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POMPIDOU
A LA RUE
Après le ministre de l'Education nationale, après le
ministre de l'Intérieur, c'est le Premier ministre qui paye
la note de Mai. C'est après la tempête qu'on mesure
maintenant la profondeur de la crise dans les allées du
pouvoir. Qui n'était pas convaincu que la cérémonie
électorale ne réglait pas l'essentiel de la situation poli-
tique n'a qu'à regarder ce qui se passe. Voilà une droite
qui obtient une chambre bleu-blanc-rouge et dont le pre-
mier acte est de changer de gouvernement — rien à voir
avec le replâtrage hâtif du mois dernier : Pompidou
n'aura plus pour responsabilité politique officielle que
celle d'une petite circonscription du Cantal. On va encore
une fois dire et écrire qu'il s'agit là d'un coup du général,
de la même façon que depuis dix ans on prétend ainsi
expliquer tous les détours de la politique française.
Comme si depuis dix ans de Gaulle se maintenait au
pouvoir de son seul fait. La réalité c'est que le capita-
lisme français, bien qu'ayant réglé électoralement à son
profit la crise de mai voit se dresser devant lui toute
une série de difficultés. La plupart d'entre elles ne sont
pas nouvelles, mais ce qui s'est passé en mai et juin
les a rendues plus nettes, plus aiguës, plus perceptibles
aussi. Ces difficultés sont politiques, économiques, so-
ciales. C'est autour d'elles que le gouvernement va
être obligé de bâtir son programme implicite d'action.
L'inquiétude et la division s'installent dans le camp de la
bourgeoisie, malgré le succès électoral.
Parmi les difficultés politiques, il y a évidemment
le problème institutionnel. Il ne suffit pas de faire cam-
pagne en faveur de la légalité républicaine, il faut encore
que cette légalité soit définie. De Gaulle a trop bien indi-
qué comment il fallait faire pour prendre le pouvoir pour
que, même les forces qui sont intéressées à son maintien
à la tête de l'Etat ne s'inquiètent pas de savoir qui lui
succédera et comment, dans l'immédiat, va fonctionner
le Parlement qui n'est plus que la permanence nationale
de l'U.D.R. D'un côté, il n'est pas question d'accroître
le rôle du Parlement, mais d'autre part, il y a un risque
politique certain à le mettre, dès le début de la législa-
ture, devant le fait accompli qu'est le renvoi de Pom-
pidou. C'est montrer la vanité des élections. Il est
toujours mauvais pour un pouvoir bourgeois de dévoiler
les mécanismes de sa domination. Malgré dix ans de
gaullisme, les institutions restent toujours aussi fragiles.
La droite classique, celle des notables, se trouve
mise en porte-à-faux : elle croyait servir Pompidou, elle
va être obligée d'obéir à Couve, qui va porter un pas
plus avant l'adaptation de la société française au capita-
lisme « moderne », même si le C.N.P.F. grince un peu.
D'une manière ou d'une autre, la divergence d'intérêts
entre les secteurs du capitalisme qui jouent la carte gaul-
liste contre les Etats-Unis et ceux qui préfèrent un arran-
gement « atlantique » à l'amiable va ressurgir. De Gaulle
n'a jamais eu l'adhésion de tous les capitalistes à ses
objectifs politiques.
Jusqu'ici, hormis la politique étrangère, les opposi-
tions sont restées sourdes. Il n'est pas certain que cela
continue ainsi maintenant qu'il va falloir faire des choix
économiques douloureux. Quelle que soit sa volonté, le
gouvernement sait bien que tel quel le patronat français
est condamné.
La pression salariale qui a résulté des grèves
implique une politique de récupération pour maintenir
les taux de profits. Cette politique de récupération se
fait par les hausses des prix, mais la compétition inter-
nationale ne permet pas des hausses inconsidérées.
Dans les industries qui, par nature, sont complètement
à l'abri des importations, les augmentations peuvent être
élevées. C'est le cas du bâtiment. Mais dans les autres
secteurs, notamment ceux qui utilisent les techniques
les plus modernes et sur lesquelles le capitalisme fran-
çais a placé ses espoirs de résistance au capitalisme
O.S., ce n'est pas possible. Après avoir usé de l'arsenal
classique des mesures en faveur de ces entreprises, il n'y
aura plus qu'à procéder aux concentrations. A ce jeu,
toute la bourgeoisie n'est pas gagnante. Surtout quand
cette réorganisation ne s'opère pas à froid.
Dans une société qu'on croyait chloroformée, les
travailleurs ont par la grève affirmé qu'ils se considèrent
effectivement comme une classe. La vigueur de cette
affirmation repose au premier plan le problème numéro
un du capitalisme français : celui de canaliser les aspi-
rations des travailleurs pour les faire renoncer à la lutte.
De Gaulle fait face à des travailleurs dont la cons-
cience de classe vient d'être réveillée. Ce n'est pas le
renvoi de Pompidou qui va permettre la réalisation de
l'association capital-travail. La marge de manœuvre gaul-
liste est bien trop étroite pour que les velléités de réfor-
me puissent, dans les mois qui viennent, se poser autre-
ment qu'en termes d'affrontement entre travailleurs et
patronat.
Après Mai, pour la bourgeoisie, l'intégration de la
classe ouvrière à l'économie capitaliste, rebaptisée
« participation », s'avère une nécessité encore plus
cruciale, mais aussi plus difficile à réaliser.
Contrairement à leurs espérances, les capitalistes
ne pourront pas régler entre eux leurs problèmes, qui
viennent d'être dans tous les sens amplifiés. Même si
Waldeck Rochet— nous y reviendrons — préfère réser-
ver ses coups à ceux qu'il baptise gauchistes parce
qu'ils sont à sa gauche, les luttes ouvrières et étudian-
tes vont maintenant entrer dans une nouvelle phase. La
fameuse formule selon laquelle ce sont les masses qui
font l'histoire va recevoir de nouvelles illustrations.
LES LOTTES DE CLASSES EN FRANCE
MAI-JUIN 1968
Des années de bavardages
effacées
en un mois de luttes
les vérités de mai
demeurent elles révèlent
une société mûre
pour le socialisme
l'avenir commence
Avec ACTION HEBDOMADAIRE nous inaugurons
la présentation de dossiers concernant le mouve-
ment de Mai-Juin et toutes les questions relatives à
la lutte des classes. Cependant, les articles qui suivent
ne forment pas véritablement le dossier d'une question
au sens strict du terme. Ce sont plutôt les premiers
bilans et les première réflexions sur le mouvement de
ces mois derniers. Plusieurs mots-souches] ont circulé
avec plus ou moins de bonheur. On a parle de révo-
lution (trahie), d'explosion sociale (éphémère ou non),
de front populaire (recommencé ou inédit). On parle à
présent de fascisme (gaulliste), de vague réactionnaire
ou encore de bluff de la réaction.
C'est autour de ces appréciations que s'ordonnent
les articles qui suivent. Mais, en aucune façon, ces
analyses ne se veulent des réponses définitives. Elles
ne font qu'ouvrir un débat que nous espérons le plus
large et le plus efficace possible.
En guise d'introduction,
nous voudrions, ici, appor-
ter une première réponse
sur ce qui a hanté la courte
période électorale : le
spectre de la guerre civile.
Deux forces politiques en
ont parlé continuellement :
le parti communiste fran-
çais et le pouvoir réaction-
naire. Du côté communiste,
les arguments ont été cu-
rieusement contradictoires
comme le montre encore
l'interview de Georges
Marchais dans « L'Huma-
nité-Dimanche » du 7 juil-
let. D'un côté, on dit que le
pouvoir s'est appliqué au
chantage à la guerre civile
en soulignant qu'il s'agis-
sait d'un bluff mené sur une
grande échelle. Du coup,
« la partie (de la classe ou-
vrière) la moins armée
idéologiquement a pu se
laisser abuser, elle aussi
(avec la petite bourgeoisie)
par les craintes de la
guerre civile... ». Mais, d'un
autre côté, on construit la
thèse du complot gaulliste :
celui-ci aurait été élaboré
au Congrès de Lille de l'U.
N.B. (en 1967) et dans le
courant des événements
de mai les gaullistes « ...es-
péraient que notre parti et
les organisations de la
classe ouvrière se lancent
dans l'aventure ; ils étaient
à l'affût pour frapper le
mouvement ouvrier et le
noyer dans le sang » et
« tel a été le sens de toute
la campagne tendant à
faire croire que l'heure der-
nière du capitalisme avait
sonné et que le pouvoir
était vacant ». La démons-
tration est, on ne peut plus
claire. G. Marchais admet
calmement que le parti ne
cherchait en aucune façon
à développer le mouve-
ment du fait que la bour-
geoisie n'attendait que ça
pour engager la guerre ci-
vile.
Du côté gaulliste, évi-
demment, on parle aussi de
guerre civile, mais cette
fois-ci voulue et par le
parti communiste et par les
« anarchistes ». Il fallait par
conséquent rassembler le
plus grand nombre de Fran-
çais qui refusaient la tuerie
et le totalitarisme. Pour
donner quelque crédit aux
dangers révolutionnaires, il
fallait, bien sûr, y associer
le P.C.F. tandis que celui-ci
s'époumonait à jurer qu'il
ne voulait en aucun cas
s'emparer du pouvoir par la
subversion.
Ces deux campagnes
convergent en fait sur un
point : quiconque s'aven-
i ture à la violence et à l'illé-
\ galité est fautif de déclen-
cher la guerre civile. Toute
violence est cataloguée
dans le registre de l'apoca-
lypse. Cette vision de la
violence des masses est à
bonne et simple raison
qu'il n'y a pas eu prise du
pouvoir ou tentative réelle
de prise du pouvoir par le
prolétariat et ses alliés.
L'Histoire nous enseigne
que la guerre civile a tou-
jours été déclenchée par la
bourgeoisie après que le
prolétariat se soit rendu
maître du pouvoir et com-
mence à l'exercer. En 1936,
le Front populaire espagnol
s'installe. Il faut attendre
plusieurs mois (et l'aide
^ ,
la fois réactionnaire et
obscurantiste : réaction-
naire puisqu'elle ne voit
dans la violence des mas-
ses que destruction et
aventure. Obscuran-
tiste puisqu'elle vise à ca-
cher la vérité de la lutte de
classe et en particulier à
faire croire que les risques
de guerre civile sont par-
tout alors que l'on peut très
bien les déterminer.
Avec le Mouvement de
Mai, il n'y a pas eu de
guerre civile ou de risque
de guerre civile pour la
des pays fascistes) pour
que se déclenche la guerre
d'Espagne. En Russie, mal-
gré la guerre mondiale, ce
n'est qu'en 1919 que se dé-
clenche vraiment la guerre
civile. 1936, enfin, en four-
nit une preuve par le dé-
tour : l'explosion de juin
1936 ne déclenche pas de
guerre civile et celle-ci
n'aura pas lieu parce que la
classe ouvrière a échoué
eHe-même dans la prise du
pouvoir. '
Tout cela est explicable :
la bourgeoisie ne met en
balance son existence que
si ses intérêts sont mena-
cés jusqu'au bout — la
guerre civile est de toute
façon préjudiciable à ses
intérêts. Avant le terme,
elle s'en remet avant tout
à l'Etat chargé de les dé-
fendre. Et l'Etat lui-même,
dans une période révolu-
tionnaire, ne dispose que
de moyens limités : l'armée
n'est jamais sûre. Seuls lui
sont garantis les régiments
d'élite et la police (et en-
core une partie d'entre
elle).
Tout ceci ne veut pas
dire que la prise du pou-
voir est réalisable par la
seule vertu de la grève gé-
nérale et les manifestations
de masse. Elle implique
immanquablement
l'exercice de la violence.
Mais dans la phase de la
prise du pouvoir, cette vio-
lence est limitée. L'initia-
tive appartient au premier
chef aux masses en mou-
vement. L'Etat ne peut user
que du bluff (comme de
Gaulle l'a fait à propos de
l'armée) et de la défensive
(garde des ministères, de
la radio, etc.). La bourgeoi-
sie reste désemparée.
Ce qui a pu accréditer la
toute-puissance de l'Etat
gaulliste, à la fin mai, ce
n'est pas la croyance en un
complot, ni les provoca-
tions policières dévelop-
pées par... les « provoca-
tions gauchistes », c'est
l'absence de toute réaction
de masse après le discours
de dissuasion de de Gaulle
et la manifestation gaulliste
des Champs-Elysées. Le
P.C.F., la C.G.T., la C.F.D.T.
savaient pertinemment
qu'il n'y avait aucun danger
à manifester en masse le
lendemain et le surlende-
main. Seul, leur refus de ri-
poster immédiatement a
transformé le bluff gaul-
liste en contre - offensive
réactionnaire « de masse ».
Une fois la rue abandon-
née aux seules forces de
l'ordre, les grèves per-
daient leur caractère uni-
taire, le pouvoir était de
nouveau maitre du terrain,
de SON terrain : la domi-
nation par un Etat et une
bourgeoisie unie d'une
classe ouvrière divisée.
S'il n'y a pas eu de
guerre civile, ou même me-
nace de guerre civile dans
l'immédiat, le mouvement
de mai a été cependant
assez puissant et massif
pour qu'il y ait eu « guerre
froide de classe ». Dans
un mouvement social d'en-
vergure qui posait la ques-
tion du régime, qui jetait
directement dans la mêlée
les plus larges masses, la
bataille politique s'est dé-
roulée dans un contexte
qui la classe comme excep-
tionnelle : à côté des par-
tenaires habituels qui mè-
n e n t ordinairement la
danse (le pouvoir, les par-
tis), les masses populaires
ont joué longtemps le pre-
mier rôle ; limitée d'habi-
tude au secteur productif,
le conflit n'a épargné aucun
secteur de la vie sociale :
les secteurs de l'informa-
tion, presse et surtout O.R.
T.F., ont été atteints (voir
article sur les moyens d'in-
formation dans le mouve-
ment de mai) ; chaque cou-
che ou classe sociale a
joué directement son rôle
dans la crise, que ce rôle
ait été sollicité par le pou-
voir (c'est le cas de la ma-
jeure partie de la paysan-
nerie), ou joué spontané-
ment par ses membres
(ainsi les techniciens et les
chercheurs pour une
grande part d'entre eux).
