Action

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N» S • MERCREDI 12 JUIN • PRIX MINIMUM : 0,50 F • Ce
journal a été réalisé au Setvics dea Comités d'Action, avec I8 soutien ds l'UNEF. du SNESup et de3 Coûtes d'Action Lycéens.
L'ËPREIIVE
DE
FORCE
Apres Meulàn, c'est à Sochàux que le pouvoir a
frappé, avec coups de crosse et balles de 9 mm dans
le dos. C'est une entreprise délibérée d'aggravation
de la répression, une entreprise qui porte ses fruits.
Ce nouveau meurtre est d'ailleurs perpétré dans le
même temps que se déclenche, des journaux de con-
cierge jusqu'à l'honorable « Monde », une campagne
de presse contre l'avant-garde du mouvement. Fort
des compromis qu'il a réussi à faire accepter aux cen-
trales syndicales, le gouvernement veut pousser son
avantage en amenant celles-ci par l'emploi de la ter-
reur, à abandonner les grévistes. Le gouvernement
engage ainsi une épreuve de force devant laquelle il
faut prendre nos responsabilités. Allons-nous, devant
l'emploi du meurtre comme instrument politique, nous
cantonner dans les cérémonies de deuil et les manifes-
tations de principe ?
Hypocritement, le pouvoir feint de s'étonner qu'au
troisième jour de la campagne électorale les grèves
continuent. Ceux qui les poursuivent, à cause des
carences du mouvement ouvrier, n'ont pu exprimer que
des revendications immédiates. Mais, sur la simple
satisfaction de ces revendications, ils savent aujour-
d'hui à quoi s'en tenir. L'encre des compromis entre
patronat et syndicats n'est pas encore sèche que déjà
les experts annoncent une hausse des prix de 11 %
pour l'année à venir. C'est pourquoi ceux qui se bat-
tent, le font à l'heure actuelle, pour le maintien de leur
niveau de vie. Et s'ils se battent pendant la campagne
électorale si chère à nos politiciens, c'est qu'il est
évident que leurs problèmes ne seront pas réglés par
les élections. La hausse des prix consécutive à la
hausse des salaires, c'est la logique du capitalisme.
Les travailleurs se heurtent à un problème de
système et pas à un problème de majorité parlemen-
taire. C'est le pouvoir qui est en question.
Après avoir une première fois versé dans l'électo-
ralisme, les organisations qui se réclament de la classe
ouvrière vont-elles continuer à agiter, comme on l'a vu
avant-hier au Palais des Sports, des drapeaux trico-
lores ?
On ne laisse pas impunément le champ libre à la
répression.
Les manifestants de cette nuit ont choisi : ils refu-
sent de cautionner un système qui ne recule pas devant
le meurtre. C'est pourquoi ils ont brûlé les panneaux
électoraux, symbole d'un jeu qui réduit lès travailleurs
au silence.
LES CHIENS
DE GARDE
HURLENT A LA
RÉPRESSION
Une fois de plus la presse
française vient de faire preuve
de son abjection. Le nuage de
fumée dans lequel elle tente
de dissimuler les responsables
du crime de Meulàn soulève le
cœur : « Circonstances mysté-
rieuses » Le Parisien libéré,
•< Circonstances controversées
Le Monde, « II a pris peur, il
s'est jeté à l'eau » Paris Pres-
se, « Un lycéen s'est noyé près
de Flins pour échapper aux gen-
darmes » Paris Jour, « C'est
pour se soustraire à un con-
trôle de police qu'un groupe
d'étudiants s'était jeté dans la
Seine près de Meulàn » Le Fi-
garo Un peu plus, et l'on par-
lerait d'une baignade d'agré-
ment au cours de laquelle un
jeune imprudent a trouvé une
fin tragique. Et que dire de l'eu-
phémisme •• contrôle de police »
lorsque l'on sait ce qu'il re-
couvre : matraquage et raton-
nade.
Mais il y a plus grave : avec
un ensemble touchant, la presse
et la radio commencent à se
préoccuper, sous des prétextes
divers, de la situation créée par
l'existence de « bastions étu-
diants » et de facultés occu-
pées. Cette convergence n'est
pas étonnante. Dans Le Figaro
le « sociologue » chien-de-
garde de la bourgeoisie, Ray-
mond Aron : Alors que « les
ouvriers ont presque tous re-
pris le travail », les facultés res-
tent occupées. La raison, c'est
l'action d'une minorité qui à la
faveur de beaucoup d'ensei-
gnants, grâce à l'immobilisme
politique de la masse des étu-
diants et des professeurs tra-
ditionnels, sont en train de réus-
sir une opération proprement
subversive ». Le plus intelligent
des idéologues bourgeois de-
vient un crétin lorsque le mou-
vement des masses ébranle le
pouvoir de sa classe. M. Ray-
mond Aron n'échappe pas à la
règle : il ne trouve rien de mieux
que la théorie éculée des me-
neurs.
Cette « analyse », qui démon-
tre à quel niveau se situe le
« maître » de la sociologie uni-
versitaire française, débouche
sur un appel à la constitution
« d'un vaste comité de défense
et de rénovation de l'université
française ». La Sorbonne aura
son C.D.R., et la poignée d'en-
seignants-flics qui cherchaient
un chef l'ont trouvé : R. Aron.
Tandis que Paris-Jour, dans le
ton populiste, verse des lar-
mes de crocodiles sur l'inquié-
tude des parents qui se deman-
dents s'ils pourront partir en
vacances, La Croix dénonce les
« quelques centaines d'étudiants
révolutionnaires » qui font la loi
à l'Université : - Avec une maî-
trise consommée, ils font tous
les jours l'analyse de la situa-
tion et exploitent chaque diffi-
culté ou chaque incident pour
créer et propager une situation
révolutionnaire ». Paris-Presse,
sous le titre « La seule solu-
tion ». appelle à la suppression
des ilôts « insurrectionnels dans
les facultés ».
La signification politique de ce
concert est clair : c'est un ap-
pel à la répression. Insidieuse-
ment la presse bourgeoise de-
mande que soient chassés les
barbares qui campent au cœur
de la cité : dans les facultés et
dans les usines. Demain, elle
hurlera avec les loups. La bour-
geoisie a peur : elle croyait
avoir noyé le mouvement des
masses dans la mare électorale.
