Action

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M" 10 • VENDREDI 14 JUIN • PRIX MINIMUM : 0,50 F • C. tournai « été réalisé au Servie, de. Comitée d'Action, «veo te .outlen de PUNEF. du SNESup et de. Comité. d'Action Lycé*
en».
DE GAULLE
LIBERE SON COPAIN
SALAN
ET INTERDIT LES NOTRES
A
NOUVELLES
MENACES,
NOUVEAUX
COMBATS
Après avoir interdit les organisations politiques
étudiantes, le gouvernement, avec tous les moyens de
propagande sur lesquels il peut faire pression et avec
le concours de mandarins universitaires lance mainte-
nant une manœuvre de grand style contre la Sorbonne.
Il veut attaquer le bastion de la mobilisation étudiante,
centre de rencontre entre la population et les étudiants
comme cette semaine, il a attaqué à Flins et à Sochaux,
bases de résistance ouvrière. Cette campagne, faite
avec la veule complicité des forces qui se réclament
de la gauche, montre la fausseté de leurs proclama-
tions d'attachement aux principes de la démocratie.
Pour cette gauche, mieux vaut trois morts qu'un vrai
débat politique. Après l'incapacité de prendre des ini-
tiatives, c'est maintenant leur lâcheté qui est mise en
valeur.
Les forces de la réaction s'en rendent bien compte,
« L'Aurore » ne disait-elle pas ce matin : « Le P.C. peut
dormir tranquille. Il est désormais interdit de l'attaquer
et de lui disputer sa clientèle sur sa gauche. C'est en
somme sa récompense pour avoir manifesté sa bonne
volonté depuis les accords de Grenelle et être resté
dans la légalité tricolore ». Dans cette situation, il nous
faut prendre les mesures politiques qui s'imposent. Les
tentatives de reprendre la Sorbonne ne concernent pas
seulement les étudiants mais des centaines de milliers
de travailleurs. Ceux qui commencent à comprendre
que la seule issue à leurs problèmes c'est la voie des
grandes actions révolutionnaires de masse, la voie des
luttes qui par la manière même dont elle se déroulent
dépassent leurs objectifs initiaux qui au mieux ne peu-
vent être que réformistes.
C'est ce courant qui constitue notre force. La dis-
solution des groupes politiques ne l'arrêtera pas. Notre
force se matérialise tous les jours depuis plus de deux
semaines aux carrefours, près des bouches de métro,
aux abords des usines, autour des Comités d'Action.
Nous défendrons nos bastions, comme la Sorbonne,
mais qu'on le sache, nous avons créé et nous créerons
des centaines de bastions à partir desquels se déga-
geront les nouvelles phases de l'action. Ce que d'au-
cuns n'ont pas encore compris, c'est que le pouvoir,
en aggravant la répression et en nous empêchant cer-
taines formes d'actions, retourne à terme ces mesures
contre lui. Car l'imagination révolutionnaire, c'est nous
qui la possédons et nous seuls. Le pouvoir ne fait que
moderniser les moyens de la contrainte.
Nous ne laisserons pas se refermer les ghettos
qui séparaient étudiants et ouvriers. Travailleurs et étu-
diants ne laisseront pas le pouvoir reprendre ce qu'il
a dû céder dans la rue.
LE
"CIEMENCEAB"
S'EST-IL
MUTINÉ ?
Le mouvement de mai a eu
jusqu'à l'intérieur de l'Armée de
profondes répercussions parmi
les jeunes y effectuant leur ser-
vice militaire : nous savions que
dans certaines unités les jeunes
appelés s'étaient organisés en
comités, nous savions que dans
un régiment de chars ils
s'étaient préparés à mettre hors
d'usage les engins au cas où ils
auraient reçu l'ordre de monter
sur Paris, nous savions que
nombre d'entre eux avaient par-
ticipé aux différentes manifes-
tations en quittant les casernes.
Mais aujourd'hui une informa-
tion d'une extrême gravité nous
parvient de Brest et qui néces-
site des éclaircissements immé-
diats de la part des respon-
sables.
On parle d'une mutinerie à
bord du porte-avion « Clemen-
ceau » qui aurait fait de nom-
breuses victimes.
Ce qui est certain c'est que
deux familles de Plougastel et
une famille de Rosporden ont été
avisées par les représentants de
la Marine Nationale que leurs
fils, à bord du « Clemenceau »,
« ont été portés disparus en
mer ».
Il est surprenant qu'un acci-
dent (si c'est l'hypothèse qui
vient à l'esprit immédiatement
des bien-pensants), survenu en
mer à plusieurs marins en mis-
sion n'ait pas fait l'objet d'un
communiqué officiel du Minis-
tère de la Marine. Pourquoi
cette discrétion ?
D'autre part d'autres éléments
autour du - Clemenceau »
épaississent le mystère.
Le commandant du - Foch »,
porte-avions identique au * Cle-
menceau » a-t-il quitté Brest
pour relever le commandant du
« Clemenceau » ? Pour quelles
raisons ?
Le « Clemenceau » qui de-
vait participer au programme
d'essais atomiques du Pacifique
est-il actuellement ramené sur
Toulon (et non sur Brest son
port d'attache) ? Pourquoi ?
Le « Foch » s'apprête à appa-
reiller. Est-ce pour remplacer le
« Clemenceau » dans le Paci-
fique ? Pourquoi ?
Que s'est-il passé maintenant
sur ce porte-avions dont l'équi-
page de près de 3000 hommes
est composé pour une bonne
part d'appelés originaires de
Bretagne ?
Ces faits particulièrement
graves nécessitent une explica-
tion rapide du ministre des Ar-
mées. Le silence serait une
confirmation.
Contrairement à certaines in-
formations diffusées par la radio,
Action n'est pas interdit à la
vente publique. Nous rappelons
à nos diffuseurs que la vente
par colportage occasionnel est
autorisée et ne nécessite pas
de carte délivrée par la préfec-
ture de police. Toute manœuvre
d'intimidation, comme celles
dont ont été victimes plusieurs
de nos diffuseurs hier est illé-
gale.
