Action

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N" 22 • 18 JUILLET 1968 • 1 F • Journal réalisé au Service des Comités d'Action, avec le soutien de l'U.N.E.F. et des Comités d'Action Lycéens
COFFRER
LA CAROTTE
ET LE BATON
Qui est Couve de Murville ? La grande presse
amuse ses lecteurs en parlant de sa famille, de sa « car-
rière », de son « caractère ». Cela ne nous intéresse
pas, parce que c'est sans importance (les avatars de
Pompidou sont-ils dus à son « caractère » ?). Avant tout,
Couve de Murville est une politique. Le quotidien de la
finance, qui n'a pas de temps à perdre ni de lecteurs à
mystifier, le définit d'un titre : Un bon gestionnaire. Et
il précise : « gestionnaire des affaires publiques et de
l'économie dans une tradition des plus orthodoxes,
certes. Mais aussi gestionnaire du gaullisme » (« Les
Echos », 18 juillet 68). Nous voilà avertis, qu'est-ce que
la participation ? C'est l'économie capitaliste gérée
dans « une tradition des plus orthodoxes ». Qu'est-ce
que le gaullisme aujourd'hui ? C'est le plan de 18 mois
qu'annonce Couve.
En dix-huit mois, Couve doit rendre à de Gaulle
l'or que la fuite des capitaux a fait partir de la Banque
de France ; cela s'appelle « sauver le Franc » ; mais
qui l'a attaqué sinon ces bourgeois qui paradent avec
des drapeaux tricolores tout en envoyant leur argent en
Suisse — « leur » argent, c'est-à-dire les richesses de
la nation. En dix-huit mois il doit continuer à fournir
les crédits pour la force de frappe et la politique mili-
taire gaulliste. Le but n'est pas seulement d'éponger
rapidement les augmentations de salaires acquises en
mai : Couve doit empêcher que « ça » ne recommence.
Or, aucune des causes économiques du mouve-
ment revendicatif n'est supprimée, au contraire, les dix-
huit mois que promet Couve sont des mois d' « austé-
rité » (c'est-à-dire de vaches maigres pour les salariés).
Les journaux financiers ne s'y trompent pas : « la prio-
rité est donnée au Franc et non pas à l'expansion éco-
nomique. Dans l'immédiat cela explique les nouveaux
sacrifices demandés, tant aux contribuables aisés
qu'aux sociétés et aux salariés. Cette politique est tout
à la fois impopulaire, courageuse et risquée ».
Passons sur le « courage », et sur les « sacrifices »
que les grandes sociétés capitalistes ont toujours su
faire supporter aux autres en réalisant elles-mêmes des
bénéfices accrus. Ce qu'il faut retenir est que la poli-
tique Couve de Murville sera nécessairement impopu-
laire, et le même journal en tire les conséquences :
« Nous estimons donc qu'à l'heure actuelle, il existe un
risque réel de voir se préparer de nouvelles explosions
sociales du genre de celles de 1959, 1960 ou mai 1968.
Ce risque porte un nom : c'est celui du chômage. Les
demandes d'emploi non satisfaites ont atteint au trente
juin dernier leur niveau le plus élevé depuis plus de
vingt ans ». (« L'Opinion économique et financière »,
18 juillet 68).
Voilà la grande promesse de Couve : le chômage.
Bien entendu il ne l'annonce pas. Il prétend vouloir
l'éviter. Si on veut savoir la vérité, il suffit d'ana-
lyser les conséquences économiques de son « plan ».
La grande presse n'en parlera pas. Mais les journaux
de la Bourse et de la Finance avertissent les capita-
listes : peut-être l'inflation sera-t-elle évitée, mais cer-
tainement pas le chômage : « contre le chômage qui
constitue précisément le second péril, M. Couve de
Murville mise surtout sur la relance ultérieure des in-
vestissements pour créer des emplois nouveaux. Mais
est-ce bien là la vocation de l'investissement ? Accroître
la productivité de l'économie n'est pas le plein emploi.
C'est même le contraire » (« Les Echos », 18 juillet 68)-
Couve parle-t-il de réduire le chômage ?, pas du tout
répondent les experts de la bourgeoisie, c'est même le
contraire.
Quelles sont les armes de Couve pour « rétablir !a
confiance » des capitalistes, c'est-à-dire pour faire ad-
mettre le chômage à la classe ouvrière en lui interdi-
sant de riposter? Deux armes : la mystification et la
répression.
La fameuse « participation » peut encore faire illu-
sion à certains, comme c'est un mot vide, il a pu faire
rêver chaque petit bourgeois tout à son aise. Couve de
Murville, lui, ne rêve pas : « la direction des entreprises
est le fait de ceux qui sont responsables et le profit est
justifié dès lors que le risque existe et que la concur-
rence joue ». Bref, le patron continue à diriger et à
accumuler ses profits, et le travailleur... travaille. La
vaste entreprise de propagande au sujet de la « parti-
cipation » est spécialement destinée : 1) aux cadres,
que le gouvernement veut absolument reprendre en
main après qu'une fraction d'entre eux ait participé au
mouvement de mai ; 2) aux travailleurs, qu'il s'agit de
payer avec des mots.
Les travailleurs et les étudiants ne seront pas cal-
més par des phrases creuses. Contre eux, le gouverne-
ment sort sa seconde arme : la répression. La nomina-
tion de Couve est marquée par un accroissement de
l'activité policière, les arrestations se multiplient, elles
visent d'abord les groupes étudiants et ouvriers (« grou-
puscules ») mais à travers eux, tout ce qui touche au
mouvement de mai. Pour avoir lu « Action » à la ter-
rasse d'un café, un consommateur a vu son identité
« vérifiée » pendant quatre heures dans un commissa-
riat. L'erreur serait de croire que la police fait la chasse
aux souvenirs. Ce n'est pas le passé mais l'avenir qui
inquiète le gouvernement; il veut tuer dans l'œuf toute
possibilité de contester sa politique.
Le gouvernement sait que son « plan » de 18 mois
le rendra de plus en plus impopulaire. Il sait qu'il ne
peut promettre que la participation... au chômage. Toute
la presse économique de la bourgeoisie l'écrit noir sur
blanc. C'est pourquoi le gouvernement veut frapper
avant que les travailleurs n'agissent. Mais on n'échappe
pas aux conséquences d'une politique de classe et
d'une économie d'exploitation intensifiée. Ce n'est
qu'un début, le combat continue.
QUELLES sont les réactions
des travailleurs après un
mois de reprise ?
Action a réuni quelques tra-
vailleurs des usines Renault à
Billancourt, travailleurs émigrés
et travailleurs français. Ils nous
ont dit comment le travail a re-
pris, quelles sont les perspec-
tives de lutte et comment ils
voient la lutte des étudiants
maintenant. Nous avons pensé
que le meilleur moyen de rendre
compte de la discussion serait
de rassembler les faits, les opi-
nions sous la forme d'une lon-
gue suite de réflexions qui est
en quelque sorte leur apprécia-
tion commune.
— Il n'est pas inutile avant
de parler de l'après-grève, de
rappeler comment le mouvement
a pris fin chez Renault. Dès le
lendemain des accords de Gre-
nelle, la C.G.T. qui influence à
Billancourt 80 % des travail-
les effectifs de la C.G.T.
chez Renault à Boulogne-Billancourt
1946
1948
1952
1953
1954
1955
1956
21 438
13638
9375
5296
5925
5770
4183
De 1956 à 1968 oscillation entre
4000 et 5000
1946 : 42000 travailleurs.
1968 : 33000 travailleurs
N.D.L.R. — Ces chiffres ont été
fournis lors d'un congrès de la
C.G.T.
H n'est pas précisé s'il s'agit de
cartes - placées » ou de cartes
« payées ». Cependant, établis sur
la même base, ces chiffres peuvent
être utilement comparés.
leurs, a pesé dans le sens de la
reprise du travail. Ce jour-là, Sé-
guy, dans toute la première par-
tie de son discours s'est éver-
tué à souligner le caractère po-
sitif des accords. Ce n'est que
devant la froideur de l'assis-
tance (pour ne pas dire plus)
qu'il a dû déclarer : « Rien n'est
signé > (ce qui était faux d'ail-
leurs !) et qu'il ne s'est pas op-
posé à la poursuite du mouve-
ment.
Mais entre les accords de
Grenelle et le 17 juin, la C.G.T.
n'a rien fait pour entretenir la
combativité des travailleurs.
Bien au contraire, les réunions
organisées par les délégués
étaient orientées sur la grille des
salaires (« déterminez vous-
mêmes vos salaires » leur disait-
on) sans mettre en cause le sta-
tut de la Régie, ou bien sur les
cadences de travail sur telle ou
telle machine.
Evidemment toute opposition
à gauche est fort mal venue et
il se développe une violente
campagne contre les « gauchis-
tes ». Deux illustrations mon-
trent l'irresponsabilité et les li-
mites de la campagne contre les
ouvriers « gauchistes ».
Lors du meeting de reprise le
La vérité sur Renault
17 juin un délégué C.G.T. a vio-
lemment protesté contre la con-
signe de son syndicat. Il a été
aussitôt entouré par Sylvain (1)
et quelques autres qui l'ont
frappé. Il fut convoqué trois à
quatre jours plus tard au local
syndical pour « s'expliquer » sur
son comportement. Il fut de
nouveau « passé à tabac » (quel
autre nom donné à ce genre de
pratique ?) à un tel point que
les syndicalistes C.F.D.T. dont
le local est voisin intervinrent
et évacuèrent le « gauchiste »
en ambulance. Explication des
responsables C.G.T. : « Le ca-
marade avait eu une crise de
nerfs ».
Au département 57 (modelage
métal) un tract de la C.G.T. fut
distribué accusant de « gauchis-
tes » ceux qui s'étaient pronon-
cés contre la reprise. A ce dé-
partement qui avait voté à la
majorité contre la reprise une
lettre demandant des explica-
tions à la C.G.T. fut rédigée et
signée par 60 travailleurs sur
250, ce qui représente beaucoup
plus que l'effectif de la section
C.G.T. du département.
La demande d'explications
était rédigée en termes assez
vifs et on employait le mot
« trahison ».
Quels sont les sentiments des
travailleurs devant cette situa-
tion ?
C'est le mécontentement et
la déception. Ils n'ont pas du
tout l'impression d'avoir rem-
porté le succès qu'on leur dit.
Aucun des 5 points fondamen-
taux de la plateforme n'a été at-
teint. La C.G.T. a finalement re-
noncé à poser comme préalable
l'abrogation des ordonnances
sur la Sécurité Sociale comme
elle a fini par renoncer à la re-
vendication de l'échelle mobile.
Pourtant sur ce point Séguy
avait pendant toute une journée
déclaré qu'il ne serait pas ques-
tion de céder si l'échelle mobile
n'était pas obtenue.
Halbeher (2) ne cesse de répé-
ter que l'affaire est positive dans
l'ensemble, que les satisfactions
sont substantielles : salaire, ré-
duction d'horaires, élargissement
des libertés syndicales. Effecti-
vement sur ce dernier point les
heures attribuées aux délégués
sont passées de 25 à 50 et
maintenant Halbeher peut par-
ticiper à des réunions à l'inté-
rieur de l'usine. Il déclare éga-
lement que la grève a fait échec
à l'homme providentiel (Mendès-
France) qu'elle a permis de ren-
forcer les rangs de la classe
ouvrière, qu'il y a bien quelques
difficultés avec les gauchistes
mais qu'elles se régleront par
la discussion.
S'il est difficile de persuader
les travailleurs d'ici que leur ac-
tion a été couronnée de succès
il ne faut pas se cacher que
l'argumentation politique déve-
loppée par le P.C.F. a rencontré
plus d'échos après les élections.
Ainsi on entend dire fréquem-
ment : « On se serait mis le
doigt dans l'œil si on s'était trop
avancé pendant la grève. »
« Ceux qui voulaient nous en-
voyer les mains nues contre les
flics étaient des irresponsables.
Il n'y a pas eu vacance du pou-
voir fin mai-début juin. »
Dans cette période de reflux,
il ne faut pas s'étonner que les
organisations ouvrières ayant
refusé de montrer le chemin
pour aller à la révolution, les
travailleurs soient désorientés et
se réfugient dans les explica-
tions commodes et simplistes
fournies. Il faut bien veiller à ce
que l'intervention des ouvriers
révolutionnaires se fasse à par-
tir de cette situation.
La C.G.T. parle d'un renfor-
cement considérable de ses
rangs. Qu'en est-il exactement?
Il est difficile de le savoir
exactement. Ici la C.G.T. fait
bien état de 1 500 adhérents
nouveaux pendant la grève. Mais
le dernier « Bulletin du militant »
indique qu'il y a 5 000 adhérents
à la C.G.T. maintenant et nous
savons qu'avant la grève il y en
avait 4800 environ. C'est assez
contradictoire.
Quelles sont maintenant les
perspectives de lutte ?
La C.G.T. n'a pas l'intention
de faire quoi que ce soit pour
préparer le terrain. Après la re-
prise, pendant deux jours de
suite il y a eu des débrayages
au camionnage : ils ont été pas-
sés sous silence. Ces dé-
brayages se faisaient pour la sa-
tisfaction des revendications
particulières.
Il ne faut pas se masquer que
la lutte en octobre sera difficile :
on sort d'une défaite, l'unité
n'existe plus, la C.F.D.T. a mené
la lutte contre la C.G.T. en vue
des élections professionnelles
d'octobre, la C.G.T. est lancée
dans sa lutte contre les gau-
chistes. Il y a dans cette situa-
tion toute une série d'arguments
faciles pour retarder l'action.