Le mouvement réapparaît : les
chiens de garde se mettent à
aboyer. Au moment où la ré-
pression vient de tuer, les valets
de plume appellent à la ces-
sation de la violence. Pour les
manifestants bien sûr ! Pas pour
les flics armés et casqués ! Ce
qu'Us veulent, c'est que les
masses abdiquent devant la vio-
lence policière. Aux élections I
Aux élections ! Le slogan pour-
tant ne fait pas recette : les ef-
forts faits pour gonfler la bau-
druche parlementaire se révè-
lent vains.
LA
MILICE
DU
Le 27 mai dernier, le Prési-
dent de la République — im-
puissant à résoudre par les
voies habituelles la crise engen-
drée par dix ans de pouvoir
gaulliste — appelait la popula-
tion à se constituer en Comités
de Défense de la République
(C.D.R.) et autres Comités d'Ac-
tion Civique, sous le contrôle
direct des préfets, rebaptisés
pour la circonstance : commis-
saires de la République.
Ce faisant, il donnait le feu
vert à ses commandos du S.A.C.
(Sections d'Action Civique :
provoquateurs, matraqueurs et,
le cas échéant, tueurs occultes
du Régime) pour organiser sur
tout le territoire des réseaux
armés capables, si besoin est,
de maintenir par la force une
dictature gaulliste. Par là même,
il sortait de la légalité.
Il est urgent de dénoncer cette
milice que de Gaulle est prêt
à lancer dans la guerre civile
et de mettre en garde les Fran-
çais qui seraient tentés de la
rejoindre.
Quelle est donc cette milice ?
A l'origine, il y a le B.C.R.A.
service de « renseignements »
gaulliste créé à Londres sous
l'occupation. C'est dans ses
rangs que furent recrutés les
principaux animateurs du Ser-
vice d'ordre du R.P.F., dirigé
par SERRE, PONCHARDIER et
quelques autres.
Ce S.O. déborde vite — il
fallait s'y attendre, vu sa com-
position — les fonctions habi-
tuelles de ce genre d'organisa-
tion pour devenir, après le dé-
part de de Gaulle à Colombey,
une police parallèle clandestine :
barbouzes et commandos d'in-
tervention.
Tout le monde sait le rôle
que jouèrent ces groupes dans
la préparation du 13 mai 1958
et dans sa récupération au pro-
fit de l'homme du 18 juin.
La prise du pouvoir par de
Gaulle fit sortir de la clandes-
tinité ces polices parallèles.
Elles furent prises en main par
des hommes comme Alexandre
SANGUINETTI, Paul COMITI et
Charles MATTEI qui formèrent ,
les Sections d'Action Civique
(S.A.C.), tels les tristement cé-
lèbres « commandos Simca »
(briseurs de grève recrutés aux
usines Simca et payés par la
Direction pour faire ce sale
boulot) qui envoyèrent à l'hô-
pital plus d'un responsable syn-
dical.
Aujourd'hui, Roger FREY a re-
pris en main ces milices et les
utilise pour former et noyauter
les C.D.R. et Comités d'Action
Civique (C.A.C.), pour forger
LA MILICE DU GENERAL '
LYCÉES :
POUR
LA GRÈVE
ACTIVE
Ce matin, mercredi si.tr orefr* du
Bureau national du S.N E.S les cours
devraient reprendre dans les lycées. Il
semble pourtant qu'un mouvement de
résistance s'amorce au niveau des C.A.L
qui durcissent leurs positions, suivis en
cela par certains professeurs. La tête
de file du mouvement est le lycée
Henn-IV dont les élevés ont décrète
- l'autonomie pédagogique -, Depuis le
A juin, en effet, la grève a Henn-IV a
été une grève active : deux grandes
sections ont été créées, I une regroupant
les élevés de troisièmes et secondes.
l'autre ceux des premières et terminales.
A l'intérieur de ces deux sections, ont
été formés des groupes de travail de
20 à 25 maximum, rassemblant les élèves
de tous les niveaux, sauf en ce qui
concerne les matières scientifiques ou il
faut tenir compte des connaissances. A
cela s'ajoutent de larges débats politi-
ques et des activités culturelles
Nous signalons que le lycée Henn-IV
appelle tous les lycéens qui veulent
continuer la grève à venir participer a
cette expérience d'autonomie pédagogi-
que et a ne pas assister aux couis
normaux •.
Au lycée Louis le Grand malgrp
l'ordre de reprise des cours, le travail
T commissions doit continuer. Un
Son idéologie i
Anticommunisme résolu et
sommaire. Gaullisme viscéral ou
alimentaire. C'est tout.
Combien sont-ils ces miliciens
gaullistes ? En temps normal,
quelques centaines (5000-6000,
disent certains, mais ce chiffre
nou'; paraît excessif) bien
payes, bien armés, — armes à
feu comprises), couverts par des
cartes de la Sûreté. En période
de crise — c'est le cas semble-
t-il actuellement — ils peuvent
décupler leurs effectifs.
A leur tête, entre 70 et 80
« responsables » qui sont seuls
connus de la « maison-mère »
de la rue de Solférino. Chacun
d'entre eux recrute librement
ses hommes et les forme selon
ses propres méthodes. Leur
solde est très élevée : avec les
indemnités, ils touchent chaque
mois, plus d'un million d'anciens
francs.
Leur rôle dans les C.D.R. et
les C.A.C. est, au départ, de
donner l'impulsion, ensuite de
renforcer l'un ou l'autre en dif-
ficulté.
Les méthodes sont celles que
l'on imagine : intimidation, chan-
tage, provocation, brutalité,
meurtre si nécessaire.
Leur mobilité est très grande.
Ils se déplacent souvent dans
des « Estafettes » Renault ac-
compagnées de deux ou trois
voitures.
En période électorale, ils se-
vicent aux points chauds, pro-
tègent les affiches des candi-
dats du régime, attaquent sau-
vagement les colleurs des can-
didats de l'opposition.
La place qu'ils tiennent dans
les événements actuels se situe,
pour l'instant, au niveau du mou-
chardage — ils sont plus d'un
à la Sorbonne — et de la pro-
vocation.
