindre 1 F en timbres et la dernière bande d'envoi. MAGAZINE
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Copyright Magazine Littéraire : Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus. Directeur de la publication : Guy Sitbon.
SOMMAIRE
Dossier
Révolte ou révolution chez les étudiants ?
Pourquoi Mao, pourquoi Trotsk) ?
Les nouveaux idéologues :
Marcuse le prophète du grand refus
Un mythe, Che Guevara
Althusser. une nouvelle analyse de Mai A
Rudi le rouge
inédit : Théorie et guérilla
Interview» :
Daniel Cohn-Bendit : « quand on critique radicalement on construit
Olivier Castro : « la parole du professeur c'est la parole du père
l^a révolte des intellectuels en Pologne
par Etienne Rambert
par Daniel Puig
par Jean-Michel Palmier
par Michel Le Bris
par André Laude
par Rudi Dutschke
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par Lucienne Rey
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Actualités
Gisèle Freund photographie les écrivains
La guerre d'Algérie
Un nouveau livre de Max-Pol Fouchct
Découvrir Raspail
La poésie : concrète ou spatialiste ?
Israël : la gauche pour ou contre
Polémique : Revel or not Drumont
par Emmanuel de Roux
par Jean Hurtin
par Jean-Jacques Brochier
par Geneviève Antonelli
par André Laude
par André Bercoff
par Jean-Jacques Brochier
28
__
___
___
Poésie
Reverdy dans sa verdeur
par Pascal Pia
34
Lettre ouverte
Un surréaliste d'exception
par Ernest de Gengenbach
36
Autoportrait
Philippe Sollers
38
Histoire littéraire
Léon Daudet, le dernier des Mousquetaires
par Jean Montabetti
40
Chronique
Jacques Berque et l'Egypte
par Georges Henein
42
Les Livre»
Romans, science-fiction, souvenirs, essais, policiers. du mois. Revue de presse
La librairie
44
Bibliophilie
Les outils du bibliophile
par Michel Vaucaire
58
Les étudiants se révoltent contre la société, contre la culture qu'on leur impose, contre
l'université. A Prague, a Varsovie comme aux U.S.A., en Espagne comme à Rome ou à Paris.
A Parts, ta révolte a atteint un paroxysme de violence. Pourquoi ? Que pensent les étu-
diants ? Que veulent-ils ? Qui sont-ils ? Quels penseurs, quels hommes politiques sont leurs
guides ? En ont-ils ?
Les d'aujourd'hui feront la culture et le monde de demain. En Europe occiden-
tale les plus actifs se situent tous peu ou prou par rapport à Marx, et surtout à Trotskv et
a M.ao Tse Toung. ns sont contre l'autorité établie, celle des partis notamment, et 'des
partis révolutionnaires installés.
L'avenir de la culture et de la société est en jeu. Nous avons tenté d'élucider l'usage que
les font aujourdhui de Trotsky et de Mao Tsé Toung, de Che Guevara d'Althusser
de qui devient l étoile montante de la philosophie, de Rudi Dutschke, le leader étil
allemand.
Nous demandé ce qu'ils voulaient, ce qu'ils lisaient, ce qu'ils pensaient à certains
d entre eux parmi les plus représentatifs : Daniel Cohn-Bendit et Olivier Castro.
politique chez les étudiants ? Daniel Cohn-Bendit la nomme effervescence
11 ne s'agit pas pour nous de savoir si |es étudiants de Nanterre et de la Sorhonne aujour-
d'hui, ont raison ou tort. Mais leur révolte est peut-être une révolution culturelle. C'est
110trc fonction de l'étudier
I ,n- étudiants défilent à Berlin, sur la Knrfiirstentiatn, en hrnnitisxunt /f.
'portraits tic I.ielrknecht, Ho Clti-.Vinh et Rosa Laxtmburg.
PO
TR
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ITSKY.
I
par Eti(MIno Ramhert
Les étudiants, à quelque groupe qu'ils appartiennent, se réfè-
rent sans arrêt à Trotski et à Mao Tsé Toung, plus qu'à Arts-
tore et à Kant. Dans Trotski et dans Mao, ils cherchent moins
une théorie de la société qu'une critique radicale de leur
société. Pourquoi ? Comment ?
Qui rêve que l'autre rêve ? Sont-ce des
somnambules, ces étudiants que visite-
raient des fantômes venus du passé loin-
tain ou de l'Orient extrême ? Ou bien
est-ce la société officielle qui endort ses
inquiétudes en imaginant que l'histoire
assagie suivra désormais les rails bien
rectilignes de la voie parlementaire et de
la bonne parole œcuménique ? Les jour-
nalistes, les sociologues et les ministres
commencent à se pencher sur le « ma-
laise étudiant » et sur les « mythes de
la jeunesse ». Mais déjà, certains étudiants
se penchent sur les journalistes, les socio-
logues, les autorités et sur les mythes
ministériels. Qui juge qui ? "Trotsky et
Mao, résurgences de vieilles illusions
millénaristes ou exemples de lucidité intel-
lectuelle et de passion critique ? Autre-
ment dit : à quoi servent les références
prises de Mao ou de Trotsky, com-
ment un étudiant utilise-t-il ces textes :
est-ce comme des « posters » et des pré-
textes à narcissisme mythomaniaque ou
comme outils pour comprendre et trans-
former le monde ?
Le grand livre «lu inonde
Tout étudiant hanté par la révolte ou la
révolution s'est un jour demandé qui
rêvait, qui était fou, de lui ou de la société
établie qu'il refuse. Pour savoir si on
rêve, on se pince. La douleur ressentie
par la génération qui aujourd'hui descend
dans la rue, c'est la guerre du Vietnam.
Les uns se réclament de Trotsky, les
autres de Mao, d'abord parce qu'ils esti-
ment le marxisme seul capable de rendre
compte de la réalité, de l'importance et
du destin de cette guerre. Raison pre-
mière pour laquelle on interroge le créa-
teur de l'armée rouge ou le chef de la
révolution chinoise. Le reste suit,
Car la guerre du Vietnam suffit à tran-
cher, sur un campus, entre le rêve et
la réalité. II y a un an seulement. Le
Monde, cet abécédaire de l'étudiant cu-
rieux de politique, parlait des Etats-Unis
avec le respect inquiet de l'impuissant :
il n'y avait plus deux grands, mais un
seul « super grand » dont la surpuissancè
ne pouvait être modérée que par des
conseils aussi moraux qu'inefficaces. De-
puis, ladite puissance est trois fois empê-
trée dans ses problèmes économiques,
militaires et sociaux. Le tigre s'est révélé
tigre de papier-monnaie et tigre de papier-
journal. Comment l'étudiant, cet apprenti-
intellectuel, n'admirerait-il pas le mar-
xisme qui lui découvre, derrière le voile
de la toute puissance, la réalité fragile
des « contradictions de l'impérialisme » ?
Ne devrait-il pas plutôt se tourner vers
cette société (moderne, etc.) ? On le presse
de faire carrière : que n'abandonne-t-il
ses lectures d'un autre âge pour acheter
le cinq cent mille et unième exemplaire
du doux feuilleton qui fait le délice de
ses aînés. Il y apprendra que le * défi
américain » se réglera vers l'an 2000, que
d'ici là il faut travailler sagement en se
réglant sur les prévisions tellement exac-
tes de Herman Kahn, lequel s'est déjà
illustré en forgeant la « scientifique »
stratégie de « l'escalade », Faut-il qu'un
étudiant soit « enragé » pour préférer lire
Trotsky ou Mao lorsque les « cadres »
se réunissent par milliers dans toutes les
provinces d'Europe pour ovationner Jean-
Jacques Servan-Schreiber qui a analysé
le problème américain en ne consacrant
qu'une demi-page à la guerre du Vietnam
— simple « accident » — en oubliant
dans ses prospectives (d'il y a six mois) la
crise monétaire, en ignorant le problème
racial, etc. Aimable et rêveuse société !
Cependant Mao ou Trotsky, à travers eux
Marx et Lénine, ce n'est pas le marxisme
officiel (« révisionniste »), Pourquoi des
auteurs si particuliers plutôt que les édi-
toriaux, de la presse quotidienne ? Un étu-
diant de lettres de première année est
d'abord curieux de politique, puis engagé,
puis « enragé », Sur la place de Paris, on
lui offre une vingtaine de « marxismes »,
la sociologie « marxienne » de ses pro-
fesseurs, l'existentialisme marxiste, le
marxisme phénoménologique, * italien »,
lukacsien, et les textes « théoriques » de
Waldeck-Rochet. Pourquoi préfère-t-il ces
auteurs quelque peu maudits ?
Le bon usape de la violence
Au programme de notre étudiant de Sor-
bonne, trois textes des grands saints de
la sociologie : Marx, Durkheim. Max
Weber. Ce dernier, fort respectable, ins-
pira Merleau-Ponty, inspire encore Ray-
mond Aron. Au quatrième paragraphe
étudié (Le savant et le politique) il peut
lire :
« Tout l'état est fondé sur la force » disait
un jour Trotsky à BrcM-Litovsk. En effet,
cela est vrai. »
Notre étudiant a placardé la phrase de
Trotsky, à côté de la formule parente de
Mao : Le pouvoir est au bout du fusil.
Il a fait passer un test à ses camarades,
bons lecteurs du Figaro ou de L'Huma-
nité. Il fut traité de « gauchiste ». « aven-
turiste », etc. il a continué la citation de
Max Weber, penseur conservateur et mo-
déré s'il en fut : « De nos jours la rela-
tion entre Etat et violence est tout parti-
culièrement intime », Six mois de discus-
sion et quelques manifestations ont com-
menté le texte au programme (générale-
ment les enragés sont, univcrsitairement
parlant, les meilleurs élèves).
Qui rêve, Trotsky. Mao et même Max
Weber, ou bien notre bonne société qui
fait de l'exclusion de toute violence
l'alpha et l'oméga de toutes ses mini-
idées politiques ? Terrorisée par le fas-
cisme (avant Munich déjà), coincée par
la guerre froide, l'Europe libérale est peu-
plée d'aînés expérimentés qui veulent
« échanger des idées et non des coups » ;
la neutralité d'une université où « on ne
fait pas encore de politique » devient
introduction à la vie béate d'une pré-
tendue société de l'abondance où l'on
n'en fera jamais. Depuis vingt ans l'Occi-
dent tente de transporter à ses frontières
la violence qui l'habite, la guerre colo-
niale est permanente, la course aux arme-
ments ininterrompue — mais à l'intérieur
on prétend échanger pacifiquement des
idées : les professeurs de sociologie ensei-
gnent comme un fait « scientifique » la
« fin des idéologies » et l'installation d'une
société industrielle qui ne connaît pas la
lutte de classe. Rompant avec l'illusion
de leurs mandarins de pères, les étudiants
entreprennent de faire lu preuve que cer-
taines idées (révolution) valent le coup,
que d'autres (fascisme) ne méritent que
des coups. La force de l'étudiant lui vient
de lutter pour des idées — et d'en avoir.
Eléments pour une stratégie
Trotsky. Mao — et surtout : la guerre
du Vietnam — enseignent qu'il existe un
usage raisonné et nécessaire de la vio-
lence. Ce n'est point la « guérilla ur-
baine » que les étudiants imitent — ils
laissent à leur ministre le soin de con-
fondre les manifestations du quartier latin
et la prise de Saïgon. Par contre, ils ont
découvert qu'il ne fallait pas sottement
opposer violence et dialogue, que la vio-
lence est la condition et l'introduction de
tout dialogue véritable.
8
D'abord la violence sert de révélateur,
elle manifeste les forces véritables, dé-
gonfle les puissances illusoires. La presse
sage tenait la balance égale entre les étu-
diants d'extrême droite et ceux d'extrême
gauche, elle parlait de « conjonction des
extrêmes s> et sonnait l'alarme : toute
violence à gauche entraîne une violence
à droite. En fait, il a suffit de quelques
manifestations massives et violentes pour
que l'extrême droite s'évanouisse du quar-
tier latin, révélant les véritables forces en
présence : la police face à ces « enra-
gés » : vingt, trente ou quarante mille
étudiants.
Ensuite la violence, et souvent elle seule,
définit l'interlocuteur valable. Un ministre
ne dialogue pas avec une « dizaine d'en-
ragés », ni avec le syndicat étudiant
« noyauté par les groupuscules ». Mais la
police dialogue implicitement avec vingt
mille manifestants — on ne peut tous
les cogner. Et le ministre doit recevoir
leurs représentants, fussent-ils ces mêmes
« enragés ». A leur échelle, qu'ils savent
encore petite, les étudiants appliquent les
enseignements de tout penseur révolu-
tionnaire : le droit à la parole se con-
quiert sur le champ de bataille.
Enfin la violence clarifie et précise les
vrais problèmes. Tout le monde prétend
vouloir réformer une université immobi-
lisée dans sa tradition napoléonienne.
Mais qui décidera du caractère de ces
réformes : napoléoniennement le minis-
tre ? ou bien les professeurs auxquels il
s'oppose et qui s'opposent entre eux ?
les étudiants auraient-ils leur mot à dire,
leur faudra-t-il subir un enseignement dis-
pensé d'en haut, par micro ? A peine
éclatée, la violence métamorphose les ter-
nies du « dialogue » — auparavant tout
se passait entre les décisions autoritaires
d'un ministre et les humbles sollicitations
du corps enseignant : les étudiants
voyaient leur sort tranché sans avoir voix
au chapitre — désormais c'est avec eux
que les autorités devront dialoguer, c'est
derrière eux que les syndicats de pro-
fesseurs se regroupent. « La force est
l'accoucheuse de toute société en gésine »
remarquait Marx ; à peine la Sorbonne
fermée, les lecteurs de Trotsky et de Mao
ont poursuivi dans la rue leurs travaux
pratiques de philosophie politique.
L'université critique
et la révolution culturelle
Le marxisme a trotivé sa force explosive
en posant la question fondamentale : à
qui appartient la société, au prolétaire ou
au propriétaire ? A une échelle qu'ils
savent petite, les étudiants commencent
par une question analogue : à qui appar-
tient l'université ? A quoi sert-elle ? S'ils
se réfèrent à Trotsky, ils retrouvent à tra-
vers lui les premières années de la Révo-
lution d'Octobre où allaient de pair re-
cherche intellectuelle, découverte artisti-
que et création politique. Octobre c'est
Lénine. C'est aussi le futurisme, Eisen-
stein, la linguistique structurale, l'archi-
lecture au service de la Révolution,
Qu'ils prennent leur repère dans « la pen-
sée de Mao Tsé-Toung » et leur enthou-
siasme sera similaire : le bouillonnement
de la Révolution Culturelle entraîne l'ini-
tiative des masses, la remise en cause des
privilèges bureaucratiques, la critique de
toutes les formes d'une civilisation tradi-
tionnelle fondée sur l'exploitation de
l'homme par l'homme. Trotsky comme
Mao fit appel à la jeunesse, clans les deux
cas les étudiants se sont enthousiasmés :
parce que jeunes, parce qu'intellectuels
donc, parce qu'esprits critiques. « En
toute chose un communiste doit se poser
la question du pourquoi... En aucun cas
il ne^ faut suivre aveuglément les autres
et préconiser la soumission servile à l'opi-
nion d'autrui » (Mao Tsé Toung).
Les formes séculaires de l'enseignement
sont quelque peu égratignées : quand deux
universités se livrent bataille en Chine à
coups de lance-pierres, la presse occiden-
tale trouve cela ridicule ; quand les amis
de Dutschke entraînent les étudiants ber-
linois à discuter sur les lieux de leur tra-
vail, la presse s'inquiète ; quand les étu-
diants de Nanterre prétendent utiliser les
murs pour afficher leurs pensées, on crie
au scandale. « Un rien lui fait peur »
dit-on d'une femme délicate et d'un esprit
fragile. Que dire d'une société qu'une
inscription suffit à émouvoir au point
d appeler la police pour un cours cha-
huté ?
L étudiant «enragé» ne critique pas
1 université parce qu'elle est vieille mais
parce qu'elle est « autoritaire ». Le mi-
nistre veut rénover l'université napoléo-
nienne parce qu'il ne la trouve pas assez
adaptée au monde « moderne », son con-
tradicteur étudiant la trouve — rénovée
ou pas — trop adaptée à la société qui
nous entoure, c'est-à-dire à ce que Mao
ou Trotsky nomment « dictature de la
bourgeoisie ». Ce que l'étudiant conteste
dans l'enseignement n'est pas l'autorité
de la vieillesse — il est de « vieux » pro-
fesseurs qu'il respecte — mais la vieil-
lesse d'une autorité à qui Napoléon et
deux siècles de bourgeoisie assignèrent
une mission fondamentale : former des
sujets loyaux et fidèles, des citoyens disci-
plinés, des cadres encadrés.
Mais la neutralité universitaire ? Ici l'étu-
diant alimente sa rage de quelques exem-
ples historiques : la très respectable neu-
tralité de l'université allemande entraîna
son aveuglement devant le fascisme, son
impuissance et sa démission face à lui,
puis son obéissance sous lui. « Neutres »
les savants allemands, trop longtemps
« neutres » aussi les universités américai-
nes. Un physicien ne fait pas de politique
— mais il fait la bombe atomique. Un
sociologue mène des enquêtes « objec-
tives » — à qui, à quoi servent-elles ?
Le bon sens marxiste est devenu la chose
du monde la mieux partagée sur les
campus : rien n'échappe à la politique,
surtout pas l'université. Les mandarins
obéissent toujours à quelque empereur.
L'étudiant prépare ses examens, il s'exa-
mine lui-même, interroge ses camarades,
interpelle ses professeurs. La situation
d'examen s'inverse, ce sont les autorités
universitaires qui risquent d'être collées.
La liste des questions est connue, on lit
Trotsky pour renouer le fil d'une histoire
inachevée (« Révolution permanente »), on
découvre dans Mao la puissance d'une
théorie démystifiante (« Tigre de papier »).
Au programme des études : l'économie
capitaliste, la stratégie de la guerre du
peuple, la structure d'un parti révolution-
naire, etc. Personne ne s'étonne véritable-
ment : si Lénine ne figure pas au pro-
gramme de l'agrégation, nul pourtant
n'ignore son nom — qui, par contre,
serait capable de nommer le philosophe
français qu'écoutaient respectueusement
les élèves de la Sorbonne en 1903, année
de Que faire ?
Inquiète société ! Imaginez le compte
rendu indigné qu'eut produit un rédac-
teur au Figaro mis au fait des alterca-
tions opposant sur la place publique
Socrate, ses collègues et ses élèves. Et
qu'un recteur « moderne » se mette à
lire Rabelais, les gros bataillons seront
envoyés à travers le temps pour pacifier
les désordres étudiants de l'époque. Il
faut véritablement qu'un spectre hante
l'Europe pour que les gouvernements
s'angoissent à tel point de l'effervescence
des campus. Ce spectre qui sans cesse
réapparaît, les étudiants s'exercent à le
nommer à travers Marx, Trotsky ou Mao.
L'université critique ne se veut pas cri-
tique de l'université mais critique de la
société bourgeoise : l'université critique
commence à la porte des usines, dit-on à
Nanterre,
Révolution permanente
et guerre prolongée
Maîtres de leur campus, les étudiants ne
prétendent le devenir que pour discuter
librement de la manière de ne pas y
demeurer enfermés. Officiellement deux
perspectives de sortie sont offertes : ils
seront cadres intégrés ou chômeurs intel-
lectuels. S'ils veulent autre chose, ils ne
liront pas les annonces d'offres d'emploi
mais Lénine, Trotsky ou Mao, cherchant
à faire de la révolution non un violon
d'Ingres mais leur profession principale.
Permanente, la révolution l'était pour
Trotsky dans la mesure où hors la révo-
lution préparée ou triomphante, il n'y a
jamais que la révolution défigurée ou
trahie. Pour tous elle doit être fonda-
mentale, elle ne se borne pas à la substi-
tution d'un directeur d'usine nommé par
le gouvernement au directeur de la même
usine nommé par les actionnaires. Inin-
terrompue, la révolution sera la plus pro-
longée des guerres prolongées, pour effa-
cer plusieurs dizaines de siècles d'exploi-
tation de l'homme par l'homme il ne
suffit pas de passer quarante ans dans
un désert — la révolution culturelle sera
recommencée pendant « cent, mille ou
dix mille ans » (Mao). Si la révolution est
un péché de jeunesse, les étudiants ont
de sa durée une idée telle qu'ils peuvent
.Mao Tsc-Totiny.
espérer plusieurs fois dans leur vie retrou-
ver leur jeunesse.
Pour eux, la révolution n'est pas le simple
moyen d'obtenir une vie matériellement
plus aisée, ce n'est pas seulement un but
lointain et idéal, à la fois moyen et but,
la Révolution c'est la vie elle-même. Que
comptez-vous faire une fois la révolution
achevée ? Rien, je serai mort depuis pas
mal d'années, mes enfants aussi. Ici les
aînés ne comprennent plus, ils ont ac-
cepté nombre de choses dans leur vie :
les guerres, la course aux armements,
l'accentuation de l'inégalité entre pays
« riches » et pays affamés, mais aussi
bien les vagues de chômage, les menaces
de crise financière, la stupidité de la
presse à sensation, etc. Par contre, ils
ont refusé la révolution et les risques
qu'elle comporte. Rageusement marxistes,
les étudiants présentent l'alternative : qui
refuse la révolution accepte l'impéria-
lisme, le capitalisme et toutes ses consé-
quences ; qui refuse d'user à l'occasion
d'une juste violence accepte l'ordre établi,
l'autoritarisme dirigiste des institutions, la
puissance financière de la grande presse,
son influence abrutissante, chauvine
(l'anarchiste allemand, « l'apatride >
Cohn-Bendit) voire raciste (le juif alle-
mand...).
Héritière d'une longue marche ?
Quand ils chantent « c'est la lutte fi-
nale... » les étudiants n'ignorent pas que
l'Internationale a déjà cent ans. La lutte
finale est ce que Mao nomme une guerre
prolongée. Entre eux, de Rome à Madrid,
de Berlin à Paris, ils s'entendent et se
comprennent. D'autant plus qu'ils refusent
le _ libéralisme policé de leurs parents.
L'inquiétude ne naît pas d'une volonté
d'originalité juvénile ; ils constatent que
l'Occident est gros d'une nouvelle géné-
ration de monstres dont il aime à peupler
l'univers: racisme, chauvinisme, exploi-
tation, crises, guerre, fascisme. Ils choi-
sissent le remède des marxistes : la révo-
lution.
Encore faut-il qu'ils sachent prendre lan-
gue avec ceux que le marxisme investit
de la puissance révolutionnaire décisive.
Les étudiants sont plus ou moins « cou-
pes * de la classe ouvrière. Cela ne leur
donne pas de complexe de culpabilité (à
la différence des héros sartriens) : Lénine
et Trotsky n'étaient-ils pas isolés en
JV15 ? Mao ne fut-il pas longtemps mino-
ritaire, et même exclu de la direction ?
Par contre, ils pointent là leur problème
stratégique n° 1. Pour franchir le fossé
qui les sépare des ouvriers, ils disposent
aun langage, celui de leurs livres pré-
fères celui des grèves et de l'action
ouvrière: la parole révolutionnaire des
classiques du marxisme. Ils comptent
aussi sur les vertus de l'exemple: nom-
breuses sont les révolutions que les étu-
diants ont su amorcer jusqu'à ce que les
masses populaires prennent le relais.
Ils comptent aussi sur le temps, un secret
espoir les habite. Marx avait pendant
toute sa vie déploré qu'une des causes
qui bloquait le développement de la révo-
lution fût l'empire tsariste, ce « gen-
darme de l'Europe ». A partir de 1925,
il fut assez aisé de persuader l'Occident
que rien n'avait changé, à nouveau le
danger russe servait de cran d'arrêt. Peut-
être, pensent les étudiants, sommes-nous
-les premiers à nous apercevoir que l'hy-
pothèque est levée; ni ogre, ni messie,
la Russie est suffisamment occupée par
ses problèmes pour laisser la révolution
européenne voler de ses propres ailes.
S'ils se réclament de Trotsky ou de Mao
ce n'est point pour ignorer les « erreurs *
de Staline, c'est parce que Staline est
devenu évitable. Comme la Chine de
Mao, l'Europe est désormais une « feuille
blanche ».
Ils utilisent une langue commune, celle
de la lutte des classes, ils goûtent le
même plaisir, celui de la parole et de
l'action révolutionnaires. Ils discutent
entre eux avec ardeur, impitoyablement ;
il ne s'agit ni des grands principes, ni
des fins ultimes sur quoi l'accord est
aisé — mais de tactique et de stratégie.
Les uns se réclament de Mao, les autres
sont « trotskystes », les troisièmes s'inter-
rogent. Les discussions et les expériences
continuent, toute révolution les a recher-
chées. Les campus sont peuplés d'élèves
intelligents, appliqués, actifs ; en guise de
récréation ils réussissent leurs examens.
Mais leurs auteurs préférés ne sont pas
prévus au programme de l'année scolaire
— ils les réinscrivent au programme du
siècle.
Au Quartier Latin, lundi 6 mai : l'affrontement.
10
yyuu uuu\i/vt;\^u3o
LE PROPHETE
"GRAND REFUS
Les étudiants ne cherchent pas de Saint patron, les
sophes traditionnels. Cependant, ils reprennent de
Marcuse qui est devenu, In star n° 1 de la philosophie
« Comme on tapera sur eux, ils connais-
sent le risque, et s'ils sont prêts à le
prendre sur eux. aucun tiers, et surfout,
pas un enseignant ou un intellectuel, n'a
le droit de leur prêcher l'abstention. »
Ce sont des phrases comme celle-ci qui
ont l'ait d'Herbert Marcuse, philosophe
germano-américain septuagénaire, un pro-
phète de la révolte étudiante. Car c'est
d'eux, les étudiants, qu'il est question.
Cependant, lorsque les journaux d'Alle-
magne Occidentale ont titré sur les
« trois M » et ont accolé son nom à ceux
de Marx et de Mao, il fut le premier
étonné. A part les essais comme Ethique
cl Révolution et surtout Tolérance répres-
sive, bible de Rudi Dutschke, son œuvre
n'appelle pas à l'action, sinon à un
« grand refus » global de P « ordre exis-
tant », c'est-à-dire de la « civilisation
industrielle avancée ». C'est essentielle-
ment le plus radical des « pessimismes
culturels », Mais du désespoir peut jaillir
la révolte sauvage. Comme Marcuse op-
pose à la productivité et à l'efficience
technique les valeurs, le bonheur et l'indi-
vidu libre de ses pulsions, il est naturel
qu'il ait tiré l'une de l'autre — la révolte
du désespoir — chez cette partie de la
jeunesse qui parle « professionnellement »
valeurs et libération personnelle : les étu-
diants, et particulièrement les étudiants
en sciences humaines.
Mais c'est aussi pour une autre raison.
Marcuse garde de sa jeunesse (il enseigna
à l'Ecole des Conseils ouvriers allemands
en 1920) l'idée abstraite de Révolution.
et. Révolution violente. Mais il n'est pas
léniniste. La Révolution allemande a
échoué avant même d'avoir eu lieu,
et la Révolution russe a dégénéré (voir
son Marxisme soviétique, peut-être le
meilleur livre sur la question) en marxis-
me « institutionnel », « descriptif « et jus-
tificatif; la société qu'elle a enfantée n'a
pas suscité un type d'homme nouveau,
« heureux et libre » (ce sont ses maîtres-
mots) : elle n'est pas moins « répressive »
— au sens freudien autan) que politi-
que — que la société capitaliste. Mais
Marcuse vit aux il.S.A. ; mis à part une
déception fondamentale, il n'analyse pas
la société socialiste. Sa « société à une
dimension » (The one diinensïonal inan,
1964, à paraître aux Ed. de Minuit),
c'est la société américaine, qu'il généra-
lise sans aucun doute abusivement : il
est présupposé que le « défi américain »
sera un triomphe et que nous serons tous
américanisés.
« A une dimension », qu'est-ce à dire ?
L'histoire des hommes s'est déroulée jus-
qu'ici sur deux dimensions : celle de
l'adaptation, ou intégration au modèle de
société existant, et celle de la contestation
s'appuyant sur un •» sujet qui fail l'his-
toire, et dans lequel on s'est accoutumé,
depuis Marx, à voir la classe ouvrière ».
Marcuse disciple de Max Weber, pro-
phète de la « rationalisation i> et de la
« qualification » universelles dans l'uni-
vers moderne bureaucratisé, plus que de
Marx, ne croît plus aux contradictions
meurtrières qui porteront le capitalisme à
sa tombe. Il ne parle d'ailleurs jamais de
capitalisme (monopoliste ou non), niais de
« société industrielle avancée » (ou « tardi-
ve »). Pour un peu, il s'entendrait avec-
Raymond Aron. le conservatisme en moins:
excusez du peu. Une telle société, qui
n'est pas sans rappeler le « capitalisme
organisé » du vieux Kautsky, ou « L'ère
des organisateurs » de Burnham, s'est
montré capable d' « absorber sa propre
11
négativité », C'est-à-dire que, pour une
période du moins, ouvriers bien payés
et dotés de biens de consommation, sont
complices des bourgeois pour maintenir
1* « ordre existant » (terme vague qui
revient toujours chez Marcuse comme
opposé d'un futur « de bonheur, de
liberté et de conscience critique »), La
presse, les mass-media, l'organisation des
loisirs les « manipulent à un point tel
qu'il n'est plus besoin de violence
ouverte : ils ont « intériorisé la répres-
sion ». Pourtant, la société de consom-
mation — on aimerait demander à Mar-
cuse si la classe ouvrière en profite
tellement : est-ce qu'il ne projette pas sur
elle une satiété d'intellectuel qu'elle est
loin d'éprouver ? — n'offre que de faux
bonheurs assortis de répressions. Telle
est par exemple la « désublimation » du
sexe : « plus de liberté de mœurs, mais
l'érotisme est officialisé comme sous for-
me d'excitation commerciale inassouvie ».
Le Spiegel a publié récemment des « pen-
sées de Rudi Dutschke qui sont de ce
point de vue une resucée de l'essai
de Marcuse, Vieillissement de la psy-
chanalyse (1). Le « sur-moi » s'incarnait
jadis dans la famille, dans le père ; nous
entrons aujourd'hui dans une « société
sans père » : c'est 1' « appareil » (encore
un mot-clé de Marcuse) de la produc-
tion de masse et de 1' « administration
des consciences » (la formule est d'En-
zensberger, mais elle est marcusienne)
qui fait fonction de sur-moi et il n'y
a plus de moi ; plus de désirs individuels,
plus d'autonomie de la personne, plus
d'esprit critique.
Il semble qu'il n'y ait vraiment plus qu'à
s'enfoncer dans ce « minuit de la nuit
universelle » par lequel Heidegger, dont
Marcuse fut l'assistant, désignait la tech-
nique, qui n'est pas, précise Marcuse, un
instrument neutre, indifféremment domi-
nateur ou libérateur, mais toute une poli-
tique, intégralement oppressive et répres-
sive. Le type de rationalité qui triomphe
aujourd'hui vient des Grecs : c'est celui
qui voit dans la nature un objet à asser-
vir (encore Heidegger !). Marcuse, qui
est bienfaiteur du zoo de San Diego en
Californie, rêve d'un paradis où l'agneau
côtoierait sans danger, sinon le loup, du
moins l'homme ; il rêve de silence, d'es-
paces verts inviolés. Des accents du
romantisme allemand, « à la Eichen-
dorff », parcourent ses pages : c'est le
même anathème contre les Lumières, la
Raison analytique synonyme de domi-
nation sur les hommes comme sur les
choses, la même « régression infantile *
vers une civilisation « pré-technicienne ».
Dans un élan oratoire, Rudi Dutschke
assurera de son côté que « jamais nous
ne fûmes si proches du jardin d'Eden ».
On s'étonne. Mais c'est qu'il y a chez
Marcuse un aspect « civilisation du loi-
sir » : le temps liberté s'accroît de plus
en plus, l'automation nous rapproche
de ce « saut du royaume de la nécessité
vers celui de la liberté » dont parlait
Marx. La société actuelle possède objec-
12
tivement tous les moyens de rendre les
hommes heureux, et elle les retourne
pour les maintenir sous contrôle, pour
organiser le gaspillage dans la misère et
la préparation à la guerre. Alors, il ne
testera plus d'espoir que dans les « margi-
naux », ceux qui ne profitent en rien des
surplus de la « société d'abondance » :
les peuples sous-développés, les Noirs aux
U.S.A., les chômeurs, les travailleurs im-
migrés, les blancs déclassés (les « out-
casts ») et... les étudiants.
Pourquoi les étudiants ? C'est Rudi Dut-
schke qui l'explique, mais sa pensée a
déjà franchi le Rhin, comme on sait
D'abord, parce qu'ils ne sont pas encore
«intègres» au système de «manage-
ment » (le cycle infernal production pour
la production, consommation pour la
consommation). Ensuite parce qu'ils su-
'«.. <.,-,/„„/,„„ /„,,,„„.„.„.. „„„„„.,. ,Miimi!>,.,
bissent plus vite que les jeunes travail-
leurs (?) les effets d'une institution « auto-
ritaire » modèle (un mot-clé de Rudi
le Rouge) : l'Université. Enfin, il se peut
— ce serait le cas 'de nos jours — que
a volonté et surtout la conscience révo-
lutionnaire se déplacent chez une couche
de privilégies; les étudiants, avec du
temps libre pour la réflexion et la possi-
bilite de refuser un travail, en sont une.
Rien de bien neuf là-dedans. Il y a
quelque quarante ans que l'école de
Mannheim («l'intelligentsia flottant au-
dessus des classes») et celle d'Adorno
1 «Institut pour ]es Recherches Socia-
les » de Francfort, dont est issu Marcuse)
ont remis en Allemagne les espérances
révolutionnaires dans les rêves intellec-
tuels ; c'est le cas aussi, aux Etats-Unis
du sociologue Wright Mills. Il y a qua-
rante ans aussi que s'est développé en
Allemagne le < freudo-marxisme », avec
Ench Fromm (The sane society, Wilhelm
Reich - La révolution sexuelle) et Mar-
cuse lui-même; objectif : « compléter »
la révolution sociale par l'abolition des
tabous répressifs, de la censure des
mœurs, que le socialisme soviétique main-
tenait intacts. Ce qui est neuf, c'est que
ces prophètes désespérés aient trouvé un
groupe pour s'emparer de leurs spécu-
lations moroses et en faire des armes,
parce qu'elles tombent sur un terrain
favorable : la crise d'adaptation pro-
fonde de l'Université. Ce qui est neuf,
c'est que le semi-échec, devenu patent,
des pays socialistes dans le domaine de
la morale privée ait donné à la « secon-
de » révolution (celle d'Eros) une sorte
d'urgence. C'est pourquoi Eros et civi-
lisation de Marcuse, que la grande presse
découvre du jour au lendemain, est depuis
des années un livre de chevet de beau-
coup d'étudiants ou d'élèves des classes
préparatoires des lycées. Une chose vue
me paraît revêtir une valeur de sym-
bole : dans l'un des bureaux du siège
du S.D.S. (le mouvement des étudiants
de gauche allemands dont Dutschke était
jusqu'à hier la vedette), la Révolution
sexuelle de Wilhelm Reich voisinait sur
la même table avec le tome I du Capital...
Si l'on veut comprendre l'attitude poli-
tique de Rudi Dutschke et de ses cama-
rades, il faut aussi faire intervenir la
théorie marcusienne du fascisme. Là
encore, Marcuse est un meurtri. La
société libérale qu'on était en droit d'es-
pérer après 45 n'est pas venue et ne
pouvait pas venir. C'est que le fascisme,
ce n'était pas les camps de concentra-
tion, c'était la technique la plus avancée
mise au service de l'asservissement le
plus total à un Appareil. Autant dire
que le fascisme, loin d'être une excep-
tion, une rechute dans la barbarie, est
l'essence même de la société « indus-
trielle avancée » ; le chef-d'œuvre de la
haute organisation capitaliste, c'est l'éco-
nomie de guerre nazie. Pour Marcuse, les
« démocraties elles-mêmes sont fascisan-
tes ». Simplement, au lieu de la Gestapo,
on maintient les gens dans l'obéissance
et la tutelle infantile par la presse Sprin-
ger... Ce qui distingue cependant la
« démocratie » c'est la « tolérance » : elle
se donne les gants d'accorder la liberté
d'expression aux pires ennemis de l'ordre
existant, à condition qu'on ne passe pas
des paroles aux actes ; « tolérance répres-
sive », donc ; le mot a fait fortune dans
le S.D.S., et les exploits de la police
de Berlin-Ouest lui ont donné soudain
un contenu très concret. Conséquence,
selon Marcuse : il faut refuser la légalité,
car si l'on agit dans son cadre on renforce
la façade libérale de l'Etat, on joue son
jeu. Il faut donc, par des provocations,
des manifestations de rue (et seulement
de rues) « forcer le régime pseudo-libéral
à révéler son essence répressive ». Et
c'est 1' « escalade » que le Quartier Latin
a connue après les villes allemandes le
jour de Pâques... Certes, Rudi Dutschke
connaît ses Damnés de la terre comme
sa Tolérance répressive. Mais Frantz
Fanon parlait de la violence physique
régénératrice chez les peuples colonisés.
Marcuse, lui, en parle pour les sociétés
hautement industrialisées : d'où la for-
tune de son message d'Outre-Atlantique
(car s'il y a un pays où l'idée de « tolé-
rance répressive » s'incarne parfaitement,
ce sont bien les Etats-Unis de Johnson).
Un congrès du S.D.S. a récemment tran-
ché : violence contre les objets, non
contre les personnes. De toute façon, la
violence répressive, dans les « métropo-
les d'Occident »> (comme dit Dutschke
dans son langage maoïste) n'a pas de
visage, on n'a pas ici de Batista ou
de Diem, les « affreux sont tous inter-
changeables dans l'anonymat de 1' « appa-
reil ». Mais « il y a "des moments où
dans l'intérêt de l'humanité il faut en
finir avec l'acceptation de la non-vio-
lence » (Dutschke dixit).
H est cependant une autre violence :
douce, celle-là. Celle qu'exercent les
« conscients sur les inconscients , Gunther
Grass, Dahrendort. bien d'autres encore.
d'une transparence parfaite des rapports
sociaux), il n'y aura plus... que des étu-
diants. A remarquer en passant que pren-
dre contact avec des syndicalistes — ou,
pire encore, avec les communistes de
Berlin-Ouest ! — c'est déjà trahir le
« message » de Marcuse. Mais il fallait
bien se raccrocher à quelque chose de
sérieux, car Marcuse, lui, n'offre aucune
directive pour abolir la société « intégrée »
ou « administrée », et entrer dans la société
« apaisée » (sans guerres, mais aussi sans
pulsions agressives) : « La théorie cri-
tique, écrit-il à la dernière page de
L'homme à une seule dimension, ne pos-
sède pas de concepts permettant de pas-
ser de l'une à l'autre ». Et la dernière
phrase du livre est une citation de Walter
Benjamin : « Aujourd'hui l'espoir ne
réside plus que dans les désespérés ».