(1) Responsable C.G.T. connu chez
Renault pour le caractère frappant de
son argumentation.
(2) Secrétaire syndical de chez Re-
nault, il est permanent du syndicat.
les vofes pour et contre la reprise, département par département, chez Renault
Départements
Pour
Contre
Observations
Départements
Pour
Contre
Observations
Lardy
133
7
Piste d'essai.
49
287
54
D.M.A.
36
29
Il a existé un comité de
392
77
Prédominance O.S.
grève ELU.
38
333
80
51
232
72
Entretien.
38
306
57
Prédominance O.S.
57
85
99
Prédomin. professionnels.
90
299
79
70
323
201
Département ayant débuté
12
1 140
263
Ile Seguin. Grosses pres-
la grève. Prédominance
ses. Prédominance O.S.
professionnels.
Sèvres
289
53
53
114
26
Usine O
458
85
72 (AOC)
193
98
Prédomin. professionnels.
14
900
247
Prédominance O.S.
32
167
40
55
477
194
Prédominance O.S. Proche
62
515
126
Forges.
du département 70 (place
58
130
116
Nationale) est un des dé-
59
285
121
Prédomin. professionnels.
partements ayant com-
77
190
128
Entretien. Prédomin. profes-
mencé la grève.
sionnels. Avant la grève,
Mensuels
5016
843
Ont voté Cadres et Ingé-
avait débrayé 24 h sans
nieurs, y compris direc-
se préoccuper de la pri-
teurs et chefs de dépar-
me (en mars).
tements (effectif 2000)
54
155
68
et la maîtrise d'atelier
37
321
256
Prédominance profession-
(chefs d'ateliers, contre-
nels dans li'le Seguin.
maîtres, chefs d'équipe),
18
144
38
effectif 2 000.
72 Artill.
119
54
Prédomin. professionnels.
36
214
53
Prédomin. professionnels.
61
421
149
74
1 894
298
Ile Seguin. Montage R4.
TOTAL
Prédominance O.S.
Pour Contre
19
109
14
1 U£
1 H
vraoutcnouc. Atelier insalubre. Prédominance O.S.
OUVRIERS
1 2 954 3 624
34
343
67
78%
60
961
178
Fonderies. Insalubre. Pré-
MENSUEL.
5016 843
dominance O.S.
85%
UNE RÉVOLUTION IMPOSSIBLE
»al IMt M jwpait un* ri-
tapoMbto dam W* pay»
ttè* todurtrialteM. On «Mit qu*
et )• réduirai ut aliwi à llrapuit
Por MAURICE DUVERGER
Ctrotont à lui iub«tltu«r UB Etat
•ociartota, «B assumai
çcithm de* «Btr*pri«** et d*« BM-
•I •• )M raMMtkmt «a DKIKM :
tell* É*faft la bol*M»w pKa««. Ainsi
)• pouTOit a»ci«n d«Tt»ndiait de plu*
•B plu* friMl at lactin, c*p*ndart
q-a'uD pouvoir nouv*<ra W rmapla-
»pa»d»M M Occident l* «* 2
de la MpubUqa* populaii* d* Chln»
— te BWtéc&al Un Pkw — IM
tait inpUdt*iMBL n coMldéroa qo«
la téToiWio. mondiale était
conduit* par ]*• par*
dtvvloppM. CM région* rural** du
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lutte d** cktss**. On p»n»afl <TU« !•
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M &*• fcaail* !•
Micrit poui k*4j1«mp€,
prewn * •iJondnrait «t 1» Mcoad
eoMat ta BOÎB la M-
communira* caimofe. d'abotd ré-
pandu danj )M eainpaçiiM. avait
qaoM ta vilM*. U t»vt-
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leur bi*u-itt« Dré*ent m«m*
mt
drai«nl à la pmii«t* •! à la
HFNZ
Le mouvement de mai a bou-
leversé des opinions bien as-
sises sur la « stabilité » de la
société française, sur I1 « inté-
gration » de la classe ouvrière,
sur la « dépolitisation » de la
jeunesse. L'occasion de perdre
quelques préjugés s'offre à ce-
lui qui s'informe honnêtement, à
plus forte raison à un professeur
d'université qui enseigne le
droit, la sociologie politique tout
en exprimant dans « Le Monde »
ses opinions hebdomadaires.
Tout le monde sait qu'une ré-
volution ne se fait pas du jour
au lendemain, qu'elle se prépare
à travers des luttes souvent lon-
gues, qu'on ne saurait fixer son
heure et son lieu, qu'il n'appar-
tient à aucun « meneur » d'en
décider, qu'elle constitue la ré-
ponse de l'action de masse face
à une situation de crise. S'il
s'agissait seulement de l'impos-
sibilité de fixer arbitrairement la
révolution pour — mettons — le
15 septembre, Maurice Duverger
aurait facilement raison. Mais
son projet est plus ambitieux, il
prétend démontrer l'impossibi-
lité absolue de toute révolution
réussie dans la France du XXe
siècle, en conséquence de quoi
les étudiants révolutionnaires ne
sauraient être que « les four-
riers au fascisme ».
D'une façon regrettable pour
sa réputation intellectuelle le
professeur raisonne faux : inco-
hérence de fond, incohérence
de méthode, fouillis de pensées
dont te dénominateur commun
est la peur, sa copie ne vaut
pas cher.
LES DEUX CLASSES
OUVRIERES
DE MAURICE DUVERGER
Argument central : « la masse
des travailleurs n'est pas vrai-
ment disposée à la révolution ».
Si Maurice Duverger n'avait
qu'une intuition fondamentale,
ce serait celle-ià. Il n'a pas at-
tendu le mois de mai pour la
cultiver, on ne peut pas être un
« grand » bourgeois sociologue
sans retourner cette pensée pro-
fonde dans tous les sens et en
faire le premier et le dernier
mot de la réfutation du marxis-
me.
Malheureusement ce postulat
a joué un très mauvais tour à
Duverger; le mercredi 15 mai il
prophétisait « la revanche » de
Pompidou, et trouvait très subtil
d'enfermer les étudiants occu-
pant la Sorbonne dans le « di-
lemme » des examens : ou bien
ils passent leurs certificats et
tout rentre dans l'ordre, ou bien
ils continuent leur action et s'en-
lisent dans l'impuissance : « les
apparences révolutionnaires —
drapeaux rouges, vocabulaire de
même couleur, déclaration fra-
cassantes, inquiètent ceux qui
détestent aussi le désordre et
le débraillé. Les ouvriers
n'éprouvent pas de sympathie
pour ces palabres sans fin, pour
ces discussions subtiles — qui
les ont toujours éloignés des
étudiants. Le courage de ceux-
ci sur les barricades les avait
rapprochés des travailleurs : un
mouvement inverse s'amorce,
malgré les comités « étudiants-
travailleurs » (1). Ce monument
de lucidité intellectuelle et de
« science » politique ne peut
être apprécié justement que si
l'on rappelle quelques dates : à
l'heure même où le papier tom-
bait les grèves commençaient ;
trois jours après, le « Monde »
clamait « tout a changé, tout a
basculé » ; cinq jours plus tard
seulement la plus grande grève
du mouvement ouvrier français
commençait. Duverger avait
donné la preuve de ses connais-
sances sociologiques, il s'était
mis à la place des ouvriers,
simplement les ouvriers ne se
sont pas mis à sa place.
« La masse des travailleurs
n'est pas vraiment disposée à
la révolution. » Qui vous l'a dit ?
Votre connaissance de la classe
ouvrière, celle dont vous avez
donné une démonstration si bril-
lante le 15 mai ? Il n'y a dans
l'erreur qu'une vertu possible,
c'est la constance. Vous ne
l'avez même pas. En deux mois,
Maurice Duverger a présenté
aux lecteurs du « Monde » deux
classes ouvrières. La première
est « intégrée » et ne veut pas
de révolution (16 mai-12 juillet).
La seconde apparaît plus rare-
ment, elle n'est pas « entrée »
dans la « société de consomma-
tion » et si elle n'est pas révo-
lutionnaire, elle pourrait bien le
devenir : « Cependant la diffé-
rence entre étudiants et travail-
leurs n'est pas si grande qu'elle
parait. Les revendications des
grévistes ne seraient pas si in-
transigeantes si les ouvriers
n'avaient plus ou moins con-
science que la France vit une
période exceptionnelle où bien
des choses deviennent pos-
sibles. Ils ont été tant de fois
floués qu'ils n'osent croire à la
possibilité d'une révolution. Mais
ils rêvent eux aussi de change-
ments plus profonds que les
augmentations de salaires et le
retour aux quarante heures, sur-
tout parmi les jeunes. L'ensem-
ble des mouvements de contes-
tation a des bases communes. »
(« Le Monde », 31 mai.)
Deux idées de classe ouvrière
se bousculent dans cette sen-
tencieuse tête, nous préférons
la seconde, tout en sachant que
seule la pression des luttes ou-
vrières a permis qu'elle fran-
chisse les barrages des préju-
gés bourgeois vite rétablis.
UNE PENSEE DEBILE
L'incohérence des méthodes
d'explication redouble celle des
idées. Duverger utilise deux
poids et deux mesures selon
qu'il parle des travailleurs ou
des étudiants.
Les étudiants sont entraînés,
malgré eux : « Beaucoup d'entre
eux pensent plus aux cours et
aux examens qu'à la politique,
et souhaitent s'intégrer dans la
société plutôt que la renverser.
Mais ils sont entraînés par les
plus dynamiques. » Donc ici il
y a des meneurs, « quelques ex-
trémistes traditionnels », et une
masse fourvoyée.
Par contre les travailleurs,
eux, ne sont pas menés (dans
le sens contraire) par des direc-
tions politiques ou syndicales
réformistes, l'hypothèse est re-
jetée a priori. L'absence de vo-
lonté révolutionnaire « dans la
grande majorité des travailleurs
en mai dernier, sauf chez les
jeunes », n'était pas la consé-
quence du réformisme de la C.
G.T. et du Parti Communiste.
Au contraire, le réformisme de
la C.G.T. et du Parti Commu-
niste était le reflet de cette ab-
sence, qui tient elle-même à la
nature des sociétés indus-
trielles » (au passage on se sou-
viendra que un mois auparavant
I e s travailleurs simple.-nent
« n'osent plus croire à la révo-
lution » — la faute à qui ? —
et « ne sont pas encore entrés »
dans la société de consomma-
tion. Que de chemin parcouru
en un mois !).
Les organisations des travail-
leurs « reflètent » fidèlement la
volonté des travailleurs. Les or-
ganisations étudiantes « mè-
nent », « entraînent » diaboli-
quement les masses d'étudiants
sages. Faut-il qu'un sociologue
des « institutions politiques » ait
abandonné tout esprit critique
pour servir dans un même article
deux théories parfaitement con-
tradictoires entre elles et aussi
plates l'une que l'autre. Un jour,
il faudra raconter aux camarades
— ouvriers et scientifiques —
qui ne sortent pas des facultés
de lettres ou de droit comment
bon nombre de professeurs ont
réfuté le marxisme : ils l'avaient
réduit à son expression la plus
primaire « mécaniste », la « théo-
rie du reflet » qui date en fait
du XVIIe siècle. Et voilà que
M. Duverger — qui ne s'est pas
privé de la réfuter comme Don
Quichotte réfutait les moulins à
vent — la sort pré-cuite de ses
dossiers : les organisations
n'organisent pas, elles « reflè-
tent » simplement, innocemment
la volonté des masses.
Ce « théoricien » de la poli-
tique aurait pu s'épargner égale-
ment de recourir à la thèse po-
licière des « meneurs », il lui
suffisait de lire ce qu'écrivait,
dans le même journal, son con-
frère Jacques Fauvet (2).
Est-ce trop demander à un
docteur es sciences politiques
d'exiger qu'il aille chercher des
idées ailleurs que dans les pou-
belles des sous-préfectures,
qu'il comprenne qu'une organi-
sation n'est pas composée de
reflets ou de meneurs. Une or-
ganisation organise les masses
mal ou bien. Mal lorsqu'elle se
trouve en arrière des masses,
comme lorsque la direction ré-
(1) . Le Monde «, daté du 16 mai.
(2) « Que le pouvoir nous épargne à cet
égard les lieux communs sur les agitateurs
et la grève politique. Le monde est toujours
mené par des avant-gardes, des minorités,
agissantes ou non... • • Le Monde -, 19-20
mai 1968.
(Suite page 15.)
Prague
Moscou
Paris
(et Rio en dessins)
Dans l'espace et dans le temps, trois révoltes étudiantes ont ébranlé des régimes qui paraissaient iné-
branlables. Paris, Moscou, Prague : dans les trois cas, le mouvement né dans les Universités s'est étendu à
l'ensemble du pays. Les résultats ont été différents. Leur comparaison est instructive. Avec ce deuxième dos-
sier « Action *> invite chacun à tirer les enseignements de mai.
Par ailleurs, nous publions des dessins venus de Rio dont ceux de Sine sur la C.I.A., le service secret
de l'impérialisme américain.
VOICI une dizaine de jours, le
P.C.F. a réuni son Comité
central. Venant après la
crise révolutionnaire de mai-juin,
il s'agissait pour le P.C.F. de tirer
les leçons d'une bataille qui,
commencée chez les étudiants,
poursuivie par 10 millions de
grévistes, s'est achevée provi-
soirement sur un fiasco élec-
toral. Une fois de plus les tra-
vaux de ce Comité central se
sont déroulés à huis clos. La
résolution adoptée à la fin de
la session et surtout le rapport
introductif de Rochet permettent
cependant de se faire une idée
de l'interprétation que donne des
événements le P.C.F.