Ils ont, en de nombreux en-
droits, noyauté et même dirigé
les briseurs de grève. Ils ont
aidé les « bons étudiants » à
tenter de récupérer certains lo-
caux universitaires.
La nuit du 10 au 11 juin, alors
que les forces de police encer-
claient et grenadaient la Sor-
bonne, nous avons repéré au
milieu des « flics » plusieurs
membres du C.D.R. (ruban tri-
colore marqué C.D.R. sur la
manche).
Il faut s'attendre, dans les
jours et semaines qui viennent,
à un •< durcissement » de ces
miliciens. Ils reprochent déjà à
de Gaulle sa « mollesse ». Ils
sont prêts pour la guerre civile
et la veulent.
Nous voulons une démocratie
pacifique, mais nous ne capitu-
lerons pas devant eux.
meeting do<t également avoir heu afin
d'informer les élevés qui n ont pas par-
ticipe a l'occupation du lycée, sur la
situation politique. Certains cours repren-
dront sans doute, mais des délègues du
ÇA L demanderont qu ils soient trans-
formes en discussions oolrtrques
La volonté de lutte est en tout cas
très nctto nu lycée Rodm qui a été reoc-
cupe par 1rs élevés dans la nuit de
lundi
LH situation y es! a suivante IP
Comité professeurs - élevés élu depuis
le 8 mai et reconnu par le proviseur en
ce qui concerne la gestion des locaux
pendant la grève, l'organisation des com-
missions, l'étude des revendications, est
dissous depuis Tordre de lepnse du
S.N E S Les cours devraient reprendre
seulement jeudi Le CAL demandera
mercredi après-midi dux élevés de se
prononcer sur la reprise des cours Une
certaine tension règne au lycse Rodm
du fait de I attitude du proviseur qui
s'estime libère des promesses faites au
Comité professeurs-élèves II était acquis
en effet que l'information politique serait
libre (journaux, affiches tracts signes)
et qu'un loi.al serait attribue a la propa-
gande et également que des délègues
des élevés assisteraient au conseil d«
classe en ce qui concerne l'obtention du
bac
Ces quelques exemples prouvent qus
la décision du S NE S de reprendre les
cours iisque de freiner les initiatives
fructueuses drs lycéens et professeurs
solidaires Cependant ! unanimité semble
se fairp su' IP ,efus d'j bac Pompidou
au pmfit çj M har préconise par l°
S N t S P! qui consistp a faire examiner
par le c onseil de riassp chaque cas, en
APRES LES MEURTRES,
LES RÉPONSES
DE LA RUE
Un lycéen tué à Flins : lundi soir, à la Sorbonne,
la confirmation de la nouvelle avait provoqué toute la
nuit une riposte spontanée des étudiants, des jeunes
et de la population ; très vite, le nombre des manifes-
tants était passé de 50 à 500, de 1 000 à 5 000 ; sur la
Seine, les ponts étaient bloqués ; le pouvoir provo-
quait l'affrontement dès lors inévitable. A minuit, le
commissariat du 5e arrondissement était attaqué aux
cris de « Gouvernement, assassin », « Ils ont tué nos
camarades » ! Toute la nuit, autour de la Sorbonne, la
colère avait nourri la combativité, prolongeant la ba-
taille pusqu'au matin. A 7 h., la Sorbonne subissait les
derniers assauts : les « flics » lançaient leurs grenades
à travers les fenêtres du premier étage, blessant très
gravement deux étudiants.
Hier matin, à Sochaux, derrière les barricades
construites par les grévistes de Peugeot, la police tuait
un deuxième camarade. On apprenait la nouvelle de
l'expulsion de plusieurs camarades étrangers.
SDR LA RIVE DROITE
A la répression du pouvoir,
toute la journée, ont répondu
des meetings et de petites ma-
nifestations qui, le soir, ont
convergé vers la gare de l'Est
en une manifestation centrale.
L'après-midi, les radios annon-
çaient l'arrestation de petits
groupes de manifestants : ly-
céens à Monge, étudiants à la
gare de l'Est. Place Monge, c'est
une véritable rafle aux jeunes
que tentent d'organiser les for-
ces de la répression. Avec beau-
coup de mal car les habitants ,
du quartier prennent le parti j
des lycéens qui étaient venu là
à l'appel des C.A.L Dès 18 h.
les abords de la gare de l'Est
sont investis par la police. Tous
ceux qui sortent des métros
sont embarqués ; à la Sorbonne,
on conseille de partir seulement
en cortège pour éviter les arres-
tations.
Le boulevard Sébastopol est
bloqué alors que de partout,
aux cris de « Vengeons nos ca-
marades ! », arrivent les cortè-
ges de manifestants. Les cor-
dons de police séparent les
groupes massés à tous les car-
refours (Réaumur - Sébastopol,
République, Turbigo..). Dès
19 h., les premiers incidents :
un motard qui fend la foule est
pris à partie sur le boulevard
Sébastopol.
A quelques centaines de mè-
tres, les chauffeurs de taxis
parisiens qui, toute la journée,
ont bloqué la circulation devant
le ministère des Finances, se
rassemblent rue Réaumur de-
vant le siège de « France-Soir ».
Le journal a donné une version
entièrement fausse de leurs re-
vendications. Les manifestants
commencent à bombarder la fa-
çade, brisant toutes les vitres
du rez-de-chaussée. La direc-
tion leur promet de faire publier
un rectificatif. « Si ce n'est pas
fait, nous reviendrons » promet-
tent les taxis.
A l'angle du Sébasto, sur le
chemin de la République, ils
arrêtent une camionnette de li-
vraison de « France-Soir » et
mettent le feu à sa cargaison
de journaux. Des gardes mobi-
les arrivent par la rue Réaumur.
Premières grenades.
19 h. 30. Chantant l'Interna-
tionale et criant « De Gaulle
assassin », plusieurs milliers
d'étudiants remontent vers Bar-
bes. Trois cars de flics sont
lapidés entre Pigalle et Blanche.
En tête du cortège, une bande-
role « Mallarmé en deuil » :
c'est le lycée de Gilles TAUTIN,
noyé à Meulan. Certains étu-
diants sont armés de piquets :
ce sont les débris de panneaux
électoraux arrachés sur le bou-
levard.