Qu'ils se soient montrés
réformistes ou acquis au
mouvement ouvrier, peu de
secteurs sont restés pas-
sifs. Seule, pourrait-on
dire, la bourgeoisie a atten-
du, désemparée, que le
pouvoir se ressaisisse ou
sombre. Elle n'avait d'autre
souci que de préserver son
pouvoir de domination.
L'enjeu de cette bataille,
même si elle a été esca-
motée, ce fut et c'est en-
core le renversement du
régime, l'établissement
d'un pouvoir populaire (voir
l'article « La stratégie de la
révolution »).
A défaut d'une prise de
pouvoir, l'ampleur de la dé-
termination des classes
populaires a exigé le re-
cours à la dissuasion, puis
aux formes éculées et dé-
passées de l'idéologie ré-
actionnaire.
Par dissuasion, on en-
tend les moyens déployés
pour faire croire (à juste ti-
tre ou non) à l'adversaire à
la supériorité de ses forces.
Mais chacun des deux par-
tenaires sait que l'emploi
de ces forces créerait une
situation préjudiciable pour
l'un et pour l'autre. De
Gaulle a employé la dissua-
sion mais en visant unique-
ment ce que le P.C.F. et la
C.G.T. se gardaient d'assu-
mer : le maintien de la
grève générale, la pour-
suite des manifestations de
rue, le renversement du ré-
gime.
Pour céder à cette in-
jonction, il était logique que
les forces démocratiques
rendent crédible ce que
justement l'Etat ne pouvait
pas déclencher : la guerre
civile ou même la répres-
sion généralisée. Le jeu
était vraiment à quitte ou
double : il suffisait de deux
ou trois jours de manifes-
tations et de consolidation
du pouvoir populaire après
le discours du 30 mai pour
que l'arsenal déployé par
de Gaulle soit vidé du bluff
qu'il contenait.
Là encore, si le régime
gaulliste est policier, il est
démontré que la structure
politique française ne
s'identifie pas à une struc-
ture préfasciste, ce que
tentait d'accréditer le
P.C.F. (voir l'article sur
« gaullisme et fascisme »).
Le décalage entre les
appareils politiques et les
masses a exigé enfin que
soient mis en branle les
thèmes réactionnaires qui
d'ordinaire ne sont plus
nécessaires : le danger
rouge, l'anarchie, l'apolo-
gie directe de la collabora-
tion de classes. La peur de
la bourgeoisie ne peut à
elle seule expliquer ce re-
tour de la vieille histoire ;
simplement, les techniques
« modernes » d'intégration
avaient été réduites à néant
par la nouvelle conscience
des masses. Pour remettre
en ordre la société, il fallait
de nouveau remettre sur le
métier le fantôme des for-
ces occultes du « parti de
l'étranger ». Mais ce re-
cours est contradictoire :
il est difficile de tabler sur
le danger rouge, alors que
Moscou et le P.C.F. renient
de plus en plus fort toute
idée de subversion, fusse-
t-elle tentée par les mas-
ses elles-mêmes.
L'INSURRECTION ÉTUDIANTE
Ce n'est pas
un accident.
Ce n'est
qu'un début
Tout le monde l'a dit : l'explosion étudiante a agi
comme détonateur dans la crise révolutionnaire de mai.
Cependant l'appréciation exacte de ces dix journées
de batailles de rue (du 3 au 13 mai) est restée très
confuse. La révolte des étudiants est-elle accidentelle
ou inaugure-t-elle quelque chose de décisif ? Les lignes
qui suivent, extraites d'un livre à paraître prochaine-
ment, essayent de préciser ce qu'il y a d'irréductible
dans le mouvement étudiant. Mais quelle que soit la ré-
ponse exacte qu'on en donne, l'avenir du mouvement
étudiant n'est jamais apparu aussi profondément lié au
mouvement ouvrier. La révolte universitaire de mai a
été autant déterminée par les luttes ouvrières qu'elle a
agi sur elles.
L'explosion du 3 mai marque
le début de l'insurrection étu-
diante et la transformation qua-
litative du mouvement par l'en-
trée en scène d'une masse inor-
ganisée politiquement, mais ani-
mée d'une formidable combati-
vité. Cette masse qui ne cessera
de croître au fil des jours sera
l'élément décisif pour le déve-
loppement de la lutte.
En face : la police. C'est-à-
dire l'appareil d'Etat. Cela n'est
pas immédiatement clair. Pen-
dant quelques heures, la consi-
gne est de « maintenir » l'ordre.
Opération de police banale. De-
puis des années la police main-
tient l'ordre. A tel point qu'elle
est presque de trop : l'ordre se
maintient tout seul. Les organi-
sations disposent de leur ser-
vice d'ordre. Meetings et mani-
festations se dispersent. Pen-
dant deux heures, on jure, à
mille ou à cent mille, que la
réforme ne passera pas. Que
nous ferons abroger les ordon-
nances. On se compte et on se
sépare. Puis le Parlement parle-
mente et la majorité enregistre.
Le gouvernement agit.
CE QUI A CHANGE LE 3 MAI
Le 3 mai, le recteur ferme la
Sorbonne. Les étudiants massés
dehors revendiquent « la Sor-
bonne aux étudiants ». La po-
lice charge. Tout est dans l'or-
dre. Jusqu'au premier pavé. Jus-
qu'à la première, symbolique et
fragile, barricade au travers du
boulevard Saint-Michel. Cela,
c'est la révolte. Et la révolte se
paie cher. Après la matraque, la
correctionnelle : du maintien de
l'ordre on passe au rétablisse-
ment de l'ordre. L'Université
n'est plus dans le champ, l'ad-
versaire n'est plus le régime en
général, désigné à travers de
multiples médiations revendica-
tives, mais l'Etat en tant que
corps répressif organisé, immé-
diatement présent.
L'épreuve de force qui va se
mener toute la semaine oppose
directement l'Etat et les étu-
diants sur le seul mot d'ordre
positif de la liberté d'expression
(qui comprend aussi bien l'am-
nistie et le retrait des forces de
police).
Le gouvernement a voulu faire
vite. Qu'on en juge : en trois
jours, six cents vérifications
d'identité, quatre heures de ma-
traquage et grenadage au Quar-
tier Latin, deux séances du tri-
bunal correctionnel, dix-sept
condamnations. Et pour clore le
tout, le lundi matin, un Conseil
de Discipline et l'investissement
policier de la Sorbonne et de
ses environs. La logique ancien-
ne eut voulu que l'U.N.E.F. or-
ganisât un meeting de protes-
tation quelques jours plus tard.
La réponse, ce fut, le jour mê-
me, la place Maubert et les bar-
ricades de Saint-Germain-des-
Prés, résistance contre agres-
sion, violence contre violence.
La nature de cette réponse a
totalement transformé la situa-
tion intérieure française, et cela
dès le 6 mai au soir.
Cette contre-violence organi-
sée, loin de « se couper des
masses », favorise la mobilisa-
tion de celles-ci et les portent [
à des niveaux jamais atteints en j
milieu étudiant. Les flics font |
mal, mais ils ont cessé de faire
peur. Pour la première fois en
dix ans, l'appareil d'Etat est vul-
nérable. Chaque degré qu'il
gravit dans l'escalade de la ré-
pression accroît d'autant la ca-
pacité de résistance des révol-
tés. Une preuve décisive est
faite, pour la confirmation de
laquelle des jeunes, apprentis,
lycéens, travailleurs et étudiants,
font montre d'un héroïsme ex-
traordinaire. L'origine étudiante
de la lutte limitant momentané-
ment la sauvagerie policière,
jointe à la crise permanente de
l'Université, ont favorisé les pre-
miers développements de la
lutte.
LA RAGE EST UNE MALADIE
CONTAGIEUSE
Derrière les barricades du 6
mai, les forces composites des
manifestations précédentes se
rejoignent et s'unissent. La ré-
sistance aux flics a permis aux
« enragés » et à la masse de se
rencontrer, sur le terrain des
premiers, mais avec les armes
des seconds.
Nous avons dit que le mou-
vement de mai était révolution-
naire avant d'être universitaire.
Il l'était à l'origine, en posant
les fins ultimes de sa lutte com-
me la raison permanente de
celle-ci. Nous ne voulons pas
réformer l'Université bourgeoise,
disaient les militants du 22 mars,
nous ne pouvons pas, par nos
propres forces, la changer :
nous devons donc la contester,
globalement, et intervenir direc-
tement sur chaque point où cela
nous est possible. Mais ce ter-
rain était fragile : la grande ma-
jorité des étudiants n'était pas
prête à mettre en question ce
qui ne fonctionnait, malgré tout,
pas si mal et dans lequel elle
trouvait un minimum de sécurité
intellectuelle et morale.
En fermant la Sorbonne, l'ad-
ministration a répété l'erreur de
Nanterre en la multipliant.
A Nanterre, les étudiants
n'éprouvaient pour les « enra-
gés » ni sympathie, ni haine :
ils contemplaient avec indiffé-
rence une agitation qu'ils ju-
geaient inefficace. Seule la mi-
norité de droite et d'extrême-
droite, pratiquant respective-
ment la délation et l'agression
physique, combattaient les grou-
pes d'extrême-gauche. Si bien
que la mesure administrative
prise à l'égard de Cohn-Bendit
et de ses sept camarades, puis
la fermeture de la faculté, sont
apparues plus comme une con-
cession unilatérale à la droite
que comme une mesure d'ordre.
A Paris, ce fut pire : personne
n'empêchait la Sorbonne de
fonctionner et on a fait donner
les flics. Les étudiants les moins
« politisés », à qui l'idée d'assis-
ter au meeting du 3 mai ne se-
rait jamais venue, ont été ins-
tantanément plongés dans la
vague de répression.
LA PEDAGOGIE
EST DANS LA RUE
Soudain, ce n'était plus l'opi-
nion ultra-minoritaire des révolu-
tionnaires qui était en cause,
mais toute opinion non conforme
à qui on interdisait, par la force,
de s'exprimer. Par voie de con-
séquence, tous les problèmes
individuels ou collectifs dus au
« malaise de l'Université » et
à la crise engendrée par la ré-
forme - croupion de Fouchet,
commencent à sortir. Cohn-
Bendit a raison de dire que la
masse est amorphe et mouton-
nière : conditionnée par des an-
nées d'école primaire et secon-
daire, façonnée au moule de
l'obéissance servile, abrutie par
les méthodes ineptes de l'ensei-
gnement supérieur, la masse des
étudiants n'a d'autre recours
que l'inertie collective o u
l'échappatoire individuelle. Les
plus radicaux peuvent rejoindre
les « groupuscules » et mani-
fester contre l'impérialisme. Le
reste ne peut rien : toute re-
vendication, si elle n'est pas
ponctuelle et immédiatement dis-
cutable est abstraite.
Il n'y a pas, quoi qu'on en
dise, d' « intérêts » étudiants,
mais une situation présente ré-
voltante et qui n'implique pas
une attitude active. L'absence de
l'U.N.E.F., qui pouvait constituer
un niveau de rationalisation suf-
fisant entre la revendication im-
médiate et la révolte pure, ca-
nalisant ainsi l'énergie d'une
forte minorité du monde étu-
diant, aggrave le phénomène. La
contestation existe potentielle-
ment partout. Elle ne se mani-
feste nulle part explicitement et
collectivement. Chez les indivi-
dus, par contre, c'est une autre
affaire. Les psychiatres et les
psychologues auraient pu don-
ner des indications utiles au mi-
nistre ou au préfet de police.
Troubles d'adaptation, compor-
tements anxieux, déséquilibres
divers : le ministre avait vu
juste, les enragés sont des ma-
lades mentaux.
La masse est amorphe tant
que rien ne vient la tirer de son
sommeil. En la jetant à la rue,
les policiers lui ont donné le
choc salutaire. Elle n'a pas re-
joint les enragés. Elle est deve-
nue elle-même enragée. Elle a
découvert, en se révoltant, sa
situation révoltante et elle s'est
mise à parler. Ce qu'aucun grou-
puscule n'aurait pu faire, l'irrup-
tion des flics l'a permis. Parce
que l'Université n'était plus ca-
pable de tolérer quatre cents
révolutionnaires, elle est deve-
nue intolérable à des dizaines
de milliers d'étudiants et même
à quelques professeurs.
SPONTANE ET PREVISIBLE
Ne surestimons pas le hasard,
la décision de Roche a fait du
3 mai une date historique. Tout
aurait pu commencer le 6, ou le
jour des examens, ou le 1 no-
vembre : de toutes les façons,
les échéances étaient courtes.
Si ce n'avait été la décision d'un
recteur, l'application, à la ren-
trée de 68, des mesures de sé-
lection excluant des milliers
d'étudiants, aurait allumé la mè-
che.
La révolte était prévisible. De-
puis des mois, l'Université était
au point critique, comme depuis
des années la situation écono-
mique et sociale était explosive,
même si la stratégie des grèves
tournantes et sectorielles cou-
ronnée de succès relatifs retar-
dait l'échéance.
Que la chaîne ait d'abord cra-
qué en son maillon le plus faible
(l'Université en crise à trois se-
maines des examens) et que les
combattants aient utilisé toutes
les faiblesses de l'adversaire (sa
surprise d'abord, sa réticence
momentanée à faire massacrer
ses fils, ensuite) pour asseoir
une position solide, il n'y a là
rien de plus normal, rien qui
puisse choquer le léniniste le
plus pointilleux. Mais l'utilisa-
tion immédiate du terrain con-
quis, le choix, à chaque instant,
de la riposte appropriée, le jail-
lissement spontané des mots
d'ordre, sont les signes d'une
intelligence proprement révolu-
tionnaire, née dans la lutte et
mûrie jour après jour. C'est en
s'accomplissant que la révolte
change de sens. La situation est
chaque fois plus exigeante. Le
3 mai, il suffisait d'être là et
d'avoir du courage. Les poli-
ciers, pris de court, ont quelque
peine à réaliser qu'ils ne sont
pas les plus forts du seul fait
d'exister avec un casque et une
matraque.
LES VALEURS BOURGEOISES
EN BAISSE
Le 6, ils sont prévenus et at-
tendent. Les incidents du matin
autour des barrages du boule-
vard Saint-Michel sont brefs.
Les manifestants se retirent
pour revenir en force. Ils ne re-
viendrons qu'après s'être comp-
tés et renforcés tout au long
d'un immense parcours. Malgré
les durs combats du soir, ils
seront trois fois plus nombreux
au rendez-vous du lendemain.