PERMANENCE
DIFFUSION
ACTION
- SORBONNE -
Escalier B - Bureau 31
DES ÉLECTIONS, POUR QUOI?
\l
LES LIBERTÉS A PRENDRE
Il n'existe pas en France de
parti politique qui ne se pose
en défenseur des libertés pu-
bliques. Pas encore. Pour mé-
moire, énumérons ces creuses
libertés pour qui luttent ceux
qui s'intitulent leurs défenseurs.
Il y a les libertés fondamen-
tales : égalité, sûreté, droit à
l'intimité, liberté d'aller et de
venir, droit de propriété. Il y a
les libertés complémentaires :
d'opinion, religieuse, de l'ensei-
gnement, de la presse, d'expres-
sion, et tous les régimes spé-
ciaux appliqués aux modes d'ex-
pression tels que la radio, la
télé, le théâtre et le cinéma. Il
y a les libertés collectives :
d'association, de réunion, de
manifestation et d'attroupement
sur la voie publique. Enfin il y
a les droits économiques et so-
ciaux : liberté de commerce et
de l'industrie, statut de l'emploi,
droit syndical, droit de grève.
L'article 34 de la Constitu-
tion de 1958 dispose : « La loi
fixe les règles concernant les
droits civiques et les garanties
fondamentales accordées aux
citoyens pour l'exercice des li-
bertés publiques. »
Cette belle formule implique
que certes le Parlement peut
créer certaines libertés publi-
ques, mais que ce qui n'a pas
trait aux garanties fondamen-
tales relève du pouvoir régle-
mentaire c'est-à-dire du gouver-
nement.
LES PRÉTEXTES
A LA RÉPRESSION
II n'y a aucune liberté que le
pouvoir réglementaire ne puisse
empêcher sans pour autant tou-
cher aux garanties fondamen-
tales. La loi fournit toujours un
prétexte à la répression éta-
tique. Ainsi la dissolution des
sept organisations peut s'ap-
puyer sur une loi. Lorsque des
jeunes gens se défendent con-
tre les C.R.S. en portant des
casques et en se munissant de
bâtons ils constituent formelle-
ment des groupes armés. Bien
sûr la loi parle précisément de
« groupes de combat »; mais il
n'y a pas de distinction rigou-
reuse entre l'autodéfense et le
combat. De telles choses ne
peuvent être réglées que par un
procès. En attendant, les orga-
nisations sont empêchées d'agir,
ce qui est le seul but politique
visé par le gouvernement.
Il n'existe pas en France d'or-
ganisation politique officielle
qui ait abordé le problème es-
sentiel posé par les dissolu-
tions : celui du formalisme de
la loi garantissant la liberté
d'association. Le P.S.U. se con-
tente de dire que le gouverne-
ment cherche à déplacer les
responsabilités — curieux argu-
ment dans la mesure où les
organisations politiques ne re-
jettent aucunement leur respon-
sabilité politique dans la crise
actuelle. La Convention des
Institutions Républicaines
n'avance que l'argument tech-
nique selon lequel la dissolution
n'est pas de nature à résoudre
la crise. Quand au Populaire de
la S.F.I.O., il se plaint que le
gouvernement n'ait pas aussi
dissous les comités d'action ci-
vique. Faut-il parler encore de
l'Humanité qui cite intégralement
et uniquement le communiqué
du ministère de l'Intérieur en
précisant — on se demande
pour qui — les caractéristiques
idéologiques de chaque organi-
sation dissoute.
Ce qui s'est passé pour la
liberté d'association peut se
passer pour toutes les autres.
La liberté syndicale peut être
étouffée par simple application
de l'interdiction des activités po-
litiques, religieuses et commer-
ciales du syndicat. La liberté de
presse n'existe pas quand les
journalistes se font les prédica-
teurs de l'ordre, quand le gou-
vernement peut interdire les
ondes aux postes de radio pé-
riphériques, quand tout simple-
ment Messieurs Floriot et Prou-
vost sont les propriétaires des-
dits postes et campent dans les
studios pour contrôler les bul-
letins d'informations. La liberté
d'enseignement est une babiole
pour radical-socialiste ou curé
quand l'enseignement est deve-
nu un moyen d'embrigadement
idéologique au service du néo-
capitalisme. Inutile de parler de
l'égalité des races, des sexes
puisqu'en régime capitaliste les
employeurs sont seuls maîtres
du choix de leurs employés et
du traitement qu'ils leur infli-
gent. En fin de compte, l'expres-
sion même de « libertés » n'a
plus de sens puisqu'elle dé-
signe aussi le droit de pro
priété.
La défense des libertés n'est
qu'un argument électoral pro-
fondément malhonnête. Cela
consiste à jouer démagogique-
ment sur l'inspiration des indi-
vidus brimés, exploités, interdits
de parole, d'action ou de séjour,
matraqués par la police et dé-
couragés devant l'arsenal des
lois.
UN COIP DÉCISIF
AUX HIÉRARCHIES
Les libertés ne se revendi-
quent pas, elles se prennent.
Depuis le 3 mai, des libertés ont
été concrètement pratiquées et
farouchement défendues par les
travailleurs et les étudiants.
Trois libertés surtout : d'expres-
sion, d'association et d'attrou-
pement. Dans les facultés, les
groupes de travail réunis à l'in-
térieur ou à l'extérieur des en-
treprises, dans les meetings de
quartier, le principe le plus ré-
volutionnaire — et si difficile-
ment appliqué — a consisté à
donner la parole à qui voulait
la prendre et à qui pouvait con-
crètement communiquer avec
l'assemblée. Donner la parole,
c'est-à-dire le haut-parleur. Con-
trôler le rôle du président de
séance. Supprimer toutes délé-
gations permanentes. Ecourter
la durée des mandats. Ne pas
accorder d'autorité sacro-sainte
aux assemblées générales. Re-
donner sans cesse la décision
pratique aux comités de base.
Favoriser l'expression et la com-
munication par l'affichage et la
discussion à tous les coins de
rues.