UNE DROLE DE MANIERE
D'ECRIRE L'HISTOIRE
En fait le rapport de Rochet
est très long (trois pages de
« l'Humanité ») parce qu'une lon-
gue partie est consacrée à un
historique du mouvement — ou
plus exactement à l'interpréta-
tion, qu'après coup, le P.C.F.
donne des événements.
Comme entre cette interpré-
tation et la réalité l'écart est
assez grand, c'est un travail la-
borieux. On avait déjà eu une
idée de la difficulté de cet exer-
cice en lisant l'éditorial de
« l'Humanité » au lendemain du
premier tour des élections. An-
drieu n'était-il pas allé jusqu'à
dire que les barricades de la
rue Gay-Lussac, c'est-à-dire cel-
les qui contribuèrent directement
au déclenchement des grèves,
avaient été édifiées avec la
complicité du pouvoir. Un mois
après cette énormité on attend
Comité central
du P.C.F.: l'aile
gauche du système
toujours la moindre preuve qui
puisse étayer cette affirmation.
Cette fois-ci, la remise en pers-
pective des événements est gé-
néralisée.
C'est ainsi que parlant du rôle
des barricades W.-Rochet af-
firme sans sourciller : « On a
abouti ainsi aux spectaculaires
barricades de voitures auxquel-
les on mettait le feu. Ces nuits
de désordre sans résultats pour
le mouvement étudiant ne pou-
vaient causer aucune inquiétude
au régime gaulliste. » Le secré-
taire général du P.C.F. pourrait-
il, par exemple, nous expliquer
comment ont été libérés nos ca-
marades qui avaient été empri-
sonnés avant le 10 mai ? En fait
ce mépris de la vérité n'est pas
fortuit : il s'agit pour le P.C.F.
de démontrer que tout ce qui
n'a pas été contrôlé par lui était
manipulé par le pouvoir ou pour
le moins nuisible. C'est ainsi
que le rapport reste très discret
sur le déclenchement des grè-
ves qui sont le témoignage le
plus éloquent de la conjonction
du mouvement ouvrier et du
mouvement étudiant.
ETUDIANTS ?
CONNAIS PAS
Tout de même cette entre-
prise de révision de l'histoire
immédiate a ses limites, parce
qu'il y a des choses dont il faut
bien parler, et notamment des
étudiants.
Un secteur où le P.C.F. n'a
jamais eu beaucoup de succès.
Cela n'empêche pas W. Rochet
de pourfendre les groupuscules
qui « comptent un nombre res-
treint d'adhérents », ce qui est
méchant pour l'U.E.C., l'organi-
sation étudiante du P.C.F., qui
compte notoirement moins
d'adhérents que certains des
« groupuscules » avant leur in-
terdiction. Cette attaque contre
les groupuscules n'est évidem-
ment pas nouvelle, elle est avi-
vée par l'échec électoral qu'a
subi le P.C.F. Pour justifier son
attaque le P.C.F., puisqu'il ne
peut opposer aux groupuscules
une organisation digne de ce
nom, tente d'opposer l'avant-
garde politique du milieu étu-
diant à la masse des étudiants,
qui n'aurait que des revendica-
tions corporatistes. C'est pour-
quoi, pour justifier l'attitude du
P.C.F. à l'égard des étudiants,
W. Rochet invoque... le plan Lan-
gevin-Wallon qui date de 1947.
Il se garde bien d'indiquer que
la critique du stalinisme, le sou-
tien des luttes des peuples co-
loniaux (notamment algérien), le
soutien au peuple vietnamien
sont autant de questions qui ont
contribué, d'une manière ou
d'une autre, à accroître la rup-
ture entre le P.C.F. et les étu-
diants. L'existence des groupus-
cules n'est pas comme il est
dit normale, compte tenu de « la
propension de la petite bour-
geoisie, spécialement de la pe-
tite bourgeoisie intellectuelle, à
la phrase et à la pose ultra-
révolutionnaires, anarchisantes
et peusdo-romantiques » ; au
contraire l'existence des grou-
puscules est normale dans la
mesure où elle reflète les divi-
sions de ce que, faute d'un
autre terme, il faut continuer
d'appeler le mouvement ouvrier
international. Aucun des grou-
puscules n'a, quant à l'esprit
petit bourgeois, de leçon à rece-
OEMOCRA CIA
P.C.F. (suite)
voir de la direction d'un parti
qui osa pour piper les voix des
« cadres » défendre la nécessité
des résidences secondaires.
Passons sur le grotesque qu'il
y a à considérer comme petits
bourgeois tous les marxistes qui
n'ont pas approuvé l'orientation
prosoviétique du mouvement ou-
vrier : Ho Chi Minh, Mao, Cas-
tro, Guevara sont des petits
bourgeois ?
En prétendant, contre toute
l'expérience que nous venons
de vivre, réduire le mouvement
étudiant à une dimension corpo-
ratiste, le P.C.F. offre implicite-
ment aux gaullistes une alliance
qu'il a déjà noué plus d'une fois
au sein de l'U.N.E.F. : celle de
l'U.E.C. et des éléments les plus
à droite du milieu étudiant.
DES OUVRIERS
GARDIENS D'USINE
La manière dont est considéré
le mouvement de grève est-elle
aussi révélatrice d'un refus de
prendre en considération des
actions de masse de caractère
révolutionnaire comme moyen
politique indispensable pour la
satisfaction des aspirations des
travailleurs.
Le rapport indique bien que
les causes profondes de la grève
existaient depuis longtemps.
C'est évident puisque jusqu'à
nouvel ordre nous sommes dans
un régime capitaliste. Ce qui est
moins évident c'est d'expliquer
pourquoi les grèves se sont dé-
clenchées le 13 mai et surtout
pourquoi elles ont immédiate-
ment revêtu le caractère de
grève avec occupation d'usine.
Alors que G. Séguy, à la sortie
des négociations de Grenelle,
déclarait que la C.G.T. n'avait
pas donné de mot d'ordre de
grève générale, W. Rochet n'a
pas un mot pour expliquer ce
débordement des partis et des
directions syndicales par l'ac-
tion ouvrière. Mieux, il minimise
l'importance des occupations
d'usines. Dans se rapport fleuve
où on n'hésite pas à évoquer
l'incendie du Reichstag pour
mettre en garde contre les
« gauchistes », les occupations
d'usines ont droit à sept lignes
qui vantent « le soin qu'ils (les
ouvriers) ont apporté à veiller
sur les machines et à éviter
toute dégradation, comme à
écarter parfois les conseilleurs
venus du dehors qui n'auraient
pas été les payeurs, tout cela
a été pour le succès un atout
puissant. Les ouvriers ont oc-
cupé les usines mais ils les ont
aussi protégées, la presse ad-
verse l'a elle-même reconnu ».
En d'autres termes, en sept li-
gnes, W. Rochet rabaisse le rôle
des ouvriers grévistes à celui
de gardien d'usine et se félicite
de ce qu'il n'y ait eu que relati-
vement peu de contacts entre
travailleurs et étudiants. Pas-
sons sur le recours à l'adver-
saire pour justifier son attitude
politique. Les patrons ont en
effet reconnu le « rôle positif »
de la C.G.T. dans cette affaire.
Cela veut simplement dire que
le patronat a suffisamment d'in-
telligence pour comprendre que
dans la mesure où la bureau-
cratie syndicale s'opposait à ce
que les usines ou même sim-
plement leurs abords deviennent
des lieux de rencontre, on avait
la garantie que le mouvement
de grève, quelle que soit sa
durée, ne dépasserait pas un
certain cadre politique. L'atti-
tude du P.C.F. et de la C.G.T.,
que justifie le rapport au Co-
mité central, est très semblable
à celle des grandes unions syn-
dicales américaines, qui mènent
des grèves longues mais qui
n'ont jamais, un tant soit peu,
remis en cause le système.
LE MEPRIS
DES TRAVAILLEURS
Les résultats des élections
syndicales dans les entreprises
de la métallurgie parisienne, qui
se sont traduites par un tasse-
ment des voix de la C.G.T., in-
diquent que le rôle de la C.G.T.
dans la grève est remis en cause
à la base. Pour défendre cette
ligne, W. Rochet n'a trouvé
qu'une explication tirée par les
cheveux :
* En effet, le calcul du pouvoir
était simple : face à une crise
qu'il a lui-même provoquée par
sa politique antisociale et anti-
démocratique, il a escompté uti-
liser cette crise pour porter un
coup décisif et durable à la
classe ouvrière, à notre parti,
à tout le mouvement démocra-
tique. » Curieux raisonnement
que celui où on ne fait entrer
en ligne de compte que les
initiatives du pouvoir et jamais
celles des travailleurs. On ne
fait pas mieux dans le mépris !
Si on comprend bien W. Rochet
la meilleure preuve que le P.C.F.
a eu raison de ne pas en faire
plus c'est que le gaullisme mène
une politique antisociale. Il ne
faut pourtant pas être très
expert pour comprendre que le
patronat et le gouvernement se
seraient bien passés d'un mois
d'arrêt de la production.
LA LEGALITE WALDECK
AUSSI S'EN EST FOUTU
Pour mieux faire avaler ce
raisonnement Rochet prétend
que le choix à faire en mai était
entre une action de grève dans
CIA
le cadre de la légalité ou la
grève insurrectionnelle.
Où Waldeck Rochet a-t-il en-
tendu un appel à l'insurrection ?
Dans la situation de mai le
mouvement de grève était suffi-
samment fort pour que, par
contre, soit proposée, en diffé-
rents endroits, l'organisation de
la production au profit des gré-
vistes. En réalité le choix n'a
jamais été entre l'insurrection et
la légalité. Dès le départ, le
mouvement de grève était « illé-
gal » puisque les préavis de cinq
jours n'ont pas été respectés.
« Illégales » les occupations de
faculté. « Illégaux » les collages
d'affiches sur les panneaux ré-
servés à la publicité. « Illégales "
les manifestations pour lesquel-
les l'avis de la préfecture n'a
pas été demandé. Le choix
n'était pas entre la guerre civile
et la légalité. La guerre civile
c'est, quand elle a lieu, toujours
la réaction qui la déclenche,
après la prise du pouvoir par
les révolutionnaires (voir « Ac-
tion " de la semaine dernière).
Ce qui était en question en
mai c'était de savoir comment
le mouvement général pouvait
être porté plus avant. Le P.C.F.
n'a fourni aucune réponse à
cette question, sauf celle des
élections, et c'est là qu'il a été
battu.
INEP CIA
OU LE P.C.F. SE DONNE
UNE LEÇON
La justification de cette atti-
tude c'est que « entre le 25 et
le 30 mai, nous avons assisté
à une véritable campagne d'in-
toxication destinée à faire croire
que l'Etat gaulliste s'était prati-
quement liquéfié, qu'il n'y avait
qu'à se baisser pour en prendre
la succession ». Passons sur le
fait qu'encore une fois Rochet
raisonne comme si le pouvoir
seul avait eu l'initiative. Passons,
car dans sa volonté d'autojus-
tification Rochet finit par se
donner à lui-même une leçon :
comment se fait-il, en effet, que
c'est précisément le jour où de
Gaulle quittait l'Elysée que la
C.G.T. rassemblait pour une fois
des centaines de milliers de tra-
vailleurs non plus pour crier
« Chariot des sous ! », mais
« gouvernement populaire ! » ?
Comment se fait-il que si le recul
du pouvoir était purement tac-
tique le P.C.F. et la C.G.T. ne
l'aient pas dénoncé devant les
masses ? En réalité il s'agit
d'une interprétation a posteriori.
Quand les batailles sont per-
dues on trouve toujours des gé-
néraux, et des secrétaires géné-
raux, pour expliquer qu'il ne
pouvait pas en être autrement.
LES ELECTIONS
C'est au même genre de plai-
santerie que se livre Rochet pour
nous parler des élections. Ne
dit-il pas : « Mais parce que
URGEN CIA
notre parti a évité l'épreuve de
force que souhaitait le pouvoir,
de Gaulle s'est résolu à exploi-
ter la situation d'une autre ma-
nière en annonçant, le 30 mai,
la dissolution de l'Assemblée
nationale et en fixant précipi-
tamment les élections aux 23 et
30 juin » (c'est nous qui souli-
gnons). Alors qu'à partir de la
mi-mai le P.C.F. n'a cessé de
réclamer des élections (comme
le rappelait « l'Humanité Diman-
che » le jour du premier tour),
voilà qu'il crie maintenant au
voleur. Au lieu de reconnaître
honnêtement que le recours à
l'électoralisme a été un coup
fatal porté au mouvement, une
erreur. Cela la direction du
P.C.F. refuse de l'admettre car,
comme tout appareil bureaucra-
tique qui se respecte, elle refuse
de se remettre en cause. Ce
qu'on propose comme explica-
tion c'est que le vote des tra-
vailleurs, le 23 et le 30 juin, « a
beaucoup plus été une condam-
nation des barricades et des
émeutes qu'un acte de confiance
dans le gaullisme ». Comment
peut-on se contenter de ce
pseudo - raisonnement qui em-
ploie le vocabulaire du « Figaro »
et de la réaction de tout temps
(pour les Versaillais aussi la
Commune était, à son début, une
émeute) alors que ces mêmes
barricades ont permis le déclen-
chement des grèves ? Conduit
sur le terrain électoral par un
parti incapable de réagir, même
entre le premier et le second
6
tour, les travailleurs ont voté de
Gaulle parce que précisément,
le 23 juin, de Gaulle était vrai-
ment le seul pouvoir en France,
puisque l'arme de la grève avait
été abandonnée par Séguy et
son bureau confédéral contre un
plat de lentilles.