Non pour « chercher » l'affron-
tement mais pour prouver la
force.
Pour la première fois, à Paris,
depuis la guerre d'Algérie, la
manifestation n'est plus un cor-
tège, mais une démonstration.
L'itinéraire n'est plus le résultat
d'une négociation avec le préfet
de police, mais un choix poli-
tique. L'Arc de Triomphe est un
objectif contestable du point de
vue stratégique : la situation
l'impose : le choix politique est
profondément juste. Elevés dans
le culte des symboles et des va-
leurs, les étudiants choisissent
d'abord de s'attaquer aux sym-
boles et aux valeurs : le dra-
peau tricolore, la dalle sacrée,
lieu du pèlerinage nationaliste.
Chanter l'Internationale sous
l'Arc de Triomphe ne fait pas
avancer d'un pouce la réforme
de l'Université mais fait accom-
plir à la prise de conscience
politique un bond considérable.
Réflexe petit-bourgeois tant que
l'on voudra, et c'est en partie
vrai, la négation absolue des
symboles et des valeurs, quand
elle est le fait de dizaines de
milliers de jeunes, est acte po-
litique majeur. Elle est aussi
l'étape nécessaire sur la voie
de la libération. La conscience
révolutionnaire n'est jamais
spontanée. Elle s'apprend. Et les
étudiants révoltés accomplissent
leur apprentissage. Nul ne com-
prendra jamais rien au mouve-
ment de mai s'il ne saisit pas les
ressorts de cette pédagogie, ni
la formidable accélération du
processus historique durant ces
journées.
Le lendemain, les représen-
tants des confédérations syndi-
cales viennent parler aux étu-
diants comme à des victimes.
Pour eux, rien n'a changé. La
répression policière et la réfor-
me démocratique de l'éducation
nationale font partie de l'arsenal
des discours de circonstance.
Périodiquement, on les dépous-
sière et on les prononce. Qui
est irresponsable ? Qui est cou-
pé du mouvement de masse ce
soir-là ? Les étudiants du 3 mai
sont devenus les combattants
du 6 et les manifestants du 7.
Ils n'attendent pas qu'on les ré-
conforte, mais qu'on réponde à
leurs questions : Qu'allez-vous
faire ? Que pouvons-nous faire
avec vous ? Comment agir en-
semble ? Peut-être que rien
n'est possible, mais alors, qu'on
s'en explique.
Inquiétude, déception, amer-
tume : oui, ce sont encore des
réactions subjectives typique-
ment petites-bourgeoises à un
meeting transformé en cérémo-
nie diplomatique et à une mani-
festation redevenue cortège.
« On nous a baladés, et on nous
a eus. » Sur cette place du
Luxembourg où tout a commen-
cé, l'ordre de dispersion pour
éviter un affrontement inutile
était juste. Encore fallait-il sa-
voir qui décidait et au nom de
quoi. Le mouvement de masse
n'a pas encore décidé de sa
propre légitimité, mais il a mon-
tré les jours précédents qu'il
savait choisir ses réponses et
utiliser le terrain. La démobili-
sation du 8 mai n'est pas venue
de l'absence de combat physi-
que mais de cette conjugaison
d'éléments contradictoires avec
tout ce qui s'est passé les jours
précédents. Formidable leçon
que cette défaite ; ceux-là qui,
moins nombreux, se retrouve-
6
ront spontanément le lendemain,
place de la Sorbonne et à la
Mutualité, ne l'oublieront pas.
L'occupation du Quartier La-
tin, la nuit des barricades, ré-
pond à la dispersion du 8. L'im-
puissance a changé de camp :
elle n'est plus du côté du mou-
vement de masse sans chef et
sans programme, mais du côté
des organisations qui préten-
daient s'en servir. L'insurrection
étudiante atteint son point cul-
minant : de la révolte sponta-
née, elle est passée à la con-
science révolutionnaire.
L'appel à la grève générale
n'est plus le mot d'ordre dou-
teux de la mythologie groupus-
culaire, mais la conséquence
objective de la situation créée.
Il sera entendu.
DIX JOURS POUR DIX ANS
En dix jours, un mouvement
d'étudiants provoque en sa fa-
veur une grève générale et le
rassemblement d'un million de
personnes à Paris et de millions
d'autres en province. Il aura
fallu moins de trois heures à la
C.G.T., à la C.F.D.T. et à la F.
E.N. pour décider de la grève
générale. Cela ne s'est jamais
vu.
Mais en dix jours aussi, et
pour la première fois de l'his-
toire du règne, le gaullisme a
reculé.
En dix jours, l'insurrection
étudiante a totalement modifié
la situation intérieure française.
Le défilé du 13 mai n'est pas
une procession de circonstance :
c'est une manifestation de vic-
toire et de combat. L'enchaîne-
ment quasi immédiat de la grève
du 13 et des premières occu-
pations d'usine n'est pas acci-
dentel. Une seule et même si-
tuation objective englobe l'in-
surrection étudiante, la grève
générale et le plus vaste mou-
vement de luttes sociales que
notre pays ait connu. Les com-
bats du Quartier Latin n'ont pas
créé une situation révolution-
naire pas plus qu'ils n'ont pro-
voqué les occupations d'usines
et la grève de millions de tra-
vailleurs. Ils en ont révélé la
possibilité « subjective » et ils
ont été le détonateur de la si-
tuation objective. En ce sens,
ce mûrissement interne de la
lutte des étudiants, ce passage
à la conscience révolutionnaire
qui a conduit à la nuit des bar-
ricades, sont à la fois les pro-
duits d'une situation historique
générale qui a permis la pro-
gression ultra-rapide de la lutte
et les « accoucheurs de l'his-
toire ».
Ce n'est pas un hasard si les
centrales syndicales, après
s'être mises laborieusement
d'accord le 10 pour une mani-
festation parisienne commune le
14, ont décidé de la ramener au
13 et de la renforcer par la
grève. C'est la vérification écla-
tante de la justesse du mouve-
ment de masse étudiant, en dé-
pit même de ses erreurs tac-
tiques et de ses incertitudes
stratégiques.
Les syndicats sont, tout aussi
fondés à rappeler que ni la grève
générale, ni le mouvement qui
l'a suivi n'auraient eu lieu sans
des années de combats obscurs
et de patients travaux.
Question absurde et irréelle
à trancher : qui a commencé
quoi ? Pour que le combat des
étudiants ait servi de révélateur,
encore fallait-il qu'il y ait quel-
que chose à révéler et que ce
quelque chose, une fois révélé,
il y ait quelqu'un pour s'en ser-
vir. Ce qui s'est passé en Fran-
ce n'a pas été possible en Alle-
magne où pourtant le mouve-
ment révolutionnaire étudiant
était cent fois mieux organisé
que le nôtre. Rien en fait n'eut
été possible sans l'existence
d'un mouvement ouvrier forte-
ment structuré. Rien n'eut été
possible sans l'existence d'un
Parti Communiste extrêmement
puissant et organisé ni d'une
C.G.T. représentant une longue
l'i
tradition de luttes ouvrières.
Rien, c'est-à-dire pas même la
transformation qualitative de l'in-
surrection étudiante. La force
autonome du mouvement ou-
vrier français et son haut niveau
de conscience politique n'ont
pas d'équivalent en Allemagne
aujourd'hui. Cette force et ce
niveau de conscience ont seuls
permis à la révolte des étudiants
ce dépassement vers une exi-
gence révolutionnaire qui ne
pouvait plus, dès lors, s'incar-
ner que dans la lutte des
classes.
ETUDIANTS :
FRANCS-TIREURS
Les étudiants n'ont pas été à
('avant-garde du prolétariat, ou,
s'ils l'ont été, c'est en tant que
francs - tireurs qui, avec des
moyens stratégiques infiniment
plus réduits à long terme, mais
des possibilités tactiques de
succès immédiat beaucoup plus
grandes, ouvrent la brèche par
laquelle s'engouffrera l'armée
régulière. Les deux éléments,
aussi disproportionnés soient-
ils, sont aussi nécessaires l'un
que l'autre. Les francs-tireurs
peuvent remporter des victoires
limitées mais sans portée ; après
leur coup de main, s'ils sont
seuls, ils doivent disparaître ou
se faire tuer. Le gros de la trou-
pe, s'il doit combattre massive-
ment tout de suite, ne rempor-
tera une victoire qu'au prix de
lourdes pertes.
Bien que n'ayant d'autre édu-
cation militaire que l'expérience
du terrain et une connaissance
de l'ennemi qu'ils peuvent, par-
ce qu'ils sont peu nombreux et
vêtus civilement, observer de
plus près, les francs-tireurs, par-
fois, peuvent livrer immédiate-
ment une bataille décisive, que
l'Etat-major, instruit à l'école de
guerre et fort d'une longue pra-
tique de la direction des opéra-
tions, jugerait imprudente et pré-
maturée.
Les francs-tireurs du 10 mai
avaient vu juste.
L'armée régulière s'est mise
en marche, non pour voler au
secours d'une victoire partielle,
mais pour engager le combat à
son tour.
Ignorer cette vérité première,
que seule la présence d'un fort
mouvement ouvrier à traditions
révolutionnaires, a été la con-
dition de base du développe-
ment révolutionnaire de toute la
lutte, y compris l'insurrection
étudiante des 3, 10 mai, c'est
commettre une grossière et dan-
gereuse erreur, c'est confondre
I a stratégie parlementariste
d'une direction avec la dynami-
que réelle de l'éducation et de
l'organisation du mouvement
ouvrier, c'est encore une fois
prendre l'arbre pour la forêt.
Faute politique grave si elle est
de notre fait, nous ne devons
jamais oublier qu'elle appartient
à l'arsenal idéologique de nos
adversaires.
Avant le déclenchement de la
crise, il existait deux styles de
critiques concernant les moyens
d'information massive (télévi-
sion, radios gouvernementale et
« périphériques », grande pres-
se, publicité, propagande par af-
fiches et tracts, etc.). Du point
de vue de la critique tradition-
nelle ou réformiste, la revendi-
cation essentielle portait sur
l'objectivité de l'information. La
technique même de l'information
massive était tenue pour politi-
quement neutre. Il fallait simple-
ment obtenir un statut des
moyens d'information, garantis-
sant leur caractère démocratique
(libre accès de tous, sous con-
trôle de la représentation natio-
nale) et leur autonomie par rap-
port aux puissances financières
et aux groupes politiques et au-
tres.
Du point de vue de la critique
« révolutionnaire », on avait
conscience du fait que Tinforma-
tion massive est une technique
de manipulation constituant un
rapport d'autorité entre informa-
teurs et informés, quel que soit
le contenu de l'information. A
partir de là on avançait diverses
formes de contestation : cer-
tains proposaient une prise en
charge de l'information massive
par les masses elles-mêmes (les
journaux faits par leurs lecteurs,
les informations commentées par
les téléspectateurs, à chacun
son émetteur-récepteur). Cer-
taines réalisations sont d'ailleurs
allées dans ce sens : ainsi les
quelques meetings où le micro
était accessible à qui voulait le
prendre, ainsi les ronéos acces-
sibles à qui voulait sortir un
tract, etc. D'autres au contraire
allaient jusqu'à la condamnation
radicale de l'information mas-
sive. On a vu des militants dis-
tribuer par dérision des tracts
blancs. On peut dire aussi
qu'une certaine méfiance à
l'égard de l'information massive
a retenu plusieurs mouvements
politiques de publier des jour-
naux ou des bulletins d'infor-
mation, matériel considéré com-
me dangereux en ce qu'il con-
dense, simplifie, schématise des
processus infiniment complexes;
dangereux aussi en ce qu'il con-
duit à une certaine passivité :
parce qu'il se croit informé, le
lecteur se croit dispensé d'agir,
la lecture lui donnant l'illusion
de participer.
Cependant tout le monde utili-
sait les moyens d'information. Il
y avait même une sorte de con-
sensus quant au mode d'emploi
des moyens d'information, une
technique permettant leur usage
critique.
Télévision : propagande gaul-
liste, mais intérêt pour les émis-
sions de grand reportage com-
me « Cinq colonnes à la Une »
à condition de faire la part du
sensationnel. Même mode d'em-
ploi pour des revues comme
« Paris-Match ».
France - Inter
gaulliste.
propagande
INFORMATION DE «VERRE CIVILE
Télévision,
radio,
grande presse :
forces de l'ordre
Europe N° 1 : se méfier du
sensationnel, mais également en
profiter car pour faire du sensa-
tionnel Europe 1 est conduit à
donner les informations les plus
directes et les plus rapides.
Luxembourg : Seule station
qui n'est pas entièrement sous
le contrôle de l'Etat (bien que
sous le contrôle du grand capi-
tal — Prouvost), donc une cer-
taine indépendance de l'informa-
tion.
« Figaro » : Journal de droite
mais très informé.
« Le Monde » : Faussement
objectif, mais très informé.
« Humanité » : Révisionniste
mais donnant des informations
sur le monde ouvrier.
Grâce à cette technique de
décodage, chacun se débrouil-
lait.
La crise de mai-juin nous a
obligé à remettre en cause ces
analyses, et à détruire un cer-
tain nombre de mythes et de
naïvetés. La prise de conscience
ne s'est pas faite d'un seul coup.
Bien des erreurs d'appréciation
sur le rôle des moyens d'infor-
mation ont été commises en
cours du mouvement.
Jusqu'au 10 mai, les moyens
d'information massive ont fonc-
tionné conformément à l'idée
que l'on s'en faisait. Il y a eu la
coalition des sources d'informa-
tion du gouvernement, de la
droite et de la gauche tradition-
nelle pour déprécier et briser le
mouvement étudiant contre la
répression. Mais en même
temps, obligés de parler des étu-
diants, les moyens d'information
massive leur ont rendu service.
Ainsi durant la nuit du 10 au 11
mai, beaucoup de gens et no-
tamment de jeunes ouvriers ont
rejoint les barricades à l'appel
des transistors. De même les
reportages des postes périphé-
riques ont renseigné les barrica-
diers sur la situation d'ensem-
ble, les positions des C.R.S., etc.
Enfin Radio-Luxembourg a per-
mis une tentative de négociation
entre les dirigeants du S.N.E.-
Sup. et de l'U.N.E.F. d'un côté
et le préfet de police de l'autre,
négociation qui a échoué mais
qui a eu pour intérêt de faire
entendre à la France entière les
porte-paroles des manifestants.