Vers 19 h. 30, rue Rambuteau,
les « flics » chargent pour la
première fois ; des renforts de
la police parisienne arrivent sur
le boulevard Sébastopol, pre-
nant à revers une autre partie
des manifestants. Aux abords
de Réaumur, puis de Rambu-
teau, les premières grenades
éclatent : les groupes refluent,
se disloquent, se reforment ; la
mobilité est de règle.
Il est près de 20 heures. Les
groupes se dirigent vers Saint-
Lazare ou vers le Quartier Latin.
On apprend que 300 camarades
ont réussi à se dégager de la
gare de l'Est et qu'ils se dirigent
eux aussi vers Saint-Lazare. Là,
à 21 heures, ils seront plusieurs
milliers à partir en direction des
grands boulevards, puis du Lou-
vre.
EN ROUTE
VERS LE QUARTIER
21 heures, le cortège parti
de la gare Saint-Lazare, passe
par le carrefour Châteaudun
(on a crié « capitulards » de-
vant le Comité Central), Riche-
lieu-Drouot (car de flic incen-
dié), au Carrousel (drapeau
décroché), la rue des Saints-
Pères — arrive à Saint-Germain.
Premier accrochage sérieux bd
Saint-Germain. Les brigades
spéciales de la P.P. chargent.
Les flics utilisent les lance-
pierres.
22 heures. Des barricades se
dressent un peu partout : fac
des sciences, rue de Buci, der-
rière l'Odéon, au carrefour St-
Jacques - Saint-Germain.
22 h 30. Des manifestants sont
retranchés dans la nouvelle fac
de Médecine et expédient des
cocktails Molotov sur les flics.
A MONTPARNASSE
23 h. Un bulldozer et un ca-
mion trouvés sur le chantier de
l'ancienne gare Montparnasse
ont servi à édifier les barricades
qui, vers 23 h., ont transformé
la place de Rennes en camp
retranché. Toutes les rues
étaient bouchées par des amon-
cellements de madriers, de pla-
ques de tôles, de barres de fer
et de pavés.
Mais les étudiants n'ont pu ré-
sister au tir de barrage de gre-
nades OF qui a précédé l'atta-
que des C.R.S. vers minuit.
Avant de décrocher ils ont mis
le feu, l'une après l'autre, aux
barricades. Il y a eu peu de
blessés. Les manifestants se
sont repliés sur le boulevard
Montparnasse, en direction de
Duroc.
Malgré un nombre très élevé
d'arrestations, malgré le dispo-
sitif policier gigantesque mis en
œuvre, des dizaines de milliers
d'étudiants et de travailleurs ont
manifesté : afin que force reste
à la rue.
UN CAMP
A VINCENNES
Un camp de concentration :
c'est le dernier gadget du pou-
voir policier. Ce camp a fait
ses preuves, si l'on peut dire :
Frey, déjà, y parquait les mili-
tants algériens aux pires heures
de la guerre d'indépendance.
Entouré de barbelés, il se
trouve sur le polygone de Vin-
cennes. Les cars de police bour-
rés de manifestants entassés
comme dans les wagons à bes-
tiaux s'y sont engouffrés la nuit
dernière vers 1 heure. Beaujon
ne suffisait plus : dans la France
de de Gaulle, la matraque va
plus vite que l'intendance.
SOCHADX :
LES TUEURS
ONT BATTU EN RETRAITE
TOULOUSE
SOCHAUX : Depuis 3 h du
matin, mardi, heure de l'inves-
tissement brutal des usines
Peugeot par les C.R.S., la ba-
taille a été pratiquement ininter-
rompue. Face à la résistance
acharnée des travailleurs le pré-
fet a cédé. A 21 h 30 les C.R.S.
ont évacué l'usine.
Lundi après-midi, un vote sur
la reprise du travail donne une
très faible majorité pour la fin
de la grève. La direction de
Peugeot annonce alors que les
heures de travail perdues du fait
des jours de grève seront ré-
cupérées le samedi, autant de
fois qu'il le faudra. Quant au
paiement des jours de grève,
la direction se contente d'an-
noncer qu'elle fournira une
avance de 50 % sur les heures !
supplémentaires que feront les j
ouvriers. Dès que la nouvelle
est connue, les jeunes travail-
leurs parcourent l'usine et ap-
pellent les ouvriers à cesser le
travail. Quelques heures plus
tard, tous les travailleurs ont
quitté l'usine.
Dans la nuit de lundi à mardi,
à 3 heures du matin, la direc-
tion fait appel aux C.R.S. : les
piquets de grève qui résistent
sont matraqués. Aussitôt, quel-
ques jeunes travailleurs com-
mencent à se battre aux abords
de l'usine ; les ouvriers qui
arrivent pour la relève de 4
heures se joignent au combat :
grenades lacrymogènes contre
pierres ; des barricades sont
édifiées aux alentours de l'usine.
Dans la matinée les forces
de l'ordre quadrillent Montbé-
liard et ses environs. Le mardi
matin, la bataille fait rage : les
manifestants s'emparent d'un
car de C.R.S. D'autres C.R.S.,
postés plus loin, tirent au fusil,
deux ouvriers sont tombés :
l'un, Bernard BEYLOT meurt
quelques heures plus tard, l'au-
tre est très gravement blessé.
Dans la journée, les gens sont <
venus de tous les environs :
ce sont des travailleurs des usi-
nes, notamment ceux d'Alsthom
de Belfort, des habitants de la
région, des étudiants de Be-
sançon.
En début d'après-midi les ba-
garres reprennent. Des groupes
de jeunes ouvriers tentent de
forcer l'entrée de certains ate-
liers occupés. Tandis qu'un vé-
ritable tir de barrage est dé-
clenché à l'aide de pierres et
de boulons par leurs camarades
ils se lancent à l'assaut des
murs. Certains réussissent à
atteindre la cour de l'usine.. Les
C.R.S. répondent à coups de
grenades lacrymogènes. Peu
après 15 heures des gendarmes
mobiles arrivent à la rescousse.
Le convoi est lapidé. Un mo-
tard de la gendarmerie, touché
par une pierre tombe. Sa moto
est incendiée mais il peut mon-
ter dans une des voitures.