UNE LIGNE MODERNISTE
EN FAILLITE
II n'est pas étonnant alors que
pour expliquer son échec le
P.C.F., qui, sans leur avis, a
contraint les travailleurs à aller
aux urnes, cherche un bouc
émissaire sur qui se déchargera
la colère de militants qui ont
confusément senti que beau-
coup plus était possible.
D'un geste auguste, Rochet
les a désignés à son Comité cen-
tral : les gauchistes, c'est-à-dire
tout ce qui est, peu ou prou, à
la gauche du P.C.F. Et profitant
de l'occasion, pour la première
fois dans un Comité central le
P.C.F. qui, dans l'Humanité,
s'était déjà demandé « pourquoi
Ché Guévara est-il allé mourir
en Bolivie ? » condamne, sans
examen, le « guévarisme ». Les
méthodes bureaucratiques res-
tent les mêmes, mais les temps
ont changé. En condamnant les
gauchistes, le P.C.F. condam-
ne toute l'expérience révolution-
naire qui vient d'avoir lieu. Une
expérience qu'il n'a ni impulsée,
ni dirigée, ni développée. Il a es-
sayé de tirer les marrons du feu
pour un peu mieux jouer le rôle
d'un parti de gouvernement dans
un système qu'il refuse de re-
mettre en question. Il a sous-
estime la chaleur du foyer, il
s'est brûlé les doigts et naturel-
lement il accuse le foyer au lieu
de s'en prendre à lui-même.
Le vieux réflexe sectaire est
une fois de plus exploité : quand
on vient de subir une défaite
on fait appel à la foi et on res-
serre les rangs. Ce qui a été
battu c'est la ligne d'acceptation
de la société capitaliste moder-
ne. Au lieu d'analyser sérieuse-
ment ce qui se passe, c'est-à-
dire de faire, comme toute orga-
nisation révolutionnaire, un enri-
chissement théorique, le P.C.F.
agite fébrilement quelques épou-
vantails sortis du magasin des
accessoires et tient un discours
qui prend des libertés avec la
réalité. Ce n'est pas de la théo-
rie, c'est du dogme, de la doc-
trine.
Voilà des années que le
P.C.F., d'un ton ronflant de vieil
orateur radical, appelait de ses
vœux un « mouvement d'une
ampleur inégalée ». Maintenant
qu'il a eu lieu, il en a peur. La
vérité seule est révolutionnaire.
Le P.C.F. lui tourne le dos.
Tchécoslovaquie :
Drôle de modèle
Avec la « question tchécoslo-
vaque », le processus de dé-
composition du système stali-
nien est en train d'entrer dans
une nouvelle phase. Depuis la
mort de Staline, cette évolution
a connu bien des vicissitudes ;
elle n'a pas pu être arrêtée. De j
la chute de Béria à la chute de
Novotny, c'est tout un système
de pensée et de gouvernement
qui s'effondre à travers des cri-
ses successives, parfois des
drames. Douze ans après Bu-
dapest, le spectre de l'interven-
tion soviétique réapparaît. Si
elle n'a pas lieu, ce ne sera pas
le signe de l'intelligence poli-
tique de l'U.R.S.S., mais de sa
faiblesse. Aujourd'hui, les blin-
dés soviétiques se concentrent
aux frontières de la Tchécoslo-
vaquie, alors que des armes
manquent au Vietnam. On peut
mesurer la dégradation du
camp socialiste.
Que signifie la crise des re-
lations entre Prague et Mos-
cou ? Est-ce le heurt entre une
bureaucratie moderniste et une
bureau cratie rétrograde ?
S'agit-il d'une nouvelle voie
vers le socialisme, voie adap-
tée aux sociétés industrielles ?
La question mérite d'être po-
sée, au moment où en France
tout un courant de pensée, es-
sentiellement représenté par le
Nouvel Observateur, essaie de
présenter ce qui se déroule à
Prague comme une réponse au
mouvement qui s'est produit en
France en mai. Pour répondre à
ces questions, il importe d'ana-
lyser la genèse du processus
qui a engendré le - printemps
tchèque » et le contenu de la
politique préconisée par la nou-
velle direction tchécoslovaque.
On a coutume de dire que le
communisme n'a jamais triom-
phé que dans des pays écono-
miquement arriérés ; ce n'est
pas vrai de la Tchécoslovaquie.
Sans être aussi avancées que
d'autres régions de l'Europe
occidentale, la Bohême et ',5
Moravie possédaient ep.t>-e |es
deux guerres mondi^'es une so-
lide infrastrjC'lUre industrielle.
Avanta.p^e économiquement, la
Tchécoslovaquie l'est aussi po-
litiquement, puisque c'est un
parti communiste très forte-
ment implanté (32 % des voix
aux élections de 1947) qui
prend légalement le pouvoir en
1948.
Ces « avantages » expliquent
pour une bonne part le destin
particulier de la Tchécoslova-
quie. Malgré le handicap d'une
reconversion industrielle diffi-
cile (l'économie tchèque était
orientée vers l'Occident ; le
partage du monde en deux
blocs l'a contrainte à une réo-
rientation), la Tchécoslovaquie
est la seule démocratie popu-
laire où le socialisme s'est ac-
compagné de conquêtes socia-
les réelles : écrasement de la
hiérarchie des salaires, promo-
tion massive des cadres ou-
vriers, démocratisation de l'en-
seignement, gratuité de la mé-
decine, stabilité de l'emploi.
L'expansion a été rapide : sur la
base 100 en 1948, le revenu
national se trouve à l'indice 272
en 1962.
Avec l'Allemagne de l'Est, la
Tchécoslovaquie sera la démo-
cratie populaire où les efforts
de la déstalinisation seront les
plus lents. Le régime de Ber-
lin-Est se maintient parce qu'il
est faible : si l'on ouvrait les
vannes, il serait immédiatement
balayé. A Prague, le régime sur-
vit parce qu'il est fort. 1956, le
XX Congrès et la déstalinisa-
tion provoquent, en Pologne et
en Hongrie, la débandade de
partis communistes dont les
dirigeants sont discrédités. La
Tchécoslovaquie reste à l'écart
du mouvement qui atteint ses
deux voisins. Le P.C. tchécos-
lovaque est une machine so-
lide, bien implantée dans le
pays.
Il n'y a d'ailleurs pas d'équipe
de rechange. La seule figure de
proue, Slansky, a disparu, vic-
time du délire antisémite qui
saisit Staline à la fin de sa vie.
La dernière des grandes purges
a atteint l'un des plus impor-
tants dirigeants tchécoslova-
ques, d'origine juive : Rudolph
Slansky, l'organisateur des mi-
lices ouvrières pendant les
journées de février 1948. C'est
à sa participation au procès
qu'Anton Novotny, dirigeant de
second plan en 1946 doit son
ascension. Il devient le n° 1 en •
1953, à la faveur de !a mort
prématurée de Gptt^'did due à
une pneumonie* contractée pen-
dant les obsèques de Staline.
" rCstera au pouvoir pendant
quinze ans.
Pendant quinze ans, la Tché-
coslovaquie va être une démo-
cratie populaire « modèle », fi-
dèlement alignée sur l'U.R.S.S.
Pourtant, dès 1962, les éléments
d'une crise apparaissent. Elle a
trois composantes. Crise poli-
tique : la pesante tutelle du P.C.
et des services de police sur la
vie sociale et politique est de
plus en plus difficile à suppor-
ter ; les intellectuels se font les
porte-parole d'un sentiment gé-
néral. Crise nationale : malgré
les efforts incontestables pour
industrialiser la région, la Slo-
vaquie reste la parente pauvre ;
le monople politique et admi-
nistratif des Tchèques est pe-
(Suife page 10)
ABONNEZ-VOUS A ACTION EN ENVOYANT QUINZE FRANCS A MADAME JALLAUD, 204, RUE DE LA CROÏX-NIVERT, PARIS (XVe).
TCHÉCOSLOVAQUIE
(Suite de la page 7)
sant pour une population sous
tutelle depuis des siècles. Crise
économique : depuis 1962 l'éco-
nomie tchèque entre dans une
période de crise : en 1963 le
revenu national diminue ; il
reste stationnaire en 1964.
Ce phénomène, proprement
impensable pour les théoriciens
de la croissance ininterrompue
des pays socialistes, s'explique
aisément. Les modèles de la
planification autoritaire et cen-
tralisée, qui sont d'une relative
efficacité dans les périodes de
pénurie, sont totalement inadap-
tés à la gestion d'une écono-
mie complexe où les données
quantitatives l'emportent sur
les données qualitatives. Le
manque de fluidité de la main-
d'œuvre, la fin de la terreur
stalinienne (qui avait comme
seul avantage d'aiguillonner le
bureaucrate) se sont ajoutés
aux carences de l'organisation
économique.
Ces problèmes ne sont pas
particuliers à la Tchécoslova-
quie. Mais c'est en Tchécoslo-
vaquie qu'ils sont les plus brû-
lants. Pour deux raisons :
d'abord parce que la Tchécos-
lovaquie a atteint un niveau de
développement très élevé, en-
suite parce qu'elle ne peut plus
alimenter sa croissance écono-
mique (comme le font tous les
pays socialistes y compris l'U.R.
S.S.) par un prélèvement de
main-d'œuvre industrielle dans
la masse paysanne. C'est en
Tchécoslovaquie qu'est élabo-
rée la réforme économique la
plus audacieuse.
Pour son initiateur, Ota Silk,
la différence entre le capitalisme
et le socialisme ne réside pas
dans le fait que l'économie so-
cialiste soit dispensée de tenir
compte des mécanismes de mar-
ché qui régissent l'économie ca-
pitaliste. La différence est de
nature qualitative, elle porte sur
le régime de la propriété, sur
I e s objectifs de l'économie.
L'économie socialiste doit être
efficiente. Si cette efficience im-
plique le recours aux mécanis-
mes du marché, cela ne doit
pas effrayer les réformateurs.
Les mesures adoptées en 1965
s'inspirent de ces principes :
elles créent un marché où pourra
s'exercer la concurrence entre
les entreprises. Pour leurs pro-
pres fournitures, les entreprises
pourront avoir recours au mar-
ché des biens de productions
et des matières premières. Ces
marchés ne sont pas totalement
libres : le planificateur fixe en-
core certains prix et définit une
marge de variation pour d'au-
tres. Une autonomie considé-
rable est laissée aux entreprises
qui peuvent désormais choisir
leur fournisseur et adapter leur
production à la demande de
leurs clients. La réforme modi-
fie surtout les critères en fonc-
tion desquels l'activité de l'en-
treprise sera jugée : les indices
sont remplacés par la rentabi-
lité financière. L'entreprise sera
jugée sur ses bénéfices. Cela
signifie que l'entreprise devra
vendre sa production c'est-à-dire
s'adapter aux demandes de ses
clients — et produire au moin-
dre coût. Les bénéfices obtenus
seront partagés en trois par-
ties : une part revient à l'Etat,
une part peut être affectée au
fonds d'investissement tandis
que la troisième viendra récom-
penser sous forme de primes les
ies travailleurs les plus produc-
tifs.
Les mesures prises, la philo-
sophie sous-jacente de la ré-
forme indiquent bien l'orientation
générale des jeunes turcs de
l'économie tchécoslovaque. La
critique de l'état antérieur est
EVIDEN CIA
purement technique ; il s'agit de
décrire les disfonctionnements
de la machine économique. En
conséquence les solutions pro-
posées sont, elles aussi, d'ordre
purement technique. Cette vola-
tilisation des problèmes politi-
ques sous-jacents révèle une
inspiration technocratique (que
les communistes chinois pour-
raient interpréter comme une
étape vers la restauration du
capitalisme).
La nouvelle économie tchèque
heurte de front les dogmes « sta-
liniens ». Elle met en cause les
intérêts acquis : tous les diri-
geants d'entreprise incapables,
qui doivent leur ascension à des
intrigues politiques, craignent de
voir leur mauvaise gestion mise
à nue. On risque de se rendre
compte que certaines usines
produisent des marchandises in-
vendables qui s'entassent dans
les entrepôts des magasins. Plus
généralement, la réforme met en
cause le contrôle de l'appareil
du Parti sur la vie économique.
La vieile garde communiste voit
d'un mauvais œil l'accroisse-
ment du pouvoir des directeurs
d'entreprises, des « technocra-
tes » socialistes.
Ces derniers sont les princi-
paux bénéficiaires de la ré-
forme. Lorsque l'on parle de
l'autonomie accrue des entre-
prises c'est de leur autonomie
à eux qu'il s'agit. Ils souffrent
de la tutelle pesante des
fonctionnaires incompétents du
parti. Ce sentiment est particu-
lièrement vif dans la jeune gé-
nération (30 à 40 ans) de diri-
geants, ceux qui n'appartien-
nent pas à cette génération de
militants d'origine ouvrière ar-
rivée au pouvoir en 1948; ceux
qui sont passés par les uni-
versités socialistes.
INCANDESCEN CIA
La classe ouvrière n'est pas
directement concernée par ce
débat ; d'ailleurs, au départ on
ne lui demande pas de se pro-
noncer. Certes la relance de
l'expansion économique favori-
sera la croissance du niveau de
vie et de nouvelles primes vien-
dront sanctionner les efforts des
meilleurs ouvriers. Mais la ré-
forme, c'est aussi la fin des
« planques » : l'accroissement
de la mobilité de la main-
d'œuvre signifie conversions,
déplacements, peut-être même
chômage.
