Action

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N" 19 • VENDREDI 28 JUIN • PRIX MINIMUM : 0,50 F • Ce (ournal a été réalisé «u Servie» de» Comité» d'Action, avec le soutien de l'UNEF, du SNESup et des Comités d'Action Lycéen».
QUI
SONT
US
VEAUX?
Samedi, de Gaulle parlera à la télévision pour
porter un dernier coup bas dans le match électoral. De
la participation à l'évocation du désordre, le registre
tout entier sera parcouru. Ça, c'est pour les grandes
foules. Celles qui retrouvent l'image clignotante de la
Télé (où pleuvent les licenciements). Mais, de même
qu'il y a une religion pour le peuple et une religion pour
les élites, il y a, à côté de ce gaullisme hertzien, celui qui
se distille au travers des couloirs de l'Elysée. Pour ces
élites, de Gaulle a fait savoir, voici quelque temps déjà,
que les Français étaient des veaux. Dans l'idéologie du
régime ce n'est pas neuf. Dit dans cette situation, cela
fait se pâmer les commentateurs : « Oui, il a raison, ces
salauds d'ouvriers ont voté gaulliste... Malraux l'a bien
dit... D'ailleurs c'est bien ce que pense le P.C., c'est
pourquoi il ne s'est pas mouillé, etc. ». Et pour se
donner bonne conscience, ces intellectuels désabusés
de la quarantaine, victimes de la guerre froide, appellent
à voter à gauche au deuxième tour. Comme si, pour
cela, on avait besoin d'eux. Dans les déserts de la
pensée, les valeurs de l'humanisme du XIXe siècle font
toujours recette.
Tout ce concert, où le « Nouvel Observateur » ne
tient pas la plus mauvaise part, montre que cette gauche
cherche des excuses à une politique qu'elle ne veut
pas remettre en cause.
La soi-disant surprise électorale illustre pourtant la
vieille constatation révolutionnaire selon laquelle tout
heurt frontal entre classes qui ne se termine pas par la
prise du pouvoir entraîne inévitablement une poussée
réactionnaire.
Les travailleurs ne sont pas des veaux. L'insulte
pas plus que le moralisme ne permettent l'économie
d'une démonstration. A aucun moment la coalition Mit-
terrand-P.C.F. n'est apparue comme susceptible d'offrir
une perspective. Ce n'est pas seulement l'absence de
programme qui est en cause. Comment des millions de
gens, après que les grèves aient cessé, auraient pu
faire confiance à des responsables qui n'ont pas voulu
fortifier le mouvement revendicatif et contestataire ?
Ce qui ressort du mouvement de Mai c'est que
désormais il sera non seulement nécessaire que soit
réalisée la mise en mouvement d'une grande partie
des travailleurs, il faudra aussi que ce mouvement défi-
nisse lui-même ses perspectives politiques afin qu'il ne
soit pas freiné par les appareils.
Un tel programme, en plus du travail de propa-
gande, suppose qu'on analyse les possibilités révolu-
tionnaires dans les sociétés capitalistes développées.
Quels qu'aient été les développements de la situa-
tion qu'on pouvait imaginer, nos insuffisances d'analyse
étaient une limite à ce qui pouvait être fait. Malheureu-
sement, nous n'avons guère senti la pression des faits
pour aller de l'avant. C'est que, dès le départ, les
directions politiques et syndicales ont préféré négocier
à tout prix à Grenelle.
Tout s'est passé comme si ces directions avaient
préféré encourir une défaite plutôt que de se voir
remises en cause par un engagement de plus en plus
résolu des travailleurs dans la lutte.
La revanche
des
Mandarins
Jeudi, 4 heures du matin.
l'Ecole des Beaux-Arts passe
sous la coupe des flics. A la
veille du second tour, Pompidou
a besoin d'offrir des gages sup-
plémentaires de son amour de
l'ordre à la vague réactionnaire.
Cette fois-ci, il n'y a pas eu
besoin de « Katangais », le
résultat des élections a fait
classer l'opinion publique com-
me docile.
Tout cela est finalement assez
banal. Ce qui est plus intéres-
sant en revanche, c'est le choix
des Beaux-Arts comme seconde
cible après la Sorbonne et d'au-
tre part le revirement du corps
académique symbolisé par les
déclarations du tristement célè-
bre Zamansky, « doyen des
sciences ».