Cependant au cours de la
nuit, on s'est aperçu que Jac-
ques Paoli, qui dirigeait le repor-
tage d'Europe N° 1, s'est mis à
censurer ses propres journalis-
tes, puis a abandonner le repor-
tage sur l'action en cours pour
dériver l'attention des auditeurs
vers l'opération taxis pour les
blessés. Cette nuit-là nous avons
fait une découverte : le sensa-
tionalisme des postes périphé-
riques cédait devant les pres-
sions gouvernementales. Cela
allait être confirmé par la suite.
Lors des barricades du 24 mai,
le gouvernement enlève à Eu-
rope N° 1 et à Luxembourg
l'usage des voitures - radios
émettant sur ondes courtes et
qui sont utilisées pour les repor-
tages en direct.
Lors de la nuit des barricades
du 11 juin, Europe N° 1 et Luxem-
bourg interrompent leurs repor-
tages sous prétexte de répara-
tion d'émetteur ; de fait le gou-
vernement les avait directement
menacés de couper les câbles
de liaison.
Par ailleurs, on s'est aperçu
que les journalistes d'Europe
N° 1 et de Luxembourg, qui par-
lent tant de leur mission d'infor-
mation, sont en fait devenus des
missionnaires de la non-violen-
ce, de la capitulation. Chaque
journal parlé était introduit par
de véritables sermons, utilisant
la rhétorique ecclésiastique la
plus classique (ainsi on s'est
servi de l'assassinat de Robert
Kennedy pour condamner la vio-
lence des révolutionnaires fran-
çais...). Lorsque le gouverne-
ment, le patronat et la C.G.T. ont
entrepris leur campagne pour la
reprise du travail, les postes pé-
riphériques et les journaux de
tous bords ont fait chorus, ac-
ceptant les informations les plus
incontrôlées qui émanaient des
directions d'entreprises : quand
cette direction convoquait son
personnel à un vote, on se con-
tentait de dire que le personnel
allait voter, etc., etc.
Une crise semble avoir dé-
chiré la rédaction de plusieurs
journaux parlés et écrits, mais il
est difficile d'avoir sur ce sujet
des informations précises. Il y a
eu la tentative amortie des jour-
nalistes de « Paris-Match » de
constituer une société autonome
de rédacteurs. Ceci explique
sans doute le changement inter-
venu à la direction de cette re-
vue, et le fait que la liste des
rédacteurs n'apparait plus. On
raconte également que les jour-
nalistes d'Europe N° 1 auraient
voulu former un comité pour
s'opposer à la mise à l'écart
d'un journaliste, jugé trop indé-
pendant par des annonceurs pu-
blicitaires ; En particulier cer-
taines compagnies pétrolières
auraient fait capituler les jour-
: nalistes en menaçant d'une sus- |
pension de leurs commandes.
On raconte que certains jours j
de trouble, Sylvain Floirat, pré-
sident-directeur général, était
présent en personne dans les
I studios pour surveiller les bulle-
tins d'information.
: De ces faits, nous avons con- j
clu qu'aucun moyen d'informa-
tion, fût-il « périphérique »
n'échappait à l'autorité politique
du gouvernement et de la bour-
geoisie ; longtemps nous avions
cru que les moyens d'informa-
tion étaient des facteurs spéci-
fiques et en quelque sorte auto-
| nomes grâce auxquels la bour-
geoisie exerçait sa domination,
et notamment dans le domaine
de l'idéologie. Cette spécificité
et cette autonomie, nous pen-
sions qu'il fallait nous en servir
pour « faire passer » un certain
nombre de nos informations et
de nos idées. Même après la
trahison des postes périphéri-
ques nous avons continué d'ac-
cueillir les journalistes d'Europe
N° 1 et de Luxembourg dans les
manifestations et les facultés
sans penser une seconde que
nous favorisions ainsi la cam-
pagne de propagande exercée
contre nous. Une des grandes
leçons des luttes récentes, c'est
qu'il ne faut pas compter sur les
contradictions ni sur le libéra-
lisme de la bourgeoisie. Cette
dernière s'est révélée très orga-
nisée et unie. L'Etat bourgeois
a tenu dans une seule main tous
les moyens d'information mas-
sive. C'est donc que ceux-ci sont
une arme capitale du pouvoir au
même titre que les forces de
l'ordre. Les moyens d'informa-
tion n'entrent pas dans la caté-
gorie des institutions de forma-
tion de la force de travail (uni-
versité, etc.) ni dans celle des
entreprises commerciales.
Les moyens d'information
n'ont pas pour fonction première
de diffuser une idéologie ni de
vendre de l'information. Ils sont,
dans une situation où la bour-
geoisie affronte les masses, des
outils d'intervention directe, per-
mettant au pouvoir de passer
par-dessus tous les appareils
organisés de l'opposition, de di-
viser les masses, de les isoler,
etc.
Dans une situation révolution-
naire, les moyens d'information
massive sont des objectifs
d'Etat, que l'on ne peut atteindre
qu'au moment décisif et par la
8
violence. A analyser la façon
dont le pouvoir a utilisé les
moyens d'information massive
et surtout l'O.R.T.F., pour réta-
blir son autorité, nous décou-
vrons combien nous avons été
démunis. Les masses ont été
complètement désarmées sur le
plan de l'information. Du fait
que les occupations d'usines
étaient passives et que la plu-
part des ouvriers se trouvaient
chez eux, à regarder la télévi-
sion et écouter la radio, ils ont
pu être directement soumis à la
propagande bourgeoise. Pour-
tant il est à signaler qu'un mi-
nimum d'agitation des masses
suffit à annuler l'effet de cette
propagande. Ainsi le discours de
de Gaulle du 24 mai est tombé
dans le vide du fait que ce jour-
là l'attention des masses se
treprises et les quartiers. Assu-
rément l'organisation et l'infor-
mation de la masse à ce niveau
ont été des formes d'actions très
importantes, extrêmement créa-
trices. Cependant le propre de
la masse, c'est précisément
d'être masse : ensemble social
ayant des réactions, une con-
science et une vie, qui dépas-
sent le cadre quotidien, qui peu-
vent précisément briser ce cadre
et emporter tout le système d'or-
ganisation parcellaire de la vie,
et briser tout l'appareil de la ré-
pression, d'un seul coup, dans
un mouvement de colère. Nous
le savons bien puisque nous
avons réussi des manifestations
de masse. Mais nos méthodes
d'information sont restées en
grande partie groupusculaires.
Nous n'avons pas trouvé le
direction entière à l'Intersyndi-
cale. Celle-ci, composée de syn-
dicats professionnels, organisés
très hiérarchiquement et n'ayant
entre eux que très peu d'intérêts
communs, a défini une plate-
forme de revendications et une
tactique de grève les moins ra-
dicales possible. La revendica-
tion essentielle (bien qu'elle ait
été surtout essentielle pour les
journalistes et les réalisateurs
et peu à peu imposée — par une
lente action politique et psycho-
logique — aux autres catégories
de personnel) a porté sur la ré-
forme du statut. Le projet de sta-
tut défini par l'Intersyndicale
cherchait à garantir l'indépen-
dance du Service public doté
des monopoles de diffusion et
de production, ainsi que la par- j
ticipation du personnel à sa ges- !
trouvait concentrée vers la mani-
festation de la gare de Lyon. Au
contraire le discours du 30 mai
et la manifestation gaulliste qui
s'en suivit ont eu un impact fou-
droyant du fait qu'aucune réac-
tion au niveau des masses, ne
s'est réellement fait sentir. A ce
propos, il faut un peu mettre en
question la croyance en l'effi-
cacité des moyens d'information
tels que les tracts, les petits
journaux, et les affiches, même
quand celles-ci sont élaborées
démocratiquement comme aux
Beaux-Arts.
Nous avons manifesté là une
conception quelque peu dogma-
tique et en tous cas partielle de
la masse. Nous avons cru que la
masse c'était la population, là
où elle travaille et dans les en-
moyen d'information qui aurait
pu combattre la propagande
bourgeoise au niveau des mas-
ses. Cela aurait pu être, au
moins, un quotidien national.
L'expérience parisienne d'Ac-
tion, avec si peu de moyens,
prouve que cette entreprise au-
rait pu être réalisable. Bien sûr
cela n'aurait pas suffi. Il aurait
fallu combattre également sur le
plan des ondes.
Dans le domaine de la radio
et de la télévision, les styles
d'action autant réformistes que
« révolutionnaires » ont été for-
tement entachés d'illusions. Il est
important d'analyser le déroule-
ment de la grève de l'O.R.T.F.
L'assemblée générale du person-
nel de l'O.R.T.F. a voté la grève
le 17 mai, mais en a laissé la
tion. Pour atteindre ce but, l'In-
tersyndicale réclamait la consti-
tution d'un Conseil d'administra-
tion où l'Etat n'aurait qu'un tiers
de représentants, les deux au-
tres tiers étant constitués par
des représentants du personnel
ainsi que des auditeurs et télé-
spectateurs. Elle réclamait éga-
lement la suppression de la tu-
telle gouvernementale en ma-
tière d'information, la suppres-
sion de toute tutelle ministérielle
surtout sur le plan financier,
l'élaboration d'une loi définissant
une charte de l'information ré-
glant les rapports du Service pu-
blic de radio et de télévision
avec les forces politiques et so-
ciales.
Le programme de l'Intersyndi-
cale passait entièrement par une
réforme de la loi et, du coup,
était suspendu aux élections lé-
gislatives — prétexte pour le
gouvernement à ne pas négocier
et prétexte pour les partis de
gauche à exploiter cette situa-
tion. Par ailleurs, ce qui se ca-
chait derrière la revendication
de l'autonomie et de la partici-
pation du personnel à la gestion,
c'était une conception très bour-
geoise de l'information telle
qu'elle est pratiquée dans un
journal comme Le Monde : l'ob-
jectivité consiste seulement à
citer ses sources et de façon
exhaustive, mais le choix de l'in-
formation, la façon de les expri-
mer reviennent au journaliste
qui serait investi d'une mission
divine à l'information, ce qui le
mettrait à l'abri de la critique
politique considérée comme par-
tisane, donc non objective.
La tactique suivie par l'Inter-
syndicale fut à l'image du pro-
gramme. Elle resta revendica-
tive, légale et soucieuse de la
fameuse mission d'information.
Pendant quelques temps, les
journalistes de France-lnter im-
posèrent un journal objectif con-
tre leur propre direction — ce
qui, dans la conjoncture n'a pas
été entièrement vain, dans la
mesure où il y avait te germe
d'une tactique offensive tout à
fait différente de la grève reven-
dicative. Mais bientôt, ils durent
abandonner. L'Intersyndicale se
soumettant à la loi, ne s'opposa
pas aux deux bulletins radiodif-
fusés et au bulletin télévisé
quotidien.
Certes ces bulletins étaient
assurés par des journalistes
jaunes, mais les techniciens qui
avaient la charge de l'antenne
ne reçurent de l'Intersyndicale
aucun ordre de résistance. Con-
trairement à ce que l'on croit, les
techniciens de l'armée n'ont pas
remplacé les techniciens de l'O.
R.T.F. à l'antenne de la Tour
Eiffel ; ils ont seulement pris en
charge quelques centres de re-
transmission en province. A au-
cun moment l'Intersyndicale n'a
envisagé une grève active, vi-
sant par exemple à prendre en
charge l'information du public
par d'autres canaux que l'an-
tenne. Les meetings de propa-
gande organisés par l'Intersyn-
dicale, malgré leur immense suc-
cès qui indiquait l'attente des
masses, n'ont parlé que de la
grève elle-même et n'ont pas
été utilisés comme lieux d'infor-
mation. L'opération Jéricho est
restée protestataire, dénuée de
perspective politique : on y a vu
les journalistes du Figaro défiler
à côté des étudiants...
Il faut cependant ajouter que
du côté du mouvement étudiant,
les idées concernant l'O.R.T.F.
furent souvent confuses : igno-
rance des obligations de la loi,
désir inconsistant de recourir à
l'action directe (comme si quoi
que ce soit avait été en mesure
de faire sauter l'antenne de la
Tour Eiffel...). Depuis le Quartier
Latin on considérait un peu l'O.
R.T.F. comme une Faculté dont
on se demandait pourquoi elle
n'était pas prise. Dans cette am-
biance fut décidée et annoncée
publiquement la grande manifes-
tation en direction de la rue Co-
gnacq-Jay. Cette manifestation
fut annulée sans explication. Il
est certain que les forces de po-
lice prévenues n'auraient pas
fait de quartier. Cependant il
faut rappeler que le 7 mai 50 000
manifestants étaient passés,
sans le remarquer, à quelques
mètres de la rue Cognacq-Jay
qui, ce jour-là, n'était pas gar-
dée par la police. Un investisse-
ment spectaculaire, même de
courte durée, aurait été parfai-
tement possible.
La grève de ÏO.R.T.F. confir-
me ce que nous avons appris
par ailleurs : les moyens d'in-
formation massive sont des ob-
jectifs d'Etat dont seule une
révolution peut s'emparer. La
revendication légale ne paie pas.
La revendication de l'objectivité
est en retrait sur les aspirations
des masses. Mais elle nous a
appris quelque chose de plus :
l'Etat bourgeois ne peut même
plus se permettre l'objectivité de
l'information. Nous pensions que
dans un pays développé com-
me la France, dirigé par une
bourgeoisie animée d'une volon-
té de faire face à la concurrence
américaine, il naîtrait un style
d'information sensationnel et
ultra-libéral comme aux Etats-
Unis. Cela n'a pas été le cas.
En matière d'information, comme
dans les autres domaines, l'Etat
et la bourgeoisie français ont
renforcé leur tendance à l'auto-
ritarisme. Effectivement, ce qui
actuellement rappelle le plus le
fascisme ou le pétainisme, c'est
bien cette information qui pue
le mensonge, la propagande, le
béni-oui-ouisme, l'appel à la ré-
pression.
La position ultra-réactionnaire
de l'Etat et de la bourgeoisie
française en matière d'informa-
tion — comme sur le plan de
l'Université — montre qu'ils sont
beaucoup plus faibles que nous
l'imaginons. Sur ce plan, les pro-
blèmes ne sont absolument pas
réglés. Les masses continuent
à subir l'information bourgeoise,
mais en même temps le malaise
s'accroît : au fond, le moindre
lecteur, auditeur et téléspecta-
teur ne croit pas ce qu'on lui
dit. Il se borne à passer le temps.