Lorsqu'il est venu le 11 juillet 1967
privé de pensée marxiste pendant trente
ans, chez nous, où les conditions dif-
fèrent, il y a des éléments pris à tous les
courants intellectuels du socialisme liber-
taire et du « marxisme occidental » de
Fentre-deux guerres, amalgamés à tout ce
qui est venu dernièrement des révolutions
du Tiers-Monde (« 11 faut, dit-on sans
rire au S.D.S., faire revenir la révolution
d'Asie et d'Amérique Latine en Europe
occidentale »). Mais si l'on parle tant,
dans l'entourage du Rudi Dutschke et ses
émules parisiens, de « manipulation »,
de « processus » (horreur de tout ce qui
est fixé, institutionnalisé) et de « flexibi-
lité », de « répression », de « reproduc-
tion » (entendre : les mécanismes de
conservation des privilèges par transmis-
sion), d' « intégration », c'est essentielle-
ment à la sociologie pessimiste — et
combien unilatérale, combien fascinée par
cnf ;*n;r/!cr l'uhslt'itliftit. (Marousci
1 ont assez reproché à Marcuse et à ses
disciples du S.D.S. : ils rêvent d'une dic-
tature des « savants -> (des sciences humai-
nes, s'entend). Dictature provisoire et qui
entend, mission accomplie, s'abolir elle-
même plus vite que l'Ftaî socialiste,
bien sûr. Mais pourquoi dictature ? Ici
c est Rousseau que citent Marcuse et
Rudi Dutschke : quand les esclaves ne
sont pas conscients de leur esclavage,
il laut leur faire violence et les sensi-
biliser au bonheur vrai malgré eux.
Dutschke. comme ses compagnons, s'est
arme de patience : il entreprendra une
« longue marche * (toujours Mao) de la
« prise de conscience « de la famille et
de l'Eglise à l'entreprise (où les ouvriers
sociaux-démocrates, paraît-il, somnolent)
en passant, il y consent, par les partis
(mais surtout ne pas en devenir un soi-
même, ô Castro, ô Rosa I.uxemburg !)
et par le Parlement (qu'on..exécute cepen-
dant en le qualifiant de « .syndicat d'inté-
rêts »...). Quand tout le monde — au
bout d'une décennie, plus encore ? —
sera devenu « adulte et conscient ». péné-
tre de part en part de « rationalité cri-
tique » (c'est le vieux rêve d'intellectuels
parler au grand amphithéâtre de l'Univer-
sité libre de Berlin, Marcuse en a déçu
certains : il n'offrait que sa « dialectique
négative », aucune recette d'action. Le
S.D.S. les cherche, se cherche, et para-
doxalement, c'est de groupements politi-
ques ou syndicaux qu'il rejetait au départ
dans les ténèbres extérieures qu'il risque
de les recevoir, s'il ne veut pas que le
réveil de la vie politique auquel il a
contribué ne sombre pas dans l'apathie
qui suit les fureurs retombées.
Tel est le surprenant destin d'un amer
et tendre utopiste, auteur de trois grands
livres seulement — Raison et révolution
(sur Hegel), Le marxisme soviétique et
One dimensional mon, plus les essais
groupés sous le titre Lecture et socié-
té (2) — promu d'un coup à la célébrité
et au rôle de prophète de la violence
sociale, de la « guérilla des grandes
villes ». Dans le S.D.S. allemand, pur
produit de la « Grande Coalition » comme
la révolte estudiantine italienne est le
produit du Centre Gauche, c'est-à-dire de
la disparition, dans les deux cas, de
I" « alternative » à la droite, chez les
étudiants « gauchistes » d'Espagne, pays
la puissance américaine ! — de Marcuse
qu'on le doit. Si à l'inverse l'esprit d'uto-
pie est remis à l'honneur contre le
« déterminisme » ou le « conservatisme »
stalinien, on le doit à ces grands « para-
marxistes » mâtinés d'hégélianisme, de
freudisme ou de théologie messianique
que sont Marcuse et Ernst Bloch. Deux
vieillards chenus qui ont compté dans
la jeune existence de Rudi Dutschke : le
premier l'a séparé des provos et des
« sub-culturalistes » incendiaires de super-
marchés, le second, transfuge comme lui
de l'Allemagne de l'Est, lui a inculqué
son « principe de l'espoir ». Et puis, last
but not least, il y a dans le cœur de
Rudi le Rouge Rosa la Rouge, dont les
portraits fleurissent maintenant sur le
Kurfurstendamm, et qui n'avait jamais
voulu, elle non plus, séparer la révolution
sociale de la question de bonheur indi-
viduel.
1. Pulilir <l;ins le n" <lr Partisans, Kexualilf
cl r*7>rc.v.vm/n consacr*'1 non à Mm'eusc nniïs
à Wilhclm Hrich, l'auteur <l« La fonrlinn île
'
'2. Ed. Suhrkamp, Fnmrforî. Non traduit.
13
uyuu uuu u uuLHj»
CHE GUEVARA
par Jean-Michel Palmier
Par sa mort, Che Guevara
est devenu, pour les étudiants
surtout, le mythe de la
révolution en marche,
Le théoricien de la guérilla
s'est effacé devant l'apôtre
exécuté. Mais un poster peut-il
encore incarner la révolution ?
En octobre 1967, la nouvelle de la mort
de Che Guevara éclatait, L'étrangeté des
circonstances de cette mort, les déclara-
tions contradictoires du gouvernement
bolivien laissaient encore place au doute
et à l'espoir, avant de déchaîner l'indi-
gnation et la fureur.
Vivant, beaucoup l'avaient méconnu,
voire ignoré. Mort, chacun voulait s'ap-
proprier son reflet, approcher son ombre,
imprimer à tout jamais les traits de ce
cadavre aux yeux grands ouverts et criblé
de balles, dans son souvenir.
C'est alors qu'il devint vraiment redou-
table et invincible. Le * Che » lui-même
l'avait bien compris, lorsque vivant, il
s'était déjà dissous dans sa légende, imma-
tériel et omniprésent, traqué par le F.B.l.
et la C.I.A., mais reconnu partout en
Amérique latine par les pauvres et les
paysans qui croyaient en lui, comme en
un nouveau Christ.
Citoyen de l'Amérique latine, ce médecin
argentin devenu ministre à La Havane,
s'est identifié par sa mort à la figure de
la Révolution.
Les mois qui suivirent son assassinat fu-
rent marqués par cette flambée de Ro-
mantisme révolutionnaire qu'il ranimait,
après Hegel et Georg Buchner.
Ce fut sans doute dans les universités du
monde entier, que la réaction fut la plus
violente. Dès le 20 octobre, les étudiants
de Rome criaient son nom dans les rues.
Le 21, c'était à Moscou, devant l'ambas-
sade des Etats-Unis, que les étudiants
africains, asiatiques, latino-américains
criaient à travers les slogans antiaméri-
cains, leur indignation. Sa figure et son
assassinat le confondaient avec Lumumba,
Malcom X, Van Troï,
A Berlin éclatèrent les manifestations les
plus violentes. L'Allemagne de Rudi
Dutschke allait donner, à la mémoire du
héros cubain, un hommage digne de lui.
Toutes les Universités allemandes, les
unes après les autres manifestèrent leur
solidarité à sa lutte. A Heidelberg, le pro-
fesseur et ministre socialiste Carlo
Schmidt était interrompu dans ses cours
Gutvara. le hfro, romantique dei ftudianl» ,,erlinois.
et mis en demeure de répondre au mot
dordre de Che: «Créer deux, trois, de
nombreux Vjetnam ». A Hambourg la
faculté était investie par des comités qui
saTJtT amPMthéâtres, retraçaient
Le 21 octobre 1967, 6000 étudiants défi-
laient sur le Kurfiirstendam, la pius
grande artère de Berlin, en brandissant
les premiers portraits de Che Guevara
symbole de leur lutte. Les jours suivants;
les journaux de la chaîne Springer dénon-
çant la vague de « guévarifme » qui
ravageait l'Université allemande
II fallait très peu de temps pour que
1 agitation gagne la France. Du l« au
9 décembre était organisée une .semaine
Che Guevara» pour le soutfen de
lutte du peuple vietnamien. Des milliers
de jeunes étudiants principalement, se
pressèrent dans la grande salle ^ ,
Mutualité, afin de revoir encore dans les
projections la silhouette triste et sombre
du Che, son regard étincelant, son célè-
bre béret noir avec l'étoile de «Com-
mandante » de la Révolution cubaine A
Nanterre, un amphithéâtre porte désor-
mais son nom.
Sa lutte contre une société moribonde
contre un monde « sans cœur et sans
joie», comme l'écrivait déjà le jeune
Marx est devenue la lutte de tous les
étudiants, qui, partout s'acharnent à en
saper les fondements. Loin d'avoir atté-
nue leur ardeur, sa mort devint pour
eux le symbole de leur lutte. Che Gue-
vara est sans doute avec Herbert Mar-
cuse, l'une des rares figures à réaliser
l'unanimité des tendances souvent oppo-
sées, qui déchirent le monde étudiant
progressiste.^ Cette unanimité tient non
seulement à son immense prestige, au
sceau tragique dont son assassinat a
marqué sa vie, à cette pureté et ce
romantisme révolutionnaire qui entourent
tous ses actes, mais surtout à l'originalité
de l'expérience du Socialisme cubain.
Dans son célèbre article Le socialisme et
l'homme à Cuba, Che Guevara répétait
sans cesse : * il nous faut créer l'homme
du xxi* siècle ». C'est une telle tentative
qui reste liée à son nom.
Mais il est à craindre que le révolution-
naire soit enseveli sous le mythe qu'il
a suscité. La gangrène est déjà à l'œuvre.
Depuis cet hiver, sa figure s'étale dans
tous les journaux, quelles que soient
leurs tendances politiques. Les illustrés,
les magazines féminins consacrent de
longues colonnes au « héros ». Le soldat
des forêts tropicales et des plateaux boli-
viens est devenu le héros des Drugstores,
où l'on peut pour quelques centaines de
francs, acquérir son portrait, « poster »
décoratif. Il est devenu le héros d'une
jeunesse désabusée, avide d'émotion et
qui cherche désespérément à retrouver
dans sa légende celle de James Dean,
voire de Johnny Hallyday.
Aujourd'hui, sans aucun doute, le héros
politique a ' été tué par la publicité qui
s'attache à son nom. Sa lutte s'est obscur-
cie et ses traits de révolté, multipliés par
les machines, ne sont plus qu'un mythe :
celui d'un monde qui se console de sa
mort, en revendiquant la force abstraite
de l'idéal, alors qu'il porte en lui, le sens
et la responsabilité de son assassinat.
Ceux qui ont élevé Che Guevara au
rang d'un héros et d'un martyr l'ont tué
plus certainement que cette balle qui le
frappa en plein cœur.
Aussi n'est-il pas étonnant que ce soit
avec un certain agacement que beaucoup
de ceux qui se réclamèrent de lui voient
aujourd'hui mésinterprété le sens de sa
lutte.
Mais les étudiants de Berlin rappellent
avec violence ce qu'il fut :
* Che Guevara
Je ne veux pas faire de toi un martyr
Mais nous avons entendu l'annonce de
ta mort
Et, que tu voulais incendier le monde
Mais nous n'éhtendons ici
Aucune parole sur ceux que l'on exploite
Mais nous regardons tous vers un autre
pays
Celui vers lequel se tourne tous nos
espoirs. »
14
AITHUSSER
par Michel Le Bris
Les travaux de Louis Althusser et de son équipe sur la théorie
du marxisme et de Marx sont parmi les plus lus aujourd'hui.
Us rompent rigoureusement avec toutes les autres analyses du
marxisme. Althusser est l'un des « patrons » de ta réflexion
théorique des groupes pro-chinois en France,
Si^ les travaux de Louis Althusser ont
été moins cités que ceux d'Herbert Mar-
cuse à l'occasion des récents troubles
étudiants, leur influence sera peut-être,
a long terme, plus importante. Déjà ils
Sont à l'origine de la création d'un parti
dit « pro-chinois », mal connu du public
mais très actif : l'Union des Jeunesses
Communistes Marxistes-Léninistes (U.J.C.
M.L.).
Tout commence il y a quelques années,
a l'école normale supérieure de la rue
d'UIm, par une « lecture » nouvelle du
Capital menée par Althusser, professeur de
philosophie, et ses élèves (1). La montée
du révisionnisme, l'oubli fréquent des
principes de base du marxisme, leur
semblent rendre nécessaire une reprise ri-
goureuse de Marx, seule capable d'expli-
Ruer la logique qui avait mené à tel
révisionnisme, « Lire Marx, c'est-à-dire
travailler à l'élaboration théorique de la
philosophie marxiste. »
Un très large appel est fait aux travaux
de Bachelard, de Cavaillès, Canguilhem
et Koyré sur l'histoire des sciences et
l'épistémologie. Althusser porte d'abord
son effort sur deux couples de notions :
théorie-pratique et science-idéologie.
Théorie et pratique
* Par la pratique en général nous enten-
dons tout processus de transformation
d'une manière première donnée déter-
minée, en un produit déterminé, trans-
formation effectuée par un travail hu-
main déterminé, utilisant des moyens (de
« production ») déterminés. Dans toute
pratique ainsi définie le moment détermi-
nant est... le travail de transformation
lui-même» (Pour Marx, p. 167). La pra-
tique sociale est un ensemble complexe
de pratiques : économique, idéologique,
politique, théorique.
Donc, dans le tout social il n'y a que
des pratiques (cf. Badiou) (2). La théorie
n'est définie que comme une forme spéci-
fique de la pratique sociale. « Elle tra-
vaille sur des concepts, représentations,
faits, donnés par d'autres pratiques » (3).
Science-idéologie
La science est donc « la pratique pro-
ductrice , de connaissances, dont les
moyens de production sont les concepts ».
Quant à l'idéologie (c'est cette analyse
de l'idéologie tout comme celle de la
pratique que nous retrouvons à l'œuvre
au sein de l'U.J.C.M.L.), elle est un
ensemble complexe de représentations qui
gouvernent les hommes en « articulant
la façon dont ils vivent leurs rapports à
leurs conditions d'existence ». La fonction
de l'idéologie est d'intriquer l'imaginaire
et le réel dans une apparence de nécessité
pour masquer l'arbitraire des tâches pres-
crites par le tout social.
C'est ce couple qui fait problème : il ne
doit pas être la répétition de celui, moral,
du bien et du mal, ou encore celui de la
vérité et de l'erreur. L'idéologie n'est pas
réductible. La science est en effet science
de l'idéologie en ce que c'est l'idéologie
qui délimite pour la science la région à
explorer : « la science transforme une
Généralité idéologique en généralité scien-
tifique ». Inversement « l'idéologie est tou-
jours idéologie pour une science » : elle
n'apparaît comme telle que lorsqu'il y a
une science. C'est à partir de ces ana-
lyses que Althusser établit qu'il n'y a
pas de continuité de Hegel à Marx, l'un
étant idéologique l'autre scientifique (de
toute manière l'idéologie sur laquelle se
construit le matérialisme historique serait
celle de Ricardo). Althusser pointe dans
l'œuvre de Marx une coupure épistémo-
logîque, à partir de laquelle se constitue
une science de l'histoire (le matérialisme
Irixtoritiue) et une discipline dans laquelle
on énoncera la scientifîcité du matéria-
lisme historique et que l'on peut définir
comme la « théorie formelle des cou-
pures » l/c" matérialisme dialectique),
Une telle lecture conteste fortement les
trois marxismes qui avaient cours jus-
qu'alors en France : le marxisme « fon-
damental » qui méconnaît la constitution
comme science du matérialisme historique
et comme théorie des coupures du maté-
rialisme dialectique, déconstruisant le
concept d'histoire (Sartre) ; le marxisme
« totalitaire » qui isole les résultats en
les séparant de leur procès de production,
en les résorbant dans un Tout (c'est ce
que Badiou appelle « l'œcuménisme mal-
propre de Garaudy ») ; le marxisme ana-
logique enfin qui transpose sans précau-
tions les concepts du matérialisme histo-
rique dans tous les domaines.
Althusser déclare que la pratique théo-
rique de l'histoire est « réglée » mais non
pas celles de l'épistémologie, de l'histoire
des sciences, etc. II reste beaucoup à faire.
Cette affirmation ne fut pas du goût du
PCI7, d'autant que les disciples d'Althus-
ser prenaient de l'importance. En 1965
ils avaient crées les Cahiers Marxistes-
Léninistes, d'un niveau théorique remar-
quable. De plus, ils constituaient un
noyau dit « Cercle d'UIm », à l'intérieur
de l'Union des Etudiants Communistes
(UF.C), qui faisait de la contestation. Les
choses allèrent très vite : en mars 1966
le PCF contre-attaque et condamne les
travaux d'Althusser, en automne 1967
six cents étudiants sont exclus de l'UEC.
La plupart se regroupent pour former
rtJJCML.
Leurs deux, journaux (Garde Rouge et
Servir le Peuple) prennent violemment à
partie le PC. Ils l'accusent de « matéria-
lisme sordide » et affirment, quant à eux,
la nécessité de la révolution culturelle.
Le PCF n'a plus comme but que de con-
quérir le pouvoir pour faire augmenter
le niveau de vie. Mais alors peu de
choses les séparent des capitalistes. La
transformation du mode de propriété ou
des rapports de production ne suffit pas :
sous peine de voir comme en U.R.S.S.
se rétablir l'idéologie ancienne, il faut
travailler à modifier les consciences. C'est
le but final de la révolution. Parce qu'il
l'oublie, parce qu'il étouffe toute possi-
bilité de révolution, le PCF doit être
considéré comme un ennemi. (On recon-
naît là la mise en œuvre du concept
d'idéologie défini par Althusser.)
15
L'UJCML a constitué environ 150 «co-
mités Vietnam de base » tous très actifs
et regroupant des étudiants communistes
d'autres' tendances. Ils ont substitué à
« Paix au Vietnam » le slogan « FNL
vaincra ». Leur manifestation du 20 dé-
cembre" 1967 a rempli la Mutualité. Les
journaux en ont beaucoup parlé ces der-
niers mois.
Mais c'est surtout le contact avec les
masses ouvrières qui constitue leur objec-
tif essentiel. « II faut libérer l'initiative
révolutionnaire de la classe ouvrière. *
Les masses sont le moteur de l'histoire,
sans elles il ne peut y avoir de révo-
lution. On ne fait pas de la théorie poli-
tique en restant chez soi. Et c'est par une
pratiqué politique dans les masses, en
luttant dans le concret que quelque chose
peut naître.
La pratique politique doit se faire dans
les usines : aussi beaucoup d'étudiants
abandonnent leurs études pour travailler
dans des usines, des agrégés de philoso-
phie passent des CAP d'ouvriers spécia-
lisés ! Mais ce serait une totale erreur
de croire qu'il s'agit de scoutisme : c'est
pour eux un moyen d'action politique.
Rien de plus.
L'UJCML est en butte à toutes sortes de
difficultés :
— de la part de ses propres membres
d'abord.
« Nous sommes à la fois une parcelle
de la force motrice de la révolution et
une cible de la révolution, » « Nous som-
mes tous infestés par l'idéologie bour-
geoise, » C'est pour lutter contre cela
que les critiques et autocritiques se suc-
cèdent a un rythme accéléré dans Garde
Rouge et Servir te Peuple.
L'UJCML s'oppose au « Parti Commu-
niste Marxiste-Léniniste Français » (PCM
LF) fondé à Aix le 31-12-67, à qui ils
reprochent l'innoportunité de sa créa-
tion et qui lui reproche son intellec-
tualisme. S'oppose également au CMLF,
3" groupement pro-chinois, mais à ten-
dance « Liu Shao Chiste », et enfin aux
autres organismes révolutionnaires étu-
diants, trotskystes ou guévaristes.
Cependant l'UJCML pourrait prendre de
l'extension. D'abord parce que les tra-
vaux d'Althusser commencent à être très
connus, parce qu'il a constitué un groupe
assez remarquable de chercheurs (Badiou,
Regnault, Balibar, Macherey, Establet,
Rancière, Fichant, Pécheux, etc.) et parce
que l'UJCML est sans doute le groupe-
ment qui a la formation théorique la plus
rigoureuse. _
(I) Louis Alihnsser : Pour Mar.ï, lire le Capi-
tal, 1 <•* 2- Muspéro éditeur.
!2) Le rçt'omnicnceint'nl du î
cie Alain Bmlioy (revue Critique},
sscr distingue trois sens du mot
a] pratique théorique de caractère
e; b] le système théorique déterminé
née réelle; c't la théorie de la pra-
(3) Atthi:
théorie :
scientiîiqi
d'une sel
tique en général, élaborée à partir de la
théorie des pratiques théoriques existantes
(sciences) qui transforment en « connaissan-
ces » (vérités scientifiques) le produit idéolo-
gique «lés pratiques « empiriques » existantes.
(I) Sur le mouvement pro-ehinois, lire la série
d'articles de Michel Legrls (le Munile, 1, 2 et
:i a \ril 1968).
LE
par André Lande
Rudi Dutschke, réfugié d'Allemagne de l'Est à Berlin, est le
leader le plus célèbre du S.D.S., mouvement des étudiants alle-
mands en révolte contre leur société de consommation. Com-
ment s'est développé le mouvement, quelles sont les thèses
idéologiques de Dutschke et de ses amis ? André Laude fait
ici une radiographie des intellectuels allemands,
dans une Tribune libre de Combat
rappelé le passé national-socialiste du
chancelier Kiesinger, se vit licenciée de
la façon la plus brutale. La « dénazifi-
cation » de l'Allemagne n'a jamais été
réellement menée à terme. A l'Ouest
comme à l'Est, les anciens nazis ayant
survécu au désastre ont réussi à se réin-
tégrer. Devenu des représentants de
l'ordre nouveau, ils ont cru sans doute
que tous les Allemands avaient la mé-
moire courte. Erreur grossière dont les
étudiants du SDS ont fait la preuve.
En quelques jours, le SDS a conquis la
première page des journaux dans la
presse internationale. On l'a présenté
comme un groupscule rassemblant des
« gauchistes », des « exaltés », des « fana-
tiques ». La vérité est bien entendu toute
autre.
Jusqu'en 1961, le SDS était l'organisation
étudiante du Parti Social Démocrate ani-
mé par W. Branett et M. Nehner. Cette
période recouvre ce que l'on a appelé le
« miracle allemand ». Ce « miracle » fut
le produit d'une alliance entre le capita-
lisme allemand et l'impérialisme améri-
cain. Face à une Allemagne de l'Est en
proie aux formes du stalinisme le plus
fermé, les Américains souhaitaient offrir
aux pays du « bloc socialiste » une vitrine
qui témoignerait du bien fondé de l'éco-
nomie libérale et de la démocratie bour-
geoise. En Allemagne, le mouvement ou-
vrier décimé n'était pas apte à opposer
une contestation à cette alliance. Il fau-
dra attendre 1958 pour que les syndicats
confrontés au projet de loi sur l'état d'ur-
gence entrent dans un lent processus de
radicalisation politique qui les conduira à
des affrontements publics avec la social-
démocratie.
De son côté, la social-démocratie alle-
mande suit un processus de dégénéres-
cence, et son idéologie trouve son
aboutissement au congrès de Bad-Godes-
berg en 1959, qui marque le rejet par la
SPD de toute idéologie socialiste et la
reconnaissance d'une communauté de
vues avec le CDU en politique extérieure
en 1960, précédant la naissance de la
« grande coalition s> dont l'échec est doré-
navant patent.
Parallèlement, le KPD (Parti communiste
allemand) interdit en 1956, connaissait
un déclin progressif et une sclérose de
pensée qui l'éloignaient de plus en plus
de la situation réelle.
La jeunesse progressiste, celle du SDS
', a suffi qu'une jeune Allemand exalté
névrose obsédé par les communistes, tire
sur Rudi Dutschke pour que ce dernier
devienne soudain célèbre. Jusqu'alors les
manifestations des étudiants en Républi-
que Fédérale demeuraient relativement
marginales. Le coup de feu tiré contre
« Kiidi le Rouge » a brutalement embrasé
es grandes villes d'Allemagne, jetant dans
tes rues des dizaines de milliers de jeunes
8Cm 9rec°'tés- Rév°ltés contre qui, contre
quoi fcn prenant pour cible Axel Sprin-
ger les étudiants du SDS s'attaquaient au
symbole de «l'Establishment,. M. Sprin-
ger, plus personne ne l'ignore, est le dic-
tateur de la presse allemande. Grâce à
sa c"ai"e de Journaux qui atteignent des
tirages fabuleux, et sont essentiellement
ondes sur le sexe< ,e scandaki ,es hjs_
toiresd amour, Springer diffusait et dif-
fuse des mots d'ordre, une idéologie vio-
lemment anticommunistes et réactionnai-
res. Pour M. Springer, la « démocratie ,
allemande actuelle cst la plus large que
son pays att jamais connue. Axel Springer
feint d ignorer que les deux principaux
hommes d Etat au pouvoir sont d'anciens
complices du nazisme: le chancelier
Kiesinger et le président Luebke ont tou-
jours évite de répondre clairement aux
accusations portées contre eux. A ce pro-
pos, on se souviendra du cas de Béate
Klarsfeld. employée à l'Office franco-
allemand de la Jeunesse, qui pour avoir
notamment, coincée entre une social-
démocratie « intégrée » et une « Allema-
gne communiste » peu séduisante, ne
pouvait guère se manifester tant que la
confiance dans le miracle persistait.
Mais avec la récession de 1966-67, la
disparition de Ludwig Erhard, la crise se
cristallise. Les syndicats durcissent leur
opposition. Les déclarations de Ludwig
Raenberg, président du DGB, et d'Otto
Brenner, président de l'IG Metall en font
foi.
Exclus du SPD, les étudiants du SDS
fUnipn des Etudiants Socialistes) devaient
forcément trouver dans les difficultés
mour, la dérision, la révolte, de dévoiler
les rouages de l'ordre établi afin qu'appa-
raissent aux yeux de tous son contenu
et sa signification.
Utilisant les formes du « happening »,
les étudiants allemands, soulevant la ré-
probation des « honnêtes gens », entamè-
rent leur révolution culturelle dans les
super-structures. Cette révolution cultu-
relle marque le détachement progressif
à l'égard des idéologies technocratiques
et bureaucratiques et le début de la
résistance aux impératifs du système, par-
ticulièrement aux impératifs technologi-
ques. C'est aussi l'époque de la fondation
'•«ni/ne un tapera .sur cm
économiques et les contradictions de la
société allemande, les sources d'une ré-
flexion plus approfondie. Deux intellec-
tuels de renom influencèrent notoirement
cette réflexion : Herbert Marcuse et
Wilhelm Reich. Marcuse, auteur de Erox
et civilisation a émis une thèse qui avait
de quoi satisfaire le SDS : dans les pays
occidentaux, dans les « sociétés de con-
sommation », l'action révolutionnaire peut
seulement être menée par les étudiants
ft les intellectuels face à un prolétariat
intégré au système. Quant à W. Reich,
psychanalyste qui œuvra pour la réconcilia-
tion du marxisme et de la psychanalyse,
'1 est surtout connu par son ouvrage La
fonction de l'orgasme. Il fut aussi l'auteur
de la plate-forme sexuelle diffusée par le
K.PD dans les années 30. Adeptes de
Marcuse, les étudiants allemands ont dans
un premier temps considéré que le rôle
d'une opposition minoritaire de jeunes ne
pouvait être que de semer la perturba-
tion ,la mauvaise conscience dans les so-
ciétés prospères de l'Europe occidentale,
en attendant l'heure où les vagues révolu-
tionnaires déferlant depuis les « zones
des tempêtes » (Asie, Amérique latine)
viendront ébranler définitivement l'ordre
capitaliste-bourgeois.
Dans une première phase, l'action des
étudiants révolutionnaires se limita à la
Pure provocation. Il s'agissait par l'hu-
des « communes », tentatives des étudiants
de créer au sein de la société de consom-
mation fondée sur le capitalisme, des
structures libérées, désaliénantes. Les étu-
diants allemands du SDS cherchaient
l'émancipation dans plusieurs directions.
Tout en reprenant l'héritage révolution-
naire de Karl Liebknecht et de Rosa
Luxemburg, ils retrouvaient les messages
des anarchistes, libertaires, tel Erich
Musheïm, figure passionnante du mouve-
ment spartakiste.
Rudi Dutschke fut un des propagateurs
les plus convaincus de la révolution cul-
turelle. Rudi le Rouge avait l'avantage
de connaître les deux Allemagnes. Fils
d'un pasteur protestant, ayant fui le ré-
gime stalinien de Walter Ulbricht par
refus d'accomplir son service militaire,
Dutschke crut trouver dans l'Allemagne
de Bonn la « liberté ». Esprit lucide, doué
d'une vive intelligence, Rudi dut vite
convenir que l'Allemagne de l'Ouest ne
répondait pas à ses vœux. Comme pour
ses camarades, le procès de l'université
se transforma en un procès de la société
toute entière. Si Rudi est devenu célèbre,
ce n'est pas tant parce qu'il affirme des
vues spécifiquement originales. S'il est
devenu un des leaders du SDS, c'est
parce qu'il possède ce feu particulier,
ce don de parole, qui font les leaders.
Produit d'une double éducation : chré-
tienne et marxiste, Rudi Dutschke, au
tempérament vigoureux, au sang chaud,
porté à la passion, a pu s'affirmer comme
une sorte de « tribun •», de « porte-
parole » d'un mouvement qui n'est pas
pour autant monolithique. Rudi Dutschke
comme tous les jeunes étudiants allemands
a trouvé dans la guerre du Vietnam un
appui à sa révolte. Cette révolte n'est
pas le fruit d'une idéologie prédéterminée.
Celle-ci se forme peu à peu sous l'in-
fluence de Che Guevara, de Ho Chi
Minh, de S. Carmichaël. Le mouvement
s'est précipité avec l'assassinat par un
policier du jeune étudiant Benno Ohne-
sorg, le 2 juin 1967, lors des manifesta-
tions organisées contre le Chah d'Iran.
Jusque-là l'analyse des étudiants du SDS
— à l'exception d'une minorité « mar-
xisée » — visait essentiellement la struc-
ture hiérarchisée de la société, et les dif-
férentes coercitions qu'elle imposait. Mais
les succès rencontrés par le SDS auprès
des étudiants et surtout auprès d'une
large fraction de jeunes travailleurs et
de jeunes paysans allaient amener Rudi
Dutschke à élargir l'analyse et la réfle-
xion, à passer des rapports d'autorité
aux rapports de production. Témoigne de
cet approfondissement le rapport pré-
senté par Dutschke au dernier congrès
Vietnam de Berlin-Ouest dans lequel il
posait avec netteté la nécessité de la jonc-
tion des étudiants révolutionnaires avec
les ouvriers et les travailleurs. Cette jonc-
tion est difficile à réaliser car l'avant-
garde syndicale se méfie toujours de
l'agitation étudiante et les étudiants conti-
nuent de voir dans cette avant-garde syn-
dicale les débris d'une gauche sclérosée,
incapable de marcher au pas de l'Histoire.
Malgré ces divergences, la montée du
parti néo-nazi NPD devrait permettre aux
diverses oppositions de se retrouver sur
un programme commun de lutte.
Certes, Rudi Dutschke et ses compagnons
se différencient des syndicalistes en oppo-
sition avec le SPD. Ils sont la Jeunesse
qui veut ici et maintenant créer un monde
nouveau, un monde profondément renou-
velé, sur les ruines de l'ancien. Incarna-
tion d'un refus global, ils appréhendent
dans la fureur et les ténèbres, dans l'exal-
tation des manifestations des rues, une
vraie vie qui échappe aux ouvriers, ou
les laisse indifférents. Leur rage de des-
truction n'a pas d'équivalent parmi la
classe ouvrière. Héritiers de la culture
bourgeoise, privilégiés promis à la des-
tinée de serviteurs du capitalisme, les étu-
diants du SDS incarnent un des plus
tenaces rêves d'une minorité de l'huma-
nité : celui de l'émancipation totale. Ils
sont en quelque sorte des « voyants ».
Il suffit d'entendre s'exprimer un Rudi
Dutschke, un C.Q. Wolff (président du
SDS) pour s'en convaincre aisément. Et
peu à peu les étudiants d'Europe entrent
dans la même rébellion, semblant donner
ainsi raison à Marcuse. Ce qu'ils con-
damnent tous, c'est la « société de con-
sommation » aliénante et déshumanisante.
Ce dont ils rêvent tous, c'est d'une terre
des hommes libres.
17
THEME
ET GUERILLA
par Rudi Dutsehke
Les étudiants d'aujourd'hui écrivent peu, ils agissent Cepen
dant Dutsehke a écrit, pour des meetings ou des manifesta-
tions organisées, des discours ou des manifestes nue /<>« FM
* *^» ¥ * j * T~s ' ? f • 'tv-""™JjtY*^tC-iC-4.5 JL/t*. l~"
tions Christian Bourgots publient très prochainement. Voici
lun deux, sur Lhe Guevara.
Che ramène la tragédie mondiale de la
révolution vietnamienne à l'idée suivante :
<!. La tragique solitude du peuple vietna-
mien est une pénible réalité », pénible
pour nous tous qui parlons de solidarité
et supprimons le caractère véritable du
conflit. Jour après jour, le peuple vietna-
mien nous donne une inestimable leçon
d'esprit de sacrifice, de persévérance et
d'humanité révolutionnaire dans sa lutte
contre le représentant mondial de l'op-
pression et de la répression, il nous dé-
montre à chaque instant que le mouve-
ment de libération nationale d'un peuple.
aussi petit soit-il, peut mener un combat
victorieux même contre la puissance impé-
rialiste mondiale la plus forte du monde.
Le rôle historique de cette révolution est
de servir d'exemple et de modèle à la
lutte des autres peuples pour leur libé-
ration. Si elle demeure isolée, le danger
persistera alors que le processus mondial
de la lutte contre l'abrutissement et la
faim soit retardé de plusieurs dizaines
18
d années, F.n ce sens la lutte des Vietna-
miens rend chaque jour sensible l'alter-
native historique ; début du processus de
Tr", t0ta'e de la »l'erre> de la
'l ' ahrutlsscn>ent et du libre-arbitre
, honTcs- ou bien alors renforce-
entier ''h°mmc dans le
n!»ènePT1<f JU Tie«-Monde tenus sous
tutelle et dans une totale dépendance
°
se
st libtrtr au sens vietnamien du mot
devient Ua"té * la révolutio" ™>nS
deviendra pour chacun de nous qui non
seulement aimerait lutter contre le sys
terne mais encore est profondément con-
vaincu de 1 impossibilité qu'il y a de
dépasser I ordre existant, une inestimable
Le but de ce combat ne peut qu'être la
liquidation totale du système impérialiste
mondial et la libération sociale et écono-
mique des peuples. La répression inter-
nationale accélère ce processus en es-
sayant de réduire tout soulèvement révo-
lutionnaire au moyen de sa propre ma-
chine de coercition. Les réformes consen-
ties ne sont que des instants de la paci-
fication militaire et ont perdu toute signi-
fication propre. Il en résulte l'inévitable
nécessité du soulèvement international
armé du Tiers-Monde.
Cette guerre révolutionnaire est terrible,
mais les souffrances des peuples seraient
plus terribles encore si le combat armé
ne devait engendrer la suppression de
l'état de guerre entre les hommes : « Nous
sommes pour la suppression de la guerre,
nous ne voulons pas la guerre, mais on
ne peut supprimer la guerre que par la
guerre. Celui qui refuse le fusil doit pren-
dre le fusil ». (Mao 1938). La guerre
n'est pas le lot éternel de l'existence
humaine, elle est produite par les hom-
mes et peut être supprimée de la surface
de la terre par l'action consciente des
hommes. C'est là que la glorification ap-
parente de la guerre par Che trouve son
explication.
« La propagande des coups » de l'orga-
nisation partisane dans le Tiers-Monde
constitue le point de départ des actions
offensives contre la répression. Les actions
des partisans sont la condition d'un élar-
gissement possible du mouvement révo-
lutionnaire. Les oligarchies répondent à
ce premier signe de menace contre leur
propre domination par une peur panique
et des mesures de répression aveugles et
exagérées. Le peuple encore passif la
plupart du temps fait au cours de cette
confrontation l'expérience directe de la
force contre-révolutionnaire. Par un sys-
tème d'actions offensives, avec possibilité
de retraite, des couches populaires tou-
jours plus importantes sont lancées dans
le combat. La lutte seule rend possible
l'établissement de la volonté révolution-
naire qui permet aux peuples de faire
enfin consciemment et énergiquement
cette histoire dont ils n'ont jamais cessé
d'être les artisans.
Les oligarchies qui ont perdu au cours
de cette étape du combat leur dernière
apparence d'indépendance ne sont plus
les premières à répondre à cette volonté
du peuple née au cours du combat et qui
menace d'anéantir la puissance établie,
mais bien l'Internationale organisée de la
répression incarnée par les H.U. d'Amé-
rique du Nord. C'est à ce moment-là, et
à ce moment-là seulement qu'est apparu
un second ou troisième Vietnam. C'est à
ce moment-là seulement qu'une solution
historique réelle et non sur papier du
conflit sino-soviétique nous paraît pos-
sible, car une attitude isolée et une parti-
cipation hésitante au combat seraient ren-
dues impossibles dans ces conditions. Un
second, un troisième Vietnam contraindra
les pays socialistes qui s'opposent aujour-
d'hui à prendre une décision : soit réins-
taurer la solidarité internationale, soit
assister au passage conscient et définitif
de l'Union Soviétique dans le camp de
la contre-révolution internationale. Mais
dans ce cas aussi, il est nécessaire de
comprendre que la prise de conscience
révolutionnaire des masses dans les pays
socialistes est impossible sans conflit réel.
Le gouffre séparant en Union Soviétique
et dans les pays de l'Est le parti et le
peuple devrait disparaître — dans le cas
d'un second ou d'un troisième Vietnam —
pour permettre en particulier d'offrir une
aide efficace aux mouvements de libéra-
tion. Cela permettrait d'autre part de
poursuivre la révolution stagnante depuis
des décennies et de triompher de la
domination bureaucratique du Parti sur
le peuple.
H ^n'est pas question de cacher que la
théorie de la révolution permanente — à
laquelle s'oppose jusqu'à aujourd'hui la
République chinoise — et qui lutte contre
toute faille historique entre le Parti et
le peuple au moyen de campagnes systé-
matiques clans lesquelles est établi un
dialogue positif et générateur de prise de
conscience entre les chefs et la masse,
a été couronnée de succès quelles que
soient les difficultés rencontrées.
Pour Che cependant — et à juste titre —
les deux fractions du camp socialiste sont
d'une importance secondaire. Ce sont les
peuples qui s'y battent qui décident des
formes et des moyens de la révolution en
Amérique latine, en Asie et en Afrique
et aucun gouvernement aussi « ami » soit-
il ne peut et ne doit influencer la liberté
des décisions.