Pourquoi les Beaux-Arts ? Le
prétexte officiel, c'est la « re-
constitution » dans cette école
d'un groupe politique dissous,
le « Mouvement du 22 Mars ».
Prétexte bidon s'il en fût.
En fait, comme le déclare le
comité de grève de l'école dans
un tract distribué hier, les
Beaux-Arts ont été repris pour
la bonne et simple raison qu'ils
constituaient l'un des pôles les
plus importants du mouvement
de mai. L'atout majeur qu'a
visé le pouvoir c'est l'atelier
populaire d'affiches qui a été
le fer de lance de la propa-
gande des militants parisiens,
étudiants et travailleurs, dans
les quartiers et dans les usines.
Le pouvoir n'a pas « encaissé »
le succès populaire de cet art
révolutionnaire qui a marqué
les mois de mai et de juin, pas
plus qu'il ne supporte que des
écoles et des facultés restent
des centres d'activités démocra-
tiques qui font éclater le ghetto
universitaire.
Refusant l'ultimatum du pou-
voir, le comité de grève appelle
les camarades qui ont travaillé
aux Beaux-Arts à poursuivre
leurs activités à fa Faculté de
sciences.
Mais sera-ce possible ? A ce
niveau, Pompidou et ses sbires
ne sont pas seuls en cause.
Passé l'orage, le pouvoir retrou-
ve ses fidèles acolytes licenciés
es université. Les pauvres ! Ils
ont été pendant 6 semaines pri-
vés de parole ! Sûrs maintenant
d'être dans le vent, les manda-
rins charognards savourent leur
revanche.
Il en est un, certes, qui ne
s'est pas tu durant ces événe-
ments. Zamansky est un doyen
de choc, militaire dans l'âme,
mais superbement moderne en
esprit. Quand, après le 13 mai,
les étudiants ont envahi leurs
facultés, Zam' a voulu faire
front, employant la tactique de
l'enveloppement surprise : en
24 heures, il organisait SES
élections et intimait à ses étu-
diants d'élire dare-dare des re-
présentants maison pour prépa-
rer les examens. L'opération
échoua lamentablement. Za-
mansky le garda sur l'estomac.
Ces jours-ci, les élections or-
ganisées par les étudiants et les
enseignants et préparées depuis
trois semaines commencent à se
dérouler. Sentant ses arrières
assurés, Zamansky s'adonne
maintenant aux coups bas.
Dénonciation des élections :
« ...Les élections... ne semblent
pas donner les garanties néces-
saires ». Dénonciation des gra-
ves excès de la liberté d'ex-
pression politique : l'associa-
tion corporative des étudiants
(de droite) en a été « victime ».
Enfin, le plat de résistance, l'ap-
pel pharisien aux flics : « CER-
TES, les forces de l'ordre ne
sont jamais entrées à la faculté
de sciences depuis deux mois »
MAIS « il ne faudrait pas que
l'activité de quelques-uns dé-
tournât la faculté de sa destina-
tion et provoquât une interven-
tion regrettable des forces de
l'ordre » (Cf. « Le Monde », 28
juin »). En toute simplicité...
Qui a pu croire que le com-
missaire Zamansky et le régi-
ment des mandarins — archaï-
ques ou « modernistes » —
étaient autre chose que les fon-
dés de pouvoir d'un Etat tech-
nocratique et policier ?
LE CINÉMA DE MAI :
75 000 METRES
DE PELLICULE SUBVERSIVE
Le cinéma, l'art par excel-
lence des temps modernes pour
Lénine déjà, ne pouvait pas ne
pas être touché par le mouve-
ment de mai 1968.
Le public a pu remarquer des
aspects spectaculaires et super-
ficiels comme l'interruption du
Festival de Cannes mais, un
travail silencieux et plus pro-
fond a été entrepris un peu par-
tout.
Des équipes sont parties en
province pour filmer les grèves :
Nantes, Saint-Nazaire, Flins. Les
équipes ont filmé les barricades,
les manifestations. De tous ces
travaux vont résulter de multi-
ples films, les uns très courts,
véritables tracts cinématographi-
ques, les autres plus synthéti-
ques et plus distanciés par rap-
port aux faits.
Que va-t-on faire de tout cela ?
Eros et civilisation
Dans la diffusion du cinéma
d'abord.