Il est disponible pour une infor-
mation révolutionnaire des mas-
ses. Mais nous savons aujour-
d'hui que celle-ci ne peut être
réalisée par le moyen de luttes
revendicatives pour l'objectivité
à l'intérieur des moyens d'infor-
mation massive actuels. Deux
voies seulement s'offrent à
nous : la guérilla de l'intérieur
menée par des journalistes pour
faire passer une information en
clandestinité, et le lancement de
moyens d'information massive
parallèles.
STRATEGIE DE LA RÉVOLUTION
En mai,
seul l'espoir
a été gagné.
Pourquoi ?
Est gauchiste celui qui, sous estimant la force de
l'adversaire, se lance dans une aventure désespérée.
Il faut donc analyser ces « circonstances objectives » et
ce « rapport de force existant » dont Waldeck Rochet
parle sans jamais préciser ce qu'il entend sous ces
mots. Il ne suffit pas de faire parader quelques tanks
pour être vraiment le plus fort face à dix millions de
grévistes. Il ne suffit pas de gagner des élections : la
perte des voix de toute la gauche est l'effet de son
incapacité à diriger un mouvement de masse, elle n'en
est pas la cause. Les voix se sont perdues — provi-
soirement — en juin. L'espoir a été gagné en mai.
Ces extraits d'un livre à paraître précisent le rap-
port des forces matérielles révélé en mai et le rapport
des forces politiques qui l'a masqué. Confondant les
deux, Waldeck Rochet prétend dissimuler que c'est bien
l'Etat bourgeois qui a chancelé devant la force du mou-
vement des grèves. La destruction de l'Etat répressif
et bureaucratique, tel est l'objectif qu'avaient défini
Marx et la Commune, c'est celui que le mouvement de
mai retrouve.
La « Révolution de mai »
n'existe que dans les livres
d'images. Les barricades ne
sont pas forteresses militaires
mais éléments d'un test. Exclu
des calculs officiels, le spectre
de la révolution manifeste dans
la rue qu'il hante encore l'Eu-
rope.
On se compte une première
fois. Il y a fin mai en France :
d'un côté, dix millions de gré-
vistes qui tiennent tous les cen-
tres vitaux de l'économie, de
l'administration, de la vie so-
ciale, politique et culturelle ; de
l'autre, deux cent mille hommes
des forces de l'ordre et quel-
ques réseaux civils (1). Le test
provoque la crise.
La gravité d'une crise politi-
que apparaît lorsque les princi-
paux acteurs doivent régler leur
conduite en l'horizon d'un af-
frontement imminent où « la
lutte consiste à sonder les for-
ces morales et physiques au
moyen de ces dernières » (Clau-
sewitz). Face à cette virtualité
brutale, chacun dévoile sa stra-
tégie profonde, qu'elle soit d'es-
quive ou de lutte. L'affrontement
possible devient la pierre de
touche des intentions de chaque
acteur « l'engagement est l'uni-
que activité efficace... même
quand il n'a pas lieu réelle-
ment » (2).
Le test fonctionne une deuxiè-
me fois, le rapport des forces
matérielles penche tellement en
faveur des grévistes qu'il met à
nu le rapport des forces poli-
tiques : qui est révolutionnaire
sur le papier se montre visible-
ment plus conservateur dans la
réalité que tout « réformiste »
modéré, les actes permettent de
mesurer les intentions véritables
de la direction communiste, le
rapport des forces politiques est
inversé.
A nouveau test, nouveau
compte. Le mouvement des
grèves a mis le gouvernement
à la portée de l'opposition, elle
répondit par un refus : les élec-
teurs ratifient sa propre senten-
ce. Ils ont voté sur la question
posée en mai — les partis d'op-
position furent incapables de la
formuler et de la résoudre —
la question de l'Etat.
Il y a quelque logique à con-
clure « l'Etat existant plutôt que
rien ». Mais quel est ce rien,
dix millions de grévistes et la
situation révolutionnaire qu'ils
révèlent ou bien l'opposition
parlementaire qui la cache ?
L'ETAT EN JEU
Mai fut le mois de Diogène,
chacun fit grève dans son ton-
neau. Les syndicats deman-
dèrent à l'Etat et aux patrons
" que feriez-vous sans nous ? »,
ils retinrent la question sui-
vante : « qu'allons-nous faire
sans eux ? ». L'Etat réduit à son
chef esquissa à son tour un
mouvement de grève : « que
feriez-vous sans moi ? ».
La réponse suppose que les
grévistes passent du blocage du
pouvoir à l'exercice du pouvoir
— elle fut esquissée (à Nantes)
mais soigneusement refoulée
par les organisations « repré-
sentatives » de la classe ou-
vrière. Solution classique : « la
prochaine tentative de la révo-
lution en France devra consister
non plus à faire passer la ma-
chine bureaucratique et militaire
en d'autres mains, comme ce
fut le cas jusqu'ici, mais à la
détruire. C'est la condition pre-
mière de toute révolution véri-
tablement populaire en France »
(Marx).
En mai, la machine bureaucra-
tique était bloquée par sa pro-
pre auto-contestation, l'armée
peu préparée à intervenir, il ne
restait que la police, affaiblie et
quelque peu démoralisée.
L'appareil militaire, fortement
allégé depuis l'armée plétho-
rique de Napoléon III, n'est pas
capable d'assurer la répression.
Il ne saurait se substituer à l'ac-
tivité économique des grévistes,
ni les ramener un par un au
travail. Engels, qui devait tenir
compte d'une armée autrement
réactionnaire et puissante, la
prussienne, faisait remarquer
qu'on ne saurait « débarrasser
le monde, grâce au jeu des ca-
nons Krupp et des fusils Mau-
ser, des effets économiques de
la machine à vapeur et du ma-
chinisme moderne ». De plus, la
présence du contingent et de
certains techniciens peu dispo-
sés aux tâches de police freine
cette utilisation (3).
(1) Le journal anglais The Observer, qu'on
ne peut suspecter de penchants extrémistes,
en fait le relevé (2 juin 1968).
— Police contrôlée par le Ministère de l'In-
térieur 83 000 hommes dont 13 500 C.R.S.
— Gendarmerie nationale dépendant du mi-
nistère des Forces Armées, 61 000 hommes, dont
la plupart sont fixés en province et indépla-
cables. Comprenant en particulier une section
spéciale (« rouge ») de 16 000 hommes avec
tanks et voitures blindées. En plus, appelées
par le Gouvernement fin mai, 7 000 réservistes.
— L'Armée : 168 000 hommes dont 120 000
au contingent peu disposés au coup de force.
(2) De la Guerre. Ce champ clos ou tout
projet peut être cité devant le tribunal de
l'épieuve de force, la théorie des jeux strate
g'oues le définit comme une matrice qui s'im
pose à tous, quelles que soient les rêveries
de chacun.
(3) Dans une situation autrement difficile, en
1876, Engels poursuit : « l'armée est devenue
le but principal de l'Etat, elle est devenue un
but en soi, les peuples ne sont plus là que
pour fournir des soldats et les nourrir. Le
militarisme domine et dévore l'Europe. Mais le
militarisme porte aussi en lui le germe de sa
propre ruine. La concurrence des divers Etats
entre eux les oblige... à familiariser le peuple
tout entier avec le maniement des armes, donc
à le rendre capable de faire à un moment donné
triompher sa volonté en face du commandement
militaire. Et ce moment vient dès que la masse
du peuple — ouvriers de la ville et des champs
et paysans — a une volonté.
A ce point l'armée dynastique se convertit en
armée populaire, la machine refuse le service,
le militarisme périt de la dialectique de son
propre développement. Ce que la démocratie
bourgeoise de 1848 n'a pu réaliser précisément
parce qu'elle était bourgeoise et non proléta-
rienne — l'acte de donner aux masses labo-
rieuses une volonté dont le contenu corres-
pondit à leur situation de classe — le socia-
lisme y parviendra infailliblement. Et cela
signifie l'éclatement par l'intérieur du milita-
risme et avec lui, de toutes les armées per-
manentes •> (Anli-Duhring) ce que le parlemen-
tarisme de 1968 n'a pu réaliser est « infailli-
blement » à la portée d'un mouvement révo-
lutionnaire.
10
La bureaucratie d'Etat com-
mence à éclater de l'intérieur,
offrant le joyeux spectacle d'un
ministre dont les communica-
tions avec les départements
sont coupées par ses propres
services de transmission en
grève. La distinction entre les
organes répressifs et parasi-
taires de l'Etat et ses fonctions
légitimes se fait alors aisée, les
employés de l'Etat peuvent de-
venir les employés de la socié-
té (4).
LE MODELE DE LA COMMUNE
Toute politique révolution-
naire présente deux visages ; si
on les sépare, l'un apparaît « di-
rigiste » (dictature jacobine, dic-
tature du prolétariat), l'autre
« anarchiste » (destruction de
l'Etat comme excroissance para-
sitaire « dépérissement de
l'Etat »). Ce ne sont pas là deux
étapes successives, la dictature
du prolétariat ne précède pas la
démocratie révolutionnaire et
socialiste, ces deux tâches sont
distinctes mais contemporaines.
Une révolution doit se défendre
(souvent contre des armées
étrangères) d'où la dictature
exercée sur l'ennemi. Une révo-
lution doit exister et comme telle
« développer la démocratie jus-
qu'au bout », non en remplaçant
la machine d'Etat par une autre
hiérarchie (de Parti) mais en
instaurant l'éligibilité et la révo-
cabilité des responsables à tous
les niveaux :
« C'est un fait bien connu que
les sociétés, comme les indivi-
dus, en matière d'affaires véri-
tables, savent généralement
mettre chacun à sa place et, si
elles font une fois une erreur,
elles savent la redresser promp-
tement. Rien ne pouvait être plus
étranger à l'esprit de la Com-
mune que de remplacer le suf-
frage universel par une investi-
ture hiérarchique » (5).
Les « paroles oubliées » de
Marx reviennent sur toutes les
lèvres en mai, il les avait cueil-
lies sur celles expirantes de la
Commune, l'inspiration retourne
à sa terre natale. Lénine les
avait reprises mot pour mot juste
avant octobre 1917 : « du mo-
ment que c'est la majorité du
peuple qui mate elle-même ses
oppresseurs il n'est plus besoin
d'un « pouvoir spécial » de ré-
pression. C'est en ce sens que j
l'Etat commence à s'éteindre ». i
S'il dut plus tard abandonner {
« la démocratie jusqu'au bout », j
renforcer l'Etat et la bureaucra- j
tie, il le fit dans une Russie dé- |
vastée, avec 30 millions de i
morts provoquées par le blocus,
la guerre étrangère et civile — i
en outre parfaitement conscient j
du danger « féodal » qui mena-
çait. Les principes de gouver-
nement tirés de la Commune de
Paris sont beaucoup plus « mo-
dernes » et actuels que le mo-
dèle d'Etat présenté par l'U.R.
S.S.
Au mois de mai la « dictature
du prolétariat » n'avait à s'exer-
cer que sur les briseurs de
grève, une partie de la police,
quelques commandos privés et
peut-être une petite fraction de
l'armée. Seule l'autre tâche fit
reculer la révolution, aucun des
partis prétendus démocratiques
ou révolutionnaire n'accepta
« d'éteindre l'Etat » grâce à l'éli-
gibilité et à la révocabilité des
dirigeants, aucun ne choisit d'af-
fronter le suffrage universel per-
manent à tous les niveaux. Sous
prétexte de discuter d'un pro-
gramme de gouvernement ils
remirent l'Etat bourgeois au pro-
gramme et privèrent les gré-
vistes du gouvernement.
Loin de « développer la dé-
mocratie jusqu'au bout » l'élec-
tion parlementaire ne fut, en ces
circonstances, qu'un moyen de
« remplacer le suffrage univer-
sel par une investiture hiérar-
chique ».
Dans une France économique-
ment mûre pour la révolution so-
cialiste, qui n'est menacée mili-
tairement d'aucune agression
extérieure, les tâches de la
« dictature » du prolétariat sont
beaucoup moins grandes que
(4) « La Commune de Paris devait, bien
entendu, servir de modèle à tous les grands
centres industriels de France. Le régime de la
Commune une fois établi à Paris et dans les
centres secondaires, l'ancien gouvernement cen-
tralisé aurait, dans le; piovinces aussi, fait
faire place au gouvernement des producteurs
par eux-mêmes...
L'unité de la nation ne devait pas être brisée,
mais au contraire organisée par la constitution
communale ; elle devait devenir une réalité par
la destruction du pouvoir d'Etat qui prétendait
être l'incarnation de cette unité, mais voulait
être indépendant de la nation même, et supé-
rieur à elle, alors qu'il n'en était qu'une ex-
croissance parasitaire. Tandis qu'il importait
d'amputer 'es organes purement répressifs de
l'ancien pouvoir gouvernemental, ses fonctions
légitimes devaient être arrachées à une autorité
qui revendiquait une prééminence au-dessus de
la société elle-même, et rendues aux serviteurs
responsables de la société.
Au lieu de décider une fois tous les trois ou
six ans quel membre de la classe dirigeante
devait « représenter » et fouler aux pieds le
peuple au Parlement, le suffrage universel
devait servir au peuple constitué en communes,
comme le suffrage individuel sert à tout autre
employeur en quête d'ouvriers, de contrôleurs,
de comptables pour son affaire. » (K. Marx,
La Guerre Civile en France.)
(5) Marx : La Guerre Civile en France. De
même Lénine : « le premier acte par lequel
l'Etat apparaît réellement comme représentant
de toute la société — la prise de possession
des moyens de production au nom de la so-
ciété — est en même temps son dernier acte
propre en tant qu'Etat. L'intervention d'un pou-
voir d'Etat dans les rapports sociaux devient
superflue dans un domaine après l'autre, et
entre alors naturellement en sommeil. Le gou-
vernement des personnes fait place à l'admi-
nistration des choses, à la direction des opé-
rations de production. L'Etat n'est pas « aboli »,
il s'éteint ». L'Etat et la Révolution.
11
celles de l'extension de la « dé-
mocratie jusqu'au bout ». Or le
dépérissement de l'Etat implique
le dépérissement des Partis.
Etats dans l'Etat, se considérant
chacun comme le futur Etat, en
défendant l'Etat bourgeois ils
luttent pour leur propre survie.