La liberté d'association nous
ne l'avons pas pratiquée en dé-
posant des statuts ni en implo-
rant des acyiésions. Les travail-
leurs se sont associés pratique-
ment dans la lutte ; grâce aux
comités de quartier, aux comités
de liaisons étudiants-ouvriers,
grâce à l'infrastructure maté-
rielle que représentent les fa-
cultés, les travailleurs d'entre-
prises différentes ou des ser-
vices différents d'une même en-
treprise ont pu pour la première
fois se rencontrer, se consulter,
s'organiser à la base. Des co-
mités de contrôle ouvrier se sont
ébauchés. Un coup qui risque
d'être décisif a été porté aux
hiérarchies politiques et syndi-
cales qui cloisonnent et épar-
pillent la masse des militants.
Enfin, la liberté d'attroupement
nécessaire pour exercer la pres-
sion de la rue et ouvrir la dis-
cussion publique, nous l'avons
imposée en ne cédant pas aux
interdictions préfectorales et en
provoquant partout des petits
meetings où le peuple se forme
et s'informe, trouve de véritables
écoles et une véritable presse.
Nous ne nous battons pas
pour la liberté. Nous nous libé-
rons. Dès aujourd'hui il nous
faut conquérir une liberté clas-
sée comme fondamentale : celle
de la personne. Nous ne le fe-
rons pas par des procès et des
pétitions, ni par des grèves sym-
boliques. Nous ne le ferons pas
en tirant des promesses à des
candidats députés, candidats à
l'impuissance. Nous le ferons en
nous opposant concrètement à
l'agression de l'Etat.
MEMENTO
DE L'AGITATEUR
COMMUNISTE '"
Le matériel n'est pas fourni
par « Services et Méthodes »,
ce matériel se crée au cours
des discussions ouvertes aux
carrefours des rues et sur les
places publiques, entre les
membres des comités d'action
et les passants : travailleurs,
étudiants.
« En face », au coin de la rue
de Vaugirard et de la rue de la
Convention, une réunion se tient
en permanence. La participation,
bien que renouvelée, est à peu
près constante. La vieille so-
ciété capitaliste mise à l'encan
trouve ses défenseurs naturels.
Ils se reconnaissent, la plupart
du temps, comme gaullistes.
Leur dernière ressource dans
l'argumentation faussement poli-
tique de ces relégués : les élec-
tions.
Ce n'est pas l'expression de
la volonté populaire qu'ils atten-
dent de cette consultation, mais
le maintien au pouvoir, coûte
que coûte, du fauteur de désor-
dre : de Gaulle, grâce aux fil-
tres épurateurs — scrutin ma-
joritaire — mis en place dans le
système électoral de la bour-
geoisie.
DES ELECTIONS
IMPUISSANTES
Le problème des résultats
électoraux n'est pas posé, mais
par contre, l'assemblée de la
rue s'interroge activement sur
l'attitude à avoir face aux élec-
tions proposées. Mais aucun
changement, aucun renverse-
ment véritable de l'ancien sys-
tème n'est à espérer par le tru-
chement des élections législati-
ves. Alors il faut dire pourquoi.
Une majorité de gauche serait
incapable et n'aurait électorale-
ment parlant aucun moyen
d'abattre la société capitaliste
même si elle peut abroger
quelques lois crapuleuses sur
la Sécurité Sociale et le droit
de grève. Par la voie parlemen-
taire, cette majorité n'aurait au-
cun moyen pour déraciner la
société capitaliste et ceux qui
croient, ou affectent de croire,
que la bourgeoisie nous a pré-
paré pour notre émancipation
future une voie de passage
pacifique, démocratique et par-
lementaire au socialisme ; ceux-
là sont des « marrants » mais
aussi, et c'est plus grave, des
contre-révolutionnaires.
Ceux-ci tentent d'ériger des
barrières étanches entre la
vraie révolution qu'ils disent
inadaptée aux circonstances ac-
tuelles, et le petit « barbotage »
électoral dont ils sont coutu-
miers.
Aujourd'hui, ils se contentent
de noter avec satisfaction que,
d'une part de Gaulle leur dé-
cerne un brevet de « civisme
révolutionnaire », et que, d'autre
part, le pouvoir les débarrasse
de groupuscules politiques gau-
chistes, et remplis de provo-
cateurs.
DES IDEES DANGEREUSES
L'idée que le mouvement de
mai était révolutionnaire, et que
seul un mouvement révolution-
naire pouvait, et a pu effective-
ment faire plier, même pendant
un court moment, les représen-
tants patronaux et gouverne-
mentaux de la bourgeoisie, cette
idée-là est dangereuse. La bour-
geoisie fournit en mensonges et
en subsides ses journaux et ses
radios périphériques pour em-
pêcher cette vérité de se ré-
pandre. Elle explique le con-
traire des actions les plus cer-
taines, celles qui ont été accom-
plies par des millions d'hommes.
Elle les dénature et, paradoxale-
ment, la force politique qui de-
vrait être son ennemi naturel —
le Parti Communiste Français —
prête la main, et intoxique ses
propres troupes.
Pourtant le Mouvement révo-
lutionnaire du mois de mai a
plus obtenu en quelques jours
que les partis de gauche en
vingt ans. C'est cela que les
prochaines élections législatives
sont chargées de cacher à la
vue des travailleurs. Personne
ne croit vraiment qu'ils s'en of-
fusqueraient, comme semblent
le croire certains hiérarques du
Parti Communiste. Les a-t-on
assez entendu dire, ceux-là, que
la classe ouvrière n'était pas
prête, et que la situation n'était
pas mûre et maintenant et hier,
et demain, elle est quoi ?, elle
est comment ? la situation.
LE HOCHET PARLEMENTAIRE
Qui veut nous faire croire que
s'emparer électoralement de la
majorité à l'Assemblée Natio-
nale équivaudrait à s'emparer
du véritable centre de pouvoir
de la société capitaliste ? La
bourgeoisie a depuis longtemps
admis la nécessité du hochet
électoral et parlementaire, en
conservant par devers elle la
propriété des véritables centres
de pouvoir : les capitaux, la
main-mise sur l'économie et
l'Etat.