La lettre de Che constitue un appel aux
révolutionnaires du Tiers-Monde pour
Qu'ils entreprennent le soulèvement mili-
taire direct en tous les points possibles,
pour qu'ils n'attendent plus et installent
au contraire par leur propre action les
conditions victorieuses d'une révolution
continentale. Mais il ne s'agit que d'une
analyse théorique, son principal objet est
'a propagande révolutionnaire qui précède
la propagande des coups, c'est-à-dire un
moment de cette première phase du com-
bat. C'est ce qui explique la grande uti-
lisation de photographies de combat
comme moyens de formation de la vo-
lonté révolutionnaire. Elles s'attaquent à
la théorie et à la pratique résignée des
partis communistes et socialistes bien éta-
blis. Elles s'attaquent au cynisme d'un
Pablo Neruda qui déjeunait chez le pré-
sident Belaunde au moment de la liqui-
dation radicale par des troupes gouver-
nementales péruviennes collaborant avec
des conseillers américains des guérilleros
péruviens placés sous les ordres de La
Puente Uceda.
La présentation des premières victoires,
la glorification des martyrs déjà tombés
pour le mouvement de libération doit
remplacer les chefs des guerres d'indé-
pendance du xix' siècle entravés par des
mécanismes d'intégration, par les silhouet-
tes révolutionnaires de la phase actuelle,
et faire naître une nouvelle continuité
historique de l'histoire américaine. Les
passages irrationnels contenus dans cette
lettre doivent être considérés comme des
préjugés d'éclaircissement contre les sché-
mas du chauvinisme intériorisé par les
masses.
Le souvenir des premiers nouveaux chefs
constitue pour les guérilleros et pour la
jeune génération qui se lance dans le
combat une force de libération et d'im-
pulsion, et contribue au processus d'appa-
rition d'une identité nationale ainsi que
d'une conscience révolutionnaire. C'est
sous cet angle qu'il faut comprendre le
prétendu déterminisme de Che. L'accent
qu'il met sur la nécessité historique du
triomphe de la révolution ne doit pas
être distingué de son réalisme dialectique
lorsqu'il s'agit d'apprécier les difficultés
de la situation. L'issue du combat est
incertaine et c'est toute une période histo-
rique de combats qui en décidera.
Nous devrions cependant nous rappeler
une phrase de Marx à Rugc en 1843.
« Vous ne direz pas que je surestime le
présent, et pourtant si je ne désespère
pas de lui, c'est uniquement sa propre
situation désespérée qui me remplit d'es-
poir. »
La situation désespérée de la guerre de
libération vietnamienne, la situation déses-
pérée du Tiers-Monde crée une énergie du
désespoir chez les révolutionnaires du
Monde entier.
On ne peut distinguer de la situation et
du déchirement du mouvement révolution-
naire le passage qui nous opprime tous
sur la haine comme facteur de combat.
Mais il nous faut nettement distinguer
deux aspects du phénomène. Il y a d'une
part dans la haine de toutes formes d'op-
pression un humanisme militant et d'autre
part — comme le remarque justement
B. Brecht — la haine de l'oppresseur
rend la voix plus rauque et fait planer le
danger de la soumission révolutionnaire
qui ne place plus au centre les intérêts
d'émancipation qui doivent imprégner
tous les moyens et toutes les formes de
la libération révolutionnaire.
Dans Individu et société à Cuba Che
envisage très clairement ce problème lors-
qu'il exige que le révolutionnaire mo-
derne se distingue par une grande huma-
nité. Mais nous devons nous rendre
compte, et c'est ainsi qu'il faut compren-
dre Che, qu'aucun combat révolution-
naire dans le Tiers-Monde ne peut être
gagné sans la participation active de la
haine contre les représentants de la ré-
pression nationale et internationale.
Un monde sans haine est un monde sans
guerre et sans domination historique su-
perflue et par là même irrationnelle de
l'homme par l'homme.
La contribution des révolutionnaires des
villes — à l'intérieur même du processus
international d'émancipation a un double
aspect : à savoir la collaboration pour la
mise en place d'une « opposition révolu-
tionnaire globale » (H. Marcuse) en pre-
nant directement part à la lutte actuelle
dans le Tiers-Monde, en créant une cen-
trale internationale à ne pas abandonner
aux bureaucrates du Parti et en dévelop-
pant des formes de luttes spécifiques cor-
respondant à l'état de développement his-
torique atteint dans les métropoles.
En effet, la situation est actuellement très
différente dans les villes : nos dirigeants
sont amovibles et peuvent être à chaque
instant remplacés par de nouveaux mas-
ques bureaucratiques. Nous ne pouvons
même pas les haïr, ils sont prisonniers
et victimes de leur machinerie répressive.
Notre force contre les rouages gouverne-
mentaux inhumains, contre les moyens de
manœuvre est le refus organisé. Sans
armes, rien qu'avec notre raison éduquée,
nous nous opposons aux parties les plus
inhumaines de la machinerie, ne jouons
plus le jeu et intervenons au contraire
consciemment et directement dans notre
propre histoire.
Le résultat de ces réflexions est que « la
prise de pouvoir politique » d'un groupe,
d'une bande ou même d'une classe spéci-
fique ne semble plus être possible dans
la phase actuelle du développement social.
Le processus de la révolution par le refus
organisé constitue pour les êtres qui l'ont
provoquée un effondrement tendanciel et
visible de tout l'appareil en place. Les
êtres indépendants reconnaîtront finale-
ment leurs propres forces comme des
forces sociales puissantes et se libéreront
au cours d'un combat dont ils devien-
dront de plus en plus conscients, de la
tutelle et de l'apolitisme dont ils souf-
fraient.
Les formes et les moyens de la répression
organisée contre les actions de refus de
plus en plus violentes que nous menons
ne peuvent cependant être prévus de
façon précise. En particulier si nous ne
repoussons pas l'éventualité objective d'un
second ou d'un troisième Vietnam en
Asie ou en Amérique latine.
Il est certain que dans ce cas, l'élite amé-
ricaine au pouvoir ne sera plus en mesure
d'endiguer ou d'arrêter seule le combat
contre les mouvements de libération.
Il demeure la dangereuse éventualité que
la R.F.A. soit contrainte en raison de
ses relations économiques, militaires et
politiques avec les E.U. d'Amérique du
Nord à participer aux actions de libé-
ration dans le Tiers-Monde. Les consé-
quences d'une telle politique sont à peine
calculables. 11 suffit de regarder l'Amé-
rique du Nord, dont les grands plans
pour instaurer une société sans misère ni
racisme se sont engloutis dans les marais
vietnamiens. En ce qui concerne la R.F.A.
qui est loin de posséder une économie
aussi fabuleuse et qui se trouve au bout
de son miracle économique plongée dans
des difficultés de structure, les consé-
quences du passage de l'appui indirect
actuel à l'appareil de guerre américain à
une participation directe pourraient être
identiques à l'importation de la révolution
violente par les hommes mêmes qui sont
au pouvoir.
Aussi devons-nous lutter afin que les
actions offensives que nous avons com-
mencées dans le sens d'une révolution de
refus organisé — actions dirigées toul
d'abord contre les centres de domination
intrigante, bureaucratique ou militaire des
hommes — atteignent des couches tou-
jours plus vastes de la population en vue
d'éviter aux êtres dans le bouleversement
de notre société la cruauté et la souf-
france qui résultent du pouvoir actuel.
19
Daniel Cohn-Bendit est le leader du mouvement
du 22 mars, qui tire son nom des premières
manifestations de la faculté de Nanterre, mani-
festations dirigées alors contre la ségrégation
sexuelle. Depuis le mouvement a pris de l'am-
pleur. Nous avons demandé à Daniel Cohn-Ben-
dit ce qu'il pensait et ce qu'il voulait.
Ixinirl Ctihn-lltnilit à \antrrrr. <• Trait thème* permanents : l,t (,|//, ,,„„, , ,
«'«ire (or ri'pre.t.iion étatique, contre l'autoritarisme et eonlrr la hiérarchie.»
On dit que vous êtes ou que vous
avez été anarchiste ?
Je suis toujours anarchiste. J'ai été in-
fluencé sûrement par mon frère, qui est
passé par tous les groupes d'extrême-
gauche, après avoir été exclu du P.C.
Et c'est surtout d'une façon négative
d'abord, par refus de tous les groupus-
cules d'extrême-gauche et par refus de
leur dogmatisme que je suis arrivé au
groupe anarchiste qui m'a permis de me
définir justement par rapport aux thèses
marxistes-léninistes bolcheviques, sur la
ligne du « socialisme des conseils ».
Vas parents ont quitté l'Allemagne
20
au temps du naasme... Vous n'av«
pas la nationalité française?
J ai la nationalité allemande. Mais je me
fous des nationalités !
De quel moment date votre prise
de conscience politique ?
Une chose m'a beaucoup marqué. J'avais
treize ans, c'était 58. Il y avait cinq à
six cent mille personnes dans la rue
après le 13 mai et les gaullistes ont quand
même pris le pouvoir. Et je n'ai pas com-
pris.
La ^ guerre d'Algérie, qu'a-t-elle re-
présente pour l'enfant que vous
étiez ?
Ma prise de conscience politique s'est
faite selon un processus continu : la
guerre d'Algérie, des lectures qui m'ont
fait prendre conscience des problèmes
politiques et de la société.
Vous parlez de lectures, l'étonnant
dans votre cas, mais aussi en tant
que vous êtes le porte-parole, le
leader...
Disons le haut-parleur...
L'étonnant donc, c'est le confusion-
iiisme politique de l'ensemble «lu
mouvement étudia'nt : il y a les
maoïstes, les divers groupes trots-
kystes, vous qui êtes anarchiste.
Quels maîtres vous reconnaissez-
vous ? Quelle position adoptez-vous
à l'égard des théoriciens révolution-
naires ? Marx, d'abord ?
Si vous voulez, je suis marxiste comme
Bakounine l'était ; Bakounine a traduit
Marx et pour lui Marx avait non pas
développé des théories neuves, mais for-
mulé, à partir des théories de la culture
bourgeoise, les possibilités d'une critique
révolutionnaire de la société, Bakounine
m'a davantage influencé. Mais surtout, je
crois que je me suis déterminé à partir
de la révolution russe, des positions de
la commune ouvrière de Kronstadt où il
y avait des anarchistes qui luttaient con-
tre la mainmise du parti bolchevique sur
les ^ Soviets. Par conséquent, je suis très
anti-léniniste, je suis contre la méthode
d'organisation du centralisme démocra-
tique et pour un fédéralisme de l'organi-
sation, pour les groupes autonomes fédè-
res, qui agissent ensemble, mais qui con-
servent toujours leur autonomie !
Cette position rejoint-elle, d'une
certaine façon, celle de vos cama-
rades ?
Dans le « mouvement du 22 mars », il y
a aussi des marxistes-léninistes ; des
trotskystes, qui, eux, sont très léninistes ;
mais ils ne constituent qu'une partie du
mouvement.
Ce qui apparaît chez tous, c'est une
contestation radicale qui touche
aussi bien la société capitaliste que
la société « socialiste » des pays de
Exact. Il y a trois thèmes permanents :
la lutte contre la répression étatique,
contre l'autoritarisme et la hiérarchie.
Etant donné que ces trois phénomènes si
on veut, se retrouvent à l'Est et à l'Ouest,
mon opposition aux formes organisation-
nelles des sociétés à l'Est et à l'Ouest
est totale.
Votre contestation porte donc aussi
bien sur la civilisation capitaliste
occidentale que sur la société sovié-
tique ?
La société soviétique est pour moi une
forme d'Etat qui a les caractéristiques
d'une société de classes : la bureaucratie
représente à mes yeux une classe et donc
je m'oppose à la société soviétique comme
je m'oppose à la société capitaliste, en
France. Seulement, je ne vis pas en
U.R.S.S. mais je vis ici. Donc, je mène
le combat ici contre la bourgeoisie fran-
çaise.
Vous êtes anti-léniniste. Mais il y a
aussi Trotsky, Mao, Fidel Castro,
Che Guevara.
Au moment de la répression de la com-
rnune de Kronstadt, décidée par Trotsky,
je suis anti-trotskyste. Mais quand Trots-
ky s'est fait le porte-parole de l'oppo-
sition à Staline, je partage plus ou moins
sa dénonciation de la bureaucratie russe.
Pour moi, cependant, elle ne va pas
assez loin. Pour Trotsky, l'Etat russe est
un Etat ouvrier dégénéré ; alors que pour
moi, la bureaucratie représente une classe.
Donc, ce n'est pas un Etat ouvrier du
tout ! Ma critique de la société soviétique
est tout à fait marxiste : en analysant les
rapports de production et de distribution
en U.R.S.S. on aperçoit que ce ne sont
pas des rapports de production socia-
listes : la classe ouvrière russe n'a aucun
pouvoir de décision dans la production
et dans la distribution. C'est pour cela
que pour moi l'Etat soviétique est tou-
jours un Etat de classes.
Venons-en au maoïsme.,,
Le maoïsme, moi, je ne sais pas très
bien ce que c'est ! J'ai lu des « trucs •»
dans Mao qui sont très vrais. Sa thèse
d'appui sur la paysannerie a toujours été
une thèse anarchiste. Là, il n'y a pas de
problème ; même pendant la révolution
russe. Mais maintenant, on a fait de Mao
un mythe. Et ça ne m'intéresse pas de
dialoguer sur le mythe Mao, sur le petit
livre rouge, sur la défense de Staline, etc.
Les « marxistes léninistes » le font. C'est
leur affaire. Mais pour moi, c'est com-
plètement aberrant...
Que pensez-vous de Staline
Vous voulez dire : qu'est-ce que je pense
du P.C. ? Staline, c'est le stalinisme ;
c'est vraiment la forme absolue de ré-
pression, une société bureaucratisée qui
lutte contre toute forme de contestation
ouvrière et même révolutionnaire.
Votre révolte est-elle une révolte
contre la civilisation ?
Je ne suis pas contre la civilisation. Ça
ne veut rien dire. Je suis contre la nature
de notre société et contre ses formes
d'expression. Et notre civilisation n'est
que la forme d'expression de la nature
du système dans lequel nous vivons.
Quels sont vos objectifs ?
Voilà. A travers l'action se pose de plus
en plus clairement le problème du pas-
sage de la théorie à la pratique et de la
pratique à la théorie. Lorsque nous avons
mené des luttes très précises, contre la
répression sexuelle, pour la liberté d'ex-
pression politique, pour une politisation
du milieu étudiant, nous nous sommes
heurtés à une répression totale, jusqu'au
paroxysme actuel. A partir de cela, main-
tenant, nous devons développer une nou-
velle stratégie de politisation pour conti-
nuer à poser des problèmes politiques ;
et, en posant ces problèmes politiques,
se découvriront à nous des objectifs pré-
cis, à l'intérieur de l'université, et plus
généralement à l'intérieur du système
d'éducation, et à l'extérieur, en liaison
avec la classe ouvrière.
Le monde étudiant étant en majo-
rité d'origine bourgeoise, on se de-
mande : est-ce une révolution de fils
de famille qui jouent à être de gau-
che ?
Ce qui me paraît important maintenant,
c'est la politisation du milieu étudiant,
qui se réalise, et surtout des apprentis, et
des jeunes chômeurs qui ne sont juste-
ment pas apprentis ! Pour pouvoir déve-
lopper des actions de contestation radi-
cale de la société, basées justement sur
la situation objective de notre société,
qui est incapable de trouver — et pour
cause ! — des formes pour sa jeunesse.
Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui notre
société, basée sur ce que nous savons
(profits, etc.) ne peut utiliser, d'une ma-
nière marchande, la jeunesse. Et c'est
tout.
Votre attaque porte, en particulier,
sur les professeurs, qui wnt été les
premiers à dénoncer les structures
un iversitaires...
On ne conteste pas les professeurs. On
conteste leur place à l'Université : celle
d'un pion dans une institution. Et c'est
en ça que nous nous opposons à eux. Il
y a des attaques contre des professeurs
et même contre le contenu des cours de
certains professeurs, contre l'attitude poli-
tique de certains professeurs. Ça me
paraît tout à fait normal.
Vous considérez le système univer-
sitaire comme complice objectif de
la bourgeoisie. Et c'est pourquoi
vous le remettez en cause. Mails il
s'agit donc d'une contestation de la
civilisation occidentale ?
Si vous voulez... Mais j'aime mieux qu'on
emploie un autre mot. C'est au nom de
la civilisation que le « Mouvement Occi-
dent •» veut tout changer. C'est au nom
de la civilisation que De Gaulle agit ;
c'est au nom de la civilisation que Mitte-
rand agit ; c'est au nom de la civilisation
que le Parti Communiste agit.
Maïs eux, ce sont les défenseurs.
Vous, vous attaquez...
Je pourrais répondre que j'attaque juste-
ment au nom du savoir scientifique qu'on
a et qu'on n'exploite pas ! Pour moi,
notre société effectivement n'utilise pas
ses moyens scientifiques et, techniques
pour la libération de l'homme.
Qu'évoqué pour vous le mot socia-
lisme ?
Qu'est-ce que je pense de ce qu'on ap-
pelle le socialisme ? Je me bats pour
réaliser le socialisme. C'est la seule ma-
nière à mes yeux de pouvoir vivre.
Donc, vous avez pris certains élé-
ments de définition du socialisme
dans Trotsky, dans Mao...
Dans Mao, effectivement. Par exemple,
Mao fait exploser le strict léninisme en
s'appuyant là où il n'y a pas de classe
ouvrière, sur la paysannerie. Les com-
munes de village sont pour nous des
formes d'organisation tout à fait souhai-
tables.
21
On parle beaucoup de l'influence
sur votre mouvement du philosophe
américain Marcuse.
On a parlé beaucoup de l'influence de
Marcuse sur le S.D.S., en Allemagne. Et
nous avons des contacts avec le S.D.S.
Mais dans le mouvement, il n'y a pas
dix personnes qui aient lu Marcuse, sinon
peut-être Eros et civilisation. Marcuse
dans sa critique de la société capitaliste,
et dans son refus de la société dite socia-
liste, est pour nous un point d'appui.
Surtout par trois thèses. Il montre que
c'est la nature même de la société qui
est répressive et qu'il ne s'agit pas de
formes de répression extérieures comme
la police. Il montre l'unidimensionalité de
l'homme, c'est-à-dire, en fait, que notre
société forme exactement son type d'hom-
me. Troisièmement, il démontre que la
critique et la destruction sont un début
de la construction. Quand on critique
radicalement une chose, on construit.
Votre critique a porté sur un nom-
bre d'intellectuels et de professeurs.
Pourtant, ceux qui les première
vous ont frayé ce chemin, ce sont
des hommes comme Sartre et Camus
(à une certaine époque du moins),
Merleau-Ponty. Ces hommes font-ils
partie pour vous de cette univer-
salité bourgeoise ?
Prenons l'exemple de Camus ; il avait
lancé un journal, Combat, avec en sous-
titre « De la résistance à la révolution ».
Regardez ce qu'est devenu Combat au-
jourd'hui ! Pour vous dire que Camus a
influencé une certaine jeunesse ! Mais
aujourd'hui, les problèmes qu'il se posait,
l'absurdité du monde, ce n'est plus en
ces termes qu'une grande partie des étu-
diants qui agissent, se les posent ; Camus
reste un appui, on le lit, mais enfin, il
n'a plus la même signification. Ni Sartre
d'ailleurs. Ni qui que ce soit.
Vous prenez parti vigoureusement
pour le Vietnam et Sartre aussi...
Mais tout le monde peut prendre parti
pour le Vietnam. Laurent Schwartz a
pris parti pour le Vietnam. Il a pris parti
pour la sélection à l'entrée de l'Univer-
sité, après quoi, il s'est repris... C'est
pour une orientation sélective, etc. David
Roussel prend vigoureusement parti pour
le Vietnam ; et il prend vigoureusement
parti pour le gaullisme. Alors, vous com-
prenez, Sartre prend parti pour le Viet-
nam, c'est très bien. Seulement, cela ne
veut pas dire que Sartre a encore la
même influence sur le milieu étudiant.
Sartre, c'est l'après-guerre. Nous en som-
mes à un autre stade. Effectivement, la
jeunesse ici n'a plus vécu l'après-guerre,
ni la classe ouvrière d'ailleurs...
Toujours, sur le plan littéraire, il
semble que la contestation surréa-
liste des années 20 intéresse beau-
coup à Nanterre.
1 e mouvement étudiant n'est sûrement pas
22
une révolution, mais une révolte. Nous
sommes d'accord. Sur le surréalisme, sur-
tout sur Dada. Parce que le dadaïsme
était plus radical et il influence une partie
du mouvement. Mais personnellement je
suis très « politicard >>.
Parmi les anarchistes, quels sont
ceux qui vous ont le plus marqué ?
•Je me suis toujours défini anarchiste par
négation, par opposition au courant révo-
lutionnaire marxiste-léniniste. Si vous
voulez : les anarchistes m'ont influencé
plus par certains ouvrages que par leurs
théories. Par exemple, le livre de Voline
sur La révolution russe, celui de Makhno
sur l'Ukraine, des récits allemands de
1917, etc. Et effectivement quelques pen-
seurs, comme Pelloutier, fondateur de la
C.G.T. Mais, en fait, il n'y a pas un
penseur anarchiste que je vais vous citer ;
°n se fiche des théoriciens. Il n'y a pas
d Anarchistes, il y a des gens qui agissent
en^ anarchistes. II faut qu'il y ait une
théorie qui permette une certaine action.
Mais on ne la pense pas avec les pen-
seurs d'il y a 2 000 ans. Effectivement,
°n s'appuie sur Marx et sur Bakounine,
sur Marcuse aujourd'hui, ou Kolakovski.
Mais c'est une erreur fondamentale de
rechercher à propos du mouvement étu-
diant en France quel penseur inspire notre
action,
* ourtant, n'avez-vous pas des pen-
seurs dont les théories influent, sur
votre mouvement ?
Mais non, pas de penseur, même au plu-
riel. Tous les penseurs comptent pour
nous. Je pourrais vous nommer Aristote
aussi. Pourquoi pas ? Sûrement. Et quand
°n s'oppose à l'éducation, on peut se
référer aussi à Rousseau, qui l'a déjà dit !
Alors, Rousseau est un penseur qui nous
influence.
La pensée de Cuevara joue pour-
tant un rôle très important à Nan-
terre, non ?
La encore, que dire du Che ? Il a com-
battu, il a été en Amérique du Sud. Rien
a dire. Je peux être d'accord plus ou
moins avec ce qui se passe à Cuba, Mais
ce n'est pas l'important. Ce qui est inté-
ressant, c'est ceci ; comment Cuba peut-il
être isolé aujourd'hui pratiquement entre
l'U.R.S.S. et les Américains ? C'est ça
lui m'intéresse. Accessoirement, on peut
discuter sur les décisions de Fidel, du
Che, etc., à certaines périodes, mais ce
sont des discussions de bistrot. Si on fait
une analyse scientifique de la situation,
il faut d'abord expliquer pourquoi l'isole-
ment de Cuba, pourquoi, en fait, le Viet-
nam est également isolé, vu la double
opposition Chine-U.S.A. et Chine-U.R.
S.S., etc. Voilà les faits. Pourquoi le
mouvement ouvrier, en Europe, est-il
mcapable de briser l'impérialisme améri-
cain et de laisser aux Vietnamiens le soin
de se battre tout seul ? Ce sont là les
problèmes fondamentaux à poser.
De Madrid à Berlin, de Varsovie à
Rome, de Paris à Londres, tous le»
étudiants remettent en cause le
système socio-économique et cultu-
rel de leur pays. Quelles relations
avez-vous avec tous ces mouvements
européens ? Et en quoi y a-t-il con-
vergence entre eux et vous ?
Entre les mouvements en Allemagne et
en France qui luttent contre l'Etat bour-
geois et capitaliste, il y a des relations
très importantes. Nous avons fait une
manifestation de solidarité pour le S.D.S.
parce que, effectivement, son combat re-
joint le nôtre. Et ils ont fait eux aussi une
manifestation de solidarité avec nous.
Bref, nous sommes en liaison étroite avec
eux, et, pour nous, dans cette lutte, il
faut qu'il y ait un internationalisme
qu'aucun parti communiste, quel qu'il
soit, n'a vraiment obtenu. Et pour nous
le combat — pas seulement celui des
étudiants, les autres aussi —- doit être
à l'échelle européenne, A Varsovie, où
il y a un renouveau évident du stalinisme,
c'est la même chose.
Et à Prague ?
A Prague, il y a libéralisation parce que
l'économie tchécoslovaque était complè-
tement morte. Donc la libéralisation a
lieu parce qu'il y a une renaissance du
fond « capitaliste ». Ce n'est peut-être pas
exactement une libéralisation bourgeoise,
mais l'église renaît, etc. Ce n'est pas
l'intéressant. Mais dans le milieu étu-
diant, et même chez les ouvriers tchè-
ques se développe une contestation de
gauche du régime qui, justement, veut
l'instauration des conseils ouvriers. C'est
ça l'important.
On dit que la classe ouvrière ne se
sent pas concernée par votre action,
notamment à Paris. Pourquoi ?
C'est une fausse question. Ce n'est pas
parce que les étudiants descendent dans
la rue que tous les ouvriers vont dire :
bravo, ils ont raison de combattre. Nous
sommes dans une situation de crise exa-
cerbée du capitalisme. Alors, nous
n'avons pas besoin de nous rencontrer.
Les ouvriers eux aussi descendront dans
la rue, comme ils font des grèves sau-
vages en Angleterre. C'est ça le pro-
blème. Ce n'est pas à court terme, parce
que l'Humanité ne déclare pas : nous
sommes solidaires avec les Gauchistes...
Que le problème se pose si les ouvriers
rencontrent une situation objective qui
les fait bouger eux aussi, il y aura liai-
son (1) ; comme en Italie où les étudiants
italiens sont allés faire des piquets de
grève devant la Fiat, Alors les ouvriers
ont compris de quel côté étaient les étu-
diants,
Si nous prenons l'exemple de la
situation du mouvement étudiant à
Madrid, on voit que la différence
— et les risques —• sont bien plu»
importants que chez vous...
Mais personne ne dit que c'est partout
la même chose ! Je n'ai jamais prétendu
que nous vivons, à Paris, dans une pé-
riode post-stalinienne ou fasciste. Donc,
ce n'est pas la même chose qu'à Varsovie
ou à Madrid. Mais le fait est que tous
les étudiants se révoltent contre une
forme répressive de l'Etat. Que ce soit
en Espagne le fascisme, vu la tradition
de Franco, c'est évident,
Votre contestation de l'Université et
de la culture évoque la révolte de
Nizan dans Âden-Arabie, Est-ce sim-
ple rencontre ? Ou, au contraire,
avez-vous été influencé par cette
œuvre ?
Effectivement, on recherche à priori par-
tout sur quelle littérature s'appuyer. Notre
texte Pourquoi les sociologues où les
sociologues sont analysés comme des
chiens de garde, a un rapport avec le
texte de Nizan qui dénonçait les philo-
sophes eux aussi comme des chiens de
garde de la société. Mais nous, nous ne
partirons pas à Aden, Arabie... Car pour
nous la lutte est à mener contre l'exploi-
tation et la misère — c'est un grand mot
— en France. Car il y a exploitation en
France. Bien sûr, la misère et l'exploi-
tation, en Inde, sont pires qu'ici. C'est
vrai. Seulement pour aider l'Inde, il fau-
drait peut-être d'abord transformer les
pays occidentaux, et non pas d'abord
l'Inde,
Pensez-vous parvenir à édifier une
théorie révolutionnaire adaptée à
l'époque actuelle ?
Notre bulletin de Nanterre, qui est sorti
il y a deux semaines, expose très bien
l'existence d'un retard entre la théorie et
la pratique. Nous avons développé des
actions, mais nous n'avons pas avancé
l'élaboration théorique. C'est nécessaire
dans la situation actuellement du mouve-
ment d'extrême-gauche en France. Mais
il est évident que si cela reste comme
ça, ce sera l'écroulement du mouvement
de Nanterre. Il reprendra peut-être ail-
leurs avec d'autres gens. Ce n'est pas
grave. Simplement, ce sera la preuve que
nous sommes incapables de développer
cette théorie ; et il ne faudra pas en
pleurer. Mars nous, nous essayons, effec-
tivement de développer une théorie...
Au début de cet entretien, vous
avez cité en exemple le cas de
Kronstadt. Ce ne fut pas une très
grande réussite ! Ne craignez-vous
pas de courir à un échec — moins
sanglant, certes ?
Il y a eu l'écrasement de la commune
de Kronstadt par l'armée rouge ! Notre
mouvement sera écrasé ; ça ne nous fait
pas peur. On recommencera ailleurs. Au-
trement. Cela voudra dire qu'on a fait
des erreurs... Mais ça, ça ne se voit que
dans une action, dans une pratique réelle.
Propos recueillis par Pierre HAHN.
(I) Cette phrase a été prononcée quinze jours
avant les récentes occupations d'usines.
23
1A PAROLE
NI PROFESSEUR
rEST LA PAROLE
NI PERE"
La contestation que nous faisons est
avant tout une contestation politique de
Ja culture qui nous est imposée. C'est ça
l'essentiel. Car nous estimons qu'il n'est
pas du tout évident que la parole du pro-
fesseur ne puisse pas être mise en cause.
Savez-vous comment se passe l'élaboration
des cours magistraux pour un certain
nombre de professeurs ? Soit c'est le bou-
quin qu'ils ont terminé l'année dernière,
soit c'est le bouquin qu'ils préparent pour
la fin de l'année, soit c'est la thèse. Il est
bien évident que le professeur refuse
d'assumer un travail. Leurs cours, c'est
uniquement un moyen pour eux de pour-
suivre un certain nombre d'entreprises
intellectuelles. Par exemple un professeur,
qui préparait une thèse à la Sorbonne,
changeait tous les quatre ans de sujet.
Alors, pendant quatre ans, Balzac de
trente-deux à trente-quatre, ensuite, Bal-
zac de trente-quatre à trente-six et ainsi
de suite. C'est presque un numéro de
téléphone ! Chose plus drôle encore : un
autre professeur faisait un cours sur un
gentilhomme dauphinois, auteur des
Centuries, gros roman absolument
inintéressant de la fin du Moyen Age.
Cela pendant quatre ans. Et par la suite,
il abordait un autre auteur régional...
Nous disons, nous, qu'il est aberrant
qu'on ne puisse pas avoir le moindre con-
trôle sur l'élaboration des programmes et
sur la culture qu'on leur donne.
Pour les professeurs magistraux, qui n'ont
jamais eu l'habitude d'avoir une contes-
tation et une critique, c'est une attitude
de lèse-majesté ; mais les assistants qui
ont l'habitude de discuter avec nous,
d'être mis en cause dans les travaux pra-
tiques, n'ont pas du tout la même réac-
tion. Ils sont, au contraire, très favorables
à l'élaboration d'une critique permanente
de la culture au sein de l'université. A
l'heure actuelle on a vu des assistants,
à Nanterre. dénoncer le caractère de
classe de l'Université dans un texte très
radical et se heurter aux professeurs qui,
bien sûr, n'ont pas du tout les mêmes
raisons morales, si l'on veut...
Notre contestation de la culture n'est pas
superficielle. On sait très bien qu'on ne
peut créer une culture révolutionnaire
ïe propose et même impose une culture. Elle
m°ins d'°M""*. " Vétudiant pré-
S°" ?°blème aUtant ^ Celui des
de 1 O|W demandé à Olivier Castro, l'un
radicale etudiants d'expliquer cette contestation
avant qu une révolution ait pris ]e
vo,r. On sait très bien aussi Pque,
dans la culture bourgeoise, on ne
pas s en sort.r complètement. Ce que
pouvons essayer d'élaborer pour l'insn
cest une critique de la culture, qui envi
sage une culture non-bourgeoise et qu
Le problème de la parole du nrofes«>,,r
c'est Je problème général de T parole
du père ; c'est le problème de qid a '
droit de parler dans une société. Pourquoi
y a-t-il dans une société une autorité qui
a le droit d énoncer les choses ?
La culture n'est pas un phénomène seule-
ment politique. Elle est liée, en fait à une
situation économique ; elle aide une classe
sociale, la bourgeoisie, à maintenir une
repression. Travail vient de « tripalium »
latin qui signifie : instrument de torture
Comment faire accepter l'oppression éco'
nomtque, si ce n'est en la justifiant par
une culture? Mais nous constatons que
cette culture a subi un échec énorme •
la seconde guerre mondiale. Les valeurs
bourgeoises ont été alors contredites par
les faits historiques eux-mêmes. Cepen-
dant la société contemporaine, à la suite
de la Seconde Guerre Mondiale, et de
l'extension économique qui en a suivi __
la modification de l'économie : le passage
à la technocratie — n'a pas remis en
cause la culture, qui est restée fondamen-
talement traditionnelle. Si bien que cette
culture est inadaptée à la situation éco-
nomique et politique dans les pays indus-
trialisés, technocratiques à l'heure actuelle.
D'autre part, elle se juge par ses résul-
tats : la Seconde Guerre Mondiale, la
« civilisation américaine », les sociétés de
consommation.
Pourquoi les enfants de la bourgeoisie
sont-ils révolutionnaires à l'heure actuel-
le ? Voilà une analyse qui n'a jamais été
faite. J'ai une réponse à faire, qui m'est
personnelle. Les enfants de la bourgeoisie,
qu'ont-ils connu ? L'abondance matérielle,
et la tristesse de cette abondance. Ils se
sont donc rendu compte... Leurs condi-
tions matérielles, le fait qu'ils ne soient
pas bloqués par une revendication syndi-
cale, pour avoir à faire une critique de
la société, le fait qu'ils n'ont pas à se
poser des problèmes de mode de vie —
puisque celui-ci leur est assuré — leur
permet de porter la critique à un niveau
beaucoup plus élevé que ceux qui par
leur mode de vie eux-mêmes sont arrêtés
par ces problèmes matériels. Ils peuvent
donc aller au-delà de leurs revendications
strictement matérielles vers une reven-
dication existentielle.
Or, on sait que la révolution n'a pas
seulement changé des rapports économi-
ques ; voyez l'U.R.S.S. Ce n'est pas seu-
lement en foutant en l'air les rapports
capitalistes de production que ça change
quoi que ce soit. C'est le moyen inévita-
ble, mais non pas suffisant... On s'aper-
çoit que la société soviétique n'a pas
accompli une véritable mutation par rap-
port aux sociétés bourgeoises. L'homme
communiste soviétique n'est pas, en fait,
fondamentalement différent. Le projet de
l'homme total, qui était au départ le
projet marxiste, n'a pas été réalisé. Il a
été plus ou moins tenté, plus qu'en Union
Soviétique en Chine Populaire ; il a été
tenté à Cuba. Mais l'expérience a échoué,
au point de vue de la civilisation. C'est
donc que la Révolution doit être plus
large qu'économique. 11 faut faire une
révolution de la culture. Une révolution
de la sexualité.
Nous ne voulons pas seulement « trans-
former le monde », mais aussi « changer
la vie ».
Propos recueillis par Pierre HAHN.
IA REVOLTE
EN POLOGNE
par Lucienne Rey
L'Europe de t'Est est en révolution. Les intellectuels
sont en tête de cette révolution, et réclament libéra-
lisation, démocratie. En Pologne, les choses se passent
moins bien qu'en Tchécoslovaquie. Est-ce la fin du
communisme, la renaissance d'une idéologie libérale ?
A. Paris, à Londres, à Rome et à Madrid
comme à Varsovie, les jeunes universi-
taires s'opposent aux forces de police ?
Sans doute, les raisons des bagarres
varient-elles selon les capitales : là, elles
sont d'origine sociale, ailleurs d'ordre
Politique.
A Varsovie, la révolte des jeunes a ses
racines dans le régime lui-même. Elle
traduit une certaine conception que les
révoltés se font à la fois de la vie et de
'eur devenir. Loin d'être un convention-
nel « conflit des générations », elle rejoint
{es aspirations, l'action des aînés les plus
''lustres de la Pologne d'aujourd'hui.
Les événements qui ont mis en émoi les
universitaires de Pologne durant le mois
de mars resteront désonnais liés à un
«es chefs-d'œuvre de la littérature de ce
Pays. Le poème d'Adam Mickiewicz Les
Aïeux (Dziady), publié en 1832, fait
depuis longtemps vibrer le cœur des Polo-
nais ( 1 ). Seul un grand poète romantique
put chanter ainsi l'amour de la patrie,
tes souffrances des patriotes insurgés
contre l'oppression, emprisonnés, tortu-
rés, déportés dans la Russie du tsar, les
évoquer dans un verbe envoûtant dont
'a beauté a résisté à l'épreuve du temps,
Les Aïeux ou la fête des morts, dont
l'action se passe en 1823-24 et qui a
Pour thème la lutte des jeunes Polonais
contre le régime tsarîste, n'exprime pas
seulement une nostalgie de l'indépen-
dance nationale, moins encore un natio-
nalisme étroit. Ecrite au moment où les
idées libérales se répandaient en Europe,
Propagées par les grands poètes de l'épo-
que — tel Byron dont Mickîewicz avait
Sûbi l'influence — elle traduit la con-
ception de la liberté à la fois individuelle
et collective. A ces idées, à cette con-
ception, la jeunesse réagit, en 1968, de
la même façon qu'il y a plus d'un siècle.
Dans un contexte politique donné, il est
vrai, certaines paroles peuvent prendre
du relief. Ainsi la réplique d'un des pro-
tagonistes, le Prisonnier ;
— Oui, on doit me libérer ! J'ignore d'où
vient la nouvelle. Mais je connais la
liberté par la grâce du Moscoutaire. Les
fourbes m'enlèveront les chaînes des
mains et des pieds pour les remettre à
l'âme : je serai exilé !
De tels passages, joués par de grands
artistes sur la première scène de Pologne
ont galvanisé les spectateurs. Ils ont
applaudi, dès la première représentation,
le 25 novembre 1967. Donnés depuis
devant une salle comble, la pièce n'a
cessé d'être acclamée chaque soir. Trop
chaleureusement au gré du gouverne-
ment, empressé à y voir des manifes-
tations de sentiments anti-soviétiques.
M. Dejmek, metteur en scène célèbre,
subit aussitôt différentes pressions. D'em-
blée, il refuse d'enlever de l'affiche Les
Aïeux: il n'a pas de pièce de remplace-
ment. Toutefois il doit limiter les repré-
sentations, à une par semaine. Finale-
ment, la dernière représentation — la
treizième ! — a lieu gratuitement le 30
janvier. Elle réunit plus de spectateurs
que la salle ne peut en contenir : repré-
sentants les plus connus du inonde théâ-
tral et littéraire, beaucoup de jeunes, des
étudiants.