La société bourgeoise chaque
jour naît et ressuscite du silence
des peuples. Au-dessus des
vœux et des revendications,
elle fait placer les « exigences
de l'économie » et la loi des
investissements. Au-dessus du
conflit des exigences et des in-
térêts privés elle instaure ses
monopoles et son Etat : « De tout
temps la stabilité du pouvoir a
signifié Moïse et les prophètes,
pour le marché de l'argent et les
prêtres de ce marché ». Plus
haut encore, s'il le faut, la force
qui sauve l'Ordre, même si « le
glaive qui doit la protéger est
fatalement aussi une épée de
Damoclès suspendue au-dessus
de sa tête « (Marx). Aujourd'hui
l'épée est trop molle pour faire
régner le silence, c'est le si-
lence des partis soi-disant ré-
volutionnaires qui la fait régner.
LES CRANS D'ARRET
L'enjeu est la révolution.
Qu'elle se fasse ou non, toutes
les forces organisées agissent
en fonction de cette possibilité
devenue par le mouvement de
mai l'horizon de notre vie poli-
tique. Dans les périodes calmes
— qui sont pour la classe ou-
vrière des époques défensives
où le maintien et le renforce-
ment des avantages acquis est
l'objectif de l'heure — les partis
paraissent se distinguer par
leurs programmes essentielle-
ment électoraux, l'un est « plus
à gauche » que l'autre, plus
« ouvrier » que l'autre.
Une crise profonde modifie
les poids et les mesures, les
partis ne se définissent plus
simplement les uns par les au-
tres, leur place dans un parle-
ment ne suffit plus à les carac-
tériser, leur position devant la
révolution les juge. La concur-
rence des petits boutiquiers
cesse, les forces de la droite
devenant consciemment contre-
révolutionnaires ne choisissent
plus leur ennemi en se deman-
dant « est-il de gauche ou
non ? », mais elles s'interrogent :
« freine-t-il la révolution qui
monte, ou bien, volontairement
ou pas, l'accélère-t-il ? » Ré-
ciproquement, les forces oppo-
sées se comptent à nouveau, il
n'y eut jamais de parti révolu-
tionnaire qui ne subisse crise
intérieure ou scission lorsqu'une
révolution introduit l'urgence de
ses questions ; toute l'autorité
intellectuelle de Lénine ne suffit
pas à épargner ces déchire-
ments à la direction du parti
bolchevik (en mars et en octobre
1917).
L'opération électorale-parle-
mentaire de juin n'a pas fait
s'évanouir la situation profondé-
ment révolutionnaire révélée en
mai. Elle montra par contre la
résistance du cran d'arrêt qui
bloque le développement de la
révolution en France. Dix mil-
lions de grévistes ne reprennent
pas le travail à cause des deux
cent mille hommes des forces
de l'ordre. Il n'y eut pas de
changement de régime : le dé-
veloppement du mouvement ré-
volutionnaire fut freiné — de
l'intérieur. Les directions poli-
tique (P.C.F.) et syndicale (C.
G.T.) qui prétendent au mono-
pole de la direction révolution-
naire en France furent seules
capables de remettre l'économie
capitaliste en marche et les élec-
tions à l'affiche.
Désormais tous les groupes
politiques se demandent com-
bien de temps ce blocage pourra
tenir. Les forces contre-révolu-
tionnaires aussi bien que les ré-
volutionnaires calculent leur ac-
tion en fonction de la solidité
du cran d'arrêt. Si elle est suffi-
sante, l'équilibre actuel est sta-
ble et la France pourra retrouver
la crise universitaire, l'inflation,
le chômage sans très grands
risques de bouleversements. Si-
non, l'heure de l'affrontement
se rapproche et les deux adver-
saires fourbiront leurs armes
très extra-parlementaires.
La direction communiste ver-
rouille d'une part une situation
nationale, d'autre part une situa-
tion internationale. L'équilibre
des forces de juin — qui n'est
pas résultat des élections puis-
que les élections parlementaires
en furent le résultat — est pro-
duit par deux freinages, l'un et
l'autre développant une contra-
diction parfaitement explosive :
l'ordre règne au sommet de vol-
cans dont le sommeil n'est pas
garanti.
LE FREIN INTERIEUR :
LA BUREAUCRATIE
Révolutionnaire en paroles,
parlementariste en acte, le parti
communiste français ressemble
comme un frère au parti social
démocrate allemand d'avant
1914.
D'avoir participé à distance au
destin soviétique et directement
à la résistance française donne
une coloration plus violente aux
actions des dirigeants et aux
réactions des dirigés, mais la
relation demeure pour l'essen-
tiel bureaucratique. Après des
dizaines d'années de régime
parlementaire, les « révolution-
naires professionnels » devien-
nent des fonctionnaires. Lénine,
parlant des marxistes alle-
mands remarquait que le méca-
nisme est presque fatal : « Nous
« ne nous passons pas de fonc-
« tionnaires en régime capita-
« liste, sous la domination de
« la bourgeoisie. Le prolétariat
« est opprimé, les masses la-
« borieuses sont asservies par
« le capitalisme. En régime ca-
« pitaliste, la démocratie est ré-
* trécie, comprimée, tronquée,
« mutilée par cette ambiance
« que créent l'esclavage sala-
• rie, le besoin et la misère
« des masses. C'est pour cette
« raison et seulement pour
- cette raison, que dans nos
« organisations politiques et
« syndicales les fonctionnaires
« sont corrompus (ou plus
« exactement ont tendance à
« l'être) par l'ambiance capita-
« liste, et manifestent une ten-
« dance à se transformer en
« bureaucrates, c'est-à-dire en
« personnages privilégiés, cou-
< pés des masses et placés au-
« dessus d'elles.
« Là est l'essence du bureau-
« cratisme. Et tant que les
« capitalistes n'auront pas été
« expropriés, tant que la bour-
« geoisie n'aura pas été ren-
« versée, une certaine « bu-
« reaucratisation » des fonc-
« tionnaires du prolétariat eux-
« mêmes est inévitable. »
(L'Etat et la Révolution)
Au mois de mai, le Parti com-
muniste est la seule institution
où les fonctionnaires ne con-
testent pas explicitement la hié-
rarchie. Lorsqu'il rêve au pou-
voir, il imagine que par une
simple règle de succession par-
lementaire il commandera et
gouvernera « avec la vieille ma-
chine d'Etat », il croit défendre
son futur héritage en interdi-
sant qu'aujourd'hui la contesta-
tion ne l'ébrèche. Il partage
peut-être en cela la naïveté bu-
reaucratique des socialistes al-
lemands qui rompirent, à la qua-
si-unanimité, leurs engagements
internationalistes, non moins
unanimes, et acceptèrent la mise
en marche des quatre années
de tuerie mondiale : en 1914,
ils ne votent pas contre la
guerre, parce qu'ils veulent res-
ter légaux et ne pas courir de
risques, eux, les fonctionnaires
actuels du socialisme futur. Lé-
nine reproche au plus intelli-
gent des chefs marxistes alle-
mands, Kautsky, d'avoir «oublié»
que le passage du capitalisme
au socialisme s'effectuait par
une révolution, donc par la des-
truction de l'Etat répressif
bourgeois. Chaque fois que le
marxisme se dégrade en reli-
gion de bureaucrates, l'erreur
se répète : les fonctionnaires
de la révolution métamorpho-
sent la révolution en permuta-
tion de fonctionnaires.
Une contradiction pourtant
travaille ce type de Parti qui
nourrit sa tranquillité parlemen-
taire du grand nombre de voix
qu'il obtient, et qui n'obtient ces
suffrages qu'en se proclamant
révolutionnaire. La contradic-
tion reste sourde tant que l'ur-
gence d'une situation révolu-
tionnaire ne la fait pas apparaî-
tre, elle devient déchirante et
déchire effectivement ce parti
quand les circonstances ren-
dent le double jeu intenable.
Malgré toutes ses « faillites
honteuses » constate Lénine,
le parti allemand a su révéler,
après 1914, des cadres révolu-
tionnaires qui échappaient « à
l'opportunisme et au manque de
caractère » de leurs anciens
chefs. Le parti communiste n'est
une garantie de tranquillité par-
lementaire qu'en période de
tranquillité sociale.
La contradiction est supporta-
ble pendant des dizaines d'an-
nées à condition que tout reste
immobile. Un mouvement révo-
lutionnaire l'aiguise et risque
de la faire exploser. Des mil-
lions de grévistes ont décou-
vert en mai l'utilité de l'activité
syndicale et politique qu'ils né-
gligeaient auparavant. D'où une
concurrence entre syndicats
(C.F.D.T. et C.G.T.) et même
entre partis (P.C.F. - P.S.U),
chacun voulant se montrer un
peu plus révolutionnaire que
l'autre pour recueillir adhérents
et suffrages. L'effet du plura-
lisme syndical et politique s'in-
verse : en période calme il tend
à ramener l'action à son plus
petit dénominateur commun, en
crise il la fait escalader. Le Par-
ti est alors prisonnier d'exigen-
ces de sens inverse.
L'équilibre que maintient le
Parti en face d'une situation
révolutionnaire l'installe à son
tour au cœur de trois grandes
contradictions : autour de lui.
des organisations tentent de le
doubler à gauche ; en lui, des
cadres risquent de tourner la
direction dans les deux sens ;
en face de lui, le parti de l'or-
dre peut se préparer à réduire
un parti communiste qui, pour
figer le « désordre », n'en est
pas moins lui-même le désor-
dre figé : un abcès de fixation
vaut mieux qu'une infection
généralisée mais demeure un
abcès.
Si la seule garantie qu'offre
le parti communiste à la bour-
geoisie française était sa bu-
reaucratisation, l'équilibre serait
beaucoup plus fragile qu'il n'ap-
paraît actuellement. Le Parti
n'est pas seulement un frein par
l'impuissance théorique et prati-
que propre aux fonctionnaires
de la révolution, il l'est pour une
raison positive, sa ligne politi-
que générale double la garantie.
LE FREIN INTERNATIONAL
En plein jour, sans aucun se-
cret, la France a commencé à
élaborer une seconde force de
frappe, qui promet d'être prête
bien avant la première. De por-
tée mondiale (« tous azimuts »)
la Révolution française une fois
lancée ne suscitera pas de con-
tre-frappe, aucune puissance
étrangère n'ayant le moyen de
faire militairement régner l'or-
dre à Paris.
Si la contagion qui se répand
entre les facultés et les usines
triomphe, elle ne restera pas
limitée à l'hexagone. Les luttes
ouvrières et étudiantes, les cri-
ses des régimes parlementai-
res ou présidentiels ne sont pas
privilèges exclusifs de la France
et les matières inflammables
existent presque partout. Une
révolution à Paris entraînerait à
12
échéance rapide des réactions
en chaîne tant en Europe occi-
dentale (Rome, Athènes, Ma-
drid, etc.) qu'en Europe orien-
tale (Varsovie, etc.). Un modèle
socialiste développant jusqu'au
bout la démocratie introduit dans
tous les pays industrialisés une
vie politique qui ne se limite
plus à faire permuter des per-
sonnages à la tête de l'Etat. La
multiplication des têtes politi-
ques par le dépérissement de
l'Etat et la démocratie à tous
les niveaux offre un modèle con-
tagieux que les facultés déjà
révoltées dans le monde entier
se chargent de répandre, les
classes ouvrières de compren-
dre et d'appliquer. Une révolu-
tion socialiste en France dé-
clenche, de proche en proche,
la tempête.
Les puissances gardiennes et
bénéficiaires de l'équilibre mon-
dial ont pressenti le danger, leur
réponse, pour être efficace, doit
être anticipée. Les Etats-Unis ne
peuvent venir rétablir par la for-
ce l'ordre en France sous peine
de s'enliser dans un nouveau
Vietnam, mais ils aident sage-
ment le gouvernement français
sans profiter de la situation pour
se venger d'un peu amical ami.
L'Union soviétique est tout aussi
directement visée, si les étu-
diants des démocraties popu-
laires suivent l'exemple parisien,
leurs émeutes ne resteront pas
purement étudiantes, une révo-
lution populaire en France en
promet d'autres dans la plupart
des pays d'Europe de l'Est et
menace de se propager en Rus-
sie même. L'inquiétude suscitée
chez les dirigeants soviétiques
par les réformes en Tchécoslo-
vaquie donne un avant-goût des
angoisses que crée une possi-
bilité de révolution en France.
L'ordre qui règne à Moscou,
à Varsovie, à Berlin doit être
défendu à Paris, la direction du
Parti communiste français s'en
est faite le gardien. Nous som-
mes en train de payer, fort cher,
la « socialisation » forcée et
policière de l'Europe centrale.
De Gaulle voyageant en Rouma-
nie ne négligeait nullement les
affaires intérieures françaises,
qualifiant l'U.R.S.S. comme * pi-
lier essentiel » de l'Europe, il
signifiait que la direction com-
muniste est devenue un pilier
essentiel de l'ordre bourgeois :
à « l'internationalisme proléta-
rien » elle substitue l'équilibre
européen, elle remplace la dé-
fense du « camp socialiste »
contre une agression militaire
extérieure par la défense de la
direction soviétique contre tout
mouvement populaire à l'inté-
rieur. Les Etats d'Europe de l'Est
et de l'Ouest ont le même enne-
mi : une révolution en Occi-
dent.
ET SI TOUTE L'EUROPE
CHANTAIT
L'INTERNATIONALE ?
La France étant la clef des
deux ordres qui se partagent
l'Europe, ils tentent ensemble
d'empêcher la clef de tourner.
Juin fut un petit partage du mon-
de, à la bourgeoisie la propriété
conservée de l'Etat, au Parti la
propriété des masses ouvrières
rentrées dans les usines. Les
défis électoraux visant le « tota-
litarisme » ou le « pouvoir des
monopoles » ont l'avantage d'as-
surer à chacun des deux pro-
priétaires le droit d'user et
d'abuser de leurs chasses gar-
dées respectives. La condam-
nation « théorique » du gauchis-
me d'un côté, l'interdiction po-
licière des « groupuscules »
étudiants et ouvriers de l'autre,
montrent la solidarité des deux
puissances confrontées au mê-
me danger révolutionnaire (6).