La crise tchécoslovoque
s'ouvre au mois d'octobre 1967.
Elle est le produit d'une conver-
gence : communistes slova-
ques, irrités par la prééminence
donnée aux Tchèques par No-
votny dans la vie nationale, et
réformateurs d e l'économie
mécontents de la résistance pas-
sive qui, à tous les échelons,
bloque la généralisation des
nouvelles méthodes. Comme
toutes les crises de la déstali-
nisation, elle s'ouvre au som-
met et en secret. Elle ne de-
vient publique que lorsqu'elle
est réglée: le 5 janvier 1968, No-
votny est remplacé au secré-
tariat du Parti par A. Dubcek.
La lutte s'est déroulée dans
l'ombre, au sein du petit cer-
cle des dirigeants.
La loi non écrite des pays
socialistes fait du leader du
parti comuniste le dirigeant du
pays. Les organes de l'Etat lui
sont subordonnés. C'est au sein
du comité central, organe qui
élit le secrétaire du parti, que
se déroulent les « crises minis-
térielles ». La règle du jeu veut
que les décisions du comité cen-
tral soient sans appel. Battu de-
vant l'instance suprême du parti,
le dirigeant déchu s'incline :
Malenkov, Molotov, Kagane-
vitch, Boulganine, Khrouchtchev
ont connu ce chemin.
L'épisode se serait réduit à une
« déstalinisation » par en haut,
comme les pays socialistes en
ont connu tant, si Novotny avait
accepté la règle du jeu. Mais
Novotny ne se tient pas pour
battu : resté président de la Ré-
publique, il organise la résis-
tance à la nouvelle direction.
L'épreuve de force est alors
inévitable. Une affaire sordide,
la fuite du général Sejna aux
U.S.A., en fournit l'occasion.
Une campagne se déclenche
pour la démission du président
de la République. C'est chose
faite le 22 mars.
Cette ultime bataille a eu une
conséquence fondamentale. Les
masses populaires, qui avaient
suivi, avec sympathie mais pas-
sivement, la lutte au sommet
pour le pouvoir, ont été appe-
lées à intervenir pour trancher le
conflit que l'appareil du parti
ne peut résoudre. Dès lors c'est
l'équilibre politique de la Tché-
coslovaquie qui est modifié.
La conséquence la plus visible
c'est l'accélération brusque du
processus de démocratisation ;
la presse trouve une liberté de
parole totale, les intellectuels
conquièrent la liberté d'expres-
sion, les réhabilitations s'effec-
tuent à un rythme accéléré.
L'appui populaire renforce au
sein du parti les courants favo-
rables à une démocratisation
rapide, isole les conservateurs
Novotnystes, lie les éléments
centristes qui désireraient con-
tenir le mouvement. Les pres-
sions soviétiques, d'abord dis-
crètes, puis de plus en plus vio-
lentes ont le même effet que la
mauvaise volonté de Novotny.
Chaque attaque de la Pravda,
chaque soldat soviétique pré-
sent en Tchécoslovaquie ou à
ses frontières renforcent le
poids des masses populaires
dans le jeu politique tchèque.
CIA
S'il est important de rappeler
ces éléments, c'est pour met-
tre en évidence que rien ne dé-
montre que la solution des pro-
blèmes posés en France par le
mouvement de Mai se trouve
dans l'expérience de Prague.
C'est se tromper sur le contenu
des mots que de s'imaginer
que les problèmes posés sont
identiques. Si, comme à Prague,
le mouvement de Mai s'est posé
le problème du fonctionnement
10
d'une économie socialiste, ce
n'est pas au niveau d'une res-
tauration des catégories mar-
chandes (marché, prix, bénéfi-
ces...) qu'il peut chercher la so-
lution. Si, comme à Prague, le
mouvement de Mai s'est posé
les problèmes de la démocratie
et du socialisme, ce n'est pas
au niveau de la liberté de la
presse et de la concurrence en-
tre les partis qu'il se les est
posé.
Les questions qui ont été au
cœur de l'expérience de Mai
(la gestion ouvrière, la gestion
directe, le contrôle permanent
des dirigeants par la base) n'ont
pas été posées par les dirigeants
actuels de la Tchécoslovaquie.
La façon même dont s'est en-
gagé le nouveau cours, la sur-
vie trop longue d'un Comité
central discrédité, l'appel tardif
au jugement des masses et les
limites apportées à leur inter-
vention ne peuvent être tenus
pour des modèles de règlement
politique.
Faut-il, pour autant, se désin-
téresser de l'issue du conflit
entre Prague et Moscou ? Faut-
il après avoir condamné Novot-
ny pour stalinisme, condamner
Dubcek pour déviation droitiè-
re ? Ce serait une grave erreur.
Il faut en effet tenir compte de
ce qu'était la Tchécoslovaquie
avant 1968. Si le mouvement,
aujourd'hui, y prend parfois des
formes aberrantes, c'est parce
qu'il est le produit de 20 ans
de gâchis économique, de 20
ans de docilité à l'égard de
l'U.R.S.S., de 20 ans de répres-
sion policière, qu'après cela, les
aspirations des masses concer-
nent la garantie des libertés po-
litiques et le développement de
la consommation est peut être
regrettable ; c'est en tout cas
normal et peut-être inévitable.
Mais ce qui est fondamental
c'est que les masses tchécoslo-
vaques sont en train de réap-
prendre que la politique existe
et qu'il leur est possible d'inter-
venir dans leur propre destin.
C'est une leçon qu'elles n'ou-
blieront pas de sitôt. Ce qui est
important c'est que grâce à la
liberté d'expression, un courant
de gauche peut exister, s'expri-
mer et se structurer en Tché-
coslovaquie. L'expérience qui
se déroule aujourd'hui en Tché-
coslovaquie a un mérite impor-
tant : elle fournit les conditions
nécessaires à la naissance
d'une critique authentiquement
socialiste dans les sociétés qui
se disent telles.
Lettre de Prague
Chez nous, la coupure entre
la vie étudiante et la vie sociale
est probablement moins grande
qu'en France. Cela est vrai au
niveau du recrutement social
(plus de 40 % de fils d'ouvriers
et de paysans à l'Université),
au niveau de la nature de l'en-
seignement et surtout au niveau
de la répartition des étudiants
par disciplines : il y par exem-
ple 3 fois plus d'étudiants en
Construction mécanique que
d'étudiants en philosophie.
Ce qui fait qu'une série de
contradictions internes qui exis-
tent à la Sorbonne (• inadapta-
tion » de l'enseignement tradi-
tionnel aux nécessités mêmes du
capitalisme moderne) sont plus
faibles chez nous ; mais par
contre le milieu étudiant est
peut-être plus directement sen-
sible à la crise que traverse la
société tchécoslovaque.
Nous n'analyserons pas ici les
causes de cette crise. Disons
simplement qu'elle est générale :
elle traverse tous les pays dits
socialistes. Mais chez nous,
pays hautement industrialisé,
elle a pris récemment un carac-
tère aigu du fait de la contra-
diction entre un abandon quasi
général des « principes » (?) de
planification stalinienne et du
mode de fonctionnement des
instances politiques et cultu-
relles toujours aussi monolithi-
ques et ossifiées. La Tchécos-
lovaquie n'avait même pas
connu de XXe Congrès sur le
plan politique.
La seule forme d'organisation
politique des étudiants était
l'Union Tchécoslovaque de la
Jeunesse : la C.S.M. Créée
dans les années 48, elle regrou-
pait au départ (moitié par en-
thousiasme — les réalisations
pour la jeunesse du nouveau ré-
gime étaient incontestables, moi-
tié par contrainte morale) une
partie écrasante de la jeunesse :
tous les étudiants, des lycéens,
des jeunes ouvriers et paysans,
les soldats qui faisaient leur
service. Mais à partir de 1956,
c'était devenu quelque chose de
très formel, totalement dominé
par ce Parti : sa fonction était
en quelque sorte d'organiser
• la désorganisation » politique
des couches jeunes qui com-
mençaient à sentir qu'il fallait
que ça change.
En 1963, dans quelques facul-
tés de Prague (les constructions
mécaniques, les lettres, la phy-
sique nucléaire) un mouvement
plus organisé commence à ap-
paraître. Les étudiants deman-
dent une nouvelle structure à
la C.S.M. qui regroupait alors
presque tous les étudiants et
lycéens, mais très peu de
jeunes ouvriers, paysans ou sol-
dats. Ils demandaient la recons-
truction de la C.S.M. en plu-
sieurs secteurs pour permettre
au moins un début de contrôle
plus démocratique. Le résultat :
la répression qui expulse de la
faculté et envoie les « meneurs »
au service militaire.
En octobre 1967, après la ré-
pression contre les écrivains
(interdiction de leur hebdoma-
daire * Literari noviny »), les
étudiants manifestent contre les
mauvaises conditions de vie
dans la plus grande résidence
universitaire de Prague : Stratov.
Exaspérés par les pannes
permanentes d'électricité, ils se
dirigeaient, une bougie à la main,
vers le château. Peut-être la po-
lice s'est affolée et a cru au
début de la révolution, toujours
est-il que la dispersion a été
extrêmement violente : plusieurs
dizaines de blessés et d'arres-
tations. Soutenus par les ensei-
gnants, les écrivains, les jour-
nalistes, par le comité du Parti
de la Faculté des Lettres, par
le comité universitaire du
Parti de Prague, les étu-
diants commencent une lutte
comme on n'en n'avait jamais
vu chez nous contre les calom-
nies et les mensonges dont ils
sont accablés (1).
Incontestablement, cette lutte
a servi d'élément catalyseur aux
combats de fraction qui se dé-
roulaient à l'intérieur du Parti
entre « les libéraux » et les
« conservateurs » et qui se sont
terminés par la victoire des •< li-
béraux » en mars 7968.
Actuellement les étudiants
quittent massivement la C.S.M.,
les anciens comités de la C.S.M.
donnent leur démission. La ten-
dance est de former à la base
des organes d'autogestion étu-
diants, le plus souvent appelés
« Conseils académiques d'étu-
diants » (A.R.S.) dans toutes les
facultés.
En avril, s'est formé le parle-
ment étudiant de Prague et en
juin le Comité préparatoire de
l'Union des étudiants tchèques
et de l'Union des étudiants slo-
vaques.
Derrière ces structures larges
qui rassemblent la masse des
étudiants, commencent timide-
ment à apparaître des cristalli-
sations politiques. Des groupes
de réflexion de 10 a 50 étudiants
se sont formés à la Faculté des
Lettres, aux Constructions mé-
caniques et à l'Agriculture.
Et c'est peut-être là un des
phénomènes les plus importants
à terme : il y a eu entre octobre
1967 et mai 1968 une politisa-
tion extraordinairement rapide
de couches traditionnellement
cyniques et désabusées. Bien
entendu, la politique étant fina-
lement quelque chose de très
neuf pour nous, tout ceci a lieu
dans une extrême confusion
idéologique. Illustrons ceci par
quelques exemples :
— Une délégation de 70 étu-
diants de lettres et d'agricul-
ture est venu manifester devant
l'ambassade de France son sou-
tien à la lutte des étudiants
français. Ceci a suscité de nom-
breuses critiques à l'A.R.S.
Cette manifestation était-elle
opportune au moment de la vi-
site du général de Gaulle en
Roumanie ? Tandis que d'autres
étaient tout à fait opposés : il
n'était pas question pour eux
de soutenir les « bolcheviks »
de Paris.
— // ya eu une manifestation
et une collecte pour le Biaffra.
— Une campagne a été ou-
verte pour la reprise de rela-
tions diplomatiques avec Israël
qui a recueilli 12000 signatures
en 8 jours. L'idée étant que nous
avons rompu ces relations pour
obéir aux Soviétiques...
— Le 1" mai, il y eut une
manifestation de solidarité avec
les étudiants polonais devant
l'ambassade de Pologne et une
marche à Strakov. Invitation fut
envoyée aux universitaires pour-
suivis de travailler en Tchécos-
lovaquie. Le parlement étudiant
de Prague a tiré à 500 exemplai-
res en tchèque la * lettre ouverte
au Parti Ouvrier Unifié Polo-
nais » de Modzelewski et de
Kuron.
— La critique des nouveaux
procès de Moscou (Daniel Si-
niavski, Ginsburg, etc.) dans
l'hebdomadaire « Student » qui
publie également des études de
l'œuvre de Deutscher.
— Des contacts noués avec
le S.D.S. et un certain courant
de sympathie avec R u d i
Dutschke.
Il est probable que pour les
courants révolutionnaires occi-
dentaux, le mouvement étudiant
tchécoslovaque doit apparaître
comme « de droite ». Mais il
serait dogmatique de se borner
à dire cela.
Peut-on dire qu'il est plus à
droite qu'à l'époque de Novotny?
Disons seulement que mainte-
nant on peut voir la vérité : c'est-
à-dire ce qui se dissimulait der-
rière le masque stalinien de la
C.S.M. de Novotny et de ses
amis qui ont entretenu 20 ans,
au nom du marxisme, un univers
policier qu'ils appelaient — la
bourgeoisie internationale éga-
lement — le socialisme.