Le spectacle, sans cesse interrompu par
des applaudissements, se termine dans
l'enthousiasme. On acclame M. Dejmek
et ses collaborateurs. Dejmek ne vient
pas sur la. scène où les artistes se tien-,
nent figés, silencieux, graves. Les étu-
diants forment un cortège, déplient une
banderolle : Nous réclamons la conti-
nuation des représentations des t. Aïeux »,
qu'ils déposent au pied du monument
Mickiewicz. Ils avancent dans les rues,
scandent : Liberté de l'Art ! Liberté du
théâtre ! Pas de censure à Mickiewicz !
Ils se dirigent dans la rue Mysia où se
trouve le siège de la censure (« Office
central de contrôle de la presse, des
publications et des spectacles »). Aussitôt,
la police entre en action, arrête cin-
quante personnes, dont cinq seront en-
suite traduites en justice.
Dès lors, Varsovie vit dans une effer-
vescence contenue. Des organisations les
plus représentatives des gens de lettres
font part au ministre de la Culture et
des Arts de l'émotion suscitée par le
retrait des Aïeux du répertoire du Théâ-
tre National. En vain. L'intervention de
J. Iwaszkiewicz, président de l'Association
des Ecrivains Polonais (7 février), celle
du Pen Club polonais (9 février), enfin
celle, faite conjointement par le comité
directeur de l'Association et des représen-
tants de la section de Varsovie (10 fé-
vrier) demeurent inopérantes. Ce sont les
écrivains de la capitale qui rompent le
silence. Ils- convoquent, pour le 29 fé-
vrier, une assemblée générale de leur
section où ils s'élèvent contre l'interdic-
tion de représenter la pièce de Mickie-
wicz. A une très forte majorité —• pour
la première fois au vote secret — ils
adoptent une déclaration où ils disent
en substance :
« 1 " C'est depuis longtemps que se mul-
tiplient et s'accentuent les ingérences des
autorités de tutelle sur l'activité culturelle
et artistique; ingérences qui concernent
non seulement le contenu des ouvrages
littéraires, mais aussi leur diffusion et
leur réception par l'opinion publique.
« 2" Le système de censure et de direc-
tion de l'activité culturelle et artistique
est arbitraire et confus; il ne précise pas
les compétences des différentes autorités,
ni le mode d'un appel de leurs décisions.
25
« 3" Cet état des choses constitue une
menace pour la culture nationale, freine
son développement, lui enlève son carac-
tère d'authenticité et aboutit progressive-
ment à la stériliser.
« L'interdiction qui a touché Les Aïeux
en est un exemple particulièrement fla-
grant,
« 4° Les remarques des écrivains, pré-
sentés dans des résolutions et des mé-
moires par les instances de l'Association
des Ecrivains Polonais ainsi que par des
représentants qualifiés du milieu littéraire
n'ont pas été jusqu'ici prises en consi-
dération, »
Revendication clés étudiants
La manifestation pacifique devant le
monument Mickiewicz eut des prolon-
gements. Plusieurs étudiants furent, par
une mesure disciplinaire, exclus des facul-
tés. Dès le 3 mars, une pétition est
adressée au recteur de l'Université de
Varsovie, pour qu'il « veuille bien annu-
ler la mesure disciplinaire prise contre les
jeunes gens qui — en enfreignant peut-
être le règlement intérieur — se sont
montrés fidèles à la culture nationale et
universelle ». Parmi les signataires se
trouvaient les écrivains et poètes les plus
connus, entre autres : J. Andrzejewski,
M, Jastrun, P. Jasienica, A. Sionimski,
A, Wazyk, La lettre n'a eu aucun effet
auprès du recteur.
Le mouvement de protestation contre
l'interdiction des Aïeux, déclenché le
8 mars par les étudiants de l'Université
de Varsovie, aussitôt suivis par ceux de
Polytechnicus, s'est étendu aux facultés
de Cracovie, de Lublin, de Wroclaw et
de Poznan. Il a continué pendant tout le
mois de mars dans la capitale, où il a
été le plus intense.
Que réclamaient les étudiants ?
Les principaux mots d'ordre lancés lors
des réunions et dans les rues, le long
des cortèges ont été : Vive la démocratie !
Vive la liberté ! Liberté d'expression !
Nous ne voulons pas d'enseignement sans
la liberté ! Nous ne voulons pas de pain
sans la liberté ! Les Varsoviens avec
nous ! Vive la Tchécoslovaquie !
On connaît la suite : irruption brutale
dans l'enceinte de l'université de la milice
et du trop fameux ORMC (« Réserve de
volontaires ouvriers de la milice »), em-
ploi de gaz lacrymogènes et de matraques.
De nombreux étudiants et étudiantes
furent grièvement blessés, plus d'un mil-
lier furent arrêtés.
L'ampleur des protestations surprît le
parti et le gouvernement, au point que
la presse polonaise n'en fit pas mention
pendant plusieurs jours. C'est en effet
pour la première fois qu'un mouvement
aussi vaste surgit du milieu des jeunes
universitaires, nés en démocratie popu-
laire, élevés sous le régime socialiste,
formés dans le dédain des libertés * bour-
geoises »,
Le mouvement des intellectuels, aujour-
d'hui, ne fait que prolonger une tradition
établie dès avant l'arrivée au pouvoir de
Gomulka, en 1956. C'est dans le domaine
26
littéraire que le renouveau, apparu bien
avant les déclarations des politiciens de
1956, avait été le plus spectaculaire. II
se manifestait dans des poèmes, puis
dans des romans, récits, nouvelles, qui
à Ja fois rompaient avec les règles éta-
blies du « réalisme socialiste » et débou-
lonnaient les vérités immuables de la
« période stalinienne » dont ils dévoi-
laient les méfaits. Les lettres polonaises
se développèrent, autant grâce à l'apport
de nombreux écrivains, jusqu'alors réduits
au silence, que par une large ouverture
vers la production artistique de l'Occi-
dent.
De ces acquis, certains perdirent, d'autres
ont été progressivement rognés par les
gouvernants.
Peu à peu, le parti a mis en œuvre les
Tioyens dont il dispose pour réduire à
l'obéissance les travailleurs de la plume.
La pression a été d'autant plus facile
que l'Etat détient pratiquement le mono-
pole de l'édition, alloue les crédits néces-
saires, attribue le papier, donc en fait,
décide du tirage de chaque livre.
J'-r:y .(m/, -, „.„,,;,,
el Ditimanl,
nouvelle « politique culturelle » mé
usée deux ans à peine après * FQcto-
rinîrmaitï * „„__ r • / wciu-
La nouvelle
co rusée
i_ i " |-"w**n* atjicN « i i Jctn-
bre polonais» renforçait la tutelle sur
le domaine littéraire et artistique Elle
provoqua des sursauts et mêrnl l'oppo
sinon des écrivains, ainsi qu'en témoi-
gnent les congrès annuels de leur ain
dation Certains débats, notamment à
part.r de 1958 ont été si véhéments qu'il
fut interdit a la presse d'en parler Et le
courant libéral, celui de l'opposition dut
taire des concessions. Non sans heurts
cependant, traduits par le changement à
la direction de l'Association des Ecri-
vains polonais : dès 1959, Antoni Sio-
nimski se démit de sa fonction de pré-
sident, remplacé à ce poste par J. Iwasz-
kiewicz.
Depuis, _les difficultés auxquelles se heurte
la création littéraire n'ont cessé de s'ac-
croître ; le tirage insuffisant de livres, la
répartition parcimonieuse du papier, con-
ventions d'édition au désavantage des
auteurs, s'y ajoutent € la prudence et les
craintes de l'éditeur et de ses correc-
teurs », puis la censure préventive pro-
prement dite. (L'activité de celle-ci appa-
raît dans une petite lettre et des chiffres,
indiqués très discrètement sur chaque
ouvrage imprimé.) Une fois ces écueils
surmontés, les livres peuvent rencontrer
le silence des critiques littéraires, lorsque
les auteurs n'appartiennent pas à l'un des
courants « bien vus ». De tels auteurs
attendent parfois de longs mois avant
que 1' « Office de contrôle de la presse,
des livres et des spectacles » — la cen-
sure centralisée à Varsovie — ne leur
délivre le visa nécessaire; visa qui con-
cerne uniquement l'impression du livre ;
la diffusion peut en être arrêtée ou retar-
dée, quelquefois au gré d'un chef de
département.
Certes, ces mesures n'affectent pas au
même titre tous les hommes de lettres.
Elles jouent différemment selon chaque
cas. Tel auteur, reconnu illustre par le
parti dont il est forcément membre, ren-
contre bien moins de difficultés qu'un
confrère non consacré à ce double titre.
Tel poète, bien vu des milieux dirigeants,
bénéficie d'un tirage plus élevé qu'un
autre dont les recueils sont pourtant
vendus très rapidement.
Certains écrivains ont pu résister à ces
conditions et ont choisi l'exil. C'est le
cas du poète Alexandre Wat, un des
créateurs de l'avant-garde futuriste polo-
naise, des brillants jeunes romanciers
Marc Hlasko et Léopold Tyrmand, pour
ne citer que les plus connus.
Protestations des intellectuels
Qui serait, dès lors, surpris que ces
conditions aient provoqué des protesta-
tions ?
La première fut la Lettre des trente-
quatre qui défraya en son temps la chro-
nique, en Pologne et à l'étranger. Adres-
sée au Premier ministre Joseph Cyran-
kiewicz, en mars 1964, elle attirait
l'attention des pouvoirs publics sur « une
situation qui met en péril le développe-
ment de la culture nationale » du fait de
* la limitation du contingent du papier
attribué à l'impression de livres et de
périodiques et du renforcement de la
censure de presse ».
Les trente-quatre signataires, « considé-
rant l'existence d'une opinion publique,
du droit à la critique, de la libre discus-
sion et d'une information honnête comme
élément indispensable du progrès », de-
mandaient « le changement de la poli-
tique culturelle polonaise dans l'esprit des
droits garantis par la Constitution de
l'Etat polonais et conforme à l'intérêt de
la nation ».
Parmi les signataires les plus connus se
trouvaient : J. Andrzejewski, Maria Da-
browska (candidate au prix Nobel, décé-
dée depuis), P. Jasienica, S. Kisielewski,
J. Parandowski, A. Rudnicki, A. Sio-
nimski, A. Wazyk.
L'affaire suscita des remous considérables.
Les défenseurs des libertés essentielles de
la culture encoururent la disgrâce des
autorités et ses conséquences : perte d'em-
ploi pour quelques-uns, cessation de col-
laboration à la radio, à la télévision ou
même dans des périodiques, pour d'autres.
Précisons à ce propos que le Petit Code
pénal, en vigueur depuis 1945, toujours
a titre « provisoire », facilite l'arbitraire
de la police. 11 n'est point exceptionnel
qu'elle procède, au domicile des intellec-
tuels, à des confiscations autoritaires et
illégales de manuscrits et de textes per-
sonnels. Les hommes qui refusent de se
soumettre au conformisme imposé de
'a pensée politique sont sévèrement con-
damnés par les tribunaux.
'1 n'y a pas longtemps, une jeune univer-
sitaire, Nina Karsow, fut incarcérée,
malade, dans un pé.nitentier, pour délit
d opinion. La lettre émouvante que sa
mère adoptive a adressée aux autorités
circule en Pologne et à l'étranger. Deux
jeunes intellectuels, militants communistes,
J- Kuron et K. Modzelewski, furent
condamnés, en 1964, respectivement à
trois et trois ans et demi de prison : ils
avaient osé affirmer que la bureaucratie
du parti, alliée dès 1956 à la technocra-
tie, était responsable de la pauvreté des
ouvriers et des paysans, et réclamaient la
Pluralité des partis. J. Kuron, relâché il
y a peu de temps, de nouveau écroué lors
des manifestations de Varsovie fut, étant
déjà prisonnier, attaqué publiquement par
M. Gomulka.
Répression de la révolte
C'est d'une telle ambiance politique que
surgit la révolte des étudiants polonais,
suite logique des actions de leurs aînés.
Même s'ils avaient pesé les conséquences
qu'ils auraient à subir, ces jeunes gens
ne pouvaient pas prévoir ce qu'en serait
le rebondissement.
Dès que les responsables du parti et la
Presse se saisirent de l'affaire (à partir
du 11 mars), ils ont mis en œuvre une
méthode éprouvée depuis longtemps, qui
consiste à dresser les unes contre les
autres différentes catégories socio-profes-
sionnelles, les diatribes contre les « hou-
«gans », la « jeunesse dorée », les « sio-
nistes », parues dans la Trybuna Ludu
I (Tribune du Peuple, quotidien du parti
» ouvrier polonais unifié) visaient à semer
la confusion et la discorde parmi les
jeunes. Dans les entreprises industrielles,
les activistes du parti reçurent la consigne
de manifester : tous les jours parvenaient
au parti des « motions ouvrières » tein-
tées de mépris pour le monde universi-
taire, pendant que dans les rues défilaient
des pancartes aux inscriptions plus ou
moins injurieuses pour les étudiants. Il
jmportait d'opposer les ouvriers aux
intellectuels. Dans le même temps, une
Partie des journalistes réunis à leur con-
gres essayait de se dresser contre les
écrivains, ces « fauteurs de troubles ».
Lfis pouvoirs publics eurent recours à
différentes mesures de répression; d'abord,
les mesures classiques : 2 730 personnes,
Pour la plupart de jeunes gens, sont
arrêtées dont quelques centaines, incar-
cérées jusqu'à ce jour, seront traduites
en justice; ensuite des sanctions admi-
nistratives : 1 300 étudiants suspendus,
obligés de demander leur réadmission à
l'université; un millier d'autres appelés
sans délai et de façon anticipée sous les
drapeaux. Enfin, rétablissant la notion de
responsabilité familiale, autrement dit de
responsabilité collective, on sévit contre
les parents des étudiants qui prirent part
aux manifestations. Ainsi sont d'emblée
destitués de leurs postes : un ancien
leader politique R. Zambrowskî, de hauts
fonctionnaires comme J. Grudzinski, J.
Gorecki, F. Topolski. La liste est bien
plus longue.
Parallèlement, des sanctions sévères
s'abattent sur des universitaires et des
écrivains. Il s'agit de « viser haut ». Aussi
sont révoqués en premier lieu des pro-
fesseurs de l'université de Varsovie : les
philosophes connus, L. Kolakowski, B.
Baczko, Maria Hirszowicz, le sociologue
Z. Bauman, auquel on fait grief, entre
autres, d'avoir « subi l'influence du struc-
turalisme de Claude Lévi-Strauss », l'éco-
nomiste W. Brus, S. Zolkiewski, profes-
seur de littérature, ancien ministre de
l'Enseignement Supérieur et membre du
comité central du parti. Un autre membre
de ce comité, Adam SchafF, professeur
de philosophie, attaqué en raison de son
livre Le marxisme et l'individu (paru en
1965), donne sa démission du poste de
directeur de l'Institut de sociologie auprès
de l'Académie des Sciences. Etendues
bientôt aux facultés de province, les
destitutions touchent dans l'ensemble une
cinquantaine de professeurs et chargés
de cours, dont certains sont également
exclus du parti; dans ce nombre se trou-
vent trois recteurs, dont J. Toeplitz qui
avec autorité et compétence a dirigé pen-
dant plusieurs années l'Ecole supérieure
du Film et du Théâtre. (En même temps
d'ailleurs trois cinéastes, les meilleurs,
sont limogés.)
Le discours, très attendu, que M. Go-
mulka consacra, le 19 mars, à la révolte
des étudiants en dit longXsur la réalité
polonaise d'aujourd'hui. Cel^ains passa-
ges, péniblement appuyés, font penser à
des harangues de fieffés réactionnaires.
Les mots « sioniste », « d'origine juive >,
accolés aux noms de savants, de grands
écrivains comme Antoni Slonimski, don-
nent le vertige. Ce qui frappe surtout
dans ce discours, c'est le ton hargneux
à l'égard des intellectuels, objets d'atta-
ques de mauvais aloi, celle en particulier,
au relent de dénonciation policière, diri-
gée contre le courageux Paul Jasîenica.
D'ores et déjà, l'ambiance est créée poui
engager une action d'envergure contre
les écrivains. En particulier contre ceux
de Varsovie qui, lors de leur réunion du
29 février, adoptèrent — à la majorité
des voix — la déclaration contre la
censure.
Le comité directeur de l'Association,
réuni d'urgence le 9 avril, n'a pu discuter
ni examiner l'affaire : la motion de la
cellule communiste — cellule d'écrivains
de Varsovie, membres du parti — deman-
dait que la commission de conflits de
l'Association exclût trois écrivains. Ainsi
les instances responsables de l'Association
sont acculées à plier, sans pouvoir pren-
dre la défense des confrères aussi émi-
nents que Stefan Kisielewski, essayiste et
publicisîe, membre du groupe catholique
« Znak », J. Grzedzinski, journaliste
connu depuis avant la guerre, Paul Jasie-
nica, auteur de nombreux ouvrages de
vulgarisation historique et, pendant plu-
sieurs années, président du célèbre club
de discussion « La Roue Tordue ».
En fait, le parti est pressé. C'est pourquoi
Georges Putrament, ex-ambassadeur de
Pologne à Paris, est chargé d" « épura-
tions » à la section varsovienne de l'Asso-
ciation. Et il brandit des menaces contre
ceux qui seront récalcitrants.
Déjà au cours des récents débats à la
Diète, les trois écrivains visés ainsi que
d'autres — notamment A. Slonimski et
J. Andrzejewski, auteur de Cendres et
Diamant, ont été la cible de reproches
très perfides de la part de plusieurs
députés. On s'y est aussi acharné contre
le jeune poète J. Szpotanski, en prison
depuis plusieurs mois et récemment con-
damné à trois ans de détention pour une
satire politique qui. d'ailleurs, n'a pas
été publiée.
C'est également de cette tribune parle-
mentaire que tombaient, souvent répétées
à l'adresse d'écrivains, différentes épi-
thètes comme : « cosmopolite », « sio-
niste », « réactionnaire », « meneurs ven-
dus et cosmopolites d'une vaste maffia »,
« révisionnistes sionistes », « traîtres »,
« fossoyeurs de la Pologne populaire ».
Et nous réduisons la liste.
Si les mesures de coercition frappent les
hommes touchés, dès lors réduits au chô-
mage, dans leur existence matérielle, les
attaques dont ils sont l'objet dans la
presse, les réunions publiques et partout
ailleurs, visent à les entourer d'une hosti-
lité générale, à approfondir leur isole-
ment.
(1) Les aïeux ou ta fête rfc.v morts, III*1 partie,
poème d'Adam M'irkiewecz, traduit en français
par Burgaud des Marets, Paris, Ï83Î. '
2?
EXPOSITION
ACTUALITES
Gisèle Freund
photographie les écrivains
C'est au musée d'Art moderne que Gisèle
Freund expose une partie de sa collection
de portraits d'écrivains en couleur, qu'elle
a patiemment réunis depuis 1938.
« à passer de la théorie à la pratique ».
Quelques années plus tard, en 1938, elle
photographie un feu rouge, puis la devan-
ture d'un coiffeur en utilisant une pelli-
cule couleur récemment commercialisée ;
les essais lui semblent concluants ; elle
entreprit d'exécuter avec la même pelli-
cule une série de portraits de Paul Valéry ;
satisfaite du résultat elle envisage de faire
une collection de portraits en couleurs
d'écrivains et soumet son projet à Adrienne
Monnier qui animait la Maison des Amis
du Livre, librairie qui servait de lieu de
réunion à un grand nombre d'écrivains ;
Valéry y parla pour la première fois, Gide
y lut des pages des Nourritures terrestres.
Trente ans d'art et de littérature en cent
cinquante portraits de Paul Valéry à
Michel Butor et de James Joyce à Jean-
Paul Sartre, en passant par André Mal-
raux, Montherlant, Jorge-Luis Borges,
Ionesco et T.S, Eliot. Peu d'écrivains ont
échappé à son objectif.
Rien ne destinait pourtant Gisèle Freund
à une carrière photographique. Fuyant
l'Allemagne nazie, elle s'installe à Paris en
1933 où, poursuivant ses études de socio-
logie, elle présente une thèse de doctorat
sur : La photographie en France au
XIK* siècle. Grœthuysen, professeur à la
Sorbonne, l'introduit dans les milieux lit-
téraires de la NRF, Elle fait la connais-
sance de Jean Paulhan, qui la pousse
Léon Paul Fargue des poèmes ; James
Joyce et T.S. Eliot, de passage à Paris,
s'y rendaient souvent. Adrienne Monnier
l'encouragea vivement et persuada un cer-
tain nombre d'écrivains de bien vouloir
poser devant l'objectif de la jeune photo-
graphe. C'est ainsi que Gisèle Freund
commença à rassembler les documents
que nous pouvons voir aujourd'hui au
Musée d'Art Moderne.
Certains écrivains, comme Montherlant
1 u i déclaraient : « Photographiez - moi
comme je suis exactement à ce moment,
je me fiche d'être laid, je veux être
laid », D'autres plus soucieux de leur
physique comme Léon-Paul Fargue, exi-
geaient d'être maquillés, ou se plaignaient
28
d'être défigurés. L'un d'eux, Roger Martin
du Gard, refusa absolument de se laisser
photographier ; sollicité par Adrienne
Monnier, il lui répondit par ce télé-
gramme : « Rien à faire remerciement
refus et regret Stop absolument inutile
madame photographe fasse voyage stop
décide emporter gueule dans tombe sans
laisser trace ».
En 1939, une séance de projection fut
organisée chez Adrienne Monnier. Un
grand nombre d'écrivains y assistaient.
Leur réaction fut unanime : tous trou-
vaient les portraits très réussis sauf les
leurs. Ce qui fît dire à Gisèle Freund :
* Expliquez-moi pourquoi les hommes de
lettres veulent toujours être photogra-
phiés comme les stars et les stars comme
des hommes de lettres ».
Parallèlement à son activité de portrai-
Gisèle
liste —
peu rémunératrice
Freund commença à faire des reportages
pour les revues américaines Life et Time
Magazine, Réfugiée en Argentine pendant
la guerre, elle se lie d'amitié avec Silvia
Occampo, directrice de la revue Sur, ce
lui lui permettra de photographier la
plupart des artistes sud-américains, Si-
queros, Borges, Neruda... C'est à cette
époque qu'elle fut l'assistante de Jacques
Rémy qui tournait un film, Le fruit
mordu, avec la compagnie Jouvet sur un
scénario entièrement en vers de Jules
Supervielle. Après la guerre, elle retour-
nera en Amérique pour le compte du
Musée de l'Homme, puis de l'agence
Magnum Photo qu'elle avait fondés avec
Cartier-Bresson et Robert Capa.
Elle abandonne le reportage en 1954
Pour se consacrer exclusivement aux por-
traits. C'est ainsi que Claude Simon,
Michel Butor et Alain Robbe-Grillet figu-
rent à son palmarès. « Un photographe
doit lire un visage comme la page d'un
livre, écrit-elle. Dans la hiérarchie des
artistes, il se rapproche du traducteur,
un bon traducteur doit savoir écrire lui-
même. » Gisèle Freund écrit bien.
Emmanuel de Roux.
sagée dans son contexte politique, histori-
que et économique. Cette collection aura
quatorze volumes.
Le premier ouvrage de la série est consa-
cré à la littérature française du xvif siè-
cle, la « deuxième génération » : Pascal,
Descartes, Molière. Comme chaque pé-
riode, celle-ci est traitée par un spécia-
liste. En l'occurrence, M. Antoine Adam,
professeur à la Sorbonne.
C'est une initiative intéressante ; le seul
reproche qu'on puisse lui faire est le
rythme un peu lent de parution des volu-
mes : un tous les trois mois.
Les Editions de l'Herne qui viennent de
s'installer 41, rue de Verneuil (7') annon-
cent pour la rentrée deux importants
cahiers, l'un consacré au poète italien
Ungaretti, l'autre à l'orientaliste Louis
Massignon.
L'Herne publiera également en octobre
dans sa collection Théorie et Stratégie
une étude de l'Américain Gittings sur
Le rôle de l'armée chinoise,
E.R.
HISTOIRE
la d'Algérie
La littérature sur la guerre d'Algérie, de
56 à 62, était florissante. Qui n'y est pas
allé de son témoignage, de son plan de
paix, de son plan de guerre, voire d'exter-
mination, de ses regrets et ses lamenta-
tions ? En 1962, la librairie connut un
produit de remplacement : FO.A.S, De
complot du 13 mai en mémoires de Susini,
les journalistes, les politiques, les agents
d'exécution, inventèrent, bien avant les
six jours, ce genre barbare qu'on appelle
< Quickie » : c'est-à-dire ces livres qu'on
écrit trois semaines après que leur pré-
texte d'actualité ait eu lieu.
Puis après plus rien; la guerre d'Algérie
et ses séquelles, comme un écrivain fran-
çais de la NRF, était entré dans sa période
de purgatoire : il était trop tard pour
raconter comment on l'avait faite, et
encore trop tôt pour raconter sérieusement
comment elle s'était faite.
Le délai est passé, puisque le premier livre
historique sur la guerre d'Algérie vient de
paraître. Autrefois, on pensait .,qu'il ne
pouvait y avoir d'histoire que cinquante
ans au moins après les événements. C'est
le temps que fixait Taine. Aujourd'hui
dix ans suffisent.
Ce premier livre, c'est quand même un
journaliste qui l'a écrit : Yves Courrière,
qui « couvrait », comme on dit, les événe-
ments d'Algérie pour le compte de Radio-
Luxembourg. Mais ce journaliste se veut
historien, et son premier volume sur la
guerre d'Algérie, Les fils de la Toussaint,
édité chez Fayard, s'affirme livre d'his-
toire, non reportage ou témoignage.
Il concerne la période qui va des émeutes
de Sétif, en 1945, à l'arrivée des parachu-
tistes du colonel Ducourneau en 1954 :
les premiers fondateurs du comité révolu-
tionnaire de l'union algérienne, qui aban-
donne le MTLD et ses discussions byzan-
tines, ses luttes de clans, et Messali Hadj
devenu paranoïaque et fou de son auto-
rité, les plans d'insurrection qu'ils élabo-
rent dans la plus rigoureuse des clan-
destinités, enfin le déclenchement de la
guerre, le premier novembre 1954.
S'appuyant sur des archives, sur des témoi-
gnages, aussi sur ses souvenirs personnels,
Yves Courrière rappelle avec sérénité les
hommes et leurs déclarations : l'idéalisme
des révolutionnaires algériens, et les diffi-
cultés apparemment insurmontables qu'ils
décidèrent de surmonter, la politique offi-
cielle du gouvernement Mendès France,
empêtré dans les négociations d'Indochine
et de Tunisie, les inquiétudes de François
Mitterand, alors ministre, enfin l'étonne-
ment de l'administration algérienne qui
ne se douta de rien jusqu'au jour où les
bombes explosèrent.
Sérénité et objectivité d'historien, écriture
claire, sérieux de l'information, autant de
A PARAITRE
VrlliaiHl. l'Herne
Les éditions Arthaud publient ce mois-ci
'e premier volume d'une nouvelle collec-
tion : Littérature française, dirigée par
Claude Pichois.
Cette collection a un double but : fournir
aux étudiants de l'enseignement supé-
rieur et aux enseignants un instrument
ue travail efficace et une documentation
littéraire complète ; offrir au grand public
une vision claire de notre littérature envi-
Vites Courrière (à étroite) en compagnie de Joseph Kessel,
qualités pour faire de ce livre, et espérons-
le, des volumes qui le suivront, une étude
solide, qui ne plaira peut-être pas à tout
le monde, mais dont le besoin se faisait
sentir. Gageons que tous ceux, et iis sont
assez nombreux, qui préparent des études
historiques sur la guerre d'Algérie, vont se
dépêcher de publier leurs fiches. Et que
la guerre d'Algérie deviendra un sujet
d'histoire presqu'aussi couru que la
seconde guerre mondiale,
J.B.
MÉMOIRE
un nouveau de
Max-Pol
Lorsque nous avons demandé à Max-Pol
Fouchet de raconter pour les lecteurs du
Magazine Littéraire ce qui lui était arrivé
pendant la guerre et à la libération, nous
n'avons eu besoin que d'un magnéto-
phone : les souvenirs, en ordre strict, se
présentaient à lui, et il nous a suffi de
recueillir un témoignage fav,-ip-iri« •!.• la
vie à Alger pendant l.t i-ian- i , <,",,,
quement allié, de r,Kti\ii<_ >i- i i • i ,,
de la revue Fontaine Non-, ,(.<••!, i ,.,,
ser, à travers cette \hn,,n>, '',, ,, ;, ,
silhouettes de Camus de CiuU <• Xi,n<
Exupéry, de Daumal fit i'i i >< ,\ ,KI
Vasto.
ÉDITION
Max-Pol I ouchet, sur les instances de son
éditeur, s'est décidé à publier ses souve-
nirs en volume. Le Mercure de France
s'apprête à sortir le premier volume île
Un jour, je m'en souviens... « Mémoire
parlée » réécrite, rédigée, complétée de-
tout ce que nous n'avions pu publier ou
de tout ce que Max-Pol Fouchet, dans
l'immédiat de son récif, avait passe sous
silence.
La série de Mémoire parlée reprendra
bientôt dans le Magazine Littéraire et
fournira bientôt, sans doute, un second
volume de Un jour, je m'en souviens...
Et nous sommes fiers d'avoir, par le biais
de ces entretiens, suscité ou du moins
favorisé l'apparition de ces volumes de
souvenirs qui compteront non seulement
pour l'histoire, ou la petite histoire, de
notre temps mais qui demeureront aussi
une œuvre littéraire,
J.B.
30
L'éditeur Jérôme Martineau en publiant
un ouvrage sur Raspail vient de 'réparer
une de ces erreurs dont l'histoire est cou-
tumière : il a tiré d'un glorieux oubli un
inconnu célèbre. Qui ne connaissait le nom
de Raspail? Pour Paris c'était un beau
boulevard ombragé. Pour la province
des places plantées de platanes ou des
avenues avenantes. Mais qui connaissait
? Grâce à Jérôme Martineau nous
savons à présent que François-Vincent
était un homme estimable et un
personnage passionnant.
Dans la préface de ce livre de huit cents
pages, le professeur dijonnais Ligou nous
raconte ce que tut la vie de cet enfant de
tarpcntras qui devait faire carrière dans
la politique en même temps que dans les
sciences et,., dans les prisons, depuis sa
naissance en 1794 en passant par sa jeu-
nesse au séminaire qu'il quittc tres tôt
se jeter dans la défense de Ia république
et des pauvres, les persécutions qui s'atta-
chent a son nom, ses recherches de savant
biologiste et de médecin constamment
poursuivi pour exercice illégal de la méde
cme. Un homme qui défend partout et
toujours la hberté. refuse la légion d'hon-
neur et la layette que les filles" du minis
tre de l'Intérieur envoient à ses enfants
qui milite dans des sociétés secrètes fonde
P« Ami du peuple », admirateur de Rous-
seau et de Marat, socialiste comme on l'est
au temps de Proudhon et de Blanqui
intraitable et solitaire. ' '
la seconde partie de l'ouvrage (composée
de textes de Raspail; un jugement sur
Murât, sur les missionnaires; des lettres
sur les prisons de Paris, de projets de lois
d'opinions sur la Pologne, pour ne citer
que ceux-là, de pamphlets et aussi de
comptes rendus de procès retrouvés par
Martineau dans les quotidiens de l'époque
suivis de cours élémentaires d'agriculture"
de manuels de santé, d'almanachs et calen-
driers météorologiques) en dit long sur
l'ecclcctisme de l'homme et sur son siècle
II n'y a pas de pur hasard pour Jérôme
Martineau, l'éditeur, qui s'attache dans sa
jeune maison d'édition à tirer de l'oubli les
écrivains du xix" siècle éclipsés par la
gloire des autres, les grands. Mais il y a
des circonstances favorables. Un jour qu'il
se promène avec sa femme à Carpentras,
il se demande « tout bêtement » : « Tiens]
qui était Raspail ? ». A la bibliothèque
municipale il n'y a pas grand'chose. Juste
assez pour que Martineau entrevoie l'im-
portance de l'œuvre. II a alors l'idée de
consulter le Larousse du xix" siècle. C'est
la révélation. Par chance, Pierre Larousse
a une immense admiration pour Raspail.
Il cite quatre-vingts titres de livres, bro-
chures, essais dont certains en trois tomes
de six cents pages. Martineau entreprend
la tournée des bouquinistes qui sont deve-
nus ses amis et se rend compte que
l'œuvre n'est pas répertoriée, que ces livres
sont «gommés ». L'inconnu semble inaces-
sible. Même les spécialistes du xix* siècle
n'ont rien à en dire. Finalement, à force
de passer des petites annonces dans le
Chasseur français et dans des journaux
de collectionneurs, Martineau reçoit un
jour une réponse. C'est une vieille dame
de Menton qui lui écrit : « Monsieur, mon
père était un fervent raspalien. J'aime
moi-même beaucoup Raspail mais, étant
trop âgée, je ne peux plus faire grand'
chose pour lui. Voulez-vous m'acheter ma
bibliothèque ? ». Martineau accourt. Il
tombe sur « la » bibliothèque Raspail, sur
des documents qui n'existent plus nulle
part ailleurs.
« Ce qui m'a surtout excité, dit-il, c'est un
certain nombre d'ouvrages de vulgarisa-
tion... J'ai découvert en Raspail un édu-
cateur, un homme qui réellement s'est
dévoué toute sa vie sans aucune prétention
pédagogique, à faire connaître des choses
qui aujourd'hui nous paraissent un peu
des artabanismes mais qu'il faudrait encore
répéter sans arrêt. Des éditions de ses
petits almanachs ont été tirés à des cen-
taines d'exemplaires. Il n'en reste rien.
Il a édité des choses comme La santé
naturelle, le manuel annuaire de la
santé, Le fermier vétérinaire, Le
manuel d'agriculture, à côté de son
œuvre politique que j'ai approfondie par
la suite. J'ai découvert cette volonté de
servir les pauvres. (Il faut mettre le mot
dans le contexte du xix* siècle) qui a
animé Raspail toute sa vie. Ça m'a été
infiniment sympathique parce qu'il l'a fait
avec un ton inhabituel chez les républi-
cains, qui trop souvent sont démagogues.
Il parlait d'abord de dignité aux pauvres.
Il leur disait : « Le plus grand fléau chez
vous après la pauvreté, c'est la maladie
parce que vous êtes tellement vulnérables.
Vous pouvez prévenir la maladie; com-
mencez par vous laver les mains. » Et
puis suivaient des cours d'hygiène alimen-
taire, d'hygiène corporelle, d'hygiène de
vie. Et ce n'était pas exprimé sur un ton
romantique ou larmoyant. Raspail engueu-
lait les pauvres. Quand il s'adresse aux
paysans, il leur écrit : « La terre, c'est dif-
ficile, c'est dur, c'est ingrat, vous n'arri-
verez pas à prévoir les saisons, donc pour
vivre d'elle il faut la posséder. Mais vous
pouvez partager l'outil. Créez les coopé-
ratives d'outils. Au lieu de travailler cha-
cun dans votre coin, associez vos bras —
et un jour vous aurez la part la plus impor-
tante ».
« J'ai travaillé également sur des articles
de l'époque, mais les gens y étalaient soit
une admiration pour Raspail qui touchait
à l'hagiographie, soit une haine totale.
On le traitait ii forcené, de barricadier...
Il a vécu une «le politique agitée puisqu'il
a réussi à aller en prison sous tous les
régimes du xix* siècle. Mais en aucun cas
on ne mettait en doute son honnêteté.
I
Quelques-uns des accusés des émeutes de mai «M. Au centre Haspail, à l'extrême droite Barbes.
Que peut nous apprendre aujourd'hui ce
dilettante si fortement encadré par son
siècle. Hors les coups de gueule, que
Peut-on encore tirer de Raspail ?
* H reste, répond Martineau, à redécou-
vrir plusieurs aspects de Raspail. M"* Si-
mone Raspail qui est chimiste à Paris me
reproche de ne pas avoir assez insisté sur
ses qualités de chimiste et de savant. Ce
n'était pas tout à fait mon idée... H appar-
tient à quelqu'un d'autre de redécouvrir
e' de défendre les mérites de Raspail
savant. Par exemple, il est sûr qu'il a
découvert l'existence de la cellule avant
Virchow. 11 a inventé le microscope à
double foyer. II est le fondateur de l'his-
tologie, et il a établi la théorie micro-
bienne. C'est un visionnaire, un savant
dans le sens contemporain du mot, un
bricoleur. Il a été sollicité par trop de
choses. Raspail, certes, n'échappe pas au
x«* siècle mais la conception politique
Personnelle hors les partis, hors une véri-
table doctrine, est une attitude du
XX" siècle.
Le républicain qu'il était a écrit, a dit :
« attention, nous sommes tous mouchar-
dés ». Il a été tourné en ridicule parce
qu'on le croyait obsédé par les flics. Nous
savons aujourd'hui parce que nous avons
dépouillé nos archives, que les mouve-
ments politiques du xix* siècle, que ce
soit sous Louis-Philippe ou sous Napoléon
III ont tout le temps été mouchardés.
Raspail faisait preuve d'une maturité poli-
tique que des gens comme Blanqui ou
comme Barbes n'avaient pas. Là encore,
son attitude était moderne. Il n'avait rien
d'un révolutionnaire romantique. Son
jacobisme en a fait un républicain exem-
plaire. Dans un pays qui manque de répu-
blicains exemplaires, c'est intéressant de
Parler d'un homme comme Raspail. Il est
moins discutable que Proud'hon par
exemple.
Il parlait du suffrage universel au moment
°ù cela ne concernait que les bourgeois.
On se sert actuellement des référendums
et des plébiscites comme jamais. Raspail
n'aurait pas accepté qu'on puisse s'en
servir.
Il a écrit sur n'importe quoi. Pendant
ses douze années de prison, il en a eu le
temps. Il dormait peu, c'était un travail-
leur acharné. En exil, un jour, il pense à
la France, peut-être à son midi, il doit
s'ennuyer, il ne pense pas qu'il a
soixante-dix ans. 11 écoute un rossignol et
ce rossignol chante moins bien que dans
son enfance. Alors il écrit un essai qu'il
intitule Décadence du rossignol, où il
reproche aux locomotives qui passent dans
son paysage de gâcher le chant de l'oi-
seau. Il ne suppose pas qu'il est peut-être
devenu un peu sourd... non, c'est le ros-
signol qui n'est plus ce qu'il était.
Et puis c'était certainement un homme
insupportable, avec un caractère entier,
intransigeant, c'était un frénétique casse-
pied. Il s'est retrouvé sans ami parmi des
cens qui pouvaient défendre et son nom
et son œuvre. Comme il s'est fâché dès
son enfance avec les Jésuites et que tout
le long de sa vie il leur a fait la guerre,
que sur le plan politique, il a été persé-
cuté par la police de Louis-Philippe, puis
par celle de Napoléon III. (On a retrouvé
des notes de Napoléon III au commis-
saire-priseur disant : « Quand vous trou-
vez des œuvres de Raspail dans une vente,
détruisez ». On donnait les mêmes consi-
gnes aux vicaires). On ne s'étonne pas que
ses œuvres soient gommées et l'on ne
s'étonne pas non plus que des savants
dont je ne nie pas l'importance mais qui
étaient plus complaisants avec le pouvoir
comme Pasteur aient été mis plus en
avant.