Vers 16 heures une sortie
en force permet aux C.R.S. de
repousser les manifestants jus-
qu'au pont du chemin de fer.
Les flics sont bombardés à
coups de pierres et de tuiles.
A 18 heures, les délégués
syndicaux annoncent qu'ils ont
ofc«nu l'assurance du retrait
des policiers. Ceux-ci en effet,
ont quitté l'usine vers 21 h 30.
A partir de 22 heurs, les ou-
vriers et les habitants de So-
chaux se dirigent vers l'usine
et y pénètrent ; on y discute en
contemplant la carcasse brûlée
d'un car de police. L'atmos-
phère est celle de la victoire :
une bataille a été gagnée. Hier,
solidaires des ouvriers de So-
chaux, les ouvriers des usines
Peugeot de Valentigney et Au-
dincourt ont arrêté le travail.
Aujourd'hui la lutte continue :
les débrayages seront nom-
breux.
Cinq mille étudiante — a I appel d«*
C.A.R. et du Mouvement du 25 avr.i —
ont manifesté dans Toulouse avant de
mettre a sac les locaux de I U.DR ,
boulevard Carnot. Les débris des meu-
bles qu'ils ont brisés leur ont servi à
édifier des barricades.
Les C.R.S. ont dû appeler les gen-
darmes en renfort et prendre d'assaut
22 barricades dans le centre. Vers 2 h,
on se battait encore place Esquirol.
SAINT-NAZAIRE
A l'issue du meeting des métallo»,
place de I Hôtel-de-Ville, plus de cinq
cents jeunes manifestants ont encerclé
la sous-préfecture vers 20 h 30. Les poli-
ciers ont répliqué à coups de grenade*.
Des barricades ont été dressées dans
le centre. Les accrochages ont fait plus
de 30 blessés chez les manifestants et
10 chez les fhcs.
LYON
Un commando de grévistes a réussi à
réoccuper, mardi matin, vers 4 h 30, le*
locaux de l'usine Berliet à Montplaisir,
tenue par les -jaunes-. Actuellement,
sur les 16000 ouvriers de Berliet, 1 000
seulement ont repris le travail.
Hier soir, les étudiants (2000 environ),
ont tenté de gagner le fort Montluc, où
une de leurs camarades est emprison-
née depuis le 24 mai. Stoppes par la
police, les étudiants sont allés, par petits
groupes rendre visite aux métallos.
présence des délégués des élèves et
de« représentants des associations de
parents d'élèves. Un examen d'appel
oral pourrait avoir heu en septembre
pour les candidats non reçus.
Il est évident en tout cas que les
C.A.L. sont décidés a aller plus loin.
L'arrêt tout à fait contestable de la
grève leur permettra cependant de pour-
suivre le travail d'explication politique
à la totalité des élèves, cette fois.
A CITROEN
LA POLICE
DISPERSE
LES JAUNES
Citroën, 11 juin. — Hier matin, huit
cents cadres et agents de maîtrise,
entraînant quelques ouvriers, ont ébau-
ché une manifestation pour la liberté
du travail. Le journal • Le Monde » parle
• objectivement » de personnes voulant
reprendre le travail. La manifestation a
voulu se rendre au Ministère du Travail.
Les délègues n'ont pas été reçus par le
ministre. Comble d'ironie, la police a
dispersé les « jaunes » au pont de l'Aima,
A tous les militants nous conseillons
cependant de surveiller tous les matins,
à 6 h 30 - 7 heures, le quai de Javel et
la rue de Balard. Les étudiants mena-
ces du destin de flics-cadres, nous
n'accepterons pas que les cadres de
Citroën continuent leur sale besogne de
briseurs de grève. A la Sorbonne se
reunissent des • cadres contestataires • :
voila une action révolutionnaire concrète
pour eux.
C.S.F. LEVALLOIS :
INGÉNIEURS,
CADRES
ET OUVRIERS
REFUSENT
L'INTIMIDATION
CSF, Levallois. — L'usine de la CSF
a Levallois n'est pas un « bastion
rouge •. L'autogestion n'a pas été expé-
rimentée comme à la CSF - Brest, l'orga-
i msation de la grève n'est pas puissante
comme a CSF - Issy-les-Moulineaux : le
piquet de grève, composé des militants
i syndicaux, se contente d'empêcher l'ac-
' ces de l'usine.
Cependant, [a grève y dure depuis
cinq semaines, comme dans toute la
! métallurgie (les syndicats de l'électro-
nique font partie de la Fédération des
'. Métaux), car le patronat se cramponne
aux accords de Grenelle qui lui permet-
tent de refuser toutes les discussions
sous prétexte de raisons supérieures et
à la suite des déclarations optimistes
des syndicats a l'issue des premières
négociations.
Par l'intermédiaire de cadres dévoues,
la direction a tente, le lundi 10 juin,
une manœuvre d'intimidation qui a fait
long feu : d'abord, a cause de la determi-
i nation des grévistes et aussi parce que
beaucoup d'ingénieurs et de cadres de-
sapprouvent ces agitations activistes et
en ont assez de l'attitude des directeurs
qui, anciens militaire* ct« la Marina, s«
croient encore sur le navire « seul Maitre ;
après Dieu ».
Le vote suscité par la direction, mardi |
11 juin, — à bulletin secret et avec
contrôle d'huissier —, boycotté par les
syndicats, a recueilli 840 voix pour la
reprise contre 122... sur un effectif de
2 300 personnes.
La direction, accusant le coup, a j
i renoncé à « faire appel aux masses » et ;
i a demandé que chacun rentre chez soi !
j en attendant d'être convoqué par la :
I voie hiérarchique ou tout autre moyen ;
| d'information.
Cela montre que la direction n'a t
d'autre solution que le recul mais les j
syndicats de Levallois porteraient une :
lourde responsabilité si, en se contentant
de miettes, ils abandonnaient les autres
centres de pointe de la CSF, Brest et
; Issy-les-Moulineaux qui doivent rester i
pour eux un exemple. '.
C.S.E. ISSY :
AU MÉPRIS DES LOIS
LA GRÈVE CONTINUE
11 juin. — La direction de la CSF
d'Issy-les-Moulineaux — 2400 employés i
— organise ce mâtine, place du Marché, i
à 200 mètres des usines, un vote à bul-
letin secret pour la reprise du travail.