De ce régime, la jeunesse et
toute la population tchécoslova-
que avaient assez. Que beau-
coup alors rejettent avec le sta-
linisme, peu ou prou de socia-
lisme, qui s'en étonnera ? Mais
les conditions sont maintenant
plus favorables à la réhabilita-
tion de la plus grande victime
de Novotny : le socialisme.
Pour cela, l'appui de la jeu-
nesse révolutionnaire et résolu-
ment anti-bureaucratique d'Eu-
rope Occidentale sera d'un
grand secours.
(1) Les étudiants ont obtenu satisfac-
tion sur tous ces points : la police a
officiellement présenté ses excuses,
les étudiants blessés ont été indemni-
sés et désormais chaque poHcier en
service porte un numéro bien visible.
(2) Cette lettre contient une analyse
et un programme oppositionnel de
gauche. Elle a valu plus de 2 ans de
prison à ses auteurs qui sont de nou-
veau arrêtés.
11
En 1905,
Lénine parlait
des étudiants révolutionnaires.
Etait-il gauchiste ?
LA LEÇON DES ÉVÉNEMENTS DE MOSCOU
Mai 68 n'est pas 1905, la France gaulliste n'est pas
la Russie tsariste. Chaque situation pré-révolutionnaire
a ses caractères propres qu'il s'agit de définir. Si nous
rappelons ce texte de Lénine, ce n'est pas pour iden-
tifier aujourd'hui et hier mais pour donner l'exemple
d'une analyse marxiste — nous disons bien analyse —
du rôle que peuvent jouer les étudiants.
L'ardeur révolutionnaire du
prolétariat de Moscou, si forte-
ment attestée par la grève po-
litique et les batailles de rues,
ne s'est pas encore refroidie.
La grève continue. Elle a par-
tiellement gagné Pétersbourg, où
les compositeurs-typographes,
se solidarisant avec leurs cama-
rades moscovites, ont cessé le
travail. On ne sait pas encore
si le mouvement actuel va se
calmer en attendant le prochain
flot de la marée montante ou
s'il va revêtir une forme chro-
nique. Mais certains résultats
extrêmement édifiants des évé-
nements de Moscou se sont
déjà fait sentir, et ils valent la
peine de nous y arrêter.
De façon générale, le mouve-
ment à Moscou n'est pas arrivé
au conflit décisif des ouvriers
révolutionnaires et des forces
du tsarisme. Il ne s'est produit
que de petites escarmouches
d'avant-garde et peut-être, par-
tiellement, une démonstration mi-
litaire de guerre civile. Ce n'a
pas été une de ces batailles
qui décident de l'issue d'une
guerre. Des deux hypothèses
que nous formulions la semaine
dernière, il semble que la pre-
mière se vérifie, à savoir que
nous n'assistons qu'à une répé-
tition de l'offensive décisive, et
non à cette offensive même. La
répétition a pourtant montré,
dressés de toute leur hauteur,
les personnages du drame his-
torique. Elle a ainsi jeté une vive
lumière sur le déroulement pro-
baWe, et sans doute même iné-
vitable, du drame lui-même.
LA PEGRE
DANS LES FACS
Le prétexte des événements
de Moscou a été d'un caractère
à première vue universitaire. Le
gouvernement a octroyé aux
universités une « autonomie »
partielle ou plutôt fictive. MM.
les professeurs ont acquis le
droit de s'administrer eux-
mêmes ; les étudiants, celui de
se réunir. Une petite brèche
était dès lors ouverte dans le
système oppressif de l'autocratie
et du servage. De nouveaux
flots révolutionnaires se sont
rués dans cette brèche avec une
force inattendue. Une mesquine
concession, une infime réforme
tendant à atténuer les antago-
nismes politiques et à « récon-
cilier » bandits et victimes, a
provoqué en réalité une aggra-
vation terrible de la lutte et l'ac-
croissement du nombre des
combattants. Les ouvriers sont
accourus en masse aux reunions
des étudiants. Des meetings ré-
volutionnaires populaires se sont
improvisés, où l'on a vu préva-
loir le prolétariat, classe d'avant-
garde dans la lutte pour la li-
berté. Le gouvernement a été
pris de fureur. Les « respecta-
bles » professeurs libéraux, qui
venaient d'obtenir le droit de
s'administrer eux-mêmes, ont
pris peur et se sont mis à faire
la navette entre les étudiants
révolutionnaires et le gouverne-
ment du knout policier. Les libé-
raux ont profité de la liberté
pour la trahir, pour recomman-
der aux étudiants de ne pas
élargir et aggraver la lutte, pour
prêcher le respect de l'ordre
face aux coupe-jarrets et aux
Cent-Noirs, aux Trépov et Ro-
manov ! Les libéraux ont mis à
profit leur autonomie adminis-
trative pour prendre en mains
les intérêts des bourreaux du
peuple et trahir la liberté de
sanctuaire de la « science » telle
que la conçoit le knout, sanc-
Lénine ne se permettait pas de dire : étudiants =
petits-bourgeois, il ne ressassait pas des vérités éter-
nelles sur l'origine sociale de la « couche étudiante »
— il faisait l'analyse concrète d'une situation concrète
en découvrant la fonction que peuvent avoir les étu-
diants révolutionnaires. Romanov était Tsar et Trépov
son ministre, la Douma son parlement. Les professeurs
défendaient l'université libérale...
tuaire profané par les étudiants
qui y admettaient la « vile
plèbe » à débattre des ques-
tions telles que ne le conçoit
pas la clique autocratique. Les
libéraux eux-mêmes ont trahi le
peuple et trahi la liberté de
peur d'un massacre à l'univer-
sité. Et leur lâcheté a reçu un
châtiment exemplaire. En fer-
mant l'université révolutionnaire,
ils ont ouvert la rue à la révo-
lution. Tristes pédants, ils se fé-
licitaient à qui mieux mieux avec
ces gredins de Glazov d'avoir
réussi à éteindre l'incendie dans
les facultés. Ils n'avaient fait en
réalité que mettre le feu à une
immense cité industrielle. Ils
avaient, ces nullités pompeuses,
défendu aux ouvriers de se join-
dre aux étudiants; ils ne fai-
saient ainsi que pousser les étu-
diants à se joindre aux ouvriers
révolutionnaires. Ils traitaient
toutes les questions politiques
du point de vue de leur poulail-
ler imprégné, depuis des siècles,
du moisi bureaucratique ; ils
suppliaient les étudiants de
l'épargner. Il suffit d'un premier
souffle frais, de l'intervention
d'une force révolutionnaire jeune
et libre, pour que tout le monde
oubliât le poulailler, car la brise,
devenant toujours plus violente,
se transformait en un ouragan
dirigé contre la source de tout
moisi bureaucratique et de toute
brimade infligée au peuple russe,
contre l'autocratie impériale. Et
maintenant même que le pre-
mier danger est passé, mainte-
nant que la tempête s'est visi-
blement calmée, les larbins de
l'autocratie tremblent encore de
peur à la seul évocation de
l'abîme qui s'est ouvert sous
leurs pas dans les sanglantes
journées de Moscou : « Ce n'est
pas encore un incendie, balbutie
M. Menchikov dans le servile No-
voJé Vrémia (30 septembre) ; ce
n'est pas encore la révolution-
mais c'en est déjà le prologue...
Elle vient, disais-je en avril, et
quels pas terribles n'a-t-elle pas
faits depuis I L'élément popu-
laire est remué jusque dans ses
profondeurs... »
COMMANDOS
ET GROUPUSCULES
Oui, les Trépov et les Roma-
nov, et aussi les bourgeois li-
béraux adonnés à leur œuvre de
trahison se sont mis dans de
beaux draps ! Ouvrir l'université.
c'est donner une tribune aux
assemblées révolutionnaires du
peuple, c'est rendre un précieux
service à la social-démocratie.
Fermer l'université, c'est ouvrir
la lutte dans la rue. Et nos che-
valiers du knout de se démener
en grinçant des dents ; ils rou-
vrent l'université de Moscou, ils
font semblant de vouloir laisser
les étudiants maintenir l'ordre
eux-mêmes au cours des défilés
dans la rue, ils ferment les yeux
sur l'auto-administration révolu-
tionnaire des étudiants qui achè-
vent de se partager entre les
partis social - démocrate, socia-
liste-révolutionnaire et autres,
formant une sorte de « Parle-
ment » universaitaire subdivisé
en groupes politiques régulière-
ment constitués (et qui ne se
borneront pas, nous en sommes
convaincus, à l'auto-administra-
tion révolutionnaire, mais se met-
tront immédiatement et sérieu-
sement à organiser et à armer
les détachements de l'armée ré-
volutionnaire). Et les profes-
seurs libéraux de s'agiter, à
l'instar des Trépov, adjurant
PENITEN CIA RIA
12
aujourd'hui les étudiants d'être
plus modérés et demain les
hommes du knout d'être plus
doux. Tout ce remue-ménage
des uns et des autres nous ré-
réjouit grandement. Quand les
pontifes et les transfuges de la
politique se démènent ainsi sur
le pont du vaisseau, c'est que le
vent révolutionnaire commence
vraiment à prendre de la force.
LE DETONATEUR
ETUDIANT
Mais, outre une fierté et une
satisfaction légitime, les vrais
révolutionnaires doivent puiser
quelque chose de plus dans les
événements de Moscou : la no-
tion précise des forces sociales
à l'œuvre dans la révolution
russe et de la manière dont elles
agissent, une idée plus nette
des formes de leur action. Re-
constituez l'enchaînement politi-
que des événements de Moscou
et vous aurez le tableau typique
et hautement caractéristique,
dant pétersbourgeois de la Vos-
sische Zeitung de Berlin relatait
le 3 (16) octobre, par télégram-
me, son entrevue avec le chef
de cabinet Trépov. Ce poulet
lui avait dit : « On ne peut at-
tendre du gouvernement l'appli-
cation d'aucun plan logique, car
chaque jour amène des événe-
ments imprévus. Le gouverne-
ment doit louvoyer ; le mouve-
ment actuel, qui peut durer deux
ans aussi bien que deux mois,
ne peut pas être réprimé par la
force. »
LE POUVOIR MANŒUVRE
Oui, la tactique du gouverne-
ment est désormais très nette.
C'est de toute évidence une tac-
tique de louvoiement et de re-
traite avec combats d'arrière-
garde. Tactique tout à fait juste
du point de vue des intérêts de
l'autocratie ; l'erreur serait im-
mense et l'illusion fatale, pour
des révolutionnaires, d'oublier
que le gouvernement peut en-
sous le rapport de la lutte de
classe, de la révolution entière.
Voici cet enchaînement : une
petite brèche est ouverte dans
l'ancien régime ; le gouverne-
ment la ferme en faisant de lé-
gères concessions, des « réfor-
mes » trompeuses, etc.. au lieu
de calmer les gens, il n'obtient
qu'une nouvelle aggravation de
l'effervescence et un élargisse-
ment de la lutte ; la bourgeoisie
libérale hésite et s'interpose, dé-
conseillant la révolution aux ré-
volutionnaires et la réaction aux
policiers. Le peuple révolution-
naire, prolétariat en tête, entre
en scène, et son action au grand
jour crée une nouvelle situation
politique. Sur le champ de ba-
taille plus large et plus élevé,
désormais conquis, une brèche
nouvelle est ouverte dans les
remparts de l'ennemi et le mou-
vement continue à progresser
de cette façon, montant toujours
plus haut. « Nous assistons à
la retraite du gouvernement sur
toute la ligne », font justement
observer les Moskovskié Viédo-
mosti. Et un journal libéral (*)
d'ajouter non sans esprit : re-
traite accompagnée de combats
d'arrière - garde. Le correspon-
core battre en retraite pendant
très longtemps sans perdre
l'essentiel. L'exemple de la ré-
volution inachevée, de la demi-
révolution bâtarde de 1848 en
Allemagne (auquel nous revien-
drons dans le prochain numéro
du Prolétari et que nous ne ces-
seront jamais de rappeler) mon-
tre que, même en allant jusqu'à
convoquer l'Assemblée consti-
tuante (en paroles), le gouverne-
ment peut garder assez de force
pour vaincre la révolution dans
la dernière bataille décisive.
C'est pourquoi, étudiant les évé-
nements de Moscou, derniers
venus dans la longue série de
combats de notre guerre civile,
nous devons considérer avec
lucidité le cours des choses,
nous préparer avec la plus
grande énergie et la plus grande
opiniâtreté à une lutte longue
et acharnée, nous méfier de ceux
de nos alliés qui sont déjà des
transfuges. Alors que rien de
décisif n'est encore conquis,
alors que l'ennemi a encore
d'immenses possiblités de re-
culs avantageux et inoffensifs,
alors que se déroulent des com-
bats de plus en plus importants,
la confiance envers ces alliés,
les tentatives de conclure un
accord avec eux ou simplement
de les soutenir à certaines con-
ditions peuvent constituer non
seulement une sottise, mais en-
core une trahison envers la
cause du prolétariat.
NE PAS SAUVER
L'UNIVERSITE LIBERALE
En effet, l'attitude des profes-
seurs libéraux, avant et pendant
les événements de Moscou, est-
elle seulement de circonstance ?
Est-ce l'exception ou la règle
pour le parti cadet ? Cette atti-
tude traduit-elle le caractère par-
ticulier d'un groupe de la bour-
geoisie libérale ou bien les in-
térêts profonds et généraux de
cette classe dans son ensem-
ble ? Les socialistes ne peuvent
avoir deux opinions là-dessus.
Mais tous les socialistes sont
loin de savoir appliquer une
tactique réellement socialiste.