Pourquoi les républicains ne l'ont-il pas
tiré de l'oubli ? Parce que Raspail a été un
républicain d'emploi difficile. En 1874,
alors qu'il est député de Paris, il est
condamné pour avoir pris la défense de
la commune. Cet octogénaire fait un an
de prison pour excès de zèle républicain
en tout cas pour apologie de fait qualifié
crime. Il sort de prison, et comme il est le
doyen d'âge et que c'est la rentrée des
chambres, il commence le discours d'ou-
verture en disant à peu près . ceci : « Je
viens de passer au milieu d'une haie de
soldats qui me rendaient les honneurs.
C'est bien la première fois que ces soldats
sont là pour ne pas m'arrêter. Alors, Mes-
sieurs, je vous le dit et je vous répéterai,
l'amnistie pleine et entière est nécessaire. »
II était gênant parce qu'il n'acceptait
aucun truquage.
Je n'ai pas voulu faire une anthologie de
Raspail, explique Martineau. Je me suis
attaché au portrait de l'homme. Le choix
des textes que le professeur Ligou et moi-
même avons réuni peut paraître un peu
fourré-tout. Mais cette diversité donne la
mesure du personnage.
Ce qui m'intéresse chez lui, comme chez
beaucoup d'écrivains méconnus du xix*
siècle, c'est le tragique. Et le tragique
chez Raspail, c'est l'échec.
Geneviève Antonelli.
POÉSIE
concrète ou spatialiste ?
Depuis quelques années, la poésie s'ouvre
à des aventures nouvelles. L'expression
ne suffit même pas. Il faudrait plutôt
parler de rupture. En effet, les mouve-
ments nouveaux, qui se développent
depuis une décennie de façon décisive,
s'ils se différencient, s'opposent et se que-
rellent même avec passion, ont pourtant
un point commun : le refus de la poésie
telle qu'elle s'est faite de la Pléiade au
surréalisme, c'est-à-dire de la poésie consi-
dérée comme moyen d'expression d'un
individu, d'une « subjectivité ». Aujour-
d'hui, des poètes affirment que « la liai-
son de la langue à l'univers est affaire
d'imagination ». Pour eux, ainsi que
l'exprime Pierre Garnier dans le premier
ouvrage consacré en France à ces poésies
nouvelles : Spatialisme et Poésie concrète
(Ed. Gallimard) « la langue apparaît com-
me un univers en elle-même qui certes
reflète le monde mais n'entretient pas de
rapports avec lui. » En conséquence « la
langue se présente donc devant le poète
comme une matière à exploiter poétique-
ment, matière plus ou moins dense, ensem-
ble de signes plus ou moins espacés, plus
ou moins énergétiques ». Alors « le poète
n'est plus l'inspiré, il est le constructeur :
pour lui l'esthétique rejoint la technique ».
Cette nouvelle poésie a pris son essor dans
de nombreux pays : en Tchécoslovaquie
comme aux Etats-Unis, en France comme
au Brésil, une activité intense se déploie
à travers les manifestes, les publications,
les expositions.
Ces poésies ne sont pas nées du néant.
Elles sont l'aboutissement d'un certain
nombre de recherches et d'expériences
menées depuis un siècle par des isolés.
31
Pierre Garnier n'hésite pas à considérer
que le père spirituel des nouvelles poésies
est Novalis dont il cite un écrit de 1798 :
« II faut s'étonner de cette erreur grotes-
que que font les quand ils s'imaginent
parler au nom des choses. Le propre de
la langue est justement de ne se préoc-
cuper que d'elle-même et cela personne
ne le sait,.. Si seulement on pouvait faire
comprendre aux gens qu'il en va de la
langue comme des formules mathémati-
ques. Celles-ci forment à elles seules
tout un monde. Elles ne jouent qu'avec
elles-mêmes ».
Novalis détachait par ces propos la langue
de la fonction essentielle qu'elle avait
jusqu'alors : la communication.
Cette réfutation de la poésie-communica-
tion va être précisée au xix* siècle par
Nerval, Rimbaud, Mallarmé puis dans la
première moitié du xx* siècle par les futu-
ristes, les dadaïstes, les lettristes, Pound,
Cummings, Ben, Queneau et d'autres. Les
poètes iconoclastes prenaient appui sur les
résultats des travaux de la linguistique :
Saussure, Victoria Welby, Peirce, créateurs
de la sémiologie, comme aujourd'hui les
nouvelles poésies se fondent pour une
bonne part sur les recherches d'un Witt-
genstein, d'un Abraham Moles, d'un Max
Bense.
Pierre Garnier dégage deux grandes
orientations dans ces poésies nouvelles :
poésie concrète et spatialisme. Le poète
concret considère la langue comme une
matière et crée avec elle des « objets »
poétiques. Le poète spatialiste fait jaillir
l'énergie de cette matière et fonde sa
poésie sur les forces résidant en chaque
parcelle linguistique et sur les tensions
qui les maintiennent et les organisent.
Ces deux orientations sont complémen-
taires et s'interpénétrent très fréquem-
ment.
PiYrr
Pierre Garnier, poussant plus loin son ana-
lyse du mouvement international en voie
de développement, décèle, outre la poésie
concrète, la poésie visuelle, la poésie objec-
tive, la poésie mécaniste, la poésie pho-
nique, la poésie phonétique, que le terme
de spatiale (qui contient à la fois les deux
notions de temps et d'énergie) peut
englober.
Les tenants d'une poésie-communication
ne sont pas prêts à rendre les armes
La notion même de «communication»'
condamnée par les spatialistes défenseurs
d une poésie « objective » pourra donner
heu a des oppositions et des controverses
complexes. Quelles que soient les réserves
quon puisse faire à propos d'un mouve'-
ment comme celui-ci, il faut bien admet
nar qpuern°mbre des formules «primées
par P. Garnier ne peuvent être ^ é
simplement. Le procès de la
municanon n'est pas clos.
que Poésie concrète et spatialisme s
H""6 n°UVelIe «PPrfi
de 1 univers, d un nouveau type de rao
ports entre l'homme et les choses le an"
gage et le monde. On n'a pas'fini de «
quereller sur ces thèmes vitaux
Heureusement, Pierre r.*,-.,• '
bonne idée de * ™ '"
poétique » contemporaine. *
André Laude.
ISRAËL
ïa gauche pOTr m conlre
jamais la même, «
épineuse question am
n'ont été auss, nei :T£nb q
affaire plus que toute aut £
son énonce
SU Ce"e
P
ses drames pers
ceux-c, se substituent magiquement 'auî
réalités concrètes de la lit,, »•
Moyen-Orient. D'oùts sVS "rofeT
sions de fo», manifestes et appels Si
champignonnent avec ferveur, témoigna
ges dun mala.se intérieur rem °'a*£
ment prononce : chacun a mal aux Juifs
et aux Arabes, chacun a ses bons Juifs —
ou ses bons Arabes, et jamais les quali-
ficatifs d impérialiste, de raciste, de colo
maliste n'ont valsé avec autant d'allé"
gresse que dans cette foire d'empoigne
bibhco-islamique installée pour l'heure
entre Saint-Germain-des-Prés et Maubert-
Mutualité. Et ce n'est pas le débat con-
tradictoire instauré dans l'arène de la col-
lection Libertés, chez Jean-Jacques Pau-
vert, entre Pierre Démeron Contre Israël
Manifestation à Parts en faveur d'iartlfl.
et Jacques Givet La Gauche contre
Israël ? qui me démentira.
C'est que la gauche française se trouve
cornéliennement déchirée entre l'amour
et le devoir ; pour compliquer encore les
choses, il s'agit d'un sentiment double :
amour et devoir envers les Juifs massa-
crés par les nazis, la rafle du Vel d'Hiv,
Auschwitz et la Résistance, Dreyfus et
Anne Frank ; amour et devoir pour les
Arabes, guerre d'Algérie et réseaux de
soutien, Tiers-Monde et décolonisation,
Djamila Bouhired et le massacre de Sétif.
Ainsi Pierre Démeron le déclare sans
ambages : il est « contre Israël ». Et ses
arguments ne manquent pas de logique :
les sionistes sont venus planter leur tente
sur une terre qui ne leur appartenait pas,
dont les habitants ont été chassés pour
faire place à d'autres persécutés débar-
qués de pogromes tous azimuths. Mais
était-ce aux Arabes de payer la dette des
antisémites ? Ceux-ci, d'ailleurs, choisis-
sent aujourd'hui le Juif face à l'Arabe :
européanité — et changement de sémite
— obligent. La marche conjuguée des
partisans de l'Algérie française, des nos-
talgiques de l'OAS et des vieux pétai-
nistes vociférant « Israël vaincra » sur les
Champs-Elysées a profondément choqué
Démeron, et paraît constituer le point
de départ de sa réflexion. L'auteur entend
« démystifier » Israël aux yeux d'une opi-
nion européenne à qui, pendant des an-
nées, l'on n'a fait entendre qu'un seul
son de cloche. Mais au carillon de David
s'insurge le tocsin palestinien : un million
de réfugiés, Israël colonie de peuplement,
instrument de l'impérialisme américain,
Israël expansionniste, agresseur, domina-
teur et sûr de lui-même, abreuvé d'argent
communautaire ou « réparateur ». Le
procès est brillant, et l'avocat général a
du talent : au point qu'il en oublie, par-
fois, les nuances. Qu'importé : l'essentiel
est pour lui de frapper vite, et fort. On
peut ainsi apprécier certains uppercuts :
« Si une bonne partie de l'opinion publi-
que sacralise Israël, c'est parce qu'elle a
été si longtemps antisémite. Elle ne se
rend pas compte qu'elle l'est restée puis-
que cette sacralisation, tout autant que
le mépris de jadis, interdit au Juif d'être
un homme comme les autres ». Quelques
judicieux rappels : « En France aussi, na-
guère, on niait l'existence d'une nation
algérienne comme aujourd'hui, en Israël,
on nie l'existence d'un peuple palesti-
nien », On eût néanmoins aimé qu'à cette
passion se joigne un examen plus appro-
fondi des réalités, notamment en ce qui
concerne la politique arabe, considérée
Par Démeron comme un noyau indivis,
°u la population israélienne, qui n'est
peut-être pas exclusivement composée
d'agents de la CIA. Le critique littéraire
de feu Candide a découvert la Pales-
tine à travers les parti-pris de la presse
française ; son pamphlet est un cri de
protestation, qui malgré des outrances
simplificatrices et certains schémas assez
grossièrement plaqués, doit être entendu
Par tous ceux qui pensent que le bon
droit ne peut, ici, être impunément mo-
nopolisé par l'une des parties en cause,
L'avocat de la défense, lui, prend d'em-
blée des accents pathétiques : Juif lui-
même, Jacques Givet a souffert de l'anti-
sémitisme dans sa chair, dans sa famille
déportée et massacrée ; dès lors,^ il est
sur ses gardes : « Le sionisme serait peut-
être un phénomène folklorique si les
Juifs de la Diaspora ne savaient que
celle-ci est truffée de commissaires aux
affaires juives en puissance », Peut-être.
En tout état de cause, le registre — pas-
sionnel — est choisi. Et c'est à un plai-
doyer passionné — et passablement dé-
chiré — que se livre Givet dans La gau-
che contre Israël ? Pour lui, la gauche,
Prisonnière de ses structures mentales
stalino-dogmatiques, de ses mythes et de
son impuissance à résoudre les problèmes
européens en général et français en parti-
culier, a choisi de critiquer systématique-
ment Israël par « néo-antisémitisme ». Ce
néologisme, inventé par l'auteur, signifie
un « racisme » doux, mais tout aussi
intense que l'autre : on n'aime le Juif que
faible, on n'appréciera Israël que vulné-
rable. On accuse Israël d'être l'appendice
moyen-oriental des U.S.A., mais on ^ou-
blie les bases américaines d'Arabie Séou-
dite, de Lybie et du Maroc. On fait
d'Israël un malade ne respirant qu'à
l'aide du poumon artificiel de Wall Street
et des Rotschild, mais on ne parle pas
des seize «familles arabes se partageant
un milliard de livres sterling déposées
dans les banques anglaises. Mais surtout,
insiste véhémentement Givet, ^ on veut
enlever au Juif toute spécificité. L'hosti-
lité à Israël n'est, pour les intellectuels
de' gauche, que la traduction inconsciente
de leur volonté de nier au Juif tout choix
en dehors de la soumission aux bonnes
pensées établies. Au nom du dogme libé-
ral qui veut qu'un Juif soit un-homme-
comme-les-autres, on lui refuse la sym-
pathie avec Israël, sous prétexte de dou-
ble allégeance. Et Givet, amer, de se
demander pourquoi Moscou, La Havane
ou Pékin peuvent être objets de vénéra-
tion, et pas Jérusalem... Sinon que l'anti-
sémite est là, toujours hideux sous son
nouveau masque pseudo-progressiste. La
gauche accepte la spécificité des Noirs,
des Jaunes, pas celle des Juifs. Givet
s'insurge, émeut, et oublie quelque peu
le problème. Car il s'agit quand même
moins de Juifs et d'antisémites que,
d'abord, d'Israéliens et de Palestiniens :
Givet a trop tendance à négliger ceux-ci,
dans sa vibrante défense de ceux-là. Il
me répondra qu'il a déjà beaucoup à
faire : mais c'est justement en saisissant
les deux termes de la contradiction qu'on
pourra peut-être arriver à résoudre cette
quadrature du cercle : la paix au Moyen-
Orient. Or, quand Givet écrit : « Aujour-
d'hui les perspectives qui se dessinent à
Gaza et en Cisjordanie, y compris chez
les réfugiés de 1948, sont d'autant plus
encourageantes que les Arabes n'y éprou-
vent qu'un sentiment national assez flou,
et peu — moins que jamais depuis le
choc qui les a récemment frappés —
d'affinité avec les régimes nassérien ou
hachémite », i! commet une grave erreur
de perspective : croit-il vraiment arriver
à un règlement avec des interlocuteurs
aussi « flous » ?
Certes, la gauche européenne n'a pas à
se donner bonne conscience par Juifs ou
Arabes interposés ; dans ce conflit dou-
loureux et, complexe, il est impossible,
pour qui veut conserver la moindre par-
celle d'honnêteté intellectuelle, d'être
manichéen. Mais c'est le métier d'un
pamphlétaire d'écrire tout blanc —• ou
tout noir ; il faut lire Démeron et Givet :
au lecteur, ensuite, d'user de l'arme abso-
lue des jurys, une fois les faits connus :
la bonne foi. Dans cette affaire, on n'en
aura jamais trop.
André Bercoff.
POLÉMIQUE
Hevel or not Drumont
Un gros livre est paru aux Editions Pau-
vert. Les Morceaux choisis d'Edouard
Drumont. Ce personnage laissa dans l'his-
toire politique et littéraire française une
faible trace : un antisémitisme ridicule,
un anticapitalisme qui faisait le jeu de
la droite capitaliste, une réputation de
« penseur » qui inspira Maurras et le
Bernanos de la Grande peur des bien-
pensants.
Revel est officiellement un homme de
gauche, contre-ministre de la culture dans
le contre-gouvernement. En somme, le
double imaginaire de Malraux. Par ail-
leurs, Jean-François Revel dirige pour
le compte des Editions Pauvert la Collec-
tion Libertés, et se trouve chargé d'une
chronique hebdomadaire dans l'Express.
Les Editions Pauvert publient, dans un
format et sous une couverture identiques
à ceux de la Collection Libertés (mais le
titre ne figure pas sur la couverture, en-
core que tout un chacun puisse s'y trom-
per) le livre de Drumont, enté d'une pré-
face de Emile Beau de Loménie, plus
raciste encore que son maître, et appen-
dicite d'une prière d'insérer de Jean-
François Revel.
Jean-François Revel et François Mitterrand,
Revel donne comme raison au fait que le
livre de Drumont ne fasse pas officielle-
ment partie de la Collection Libertés :
« La taille de ce volume nous empêchait
de le faire entrer dans notre collection ».
Peu d'idéologie dans tout cela.
Divers journaux de gauche reprochent
violemment à Revel d'accueillir Drumont,
lui reprochent surtout sa prière d'insérer
et d'avoir accepté qu'une théorie du
racisme fût préfacée par plus raciste
qu'elle.
Revel se défend en disant que les pires
textes doivent être mis à la disposition
du public. Mais pourquoi cette préface
inadmissible ? Il ne répond pas à l'objec-
tion.
Cependant, Revel couvre ses arrières : il
critique dans sa chronique de l'Express
ce qu'il publie par ailleurs chez Pauvert.
Tout cela fait un événement d'édition.
Mais où est l'honnêteté ? Peut-être dans
un second volume de l'histoire de la
philosophie occidentale, dont Jean-Fran-
çois Revel vient de publier le premier
aux Editions Stock,
33
DANS SA VERDEUR
par Pascal Fia
Les surréalistes considéraient Reverdy comme
te plus grand poète de son temps, plus grand
qu'Apollinaire ou que Max Jacob. Mais leur
prestige étouffa le nom de l'inventeur de la poé-
sie cubiste. La réédition de ses poèmes, réunis
dans « La Plupart du Temps », et du « Voleur
de Talan », chez Flammarion, permet de retrou-
ver ce vrai poète méconnu.
La mention de plusieurs ouvrages « à paraître s placée en tête
des deux livres de Pierre Reverdy récemment réédités chez
Flammarion constitue une sorte de promesse, qui fait plaisir
Faute d'avoir été soutenu par les revues et les journaux litté-
raires qui, entre les deux guerres, influençaient la librairie
Reverdy est resté longtemps presque ignoré^ de la plupart des
gens, qui, aimant la poésie, eussent apprécié la sienne, si l'on
eût attiré leur attention sur elle. Reverdy lui-même, il faut le
reconnaître, ne recherchait guère la publicité.
Dès 1926. à trente-sept ans, il s'était retiré dans la Sarthc, où
Méridional île l'Aude, il n'avait aucune attache. Les deux ou
trois cents lecteurs qu'il s'était acquis se demandaient parfois
ce qu'il était advenu de lui, et si son départ pour Solesmes
ne résultait pas de soucis analogues à ceux qui avaient jadis
conduit Huysmans à Ligugé.^On savait que Reverdy, quelques
années plus tôt, avait sollicité et reçu le baptême. Mais on se
disait aussi que, marié, il était peu probable que la foi le
poussât jusqu'au monastère. Bref, on ne pouvait penser à lui
sans se poser de questions sur le caractère de son repli : fuite,
renoncement, rupture ou simple besoin de relâche et de soli-
tude '?
I.a réimpression de Plupart du temps, où il avait lui-même
rassemblé le contenu de ses premières plaquettes, et la nouvelle
édition de son introuvable roman. Le Voleur de Talan, contri-
bueront, espérons-le, a le mettre enfin en pleine lumière. Sans
se présenter comme îles éditions critiques, elles comportent
d'ailleurs de quoi piquer la curiosité, et pourront même
apprendre bien des choses aux lecteurs qui, d'aventure, auraient
depuis longtemps ces deux ouvrages sur leurs rayons. M. Mau-
rice Saillet les a. en effet, enrichis de documents inédits et de
commentaires tirés en grande partie de ses entretiens avec le
poète. Comme les textes ainsi éclairés remontent à un demi-
siècle environ, je me reporterai, pour en parler à mon tour, aux
années de guerre, de l'autre guerre, où, adolescent, je feuilletais
les minces fascicules de la revue Nord-Sud, à l'étalage de la
librairie C'rcs, boulevard Saint-Germain.
C'était en 1917. Reverdy venait de fonder cette revue, où
Apollinaire faisait figure de maître et à laquelle collaboraient
Max Jacob et Paul Dermée. Le titre même de la publication
donnait à penser qu'elle procédait d'un modernisme semblable
a celui qui inspirait Sic. autre revue de ce temps-là, que diri-
geait Pierre Albert-Birot. Cependant, le choix de Nord-Sud
comme enseigne pouvait s'expliquer par de simples considéra-
tions de géographie artistique et littéraire. Les peintres cubistes
que prônait la revue avaient leur atelier soit à Montparnasse
comme Picasso, soit à Montmartre comme Juan Gris. La
plupart des poètes inscrits à son sommaire habitaient Mont-
martre. La revue elle-même avait son siège à Montmartre, rue
Cortot, c'est-à-dire au domicile de Reverdy. Mais Montparnasse
pouvait revendiquer Apollinaire, lequel, depuis son installation
au 202 boulevard Saint-Germain, se tenait de préférence sur
la rive gauche. Le Nord-Sud était la voie de communication
tout indiquée à des poètes sans fortune, pour se rendre des
hauteurs de la Butte au carrefour Vavin, lieu de rencontre
des lettres et des arts. Correcteur clans une imprimerie de la
rue Falguière, Reverdy était d'ailleurs un des usagers quotidiens
du Nord-Sud, qui se distinguait alors nettement du Métro, tant
par son odeur particulière de tombe fraîchement ouverte que
par la décoration de ses tunnels dont les murs, au lieu de dire
sans cesse ; Dubonnet, répétaient le nom plus exotique de Koto.
Dans le Paris de ces années sombres, la poésie nouvelle, dédai-
gnée des ^éditeurs et des grandes revues, ne trouvait guère d'ac-
cueil qu'a Sic, à Nord-Sud et dans deux ou trois autres publi-
cations, d'une périodicité incertaine, comme L'Elan, d'Arnédée
O/.enfant, ou Les Solstices, de Louis de Gon/.ague Frick. A de
rares exceptions près, les auteurs que leur originalité faisait
taxer de cubisme ou de futurisme devaient, pour être édités,
s'éditer eux-mêmes. Si Cendrars, en 1916, avait eu l'avantage
de découvrir un imprimeur qui voulût bien se charger de
publier son poème La Guerre au Luxembourg, avec six dessins
de Kisling, Apollinaire, quoiqu'il ne fût plus un débutant, n'avait
obtenu le patronage du Mercure, pour Vitam impendere amori.
que parce que son ami Rouveyre acceptait de régler les frais
de fabrication de cette plaquette, illustrée par lui. Max Jacob
faisait imprimer lui-même ses ouvrages, dont il allait ensuite
Proposer les exemplaires de luxe à des bibliophiles, le gros du
&age étant destiné aux habitués de la Rotonde et du Dôme,
lui formaient sa principale clientèle.
Les premières plaquettes de Reverdy, — Poèmes en prose
(octobre 1915), La Lucarne ovale (novembre 1916), Quelques
poèmes (décembre 1916), Le Voleur de Talan (octobre 1917),
Les Ardoises dit toit (mars 1918), — furent, elles aussi, publiées
aux dépens de leur auteur, lequel n'alla cependant pas jusqu'à
s'en faire le marchand forain et préféra en confier le débit à
Quelques rares libraires, comme Mlle Monnier, enclins à se
dépenser pour les ouvrages qu'ils estimaient dignes de leur
dévouement.
La plupart de ces recueils de Reverdy sortaient des presses,
°u plutôt de l'unique machine, d'un artisan imprimeur, Paul
Birault, dont l'atelier s'ouvrait clans une cour de la rue Tardieu,
Près du funiculaire qui mène au .Sacré-Cœur. Birault, installé
auparavant rue de Douai, avait été, vers 1909, l'imprimeur des
Premiers livres d'Apollinaire et de Max Jacob, édités avec des
gravures de Derain et de Picasso par M. Henry Kahnweiler,
alors marchand de tableaux rue Vignon. En septembre et
octobre 1917, c'est encore chez Birault que furent tirés la
Première plaquette de M. Philippe Soupault, Aquarium, et un
recueil de poèmes de Paul Dermée, Spirales, témoignant de la
conversion de ce dernier à un modernisme que n'avaient pas
laissé prévoir ses débuts dans des journaux et des revues poli-
tiquement révolutionnaires, mais dont l'audace, en matière de
littérature et d'art, s'arrêtait à peu près à Verhaeren et à
Constantin Meunier.
Aucun passé de ce genre ou d'un autre n'a jamais pesé sur
Reverdy. Il n'était sans doute pas parvenu d'un seul coup à
'a pleine possession de ses moyens, mais la discrétion lui étant
naturelle, il avait attendu plusieurs années avant de soumettre
le moindre texte au public. Il devait toujours procéder ainsi, ne
Publiant rien qu'il ne se fût d'abord assuré que ses vers ou sa
Prose avaient résisté à l'épreuve du temps. Comme le rappelle
M. Saillet, il était arrivé à Paris en 1910, venant de Narbonne,
son pays natal, où la mévente du vin avait engendré la misère.
Le cours du vin était descendu jusqu'à un franc l'hectolitre.^ Les
viticulteurs, voyant leurs biens saisis et dispersés aux enchères,
avaient fini par se révolter. Le gouvernement avait mis ^Nar-
bonne et Béziers en état de siège, mais la troupe dépêchée
contre les manifestants avait quelquefois épousé leur cause. On
n'a pas oublié là-bas les noms de Marcellin Albert et du
docteur Ferroul, ni les couplets de Monterais à la gloire des
soldats du 17*.
C'est à cause de la ruine de ses parents que Reverdy, à vingt
et un ans, était « monté » à Paris, où un de ses compatriotes,
'«_ peintre Malaterre, fixé à Montmartre, lui avait aussitôt servi
d'introducteur auprès des peintres et des poètes qu'on pouvait
rencontrer au tabac de la place du Tertre, aux billards en bois
de la rue des Saules ou dans les coursives du Bateau-Lavoir.
Reverdy s'était alors lié d'amitié avec Max Jacob et avec plu-
sieurs artistes : Severini, Juan Gris, Braque, Laurens, Galanis,
Picasso. Mais c'est seulement en 1915, après un court passage
dans l'armée, comme « auxiliaire s, qu'il se décida enfin à
Publier son premier recueil, composé de petits poèmes en prose.
Dans les deux plaquettes qu'il fit paraître ensuite, vers et prose
Cuisinent, sans que leur rapprochement nuise à l'unité de
l'ensemble, la poésie de Reverdy, quelque forme qu'il lui ait
donnée, conservant toujours le même ton simple et le même
accent de gravité, que j'assimilerai volontiers à ce que Baude-
'aire appelait « le ton du revenant ».
La^ disposition typographique en zigzags que présentent certains
Poèmes de Reverdy, notamment ceux qu'il a recueillis dans
f-« Ardoises du toit, est peut-être ce qui a frappé le plus les
"fljtateurs qu'il a eus, et pourtant, il suffit de lire un de ces
Poèmes, Nomade par exemple, pour se rendre compte que leur
découpage, apparemment inspiré des compositions cubistes, n'en
'ait pas des rébus et n'en fausse point le mouvement :
La porte qui ne s'ouvre pas
La main gui passe
Au loin un verre qui se casse
La lampe fume
Les étincelles qui s'allument
Le ciel est plus noir
Sur les toits
Quelques animaux
Sans leur ombre
Un regard
Une tache sombre
La maison où l'on n'entre pas
Notons, en passant, que de cette mise en place des mots,
Reverdy n'a jamais fait un système. Dans la plaquette à laquelle
appartenait Nomade figurent des poèmes comme Matin, dont
l'aspect n'a rien de déconcertant, et qui ont leur charme, eux
aussi :
La fontaine coule sur la place du port d'été
Le soleil déridé brille au travers de l'eau
Les voix qui murmuraient sont bien plus lointaines
II en reste encore quelques frais lambeaux
J'écoute le bruit
Mais elles où sont-elles
Que sont devenus leurs paniers fleuris
Les murs limitaient la profondeur de la foule
Et le vent dispersa les têtes qui parlaient
Les voix sont restées à peu près pareilles
Les mots sont posés à mes deux oreilles
Et le moindre cri les fait s'envoler
II est probable qu'en son temps d'apprentissage, Reverdy s'était
exercé à versifier selon les maîtres qu'on donnait alors en
exemple aux écoliers. Peut-être n'est-ce pas sans effort qu'il se
sera écarté de ces modèles pour n'écouter que ses voix inté-
rieures. Si discret que soit son chant, il laisse deviner que
l'éloquence y a été vaincue. Des alexandrins y jaillissent ça et là,
avec tant de force qu'il n'eût pu être question de les réprimer.
Tout au plus était-il permis au poète d'en gauchir quelques-
uns, ce qu'il a fait avec bonheur, en homme qui connaissait le
poids des mots, leur rondeur ou leurs aspérités, et qui n'avait
pas besoin d'un vocabulaire étendu pour exprimer des nuances,
saisir un reflet ou assombrir de nuages un ciel crépusculaire.
La réédition du Voleur de Talan ménagera plus de surprises
que Plupart du temps, même à qui connaît ou croit connaître
Reverdy. En dépit de son étiquette, ce « roman », à première
vue, donne bien l'impression d'être un poème. En réalité, et les
précisions que fournit le commentaire de M. Saillet ne laissent
aucun doute sur ce point, il s'agit là d'une transposition d'aven-
tures personnelles, d'où le poète était sorti quelque peu blessé,
sa sensibilité, qui était des plus vives, le condamnant à souffrir
plus qu'un autre de la malveillance de son prochain. A lire Le
Voleur de Talan avec un peu d'application (et de malice), on.
soupçonnait assez vite qu'un des personnages de ce récit lyrique,
le Mage Abel, devait à Max Jacob une partie au moins des
traits qui le caractérisent. Les confidences recueillies par M. Sail-
let, non pas dans des conversations où Reverdy se fût laissé
aller à un abandon irréfléchi, mais dans des entretiens suivis et
concertés, confirment l'identification qu'on était tenté de faire.
En feuilletant la collection de la revue Nord-Sud, j'avais déjà
remarqué qu'une chronique de 1917 répliquait, sans nom-
mer Max Jacob, à un passage de la préface du Cornet à dés,
où celui-ci, sans nommer Reverdy, l'englobe parmi les littéra-
teurs, qui, affligés d'un excédent de production, s'en débarrassent
en publiant des « cahiers d'impressions plus ou moins curieu-
ses », qu'ils qualifient indûment de poèmes en prose. Reverdy,
dans sa riposte, avait remis les choses au point, dénonçant
notamment la prétention de « tout le monde » à l'invention
d'un genre littéraire, le poème en prose, où « tout le monde >
a eu pourtant des prédécesseurs.
Ce n'est pas là le seul d'irritation que Max Jacob ait donné
à Reverdy : Le Voleur de Talan montre qu'il y en a eu bien
d'autres, mais ce serait néanmoins se tromper que de ne voir
en cet ouvrage qu'un livre à clef. Ce serait aussi arbitraire que
de considérer La Chanson du Mal aimé comme un exposé de
déceptions sentimentales. Les vrais poètes font de l'universel
avec le particulier, et de l'éternel avec le fugitif. Et Reverdy
était un vrai poète.
ouverte
UN SURREAL STE
par Ernest de Gengenbadi
Ernest de Gegenbach, séminariste en rupture de sou-
tane conquit I admiration et l'amitié d'André Breton
vers 1926. Occultiste, il publia « L'expérience démo-
niaque » « Judas », « Satan à Paris ». Lors de la rup-
ture de Breton avec Prévert, Desnos, Soupault et de
la publication du pamphlet « Un cadavre », Breton se
vit reprocher de faire « sauter sur ses genoux » son
« petit cure ». Puis Gegenbach fit retour au catholi-
cisme, puis au catharisme, vécut un moment à l'om-
bre des « Temps Modernes ». la revue de Sartre.
Aujourd hui. Eric Losfeld réédite « L'expérience démo-
Snefn ^P 6 fort curieux, parfois
magnifique. Ernest de Gegenbach nous a dit ce que
fut et ce que reste pour lui> le surréalisme, Opinlon
hérétique, assurément, et qui n'engage que son auteur !
Depuis la mort d'André Breton, des études
plus ou moins valables, plus ou moins
volumineuses sont consacrées au fonda-
teur du surréalisme... Ou interroge les per-
sonnalités les plus variées et on leur pose
des questions qui me paraissent sans inté-
rêt parce qu'on élude la seule question
importante : « André Breton est-il défini-
tivement mort, en même temps que son
personnage disparaissait de la scène mon-
diale, ou existe-t-il, maintenant que son
enveloppe charnelle n'est plus visible, dans
un monde supra-terrestre, invisible ? »
Comme la question exige qu'on se place
sur un terrain religieux, spiritualiste, mys-
tique, on évite de la poser...
C'est parce que j'ai accordé autant d'im-
portance aux préoccupations religieuses,
spiritualisîes, mystiques du christianisme
qu'aux préoccupations poétiques, magico-
féeriques du surréalisme que, depuis des
années, on a décidé de ne plus parler de
moi, de m'ensevelir dans l'oubli, et de
jeter sur moi une sorte d'exclusive.
Je ne puis oublier l'accueil enthousiaste
et délirant qui me fut fait en 1925 par le
groupe surréaliste, quand rompant avec
l'Eglise romaine, à la suite d'une apostasie
spectaculaire, à la salle de conférences de
la Société de Théosophie, je donnai mon
adhésion au mouvement d'André Breton
et prononçai la fameuse phrase : « Prê-
tres, moines et évêques ont fait de moi
un révolté, un nihiliste et un désespéré ».
A cette époque, celle du surréalisme auro-
ral, les promoteurs de ce mouvement révo-
3i
H«ionna,rc. anarchisant. me félicitaient,
m - congratulent par les dédicaces qu'ils
u.r,va,ent sur ies livres qu'ils m'offraient.
Je cite ;
qui rne ramène à mes
m nt " antericures- » était là, comme
maintenant _ André Breton »
miraculeusement ren-
Louis Aragon ».
« A Gengenbach. chasseur de la vie —
Philippe Soupault ».
Etc., etc.
Depuis ins, il a coulé de Feau
pont Mirabeau. Les grands amis insépara-
ble du début divisés en staliniens, trotz-
kystes ou anarchistes sont devenus des
frères ennemis. Paul Eluard est mort
Sri»'" f Ct Kt m0rt' Sadoul est m°rt-
Magritte est mort, et d'autres... Avec Ara-
gon, Soupault, Queneau, Max Ernst je
1' SUrvivants du surréalisme de
'' t"' <*"* ePu« la
mort d André Breton, j'ai l'impression que
Pans est devenu une sorte de désert
Tous les farceurs des lettres et les hi's"
tonens de l'Art peuvent s'en donner 'à
cœur joie... Bien que ne le fréquentant
plus, et maigre notre désaccord, j'étais
heureux de le savoir en vie... le lion rugis-
sant qu'était André Breton.
Forces mystérieuses et inconnues de
l'âme, forces magiques de l'homme, puis-
sances féeriques de la femme, André
Breton s'était proposé de les détecter et
de les utiliser pour reconstituer le bloc
androgynal et réintégrer l'Eden perdu.
A-t-il failli à sa mission ?
Pour ma part, je ne suis pas loin de pen-
ser que le surréalisme, à partir du jour ou
André Breton a voulu le politiser, en
écartant systématiquement le sacré, le reli-
gieux, le mystique de son champ d'explo-
ration s'est asphyxié et amputé volontaire-
ment.
Et tous les anathèmes fulminés, toutes les
communications prononcées par le préten-
tieux aréopage d'un groupe qui s'arroge
le droit de représenter le surréalisme inté-
gral n'empêcheront pas que le grand poète
Pierre Reverdy, prédécesseur et initiateur
des surréalistes, soit mort chrétiennement
dans le voisinage de l'Abbaye de Solesnes
et que Robert Desnos, le poète médium
célèbre, livré aux bourreaux des camps de
concentration, ait découvert le Christ
après d'atroces souffrances en Tchécoslo-
vaquie... Et pourtant, dans un des pre-
miers numéros de La Révolution Sur-
réaliste, il se voulait guillotineur de curés.
C'est Antonin Artaud qui avait vu juste
quand il avait rédigé son fameux texte
A la grande nuit.
Gide déjà pratiquait « l'interview
imaginaire ». Posons-nous à nou»-
iiiême quelques question».
Q. —- « Comment définissez-vous un sur-
réalisme idéal ? >
Montant' il'Frneit lit tienyenbafh, posant devant le portrait lie Mimiilorti, la vedette du film de
réitilia'ae «Le* Vampires », par Bornera de Torri-s.
(*• •— Je répondrai ce que j'avais répondu
à_ une interview de Radio-Lyon : « La
récréation poétique du monde, pour que
l'imaginaire puisse devenir réel, la poésie
étant ramenée à ses origines magico-reli-
gieuses et le poète ayant repris conscience
^e sa mission sacrée de mage et de voyant
et de son pouvoir d'agir sur la nature
et les êtres par l'alchimie du verbe et l'in-
cantation magique.
Le merveilleux féerique, considéré comme
élément principal de la Beauté; puisque
Se"l capable de déclencher en l'homme
''attirance du mystère et de combler son
^ésir de dépaysement.
La primauté de l'irrationnel et de l'in-
tuition sur la logique stérilisante; la voie
divinatoire étant opposée à la voie ration-
neile pour accéder à la connaissance par
la vertu magnétique, de l'imagination
créatrice (états seconds, rêves éveillés,
Phénomènes psychiques audio-visuels, télé-
Pathiques, extases mystiques).
L'Amour passion, ramené à la conception
érotico-mystique des troubadours, consi-
déré comme seul moyen de réintégrer
l'état paradisiaque de l'Eden perdu.
'e's sont les éléments fondamentaux du
surréalisme intégral, tel que l'avait conçu
'e grand Saint-Pol-Roux dans son manoir
de Coecilian: tel qu'il était à son aurore,
aux temps héroïques de^ l'après-guerre
1914-18; tel qu'il aurait dû se maintenir
si André Breton n'avait stupidement enga-
gé son groupe dans l'aventure politique du
marxisme et du communisme. A partir
du jour où André Breton a mis le plus
grand mouvement poétique du siècle au
service de la barbarie crétinisante et san-
guinaire de l'idéologie slavo-mongole, je
me suis désolidarisé de ce groupe, après
le suicide de René Crevel. Mais je ne me
suis jamais désolidarisé du surréalisme
intégral initial, tel que je l'ai défini plus
haut", et dont André Breton, d'ailleurs, n'a
inventé ni le nom ni la chose. Avant lui,
je le répète, il y a eu Sainî-Pol-Roux, le
Mage, qui entendait pratiquer l'Alchimie
du verbe, préconisée par Rimbaud. »
Q _ Depuis 1952, depuis la publication
de votre dernier livre, Adieu à Satan.
Lettre ouverte à André Breton, vous avez
disparu de la scène littéraire parisienne
pour vivre en ermite dans un petit village
de la Montagne Noire... Personne n'a
compris cette disparition...