Au cours de cette période
spontanément des groupes se
sont constitués un peu partout
pour présenter à un public nou-
veau des films nouveaux. En
liaison avec les comités d'entre-
prises et de grève, plus de 100
films ont été présentés dans 70
usines au moins par un seul
groupe.
JUSQU'A 3 HEURES
DU MATIN
Des films ont été diffusés
aussi dans des foyers de jeunes
travailleurs, des facultés, des
lycées, des C.E.T., dans des
théâtres de banlieue, des mai-
sons de jeunes et à travers la
France (Bretagne, Normandie,
etc.).
Le public nouveau a pu voir
des films boycottés par le ci-
néma commercial ou interdits.
Les travailleurs étrangers ont
souvent demandé des films sur
leurs problèmes (les Espagnols
ont organisé de longs débats
à propos de « Mourir à Madrid »,
les Africains au sujet de « Corne
back Africa »), à Hispano-Suiza,
les travailleurs ont organisé une
session cinématographique sur
le problème des travailleurs
étrangers. Ce public qui allait
peu au cinéma a parfois tenu
des débats animés qui se pro-
longeaient jusqu'à 3 heures du
matin.
BRISER LE CARCAN
DU CINEMA COMMERCIAL
Cela, déjà est une révolu-
tion par rapport au cinéma com-
mercial et digestif, bien que les
ciné-clubs aient depuis long-
temps tenté avec plus ou moins
de succès de briser le carcan
du cinéma traditionnel.
A cette occasion des contacts
entre le public et la pellicule se
sont transformés.
Les animateurs espèrent que
par ce travail les gens peu à
peu n'accepteront plus de voir
passivement les films de con-
sommation qu'on leur présente
dans les salles nocturnes.
Un travail important a été en-
trepris aussi au niveau de la
REALISATION DES FILMS.
Diverses équipes préexistan-
tes, ou se formant à cette oc-
casion, ont tourné durant cette
période plus de 75 000 mètres
de pellicule.
On s'est aperçu qu'en dehors
de Paris, les gens avaient été
sous-informés sur les événe-
ments. Aussi y a-t-il- un énorme
travail d'information à entre-
prendre durant les vacances.
Déjà des équipes sont parties
dans tous les coins pour une
propagande foraine : Le Havre,
Vendée, Midi, passant les films
dans les usines, les facultés
d'été, les villages, les campings.
Des expériences dans la pro-
grammation des films vont être
tentées aussi.
Ainsi au lieu du programme
traditionnel : court métrage,
entracte, long métrage, va-t-on
présenter un film par exemple,
puis engager une discussion
qui peut durer très longtemps.
Si, à ce moment là, à la suite
de la discussion, les specta-
teurs veulent revoir le film, on
k repasse. Après quoi, on pré-
sente un autre film.
En dehors même du caractère
politique des films, c'est ce rap-
port du public avec le cinéma
qui est déjà subversif en soi.
UN INSTRUMENT
D'EVEIL POLITIQUE
DES MASSES
Tous ces esais vont poser
des problèmes ,car bien entendu
ces films n'auront pas de visa
de censure. Mais, ces anima-
teurs ont choisi de travailler
dans l'illégalité, encourant donc
les risques de saisie, comme
au moment de la guerre d'Al-
gérie.
Aussi beaucoup de choses
auront été commencées depuis
le début mai, des liens neufs
auront été noués entre le cinéma
et les travailleurs, des méthodes
nouvelles d'animation auront été
expérimentées, des gens pour
première fois se seront rendu
compte que le cinéma pouvait
traiter de leurs problèmes, enfin
le cinéma, d'instrument commer-
cial d'abrutissement, aura com-
mencé à devenir un instrument
d'éveil politique des masses.
Rien n'est définitivement ac-
quis cependant. Le gouverne-
ment gaulliste et le cinéma
commercial vont essayer par
tous les moyens de briser cette
tentative de cinéma parallèle et
contestateur. Et si le cinéma a
servi la lutte des travailleurs,
la lutte de ces derniers pourra
peut-être permettre à ces ten-
tatives d'un cinéma nouveau de
se développer.
Permanence diffusion
ACTION
Halle aux Vins
LA PAROLE
EST
A NOUS !
MAI 1968. — Crise du milieu
étudiant. Affrontement immédiat
avec le pouvoir. Grève géné-
rale avec des formes nouvelles
d'action et d'organisation.
NANTES. — Occupation ac-
tive des usines. Toute une série
d'initiatives parallèles, la réor-
ganisation de certains circuits
d'activité renforcent la grève.