Cet Etat peut un jour, à la
faveur d'une consultation élec-
torale, se dire de gauche, mais
s'il ne détruit pas d'abord et de
fond en comble l'édifice des in-
térêts de la bourgeoisie, cet
Etat ne pourra au mieux que les
gérer, au pire les garantir en
remettant les armes entre les
mains des gendarmes et des
C.R.S.
(1) Ce titre fut celui d'une brochure
d'agitation du Parti Communiste en 1928.
ON
N'INTERDIT PAS
LA RÉVOLUTION
Plusieurs organisations révo-
lutionnaires viennent d'être in-
terdites. Mais il ne suffit pas de
dissoudre un mouvement
d'avant-garde pour qu'avec lui
disparaissent les idées qu'il dé-
veloppait et les nécessités qui
l'avaient fait naître.
Car cette interdiction ne ré-
soud rien. Ni les problèmes po-
litiques, ni les problèmes écono-
miques, ni les problèmes uni-
versitaires qui sont tous à
l'origine de notre action, et
finalement de notre interdiction.
Même plus, elle risque d'en
créer de nouveaux en montrant
à l'évidence, à des milliers
d'étudiants et d'ouvriers, la na-
ture d'un régime plus apte à
manier la matraque et les dé-
crets d'exception qu'à apporter
des solutions aux problèmes
posés. Cela d'ailleurs nous le
savions, et la réaction du pou-
voir n'a fait que nous le confir-
mer, avec d'autant plus d'éclat
que la loi invoquée s'adressait
précisément aux groupes et aux
hommes en qui de Gaulle trouve
aujourd'hui ses plus fidèles al-
liés (Occident, Salan et autres
fascistes en voie d'amnistie).
LES VRAIES RAISONS
DU POUVOIR
Faut-il pour cela en conclure
que l'on va directement vers
une fascisation de l'Etat ? Nous
ne le pensons pas dans la me-
sure où le pouvoir ne possède
pas encore une base solide pour
asseoir un régime de ce type.
La manœuvre gouvernementale
est à plus courte vue. Il s'agit
de laisser se dérouler « dans le
calme » des élections qui des
partis de droite aux partis de
gauche sont souhaitées car
démobilisatrices, et pour cela
d'isoler des bons français sou-
cieux de la « légalité républi-
caine » des éléments politiques
contestateurs. Ceux-ci étaient
regroupés au sein des groupes
politiques dissous. Ils étaient
— ils sont — d'autant plus dan-
gereux pour le pouvoir que la
contradiction entre l'ampleur
d'une grève générale et les ob-
jectifs déçus était grande, que
seuls ils pouvaient, après la tra-
hison du « parti de l'ordre » ca-
pitaliser le mécontentement qui
en résulte, que seuls ils pou-
vaient réimpulser une action ré-
volutionnaire.
Le reste n'est que littérature.
Les « ligues armées », les « mi-
lices privées », ne sont que des
affabulations qui ne trompent
personne; le pouvoir serait bien
en peine d'apporter la moindre
preuve à l'appui de ses affirma-
tions sans se contredire : les
militants « dissous » étaient
précisément ceux qui compo-
saient le service d'ordre de l'U.
N.E.F. dont la grande presse et
la radio se sont plu à vanter la
modération et le sang-froid. Ce
qui n'exclut pas une machination
de grande envergure : l'article
de Paris-Presse en première
page du numéro du 13 juin, les
interviews des « Katangais * de
la Sorbonne complaisamment re-
produits, l'insistance que met-
tent certains à parler de trafics
d'armes, tout cela annonce la
provocation typique visant à ali-
menter une mesure de dissolu-
tion qui, telle quelle, n'est pas
suffisante pour être avalée par
l'opinion publique. Aussi ne se-
rions-nous pas étonnés que
dans les prochaines heures plu-
sieurs militants politiques soient
arrêtés.
UN ACQUIS
QUI NE PEUT ETRE DETRUIT
Si en bonne logique bour-
geoise le raisonnement est
« sain », la méthode employée
pour le faire valoir fait preuve
de cette myopie caractéristique
propre à un gouvernement de
répression. Car il est évident
que les groupes d'avant-garde
n'en vont pas moins continuer
leur travail avec des militants
encore plus éprouvés, dans des
conditions qui politiquement ne
sont pas fondamentalement dé-
tériorées, avec en plus, et pour
la première fois, un écho qui dé-
passe de loin le niveau des sim-
ples contacts individuels. Le dé-
veloppement d'un courant révo-
lutionnaire en dehors des cadres
politiques et syndicaux tradition-
nels reste un acquis susceptible
à brefs délais de relancer la
lutte, à travers notamment les
militants révolutionnaires qu'on a
tenté aujourd'hui de rayer d'un
trait de plume.
Et là-dessus aussi bien le pou-
voir que le P.C. sont d'accord
et le prouvent : le premier en
prenant les mesures précitées,
le second en observant un mu-
tisme gêné et lâche. L'inter-
diction en effet réduit à néant
certaines affirmations péremp-
toires : " trotzkistes, maoïstes
et anarchistes » (à prononcer
avec dédain) sont des alliés ob-
jectifs du pouvoir. Les uns et
les autres viennent implicite-
ment de le démentir.
SORBONNE :
CONTRE
LES PROVOCATIONS
Hier encore et ce matin, la
campagne de presse contre la
Sorbonne a pris de nouvelles
proportions. La radio et les
journaux ont trouvé là un déri-
vatif rêvé pour masquer les
meurtres de Flins et de Sochaux.
Les radios aux ordres du pou-
voir qui, à longueur de journées,
ne retransmettent que la voix
du pouvoir, donnent la parole
aux « Katangais ». « Paris-Jour »,
ce matin, leur consacre la une
plus une double page de photos.
La presse à sensation a trouvé
là une sensation à sa mesure.
Radio-Luxembourg parle d'épi-
démies, alors même que tout le
monde à la Sorbonne sait que
cela est faux.
Nous n'accepterons pas que se
développent de telles provoca-
tions.
Nettoyer la Sorbonne, la dé-
barrasser de ceux qui seront
à l'origine des provocations que
souhaite le pouvoir n'est qu'une
de nos tâches. C'est le sens des
décisions prises hier par le comi-
té d'occupation de la Sorbonne.