Le comité de grève refuse de participer
a cette consultation : - Nous ne recon-
naissons pas ce vote comme valable, ce
n'est pas la direction qui a décidé la
grève, ce n'est pas a elle de décider
si on reprend le travail. La seule façon
de faire cesser la grève c'est d'accep-
ter toutes nos revendications (salariales {
et de participation a la gestion). Ce n'est
pas bien difficile financièrement pour la
banque de Paris et des Pays-Bas qui
contrôle la Thomson et la CSF, environ
64 000 personnes ».
Les contacts avec la direction, Dan-
zin pour la CSF et Buissonnier pour la
Thomson, sont rompus depuis dimanche
après-midi. Les directeurs généraux ne
peuvent en aucun cas dépasser les
accords de Grenelle car - financière-
ment, la société ne pourrait supporter
ces nouvelles charges ».
Pourtant, certaines revendications pré-
sentées par les grévistes n'entraînent
pas, comme le dit malignement un des
membres du comité de grève, des sacri-
fices financiers pour l'entreprise. Les
grévistes demandent, par exemple, la
reconnaissance du droit syndical, mais
encore ils veulent organiser dans l'usine
des comités de base par atelier, par
bureau. Ces comités regrouperaient au
maximum 50 a 100 personnes et éli-
raient des représentants au comité
d'établissement. Dans ces comités, selon
les propres termes de deux membres
du comité de grève, serait organisée
d'abord la contestation ce qui permet-
trait un début d'initiation pour la
participation active des travailleurs aux
décisons. Dans tous les cas, dès le
début, les comtés de base pourraient
s'occuper des problèmes tels que ceux
de l'embauche, de la promotion, de
l'organisation et des conditions du tra-
vail, de l'autodiscipline. Tandis que le
comité d'établissement disposerait du
pouvoir de décision sur le plan écono-
mique
Toute l'oi gamsation intérieure de
l'usine e*t donc-remise an quantum «t
dans les comités de base constitués par
les grévistes ce qui est discuté en prio-
rité c'est la participation des travailleurs
aux décisions et l'autodiscipline. Un
point semble acquis d'ores et déjà, c'est
que les ouvriers n'accepteront plus de
se laisser organiser dictatorlalement à
l'intérieur de cette usine. Ils exigent,
une de leur banderole en fait fot : « Le
respect de l'individu et la fin d'une
! certaine discipline et des brimades •.
GUENA :
FIN
DE
NON RECEVOIR
Maison de l'O.R.T.F., 11 juin. — A
propos de l'O.R.T.F. comme de la métal-
lurgie, de Gaulle a dit : • Je ne négocie
pas sous la grève -. Son Guéna voudrait
bien céder, comme il a dû céder aux
Postes, mais un Guéna n'est que le
servile porte-voix de son maitre. L'ar-
rogance du pouvoir n'a d'autre effet
! que de souder l'unité de l'intersyndicale.
Le syndicat unifié des techniciens a
lancé un ultimatum aux cadres pour que
ceux-ci définissent leur position. Les
cadres se sont déclarés solidaires du
i personnel en grève. Ils ont refusé toutes
i collaborations du personnel extérieur a
1 l'O.RTF. que la direction a voulu utili-
ser. Ils ont refuse de remplacer les tech-
niciens aux postes de commande des
émetteurs. De toute façon, les techni-
ciens ont reçu de leur syndicat ordre de
s'opposer physiquement à toute tentative
de ce genre.
L'opération Jéricho, du moins sur
Paris, se termine aujourd'hui a 18 h 30 :
tous les téléspectateurs vont manifester
autour du Palais de la Radio. Les télé-
spectateurs seront plus exigeants que
CM journalistes du • Monde » et du
« Figaro » qui ont ose manifester pour
l'objectivité et continuent de plus bello
à « faire la vérité » sur la lutte des ou-
vriers en essayant de blanchir l'assassi-
nat de Flins et de calomnier les étu-
diants. Contre ces journalistes-la, il
faudra d'autres Jéricho, plus violents.
En attendant, l'expérience va se pour-
suivre en province, dans toutes les
villes où il existe un centre de radio
et de télévision. De même, pour les
meetings politico-culturels, une ville
va être particulièrement soignée : Pen-
gueux où le ministre Guéna se présente
aux élections législatives.
Une délégation de l'Intersyndicale de
l'O.R.T.F. s'est rendue hier chez le
ministre qui l'a reçue pendant deux
heures et demie environ, H ressort de
cet entretien que le gouvernement s«
refuse à envisager une réforme du statut
de l'office. En ce qui concerne l'ôbjecti-
vité de l'information, le ministre Guéna
s'est borné à dire qu'il veillerait a ce
que les rédacteurs en chef des journaux
télévisés et parles consultent leurs jour
nahstes ! La lutte se poursuit donc a
l'O.R.T.F.
le directeur de la publication :
Jean-Pierre VICIER
Travail «édité par dw oimuri
Grandes Imprimeries « Paru Centre »
142, rue Montm
faru (!•)
Document
UNE EXPERIENCE
DE POUVOIR OUVRIER :
LES CONSEILS D'USINE
A TURIN EN 1920
Le document qui suit est un rapport adressé en
juillet 1920 au Comité Exécutif de l'Internationale Com-
muniste sur les événements dont Turin venait d'être le
théâtre. Une forme originale (pour l'Europe occidentale)
d'organisation ouvrière était apparue : les conseils
d'usine. Ce mouvement devait marquer profondément
l'histoire du mouvement ouvrier italien. L'examen des
problèmes soulevés par cette expérience nous semble
devoir être rapproché de l'enquête sur Nantes parue
à cette place dans les deux derniers numéros. Non pour
établir une analogie formelle entre deux situations his-
toriques différentes mais pour mieux développer nos
luttes actuelles.