CITROEN. — Grève massive
pour la première fois, malgré
des conditions notoirement dif-
ficiles.
FLINS. — Premier affronte-
ment des grévistes avec la po-
lice. Pour la première fois, pré-
sence active des étudiants
dans une grève.
RHONE-POULENC retrouve
la tradition des comités de
base dans la grève (comités
d'atelier).
RESULTAT : dix ans de re-
vendications satisfaites en une
semaine ou le pouvoir réac-
tionnaire gaulliste renforcé ?
NOS QUESTIONS :
Les organisations « de gau-
che » ont réclamé des élec-
tions. Pourquoi ?
Elles devaient aboutir à une
défaite. Pourquoi ?
Le caractère du mouvement
de Mai est profondément ori-
ginal. Comment ?
Comment, dans la grève, des
formes embryonnaires de dou-
ble pouvoir se sont-elles déve-
loppées ?
Des rapports nouveaux
étudiants-ouvriers se sont-ils
noués ? Dans ce but, l'Univer-
sité Populaire d'Eté va se cons
tituer. Comment ?
Comment s'effectuera la ren-
trée sociale et universitaire ?
Ceux qui ont été les acteurs
de l'histoire de Mai peuvent
seuls y répondre :
LA PAROLE EST A NOUS
Samedi 29, 19 h. à 24 h.
Meeting populaire
Halle aux Vins
(Fac des Sciences
quai Saint-Bernard)
Tous ces thèmes seront abor-
dés dans des journaux parlés
libres, organisés avec l'aide de
grévistes de l'O.R.T.F., qui se
prolongeront en débats.
Projection de films tournés
pendant les événements.
Les Comités d'Action.
Y A-T-IL Eli OU NON
MUTINERIE A BORD
DU CLEMENCEAU
Malgré des démentis formels, quoi-
que tardifs de l'Amirauté de Brest, les
oruits courent toujours relativement à
une mutinerie qui se serait produite sur
le porte-avions « Clemenceau ».
Les renseignements que l'on a pu
obtenir ne sont pas suffisamment précis
pour permettre une reconstitution de
ce qui a pu se passer, toutefois, un
certain nombre de témoignages qui se
recoupent permettent d'établir avec
certitude les faits suivants :
— Après escale à Tahiti du 18 mai
au 11 juin, un certain nombre d'inci-
dents ont eu lieu à bord, deux hypo-
thèses peuvent être émises :
— Ou bien, des accidents d'ordre
technique se seraient produits ; on sait
de façon certaine qu'une chaudière a
explosé, et qu'une catapulte a été dé-
Un fait est certain, le commandant
Sangumetti ainsi que le capitaine d'arme
ont été ramenés en France et remplacés
à bord.
LES « NOYES »
DU CLEMENCEAU
D'autre part des familles de la région
de Brest ont été avisées de la dispari-
tion de leurs fils notamment :
— A Ploumeauguer, près de Brest,
une famille a été informée par l'ami-
rauté que son fils de 19 ans s'était
noyé près de Tahiti, deux familles ont
été prévenues pour noyades (?) à Salnt-
Ivy. A Rospordin, à Plougastel, et à
Loch-Tudi, 4 familles ont été informées
de la disparition de leurs fils.
— Un ouvrier travaillant à l'Arsenal
Jégiop
étrangère
horizons
nouveaux
un .
avenir
une
formation
RENSEIGNEMENTS
ENGAGEMENTS
FORTdeNOGENT
94 Fontenay s/b
TEL: 873-46-98 poste 30
Tract d'appel à l'engagement dans la Légion étrangère
truite. L'explosion d'une chaudière peut
à elle seule faire de nombreuses vic-
times.
— Les accidents de bord auraient
pu entraîner un climat de tension à
bord du navire.
LE « BIDEL » A LA MER
— La seconde hypothèse aurait des
motifs plus psychologiques : les ma-
rins se trouvant à bord n'avaient au-
cune nouvelle de leurs familles depuis
3 semaines — ceci à cause de la
grève — pas plus qu'on ne les avait
informé de la situation politique et so-
ciale en France. Une information aurait
circulé au sujet des barricades à Paris
et aurait contribué à l'agitation. Par
ailleurs la discipline très dure à bord,
et semble-t-il une certaine impopularité
du commandant Sanguinetti (père de
l'ex-ministre des Anciens Combattants)
aurait provoqué des bagarres à bord
du navire. Des marins du • Foch »
nous ont parlé d'un passage à tabac
du « Bidel » (capitaine d'arme) qui serait
tombé à la mer. Quant à l'explosion de
la chaudière elle aurait été provoqué
par les marins.