R. — C'est pour pratiquer cette opération
magique de l'Alchimie du verbe que je me
suis retiré dans la solitude érémitique de
mon nid d'aigle de la Montagne Noire,
loin de la jungle parisienne où paradent
les perroquets littéraires, où s'exhibent les
paons et les faisanes du théâtre, de l'écran
et de la radio; loin surtout des cités
provinciales si propices aux cancans de
bistrots, aux commérages de sacristie et
à toutes les querelles des culs-bénits et
politicards des Clochemerle français, avec
ou sans remparts.
En me retirant à La Tourette-Cabardès, je
n'ai fait que mettre en pratique les conseils
d'André Breton concernant la nécessité de
la contemplation solitaire. Je suis d'accord
avec lui quand il écrit « que pour être
conductrice d'électricité mentale, il faut,
avant tout, que la pensée poétique se
charge en milieu isolé, et que sur le plan
de l'enrichissement de la pensée poétique,
rien ne vaut le contact avec la nature,
suivi d'un repliement aussi long qu'on
voudra sur soi-même ».
Q. — Certaines personnes qui se pré-
tendent être « dans le secret des dieux »,
vous prêtent une activité occulte mysté-
rieuse, de pontife d'une secte néo-cathare.
Vous seriez, dans la clandestinité, l'ani-
mateur d'un cercle ésotérique rappelant
celui des Fidèles d'Amour au temps de
l'Inquisition, et où l'on remettrait en hon-
neur les pratiques de magie amoureuse se
réclamant de la gnose érotico-mystique
des Troubadours.
R. — II est certain que je me suis pas-
sionné pour la cause d'une renaissance
de l'Occitanie, à la fois sur le plan hété-
tique et erotique... Tout cela était annoncé
à la fin de mon avant dernier livre,
L'expérience démoniaque, au chapitre inti-
tulé La messe d'or,
37
autoportrait
i
La revue « Tel Quel » représente, pour la littérature d'aujour
d'hui — encore qu'elle récuse absolument le mot littérature
— un laboratoire de recherche révolutionnaire, accessible à peu
de lecteurs. Philippe Sollers, directeur de cette revue, de la col-
lection qui porte son nom, vient de publier aux Editions du
Seuil deux ouvrages : un roman, « Nombres » et un recueil de
textes critiques et théoriques : « Logiques ». Il s'explique ici
de sa volonté de destruction de la littérature, e't de son entre-
prise personnelle d'écriture.
Les surréalistes demandaient aux
écrivain» «le 1925, pourquoi écrivez-
vous '{ Que répondriez-vous à cette
question ?
On le sait mieux depuis le surréalisme :
il ne s'agit plus de s'adresser aux
f écrivains », récriture, dans son projet
radical, est sans pourquoi. Ce qui ne veut
pas dire du tout qu'on écrit « pour rien ».
Simplement, la forme de la question est
privée de sens : l'écriture n'a rien à ser-
vir, aucun mot il auquel on puisse >a
subordonner, sans quoi elle ne serait plus
celte nouvelle écriture absolument diffé-
rente de la simple écriture sur papier
qu'il faut maintenant élaborer sur des
bases expérimentales et théoriques éprou-
vées. Elle serait lu réédition fastidieuse
(verbeuse) d'une parole écrite qui n'a pa*>
cessé de justifier l'idéalisme de notre cul-
ture. Ce qui ne veut pas dire qu'on écrit
« pour écrire ». Le pour, ici, est entière-
ment dissous. Si je vous répondais, par
exemple : « J'écris pour changer 1e
monde », « pour changer la vie », « pour
faire la révolution » (ce qui, dans le lan-
gage d'une certaine mise en scène senti-
mentale serait en effet possible), je sup-
primerais du même coup, par le côte
naïvement ••< déjà dit » de ces formula-
tions, la réalité de cette nouvelle écriture.
son irréductibilité, la complexité des pro-
blèmes que posent sa définition, ses appli-
cations.
La revue et lu collection Tel Quel
ne sont |>as destinées à un grand
public. Pour qui écrivez-vous ?
Même question que précédemment. L'écri-
ture, dans son opération fondamentale, est
aussi bien sans pour qui que sans pour-
quoi. L'intérêt de ce genre de déclaration
est de démasquer immédiatement la mys-
tification humaniste qui croit aussitôt
qu'on se réfugie dans « l'écriture pour
l'écriture ». Rien n'effraye plus les
bavards que le silence, le silence est leur
ennemi. Mais si je veux vous « dire » ce
qu'est récriture dont je « parle », il faut
introduire en effet un .SILENCE. Ce qui,
évidemment signifie que tout ce qui se
passe en un certain lieu s'adresse non pas
à un grand ou à un petit public mais
simultanément à tous et à personne. Ce
n'est que dans un second temps — et par
suite d'une situation sociale précise avec
laquelle il est d'ailleurs nécessaire de com-
poser jour après jour — qu'un petit nom-
bre (lequel n'a rien à voir avec un public)
s'intéresse à ce que tente Tel Quel. Notre
travail est alors de rendre cette minorité
agissante.
Vous publiez Nombres, sous-titré
Roman, A quoi correspond pour
vous le concept de roman ?
Le roman a été, avec la rhétorique, la
forme symbolique de l'extension de la
bourgeoisie. De là l'importance de tout ce
qui en conteste et en subvertit le code
38
(représentation, chronologie, « histoire »,
etc.), Le roman, jusqu'à la coupure de la
fin du xix" siècle s'est développé comme
une pseudo-écriture destinée à consolider
la pellicule de représentation orale du réel,
spn appropriation nominative et spécula-
{ive, Le naturalisme et le psychologisme
romanesques sont ainsi devenus je pro-
gramme inconscient de la société bour-
geoise : elle se parle à elle-même à travers
cette détermination qui contraint chaque
individu à se vivre comme personnage sur
fond de narration constante. Une syntaxe
limitée y pourvoie. A travers elle, une
certaine économie se laisse déchiffrer, une
certaine idéologie close.
H s'agit d'ébranler systématiquement cette
construction et les rapports qu'elle sup-
pose entre langage et réel. Syxlématique-
tnent ; en effet, des perturbations pure-
ment formelles ne feraient, que consolider
'e système sans le remanier ses
fondements. En ce sens, un pur forma-
lisme se croyant « nouveau » reste com-
P'ice des vieilleries habituelles (d'où le
coté souvent réactionnaire des avant-gar-
des). Le roman doit devenir une écriture
dynamique de la pensée, la forme tou-
jours relancée de son récit antérieur aux
images de sensations ou de choses.
Nombres risque l'approche de cette écri-
ture impersonnelle, non spectaculaire, non
affective, non esthétique, non parlante,
non poétique, non figée. C'est avant tout
un parcours de cette écriture de la pensée
avant qu'elle devienne de la pensée mon-
nayée.
g publiez un recueil d'articles,
logiques. Quelle est pour vous la
fonction de la critique littéraire ?
" ne s'agit pas de « critique littéraire »,
et Logiques n'est pas un « recueil d'arti-
cles ». Ce n'est pas un répertoire culturel,
un essai, un objet, de savoir. Au contraire,
la théorie de l'écriture à l'œuvre dans les
textes publiés ici est, dans sa perspective,
radicalement destructrice. Il me paraît
Miportant de réactiver, de redoubler, de
recrire un certain nombre de textes dont
la particularité est d'être « inenseigna-
bles ». Une pratique spécifique (Drame,
Nombres) s'énonce comme théorie
(Logiques), II n'est pas question, finale-
ment, de littérature.
Quelle différence faites-vous entre
'a littérature, que vous estimez
Périmée, et l'écriture ? Quelle défi-
"îtion pourrait-on donner île l'écri-
ture telle que vous l'entendez ?
La littérature est la forme verbale de la
^présentation. En ce sens, tous les énon-
cés, même les moins esthétiques, sont
* littéraires ». On peut considérer comme
e'ant littéraires aussi bien un texte poli-
tique qu'un récit de rêve, un article de
Journal ou un sermon religieux, un dis-
cours philosophique ou un compte rendu
scientifique. La littérature proprement
^'te fait partie de ce champ idéologique
et joue par rapport à lui un rôle de
miroir, de révélateur. D'où son importance
comme symptôme à l'intérieur d'une
science nouvelle qui, clans un premier
temps, pourra être une science des idéolo-
gies.
Cette science des idéologies (au sens
marxiste) doit être fondée à partir d'une
conception entièrement bouleversée de
l'écriture. Pourquoi ? Parce que, comme
l'a admirablement démontré Derrida,
toute notre culture est prise dans une pen-
sée métaphysique des rapports écriture/
parole qui fait que l'accent, depuis tou-
jours, a été mis sur la parole et sur l'écri-
ture comme représentation de la parole.
Ce que montre Derrida, c'est que l'écri-
ture est, dans notre civilisation, l'objet
d'une exclusion spécifique dont nous
devons essayer de penser, difficilement, les
raisons. Il ne s'agit donc pas, comme le
croient ou feignent de le croire les huma-
nistes, de valoriser l'écriture au sens de
quelque chose qui serait effectivement
« écrit, ». Par écriture, on signifie ce qui
prédétermine (dans ses effets de trace,
d'espacement, de scansion, de croisement,
d'étagement et de déploiement) tout texte,
le texte dont le texte « écrit » n'est qu'une
partie. L'écriture surdétermine tout énoncé
fragmentaire. Une définition ? Lisez plu-
tôt cette phrase de Kafka : « J'écris autre-
ment que je ne parle, je parle autrement
que je ne pense, je pense autrement que
je ne devrais penser, et ainsi de suite
jusqu'au plus profond de l'obscurité. »
Artaud, Bataille, Lautréamont, Mal-
larmé, ' Sade, Dante, sont les écri-
vains sur lesquels vous appuyez
votre théorie de la littérature.
Qu'ont-il§ pour vous en commun ?
De ne pas être, précisément, des « écri-
vains ». D'avoir, précisément, et à des
moments historiques très différents, vécu
et inscrit de façon différente la forme
d'une coupure dont la problématique,
désormais, devrait être au centre de notre
pensée. Aucun des textes de la liste de
noms que vous venez de rappeler ne peut
être ramené à ce que nous entendons par
« œuvre », par « littérature ». C'est là l'im-
portant II s'agit d'étudier du plus près
possible — et en se tenant dans le mouve-
ment de l'expérience irréductible qui est
ici en cause — le procès de ces coupures,
de ces sauts qui constituent ce que j'ap-
pelle « l'histoire textuelle » : une histoire
ayant son autonomie relative, ses lois, ses
glissements, son espace et sa temporalité.
Il me semble que notre pensée doit sans
relâche interroger ces textes dans leur
complexité (dans leur geste d'écriture plus
que dans leurs « significations »). Une his-
toire sans histoire textuelle serait un fan-
tôme d'histoire, un mythe théologique.
Quelle est votre position par rapport
à Sartre ?
Autant l'attitude éthique ou politique de
Sartre est respectable, autant son appré-
hension des textes est, dans l'ensemble,
traditionnelle et fautive. Voyez, par exem-
ple ce qu'il écrit de Mallarmé. On ne sort
pas d'un scénario psychologiste qui man-
que littéralement le texte pour lui substi-
tuer la subjectivité de sa production. Sar-
tre méconnaît réellement la théorie imma-
nente à l'écriture, son type de producti-
vité spécifique, et cela à cause d'une théo-
rie du langage qui reste classique et ins-
trumentale. C'est toujours d'un personnage
de roman qu'il nous parle à travers les
textes, ce personnage s'identifiant en défi-
nitive avec l'« auteur ».
Quelle est votre position par rap-
port au Nouveau Roman ?
Le « nouveau roman » a été et reste une
crise mineure à l'intérieur de la repré-
sentation romanesque. En fait, il reste
presqu'entièrement, dépendant, par son
idéologie, du naturalisme et du psycholo-
gisme existentiel. Ce n'est pas parce qu'un
réaménagement formel intervient que
l'idéologie est forcément modifiée. C'est
presque toujours le même manège visant
à être plus ou moins fidèle à un soi-disant
réel, à une « sensation » originelle, à un
courant de conscience répétitif, à une
parole plus ou moins absurde. On ne sort
pas du mécanisme bloqué d'un rapport au
langage comme expression.
Comment définiriez-vous votre
concept de révolution ?
11 s'agit simplement pour nous, à la place
et dans le travail qui est le nôtre, d'élabo-
rer le corollaire indispensable du concept
de révolution sociale (c'est-à-dire, bien
entendu, marxiste). Ce corollaire porte sur
la nécessité de mettre à jour l'économie
du travail signifiant, l'économie symboli-
que, dont la société bourgeoise est inca-
pable de comprendre les modalités et la
fonction,
Quels écrivains vous semblent
aujourd'hui importants ?
Je le répète avec force : les « écrivains »
ne m'intéressent pas, et encore moins les
« grands écrivains ». Ce mot (écrivain) est
désormais entaché d'une vulgarité insou-
tenable.
Quelles sont, selon vous, les pers-
pectives présentes et futures de la
littérature ?
C'est comme si vous me demandiez ce
que va devenir la psychologie après la
découverte freudienne. La réponse est
simple : la littérature a déjà disparu, tout
simplement. Ce qui ne veut pas dire
qu'elle ne va pas se « perpétuer » (c'est
une question de commerce). Mais déjà, de
manière irréversible, un autre terrain se
dégage, un mouvement se poursuit,
amorcé depuis plus d'un siècle : l'écriture
constitue sa science, une science encore
ignorée, contestée mais qui ne cesse de
préciser ses nioyens, son action.
39
histoire littéraire
DES MOIISOUETAIRES
par Jean Monta.] bot ti
En novembre 1867 naissait Léon Daudet.
r, j d*lPhonse> épisode d'une dynastie littéraire,
Léon Daudet, éditorialiste aujourd'hui oublié de l'« Action Française »,
„ ,,. fut aussi un grand critique littéraire.
Grasset publie un choix de ses textes critiques, établi par Kléber Haedens.
Qui était vraiment Léon Daudet ?
L'année Claudel a anticipé sur le calen-
drier, Charles Baudelaire attend depuis
un an qu'un hommage soit rendu à son
premier siècle. Le centenaire de Léon
Daudet est passé inaperçu en novembre
1967 et c'est seulement à présent que
paraissent ses Souvenirs Littéraires (1),
choix de textes opéré par Kléber Hae-
dens parmi les nombreux volumes de
chroniques que Léon Daudet écrivit entre
1930 et 1942.
Sans doute aujourd'hui les passions de
l'homme politique ont-elles quelque peu
nui à la gloire de l'homme de lettres. La
fureur antidreyfusarde du nationaliste
intégral nous paraît une faute aux trop
lourdes conséquences, lorsque l'erreur du
jugement politique est entachée, comme
ce fut le cas, d'un antisémitisme idéolo-
gique aveuglément soumis aux doctrines
d'Edouard Drumont. L'impossible situa-
tion d'un clérical coupé de l'Eglise, après
la condamnation par le Pape Pie XI de
l'Action Française, et d'un royaliste renié
par le prétendant de la Maison de France,
après que le jeune Comte de Paris, au
nom de son père le Duc de Guise, ait
mis en accusation l'Ecole Maurrassienne
et son action politique, ont fait de Léon
Daudet, avant même que l'Action Fran-
çaise ne devienne la caution doctrinale
du régime de Vichy, l'une des têtes de
proue de la vieille droite militante fran-
çaise qui a sombré avec la dernière
guerre, même s'il eut la chance de
mourir assez tôt pour ne pas connaître
la débâcle des tribunaux d'exception à
la Libération. Editorialiste écumant du
quotidien l'Action Française, fondé avec
Maurras dès 1908, sa vie fut vécue au
rythme essouflant des réquisitoires contre
les corruptions politiques de la III* Répu-
blique qui survécut pourtant à ces scan-
dales, pour n'échouer (mais comment !)
que devant la montée du fascisme en
Europe, dont les germanophobes Charles
Maurras et Léon Daudet, les yeux per-
40
pétuellement fixés sur la ligne bleue des
Vosges, avaient depuis longtemps dénoncé
la menace.
Mais dans les Souvenirs que publie
Kléber Haedens on a escamoté volontai-
rement tous les épisodes de la carrière
politique de Léon Daudet.
Car dans les orages du Pouvoir et de sa
contestation, une fois l'ultime rempart de
la monarchie battu en brèches, mais
définitivement rasé, comme les derniers
vestiges des fortifications de Paris, notre
siècle a abusivement enterré de grandes
individualités sous ces décombres, pour
mieux se rassurer en se persuadant que
leurs grandes voix s'étaient à jamais
etemtes. C est ainsi que l'on avait oublié
que Léon Daudet fut à la fois l'un des
Et d'abord il faut dire l'admiration et l'af-
fection attentive que Léon Daudet éprouva
toute sa vie pour son père Alphonse Dau-
det. Il admirait la perfection classique et
l'intuition poétique de l'écrivain, la bien-
veillance naturelle et la sollicitude de
l'ami, l'acuité et la pertinence du juge
qui ne confondit jamais les faiseurs et
les grands talents. Chez son père, qui
recevait le jeudi, il rencontra tous les
écrivains de l'époque : Zola, Maupassant,
Courtcline, Oscar Wilde, Meredith, Mon-
tesquieu, Edmond de Goncourt, François
Coppée et aussi les grands républicains
qu'admirait Alphonse Daudet : Gambetta,
Clemenceau, Rochefort. « Mon père,
écrit-il, anime tout, projette autour de lui
sa bonne humeur, sa vision gaie et ampli-
fiante des choses et des gens ». Lié avec
Georges Hugo, le petit-fils du poète, Léon
Daudet approcha le vénérable vieillard
couvert de gloire dans ses dernières an-
nées avant qu'il n'épousât en premières
noces sa propre petite-fille. Il fut conduit
par ses parents aux pieds du vieux maître,
dans l'hôtel de l'avenue d'Eylau et rap
porta ainsi sa visite : « Je considérai
avec une véritable émotion cet oracle trapu
aux yeux bleus, à la barbe blanche. Il
articula distinctement ces mots : « La
terre m'appelle »; il ajouta en me mettant
sur le front une main douce et belle, ornée
d'une bague que je vois encore et qui
me rappela la Confirmation : « II faut bien
travailler et aimer tous ceux qui travail-
lent ». Il y avait dans son attitude une
noblesse assez, émouvante, jointe à quel-
que chose de burlesque, que j'ai retrouve
depuis à travers son œuvre et qui tenait
peut-être à la trop haute idée qu'il avait de
premiers ^écrivains de son temps et l'un son rôle ici-bas*. Chez Victor Hugo il
témoins privilégiés de deux siècles de
littérature, je veux dire le xix* et le xx"
dans ce qu'il a compté de plus grand, de
Victor Hugo à Claudel, de Gustave Flau-
bert à Marcel Proust, d'Emile Zola à
Louis-Ferdinand Céline.
déteste le républicanisme d'Epinal — de
même que « les dithyrambes imbéciles et
les clichés burgravesques ». Il donnerait
à bon marché tout son théâtre, mais il
s'attendrit devant l'image des deux amants
prolongés que forme le couple uni du
Poète et de Juliette Drouet, « Ils se déta-
chent en couleurs shakespeariennes sur le
fond du stupide xix* siècle ». A ces yeux
le héros n'est pas celui de La bouche
d'ombre, mais celui des Contemplations
V11 affronte avec grandeur ses deuils
"rtirnes ou le vieillard familier et fantai-
siste, dont la verve comique évoque irré-
sistiblement le meilleur Rabelais. Aussi
»ictor Hugo trouve-t-il grâce chez cet
aPprenti médecin, élève de Charcot, et
auteur du pamphlet Les Morticoles, qui
lardera toute sa vie le goût de la vivisec-
tion, II n'en est pas de même de Zola,
«ont l'indigné « J'accuve » (comme lui
jaisait dire son défaut de prononciation)
lui paraît dérisoire et mystificateur, « Zola
était gras, content, dilaté, bon homme,
affichant les chiffres de ses tirages avec
Une ^magnifique impudeur. En le voyant
°n était frappé par son front comme une
tour et son nez de chien de chasse, légère-
ment bifide, qu'il tripotait sans trêve de
s°n petit doigt boudiné. Il zézayait en
Parlant, disait « veuneffe » pour « jeu-
nesse », « fest une fove fingulière » et
semait son discours de « hein, mon ami ?
"ein mon bon ? » qui exigeaient l'assenti-
ment de son interlocuteur », Lorsque Dau-
det se rendit à Croisse! en 1885, il pénétra
«ans le sanctuaire de Flaubert, mort quel-
Sues années auparavant, pour y découvrir
'*_ fameux « gueuloir » : « Une horrible
trtttesse, raconte-t-il, vieille de cinquante
ans voltigeait, ainsi qu'une cendre funé-
raire... une tristesse tenant moins à la dis-
Parition et à la mort qu'au temps perdu,
Su aux doctrines fausses, qu'aux erreurs
j'ancies », II croit, y voir le fantôme de
'écrivain laborieux, raturant, piochant,
sarclant ses manuscrits et conclut que
Flaubert fut l'Ecole du renfermé ; « Je
11 ai ressenti impression aussi funèbre que
chez Rousseau, aux Charmettes, où flotte
encore l'odeur mêlée de la phraséologie
anarehique et du vice ». Après l'exécution
du maître, c'est le tour du disciple, Guy
ue Maupassant, en qui il voyait se super-
poser trois personnages : un bon écrivain,
un imbécile et un grand malade. Il avoue
avoir été alors surtout frappé par l'imbé-
Clje, à cause de sa fatuité. « Maupassant
réagissait par ses biceps et par ses anec-
dotes galantes, à double figuration de
bonnes et de dames du monde ». Et le
jeune homme le voit en clinicien sombrer
sans étonnement dans une vie à étapes de
plus en plus noires. Léon Daudet connaît
le monde de Maupassant, côté salon du
moins. Lui aussi collabora au Gaulois,
« le journal des poires conservatrices et
libérales les plus juteuses de Paris et de
la Province » que dirige Arthur Meyer,
le Walter de Bel Ami qui a « deux vices
chevillés à l'âme : la peur et le besoin de
livrer ». En face de ces deux « gâcheurs
de plâtre », il préfère le sculpteur Edmont
de Concourt. On le dit froid, il le décrit
méfiant envers la muflerie et lui préférant
la canaille. « Ce qui le hérissait en tout,
c'était le fade, le convenu, le juste milieu,
l'âne assis, béat et méprisant, dans la mare
de la médiocrité stagnante ». Voilà un
tempérament auquel il se sentait accordé.
Aussi est-il à l'unisson lorsqu'il siège dès
sa création à l'Académie Concourt aux
côtés de J.K. Huysmans. Qu'on ne le croie
pas sectaire pour autant. L'un des mérites
qu'il reconnaît à la nouvelle institution est
de « maintenir en contact des hommes
d'opinions et de convictions différentes
que tout séparait et que réunit l'amour
des lettres françaises ». Comment vote ce
partisan ? « Les tendances politiques des
lauréats ne déterminent pas mes préfé-
rences artistiques et littéraires » stipule-t-il
en affirmant : « Nous n'avons qu'un parti
pris : celui du talent, quel qu'il soit, sous
quelque forme qu'il se manifeste ».
C'est ainsi qu'au lendemain de la guerre,
en novembre 1919, il fait triompher au
Concourt A l'ombre des jeunes filles en
fleurs de Marcel Proust, contre Les croix
de bois de Roland Dorgelès. C'est son
frère Lucien qui lui a fait connaître « ce
météore souffreteux qui n'en laissait pas
moins une traînée de lumière et je crois
de bonne foi notre Proust, par excès d'ac-
tivité intellectuelle, phosphorescent ». Plus
tard c'est à lui que devront leur prix
des écrivains comme Claude Farrère ou
Louis-Ferdinand Céline, dont Le voyage
au bout de la nuit suscite pourtant une
levée de boucliers dans la bourgeoisie
française. Léon Daudet se fit aussi l'ar-
dent défenseur d'André Gide, l'homme
avec qui il avait si peu en commun. Il
aimait passionnément la poésie de Jean
Cocteau et de Paul Claudel, dont il fut
l'un des premiers à proclamer le génie.
Dans la jeune génération il découvrit
plus proches de lui Georges Bernanos et
Drieu la Rochelle, dont il aimait les tem-
péraments. Son adhésion à Maurras
dépassa le cadre d'une indéfectible amitié;
elle fut une aventure intellectuelle :
« Entre autres choses, pouvait-il écrire
dans Maurras et son temps, il a restauré
ce plaisir de comprendre, de discerner et
de classer, qui faisait, avant Rousseau et
les Encyclopédistes, l'honneur de la pen-
sée française ». Mais outre qu'il aime le
séduisant ingénieur d'un nouveau discours
de la Méthode, il adhère avec Maurras à
une sensibilité musicale : « Maurras est
d'abord et naturellement poète. Je veux
dire que tout chante en lui à l'état perma-
nent ». C'est le poète qu'il admire le plus
après Villon, Ronsard et Baudelaire, tout
comme il voit en Debussy après Pelléas
et Mélimnde le grand rénovateur de la
musique.
Intransigeant, Léon Daudet l'a été certes
toute sa vie. Il formulait ainsi l'une de ses
maximes qui le dépeint assez bien : « Un
écrivain digne de ce nom, s'il entre a
l'Académie Française ou Concourt, à la
Chambre, ou au Sénat, que ce soit, comme
l'on dit, avec son chapeau, ses convictions,
ses amours et ses haines, sans aucune
espèce de concession, ni de marchan-
dage ». Il ajoutait : « La vie est un état
de lutte et un auteur est vivant dans la
mesure où il combat pour ce qu'il croit
bon, utile, juste et vrai ».
Aujourd'hui, certaines de ses colères
nous paraissent des passes d'armes un
peu désuètes. Il a beaucoup feraillé, par-
fois dans l'aveuglement, toujours dans la
passion de ce qu'il a cru être la bonne
cause. On peut l'en louer ou l'en blâmer,
selon ^ les cas et leurs conséquences. Mais
de l'éclat de son indignation ou de son
enthousiasme ont jailli des œuvres accor-
dées à ce fulgurant tempérament, violent
comme Delacroix, acéré comme Voltaire,
dont l'expression nous paraît étonnement
moderne, même dans ses excès. La réus-
site du chroniqueur est d'avoir gravé dans
l'éphémère du quotidien en une fresque
réaliste de son époque. Un siècle peut-être
stupide, mais avec le gigantisme de ses
mages et la démesure de leur ambition en
tête à tête avec l'Histoire.
(1) Grasset,
* première séance de VAcadt'nue (tunevurt, réunie chez Léon llt-nnique. De gauche, à droite : Lucien Descaues, Geoffroy, Hosny arn
fn*ttque, Léon Daudet, Resny jeune, Elémir Bourges. 2) Léon Daudet (à droite) et Charles Maurras, 3) Alphonse et Léon Daudet.
41
chronique
ET L'EGYPTE
par Georges Heriein
Le monde se dédouble à l'approche du
sociologue. L'histoire se voile quand sur-
git l'historien. Tout savoir est, par la
force de notre arrogance naturelle, un
savoir élargi, c'est-à-dire dévié ou dévoyé.
Dans ce mouvement arbitraire, il existe
une possibilité de compensation : la poé-
sie,
Jacques Berque a le mérite d'être un
homme mal connu. L'historien, le socio-
logue, ne sont en lui que les agents d'une
certaine procédure sans quoi il n'est pas
de communication recevable. Sa démarche
est paradoxale et inimitable. Ce qu'il jette
sur le papier timbré de la vérité scienti-
fique, c'est l'éclat poétique de la vie, l'hu-
meur capricieuse des lieux, la volupté
d'une silhouette féminine entrevue dans
une ruelle sordide. Flaubert a écrit Ma-
dame Bovary pour se délivrer d'une cer-
taine odeur de moisissure qu'il retrouvait
derrière toutes les portes. Jacques Berque
a écrit L'Egypte, son dernier et volumi-
neux ouvrage, pour conserver des par-
fums troubles, l'étrange contact avec
l'édredon d'une réalité spongieuse, le glis-
sement des corps en sueur dans la drogue
d'une sieste éternelle.
Ce journal intimisé, ce jeu d'une sensi-
bilité qui plonge dans les failles de la
vie, ne tiennent, bien entendu, qu'une
place très réduite dans ce qui se présente
comme une somme historique. Il s'agit
de notations fugaces qui, groupées, ne
feraient que quelques pages : elles sont
pourtant la condition d'existence du livre.
Ce sont elles qu'il faut consulter d'abord,
c'est autour d'elles que le reste a été
construit,
La concurrence quasi permanente que l'on
trouve chez Berque entre le thème intel-
lectuel et la flânerie charnelle, lui crée
deux langages : disons plutôt qu'elle agite
d'un mascaret pervers un langage plein de
surprises.
Un peu plus d'un siècle avant lui, Gobi-
neau avait humé l'Egypte, flairé Le Caire.
Sa réaction fut toute de recul, comme
devant un pays épris de ses souillures
42
M e.,le déhut de Trois ans en Asie).
Mais il y a une forme involontaire d'ago-
nie dans la manière qu'a l'Egypte de se
perpétuer et c'est ce que Jacques Berque
a saisi, c'est par là qu'il adhère à son
sujet et l'effeuille avec des précautions
voluptueuses. Il résume cette agonie d'un
mot : « toujours perdante, jamais per-
due ». r
Du percement de l'isthme de Suez au
coup d'Etat militaire du 23 juillet 1952,
Berque, historien-poète, trace l'inventaire
des chances refusées ou négligées, inex-
ploitées en tout cas, par un peuple trop
ancien pour hâter le pas, vivant avec une
égale aisance dans le blasphème et dans
je sacre, assez peu doué en somme pour
les choix d'efficacité que notre époque
considère comme les seuls admissibles,
t-t Ion sent l'auteur s'irriter et s'attendrir
dans le même temps et se poser à lui-
même la question indiscrète : n'est-ce pas
un blasphème de plus que de réduire à
néant un tel capital de promesses ?
Le cas de l'Egypte est, il est vrai, insolite
a plus d'un titre. Ce pays que l'on range
aujourd'hui parmi ceux du Tiers-Monde,
souffre, dans sa conscience intime, de ce
classement qui, pour ]ui> est une dt§_
cneance. Le fondateur de l'Egypte mo-
derne, ^Mehémet Aly, en avait fait un
ttat méditerranéen équipé pour une gran-
de carrière. Vers 1830 ses armées sil-
lonnaient l'Asie mineure, sa flotte de
guerre croisait en Mer Egée et il fallut
que se liguent les puissances d'Europe
pour ramener l'entreprise égyptienne à des
sentiments plus modestes
La_ dynastie de Méhémet Aly qui s'est
éteinte ^ avec le roi Farouk sous des quo-
ibets jacobins trop faciles, a fourni à
itgypte quelques souverains qui étaient
aussi des hommes d'Etat : Ibrahim Pacha,
le Khédive Ismaïl, Abbas II et même, à
certains égards, le roi Fouad, père de
rarouk. On ne peut donc pas dire que
1 Egypte a manqué de têtes compétentes.
On peut d'autant moins le dire qu'en
marge du trône s'est cristallisée, dès 1900,
une caste gouvernementale à qui l'on doit
la bonne qualité des premières structures
administratives du pays. Et que la société
égyptienne a produit une succession d'éli-
tes nationales apparemment capables de
mener à terme une œuvre de longue ha-
leine. Mais c'est ici que l'on observe un
phénomène déconcertant que Jacques Ber-
que a bien compris sans toutefois l'ana-
lyser de manière exhaustive : l'Egypte.
entre deux crises d'intolérance séparées
par un intermède désabusé, a mis son
énergie à croquer ses élites, à les con-
sommer et les répudier. Elite idéaliste de
1910 groupée autour de Moustafa Kamel>
élite de la révolution populaire de 1918-
1920, élite des jeunes industriels de 1940-
1950, elles ont toutes été pulvérisées ;
pis encore, pénalisées, punies, tenues pouf
coupables d'avoir tenté quelque chose,
d'avoir indiqué une voie et de s'y être
avancées. Ainsi l'Egypte s'est-elle engagée
dans le cercle vicieux de la velléité pef"
manente et de l'inachèvement systéma-
tique : elle n'en est pas encore sortie. Et
tous les atouts humains dont elle dispo-
sait pour le succès, sont devenus les
points de repère d'un long itinéraire de
l'échec.
Sans doute l'expérience de rénovation du
Moyen-Orient tout entier a-t-elle été
faussée avant même la fin de la seconde
guerre mondiale. Faussée par le funeste
colonel Lawrence qui a * acheté » la
révolte arabe comme on achète un fonds
de commerce : chaque fois que l'on tar-
dait à arriver aux tribus du désert, leur
vague combat contre les Turcs s'inter-
rompait mystérieusement. Faussée égale-
ment par la rupture, organisée et cultivée
à Londres, entre la Turquie et le monde
arabe. Le projet britannique était clair :
sucer le délicieux pétrole de la région en
neutralisant une petite Turquie réduite
à l'impuissance et un conglomérat d'Ara-
bes en état de simonie. Un écran de mau-
vaises raisons fut alors tendu par la
diplomatie soudain très phénicienne du
Royaume-Uni entre la révolution kéma-
liste et les pays du Moyen-Orient pour
qui elle risquait d'être un pôle d'attrac-
tion. Sans autres liens qu'artificiels avec
la réalité extérieure, la vie politique égyp-
tienne entra dans l'ère de la simulation,
de l'application imitative des gestes de
l'autorité. La Constitution de 1923 a été
calquée sur le modèle belge, tout comme
les constitutions du régime nassérien de-
vaient être, plus tard, découpées sur les
patrons des démocraties populaires. Dans
tout cela, une constante : la crainte de
devoir chercher en soi ce que les autres
ne peuvent vous donner.
Cette tragédie d'une Egypte en quête
d'une intuition véridique et surtout d'une
continuité légitimante dans sa démarche
sans cesse brisée, Jacques Berque la rend
perceptible par mille nuances, mille dé-
tails jamais encore enregistrés ou rappor-
tés, par l'anecdote comme par l'analyse.
Objet de réflexion, son livre est aussi un
instrument de travail irremplaçable. Pour
les Egyptiens eux-mêmes, c'est un acte
de présence.
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43
LES
LIVRES
Les
de l'hiver
Jean-Jacques Brochîer a lu
Les fruits de l'hiver
par Bernard Clavel
Robert La/font
448 p., 19,90 F
II fut un temps où les écrivains français
faisaient leurs délices de ces longs romans
à épisodes qui racontaient une époque,
une famille, un destin. De la Recherche
du temps perdu à la Chronique des
Pasquier, en passant par Les Thibault et
les Hommes de bonne volonté. II y eut
ensuite une décadence : Troyat, Vialar,
jusqu'à Druon, qui justifiait ses séries
par les personnages illustres et l'Histoire,
Et puis de nos jours, on est pressé, et
par une sorte d'accord entre éditeurs,
écrivains et lecteurs, le roman, amaigri,
ne doit pas durer plus de cent cinquante
pages.
C'est dommage. Quelque temps qu'il
faille pour le lire, et pour l'écrire, quelle
que soit la méfiance qu'on éprouve au-
jourd'hui envers l'histoire et la narration,
44
le roman épique en épisodes était sou-
vent bien beau. Fort heureusement, un
écrivain, sans aucune concession à la
vulgarité ou au new lookisme, avec une
rigueur exemplaire, a réinventé le genre
Il.,.s'agit de Bernard Clavel.
Lorsqu'était paru le premier volume de
sa série La grande patience, il avait
obtenu le prix du roman populiste. Mau-
vais point bien sûr au regard des intel-
lectuels, qui n'acceptent le populisme que
su est baptisé roman populaire et que
s il date^au moins de 1880. Ponson du
lerrail, a la rigueur Georges Ohnet, ça
vous a un petit air d'antiquité, de salle
î" T^K-Kf6 boutluina8e. Pour ne pas
dire de bibliophilie. Zola, Maupassant
que la critique met en fait dans le même
%L ï'i! les, P^édents, ont eu le grand
tort detre célèbres et de le rester. Et puis
Zola> ™°n cher, c'est bien vulgaire. Si
aujourdhui on réédite, on relit Zola et
Maupassant plus que Madame de La
Fayette, cest que k public a toujours
Bernard Clavel parlait, en 1962, de cho-
ses simples de gem simples> 'et a en
parlait simplement. II racontait l'appren-
tissage d un jeune garçon chez un pâtis-
sier de Lons-le-Saunier, des rêveries
d adolescent, une vie de bagne; en somme
une littérature du quotidien qui se vou-
ait témoignage, qui déroulait une his-
toire exemplaire, qui avait prise sur le
tTsme rn—Mt de qualités 1ue l'«fcé-
tome littéraire prend pour des défauts:
raconter une histoire, faire sans
une description sociologique, écrire de la
littérature engagée
Bernard Clavel en'est maintenant au qua-
If Ct *rnier wlume de sa Grande
patience. Dans Les fruits de l'hiver, qui
e passe entre 42 et, 47 à Lons-le-Saunier,
» a choisi comme personnages principaux
non pas des résistants ^ deg col|abora^
teurs, qui prêteraient à la littérature
heroique> mais deux vieillards qui voient
s achever leur vie à une époque qui nie
toutes les valeurs sur lesquelles ils avaient
vécu Valeurs fausses sans doute — cel-
ÏÏU r Iepar8«e. de l'amassement, du
"T'ta'1Sme Petit-bourgeoiS, des écono-
mes quon fait toute sa vie pour jouir
de quelques rentes après sa retraite -
les ïeJrf n" T "d même< « 1™ étaient
n,™ ,? fasc»nation aussi du travail
permanent, dont finalement ils ne peu-
vent se passer, sous peine de ne plus
concevoir de justification morale à feu
ST- if ? œtte i™^«ton. q '"'
quele vaille, ,ls ont un besoin vital
Tirailles entre deux fils, l'un épicier col-
ésis anf",' 7" Peinlre Ct vaguement
résistant, les deux vieux essaient de sur-
vivre en conciliant les inconciliables ' I a
sympathie de Clavel va assurément à ce
jeune peintre, le même que nous avions
vu en apprentissage au premier volume
mais le principe de son livre veut qu'il
ne reste qu'un personnage secondaire
L'anecdote est donc simple, mais l'anec-
dote ici n'est pas un prétexte. C'est elle
qui fait l'histoire et les Fruits de l'hiver
est finalement un roman historique. Ecrit
donc sans effet, sans rhétorique, comme
ce qui se passe, avec une modestie du
style qui fait penser parfois à certains
poèmes-prose d'Aragon.
On peut assurer que ce roman, bien
qu'une telle recherche eût été passion-
nante, ne sera pas victime de la critique
structurale. Mais est-ce bien nécessaire ?
Il y a une littérature de recherche, et une
littérature pour lire. Bernard Clavel fait
partie assurément de la seconde, encore
qu'à y regarder de plus près on pourrait
bien s'apercevoir qu'il participe aussi àe
la première.
Je suis persuadé, pour ma part, que le
public n'a pas toujours tort. Même s'il
n'a pas toujours raison. 11 suffirait de
creuser un peu la notion de littérature
populiste pour s'apercevoir qu'elle a
donné beaucoup d'œuvres fortes, utiles»
nécessaires. Je crois que l'œuvre de Ber-
nard Clavel mérite ces trois qualificatifs.