Considérons, afin de nous faire
une meilleure idée du fond des
choses, la tactique libérale telle
que l'exposent le libéraux eux-
mêmes. Ils évitent, dans la
presse russe, de s'opposer di-
rectement aux social-démocrates
et même de parler clairement de
ceux-ci. Mais voici une corres-
pondance intéressante de la
Vossiche Zeitung de Berlin.
Elle exprime certainement avec
plus de franchise les opinions
des libéraux :
« En dépit de l'autonomie oc-
troyée — très tard, il est vrai —
aux universités et aux établisse-
ments d'enseignement supérieur,
les troubles estudiantins ont re-
pris à Pétersbourg et à Moscou,
avec une grande violence, dès
le début de l'année scolaire. Ces
troubles s'accompagnent, en
outre, à Moscou d'un large mou-
vement ouvrier. Ils marquent le
commencement d'une nouvelle
phase du mouvement révolution-
naire russe. Les réunions d'étu-
diants et les résolutions qui y
sont votées montrent que la jeu-
nesse des universités a adopté
le mot d'ordre des chefs social-
démocrates : faire des univer-
sités le lieu des réunions popu-
laires et porter ainsi la révolu-
tion aux couches les plus larges
de la population. Les étudiants
moscovites ont déjà fait la dé-
monstration de la mise en œuvre
de ce mot d'ordre : ils ont invité
à l'université des ouvriers et
d'autres personnes que rien n'y
appelait, et en si grand nombre
que les étudiants eux-mêmes se
sont trouvés en minorité. Il va
de soi que ces faits ne peuvent
se prolonger dans les conditions
présentes. Le gouvernement fer-
mera les universités plutôt que
de tolérer des réunions de ce
genre. C'est tellement évident
qu'il semble à première vue in-
compréhensible que les chefs
social-démocrates aient pu don-
ner un semblable mot d'ordre.
Ils savaient parfaitement ce qui
en résulterait ; ils voulaient pré-
cisément que le gouvernement
fermât les universités. Pour-
quoi ? Mais tout bonnement
parce qu'ils s'efforcent d'entra-
ver par tous les moyens le mou-
vement libéral. Ils comprennent
que, livrés à leurs propres for-
ces, ils ne sont pas en mesure
de mener à bien une grande
action politique ; par suite, les
libéraux et les radicaux doivent
se garder de rien faire, eux
aussi, car, paraît-il, le proléta-
riat socialiste ne pourrait que
pâtir de leur action. Il doit lui-
même conquérir ses droits. Li-
bre à la social-démocratie russe
PRESIDEN CIA
de s'enorgueillir de cette tacti-
que « inflexible » (unbeugsame).
Mais tout observateur impartial
la trouvera des plus myopes ; et
il est fort douteux qu'elle con-
duise la social-démocratie russe
à des victoires. On ne comprend
pas ce que la social-démocratie
gagne à la fermeture des uni-
versités, devenue inévitable
étant donné la prolongation de
cette tactique. Or, la poursuite
des cours dans les facultés et
dans les établissements d'ensei-
gnement supérieur importe au
plus haut point à tous les partis
de progrès. Les grèves prolon-
gées d'étudiants et de profes-
seurs ont déjà porté un grand
préjudice à la culture russe. La
reprise de l'activité universitaire
s'impose. L'autonomie permet
aux professeurs de s'acquitter
librement de leurs fonctions.
Aussi les professeurs de toutes
les universités et de toutes les
écoles supérieures sont-ils d'ac-
cord sur la nécessité de se re-
mettre sérieusement au travail.
Ils usent de toute leur influence
pour engager les étudiants à re-
noncer à l'application du mot
d'ordre social-démocrate. »
ZAMANSKY EN 1905
Ainsi la lutte entre le libéralis-
me bourgeois (cadet) et les so-
cial-démocrates est bien mis en
relief. N'entravez pas le mouve-
ment libéral ! Tel est le mot
d'ordre admirablement bien for-
mulé dans cet article. Mais en
quoi consiste ce mouvement li-
béral ? En un mouvement de re-
traite, car les professeurs usent
et veulent user de la liberté de
l'université non pour la révolu-
tion, mais pour une propagande
antirévolutionnaire, non pour
étendre l'incendie, mais pour
l'éteindre, non pour élargir le
champ de bataille, mais pour dé-
tourner les gens de l'action dé-
cisive et les amener à la colla-
boration pacifique avec les Tré-
pov. La lutte s'étant aggravée
(les faits nous l'ont montré), le
« mouvement libéral » quitte les
13
révolutionnaires pour rejoindre
les réactionnaires. Les libéraux
nous sont naturellement d'une
certaine utilité dans la mesure
où ils sèment le trouble dans les
rangs des Trépov et autres ser-
viteurs de Romanov, mais cette
utilité ne compensera le mal
qu'ils nous font en semant l'hé-
sitation dans nos rangs que si
nous nous désolidarisons sans
retour des cadets et si nous con-
damnons sans merci toutes
leurs hésitations. Comprenant
ou, plus souvent, sentant leur
rô!e prépondérant dans le régi-
me économique actuel, les libé-
raux aspirent à jouer le même
rôle dans la révolution et quali-
fient toute continuation, toute
aggravation, tout élargissement
de ceile-ci au-delà du replâtrage
le plus grossier, d' « entrave »
au mouvement libéral. Craignant
de compromettre la prétendue
liberté universitaire accordée
par Trépov, ils combattent au-
jourd'hui la liberté révolution-
naire. Craignant pour la liberté
légale de réunion, que le gou-
vernement accordera demain
sous la forme caricaturale ima-
ginée par sa police, ils voudront
nous empêcher d'exploiter les
réunions à des fins purement
prolétariennes. Craignant pour
les destins de la Douma d'Etat,
ils ont déjà manifesté au congrès
de septembre une sage modéra-
tion et y persévèrent aujourd'hui
en combattant le boycottage :
ne nous empêchez pas de faire
de bonne besogne à la Douma
d'Etat !
CRETINISME
PARLEMENTAIRE
Et il faut avouer, à la honte
de la social-démocratie, qu'il
s'est trouvé dans son sein des
opportunistes, captifs de leur
fossilisation doctrinaire du mar-
xisme, pour se laisser prendre à
cet appât ! La révolution est
bourgeoise, se disent-ils, c'est
pourquoi... c'est pourquoi il faut
reculer au fur et à mesure que
la bourgeoisie réussit à obtenir
des concessions du tsarisme. Si
les néo-iskristes ne voient pas
encore la signification réelle de
la Douma d'Etat, c'est justement
parce que, reculant eux-mêmes,
ils ne remarquent pas tout natu-
rellement la reculade des cons-
titutionnels-démocrates. Or, il
est indéniable que les gens de
l'/skra ont reculé depuis la pro-
mulgation de la loi sur la Douma
d'Etat. Ils ne songeaient pas,
avant la Douma d'Etat, à mettre
à l'ordre du jour l'accord avec
les constitutionnels-démocrates.
Ils l'ont fait depuis la Douma
d'Etat (Parvus, Tchérévanine et
Martov), et cela sous une forme
pratique et directe, et non pas
seulement théorique. Ils po-
saient, avant la Douma d'Etat,
des conditions assez sévères
aux démocrates (allant jusqu'à
exiger que ces derniers contri-
buent à l'armement du peuple,
etc.). Depuis la Douma d'Etat,
leurs exigences ont baissé, ils
se contentent de la promesse de
transformer la Douma des Cent-
Noirs ou des libéraux en une
Douma révolutionnaire. A la
question : qui doit convoquer
l'Assemblée nationale consti-
tuante ? ils répondaient avant la
Douma d'Etat, dans leur résolu-
tion officielle : soit le gouverne-
ment révolutionnaire provisoire,
soit lune des institutions repré-
sentatives. Depuis la Douma
d'Etat ils ont biffé le gouverne-
ment révolutionnaire provisoire
et disent : soit « des organisa-
tions démocratiques populaires »
(comme celle des cadets ?),
soit... soit la Douma d'Etat. C'est
ainsi que les faits nous montrent
comment les néo-iskristes appli-
quent leur magnifique principe :
la révolution est bourgeoise, ou-
vrez donc l'œil, camarades, afin
que la bourgeoisie ne se dé-
tourne pas de la révolution !
Les événements de Moscou,
montrent pour la première fois
depuis la Douma d'Etat quelle
est en réalité la tactique des
constitutionnels-démocrates aux
heures graves de la vie politi-
que, ont aussi montré que la
queue opportuniste de la social-
démocratie se transforme inévi-
tablement en un appendice ser-
vile de la bourgeoisie. Nous ve-
nons de dire : la Douma des
Cent-Noirs ou des libéraux. Ces
mots paraîtraient monstrueux
au néo-iskriste, qui considère
comme très importante la diffé-
rence entre la Douma d'Etat des
Cent-Noirs et celle des libé-
raux. Mais les événements de
Moscou ont précisément révélé
tout ce qu'il y a de faux et de
déplacé dans cette idée « par-
lementaire » appliquée à une
époque préparlementaire. Les
événements de Moscou ont
précisément démontré que le
transfuge libéral a joué le rôle
de Trépov lui-même. La ferme-
ture de l'université, qui eût été
hier décrétée par Trépov, a
maintenant été l'œuvre de MM.
Manouilov et Troubetskoï. N'est-
il pas évident que les libéraux
« tendance Douma » feront eux
aussi le va-et-vient entre Tré-
pov-Romanov et le peuple ré-
volutionnaire ? N'est-il pas évi-
dent qu'il faut être des niais en
politique pour prêter le moindre
soutien aux transfuges libé-
raux ?
Il est souvent nécessaire de
soutenir, dans un système par-
lementaire, le parti le plus libé-
ral contre un parti moins libé-
ral. Soutenir, dans une lutte ré-
volutionnaire pour le régime
parlementaire, les transfuges li-
béraux qui ' réconcilient » Tré-
pov et la révolution, c'est trahir.
ETUDIANTS SOLIDAIRES
DES TRAVAILLEURS
Les événements de Moscou
ont montré à l'œuvre ce grou-
pement des forces sociales dont
le Prolétari a déjà parlé tant de
fois : le prolétariat socialiste et
l'avant-garde de la démocratie
révolutionnaire bourgeoise com-
battaient ; la bourgeoisie libé-
rale monarchiste négociait. Etu-
diez donc, camarades ouvriers,
étudiez attentivement les leçons
des événements de Moscou.
C'est précisément ainsi, c'est
infailliblement ainsi que les cho-
ses se passeront dans la révo-
lution russe tout entière. Re-
groupons-nous de la façon la
plus étroite dans un parti au-
thentiquement socialiste, expri-
mant consciemment les intérêts
de la classe ouvrière au lieu de
suivre d'instinct la masse. Ne
comptons dans la lutte que sur
la démocratie révolutionnaire.
Ne pactisons qu'avec elle et
n'appliquons ces pactes que
sur le champ de bataille, contre
les Trépov et les Romanov. Ou-
tre les étudiants, avant-garde
de la démocratie révolution-
naire, toutes nos forces doivent
tendre à soulever les larges
masses populaires dont le mou-
vement n'est pas uniquement
démocratique au sens général
du mot (tout transfuge s'intitule
aujourd'hui démocrate), mais
effectivement révolutionnaire :
les masses paysannes en un
mot. Rappelons-nous que les li-
béraux et les constitutionnels-
démocrates, semant l'hésitation
parmi les défenseurs de l'auto-
cratie, s'efforceront inévitable-
ment de semer à chaque pas
l'hésitation parmi nous. L'action
révolutionnaire ouverte, met-
tant au rancart tous les poulail-
lers libéraux, sera seule sé-
rieuse et décisive. Préparez-
vous donc, sans perdre une mi-
nute, à livrer encore et encore
de nouveaux combats ! Armez-
vous comme vous pouvez, for-
mez sur-le-champ des groupes
de combattants prêts à se bat-
tre avec un dévouement et une
énergie sans défaillance contre
l'autocratie maudite, rappelez-
vous que demain ou après-de-
main les événements vous ap-
pelleront en tout cas et inévita-
blement à l'insurrection et qu'il
s'agit uniquement de savoir si
vous serez, au moment de l'ac-
tion, prêts et unis ou dispersés
et désorientés !
Une fois de plus, pour la cen-
tième fois, les événements de
Moscou infligent un démenti
aux gens de peu de foi. Ils ont
montré que nous sommes en-
core enclins à sous-estimer le
potentiel révolutionnaire des
masses. Ils raffermiront nombre
de ceux qui commençaient à
hésiter, qui, depuis la conclu-
sion de la paix et l'octroi de
la Douma, perdaient la foi en
l'insurrection. Non, c'est bien au-
jourd'hui que l'insurrection croît
et se fortifie plus vite que jamais.
Que la prochaine explosion, en
comparaison de laquelle le 9
janvier et les mémorables jour-
nées d'Odessa apparaîtront
comme des jeux d'enfants, trou-
ve chacun de nous à son
poste !
Lénine y. Tome 9. — Editions So-
ciales. Editions du Progrès, Moscou
1966.
Lénine V. Tome 9. — Editions Sociales.
Editions du Progrès, Moscou, 1966.
N.D.L.R. — Ces intertitres ne sont pas
de Lénine.
4 _ Cil B, J,-:u: do 3ra;;: D,a-..r.20. ïl-10-64
• l im exfilicar a Rci'ohtçâo Frariccsa
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14
(Suite de Ja page 4.)
formiste de la C.G.T. a négocié
le protocole de Grenelle et que
Séguy, venu le présenter à Re-
nault, se fait rabrouer par les
masses. Bien, lorsqu'une organi-
sation est à la tête des masses,
en avant mais d'un pas seule-
ment, précepte qui fut appliqué
à la lettre dans les manifesta-
tions étudiantes : « nous som-
mes tous des groupuscules »
crient l'ensemble des étudiants
aux manifestations.