Un des membres de la délé-
gation italienne, récemment ren-
tré de la Russie soviétique,
rapporta aux travailleurs de
Turin que la tribune destinée a
accueillir leur délégation a
Kronstadt était ornée de l'ins-
cription suivante : « Vive la
grève générale de Turin d'avril
1920 ! "»
Les ouvriers ont accueilli
cette nouvelle avec beaucoup
de plaisir et une grande satis-
faction. La plupart de ceux qui
composaient la délégation ita-
lienne qui s'est rendue en Rus-
sie avaient été opposes a la
grève générale d'avril. Ils sou-
tenaient dans leurs articles que
les ouvriers turinois avaient été
victimes d'une illusion et avaient
surestime l'importance de la
grève. Aussi les travailleurs de
Turin ont-ils appris avec plaisir
le geste de sympathie des ca-
marades de Kronstadt- et ils se
sont dit : « Nos camarades com-
munistes russes ont mieux com-
pris et mieux jugé l'importance
' de la grève d'avril que les op-
portunistes italiens et ils ont
donne à ces derniers une bonne
leçon. »
LA GREVE D'AVRIL
Le mouvement turinois d'avril
fut en effet un événement gran-
diose non seulement pour le
prolétariat italien mais pour le
prolétariat européen, et nous
pouvons le dire, pour l'histoire
du prolétariat mondial.
Pour la première fois dans
! l'histoire on a pu en effet obser-
ver le cas d'un prolétariat qui
engage la lutte pour le contrôle
d ela production, sans avoir été
pousse a l'action par la faim ou
par le chômage. De plus, ce n'a
pas été seulement une minorité,
une avant-garde de la classe ou-
vrière qui a entrepris la lutte,
mais la masse entière des tra-
vailleurs de Turin qui est entrée
dans la bataille et qui a lutté,
sans se soucier des privations
et des sacrifices, jusqu'au bout,
! Les euvriera de la métallurgie
: ont- fait grève un mois, les au-
tres catégories dix jours La
, grève générale des dix dermets
> |ours s est étendue dans tout le
i Piémont, mobilisant environ un
I demi-milhon d'ouvriers de l'm-
I dustne et de l'agriculture, inte-
I ressant donc près de quatre mil-
I lions de gens.
I Les capitalistes italiens ont
; rassemble toutes leurs forces
pour étouffer le mouvement ou-
vreir turinois; tous les moyens
! de l'Etat bourgeois ont été mis
; à leur disposition, alors que les
ouvriers ont soutenu seuls la
lutte, sans aucune aide, ni de la
direction du Parti socialiste, ni
de la Confédération Générale
du Travail. Même, les dirigeants
'. du Parti et de la Confédération
| se sont moques des travailleurs
de Turin et ont fait tout leur pos-
; sible pour empêcher les travail-
j leurs et paysans italiens de lan-
! cer la moindre action révolution-
naire par laquelle ils entendaient
manifester leur solidarité avec
: leurs frères turinois, et leur ap-
porter une aide efficace.
Mais les ouvriers de Turin
n'ont pas perdu courage. Ils ont
supporte tout le poids de la ré-
action capitaliste, ils sont restés
disciplines jusqu'au dernier mo-
ment et ils sont restes, même
après la défaite, fidèles au rira-
| peau du communisme et de la
! révolution mondiale.
ANARCHISTES
ET SYNDICALISTES
i
La propagande des anarchis-
tes et des syndicalistes contre
la discipline de parti et la dieta-
S ture du prolétariat n'a eu aucune
influence sur les masses, même
! lorsque, à cause de la trahison
des dirigeants, la grève se ter-
; rnina par une défaite, Les tra-
j vailleurs turinois jurèrent même
| d intensifier la lutte revolution-
i naire et de la mener sur deux
fronts : d'une part contre la
bourgeoisie victorieuse, de l'au-
tre contre les chefs qui avaient
trahi.
' La conscience et îa disciplina
révolutionnaire rinnt les masses
turinoises ont fait preuve ont
leur base historique dans les
conditions économiques et poli
; tiques dans lesquelles s "?>t dé-
veloppée la lutte de classe a
Turin.
Turin est un rentre purement
industriel. Presque les trois
quarts rie la population, qui
compte un demi-million d'habi-
tants, est composée d'ouvners;
les éléments petits-bourgeois
sont en nombre infini». Il y a
en outre a Turin une masse
compacte d'employés et de tech-
niciens, qui sont organises dans
les syndicats et adhèrent à la
Bourse du Travail. Ils ont été
aux côtes des ouvriers durant
'• toutes les grandes grèves et ont
[donc, en grande partie, sinon
; tous, acquis la psychologie du
! vrai prolétaire, en lutte contre
le capital, pour la révolution et
1 le communisme.
LA PRODUCTION
INDUSTRIELLE
La production tunnoise, vue
du dehors, est paifaitement cen-
tralisée et homogène. L'industrie
métallurgique, avec environ cent
cinquante mille ouvriers et dix
mille employés et techniciens,
occupe la première place. Dans
les seules usines Fiat travaillent
trente-cinq mille ouvriers, em-
ployés et techniciens; dans les
principales usines de cette firme
sont employés seize mille ou-
vriers qui fabriquent des auto-
mobiles de tout genre selon les
systèmes les plus modernes et
les plus perfectionnes.
La production des automobiles
| est caractéristique de l'industrie
| tunnoise. La plus grande partie
i de la mam-d œuvre est formée
par des ouvriers qualifies et des
1 techniciens, qui n'ont cependant
pas la mentalité petite-bourgeoi-
i se des ouvriers qualifies des
! autres pays, par exemple de
l'Angleterre,
La production automobile, qui
occupe la première place dans
(Industrie métallurgique, a su-
1 bordonne a elle d'autres bran-
ches de la production, comme
i industrie du bois et celle du
caoutchouc
Los ntetallui gistes forment
1 avant-garde du prolétariat turi-
nois. Etant donne les caractères
particuliers de cette industrie,
chaque mouvement de ses ou-
vriers devient un mouvement
général de masse et prend un
caractère révolutionnaire et po-
litique, même si, au début, il
n'avait que des obectifs d'ordre
syndical.
Turin possède une seule orga-
nisation syndicale importante
forte de 90000 membres, la
Bourse du Travail. Les groupes
anarchistes et syndicalistes
existants n'ont presque aucune
influence sur la masse des ou-
vriers, qui se tient fermement et
résolument aux côtes de la sec-
tion du Parti socialiste, compo-
sée, en majeure partie, par des
ouvriers communistes.