Jean-Didier Wolfromm a lu
M.l'.l .1 11»-»-
Le réquisitoire
de la Seine
Le réquisitoire
par Maurice Toesca
Albin Michel
223 p., 14 F
L'inconnue de la Seine
par Jacques Brenner
Albin Michel
255 p., 14 F
Nancy est-il le lieu géométrique de l'ins-
piration provinciale chez les écrivains che-
vronnés d'Albin-Michel ? Deux romans
parus à quelques mois d'intervalle tendent
à le faire croire : MM. Jacques Brenner et
Maurice Toesca ont choisi cette ville
comme case de départ de leurs intrigues
mais ce n'est pas le seul point commun
entre ces deux livres ; outre leur éditeur,
la personnalité, l'âge et le sujet des romans
les réunit. MM. Brenner et Toesca sont
tous deux des vieux de la vieille de l'édi-
tion : l'un en est à son dixième roman,
l'autre à son cinquième, ils appartiennent
à cette génération d'excellents artisans du
récit — dit classique — qui a l'audace
d'avoir un début, un déroulement et une
fin intelligibles, génération dont la relève
ne semble pas encore assurée. On était en
droit d'attendre de ces hommes mûrs, de
ces écrivains doués, un excellent roman
Vi marquât le milieu de leur vie et de
leur œuvre : roman bilan, roman talent,
roman réussi enfin, machine à rêver dou-
cement entre les lignes qui redonnerait
un peu confiance en la littérature psycho-
logique (peut-être la seule).
Hélas ! (Quelles armes ils fournissent à
l'insolent Sollers !) ce sont des récits anté-
diluviens, j'oserai dire d'A.H.B. (Avant
Honoré de Balzac !), qui sont proposés à
notre appétit.
M. Toesca avec Le réquisitoire nous
donne un drame de la rupture entre un
procureur de la République et sa femme.
Au départ, il y a la vie de province,
stniosphère dont on me permettra de pen-
ser qu'elle est légèrement éventée. L'enfer
du silence et des habitudes, de la ran-
cœur et de la rancune. La bourgeoise sans
fard telle qu'elle est (telle qu'elle survit
en tous cas dans l'esprit des romanciers).
Un beau jour, prise d'une crise de bova-
rysme à cause d'une phrase méchante
glissée par une fausse amie, la dame s'en
Va pendant que son mari fait benoîtement
'a sieste. Elle ne reviendra plus. A l'aide
de divers procédés : enquête judiciaire,
lettres, confessions du criminel, l'auteur
retrace le chemin que fait le mari pour
retrouver sa femme et la tuer au bout
de deux ans, après avoir abandonné son
métier, sa ville, et même sa vie, clochard
de l'amour guettant des heures sur un
banc que sa femme dont il n'a pas
l'adresse veuille bien apparaître dans
Nancy puis à Paris. Passons sur les invrai-
semblances. Par l'amour, tout est possible
(sauf qu'on ne sait pas s'il l'aime ou
s'il a été vexé). Ce genre de récit qui en
•"appelle bien d'autres (Mauriac, Monther-
'ant, Morand, tout le monde) doit pour
* passer » être très bien écrit — il l'est,
niais ça ne suffit pas —, très mordant
mais ce n'est point encore assez, en tout
cas être absolument original et fort dans
ses descriptions psychologiques.
Au début, j'ai cru que M. Toesca allait
traiter le beau thème de la fausse amie,
*' n'est qu'esquissé ; ensuite on croit qu'on
va comprendre le « pourquoi * profond
du départ de la dame, ce n'est pas
encore ça ; on espère que le réquisitoire
ecrit par le procureur dans sa prison éclai-
rera tout : il embrouille. Le livre terminé,
°n reste sur sa faim, on se réveille mal
et on pardonne difficilement à un écri-
vain de la qualité de M. Toesca ce qui
°ous eut enchanté chez un débutant.
Et Dieu sait si il en a du métier, M.
Toesca ! Tout est habile, finaud, matois,
toutes les techniques du clair obscur et
Ju pointillisme lui sont familières mais à
®tre trop malin on perd peut-être la foi...
'a joie du récit. Dans la belle épure qu'est
^e Réquisitoire, il n'y a pas place pour le
lecteur. C'est un rappel de tout ce que
M- Toesca sait de l'art d'écrire, une fête
en circuit fermé à laquelle il oublie sim-
plement de vous inviter et comme il a du
.aient, comme, somme toute, son intrigue
|ntrigue, que les portraits sont justes, on
lui en veut.
*~ est de Nancy que part l'héroïne de
M. Jacques Brenoer pour monter à Paris
dans L'inconnue de la Seine.
Encore une enquête et des témoignages et
des aveux, et des pourquoi et des com-
ment ; l'artillerie lourde du roman poli-
cier déclenchée par un écrivain doué au
service d'une intrigue un peu ténue. Là,
par contre, nous sommes invités mais il
n'y a rien à manger... Pourtant, l'idée était
séduisante, la. jeune héroïne aussi d'ail-
leurs puisque un quinquagénaire s'en
amourache et sans lui demander autre
chose que ce qu'on imagine, la fait habi-
ter et l'entretient chez lui Quai Voltaire.
Il lui laisse une totale liberté qu'elle
emploie à coucher systématiquement avec
ses anciens amants et de nouveaux, des
étudiants, des employés, des cadres..., à
coucher sans aimer. M. Brenner a réussi là
un excellent portrait de jeune animal
ravissant et très actuel... Elle seule nous
charme et, sa mort inexplicable au bord de
la Seine, étranglée — par qui ? — nous
attriste. Malheureusement, elle est morte
et la justice doit suivre son cours comme
on dit... Elle va prendre du temps.
M. Brenner se doute-t-il réellement de ce
qu'est une enquête judiciaire ou plus sim-
plement a-t-il jamais lu son confrère
Simenon ? Je prétends que dans son
roman il n'y a rien de plus et beaucoup
de choses en moins que dans les Maigret.
Mêmes interminables interrogatoires,
concierges, voisins, amis et en contrepoint
le portrait de l'amant quinquagénaire, qui
ayant des absences epileptiques se deman-
de si ce n'est pas lui l'assassin... On y
croit cinquante, cent pages peut-être et on
attend la suite elle ne vient pas... Rien
n'avance, roman statique aux événements
en creux, psychologîes éparses et diluées.
M, Brenner dont on se rappelle l'excel-
lent Trois jeunes tambours a raté son
coup... ou plutôt il a fait long feu,
Si je suis si sévère avec ces deux bons
romanciers c'est que manquant leurs
livres — de peu d'ailleurs — ils manquent
à leur rôle d'éveilleur, ils donnent raison
à ceux qui croient en la mort du roman...
Car c'est le roman qu'on enterre à coup
de province — comme si Balzac... — à
coup d'états d'âme — comme si Proust...
— à coup de confessions — comme si
Mauriac... Qui dira enfin le xx* siè-
cle, la province qui s'éveille et démarre à
la poursuite de Paris, les problèmes
sociaux, industriels, une région, les drames
du H.L.M. et des transports en commun,
la gauche, la droite, le pouvoir, le gaul-
lisme, 1968 enfin ?... On n'habite plus
Quai Voltaire, On ne passe plus son temps
à le perdre comme le procureur du
Réquisitoire cherche sa femme pendant
deux ans ! Les policiers n'interrogent plus
les concierges bavardes. Tout bouge ! Tout
vibre ! Tout éclate sauf le roman fran-
çais, stagnant dans son passé glorieux,
traînant derrière lui un interminable
xix" siècle, saigné par Troyat et Bazin, le
roman français agonise parce que les
romanciers classiques n'épousent pas leur
siècle et c'est quand même paradoxal que
l'ouvrage qui donne la meilleure image
de la France en 1968 soit écrit par un
LE MONDE
SANS FRONTIERES
Une nouvelle
Trois titres parus
COMMUNE
EN FRANCE
La métamorphose de Plodémet
par EDGAR MORIN
" La mutation de la société fran-
çaise est le sujet à la mode. Le
nouveau livre d'Edgar Morin en
donne une illustration passion-
nante, presque fascinante".
Alain Duhamel (Le Monde)
LES JUIFS
EN U.R.S.S.
par BEN AMI
" Un reportage à beaucoup
d'égards excellent, qui fourmille
littéralement d'anecdotes vé-
cues et d'histoires savoureu-
ses ".
P. Vidal-Naquet
(Le Nouvel Observateur)
LES PIEGES
DELA
PUISSANCE
Les Américains,
au Viet Nam et ailleurs
par THÉODORE DRAPER
"Thèse intéressante à retenir:
le piège de la puissance où tombe
un peuple qui manque de matu-
rité politique et a ce grand
malheur de n'avoir jamais été
vaincu",
Pierre Cazenave
(La Tribune des Nations)
45
Anglais. C'est l'excellente étude de John
Ardagh parue chez Laffont : La France
vue par un Anglais, lis ont tiré les pre-
miers. Aux romanciers français mainte-
nant le second coup.
J.-D. W.
L'Etrangère
par Roger Nimier
Gallimard
220 pages, 12 F.
Il est des actes cruels, pour l'image d'un
écrivain : la publication de L'Etrangère,
premier roman de Roger Nimier, n'ar-
range guère les faiblesses, voire la com-
plaisance, que l'on pouvait avoir pour le
Hussard Bleu ou les Epées. Elle les
souligne plutôt en ce qu'elle nous dévoile
rétrospectivement le processus de fabri-
cation que certains prennent pour du
charme, de l'innocence, de la fraîcheur
(il suffit de lire la préface que Paul
Morand consacre à ce roman). Trop long-
temps en effet nous avons confondu l'écri-
vain et l'héritier, le séducteur avec le pres-
tidigitateur.
Ecrivain, Nimier ne le fut jamais : tout
juste put-il se tenir dans l'ombre inacces-
sible de Drieu, se contentant de repro-
duire un héritage littéraire déjà lourd de
compromissions et de bassesses.
Séducteur, il ne le fut pas plus : faisant
des tours devant un public choisi — lui-
même — mais se laissant finalement pren-
dre dans la vertigineuse succession de leur
multiplicité, il ne pouvait à force de
toujours tirer le même lapin du même
chapeau, que se faire disparaître de et
dans son propre chef ; ce qui, fait volon-
tairement, n'aurait pas manqué d'hu-
mour.
L'Etrangère donc jugera du reste de
l'œuvre, sans l'avis de Nimier. Rattrapons
l'humour au passage, car il en fallait une
certaine quantité pour entreprendre le
récit de cette séduction adolescente, sus-
pendue entre deux êtres qui ont tout pour
ne pas s'aimer.
En 1950, Don Juan, portant sur ses épau-
les plusieurs siècles d'enlèvements et
quelques milliers de conquêtes, prend sa
retraite et attend ses victimes du fond de
son lit. Il faudra donc beaucoup de cou-
rage au jeune Nimier pour quitter sa
couche et entreprendre à la fois la séduc-
tion d'Alina, jeune tchèque livrée à domi-
cile par un lieutenant américain trop
naïf, et le récit de cette séduction.
L'une (la séduction), comme l'autre (le
récif) se donneront mutuellement l'œil
critique : mais c'est pour que mieux se
mire l'enfant Nimier.
Ainsi : « Le grand coupable, c'était moi.
Je n'avais pas le droit de me tromper à
ce point sur Alina et d'introduire l'esprit
de sérieux dans nos relations. N'empêche :
je ne reniais rien de ce que j'avais écrit... »
Et plus loin : « J'essayais bêtement de ser-
rer son pied entre les miens ; je me crus
aimé ; c'était le pied de la table... »
Ces relations amoureuses, qui empruntent
46
à la guerre ses dentelles et lui laissent ses
artilleurs, peuvent quelques temps faire
sourire ; mais ce sont des denrées péris-
sables, l'écriture les gâte.
Nimier le savait-il ? On aimerait s'en
convaincre, et se dire que ce n'est pas
p-ar hasard qu'il se donne, face à l'Etran-
gère, le double rôle de l'interprète, celui
qui, pour la femme qu'il aime (croit
aimer), traduit le monde, lui offre cette
traduction et nous donne finalement cette
offrande, parce qu'elle ne peut se conclure
que dans le récit.
De la traduction à la trahison, le chemin
est. malheureusement court, et Nimier
connaît les va-et-vient de la littérature
comme ceux du « cœur ». Chacun, selon
sa lecture, décidera donc de la route à
choisir.
B.V.
Frédéric hors les murs
par Hubert Royet
ï lammarion
222 pages, 12 F,
Un jeune homme est appelé au service
militaire ; il s'y soumcti y rencontre un
«mil, 1 fctrur, professeur d'italien, sa fiancée
Sylvie, qui meurt ; il se souvient de son
amie, Judith, qui ra quitté Ccs, tout
tt c est beaucoup. Les événements, pour
Hubert Royer, l'auteur de ce premier
roman, Frédéric hors les nmrs, les événe-
ments ne sont que le canevas d'une médi-
tation. Pratiquant résolu de l'introspec-
tion, Frédéric mélange souvenirs imagi-
naires, souvenirs réels, détails vrais, au
ni et une méditation que paradoxalement
». ordonne dans un styie presque clas-
sique. L intérêt, ou plutôt l'un des intérêts
«u Uvre, est cette alliance d'une formu-
lation rigoureuse, proche de Madame de
i-a hayette et du Stendhal des romans,
Pn,, ï uXP'0ration systématique du moi.
our Hubert Royet, le moi du personnage
romanesque, qui est sans dou't ^u
autobiographique, n'est pas haïssable.
un peu autobiographique mais seulement
PeU' ?" Hubert R°y«* semble s'être
de cette maxime de Thibaudet,
inspira tant Gide: le mauvais ro-
H" SC nourrit ^ue de sa v'e
bon romancier se nourrit de sa
vie possible. L'imagination de Frédéric
ne donne Jamais nmprcssion d-une con_
nml °US avons affaire à un véritable
i Uniau,
II est d'usage de dire d'un premier roman
beVL,, ? éfaUtS' mais 1"'» Promet
on nn P' ™ V°K Pas !r°P quel défaut
° , 5 *, tr°UVer à «'""à- Mais il
est sur qu'il promet beaucoup
ci?'8 -?" le P™«Pe : la caserne,
endroit privilégié par son inexistence de
même que la cellule où le héros du livre
passe 15 jours, permet, par cette inexis-
tence même, de « penser à autre chose » •
elle _ permet, favorise les évasions, les asso-
ciations d.dees, la rêverie et, puisque ' le
personnage n'y est pas en représentation
(on lui demande seulement certains actes
mécaniques, maniement d'armes, défilés,
etc. d'où il peut être complètement absent)
la rêverie est sincère, dépouillée de toute
rhétorique ; une fois admis donc ce prin-
cipe, le roman se déroule avec une beauté
logique, une vérité, une élégance qu'on
chercherait souvent chez des écrivains
plus renommés.
D'Hubert Royet, la littérature romanesque
peut sans doute attendre beaucoup, mais
avec Frédéric hors les murs, il a déjà
donné un roman achevé.
J.H.
La Dérobée
par Claude Roy
Gallimard
255 pages, 16 F.
La grâce, l'habileté, un heureux mélange
de frugalité et de préciosité, et un joli
brin de plume, permettent bien des cho-
ses ; entre autres d'écrire un roman qui»
sans cela pourrait seulement passer pour
un savant déballage d'érudition.
Dans la Dérobée, Claude Roy nous en-
traîne dans le difficile labyrinthe qui mène
de l'absence d'un être à l'être lui-même,
des traces et des signes à la vie. Nicolas,
un peintre, s'en est allé furtivement sans
laisser d'autres traces que ses peintures.
Ses amis, inquiets, cherchent les raisons
de cette absence ; chacun donne une
réponse qui n'est que son propre reflet ;
ils voudraient parler de Nicolas, ils ne
parlent que d'eux-mêmes. Alors, à jouer
les détectives, lentement, l'épuisement
s'installe ; sans ménagement il envahit
chaque être qui tente de traquer une
vérité fuyante, insaisissable, qui s*esquive
alors même qu'on croît la posséder, qui
fuit très loin dans les sables mouvants
du temps. Subsistent quelques souvenirs ;
une aventure, la courbe d'un geste, l'in-
flexion d'une voix qui s'ente sous 1e
pouvoir de l'imagination et de la mé-
moire. Seules les peintures de Nicolas
sont là, présentes, vivantes, ouvertes sur
le monde ; qui permettent au narrateur
de lire en elles le secret de cette doulou-
reuse absence, avec toute la délicatesse
et toute la prudence que cela suppose.
De même que le poème est le seul signe
où reconnaître le poète, la toile est le
seul indice pour saisir le peintre. L'effort
que l'homme tente pour concilier dans
son œuvre les contradictions que lui
révèle le chaos des apparences, définit
l'effort qu'il tente pour concilier dans
son cœur les contradictions qu'y fait naî-
tre le chaos des sentiments. Ainsi, peu
à peu, au hasard de l'observation des
toiles, s'organise une réalité moins incer-
taine que la présence de Nicolas parce
que moins fuyante, parce que simplement
fixée à un support.
Cette réalité que le narrateur saisit labo-
rieusement à travers des rapports de
formes et de couleurs ne tarde pas a
devenir Nicolas lui-même ; les problèmes
de lisibilité s'estompant, les tableaux pas-
sent de l'état d'objet à celui de sujet;
faisant ainsi surgir les prémisses, puis
l'absence de Nicolas. Sur les toiles qui,
lentement se vident de la chaleur et du
Parfum des maisons de provinces, où
ks arbres se sclérosent, le narrateur dé-
couvre bientôt la toile vide ; présence
vivante de l'absence de Nicolas.,,
En fait plus qu'un roman, la Dérobée est
une constante réflexion sur la peinture et
sur toute création en général ; une re-
cherche incessante sur les rapports qui
lient entre eux les êtres, les couleurs, les
volumes et les sons ; et qui n'est pas
sans rappeler cette phrase d'Elie Faure :
* La marque de notre passion est d'errer
sans repos à la recherche de nous-mêmes.
La marque de notre puissance est de ne
Pas nous découvrir. Qui a pénétré son
mystère n'a plus à résoudre le drame en
le projetant dans son œuvre avec cette
force héroïque qui enivre le spectateur ! »
P.V.
Vies des mort§ illustres,
suivies de Les données du problème
par Yann Gaillard
Christian Bourgois
250 pages, 18 F.
Curieux livre, que celui de Yann Gail-
'ard, fait tout entier pour décevoir, pour
détourner, affirmant partout que le cercle
est encore le plus court chemin d'un point
à un autre, d'une naissance à une mort.
Déception donc, qui consacre la réussite
de cet ouvrage ; ce n'est pas un paradoxe :
ce qui est déçu, et s'écoule privé de sup-
Port, ce sont nos médiocres habitudes ^ de
lectures, notre recherche d'un genre d'in-
formation, d'un mode de phrase précis.
Le beau livre de Gaillard est une pour-
suite de l'image, mais de l'image stéréo-
typée, immédiatement frappante, celle
lui, de « Paris-Match » à « France-Soir »,
nous fait revivre le trajet des assassins
Présidentiels et des généraux félons, se
Piquant dans notre mémoire avide, chas-
sant les mots et leur beauté.
C'est de cette chasse inconsciente que part
Gaillard, tentant de la remonter pour
nous en faire comprendre le danger.
Et du choc visuel d'un événement, il res-
tera ces quelques mots : « Dans un
dancing, un dimanche d'hiver, une goutte
d'acier glisse sur le cœur de Malcolm X.
L'Amérique est une tombe ».
Ces morts illustres de l'année ^965 (Chur-
chill, Rubirosa, Le Corbusier, Schweitzer
enfin) nous ont donné une pauvre vie ;
niais c'est nous qui sommes allés la cher-
cher, cette existence rassemblée en quel-
ques chromos jaunis, en Ferrari mutilée,
en cité radieuse désertée. Morts illustres
Peut-être, morts illustrés en tout cas, sans
goût et sans grâce par une mythologie que
nous subissons et acceptons, toujours
coupables de lâcheté. Il nous faut de
grandes figures. Gaillard nous rappelle
«lue cela ne peut se faire que si nous
consentons à perdre la face.
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** PIante> Le Puits, L'Ange
par Vassilis Vassilikos
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295 pages, 18F.
Le fantastique, lorsqu'il est doué d'une vie
autonome et qu'il ne tisse pas un réseau
68 a Un monde Préexistant, est
rassurant ; dans la mesure où
8". CT qUeSti0" n°tre Un'Vers
v ,' n en va pas de même> quand
et Si- P^tle inté«rante de cet univers,
naif 1 H" eS éléments qui le composent,
S'un rUSqUe chan«™t de fonction
'
COUrtS récits'
le lecteur dans u
o l - an«°i«ant où les objets, et
parfois les êtres échappent aux lois natu-
fiHe don?
sa
bre
Plinthes e,
conduits è
récit' u" étudiant s'est
P°rtait une Jeune
C0nnaîtra J^ais le visage :
d'abord sa cham-
entier' soulevan*
S1™ant dans les
menacer H pnses electr<ques, pour
HLM dasphyxie et de destruction le
ch r Mais surtout La P'a"<e
q"e J°Ur davan'^ la vie du
foisonnan J6Une servMte sur une île
puis dan V aU,CœUr * I1le se trouve lu
S "nover T'* lnexo™blemen. ils iront
48
0 „.
1 tcolt des anges de réserves, où les « ad-
judanges * et les « caporanges , font
sub,r aux nouveaux venus toutes sortes £
brimades gratuites, et toutes les règles
d'une discipline arbitraire. Tout d'abord
il s'efforce de combler le vide de cette
existence douloureuse, en écrivant des
lettres à celle qu'il aimait sur terre. C'est
alors que commence à se dresser autour
de lui un univers de géométrie minérale
où rien ne pousse, un espace concentra-
tionnaire où « les chambrées deviennent
microcosmes », « les châlits doubles sont
collés les uns aux autres, les candidats
célestes sont empilés ». Pourtant l'habi-
tude et la résignation aidant, le jeune
mort ne tarde pas à effacer de son esprit
l'idée d'une vie différente. Dans cet uni-
vers sinistre que Vassilikos (qui vit en exil
depuis le coup d'Etat d'avril 1967) dépeint
avec une rigueur étonnante, les Grecs
n'ont pas manqué de reconnaître les
camps de concentration qu'ils ont été
nombreux à fréquenter depuis la dernière
guerre.
A travers la dénonciation féroce, (celle de
notre société et celle des camps de concen-
tration) et par le biais d'un langage où
le fantastique le dispute toujours au quo-
tidien, l'univers décrit par Vassilikos, est
finalement celui dont la matière serait née
de la fusion totale du règne animal, végé-
tal et minéral,
Le monde effrayant qui resurgit toujours
derrière Vassilikos est en permanence
semblable au chaos, avec tout ce que cela
entraîne de beauté et d'inquiétude. v
Front du ciel
par Nguycn-dinh-thi
Adaptation et présentation
de Madeleine Riffaud
Julliard
190 pages, 15 F.
Avec l'ront du ciel, la littérature vietna-
mienne opère sa première véritable percée
en France, en même temps que l'aviation
de combat de l'Oncle Ho fait son entrée
glorieuse dans le roman vietnamien.
A double titre, donc, ce mince livre est
un document de poids.
Il circule déjà, nous apprend Madeleine
Riffaud, dans sa préface, du nord au sud,
dans le ballot du maquisard du F.N.L.
Là-bas, les premiers tirages sont épuisés.
L'auteur, Nguycn-dinh-thi n'est pas seule-
ment un écrivain célèbre dans tout le Viet-
nam, c'est aussi un militant de la pre-
mière heure pour la libération de son
pays, un homme qui, à quarante-quatre
ans, s'expose encore aux premières lignes.
Ses personnages sont nés, sur les petites
feuilles d'un carnet de route, dans l'obs-
curité des abris, sous les bombes améri-
caines, lis existent. Au Nord-Vietnam, la
réalité dépasse la fiction. La distance qui
sépare l'une de l'autre dans ce livre, c'est
l'obstacle de la pudeur.
Le personnage principal est un de ces
jeunes aviateurs nord-vietnamiens formé
en Union Soviétique au maniement des
Migs 21. La vie de Luong se passe en
vols d'entraînement et en combats à un
contre dix * F 105 » américains. Au
cours d'une brève permission, il retrouve
sa sœur Dao qu'il n'a pas revue depuis
sept ans.
Elle élève seule son enfant, elle travaille
aux champs, son fusil et sa cartouchière à
portée de sa main, douce et toujours
aimée, comme son amie Tuyen, ouvrière
à Hanoï que Luong finira par rencontrer
et qu'il aimera,
La simplicité de ces vies exceptionnelles,
la ténacité du courage quotidien, des souf-
frances acceptées nous sont décrites dans
un style clair, limpide, linéaire jusqu'à la
banalité, d'où toute emphase est exclue.
L'humour tendre, la gaieté juvénile, l'opti-
misme donnent au récit toute sa force
pathétique et à la démonstration militante
tout son « punch ». Nous entrevoyons
furtivement ça et là la beauté d'un pay-
sage, la taille souple d'une jeune fille, la
réalité quotidienne : l'as du pilotage qui
lâche les commandes de son avion à
réaction pour enfourcher un vieux vélo,
un enfant qui dort malgré le vacarme des
bombes, ce peuple qui aime, vénère pres-
que les Migs blancs, merveilleuses hiron-
delles qui savent se fondre dans le ciel
d'où vient la mort comme paysans et
ouvriers savent se confondre avec la terre
Pour abattre l'ennemi. Au fil des com-
bats, nous découvrons la guérilla des
nuages. Nguyên-din-thi n'invente rien. Il
décrit les affrontements aériens tels qu'ils
se sont déroulés. Et si au cours du plus
long, du plus meurtrier, il prête soudain
un nom et des pensées aux pilotes amé-
ricains, c'est pour mieux, les descendre en
flammes.
Mais que les « vautours » du Pentagone
ne s'illusionnent pas trop. Ils ne trouve-
ront dans ce roman aucune des clefs de la
stratégie nord-vietnamienne. Seulement
Une merveilleuse qualité de chaleur
humaine, les réserves de courage d'un
Peuple tout entier héroïque, une endu-
rance joyeuse, un appétit de vivre, toutes
choses qu'ils connaissent sans doute déjà.
G.A.
Peux contre feux
par Armen Lubin
Grasset
190 pages, 12 F,
Armen Lubin, poète d'origine arménienne,
né à Constantinople en 1903, dut, après
une enfance heureuse, s'exiler en France.
Exilé il l'aura été jusqu'au bout, puisque,
nialade, il a vécu la plus grande partie
de son existence dans des sanatoriums.
Feux contre feux, le feu de la poésie
contre celui de l'exil, ou la déportation
occultée dans l'écriture. Mais la poésie
est déjà, originairement décentrement du
lieu où brûle son foyer : c'est dans le
redoublement de ces décalages, chair
contre parole, mais aussi parole recou-
vrant la chair, qu'Armen Lubin dessine
son espace propre, et la fin de son exil.
Feux contre feux regroupe quatre recueils
publiés respectivement en 1946, 1951,
1955 et 1957 : le passager clandestin,
sainte patience, transfert nocturne, hautes
terrasses. Les textes des poèmes ont été
cependant profondément remaniés par
leur auteur. D'autre part s'ajoutent à cela
quelques trente poèmes inédits. „
M.L.B.
Le nom secret suivi de
La Vallée des Roi§
Introduction de Georges Mounin
par Jean Malrieu
P.J. Oswald Col. PJO-Poche
204 pages, 5 F.
Avec Le nom secret, Jean Malrieu sort
de la demi-clandestinité à laquelle il
s'était jusqu'alors condamné. En effet,
es poète de cinquante-trois ans a relati-
vement peu publié. Deux recueils : Pré-
face à l'amour (Cahiers du Sud, 1953,
Prix Apollinaire) et Vesper (La fenêtre
ardente. Prix Antonin Artaud 1963) ont
pourtant suffi à établir la renommée de
Malrieu. André Breton (Voici un poète-
né...), A. Rolland de Renéville, Philippe
Jaccottet, Jacques Borel, Georges Mou-
nin, Jean Tortel, ont avec ferveur célébré
ce poète. Aujourd'hui, Malrieu publie
dans une collection de poche un ensemble
de poèmes qui doit le ranger parmi les
plus hautes voix de notre temps.
Ce recueil rassemble quatre série de poè-
mes dont la lecture permet de mesurer
à la fois la diversité dans l'unité pro-
fonde, la richesse, l'authenticité d'une
écriture, d'une voix. Méditerranéen, de
souche occitane, Malrieu se rattache à
un modèle de civilisation que les sou-
dards venus du nord de la Loire détrui-
sirent à Montségur. Tant du point de
vue des thèmes que de la conception
poétique, il prouve sa filiation avec la
race des troubadours. D'abord et avant
tout, Malrieu est le poète de l'Amour :
amour de la création et des créatures,
fussent-elles les plus humbles, les moins
aimées (le crapaud), les plus petites (l'in-
secte). Cet amour, lorsqu'il s'adresse à
la femme, tend à l'idéalisation mystique,
à la sacralisation. Idéalisation qui ne dé-
bouche pas pour autant sur l'abstrait. Le
poète a le sens et le goût du charnel.
L'érotisme scintille sur ses lèvres, mais
un érotisme qui ignore tout de la faute.
Nous sommes aux antipodes de la pensée
de G. Bataille.
Malrieu, sang grand ouvert, absorbe les
choses, 'il devient le vent et la source,
l'argile et le désir de l'argile. Cette œuvre
illuminée, vibrante d'un certain panisme,
n'ignore pas la mort. Mais la mort ^ici
n'est pas un vécu solitaire. Elle est élé-
ment du grand tout.
Pour Malrieu, la joie n'est pas donnée ;
elle est gagnée, au prix d'une lucidité et
d'une pratique de la dignité quotidiennes.
Au prix de l'humilité qu'il témoigne face
à la création. En ce sens, Malrieu n'est
COLLECTION
LIBERTÉS
NOUVELLES
CLAUDE G1VET
LA GAUCHE CONTRE ISRAËL
Le « néo-antisémitisme » n'est pas l'anti-
sémitisme classique, il émane même le
plus souvent d'anti-racistes qui ne man-
quent pas de protester de leurs bons
sentiments...
L'ARCHE
Une analyse serrée des articles parus
dans la presse et les revues de gauche
depuis le printemps dernier. (I.-F. Revel,
directeur de la collection, dit qu'il pré-
fère ce livre à celui de Démeron.)
LE NOUVEL OBSERVATEUR
PIERRE DÉMERON
CONTRE ISRAËL
... à contre-courant... un premier livre
qui va valoir à son auteur un déchaîne-
ment de polémiques.
JOURNAL DU DIMANCHE
Les thèses arabes reprises par un bril-
lant journaliste français, non sans viru-
lence, ni sans juste verve.
LE NOUVEL OBSERVATEUR
Titres parus depuis janvier;
TRISTAN TZARA
LES MANIFESTES DADA
HENRY-DAVID THOREAU
LA DESOBEISSANCE CIVILE
GEORGES POLITZER
LA FIN D'UNE PARADE
PHILOSOPHIQUE
LE BERGSON1SME
BAUDELAIRE POLEMISTE
NIETZSCHE
LE CAS WAGNER
BOSC
SI DE GAULLE ÉTAIT PETIT
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EDOUARD DRUMONT ou
L'ANTICAPITALISME NATIONAL
JEAN-JACQUES
PAUVERT
49
pas seulement un poète passé maître dans
l'ait de concrétiser le vol de l'abeille, la
chair du fruit, le sang de la nuit. Cet
« homme des eaux et forêts » débouche
implicitement sur une leçon de morale,
après la leçon de choses. Il se hausse
sur les hauteurs du langage où la parole
devient éthique.
De cette éthique témoigne particulière-
ment la suite intitulée La. vallée des rois,
écrite à Ponne-de-Tarn, petit village ca-
thare où le poète et sa famille séjournent
dès qu'il peut fuir le chaos de Marseille.
Dans cette suite, Malrieu vise à l'énoncé
bref, à l'évidence. La parole a la forme
de l'or aigu pénétrant les chairs. Il dé-
laisse le verset et le grand vers blanc
qu'il affectionne afin d'atteindre, devant
le paysage nu, à la nudité parfaite.
A.L.
Mémorabilia
par Michel Fardoulis-Lagrange
Pierre Belfond
338 pages, 18,90 F.
Michel Fardoulis-Lagrange a eu 20 ans
en 1930 ; l'année de la publication du
second manifeste surréaliste. Du surréa-
lisme, il a gardé le sens des images et un
explosant incomparablement beau,
où l'Héliotrope plonge ses racines d'amour
dans le flot rouge de la liberté, et où le
quotidien est parcouru par les interfé-
rences de la mémoire et de l'imagination.
Dans cette fresque qui va de l'enfance à
1 adolescence où rien ne s'explique ni ne
se structure, les personnages et les événe-
ments ne sont que des prétextes à hisser
hors du néant les déchets de la vie
Breton, lui aussi, n'écrivait-il pas • « C'est
téraire ne peut avoir d'autre justification
que de mettre en lumière certaines choses
pour soi-même en même temps que pour
autrui. R^
«
eur ieS- Uexiste«ce est ail-
leurs ». La démarche de Fardoulis-La-
grange est celle d'un homme épris d'une
totale hberté, pour qui le langage a perdu
«fonction habituelle de comLnicTt on
che Sif ,"Ue dC Cr°ire comme Mi-
' f & P"ISSanCe vis^aire et
des mots. II s'ait pour lui
"
à h
mon
et de ff U°urs e
™ kS VertUS de la
des éléments P">-
chamP d'acti°n
qu'à !"i-même(t Certes,
tOUJ°urs de m'en «lier
au non
pouvoir
"
m'absentant, j'aurais le
m'eff-uvM-T '"" rePérer encore et de
m effacer de nouveau pour me situer ail-
leurs et sii,van, mon grâ >>} Sans cesse
------ilis-Lagrange cette im-
mnltinr .°,etr.e,,separé de la nature par une
men Pd C, d éCra"S dont on Pe«t aisé-
îécrïr flCT k reflet dans sa ma"ière
t!-h V°?e entière constituée par la
en de , dVa plus Srande de^té au
te li±/h!:f\ Réfuire àtou< prix
chaque instant, se
împs de l'écrit, le
tel «t T ",r."l> Cl celui de qui le lit;
tel est le des,r et la raison d'être de
«s-Lagrange, puisque l'activité lit-
Lé roi des étoiles
Retour aux étoiles
par Edmond Hamilton
Club du Livre d'Anticipation - éd. OPTA
400 pages, 30 F.
Le cycle des aventures de John constitue
peut-être, avec celui de la Légion de
l'espace de Jack Williamson, l'un des
plus beaux « space opéra » jamais écrit.
En cela il est une introduction idéale à la
science fiction, avant que de se plonger
dans les architectures plus subtiles de Van
Vogt, Théodore Sturgeon ou Philip José
Farmer. Ici commence le chant de l'Aven-
ture.
Or donc John Gordon, bureaucrate du
xx* siècle qui s'ennuie, comme tous les
bureaucrates, est contacté télépathique-
ment par * Zarth Arn, prince de l'im-
mense empire qui couvre le centre de la
Galaxie, à travers une distance de deux
cent mille années ». Il accepte d'échanger
son esprit avec le jeune prince, et ce,
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(rayer les numéros que vous ne déstrez pas recevoir)
D
D _____
|—| signature
(epchez la case correspondant «11 mode de règlement choisi)
pour quelques jours. Mais le hasard veut
que le contact se rompe, une fois
l'échange fait et voilà notre brave John
Gordon, après moult aventures, placé à
la tête de l'Empire au moment où il est
attaqué par Shorr Kan le félon cynique,,.
Si vous voulez savoir comment John
Gordon - Zarth Arn déjouera les traî-
trises de Shorr Kan et vaincra la formi-
dable Nébuleuse Noire, comment il
Sagnera le cœur de la reine Magellan, il
ne vous reste plus qu'à lire le Roi des
Etoiles. Si la littérature d'aventure a
votre faveur, vous ne serez pas déçus.
»-, r s
>-e uvre a eu aux Etats-Unis un succès
considérable — et pas seulement auprès
des bureaucrates, qui se mirent du jour
au lendemain à espérer qu'un Zart Arn
Quelconque viendrait eux aussi les contac-
ter.
Précisons, à l'intention des spécialistes du
genre, que seule la première partie de ce
volume fut autrefois publiée par la col-
Action du Rayon Fantastique et que le
Retour aux Etoiles est encore inédit
aux Etats-Unis.
M.L.B.
Dominique de Roux a lu
beaux jours de ma jeunesse
par Anna Novae
Julliard
320 p., 20 F.
Arrêtée par les formations spéciales de
'a SS dans la partie de la Transylvanie,
que les Hongrois occupaient encore à la
fin de 1944, Anna Novae, à peine ado-
lescente, avait été immédiatement trans-
portée au camp d'extermination d'Ausch-
witz. On sait que, dans le cadre d'une
action d'ensemble, dont le nom de code
Wait « Opération Reinhardt » et les
assises légales arrêtées par les « Protocoles
Wansee » en date du 20 janvier 1942, le
Reiehsfiihrer Heinrich Himmler s'était
Proposé de faire techniquement le néces-
saire pour qu'un groupe de 11 millions de
Juifs originaires de l'Europe de l'Est puis-
sent être anéantis, premier stade d'un
vaste plan visant à « la solution définitive
du problème juif ».
Le Journal d'Amchwitz qu'Anna Novae
a écrit, à partir de ses propres cahiers,
porte en guise d'épigraphe, les paroles
mêmes du Reichsfiihrer Himmler, qui le
14 avril 1945, disait, atrocement Kein
Haftling darf Icbendig in die Hande des
Feindes julien (1),
Quand, le 6 mai 1945, l'Armée Rouge
libérait le camp de Kratzau, où étaient
parqués les derniers survivants de « l'Opé-
ration Reinhardt » — moins d'un millier
peut-être — Anna Novae eût avant tout
la surprise de se retrouver vivante. Avec
les stigmates de son expérience des ténè-
bres elle apportait au monde des vivants
son témoignage vécu de leur souffrance,
d'une patience infinie. L'horreur pro-
fonde — insoutenable même — aussi bien
que cette gloire sereine qui se dégagent
de son Journal d'Auschwitz proviennent
surtout de la qualité immédiate du témoi-
gnage, de sa nudité directe, qui engagent
sans cesse son écriture, dans une sorte de
combat secret contre l'oubli, combat dont
le mouvement intérieur n'est pourtant pas
celui de la mémoire, mais indéfiniment
le maintien dans le présent tragique de
ces temps là.