— Y a-t-il eu répression ?
aurait reçu un télégramme sur lequel
son fils était porté « disparu en mer ».
Il y a d'autres disparus, pour les-
quels nous n'avons pu établir de véri-
fication certaine.
CLEMENCEAU - POTEMKINE
Les journaux locaux « Ouest-France •
et « le Télégramme » continuent à
faire paraître des communiqués affir-
I mant qu'aucun incident ne s'est pro-
duit à bord. Mais ces mêmes journaux
ont passé sous silence, il y a une
quinzaine de jours, une manifestation
où a été crié entre autres le slogan
- Clemenceau - Potemkine ».
Pourquoi le ministère de la Marine
s'obstine-t-il à garder le silence sur
cette affaire, car il est certain mainte-
nant que des incidents graves se son!
produits, et dans l'hypothèse où ceux-
ci se seraient limité à de simples acci-
dents techniques avec perte d'hommes
(explosion de chaudière et de catapulte)
on voit mal pourquoi le ministère re-
fuserait de les mentionner.
Dans la seconde hypothèse, celle
d'une révolte ou même d'une mutine-
rie, la conjoncture politique actuelle
expliquerait ce parti-pris.
JEAN DRU
« L'OBSERVATEUR »
ET LA RÉVOLUTION
Le Nouvel Observateur publie
dans sa livraison du 26 juin une
volumineuse étude de Jean Dru.
Sous ce pseudonyme se cache
,'un des oppositionnels de vieille
date du P.C.F. Jean Dru a fait
paraître dans le passé plusieurs
ouvrages qui, même s'ils prêtent
à contestation, ne manquent pas
d'intérêt. Il est étonnant de lui
voir donner aujourd'hui un satis-
fecit presque total à la stratégie
appliquée en Mai par le P.C.F.
LE TOUR DE PASSE-PASSE
INTELLECTUEL
Le point de départ de la dé-
monstration est très révélateur ;
c'est une réduction du problème
à ses données bureaucratiques.
La formidable poussée de mai
1968, écrit-ll, est d'abord le fait
d'étudiants en révolte et de la
classe ouvrière en grève ». Mais
I s'empresse d'ajouter que la
masse, quelles que soient sa
spontanéité et son importance
numérique, obéit aux consignes
d'une minorité ; par conséquent
l'analyse de ce prodigieux
phénomène nous parait devoir
s'articuler sur les positions res-
)ectives des forces organisées
en présence, sans omettre le
rôle des « groupuscules ».
Ce tour de passe-passe in-
tellectuel vicie dès le départ
toute l'analyse de Jean Dru. A
partir du moment où tout se
déroule entre bureaucrates, il
st normal que ce soient ceux
qui ont la meilleure ligne « bu-
reaucratique » qui l'emportent,
lean Dru fait preuve d'une in-
croyable cécité politique en éli-
minant le principal acteur de la
crise de Mal : le mouvement des
masses.
EN PLEIN
ROMAN FEUILLETON
Jean Dru est d'ailleurs immé-
diatement dans une impasse :
en effet, la thèse d'une « direc-
tion » (ou tout au moins d'un
chapeautage) de la classe ou-
vrière par le P.C.F. et la C.G.T.
est défendable. Mais pour les
étudiants ?... Alors Jean Dru in-
vente un directoire occulte à
'idéologie castro-léniniste. Cette
hypothèse d'école, sans aucun
fondement, devient le fil direc-
teur de l'analyse : on tombe
alors en plein roman feuilleton.
Lorsque Jean Dru écrit : « Que,
de plus, des groupes séduits
par l'idée de l'escalade révolu-
tionnaire aient pu transformer
des manifestations pacifiques
d'étudiants en affrontements
avec les forces policières, voilà
une allégation peu téméraire ».
C'est plus élégant, mais sur le
fond c'est la même chose que
les calomnies de G. Marchais.