« Le Russe a commencé, l'Al-
lemand, le Français, l'Anglais
achèveront et le socialisme
triomphera », proclamait Lénine
considéré, certes, que le dépé-
rissement de l'Etat impliquait son
propre dépérissement, que sa
hiérarchie ne dominerait pas le
bouillonnement démocratique
d'une France révolutionnaire et
socialiste, qu'une partie impor-
tante de ses « responsables »
serait rapidement dépassée par
les cadres nouveaux qui surgis-
sent de tout mouvement authen-
tique. Mais elle a un motif beau-
coup plus fort encore, elle élève
un barrage contre tout dévelop-
pement révolutionnaire du mou-
vement de mai, plus qu'en son
nom propre, c'est au nom de la
direction tout entière du « camp
socialiste » (U.R.S.S. plus dé-
mocraties populaires) qu'elle le
fait : l'équilibre de juin en Fran-
ce est la clef de voûte de la
stabilité des deux ordres qui se
partagent l'Europe, le cran d'ar-
rêt est international.
en 1918. Le temps écoulé de-
puis n'a pas suffi à modifier
radicalement la situation. Ce
n'est pas l'U.R.S.S. qui risque
« d'exploiter » une révolution
socialiste en France, c'est une
révolution à Paris qui promet de
se propager vers l'Est. De
Gaulle croit pouvoir compter sur
cette puissance d'ordre qu'est
(re) devenue Moscou pour faire
de la direction du P.C.F. et de
la C.G.T. les gendarmes du mou-
vement ouvrier français.
La direction communiste n'a
pas seulement retenu le mouve-
ment sur sa pente révolution-
naire par le freinage prudent et
lâche caractéristique de toute
bureaucratie satisfaite. Elle a
L'ANNIVERSAIRE
DU MANIFESTE
COMMUNISTE
Etrangement, la révolution en
Europe occidentale est à nou-
veau coincée entre l'ordre venu
de l'Est et l'ordre venu de
l'Ouest, l'un soutenant l'au-
tre. La situation que Marx ana-
lysait en 1850 semble se repro-
duire, en ce temps la Russie tsa-
riste et l'Angleterre, pays capi-
taliste le plus avancé (aujour-
d'hui les Etats-Unis) gendar-
maient ensemble le continent.
Cependant, l'équilibre d'une
Europe de l'ordre est beaucoup
plus fragile aujourd'hui qu'il y
a un siècle. Physiquement, la
Russie ne peut plus intervenir
militairement contre les révolu-
tions d'Europe occidentale. Intel-
lectuellement, il est impossible
à terme de fonder le maintien
de l'ordre bourgeois sur des
organisations qui recrutent leurs
adhérents à partir d'une idéolo-
gie révolutionnaire — elles se
décomposeront alors très rapi-
dement. Etudiants, jeunes tra-
vailleurs, voire jeunes cadres
pourrissent cet équilibre précai-
re et il est doublement difficile
de cacher aux bourgeois qu'on
frappe leurs enfants (étudiants)
pour sauver Moscou, et aux ou-
vriers, qu'on réprime les jeunes
travailleurs pour défendre le ca-
pitalisme.
Toute l'Europe pèse sur la
France pour maintenir l'indéci-
sion actuelle, mais les luttes ou-
vrières et la crise universitaire
n'ont pas disparu pour autant.
Le pouvoir continue à redouter
la révolution, P.C.F. et C.G.T.
en incarnent encore, à leur
corps défendant, la possibilité.
Répression et Révolution suivent
une logique d'ascension aux ex-
trêmes, ou bien le pouvoir cède
ou bien il fait céder. Un mouve-
ment révolutionnaire ne peut
être définitivement stoppé que
pnr un Etat de plus en plus po-
licier.
Chaque crise fait douter de
la solidité du cran d'arrêt, obli-
geant le Parti communiste fran-
çais à choisir son camp. Aucune
n'exclut qu'il ne s'honore — au
prix d'un éclatement interne —
du singulier prestige d'être le
premier parti communiste légal
dans un état fasciste. On saura
alors que les cosaques font, par
C.R.S. interposés, régner l'ordre
au Quartier Latin pour protéger
le Kremlin, tandis que le syndi-
cat police les usines en faisant
respecter l'ordre occidental.
Le nœud gordien qui enserre
l'Europe explique le blocage du
mouvement de Mai.
Les contradictions ne coexis-
tent que dans le calme et ne se
supportent que dans le silence.
En proie à leurs problèmes pro-
pres, les Etats-Unis et l'Union
soviétique ne peuvent apporter
qu'un soutien moral indirect
aux forces dont l'alliance n'ex-
clut ni méfiance ni concurrence.
L'agitation et la contestation dé-
veloppées depuis mai rendent
ces contradictions incandescen-
tes et peuvent tendre l'équilibre
jusqu'à son point de rupture.
(6) L'historien de l'avenir examinera si le
marchandage eut lieu en termes clairs (cas
très fortemen* probable) ou simplement voi-
lés : le parti communiste donna la reprise
dans les usines, le Gouvernement accorda
l'interdiction des « groupuscules » révolu-
tionnaires. Dès le début mai, (es dirigeants
de la C.G.T s'étaient proclamés d'accord
avec les accusations de « M. le Premier
ministre » quand G. Pompidou déclara que
l'agitation dans les facultés relevait dVn
complot à vastes ramifications internationales.
Lesquelles ? L'or de Moscou étant hors de
cause, on hésite entre I or de Pékin (qui
provoque nettement la « révolution culturelle »
en Faculté de Médecine), l'or de Washington
(la C.I.A. ayant eu l'idée d'élever des barri-
cades pour sauver le dollar), l'or anglais
(c'est une tradition) ou l'or de l'université
libre de Berlin. Si ces remarquables cons-
tructions tombent à l'eau, il restera l'or du
Rhin, cher à Wagner. La révolution demeure,
pour toute force de l'ordre, une puissance
incompréhensible et étrange, donc « étran-
gère «.
13
GAULLISME ET FASCISME
Les armes
de la bourgeoisie
sous De Gaulle
La violence de la répression
contre les étudiants a fait réap-
paraître un thème politique qui,
depuis 1962, avait été mis en
sommeil : celui de la fascisation
du gaullisme. Le caractère po-
licier du régime s'était, en ef-
fet, à partir de 1962 estompé.
Au cours de l'hiver 1961-1962,
prise entre la montée du mou-
vement des masses et le terro-
risme O.A.S., la Ve République
n'avait dû sa survie qu'à la fidé-
lité de sa police. Depuis, celle-
ci avait été mise en sommeil, à
tel point que par le jeu du ra-
lentissement du recrutement et
des mises à la retraite antici-
pées, plusieurs unités de gen-
darmerie mobile ont été, au
cours de l'année 1967, dissoutes.
La crise de Mai a rendu au
gaullisme un visage que l'on
commençait à oublier. La rue
Gay-Lussac a montré que le dis-
cours de Pnom-Penh ne peut
cacher Charonne. La crise a ré-
vélé l'étendue des pouvoirs ac-
cordés par la Constitution de
1958 à l'exécutif dont le moin-
dre n'est pas l'irresponsabilité
du véritable chef du gouverne-
ment : le président de la Répu-
blique.
Il est cependant nécessaire
de bien analyser le contenu du
régime, tel que l'a révélé le dé-
roulement de l'épreuve de force
en mai-juin ; quel que soit son
pouvoir mobilisateur, le slogan
C.R.S.-S.S. n'épargne pas la ré-
flexion. Saisir ce qui distingue
le gaullisme du fascisme, ce
n'est pas seulement se donner
la satisfaction d'une analyse
précise, c'est aussi se donner
les moyens d'une stratégie ef-
ficace.
LE PHENOMENE FASCISTE
Jusqu'aux années 1920, la dé-
mocratie représentative de pré-
férence parlementaire, est ap-
parue comme la forme politique
liée au système bourgeois. Les
régimes autoritaires étaient le
plus souvent considérés comme
des survivances de formes po-
litiques pré-bourgeoises. L'em-
pire allemand, fondé sur l'al-
liance de la bourgeoisie indus-
trielle de la Ruhr et des grands
propriétaires féodaux prussiens
peut fournir le modèle de ce
type de régime. Le triomphe des
démocraties occidentales sur les
Empires de l'Europe du Centre
en 1918 paraît la confirmation
de l'idée que le régime parle-
mentaire est le plus efficace.
L'arrivée au pouvoir de Mus-
solini en Italie (1922) et de Hitler
en Allemagne (1933), marque la
naissance d'un nouveau modèle
de régime autoritaire. Contrai-
rement aux régimes autoritaires
du XIXe siècle, ils ne sont pas
des survivances d'un passé pré-
bourgeois, mais l'aboutissement
de l'Etat bourgeois : des dicta-
tures modernes.
FASCISME ET CAPITALISME
DE MONOPOLE
Ce phénomène nouveau a été
expliqué par trois facteurs. Le
premier, c'est le passage du ca-
pitalisme concurrentiel au capi-
talisme du monopole. Les traits
caractéristiques de ce phéno-
mène, décrit par Lénine sous le
terme Impérialisme s'articulent
autour de la concentration de
la puissance économique dans
un petit nombre de mains (sous
la forme du capital financier),
et de la naissance de sur-profits
monopolistes obtenus non seu-
lement par l'exploitation de la
classe ouvrière mais par le pil-
lage des peuples coloniaux et
la ruine des couches non-mono-
polistes de la bourgeoisie. Le
corollaire de cette analyse, c'est
la naissance de conflits d'inté-
rêts permanents entre les mono-
poles et la moyenne et petite
bougeoisie.
Le second facteur, c'est la
crise générale du capitalisme
engendré par le succès de la
révolution russe et l'exacerba-
tion des contradictions internes
du système. Le troisième fac-
teur, corrélatif au précédent,
est la montée des forces révo-
lutionnaires qui menacent direc-
tement la domination du capital.
Le fascisme est l'instrument
utilisé par le grand capital pour
faire face à la crise interne du
système et à la montée des for-
ces révolutionnaires. Les traits
caractéristiques de cette ré-
ponse, c'est la dictature terro-
riste, la mobilisation massive des
classes moyennes et l'interven-
tion systématique de l'Etat dans
l'économie, notamment par la
militarisation de l'industrie.
LE GAULLISME
N'EST PAS LE FASCISME
Les différences entre gaul-
lisme et fascisme apparaissent
très fortement dans la crise de
Mai.. Quelle qu'ait été la violence
de la répression policière, elle
n'est en rien comparable à la
terreur qui s'abat sur l'Alle-
magne en 1933. Les sociaux-dé
mocrates ont à leur actif des
répressions aussi, si ce n'est
plus, violentes effectuées dans
le cadre de « démocraties » par-
lementaires. Sans remonter à
l'écrasement de la commune de
Berlin par Noske, la répression
par J. Moch des grèves de 1947
soutient à son avantage la com-
paraison, J. Moch conserve d'ail-
leurs le titre de gloire d'avoir
créé, à cette occasion, les C.R.S.
Les nervis des C.D.R. ont la
gâchette facile ; ils n'ont jamais
eu l'ampleur, ni la violence des
S.A. de Roehm. Pour qui a con-
naissance de la propagande
anti-communiste entre les deux
guerres mondiales, les tirades
sur l'entreprise totalitaire appa-
raissent de bien aimables con-
versations de salon.
Mais s'arrêter à cet aspect
des choses serait se contenter
d'une analyse totalement des-
criptive et par là peu concluante.
C'est dans la manière dont le
gaullisme a conduit sa politique
dans la crise de Mai que l'on
peut saisir plus précisément la
nature du régime. A quatre sta-
des de la crise le régime a été
amené à prendre des décisions
cruciales engageant l'issue du
conflit. Première décision : le
3 mai l'occupation de la Sor-
bonne par la police. Cette déci-
sion qui n'a peut-être été prise
que par un ou deux ministres,
n'est guère au départ qu'une
opération de police visant à ju-
guler une agitation minoritaire
jugée dangereuse mais que l'on
pense pouvoir étouffer dans
l'œuf. Monumentale erreur d'ap-
préciation sur la combativité
du mouvement étudiant, mais
opération courante dans les
« démocraties » parlementaires.
A partir de là s'engage un cycle
répressif qui n'exprime qu'une
chose : l'incapacité politique to-
tale du gouvernement.
AVANTAGE SUR LE TERRAIN
DEFAITE POLITIQUE
Seconde décision : le 11 mai,
au lendemain de la nuit des bar-
ricades. L'avantage sur le ter-
rain est resté aux forces de po-
lice. Mais le prix politique payé
a été très lourd. L'opinion sou-
tient les étudiants et les orga-
nisations ouvrières ne peuvent
rester longuement indifférentes
à la répression qui s'abat sur le
Quartier Latin. Le choix est dif-
ficile : ou bien continuer la ré-
pression et s'aliéner des cou-
ches de plus en plus importantes
de l'opinion ; ou bien capituler
devant la rue et voir s'engouffrer
dans la brèche un mouvement
social trop longtemps contenu.
C'est la première option qui
présente le moins de risques. Le
pouvoir sait que, même con-
trainte à la solidarité, la C.G.T.
n'est pas prête à se laisser en-
traîner à une épreuve de force
avec la police et qu'elle en a
les moyens. Il sait que, même
sans utiliser les armes à feu,
il possède sur le terrain une su-
périorité écrasante sur le mou-
vement étudiant. Une barricade
tient rarement plus de deux
heures et l'on peut empêcher
sa construction. Pourtant le pou-
voir choisit la seconde solution.
On peut expliquer cette déci-
sion par l'incurie et l'imprévi-
sion. Cet élément a certaine-
ment joué un rôle. Mais tout
gouvernement sait qu'il risque
gros à céder devant la rue. L'op-
tion est prise en fonction d'au-
tres critères ; si Pompidou cède
c'est qu'il sait que la victoire
répressive n'est pas, dans le
cadre du régime politique auquel
il s'identifie, une victoire poli-
tique. Recherchant une victoire
politique, il est contraint d'ac-
cepter la défaite politique (et non
militaire) qu'il a subie le 11 mai.
Troisième décision cruciale,
entre le 20 et le 24 mai. La gé-
néralisation du mouvement de
grève place le gouvernement
dans une situation très difficile.
Une à une les commandes de
la machine d'Etat craquent. L'op-
tion répressive est plus difficile.
Mais elle est encore possible.
Une épreuve de force localisée
peut être victorieuse ; le gou-
vernement peut compter sur la
C.G.T. pour dénoncer les provo-
cateurs. La voie choisie est dif-
férente ; négociation sur les re-
vendications salariales, solution
du conflit politique par le suf-
frage universel (Référendum).