Depuis plusieurs semaines,
les commissions universitaires
ont réfléchi à la mise en place
d'une « Université populaire »
d'été qui, dans toutes les uni-
versités et principalement au
Quartier Latin, permettrait d'ap-
profondir les leçons de notre
mouvement. La Sorbonne de-
viendrait le lieu privilégié de ces
débats et de cette réflexion
politiques, aujourd'hui plus que
jamais nécessaires pour poursui-
vre la lutte pour les travailleurs
comme pour les étudiants. La
réforme de l'Université ne se
fera pas en un jour, isolée des
autres problèmes politiques de
la société. Dans les jours à
venir, à la Sorbonne, une as-
semblée générale réunira étu-
diants et enseignants qui pen-
dant des semaines ont travaillé
à ces projets.
Rassembler à la Sorbonne
dans les mêmes débats, pen-
dant plusieurs mois, travailleurs
et étudiants, telle est la réponse
politique que nous donnons aux
accusations de la presse sur
notre nihilisme. Nous ne nous
placerons pas sur le terrain des
faits divers où la presse et le
pouvoir voudraient essayer de
nous cantonner.
COMMUNIQUE DU COMITE
D'OCCUPATION DE LA SOR-
BONNE
Après la campagne de presse
déclenchée contre la Sorbonne
et qui vise à discréditer notre
mouvement, le comité d'occupa-
tion communique :
1° Un certain nombre de grou-
pes irresponsables qui ne sont
ni étudiants ni travailleurs profi-
tent de la situation née ces der-
niers jours pour imposer un
contrôle quasi policier dans cer-
taines parties de la Sorbonne.
2° La situation sanitaire de la
Sorbonne est mauvaise. Cela est
dû à l'incroyable vétusté des lo-
caux. Elle exige des mesures
d'urgence qui ne pourront être
prises que lorsqu'un certain
nombre de locaux et d'escaliers
seront évacués.
En conséquence, le Comité
d'occupation a décidé en accord
avec les diverses organisations
étudiantes et enseignantes de
fermer progressivement l'ensem-
ble de la Sorbonne à l'exception
de la cour, des cinq amphithéâ-
tres donnant dans le hall de la
bibliothèque et l'escalier C.
Cette fermeture durera 48 heures
de façon à nettoyer et à désin-
fecter l'ensemble des locaux.
Le Comité d'occupation a de-
puis plusieurs jours cherché à
faire accepter cette mesure à
l'amiable aux groupes irréduc-
tibles. Devant leur refus il lance
un appel à tous les militants,
pour l'aider à garder la Sorbonne
au service de la lutte.
Nous ne pouvons autoriser
plus longtemps que soit donné
au pouvoir le prétexte d'inter-
venir avec ses C.R.S.
ENRAGÉS
DE TOUS
LES PAYS
L'ANGLETERRE TREMBLE
Londres, 13 juin (A.F.P.). — « Je ne
suis venu diriger aucun mouvement estu-
diantin dans ce pays, mais simplement
demander aux étudiants britanniques
d'affirmer leur solidarité avec les étu-
diants et ouvriers français », a déclaré
mercredi soir, à Londres, M. Daniel
Cohn-Bendit, au cours d'une émission
télévisée de la B.B.C.
Londres, 13 juin (A.F.P.). — Après
avoir évité une grève de la marine mar-
chande dont les effets auraient été
désastreux pour son économie, la
Grande-Bretagne est maintenant mena-
cée par une grève partielle des chemi-
nots qui désorganiserait les transports
ferroviaires, y compris les transports en
commun londoniens, ainsi que par une
grève totale des pilotes de la British
Overseas Airways Corporation.
Les examens de sociologie de l'Uni-
versité de Londres qui avaient com-
mencé ont été annulés aujourd'hui, les
sujets ayant fait l'objet de fuites.
Trois de ces examens devront être
recommencés dans le courant du mois
de juin. Les correcteurs, indique un com-
immiqué de l'Université, prendront en
considération le double effort qui sera
ainsi demandé aux élèves.
ARGENTINE :
PROCESSUS CONNU
La Plata (Argentin*), 13 juin (A.F.P.).
— La police a délogé mercredi quelque
300 étudiants qui venaient d'occuper
l'université de La Plata, à environ
60 km au sud de Buenos Aires. Des
arrestations ont été opérées au cours
des escarmouches qui se sont produites
entre étudiants et policiers.
Les étudiants protestaient contre l'in-
terdiction par le doyen de la faculté de
droit de la célébration de l'anniversaire
de la « Réforme universitaire ». De nom-
breux professeurs ont eux-mêmes désap-
prouvé les termes de la déclaration faite
par le doyen à cette occasion.
Ce que l'on appelle • Réforme univer-
sitaire » est un mouvement de rébellion,
né à Cordoba en juin 1918, lorsque les
étudiants réclamèrent et obtinrent l'auto-
nomie des facultés et la cogestion.
Buenos Aires, 13 juin (Reuter). — Lea
stations de radio et de télévision argen-
tines se sont vu ordonner de soumettre
à une censure préalable des autorités
toutes les Informations ayant trait à la
vie universitaire.
Montevideo, 13 juin (A.F.P.). — Dix
policiers ont été blessés et soixante-six
étudiants arrêtés au cours des violentes
échauffourées qui se sont produites la
nuit dernière à Montevideo entre étu-
diants et policiers.
Selon certaines rumeurs, le gouver-
nement serait sur le point d'adopter des
• mesures rapides de sécurité - afin
de faire face à la recrudescence de
l'agitation estudiantine, qui coïncide avec
divers conflits professionnels paralysant
une partie de l'administration ainsi que
les cinq banques officielles.
RESISTANCE GRECQUE
Athènes, 13 juin (A.F.P.). — La Sûreté
grecque aurait achevé son enquête sur
une organisation clandestine d'étudiants
dite « Rigas Ferraios • (du nom du
poète et héros de l'indépendance grec-
que) et quatorze membres de cette orga-
nisation seront prochainement traduits
devant le tribunal militaire d'Athènes.