La stratégie étudiante, comme
le constate à juste titre Jean
Dru, ne pouvait déboucher que
sur une tentative de liaison
entre luttes étudiantes et luttes
ouvrières. Les obstacles psy-
chologiques et surtout bureau-
cratiques à cette jonction, Jean
Dru les décrit fort bien. Mais,
là où ses informations pèchent
par défaut, c'est lorsqu'il affirme
que les contacts directs entre
étudiants et travailleurs, par-
dessus la tête des bureaucrates
ont été un échec : partout où
des initiatives réelles de soli-
darité ont été prises, des con-
tacts fructueux ont été noués.
Bien sûr le mouvement n'a pas
pris l'ampleur que nous aurions
souhaité ; il s'agit d'une action
de longue haleine que trois se-
maines de lutte ne peuvent me-
ner à terme. Que Jean Dru,
au lieu de se borner à une
réflexion de cabinet, aille à Flins,
à Sochaux ou à Nantes et il
verra que la solidarité ouvrier-
étudiant n'est pas un vain mot.
CASTRO-LENINISME
ET DIALOGUE
ETUDIANT-OUVRIER
Où Jean Dru a-t-il vu que
nulle part les ingénieurs et ca-
dres ne sont à la pointe du
combat ? Certes, la situation est
très variable selon les branches
et selon les entreprises ; mais
comment les grèves auraient-
elles pu durer aussi longtemps
dans l'aéronautique, à la Thom-
son ou à la C.S.F. sans la par-
ticipation active des techniciens,
ingénieurs et cadres ?
On atteint le fond du débat
lorsque Jean Dru explique que
la stratégie du mouvement étu-
diant qu'il qualifie de castro-
léniniste a réduit à zéro les
faibles chances d'un dialogue
étudiant-ouvrier. Passons sur
les simplifications outrancières,
pour ne retenir que l'essentiel :
l'idée d'une prise en main di-
recte par les ouvriers de la di-
rection du mouvement de grève,
l'idée d'une solidarité effective
étudiant-travailleur, l'idée d'une
radicalisation de la lutte pouvant
déboucher sur la chute du ré-
gime gaulliste.
Cette stratégie est, selon Jean
Dru, « extravagante ». A l'appui
de cette thèse, Jean Dru apporte
deux arguments. Le premier est
que cette stratégie « entraîne
inexorablement l'asphyxie pro-
longée de l'économie » car « la
bonne tenue de l'économie re-
quiert le concours actif des di-
verses catégories laborieuses et
notamment de la couche la plus
hautement qualifiée. Elle exige
en outre le maintien des échan-
ges équilibrés avec l'extérieur. »
Si cela veut dire que le pro-
cessus révolutionnaire entraine
une désorganisation temporaire
de l'économie, c'est une trivia-
lité qui peut être énoncée à
propos de toute grève. Si cela
signifie que l'Etat révolutionnaire
sera incapable de mobiliser à
ses côtés les travailleurs haute-
ment qualifiés, c'est faux. Ce
qu'il y a de nouveau dans le
Mouvement de mai 1968, c'est
précisément la participation
massive de couches sociales
d'un haut niveau d'instruction, à
commencer par les étudiants.
Cela signifie que le problème
des « spécialistes » sur lequel
a achoppé pendant des années
l'économie soviétique se pose en
France dans des termes beau-
coup plus favorables.
LA FRANCE SOCIALISTE
ET L'EUROPE LIBERALE
Quant au problème des échan-
ges extérieurs, il ne peut être
résolu qu'au niveau où il se
pose, c'est-à-dire au niveau de
l'internationalisme. M. Jean Dru
a parfaitement le droit — bien
que ce soit une incohérence to-
tale — de situer la France so-
cialiste dans une Europe
libérale. Mais au nom de quoi
peut-il qualifier d'extravagante
l'idée d'inscrire la révolution en
France dans la perspective d'une
révolution européenne et mon-
diale ? Seuls ceux qui ont été
désemparés par le mouvement
de mai peuvent nier la possibi-
lité de tels mouvements en Eu-
rope. Les forces révolutionnaires
sont faibles en Europe : pas plus
qu'en France à la veille du mois
de mai.
Le second argument est que
cette stratégie est « pour la
grosse majorité des travailleurs
(...) synonyme d'une dictature
dont elle ne veut pas. » Si cela
signifie que les masses en
France ne se battront pas pour
une société de type soviétique
c'est une évidence. Si cela si-
gnifie que le mouvement né en
mai est apparu comme tendant
à une forme de dictature, c'est
une grossière contre-vérité. Au
contraire, dans la pratique du
mouvement dans les Facultés,
comme dans les formes d'orga-
nisation à la base qu'il a pro-
posées aux ouvriers, tout indique
que le mouvement de mai a été
guidé par une préoccupation
essentielle, la démocratie, et que
c'est ainsi qu'il a été compris
par les masses.