Le mouvement communiste
dispose des organismes de com-
bat suivants : la section du Parti
avec 1 500 inscrits, 28 cercles
avec 10000 membres et 23 or-
ganisations de la jeunesse avec
2 000 adhérents.
Dans chaque entreprise existe
un gioupe communiste perma-
nent avec son propre organe de
direction. Les groupes particu-
liers s'unissent selon la position
topographique de leur entre-
prise, en groupes de quartier,
relevant d'un comité de direc-
tion au sein de la section du
Parti, qui concentre dans ses
mains l'ensemble du mouvement
communiste de la ville et la di-
rection des masses ouvrières.
TURIN, CAPITALE
DE L'ITALIE
Avant la révolution bour-
geoise, qui créa l'organisation
bourgeoise actuelle de l'Italie,
Turin était la capitale d'un petit
Etat qui comprenait le Piémont,
la Ligurie et la Sardaigne, A
cette époque c'étaient la petite
industrie et le commerce qui do-
m'materrt à Turin,
4A.VI
V 20'9
f .-st
I Aprèi I unification du r"•.
d Italie et 'e transfprt dr- !.] ca-
pitale ,1 Ri MMt-. il * '••nb'.iit rji.e
1 uni i coui ut !''• i i;.rj!.' ' ' l1" 11'~'! ''h C1
soii impoita!i'. !•• M,ii', !'i •. :lle
surmonta rap>domc'r t 1-1 < lise
économique1 et d°'. mt un de 3
centrer, industriel--, '^s p'us un-
portants d'Italie- (')n pput ciire
que lltalie H t'or> r,ip>!alrs ;
Rome couvrir' (.^n!in ,i.-irmni -tra-
tif rie I Etat b ou !.•;'•"-!: , M'ian
comme centra i.ommr"( ci! pt fi-
nanciei du pays (tnu'r , es ban-
ques, tous' les o-ji^-riu.' i nmm°r-
ciaux et les pl,:biis,'rim.~-"its fi-
nanciers sont i OMI.P"iti-f-, ,-) Mi-
lan), et enfin Turin r OITHT"--' ren-
tre industriel, ou la production
industrielle a atte"".* c-r«'\ plus
haut développement. ,\.r.(- e
transfert rie la CHpitaV-' u Rome
on vit pmigrer de lui in foute la
petite et moyenne bourgeoisie
intellectuelle qui fournit ,iu nou-
vel E'tat bourgeois \f pprsonnel
administratif nécessaire à son
fonctionnement • 1° develoope-
. ment rie la grande industnp at-
tira par contre a lunn h fleur
de la classe ouvrière- it~-ni<=nne.
Le processus de développement
i rie cette ville est du po>'-- rie
vue de l'histoire italienne rr de
la révolution projetai :••". ••--• en
Italie, extrêmement m'e.re-~ant.
Le proletanat (u'i'",'-i!- (-•=•*:
ainsi devenu le. dir'a^.ji-' :;pin-
: tuel des masses ou.no'ps itg-
! hennés qui sont .l'tar. hepr. a
cette ville par ri-' i '-unbreux
i liens : parente. tra<i-t!nri. his-
; toire, ainsi due pai des liens
d'ordre spirituel ij deai pour
| chaque ouvrier italien est de
pouvoir travailler a Turin).
Tout (..ela explique pou'-rjuoi
I les masses ouvrières de toute
l'Italie étaient désireuses, ^ij
DPint d'aller iusqu a s nppqïai-
a la volonté rie leurs r !•;.-•!- de
manifester leur soiidaritr. ,\ /<-••-. Is»
grève générale de Tur-r- les
crasse", voient dans > '~4>i:> •••ilie
i le centre, la capitale dr, ;.^ rp-/o-
| lution communiste, IP Petrnqrad
: de la révolution prolétarienne
, en Italie.
i
DEUX INSURRECTIONS
ARMÉES
Perwiarrt la guerre Irnpérialista
de 1914-1918, Turin a connu
' deux Insurrections armées : la
première, qui éclata en mai 1315,
avait pour but d'empêcher I in-
tervention de> i Itrjll'"1 i'ian- la
QUffrre contre: ! Alir'iT'a'iriP (r 65t
a cette riCi.H.'.lon q:i^ fut iviisp q
sac la Maison du t-'çuplp). la
seconde irisurrr=ct|0n. ^n août
1917. prit le caractère d une lutte
révolutionnant armea, sur une
I grande échelle.
La nouvelle de la Rp -caution
de mars (1) en Russie avait été
accueillie a Turin avec une ioie
'• indescriptible, les ouvriers pleu-
rèrent d'émotion lorsqu ils ap-
: prirent que le pouvoir du Isar
avait été renverse par i«-, ou-
vriers de Petroqrad Mais les
travailleurs de Turin ne -~e, lais-
sèrent pas tromper par la phra-
séologie riemaqoqique de Ke-
renski et nés iTipnche>-'il>'s Lors-
que, en luiHet 1H17 am /a a Tu-
rin la mission rtn-,o'/oe »n Eu-
rope occidentale par i° Sn^iet
de Petroqrad. l«=s delequeg omi-
nov et Goidpmbprq. qui so pré-
' ggriterent devant une foule de
cinquante mille ouvriers furent
accueillis au~« cns assourdis-
sants de -• Vive Lénine ! Vivent
les bolchevik? ! <•
Goldemberq n'était pa;; très
satisfait, de cet accueil : il n'arri-
vait pas a comprendre comment
le camarade Lénine avait pu ac-
quérir une si grande popularité
auprès d°s ouvriers rjo Turin.
Et il ne faut pas oublier que cet
épisode s est produit apr^s iq
1 répression de la révolte boiché-
i vik de juillet, que la presse bour-
i geoise italienne exhalait sa fu-
! reur contre Lénine et contre les
; bolcheviks, en les traitant de
brirjands. d'intrigants, d anents
| et d espions de l'impérialisme
i allemand.
| Depuis le début de la auerre
italienne (24 mai 1915'! le prolé-
tariat de Turin n'avait fait au-
cune manifestation de masse.
(1) fl s'agit de !a Rev;v.j-<'r>n
selon l'ancien calendrier M 3 '-.
('A sur. re.)
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