Ankara, 13 Juin (A.F.P.). — La révolte
des étudiants a gagné. Aujourd'hui, à
Ankara, les facultés des sciences et
de pédagogie qui, après celles de droit,
des lettres, de théologie et d'agronomie,
ont décidé de boycotter les examens
jusqu'à ce que le régime des épreuves
soit assoupli, et jusqu'à ce que leurs
revendications en matière de débouchés
reçoivent satisfaction : 14000 étudiants
sur les 35000 que compte l'université
sont maintenant en grève.
Le mouvement se développe actuelle-
ment dans quatre universités (Ankara,
Istanbul, Izmir et Erzurun) sur les huit
que compte la Turquie.
CONGO « FRANÇAIS »
Kinshasa, 13 juin (Reuter). — Un grou-
pe d'environ 250 élèves de l'enseigne-
ment secondaire ont manifesté aujour-
d'hui dans les rues de Kinshasa.
Les manifestants, dont l'âge variait
entra 15 et 18 ans, affirment que des
irrégularités ont été commises dans
l'organisation des épreuves d'examens
qui leur sont actuellement soumises,
certaines, déclarent-Ils, portant sur les
sujets non inclus dans les programmes.
AGITATEURS YANKEES
Washington, 13 juin (A.P.). — Un
groupement d'agitateurs estudiantins, les
• étudiants pour une société démocra-
tique », a annoncé que son objectif était
de conclure une alliance entre étudiants
et ouvriers « comme en France ».
Le groupe a précisé que son action
d'Infiltration dans les usines et les bu-
reaux voisins commencera aux vacances.
Depuis le début de l'année scolaire, il
a déjà suscité des remous dans tout
le pays.
BUDAPEST 1968
Vienne, 13 juin (Reuter). — Un certain
nombre de jeunes Hongrois, des étu-
diants pour la plupart, ont été condam-
nés à des peines allant jusqu'à deux ans
et demi de prison par un tribunal de
Budapest pour « activités anti-Etat »,
rapporte aujourd'hui l'agence d'informa-
tion yougoslave Tanjug.
BRESIL CIVIL
Sao Paulo, 13 juin (A.F.P.). — Un
millier d'étudiants ont envahi la nuit
dernière le bâtiment du rectorat de
l'université c'; Sao Paulo, et ont obligé
le recteur è répondre aux revendications
des universitaires w sujet de la réforme
de l'université locale.
MEETING
CE SOIR
A LA MUTUALITÉ
Alors qu'il attaque sauvagement à Flins, à Sochaux,
à Paris, les centres de résistance ouvriers et étudiants,
le gouvernement désire rejeter les conséquences de la
brutalité de sa répression sur les organisations révolu-
tionnaires en les interdisant.
Pour protester contre cette interdiction et contre
la répression du pouvoir sous toutes ses formes, le
Comité d'Initiative pour un Mouvement Révolutionnaire
organise ce soir, vendredi 14 juin, à 20 h. 30, à la
Mutualité (métro Maubert-Mutualité) un meeting pré-
sidé par Jean-Pierre Vigier, au cours duquel Jacques
Sauvageot, Alain Krivine, Marc Heurgon, Bernard Herz-
berg, Gérard Bloch et Joël Grynbaum communiqueront
leur appréciation sur la crise ouverte en France et sur
les perspectives de lutte contre le pouvoir gaulliste et
le régime capitaliste.
L» directeur de la publication :
Jean-Pierre VIGIER
Travail exécuté par de4 ouvriers syndiqué*
Grand*! lmprim*rl*f « Pari* Cmtr* >
142, ru* Montmartre
Paris (*)
S8CHAIJX
APRÈS
LA BATAILLE
Mercredi matin, après la ba-
taille de mardi (1), personne ne
travaille aux usines Peugeot.
Dans la principale artère qui
traverse les différents départe-
ments de l'usine, des centaines
d'ouvriers, de femmes, de jeunes
se racontent la journée d'hier
et discutent de la situation. Le
climat est à la fois grave (un
deuxième mort a été annoncé ce
matin) et joyeuse : « On les a
eus >. On est content et fier
d'en avoir mis plein la vue aux
C.R.S. Chacun raconte ce qu'il
a fait dans la bataille, ce qu'il
a vu durant les 17 heures de
combat. On reconstitue quelques
points chauds de la journée :
le lundi matin vers 4 heures
quand les C.R.S. sont arrivés
par derrière l'usine en surpre-
nant les piquets de grève (un
ouvrier qui dormait s'est « ré-
veillé » en se faisant matraquer),
le barrage de l'avenue d'Helvetie
avec un camion dont on a crevé
les pneus, les rafales de grena-
des offensives tirées à hauteur
de jambes (elles blesseront
gravement 2 ouvriers à qui l'on
devra amputer le pied), la ma-
nifestation dans Sochaux vers
15 heures aux cris de * tous
aux barricades », les combats
de plus en plus acharnés dans
la soirée. Un fait est certain :
lundi vers 21 h., les C.R.S. ne
sont partis qu'à cause des dé-
marches entreprises par les di-
verses personnalités et partis
politiques. C'est la contre-atta-
nent les étudiants et les jeunes
travailleurs de la capitale.
Une autre prise de conscien-
ce : l'intoxication de l'Informa-
tion. Toute la journée d'hier les
radios (O.R.T.F. et postes péri-
phériques) se sont ingéniés à
dire qu'on ne savait pas qui
avait tiré... Or chacun sait ici
que lorsque les manifestants se
sont emparés d'un car de C.R.S.,
ils ont aussitôt cassé les fusils
qui s'y trouvaient pour ne pas
avoir à s'en servir. Seuls les
C.R.S. ont tiré. L'ensemble de
la population de Montbéliard
sait à quoi s'en tenir.