A partir de ces prémices, Jean
Dru se lance dans un récit fan-
taisiste de la crise. On voit appa-
raître ce jugement à propos de
la conduite du P.C.F. et de la
C.G.T. : « La marche des évé-
nements confirme la justesse de
cette tactique. » N'était l'offen-
sive réactionnaire après le pre-
mier tour des élections, cela
ferait rire.
OU SONT PASSES
LES ACCORDS
DE GRENELLE ?
De ce récit disparait un épi-
sode qui peut-être n'a pour Jean
Dru qu'une importance secon-
daire : les accords de Grenelle
et leur refus par la classe ou-
vrière. Ce n'est pas étonnant.
Cet événement ne peut être
expliqué que par une hypothèse
que Jean Dru a refusée dès le
départ : celle d'une rupture entre
les aspirations des masses ou-
vrières et la conduite des orga-
nisations qui les représentent.
Dès lors la capitulation du
P.C.F., le 30 mai, devient sa-
gesse. Pour qu'une épreuve de
force tourne au profit des forces
socialistes il faut qu'elles aient
de leur côté la légalité et que
leur alliance « repose à la fois
sur un projet commun et sur une
grande confiance mutuelle. »
Ces conditions n'existaient pas
le 30 mai : la légalité était du
côté de de Gaulle et les rap-
ports entre la F.G.D.S. allaient
se dégradant. Cette analyse re-
pose sur une pétition de prin-
cipe : « Le peuple français, la
classe ouvrière de ce pays ne
déploieront une violence révolu-
tionnaire irrésistible que face à
une agression séditieuse. »
DES POLITICIENS
QUI N'ONT DE SOCIALISTE
QUE LE NOM
Telles sont les conclusions
que Jean Dru tire de la crise de
mai. Il importe de les expliciter
complètement. Elles signifient
que l'avènement du socialisme
est subordonné : 1° à l'accord
avec les politiciens véreux de la
F.G.D.S. ; 2° à une victoire élec-
torale. Elles reposent sur le pos-
tulat que les masses ne peuvent
mener que des batailles défen-
sives. La Révolution serait
affaire de compromis boiteux
entre les appareils. Les masses
ne seraient appelées à interve-
nir que pour défendre la combi-
naison bâtarde contre les offen-
sives de la réaction.
On croit rêver. Ce que la
crise de mai a montré, au con-
traire, c'est qu'il était possible
de mener, dans une société in-
dustrielle, une bataille de masse
offensive ; c'est qu'il n'y a rien
à attendre de politiciens qui
n'ont de socialiste que le nom.
Les masses ont fait leur expé-
rience : la leçon qu'elles en ti-
rent, c'est que leur mouvement
Q été embourbé dans le marais
parlementaire. Elles n'écouteront
guère les penseurs en chambre
qui leur disent qu'il était juste
qu'il en soit ainsi.
UNIVERSITÉ POPULAIRE
A NICE
Université populaire d'Eté, exemple :
NICE.
Peu de C.A. savent précisément ce
qu'ils vont faire dans le cadre des
Universités populaires d'Eté. Ce phéno-
mène semble actuellement plus sensible
en province. Les camarades de Nice
envisagent : une Université populaire
et internationale d'Eté. Début : 10 juil-
let. Locaux : Faculté des Sciences de
Nice. Thèmes actuellement envisagés :
• Althusser ; • les Mathématiques ;
• Comment fonctionne une usine ; Le
problème de l'autogestion.
Pour les thèmes 1 et 2, il s'agirait
de mener à leur propos un certain
nombre d'expériences pédagogiques,
tendant notamment à former les parti-
cipants à reconstruire l'ensemble du
processus de réflexion à partir de ses
données de base. Pour le thème 3, il
s'agit de poursuivre le travail mené en
commission depuis le début de la grève
par un ensemble de militants étudiants
et non-étudiants, réunissant à parts à
peu près égales 60 personnes.