14
LA CONTRE-OFFENSIVE
UNE EPREUVE DE FORCE
POLITIQUE
Quatrième décision cruciale,
le 30 mai. Signés le 27 mai au
petit matin, les accords de Gre-
nelle sont refusés par la base
dans la journée. La C.G.T.
change de registre et lance le
slogan « Gouvernement Popu-
laire ». Les candidats à la suc-
cession se multiplient. Le régime
est en question. Le discours du
30 mai est un discours d'épreuve
de force. La répression est bran-
die, mais seulement à titre de
menace. L'épreuve de force qu'il
engage, est une épreuve de
force politique qui se tranche
sur le terrain électoral. La ma-
nifestation de l'Etoile n'est que
la réponse politique à la mani-
festation C.G.T. de la veille ;
l'objectif : mettre autant ou plus
de gens dans la rue. Manifesta-
tion fasciste, elle aurait dû se
terminer par deux batailles ran-
gées : l'une, sur la rive gauche,
à l'assaut de la Sorbonne,
l'autre sur la rive droite, à l'as-
saut de l'immeuble du Comité
Central. Les C.D.R. dans la pé-
riode suivante n'interviennent
guère contre les facultés, en-
core moins contre les grévistes.
C'est l'U.D.R. qui joue le rôle
le plus important : distribuer les
labels électoraux.
Ce rapide survol de la crise
montre que jamais la solution
purement répressive n'a été con-
sidérée par le gaullisme comme
une solution valable. Au con-
traire, l'axe de sa politique, dès
que la crise a atteint une am-
pleur nationale, a été d'amener
la lutte sur le terrain électoral.
C'est d'ailleurs une constante
de la politique gaulliste, depuis
dix ans : c'est sur le terrain
électoral qu'ont été gagné toutes
les batailles qu'a engagées le
gaullisme. Cela ne veut pas dire
que l'appareil répressif ne joue
aucun rôle dans le régime. Au
contraire, il est toujours là, agis-
sant ou menaçant, même au mo-
ment du poker électoral. Mais il
n'est pas l'axe du régime : il
n'est qu'un auxiliaire, dans une
partie qui se joue sur un autre
terrain.
Il est révélateur qu'au cours
d'une crise d'une ampleur sans
précédent, aucune des nom-
breuses dispositions légales
d'exception n'a été mise en jeu.
L'explication est simple : aucune
de ces dispositions ne pouvait
permettre de renforcer le poids
politique du régime et de son
gouvernement. Dans la mesure
où l'épreuve de force recherchée
se déroule sur le terrain politi-
que, elles ne sont d'aucune uti-
lité.
LE COUT DU FASCISME
POUR LA BOURGEOISIE
Si dans ses manifestations
concrètes, le gaullisme apparaît
très différent du fascisme, une
première question se pose :
quelles sont les forces qui s'op-
posent à l'instauration d'un ré-
gime fasciste en France ?
Pour répondre à cette ques-
tion il importe de préciser l'ana-
lyse du fascisme. Le fascisme
est un instrument aux mains du
grand capital. Cela ne signifie
pas qu'il soit en tout temps et
en tout lieu le meilleur et le plus
commode des instruments.
Cela signifie, pour utiliser une
métaphore économique, que le
fascisme a un certain coût, qu'il
1968 que dans l'Allemagne de
1933. Tous les physiciens sa-
vent que la cause principale du
retard du programme nucléaire
français est dû essentielement
à l'abstention de l'élite des ato-
mistes français. Installer un ré-
gime fasciste en France, c'est
pour le grand capital stériliser
d'avance une part importante
du potentiel scientifique et tech-
nique du pays. La perte subie
par l'Allemagne dans les années
1930, en raison de l'hémorragie
présente pour la grande bour-
geoisie un certain nombre d'in-
convénients. La solution fasciste
devient viable lorsque les avan-
tages qu'elle comporte l'empor-
tent sur les inconvénients. Si
l'on prend l'exemple de l'Alle-
magne, les avantages ont été
l'écrasement des organisations
ouvrières, la mobilisation des
classes moyennes, la solution
de la crise économique, les pro-
fits engendrés par les succès
initiaux de l'impérialisme alle-
mand. Le coût a été la perte
d'une part importante de l'auto-
nomie politique et économique
du grand capital, la rupture avec
une partie de l'intelligentsia
(l'exil massif des intellectuels
juifs), l'aventurisme de la politi-
que hitlérienne. La défaite de
1945 n'a pas été le moindre des
éléments de la « note » payée
par le capitalisme allemand pour
l'expérience hitlérienne.
Le coût d'une expérience fas-
ciste a, dans les pays capita-
listes les plus développés, con-
sidérablement augmenté. La rup-
ture inévitable entre la grande
bourgeoisie et l'élite intellec-
tuelle serait plus profonde et
plus globale dans la France de
des cerveaux avait été déjà très
grave. Elle le serait encore plus
dans la France contemporaine.
LA BOURGEOISIE FRANÇAISE
A BESOIN D'UN POUVOIR
TECHNOCRATIQUE, NON
D'UN REGIME FASCISTE
La perte d'autonomie politi-
que et économique de la grande
bourgeoisie serait elle aussi plus
durement ressentie. La bourgeoi-
sie française estime nécessaire
le développement de l'interven-
tion de l'Etat. Mais ce qu'elle
appelle est totalement différent
des besoins de la bourgeoisie
allemande d e l'entre - deux-
guerres. Celle-ci désirait être
protégée à la fois contre la
concurrence extérieure et contre
la logique du système écono-
mique : autarcie et militarisation
(le programme nazi) y corres-
pondaient. Au contraire, ce que
recherche le grand capital fran-
çais, c'est moins la protection
que l'accroissement de son au-
tonomie économique à la fois
sur le marché intérieur, par l'éli-
mination des structures écono-
miques archaïques — celles qui
précisément réclament une pro-
tection — et sur le marché ex-
térieur, par l'abaissement des
tarifs douaniers.
Si le coût d'une opération
fasciste en France a crû, les
bénéfices ont considérablement
diminué. A la politique d'anéan-
tissement des organisations ou-
vrières, la bourgeoisie occiden-
tale de Berlin à Washington pré-
fère une politique d'intégration
Le loyalisme de la C.G.T. au
cours de la crise de Mai a en-
core plus convaincu, s'il en était
besoin, le grand capital français
que là est l'avenir. La mobilisa-
tion des classes moyennes se
pose dans des termes radicale-
ment différents. Hitler se pro-
posait de grouper une petite
bourgeoisie de propriétaires me-
nacés d'expropriation. Aujour-
d'hui la masse des classes
moyennes que cherche à rallier
le grand capital est constituée
par des couches salariées. Ce
ne sont pas les thèmes fascistes
qui peuvent les mobiliser mais
des thèmes de type technocrati-
que comme la société d'abon-
dance et la participation.
LE GAULLISME :
UN ETAT BOURGEOIS
D'UN TYPE ORIGINAL
Mais surtout, les problèmes
qu'a à résoudre le grand capital
ne sont pas de taille à nécessi-
ter une médication aussi éner-
gique que le fascisme. Celui-ci
n'a pu triompher dans une
grande métropole industrielle
comme l'Allemagne, qu'à la fa-
veur d'une crise économique
sans précédent.
Quelles que soient les distor-
sions qui peuvent atteindre au-
jourd'hui l'appareil de produc-
tion, quelles que soient les
crises sectorielles, le capita-
lisme européen est encore à
l'heure actuelle dans une phase
d'expansion. Ce qui est à l'ordre
du jour dans les chancelleries
ce n'est pas : comment régler
la crise ? C'est : comment ren-
dre l'expansion plus rapide ?
Tous ces éléments indiquent
que le grand capital hésitera
longuement avant de s'engager
dans une aventure de type fas-
ciste. Tout indique, en tout cas,
qu'il préférera une solution so-
cial-démocrate à une solution
fasciste ; c'est ce qu'il n'a pas
hésité à faire en Allemagne, en
Italie, en Angleterre : c'est plus
rentable et moins coûteux. La
menace fasciste est aujourd'hui
une carte fictive qui se joue
dans le bluff politique du régime.
Elle n'a pas plus de réalité que
l'entreprise totalitaire du P.C.F.
Elle joue le même rôle. L'une
vise à mobiliser l'électorat de
droite, l'autre à mettre au pas
les forces populaires. Le gaul-
lisme n'est pas le fascisme, ni
son cousin timoré. C'est une
forme originale de ''Etat bour-
geois. Quel est son contenu
exact? Quelles conséquences
stratégiques peut-on en tirer? Ce
sera le sujet d'un prochain ar-
ticle.
15
Permanence
diffusion
ACTION
70, rue de la Tombe-lssoire, Paris (XIV)
Tél. : OOB 76-77
Sous prétexte de légalité, le pouvoir fait investir
les locaux universitaires par ses flics. En fait, il cherche
à empêcher comme il peut la continuation et la reprise
de la lutte des travailleurs et des étudiants, les univer-
sités populaires d'été et toute activité coordonnée des
comités d'action. Créant une ambiance de grandes
vacances, il compte sur notre capitulation.
Nous ne céderons pas à cette entreprise d'intimida-
tion. Nous l'avons déjà montré : dans la rue, dans les
quartiers, nous continuons. Dans les entreprises, chacun
fait le bilan et se prépare à de nouveaux combats atten-
dus dans les mois prochains.
Les militants, dont l'immense majorité était inorga-
nisée avant le 3 mai, ont eu besoin de lieux d'unification.
Sur des mots d'ordre simples, à partir d'informations non
truquées, et à travers une analyse qui dessine le visage
d'une nouvelle politique, ACTION est devenu l'un des
signes et l'un des lieux de cette unité.
Aujourd'hui il s'agit de préparer la bataille de la
rentrée, d'en élaborer les thèmes, d'en mettre au point
les modalités. Chacun va mettre à profit les mois d'été
pour démarrer ce travail de réflexion et d'élaboration.
C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de
publier ACTION une fois par semaine, avec un nombre
de pages plus important. Pendant ces quelques semaines
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LA DÉSAGRÉGATION
Le 11 mai dernier les agrégatifs de
lettres modernes, lettres classiques et
Cinquième épreuve par solidarité ave^
leurs camarades blessés ou arrêtés. De-
grammaire avaient fait grève lors de leur
puis cette date, de nombreuses commis-
sions avaient travaillé à la réforme de
l'agrégation et du C.A.P.E.S. Il en était
résulté un projet affirmant la nécessité
de prévoir immédiatement un mode uni-
que de recrutement des enseignants du
second degré en remplacement des con-
cours de recrutement actuels jugés péri-
més. Ce recrutement se ferait après cinq
ans d études et laisserait une place beau-
coup plus importante à la formation
pédagogique à peu près absente des
études actuelles.
Ce projet s'accompagne de modalités
concrètes susceptibles de résoudre le
contentieux de 1968.
Le Comité national de grève des agré-
gatifs et des capétiens tentait vainement
d'entrer en contact avec le ministère de
l'Education nationale pour discuter du
programme d'action des étudiants.
Bien plus, le gouvernement, fort de sa
victoire aux élections, précipitait I épreu-
ve de force, en voulant montrer que les
concours pouvaient encore se passer
sous les formes habituelles.
Par une décision unilatérale, ne tenant
compte d'aucune des conditions posées
par les Etats généraux de l'agrégation,
le gouvernement fixait la date des épreu-
ves écrites reportées et prévoyait de
faire passer les oraux courant juillet.
Cette décision s'accompagnait d'un
chantage à l'annulation des épreuves et
de pressions diverses.
Pour le gouvernement, il s'agit là de
faire la preuve de sa force et de mon-
trer aux étudiants qu'ils n'ont aucun
droit de regard sur le contenu et la for-
me de leurs études. La réforme gaul-
liste ne peut être qu'une réforme faite
par le haut, une réforme qui éliminerait
certes les aspects les plus archaïques
de l'Université traditionnelle, une réforme
menant à une Université moderne et
technocratique au service des besoins
immédiats du secteur privé.
Les étudiants, conscients que le gou-
vernement comptait sur leur faiblesse,
décidaient, à une forte majorité, de con-
tinuer la grève tant que le gouvernement
refuserait toute discussion sur leur pro-
jet de réforme.
Le S.N.E.S. demandait aussi le report
des épreuves.
L'épreuve du 4 juillet devait se dérou-
ler dans trois centres différents pour
empêcher les candidats ayant des pro-
blèmes communs de mener une action
commune.
Cependant, les agrégatifs avaient or-
ganisé des piquets de grève qui s'instal-
laient dès 7 heures du matin.
Au centre de la Bibliothèque Sainte-
Geneviève où devaient passer les candi-
dats de lettres modernes, tout se dérou-
lait calmement lorsque vers 8 h 15
les forces de police, devant le refus
d'évacuer les lieux, intervenaient brutale-
ment pour disperser le piquet et inter-
pellaient trois étudiants qui devaient
être relâchés peu après.
Le piquet se reformait à l'intérieur de
la Bibliothèque après qu'une trentaine de
- jaunes » eussent pénétré dans la salle
d'examen. Finalement, devant la détermi-
nation des autres candidats refusant de
composer, le jury déclarait vers 12
heures que les épreuves ne pouvaient
se dérouler dans ces conditions.
Dans les deux autres centres (l'Hôtel
Continental et l'Omnium de la rue de
Lancry) les choses se passaient de façon
identique ainsi que dans les principaux
centres clé province.
obligé de tenir compte des rêver.
dications défendues fermement pa-"
étudiants. La dès-agrégation continue
COMMBNIQUÉ
DU C.A.E.T.
Le C.A.E.T. (Comité d'Action da
l'Enseignement Technique) demande à
tous les élèves des lycées et collèges
techniques ayant participé à des travau<
à l'intérieur des lycées et collèges
occupés de nous envoyer le plus rapi-
dement possible le résultat de ces 'tra-
vaux afin d'établir un cahier de revendi-.
cations commun à tous les lycées et
collèges techniques de France,
Faire parvenir ces travaux au
C.A.E.T.
70, rue de la Tombe-lssoire, Pans-14*
Diffusez ce message à tous vos cama-
rades lycéens et collégiens.
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Travail exécute par des ouvriers syndiqué*
ÏÏ6
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Title
Action
Issue
no.21
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no.21