« ON NE FERA PAS
COMME EN 65 »
La lutte des ouvriers de Peu-
geot s'est renforcée. La pour-
suite de la grève, lundi, dont les
ouvriers de la carrosserie
avaient pris l'initiative, s'est
étendue aujourd'hui à l'ensem-
ble du personnel. Celui-ci était
partagé sur l'appréciation des
avantages acquis. La bataille de
mardi l'a résolue. Les ouvriers
de Peugeot sont maintenant dé-
cidés à obtenir gain de cause
sur ce que la firme avait refusé
de négocier. Pas de récupéra-
tion le samedi, pas d'accéléra-
tion des cadences, législation
L'ENTREE DES JEUNES
DANS LA BATAILLE
L'atmosphère est à l'attente,
mais une attente déterminée. Les
syndicats, les ouvriers savent
que parmi eux, beaucoup sont
décidés à ne pas reprendre pour
quelques broutilles : les « jeunes
turcs » comme on les appelle Ici
sont inorganisés. Ils entrent sou-
dainement dans la bataille ces
temps-ci avec une volonté d' « y
mettre le paquet » qui inquiète
les uns, qui redonne du cou-
rage aux autres, mais qui en
tout cas étonne tout le monde
(le patronat y compris). Ce sont
les jeunes ouvriers de Peugeot
(aidés par des jeunes travail-
leurs de toute la région alentour)
qui ont accompli le geste le
plus spectaculaire de la bataille
de Sochaux : l'attaque du Cer-
cle-Hôtel-Peugeot. Ce club est
le symbole de la hiérarchie so-
ciale du monde Peugeot ; bâtisse
élégante, réservée aux ingé-
nieurs et cadres, elle s'érige au
milieu des usines comme les
villas bourgeoises au milieu des
cités ouvrières. Pendant l'occu-
pation des usines, ce fut natu-
rellement là que s'installa la di-
rection. Puis, durant la bataille,
le Cercle-Hôtel devint pour
quelques heures le siège de
l'état major des C.R.S. Sa mise
à sac, en fin de journée était
la destruction de la contrainte,
le défoulement d'une violence
contenue contre le « système ».
« Le lion (4) est mort » est
affirmé en lettres rouges sur
les murs de l'usine. Peut-être
pas encore. Mais il est certai-
nement blessé.
(1) Cf. Le premier écho sur la bataille
de Sochaux dans ACTION du mercredi
12 juin.
(•) En 1965, les usines de Sochaux
ont connu une grève qui s'est étalée
sur 1 mois. Mais le patronat avait réussi
Le plan de la bataille de Sochaux, le mardi 17 juin, les travailleurs, expulsés des usines,
construisent des barricades aux deux extrémités de la zone industrielle
que des travailleurs et des jeunes : des libertés syndicales. « La di-
de la région qui a contraint le | rection (Peugeot) croyait qu'on
préfet du Doubs à retirer les j accepterait de rentrer la tête
3500 C.R.S. et gardes mobiles
du pays de Montbéliard.
« S'ILS AVAIENT
LAISSE LES C.R.S...
• S'ils avaient laissé les
C.R.S. la nuit de mardi à
mercredi, c'est pas 2 morts
qu'il y aurait eus, c'est 10,
20 et il y en aurait eu parmi
les flics », « les carabines de
chasse étaient prêtes » (phrase
entendue plusieurs fois), « les
gars de l'Alsthom étaient prêts
à venir ». Il n'y a pas que des
ouvriers qui parlent. Des gens
de Montbéliard, employés
et même commerçants, disent
leur mot. Si le combat avait con-
tinué, c'est tout le peuple de
Montbéliard qui aurait constitué
l'arrière du front. Car ici, on a
en quelque sorte découvert les
C.R.S. On recevait avec scepti-
cisme les nouvelles de Paris.
Aujourd'hui, beaucoup compren-
basse comme en 65 (*).
RECUL DE LA DIRECTION
Mercredi après-midi, un mee-
I ting réunit 3000 ouvriers sur le
| champ de foire (ce qui est im-
portant, la majorité des ouvriers
î habitant à plus de 15 km de So-
chaux). On fait le bilan de la
bataille : 2 morts (2), 67 blessés
sérieux, dont 3 très graves : un
blessé par balles et 2 amputa-
tions du pied. Puis le délégué
C.G.T. annonce que les discus-
sions ont repris avec la direc-
tion. Celle-ci, maintenant, ac-
j cepte de discuter de points
qu'elle s'était refusé à négocier
jusqu'ici, en particulier la légis-
lation des libertés syndicales,
l'incorporation des primes dans
le salaire de base, la réduction
des horaires de travail (3), le
paiement des heures de grève,
etc. Les délégués syndicaux pré-
cisent qu'ils ne s'engagent a ne
rien signer sans avoir consulté
auparavant les travailleurs.
a pourrir les situations. La reprise du
travail s'était faite dans un climat de
défaite cruellement ressentie.
(2) La deuxième victime s'est tuée en
tombant d'un mur, alora que les C.R.S.
le bombardaient de grenades lacrymo-
gènes.
(3) Sur tous les points, la direction
s'était refusée de garantir le moindre
accord précis, se contentant de vagues
promesses : « (...) 3° Une réduction pro-
gressive des horaires de travail ; 4° Des
garanties concernant l'exercice du droit
syndical... » (Présentation des « avan-
tages • proposés par les directions pour
la consultation du personnel le 4 Juin
1968).
(4) Symbole-effigie de Peugeot.
IA GREVE CONTINUE
Dans de nombreuses entreprises de
province, des négociations se poursui-
vent aujourd'hui. Mais le mouvement de
reprise n'en affecte qu'un petit nombre.
Dans la métallurgie du nord, dans la
chimie et la métallurgie lyonnaise, la
grève se poursuit en dépit d'espoirs
qu'elle prendra fin dans les jours qui
viennent. Dans la marine marchande, ou
la reprise devait en principe s'effectuer
à partir d'hier, l*e marina et officiers se
montrent réticents pour suivre la consi-
gne donnée par leurs syndicats, notam-
ment à Bordeaux et Marseille.
LA MAISON
PEUGEOT
Les usines automobiles de Peugeot
emploient 26000 employés dont 15000
O.S. (ouvriers spécialisés). Peugeot, par
rapport aux autres « boîtes • de la
région « pale bien • : beaucoup de tra-
vailleurs arrivent à se faire plus de
1 000 F par mois. Certains journaux ont
parlé d'un prolétariat en voitures : effec-
tivement, nombreux sont les ouvriers qui
possèdent une automobile. Bref, du « bon
travail social ». Et puis Ici, on est dans
l'Est, « on aime travailler -.