Bien entendu, l'Université populaire
internationale d'Eté de Nice, qui s'ap-
prête à accueillir des camarades étran-
gers (en particulier Italiens et Alle-
mands), est ouverte à tout militant dé-
sireux d'y travailler. Pour tout rensei-
gnement, s'adresser : Halle-aux-Vins,
Tour 23, 5e étage, ou directement sur
place à Nice.
| Par ailleurs, des Universités popu-
laires d'Eté sont plus spécialement pré-
vues par l'U.N.E.F. à Caen, Marseille,
Rennes, Montpellier et Nice. Un meeting
de - présentation - aura lieu le mer-
credi 9 à la Mutualité.
LE BAC FOICHET
N'EST PAS MORT
Après les événements de mai, les
lycéens se sont rendu compte de la
parité des luttes lycéennes et luttes
ouvrières. A la suite de quoi un mou-
vement de contestation est apparu au
niveau du secondaire. C'est pour désa-
morcer le mouvement que le gouverne-
ment a alors joué la « compréhension »
en nous offrant le bac Pompidou, dont
certaines modalités correspondaient à
la motion du S.N.E.S. et du C.A.L. Nous
avions effectivement demandé un bac
réduit à un contrôle du livret scolaire
par un oral, mais cela n'avait rien
à voir avec un bac qui à lui seul rédui-
sait la difficulté de l'ancien bac écrit
et oral. Nous ne sommes pas dupes.
Le bac Fouchet existe plus fort que
jamais.
La sélection sociale est maintenue :
60 % d'admis au maximum. Il reste une
arme sûre, aux mains du pouvoir réac-
tionnaire. Il ne fait que répercuter au
niveau de l'enseignement l'ensemble des
valeurs bourgeoises. Nous ne pouvons
accepter ce bac d'autant plus qu'au
même moment la répression s'amplifie :
l'Odéon, la Sorbonne, les Arts Appli-
qués, les Beaux-Arts aux mains des
flics, les sursis suspendus, des cama-
rades lycéens expulsés de France. Ce-
pendant il serait inconséquent de notre
part de lancer un mot d'ordre de
boycott vu que la majorité des profes-
seurs en citoyens conscients de l'avenir
de la République ont décidé de le faire
passer.
Il reste un malaise, le déroulement
de ce bac est l'expression du pouvoir
policier. Pour nous ce malaise est le
ferment des luttes qui débuteront dès
la prochaine rentrée. On ne démobilisera
pas des lycéens en leur faisant un bac.
| D'autre part i! n'est pas question pour
nous de désavouer ceux qui traduiront
ce malaise par des actes de sabotage.
B.N. du C.A.L
ACTION CONTINUE
Créé sans aucun capital, sauf celui de
la confiance des militants, le journal a
besoin de rentrées régulières.
Si voua voulez que sa parution con-
tinue, assurez le soutien financier à
« Action -. Versez les fonds à Serge
Bosc, C.C.P. 24642-72 Paris, en indi-
quant « Pour Action ».
Le directeur de la publication :
Jean-Pierre VICIER
Grandes Imprimeries « Paris Centre »
142, rue Montmartre
Paris (21)
Travail exécuté par des ouvriers syndiqués
ZENGAKIJREN
AUTO-DEFENSE DES ETUDIANTS JAPONAIS
11 y a maintenant près de dix ans, la signature du
traité américano-japonais provoquait les plus impor-
tantes manifestations de masse que ce pays ait connues
depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Le prési-
dent Eisenhower était contraint d'ajourner son voyage
et son envoyé spécial devait pour échapper à la foule
s'enfuir de son automobile en hélicoptère. A cette occa-
sion les étudiants du monde entier s'étaient familiarisés
avec une méthode nouvelle de manifestation (Le ser-
pent) et avec un sigle nouveau : Zengakuren, nom de
la principale organisation de gauche étudiante et l'un
des plus importants mouvements étudiants dans le
monde. Depuis, les étudiants japonais se sont retrouvés
à plusieurs reprises aux avant-postes du combat anti-
impérialiste, en même temps qu'ils commençaient à
mener une lutte de grande envergure contre l'université
réactionnaire. La violence de la police japonaise — qui
passait pour l'une des plus brutales du monde, depuis
elle a trouvé des rivales — a suscité dans les mouve-
ments de masse des formes nouvelles d'auto-défense
(il faut noter que les étudiants japonais sont aguerris,
dans leur majorité, aux règles élémentaires du judoka).
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Title
Action
Issue
no.19
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Publication information
no.19