C'est pourquoi, — aussi terrible que
cela puisse paraître, à nous, qui en pre-
nons connaissance de l'extérieur et main-
tenant —, il faut dire que le Journal
d'Auschwitz d'Anna Novae ne se veut en
rien un document d'accusation, un mémo-
rial du ressentiment dressé sur le vide de
ses propres abîmes intérieurs et, bien moins
encore un témoignage de haine, niais
le contraire absolu de tout cela,
Un chant trouve sort origine dans cette
main qui jusqu'à la venue de l'aube trans-
crivait simplement l'indignité et la dou-
leur du monde diaphane des camps.
L'horreur du jour, l'horreur de ces jours-
là désarmée par les yeux d'une autre Alice,
au lieu d'obscurcir le miroir, le traverse
d'une clarté qui, à montrer la mort, l'illu-
mine autrement. L'horreur du jour se voit
transfigurée par les travaux de la nuit, la
nuit du cœur battant, écoutant et vivant,
de l'homme qui refuse de s'abandonner
au vertige, à l'attraction du soleil de la
mort ; nuit, seul royaume de puissance et
d'être, d'une adolescente qui marche dans
la clarté tranchante du jour de sa propre
mort, indéfiniment recommencée, et qui
oppose à cette clarté les ténèbres inté-
rieurs de son cœur vivant, de sa volonté
de vivre, et transfigure sa misère en osant
l'évoquer. Dans un cœur avide de s'évader
du piège, ne savent ni ne peuvent se
maintenir les évidences, les choses de la
mort, seulement la joie, l'amour le plus
jeune et l'essentiel désir.
A aucun moment le Journal d'Ausch-
witz n'est la notation d'une expérience spi-
rituelle, mais cette expérience elle-même
comme si Anna Novae avait choisi de
sacrifier le témoignage de l'événement à
cet événement suprême qu'est à chaque
instant le refus agissant de la mort et sa
(î) Aucun prisonnier ne doit tomber vivant
clans les mains de l'ennemi.
Collection"L'Age d'Or
LEWIS CARROLL
les aventures
d'Alice
au pays des
merveilles
texte français par Henri Parisot.
La traduction poétiquement fidèle
d'une œuvre "intraduisible"
Flammarion
si
confession spirituelle. Aucun cri, aucune
compassion, aucune plénitude apocalypti-
que, rien que le regard d'une jeune fille
de quinze ans qui ne saurait s'arrêter là
et mourir.
Si le mystère de la prédestination juive
ne s'accomplit jamais que dans l'attente
du supplice et par son couronnement final,
la destinée juive et son mystère s'identi-
fient avec le mystère final de son salut,
qui, jusqu'à la fin des temps, sera un
mystère d'écriture. D'où l'extraordinaire
parole de Kafka dans son Journal :
« J'écris pour ne pas mourir ». Telle a
été, pour Anna Novae, la démarche du
salut sous sa notation créatrice qui éclip-
sait l'étal et l'amenait à composer ce livre
à la fois comme un moyen et comme un
tout.
« Quand la nouvelle de la mort de
Hitler se répandit, et que xur tous les
murs, les pancartes noires aux lettres d'ar-
gent disaient : Der Fuhrer ist fur Deutsch-
land gestorben (1). ce pauvre vieillard
allemand qui n'avait pas hésité à risquer
sa vie pour nous sauver et partager avec
nous ses maigres râlions, écrit Anna No-
vae, est venu nous dire, comme en proie
à un trouble profond : Und doch war er
ein grosser Mann (2). C'est bien ce jour-
là, et quand tout était déjà si proche de
la fin gué, pour la première fois, j'ai res-
senti en moi la grande pitié du peuple
allemand, une pitié déchirante et lucide
pour la destinée de ce peuple, qui fut
appelé à se rendre plus loin qu'aucun
autre dans les voies de l'égarement. Une
pitié terrible qui ressemblait assez étrange-
ment à de l'amour. »
Mi-juive, mi-allemande, fille d'intellec-
tuels dans un pays de culture française,
écrivain de langue hongroise devant vivre
et travailler en Roumanie, c'est grâce aux
racines antagonistes de son sang qu'Anna
Novae a pu saisir sur le vif et confier à
son écriture apaisante l'expérience directe
de la mort, son alchimie et ses intonations
qui n'en finiront plus de s'identifier aux
silhouettes perdues, figures fermées de
chacune de ses camarades de supplice
raflées à tous les coins de l'Europe au
pouvoir du nazisme et présente ainsi au
grand rendez-vous d'Auschwitz.
Anna Novae vit actuellement en France.
Avant, il lui fallut quitter la Roumanie et
passer un certain temps en Hongrie pour
s'établir dans le silence et se faire oublier
de Bucarest.
Cette fatalité du voisinage permanent
de la mort, l'état de catastrophe conçue
sans cesse comme sa véritable destinée
cette marche dans les cendres puis dans
le désert par laquelle Anna Novae rejoint
les limites de la condition juive dans le
monde toujours épié, menacé, se trou-
vaient défîmes, pourtant depuis le premier
jour de son arrivée à Auschwitz où elle
comme des millions d'autres, avaient été
reçus par l'inscription: Dein Block isi
dem Heim (3).
Mais là derrière les clôtures retournées
au grand large, Anna Novae continue de
forcer le jour pour le dernier refuge de
1 innocence, pour attirer notre attention.
Musée des supplices
par Roland Villeneuve
t-d. Azur
360 pages, 98,50 F.
*0're(.civilisation occ'dentale, on l'oublie
^lontiers, est celle de la cruauté. Des
massacres de Merindol et de Cabrières,
que î>ade, mignardisait et dont il tirait
argument contre la barbarie du chris-
L*™' .au,supplice de Damiens, qui.
Pour avoir egratigné l'épaule de Louis
AV d un coup de canif, subit une torture
de Plus de quatorze heures, qui se ter-
™H Par, un écartèlement, des dragon-
nrd -a j question ordinaire et extra-
ordinaire, des massacres d'hérétiques et
«L re« 3UX divertissements de bour-
fa,?™ , "S devant le 8'bet de Mont-
raucon, la société française, du Moyen
Age jusqua ]a fln du XIX, sjède> vécu{
ou sang, de la douleur, du meurtre rituel
souvenons-nous que les exécutions capi-
tales ne furent interdites à la publicité
quau début du siècle, lorsqu'un opérateur
d actualités les fiima> et ljeta sel ies
dans tous les spectacles forains. Encore
ne s'agissait-il pas d'une condamnation
morale de la peine de mort, mais d'une
espèce de honte des juges, des jurés et
de la police à montrer quelles étaient
réellement les conséquences de leurs ver-
dicts.
Dans le Musée dex Supplices, Roland Vil-
leneuve, fort savant spécialiste de tout
ce qui touche au démonisme, à la sor-
cellerie, à l'hérésie, retrace, d'exécution
en torture, ce qui fut le véritable visage
de la société pendant plus de cinq siècles.
Nous pouvons faire confiance à son éru-
dition. Aucun aspect, historique, sociolo-
gique, psychanalytique ou même esthé-
tique du supplice socialisé et de son his-
toire n'échappe à Villeneuve. Il a réuni
sur le sujet toute la documentation, toute
l'iconographie qu'il fallait.
On peut se demander si. tel livre est utile.
puisque finalement tout volume amène à
poser cette question. 11 est assuré qu'un
ouvrage comme le Musée des Supplices
est non seulement utile mais indispensa-
ble. Sans tomber dans la délectation mo-
rose, sans clin d'udl à ce qu'on est con-
venu d'appeler le côté « malsain » de
l'homme, Villeneuve nous propose sim-
plement et sans concessions le véritable
portrait de notre société. Il n'est guère
de quoi en être fier, mais la vérité seule,
comme on dit. est révolutionnaire
J.H.
Enfancr et mort de Garcia Lorca
par Marcelle Auclair
Le Seuil
478 pages, 28 F,
Une biographie qui n'est pas seulement
une présence. C'est quelquefois et, sur-
tout, une voix. Réussie, elle ne se borne
pas a. une partition musicale, mais nous
fait entendre son interprétation par le
principal intéressé.
Après un prélude tauromachique dont le
seul effet est de retarder le lever du
rideau, Marcelle Auclair peut se flatter
d'avoir composé une biographie non pas
vivante — car les plantes le sont — mais
sonore. Le lecteur, pardon ! l'audieur
retrouvant la verve, les intonations et
jusqu'au rire de Garcia Lorca. Haute
fidélité que l'auteur doit à sa connais-
sance personnelle du poète et à la fraî-
GOBINEAU
le mouchoir rouge
et autres nouvelles
ÉDITION DE J. GAULMIER
'VIENT DE PARAITRE
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Ieks1clïe*-d>oeovre de lc^ ™teur qui joint aux grands
SenS'b"lté de P°è'e et 'a CUriosité touioors en éveM d'un
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reliure cu,r
reliure to,,e
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la confession
d'un enfant du siècle
INTRODUCTION PAR Cl. DUCHET
fascinante nudité '
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f * °U b recherche d>un sens à donnerà la vie, les
' ' f " qU' détrUir° le monde' '«PP^che de la vérité,
le$ Valeors' et le cad^re de l'amour jeté
' volume de 424 pages, 11 illustrations 10 F
52
cheur des sources orales qu'elle a utili-
sées. Si parmi ces témoins beaucoup de-
meurent peu connus au-delà du cercle
des hispanisants, deux d'entre eux. ren-
contrés en 1921 à Madrid, ont été promis
à plus de célébrité. Salvador Dali qui se
disait alors étudiant en peinture, Luis
Bunuel que ses goûts prononcés pour
l'hypnotisme et la gymnastique empê-
chaient de préparer avec efficacité un
diplôme d'entomologie.
Marcelle Auclair a su éviter enfin le
double écueil du portrait llatté et de
l'exégèse abusive. Rappelant, sans insister,
ses croyances religieuses de la gauche.
elle n'a pas cédé à la tentation de faire
de Lorca un héros révolutionnaire ou un
martyr chrétien. Pénétrant dans son inti-
mité, elle n'en a éludé aucun aspect,
faisant seulement remarquer à propos
de l'homosexualité qu'au contraire de
Proust, elle n'a pas été déterminante dans
'a genèse de l'œuvre de Lorca. Si parfois
elle livre quelques clés -— à propos du
Miracle de la Phalène — c'est moins
dans une intention conjecturale que pour
Préciser les sources de l'inspiration.
Et d'ailleurs Lorca semble se prêter moins
que tout autre à une explication de
l'œuvre par la vie, Des témoignages ami-
caux retentis, se dégage un personnage
intime que le lyrisme dur de Poète à
New York et le dialogue âpre des Noces
de sang, ne laissaient pas pressentir. Un
adulte mal dépouillé de son enfance, y
Puisant les bouderies qui lui faisaient
refuser comme au premier âge d'aller
saluer les cens importants au salon. Les
espiègleries comme de déménager la
chambre à coucher de l'ambassadeur du
Chili en son absence. Les caprices -............-
baptisés par l'intéressé dramones : gros
drames — parfois nourris par un lourd
chagrin intime et parfois par le dépit
d'avoir été surpris à jeter un mégot non
loin d'un cendrier. Mais selon Baudelaire
« Le génie n'est que l'enfance nettement
formulée ». Dans les aspects positifs qui
caractérisent la sienne ................... ou plutôt les
siennes — si l'on en croit le litre, Fede-
rico Garcia Lorca a souvent puisé 1 es-
sence de son œuvre. C'est par jeu qu il
crée et anime La Barraca, troupe ambu-
lante destinée à faire connaître le théâtre
d'Espagne à tous les Espagnols, et c'est
pour elle qu'il écrira ses meilleures pièces.
L'enthousiasme désintéressé de l'enfance
le guide encore lorsqu'il sillonne les cam-
pagnes pour recueillir les vieilles copias
et composer plus tard de nouveaux poè-
mes.
Enfin, c'est l'inconscience enfantine du
danger, qui, malgré ses amis, le pousse
a retourner à Grenade pour y affronter
une fin tragique le 19 août 1936.
Si malgré son obstination, Marcelle Au-
clair n'a pu répondre au poème Où est
ma sépulture ?, elle a cependant réussi
a placer le principal responsable du
meurtre dans une situation embarrassante.
Dernier mérite mais non le inoindre de
ce portrait chaleureux et lucide de Fede-
rico Garcia Lorca.
F.L.
La première République
par Albert Soboul
Caimann-Lévy
250 ptifiex, 19,90 f.
Née sous le signe de la guerre, celle des
sans-culotte parisiens contre l'aristocratie
européenne, entérinée par la mort de
Louis XVI, guillotiné le 21 janvier 1793,
la première République française allait
vivre douze ans. Du 21 septembre 1792
au 18 mai 1804, jour de la promulgation
de la Constitution de l'an XII : « Le gou-
vernement de la République est confié à
un empereur qui prend le titre d'empe-
reur des Français ». De la mort d'un roi
à l'élévation d'un empereur.
Trois parties, la République du Peuple,
la République il ex Notables, la République
de Bonaparte apparaissent nettement dans
cette histoire très événementielle et chro-
nologique de la première République.
« La République du peuple » va de l'exé-
cution de Louis XVI aux dernières insur-
rections parisiennes de Germinal et de
Prairial après Thermidor. C'est le temps
d; l'alliance de la Montagne et des
sans-culotte, la justification de l'insti-
tution du Comité de Salut public, de la
dictature du peuple et de la terreur.
Sans cesse, la vie de la République va
être dominée par trois problèmes majeu-
res : la défense du territoire, les reven-
dications économiques, l'équilibre poli-
tique entre les ultra-révolutionnaires et la
réaction bourgeoise ; comment résoudre
le problème des rapports des classes po-
pulaires et des classes possédantes ? L'éli-
mination des Enragés dès l'été 1793, puis
celle d'Hébert et du Club des Cordeliers
allait rompre l'alliance de la sans-culot-
terie et de la moyenne bourgeoisie pari-
sienne, le peuple allait s'éloigner de ses
chefs, et Robespierre et Saint-Just tomber
sous les coups de la réaction, Saint-Just
n'avait-il pas dit peu de temps avant
Thermidor : « La révolution est glacée s ?
« La République des Notables » allait être
celle des Thermidoriens, puis du Direc-
toire. Une fois éliminés de la scène les
grands leaders révolutionnaires et les
mouvements populaires, les notables ter-
rorisés par la menace d'un retour à une
République démocratique vont de toutes
les manières s'employer à prévenir le
renouvellement de l'expérience de l'an II
et dans son discours préliminaire au projet
de Constitution de l'an^III, Boissy d'An-
glas déclare : « L'égalité absolue est une
chimère ». La forme libérale de cette
République des propriétaires sera remise
constamment en question par Jes mêmes
problèmes qu'avait connus déjà la Répu-
blique du peuple : terreur blanche, ten-
tatives révolutionnaires comme celle de
Babeuf et la conjuration des Egaux en
1795-1796, guerre avec l'Europe entière.
Problèmes qui n'allaient laisser place qu'à
la solution de la dictature militaire, celle
de Bonaparte, premier consul. La « Répu-
blique de Bonaparte », troisième volet du
livre mène directement au Consulat à vie
puis à l'Empire, précipité par la rupture
de la paix d'Amiens,
La République ne reparaîtrait que près
de cinquante années plus tard, mise à
mort à nouveau par un autre Napoléon.
Si comme le soutient Albert Soboul, Ro-
bespierre, disciple de Rousseau, ayant en
horreur le matérialisme, fut incapable
d'une analyse précise des réalités écono-
miques et sociales de son temps, et si le
régime de l'an II reposait sur une con-
ception spiritualiste des rapports sociaux
et de la démocratie, les idées de la démo-
cratie dont les hommes de l'an II avaient
fait trop précocement l'expérience allaient
cependant illuminer le monde du xix'.
€. K.
Jean-Luc Godard
par Jean-Luc Godard
Ed. Pierre Beifond
414 pages, 14 F.
C'est une excellente initiative qu'ont eu
Jean-Louis Comolli et Jean Narboni de
créer chez Beifond cette collection Cahiers
du Cinéma. En reprenant les principaux
articles — parus le plus souvent dans
les Cahiers du Cinéma — des metteurs
en scène de la nouvelle vague, qui ont
été longtemps critiques avant de devenir
réalisateurs, non seulement cette collection
rassemble des textes dispersés ou difficile-
ment trouvables. mais elle prouve qu'entre
critique de cinéma et réalisation le pas
n'est pas si grand.
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53
C'est d'ailleurs ce qu'affirmé Godard lui-
même, pour qui faire de la critique ou
faire un film est la même activité. Car
la collection, évidemment, commence par
Godard. A tout seigneur tout honneur,
Le volume recueille les articles de Godard
critique parus dans les Cahiers du Cinéma
et dans Ans, où Godard a tenu assez
longtemps une rubrique régulière ; re-
cueille aussi des interviews et des textes
.que Godard écrivit sur ses films, il y a
même la fameuse lettre au ministre de la
Kulntr que Godard adressa à Malraux
au moment de l'affaire Langlois.
Mais plutôt que de s'attacher à la petite
histoire, il est intéressant de relire, dans
ce recueil, les quelques études magistrales
que Godard consacra à Hitchcock. On
parle sans cesse de l'influence d'Hitchcock
sur Truffant — il en parle lui-même
avec complaisance —, on oublie celle
d'Hitchcock sur Godard.
De cet ensemble de textes, aussi remar-
quables que les films eux-mêmes, se dé-
gage une double image. Celle du critique
de cinéma le plus brillant, le plus intelli-
gent et le plus consciencieux que l'on
ait eu en France avec Astruc, et d'autre
part une nouvelle construction du cinéma.
Non pas une nouvelle théorie esthétique
du cinéma, mais la théorisation d'une
nouvelle fonction de ce cinéma : cinéma
politique, cinéma d'agitation, cinéma im-
médiat, cinéma moderne en un mot. Par
ce recueil, Godard prouve en effet que
l'activité critique et l'activité créatrice, au
cinéma comme en littérature (cf. Barthes),
est une seule et même chose,
J.-J. B.
J,-€. Zylfoerstein a lu
Le Paumé
par Fvan Hunter
Série noire, Gallimard
186 p., 3 F.
Se faire enlever en plein New York pour
servir de doublure à un... cadavre, je sais
bien qu'il n'y a pas beaucoup de gens
pour prendre ça. au sérieux. Et d'habi-
tude, celui-là même à qui ça arrive a
bien du mal à y croire. Mais il y a des
gens si bizarres sur cette terre...
C'est tout le talent d'Hvan Hunter de
nous faire croire que ça peut arriver, et
que sans qu'il s'agisse d'une plaisanterie
il s'y mêle comme un élément d'irréel.
Mais New York telle qu'il la peint, est
pourtant bien vivante, et au fur et à
mesure qu'est dévoilé le sujet de l'intri-
gue le lecteur amusé se transforme en
lecteur passionné.
Et puis Andy Mullaney, le « paumé »
est un personnage tout à fait hors série
dont le souvenir longtemps après que
54
l'on ait refermé le livre, hante la mé-
moire.
Vous en dire davantage, peut-être en
ai-je déjà trop dit, vous priverait du
plaisir que vous trouverez à lire cette
très belle Série noire, A toi de jouer lec-
teur.
I^a mort avait mis des gant§
par Christophe Izard
Crime Club, Denoël
158 p., 3 F.
Lorsqu'un fou (que pourrait-ce être d'au-
tre ?) se met à tirer dans la foule, à la
fête foraine, et qu'on relève les victimes
on s'aperçoit avec étonnement que ce
sont toutes des femmes. Bah pense-t-on
légèrement soulagé, ce n'est guère qu'une
crise de mysoginite aiguë. Mais l'inquié-
tude plane à nouveau lorsqu'on s'aperçoit
au moment de l'arrêter que l'assassin
s'est à lui-même tiré une balle dans la
tête. Et puis un second fou (que pourrait-
ce être d'autre ?) est pris de la même
lubie. Ferions-nous face à une épidémie ?
Le commissaire Cartigas est bien ennuyé:
l'assassin, qu'il a retrouvé, est mort à son
tour. Ses louables efforts ne lui permet-
tent pas d'empêcher une troisième tuerie,
qui lui fournira cependant un indice.
Avec un joli dénouement parfaitement
imprévu, et beaucoup d'originalité dans
son procédé narratif. M. Christophe
Izard fait là des débuts prometteurs.
une rouge
par Laurence Block
Séri? noire, Gallimard
185 p., 3 ¥.
Lawrence Block est l'auteur bien connu
d'une série de romans d'espionnage très
farfelue dont le héros est un « insom-
niaque ». 11 a mis au repos son étourdis-
sante verve, pour produire ce livre-ci qui
est aux antipodes du genre qui l'a rendu
célèbre. Dans la tradition classique de la
Série noire Lune rouge nous conte la
chasse à l'homme entreprise par un cou-
ple de jeunes mariés décidés, pour se
venger, à faire de leur lune de miel, une
lune de sang.
louî particulièrement recommandé à
ceux qui aiment leurs « policiers » durs
et brutaux, sans fioritures ni sentimen-
talité.
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tous genres
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de la douleur
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çais au début de l'ère capitaliste.
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La théorie de la cure par un éiève
d-e Lacan.
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lyste freudien de stricte obédience.
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les résistances et le transfert, le
livre contient là une analyse de
la cure type.
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L'ethnologue et son ombre
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191 p., 16,50 F
L'apprentissage de l'ethnologie sur
le terrain.
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La paix indésirable
Calmann-Lévy
208 p., 12 F
Quinze experts américains analy-
sent les « mérites ^ respectifs de
la guerre et de la paix; conclu-
sion : la guerre est plus « renta-
ble ».
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Ecrits et paroles
Le Seuil
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Le combat du révolutionnaire co-
lombien tué deux ans avant Gué-
vara dans des circonstances sem-
blables.
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La France dans l'Europe de
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La politique de collaboration dé-
mystifiée par un Allemand.
Marcel Brion
L'art fantastique
Marabout Université
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Une synthèse des thèmes fantas-
tiques dans l'art.
Alexandre Kojeve
Essai d'une histoire raisonnée
de la philosophie païenne
Tome I
Gallimard
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Une histoire neuve et originale de
la pensée grecque présocratique.
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Choix d'essais
Denoël
236 p., 19,60 F
Un aspect inconnu de l'œuvre du
grand dramaturge italien,
Evelyne Sullerot
Histoire et sociologie du travail
féminin
Gonthier
394 p., 21,70 F
La première analyse sociologique
du travail féminin dans le temps
et dans l'espace.
Alex Comfort
Les fabricants d'anxiété
Robert Laffont
258 p., 15,20 F
La médecine au secours de la
« morale »>.
SCIENCE-FICTION
Terry Carr
La science fiction pour ceux
qui détestent la science fiction
Editions Denoël
Coll. Présence du Futur
240 p., 8,50 F
M. Terry Carr que M, Terry Carr
s'est cru autorisé à inclure dans
cette anthologie, un livre excel-
lent pour ceux qui aiment la
science fiction,
James Gressîer
Le légat holigon
Christian Bourgois
208 p,
Malgré l'allé trllhardlrnne sous
laquelle James Oressier veut se
placer, un excellent ouvrage de
science-fiction mérovingienne.
POLICIERS
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Epltaphe pour une robe rouge
Presses de la Cité
189 p., 3 F
t'ii « policier » danois, dont l'ac-
tion se passe dans les milieux
d une compagnie aérienne.
Auguste Le Breton
Du ri/ifi derrière le rideau de
fer
Pion
315 p., 4,80 F
A Prague, Mike Coppolano est
chargé d'aider un gang Interna-
tional à s'emparer d'un trésor
national. Mais l'un des membres
du gang a tué son meilleur ami...
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On sonne à la porte
Le Masque
189 p., 3 F
La dernière enquête de Néro Wolfe,
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l'une des plus ingénieuses imagi-
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Trois âges
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de
Son meilleur livre '
FRANÇOIS NOURISSIER
Grasset
i
REVUE DE PRESSE
** rosé de sable - Henri de Montherlant, Gallimard.
^,** nous fait attendre sa fameuse « Rosé ï> un tiei*s de siècie et il
J occupe de son lancement comme un gamin avant les prix littéraires.»
*aW§0is Régis Bastide — Nouvel Observateur
pi s'<agit là en tout état de cause de son plus grand roman, »
M>ttde Mattei —. Le Provençal
* Mais la Rosé de Sable vaut surtout par ses admirables images, (...)
,^cUïïe description n'a fait lever en moi des souvenirs personnels aussi
JE St's {'* P*"0^0"1^ (jue dans certaines ide ses) pages, »
9S Mîsfler, de l'Académie Française — L'Aurore
p. & flose de sable est en quelque sorte le
6're Bcarn — Le Nouvelliste du Rhône
roman de la colonisation. :
th définitive sans être originale, ni même, complète. (...) Mon-
eti t lï^ ^er^ en nioraUste, jugeant les hommes et les mœurs, appréciant
P termes de valeur la conduite de ses personnages. »
Pré-Henri Simon* de l'Académie Française — Le Monde
rahf r*cne^se, l'abondance de vue et de vie de ses 575 pages est admi-
i™p,' Le style pourrait èïre plus surveillé et les développements serrés. &
^«are Billy, de l'Académie Goncourt — Le Figaro
U
Wort des autres - Jean Guéhenno, Grasset.
. , ,
taire des discours, et (qu'il) soit largement répandu lors d
»ah s distributions de prix...
es pro
J?r orine le vœu que le petit livre de M. Jean Guéhenno, de l'Académie
. wtiealse, soit envoyé à tous tes maires, à tous les officiels qui auront
ch
outrt Kanters — Figaro Littéraire
p !Vï"e généreux et émouvant voudrait voir l'humanité substituer aux
li?sloïls confuses qui, d'âge en âge, rallument les guerres, la sagesse
JM na!trait <!«' 1» fraternité.
, wisfler, de l'Académie Française — L'Aurore
jlH1*fr'"'t principal de La mort ries antres réside dans la variété des
i J^,OiSI1ages que Jean Guéhenno produit et compare,
c»en Christophe, de l'Académie Française — Le Soir
allait-Il se débander vingt-cinq ans plus tôt "1 C'est ce que tiuéhemio
jj"8* pas (jirej e{ pourtant... L'esprit de M. Guéhenno ne définit rien,
jf s'attarde à aucune rigueur, et pourfend ce qu'il n'aime pas à travers
Ph i'CSr*€a^ures *ïu'i' en fabrique; il triche.
Hippe de Saint-Robert — Notre République
„ ^ Guéhenuo met toute sa sincérité et toute sa flamme dans MU livre
tm vient du cœur, à exalter un idéal social dont on ne peut nier
«> noblesse.
c»en Guïssard — La Croix
^* garde du cceur - Françoise Sagan, René Julliard.
i*8 défauts que l'on reproche au garde du cirur sont très exactement
*Ux que Françoise Sagan, avec un entêtement doux et Invincible, montre
KWSkl *ous s<*s livres depuis plus de dix aus.
woer Hacdens — Paris-Presse
fc* romancière a vieilli et choisit des voitures plus confortables.
"nippe Gond —. Combat
?°thnde policière heureuse et amusante qui ressemble à un pastiche
p^ ses romans précédents.
°*eol Thomas — Elie
J;e n'est qu'un divertissement, un peu macabre, sans doute... t-n jeu
*<lrtin Jans — Le Soir (Bruxelles)
J-'optiniisme, lui, ruisselle presque à chaque page de ce garde dit cœur.
"Sar Schneider —- Paris-Presse
Chacun sait déjà que ce n'est pas un chef-d'n-uvrc... cela peut se lire
je«out dans le métro entre Balard <>t Charenton.
™o« de La Futaille •— Le Canord Enchaîné
ffrie noire du type humoristique. Avec Françoise Sagan c'est toujours
1e déjeuner de Madame Butterfly.
'eau Freusfj4 — Le Nouvel Observateur
(*el nYst pas un roman i.olicicr, c'est un roman de meurtres. On peut
*" attendre le plaisir de lire. Ce plaisir, le garile dn canr nous le donne
Hurtin — Le Magazine littéraire
Réapprendre l'irrespect - François Fonvielle-Alquier,
- „„ , iun%sun-r unr« —~ i~c t»ïw it-sl"
JUS grenouilles françaises demandaient un roi, elles l'ont ei
f-«-.A. s'amuse vraiment tic s<-s démoustrations, il nous amus
Passionne, la Icetur.- est toniflantc, l'assurance tranquille, et
jF'a«de-Êronçoîs Jullien — Témoignage Chrétien
yjfvellleusement injuste comme tous les pamphlets.
.;». Pourquoi Pos — (hebdo. Bruxellois)
pamphlet <pii forme un tout et dont le style autant que 1 msp
'Mît jamais vulgaires.
' TreBO .— |_e Canard Enchaîné
rené ehni
que ferez-vous
en u n
novembre?,
Je crois bien que j'ai vu hier la meilleure pièce
de l'année, la plus audacieuse, la plus neuve,
la plus cruelle.
Un grand auteur dramatique est né.
J'ai souvent pensé devant la richesse de pen-
sée, la subtilité du dialogue, à PIRANDELLO.
JEAN DUTOURD
France-Soir
Monsieur RENÉ EHNI ne semble avoir le goût
de la satyre, de la démystification, de l'allé-
gresse frappant, cinglante ce qui n'interdit pas
de temps à autre une espèce de sincérité tris-
te comme il arrive chez JEAN ANOUILH.
JEAN-JACQUES GAUTIER
Le Figaro
On songe évidemment à TCHÉKOV (...)
RENÉ EHNI rappelle enfin O'CASEY pour
l'humour fraternel qui nasarde dénigrer.
Mais il a surtout le mérite d'être lui-même,
d'emblée un observateur implacable, un po-
lémiste plein de malice, un psychologue di-
gne, un dialoguiste vif, imagé, franc jusque
dans la verdeur.
B. POIROT-DELPECH
Le Monde
CHRISTIAN BOURGOIS EDITEUR
57
par Michel Vaucaire
II est facile à un collectionneur de tim-
bres de s'y reconnaître : il n'a qu'à pos-
séder le Catalogue Yvert et Tellier où
tous les timbres sont répertoriés, classés,
reproduits et cotés. On lui vendra même
des albums où les cases sont toutes pré-
parées.
Pour les livres il n'existe rien de sem-
blable. Chacun se choisit une documenta-
tion sur les sujets qui l'intéressent, c'est ce
qu'on appelle posséder de la bibliogra-
phie. On a publié sur tous les genres de
livres des ouvrages plus ou moins bien
faits, niais aucun ne donne jamais la
valeur des livres décrits, car il n'y a pas
deux exemplaires pareils, sauf pour les
livres récents, brochés, à l'état neuf. Ht
puis si le Catalogue des Timbres est mis
à jour tous les ans, les bibliographies ont
rarement plus d'une édition et si l'on
consulte, par exemple le Manuel de l'ama-
teur de livre.*, illn\trt:\ du xvm", de Cohen,
paru en 1912, resté le meilleur sur cette
spécialité, quel crédit donner aux indica-
tions de valeur marchande ? On ne doit
tenir compte que des renseignements sur
le nombre de pages, de gravures, la façon
de reconnaître le premier tirage, les diffé-
rents papiers, etc. Pour les prix il faut
s'adresser ailleurs.
Un expert a. naturellement, besoin de
beaucoup de documentation, car on peut
venir le consulter sur une partition musi-
cale du xvii1', un atlas du xvi", une bro-
chure sur la peste de la fin du xv", une
originale anglaise ou latine...
Jl y a des bibliographies sur presque tout,
mais souvent dispersées, pas très claires
et jamais complètes. Celui qui voudrait
posséder un ensemble sérieux doit s'at-
tendre à une dépense de dix à vingt mil-
lions d'anciens Irancs. car la plupart de
ces ouvrages tirés à petit nombre coûtent
très cher. Mais il ne suffit pas de pouvoir
trouver la référence cherchée pour être un
vrai connaisseur, il faut avoir le don qui
ne s'acquiert pas dans les dictionnaires.
je connais au moins deux libraires que
vous pouvez lâcher dans une bibliothèque
de dix mille volumes et qui en trois minu-
tes auront mis la main sur les quatre
58
bouquins^ qui valaient le déplacement,
même s'ils étaient modestement placés
sur^un second rayon. Inutile de passer
après ces lascars, il ne reste plus que du
remplissage et de la drouïlle, c'est ainsi
que l'on nomme chez les professionnels
les livres incomplets, tarés ou sans valeur,
Le vrai bibliophile doit avoir du nez
comme un chasseur, comme un pêcheur
qui sait que sous cette souche se cache la
plus belle truite. Ht puis il y a peut-être
une certaine sensibilité de la main, du tou-
cher qui vous apprend que la prise est
bonne, que ce bouquin qui ne paie pas de
mine est rarissime. Mais à ce propos
dites-vous bien que la rareté ne fait pas
toujours la valeur. Il vaut mieux avoir
une « Chronique de Nuremberg », ce gros
volume illustré de la fin du xv" siècle,
le plus commun des incunables, qu'un
vague traité de théologie de la même épo-
que, connu à deux ou trois exemplaires
et qui n'intéresse plus personne. 11 doit res-
ter des centaines d'exemplaires de cette
Chronique de Nuremberg qui fut un
« tube » en son temps, le type du best-
seller, mais qui a gardé son charme et son
intérêt, car en dehors de centaines de
gravures sur bois dont certaines donnent
de bien jolies vues de villes, on y trouve
des nouvelles qui durent passer inaper-
çues, comme celle encore fraîche de la
découverte de l'Amérique.
J'ai lu dans un roman policier récent la
phrase suivante : « il saisit un livre gros
comme un incunable ». L'auteur ignorait
sans doute qu'un incunable est un livre
imprimé avant 1501; certes le tout pre-
mier, la fameuse Bible de Gutenberg était
de bonne taille, mais il y en a d'autres
fort menus. Incunable vient de in cuna-
hilix, c'est-à-dire dans le berceau (de l'im-
primerie). C'est la période que les biblio-
graphes connaissent le mieux et sur
laquelle il existe une foule d'études sérieu-
ses. Tout cela devait être concrétisé dans
un ouvrage définitif, publié à Leipzig sous
le titre de Gesamtkatalag (1er Wiegen-
drucke. Toutes les fiches avaient été fai-
tes, mais il n'a paru que les lettres A à E,
de 1925 à 1938. Le reste paraîtra-t-il
un jour ? J'ai bien peur qu'une bombe
russe ou américaine n'ait mis fin à cette
œuvre gigantesque.
A un débutant bibliophile qui veut faire
collection de livres anciens il faut au
moins trois ouvrages :
Le Manuel du libraire, de Brunet;
Le Manuel de l'amateur de livres illustrés
du xvm'', de Cohen;
Et le Trésor du Bibliophile romantique et
moderne, de Carteret.
Le Brunet a été publié il y a plus d'un
siècle. On y trouve une masse de rensei-
gnements, II en existe de très bonnes édi-
tions modernes en fac similé, car l'an-
cienne est devenue rare. Le Cohen, qui
date de 1912 a été réimprimé il y a quel-
ques années. Le Carteret, en quatre volu-
mes, ^ avec de belles reproductions est
épuisé, mais se trouve d'occasion.
Il faut quand même compter environ
1.300 à 1.400 francs pour réunir ces trois
bibliographies de fond.
Mais il y a des renseignements que l'on
peut avoir pour rien, ce sont ceux que
l'on trouve dans les catalogues de libraires
et dans ceux des ventes de l'Hôtel Drouot.
Quand je débutai dans la bibliophilie à
onze ou douze ans, je fis le tour des librai-
res d'occasion et je leur demandai le ser-
vice de leurs catalogues pour... mon père.
Ça faisait plus sérieux, mais comme nous
avions les mêmes initiales c'est à moi que
le facteur donnait les catalogues dans les-
quels je me plongeais avec délice. Peu de
lectures m'ont passionné davantage. On y
découvre et on y apprend tant de choses.
Laites comme moi. Si vous n'achetez rien
on vous coupera le service au bout de
quelques années, mais cela m "étonnerait
bien que vous ne soyez pas tenté un jour
par un titre extravagant à un prix ridicule
de bon marché. C'est comme ça que j'ai
fait mes premières armes. Quand vous
étiez enfant vous vous jetiez, j'en suis
certain, sur les catalogues des grands
magasins, au moment de Noël. Ces images
de, trains électriques, de boîtes de soldats
de plomb, de patins à roulettes, comme
elles paraissaient merveilleuses.
En lisant les catalogues de livres d'occa-
sion, cher ami bibliophile, c'est un peu ce
genre de rêves que vous ferez comme moi.
les meilleurs
nouveaux livres dans des reliures originales
au CERCLE du NOUVEAU LIVRE
'CirUS : Jean-Pierre Chabrol, Edmonde Charles-Roux, Michel Droit,
Virgil Gheorghiu, Kléher Haedens,
Françoise Matlet-Joris, Thyde Marinier,
Anne Philipe, Morris L. West, etc...
ce mois-ci
LES RENDEZ-VOUS DE LA COLLINE
d'Anne Philipe
Marie est une jeune veuve qui s'efforce d'élever avec
le plus grand soin sa fille Constance, une délicieuse
fillette de 11 ans qui attend avec ravissement d'être
adulte. Dans ce livre, constitué pour l'essentiel des
rapports entre cette mère et sa fille et de leurs conver-
sations, l'amour maternel a trouvé en Anne Philipe
des résonnances secrètes qu'elle a su rendre avec un
incomparable talent. Seule une femme, d'ailleurs,
pouvait écrire ces "Rendez-Vous de la colline" qui
méritent de figurer au premier rang des grands
romans d'amour.
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publié dans une édition numérotée hors commerce, relié pleine- toile
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Tous les mois vous recevez gratuitement un bulletin d'information sur
le prochain ouvrage sélectionné par un Comité de Lecture animé par
André Maurois de l'Académie française, Marcelle Auclair, Maurice
Druon de l'Académie française, Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet
et Pierre Lazareff, pour pouvoir faire votre choix en toute connais-
sance de cause.
Vous avez ainsi toute liberté de choisir les livres que vous voulez recevoir
sans nombre minimum de livres à prendre par an, et à des conditions
de paiement très avantageuses : les livres du Cercle sont payables seu-
lement après réception, et vous n'avez aucun argent à verser à l'avance.
bon d'adhésion
à envoyer (découpé ou recopié) au CERCLE DU NOUVEAU LIVRE
217, rue Saint-Honoré - Paris \"f
Veuillez m'envoyer :
1" - mes deux livres offerts gratuitement en cadeau de bienvenue : " La forêt
perdue" de Maurice Genevoix, et, "Châteaux de cartes" de Marie
Mauron.
2° - la sélection du mois : " Les rendez-vous de la colline " d'Anne Philipe
Que je vous réglerai au prix-club de 16,30 F ( + 2,50 frais de port des
3 volumes) après réception.
Chaque mois, je recevrai gratuitement un bulletin d'information me proposant
un nouveau livre à paraître que je suis libre d'accepter ou de refuser. Il n'y
a aucun autre engagement de ma part ; je ne suis pas obligé de prendre un
nombre minimum de livres par an, et je reste libre de quitter le Cercle quand
je le désire.
NOM (M. Mme Mlle).
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c
monsieur
gruber
un
volume
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du roi
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n.18
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n.18