Mais voilà, la réalité est autre —
1 000 F par mois? Ils se paient chéri
Les - doubleurs » (la plupart des O.S.)
travaillent 9 h 15 mn par Jour, 47 heures
et plus par semaine. 130 car» de la
firme Peugeot « ramassent • le» ouvriers
Jusqu'à 70 kilomètres à la rond*. En
hiver, avec les barrières de gel, II faut
compter 4 à 5 heure* de car par Jour,
qui, ajoutées aux 9 h 15 de présence
à l'usine, font près de 14 h d'heures de
travail et assimilée*.
La pratique de • hauts salaire* » (par
rapport à ceux pratiqués dana le resta
du pays de Montbéllard) est systémati-
quement récupérée par le patronat. Ce
dernier met à la disposition de •
employés «es propres services de cré-
dit. Et c'est l'escalade infernale entre la
voiture Peugeot, le frigidaire et la néces-
sité de gagner plus, donc de travailler
plus. La direction offre à bras ouverts
ses usines le samedi pour ceux qui
veulent e'adonner aux heures supplé-
mentaires. S! l'on sait par ailleurs
qu'entre le quart et le cinquième du
salaire est versé en prîmes diverses
(primes d'assiduité, primes antigrèves,
etc.) on pourra commencer à oonv-
prendre le système Peugeot.
Les cadences au travail à la chaîne
obéissent aux mêmes lois. Il faut sortir
tant de bagnoles par jour et la direction
cherche tous les prétextes pour augmen-
ter la productivité. C'est ce qui a été
fait, en particulier, après les grèves de
1965. L'une des raisons pour lesquelles
les jeunes travailleurs ont appelé à
reprendre la grève lundi, c'était l'an-
nonce — non officielle mais très offi-
cieuse — que la direction entendait
faire sortir 24 voitures de plus « par
rang » (autrement dit, par unité de 9 h 15
de travail), et faire «récupérer- les
heures perdues par la grève pendant
17 samedis.
La dictature Peugeot comptait effec-
tivement sur une certaine tradition des
travailleurs du pays de Montbéliard.
Peugeot, le poumon de la région, arri-
vait à enfermer des travailleurs, habitués
a de bas salaires et souvent de prove-
nance paysanne, dans l'engrenage Infer-
nal fric-travail-abrutissement.
Mais, depuis plusieurs années, le cli-
mat change. Les jeunes n'acceptent plus
ce piège à c... De nombreux travailleurs
ont subi avec amertume la défaite de
1965 (plus d'un mois de grève terminée
par une quasi-défaite). Le recrutement
de travailleurs étrangers au pays de
Montbéliard (français et étrangers) a
encore contribué à modifier la situation.
Une nouvelle génération n'entend plus
se faire flouer. Elle se méfie de l'action
souvent inefficace des syndicats. Avec
les semaines de mai et de juin, elle a
pris conscience d'elle-même. Peu formée
politiquement encore, elle sent néan-
moins qu'il faut faire sauter la dictature
paternaliste de Peugeot. C'est elle qui
la première a dit non è la reprise du
travail ; c'est elle qui prit l'initiative de
se battre contre les C.R.S. appelés par
la maison. Désormais, les directives syn-
dicales devront compter avec ces jeunes
ouvriers qui ont écrit sur les murs : « Les
usines aux travailleurs ».
O.R.T.L
NEGOCIATION
OD CAPITULATION
La grève de l'O.R.T.F. com-
mence à devenir dangereuse
pour le pouvoir. A Paris, malgré
l'interdiction de la dernière opé-
ration Jéricho, les téléspecta-
teurs ont manifesté.
Mais certains éléments de l'in-
tersyndicale semblent prêts à
toutes sortes de concessions.
Les propositions ridicules du
ministre Guena sont considérées
comme un pas en avant : elles
consistent à créer une commis-
sion consultative représentant
l'opinion du personnel auprès
de la Direction générale, et à
admettre 2 représentants de plus
du personnel au Conseil d'ad-
ministration, soit 4 représentants
sur 20. L'intersyndicale a cru
bon de reporter à plus tard le
meeting qui devait se tenir à
Périgueux sous prétexte qu'il
ne fallait pas froisser le candi-
dat député Guena au moment
des négociations.
Il semble que certains mem-
bres de l'intersyndicale, sentant
la probabilité d'une capitulation,
veuillent se poser en hommes
de compromis afin de récolter
tous les fruits d'une bataille
qu'ils n'ont jamais menée sin-
cèrement II ne faut pas seule-
ment changer le statut de l'O.
R.T.F. Il faut aussi changer ses
mandarins.
Envoyé spécial de « Paris-Jour » photegraphiant un enragé
A tous les enfants qui sont partis le sac au dos
Par un brumeux matin d'avril
Je voudrais faire un monument
A tous les enfants qui ont pleuré le sac au dos
Les yeux baissés sur leur chagrin
Je voudrais faire un monument.
Pas de pierre, pas de béton, ni
De bronze qui devient vert sous la morsure
Aiguë du temps
Un monument de leur souffrance
Un monument de leur terreur
Aussi de leur étonnement
Voilà le monde parfumé, plein de
Rires, plein d'oiseaux bleus, soudain
Griffé d'un coup de feu
Un monde neuf où
Sur un corps qui va tomber grandit une tache
De sang.
Mais à tous ceux qui sont restés les pieds
Au chaud sous leur bureau en calculant
Le rendement de la guerre qu'ils ont voulue
A tous les gras, tous les cocus qui
Ventripotent dans la vie et
Comptent et comptent leurs écus,
A tous ceux-là je dresserai le monument
Qui leur convient avec la schlague, avec
Le fouet, avec mes pieds, avec mes poings,
Avec des mots qui colleront sur leurs
Faux plis, sur leurs bajoues, des marques
De honte et de boue.
Poème inédit de Boris VIAN.
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