IL A PEUR
Découvrir en un mois deux
classes ouvrières — l'une qui
dit « oui, mais... » à la révolu-
tion, l'autre qui se cabre : non,
jamais — aligne des idées par-
faitement contradictoires, il y a
là un sommet d'incohérence ra-
rement atteint. Y compris par
Duverger qui a l'habitude de
mettre un peu plus d'ordre dans
la succession de ses affirma-
tions. Dans ce fouillis intellectuel
quelque chose règne : la peur.
Peur de la révolution d'abord :
il ne l'affirme impossible que
parce qu'il ne peut pas l'imaginer
comme étant l'expérience que
font progressivement les masses
de leur propre pouvoir. Il n'y
voit qu'un coup d'Etat brutal et
sanglant. Grattez le libéralisme
des formules et vous retrouve-
rez le spectre de < l'homme au
couteau entre les dents ». Du-
verger se satisfait en remar-
quant que le « détonateur » étu-
diant a fait « exploser des mé-
contentements accumulés ».
Mais se rassure-t-il : « mais ces
mécontentements ne peuvent
être confondus avec une volon-
té révolutionnaire ». Si notre
aimable sociologue avait vécu
entre 1780 et 1791 il n'aurait ja-
mais aperçu de « volonté révo-
lutionnaire », seulement quel-
ques « mécontentements accu-
mulés » et des explosions du
type prise de la Bastille. Il au-
rait écrit le même article : « Une
révolution impossible », somme
toute, il y avait plus de royalistes
en France en 1790 que de gaul-
listes aujourd'hui.
Ce professeur « objectif » au-
rait dû lire la presse des « grou-
puscules » au lieu de les injurier
une fois qu'ils sont devenus il-
légaux (« quelques extrémistes
traditionnels, si l'on peut dire,
qui circulent à travers l'ultra-
gauchisme depuis des années »
•— pas mal, pour désigner les
responsables de 20 à 26 ans,
traqués par la O.S.T.). Dans
cette presse il aurait découvert
un certain nombre de projets et
de discussions qui partent tous
de l'idée qu'une révolution so-
cialiste ne se fait pas d'un coup
d'un seul, qu'on doit en faciliter
le développement « mouvement
de l'immense majorité en faveur
de l'immense majorité » (Marx).
D'où un certain nombre de ré-
flexions sur les comités de grè-
ve, les conseils ouvriers, le dou-
ble pouvoir, les assemblées po-
pulaires. Notre savant politique
préfère ne pas en parler. Pour
lui, tout aussi vrai que la terre
est ronde, le prolétariat « s in-
tègre » suffisamment dans l'or-
dre établi. Celui qui n'est pas du
même avis est « ultra-gau-
chiste ». M. Duverger est un
ultra-Waldeck Rochet.
Peur du fascisme ensuite. Il
est bon d'avoir conscience de
la menace fasciste mais de là à
conclure que le seul moyen de
lutter contre c'est de s'aplatir
devant, il y a un pas. Il faut
suivre ici très précisément M.
Duverger dans son raisonne-
ASSISTEN CIA
ment qui nous condamne au
gaullisme à perpétuité : « On n'a
pas assez remarqué que la vic-
toire du général de Gaulle en
1968 a finalement la même si-
gnification que sa victoire en
1958. Dans les deux cas, il a été
porté au pouvoir par un raz-de-
marée de droite — soulevé par
l'opposition à la révolte algé-
rienne il y a dix ans, par l'oppo-
sition à la révolte étudiante le
mois dernier. » Ce qui est im-
portant ici, c'est l'éternité du
gaullisme selon Duverger : le
coup d'autorité du second dis-
cours du général, le 30 mai 68,
est équivalent au coup de force
militaire du 13 mai 58. Mais
voyons, le « raz-de-marée » (un
professeur pourrait se garder
des exagérations de la propa-
gande) est survenu après, non
avant.
Dans les deux cas, la fai-
blesse montrée par la « gau-
che » (Guy Mollet recevant des
tomates à Alger, G. Séguy cé-
dant à Grenelle) a précédé et
permis le « coup » gaulliste. La
victoire électorale de la droite
ne survient qu'après, elle n'est
pas la cause mais l'effet de la
lâcheté de la gauche parlemen-
taire.
Que conseille Duverger face
à cette menace fasciste devant
laquelle chaque fois la gauche
cède ? Il recommande de céder
encore et toujours : le seul rem-
part de la démocratie serait de
Gaulle lui-même qui « a aussi
empêché ce raz-de-marée de
trop submerger la nation et d'y
détruire totalement la démocra-
tie. S'il était demain renversé
par de nouvelles barricades, de
nouvelles occupations de facul-
tés et d'usines, de nouvelles ma-
nifestations de rue, sa place ne
serait vraisemblablement pas
prise par la gauche. Il est beau-
coup plus probable qu'un régime
à la Pattakos succéderait alors
au régime gaulliste ». Si ce n'est
pas de Gaulle, c'est un « régime
à la Pattakos », la dictature fas-
ciste des colonels grecs. Voilà
à quoi se résume la sagesse
d'un professeur au XXe siècle !
L'aveu est précieux :
1° II explique le résultat des
dernières élections : la France
n'est pas - naturellement » à
droite, elle vote U.D.R. parce
qu'elle n'a pas d'autre choix que
de Gaulle ou « un régime à la
Pattakos », chaque fois
que la gauche fait la preuve
de son incapacité devant l'ac-
tion (en 1958 comme en 1968 la
rencontre entre le parlementa-
risme combinard de la gauche
classique et le réformisme de la
direction communiste est à la
source de cette faillite) ;
2° II juge définitivement dix
années de politique « d'union
des gauches » tentée au som-
met, entre les directions bureau-
cratiques d'étiquettes diverses :
la faillite de cette ligue en juin
68 est beaucoup plus évidente
qu'au 13 mai 58 parce que le
rapport des forces est beaucoup
plus nettement favorable aux
masses populaires — tandis
qu'il y a 10 ans l'armée était en
état de semi-insurrection, cette
fois les grévistes tenaient toutes
les clés de l'économie et de
l'administration françaises. Seu-
les l'unité et l'initiative à la base,
moteur du mouvement de mai,
peuvent tirer la « gauche » de
l'ornière où elle s'enlise de plus
en plus depuis 10 ans.
3° II dévoile la trompeuse
« démocratie » qui règne en
France. L'électeur a librement le
choix... entre de Gaulle et un
régime « à la Pattakos ». 10 an-
nées séparent mai 58 de mai 68
mais Duverger constate lui-
même que les termes du choix
qu'il nous offre n'ont pas chan-
gé d'une virgule. Croit-il vérita-
blement que les jeunes travail-
leurs, les étudiants, les cher-
cheurs scientifiques, les jeunes
cadres — les « forces vives »
de la nation vont se laisser en-
fermer toute leur vie dans ce
dilemme ? Croit-il qu'à chaque
revendication avancée ils ad-
mettront que l'homme fort du
moment réponde par un refus
tandis qu'un professeur leur ex-
pliquera doctement : obéissez
sinon Pattakos. Duverger pré-
tend nous enfermer dans son al-
ternative — il oublie que c'est
précisément pour refuser cette
alternative où lui et tous les par-
tis de gauche se sont enfermés,
que des formes nouvelles d'ac-
tion et d'unité furent inventées
en mai. Nous les développons
pour rompre ce cercle où l'on
nous renvoie de de Gaulle aux
paras et des paras à de Gaulle.
Qui est fourrier du fascisme ?
Maurice Duverger sous estime
gravement les obstacles qui
freinent l'installation d'un régime
de colonels en France. Avant
tout, la classe ouvrière a mon-
tré en mai sa combativité en dé-
clenchant un mouvement social
d'ampleur inégalée. Un coup mi-
litaire n'irait pas sans une ri-
poste dure. Ce qui entraine pour
le moins des troubles et par
conséquent la fuite des capi-
taux. Premier danger pour l'éco-
nomie capitaliste française. D©
plus, à supposer qu'un régime
policier et fasciste s'installe, il
provoquerait immédiatement la
« fuite des cerveaux », ingé-
nieurs, spécialistes, chercheurs
refusant, s'ils ne font pas de po-
litique, de travailler dans un cli-
mat policier. Ils accepteront les
offres des Etats-Unis ou d'autres
pays. Deuxième coup très dur
pour une économie moderne. La
bourgeoisie française, qui a le
sens de ses propres intérêts,
hésitera longtemps avant de ris-
quer un régime fasciste. Duver-
ger * oublie » complètement ces
atouts de la lutte antifasciste :
par là il sert l'intoxication gaul-
liste. La bourgeoisie a besoin
d'un père fouettard éternel.
LE S.N.E.-SUP ET ACTION
Motion Herszberg - Liot, amendée par Fontaine
Le Congrès du S.N.E.-Sup estime que le soutien
apporté par le Syndicat au journal « ACTION » a permis
de donner au mouvement de Mai un moyen d'expres-
sion qui a eu un rôle favorable au développement du
mouvement.
Le S.N.E.-Sup prenant en considération le fait que
le journal « ACTION » se déclare au service des
Comités d'Action, n'estime pas devoir réclamer une
participation à sa rédaction ou à sa gestion.
Actuellement « ACTION » existe et vit grâce à
l'audience qu'il a conquise. Le soutien du S.N.E.-Sup
au journal ne s'impose donc plus.
En tout état de cause, le S.N.E.-Sup apportera de
nouveau son soutien à « ACTION » en cas de mesures
de répression à son égard.
Voté par 2261 POUR, 1 786 CONTRE.
Dans un prochain numéro « Action » publiera la
très importante motion d'orientation adoptée au
Congrès du S.N.E.-Sup.
15
La répression est peut-être
sournoise, elle n'en est pas
moins réelle. Elle tend à s'am-
plifier de jour en jour.
Depuis l'interpellation de 41
militants d'un Comité d'Action
le 10 juillet dernier et le main-
tien en garde à vue de huit d'en-
tre eux, la situation a sensible-
ment évolué :
— Le 12 juillet, cinq person-
nes étaient arrêtées à Brest. Le
motif de leur arrestation est
demeuré inconnu, pendant qua-
tre jours, quand ce n'est pas
l'arrestation elle-même qui a été
tenue quasiment secrète. Il pa-
raîtrait que ces personnes au-
raient été transférées à Paris
dans la journée du 17 juillet
pour être présentées le même
jour, à 14 heures, devant M. Vi-
gouroux, juge d'instruction près
la Cour de Sûreté de l'Etat.
— Dans la même période, et
sans que cela ait pu être con-
firmé, on apprenait que la police
avait fait une descente dans le
« Groupe 66 », organisation ré-
volutionnaire de Marseille, dont
l'animateur est l'un des frères
d'une des personnes gardées à
vue à la suite de l'opération du
10 juillet à Paris.
— Le 16 juillet, à 14 heures,
Alain Krivine, dirigeant de la
J.C.R., organisation dissoute le
12 juin par le gouvernement,
ainsi que sa femme Michèle,
étaient arrêtés dans un restau-
rant (Le Wimpy) de la gare
Saint - Lazare, en compagnie
d'une troisième personne dont
on ignore le nom.
— Enfin, dans la nuit du 17
au 18 juillet, quatre personnes
étaient arrêtées à Rouen. Deux
d'entre elles furent relâchées
quelques heures plus tard ;
quant aux deux autres, elles ont
été transférées à Paris, au fort
de Gravelle.
La première conclusion que
l'on puisse tirer de toutes ces
informations est la présence au
FORT DE GRAVELLE de la qua-
si-totalité des personnes gar-
dées à vue. Y ont été transférés,
outre les huit qui y étaient déjà
à la suite de l'interpellation du
10 juillet, Alain Krivine et sa
femme, les militants de Brest,
ceux de Rouen. Toutes semblent
le devoir à l'action de M. Vigou-
reux, juge d'instruction près la
Cour de Sûreté de l'Etat.
On ne peut d'autre part s'em-
pêcher de remarquer la soudai-
neté de la vague d'arrestations
qui se développe aujourd'hui.
l'entreprise
policière
contre
le mouvement
étudiant
Le 10 juillet la police interrompait une réunion d'un
Comité d'Action dans le 11e arrondissement. Parmi les
41 personnes interpellées, 8 devaient être gardées à
vue. Depuis la situation s'est nettement modifiée : la
répression s'amplifie. A côté des arrestations des diri-
geants étudiants nous n'oublions pas que le patronat
mène à sa façon sa répression dans les usines (cf. :
Citroën). Cela n'est que le deuxième volet d'une même
politique : « casser » le plus formidable mouvement ré-
volutionnaire qui ait vu le jour en France depuis bien
longtemps. Mais la solidarité ouvriers-étudiants l'em-
portera.
De source bien informée, on
attribue ce phénomène au fait
que ce serait maintenant la
D.S.T. qui s'occuperait des opé-
rations de répression, et non
plus la P.J. Cette dernière en
effet se serait montrée assez
réticente à mener ce genre
d'opération, l'aspect politique de
la question la mettant mal à
l'aise. Quant à la D.S.T., elle
est plus familiarisée avec la ré-
pression politique. Qui plus est,
parallèlement à l'enquête pour
reconstitution de ligue dissoute,
on aimerait, du côté du pouvoir,
mettre en évidence bien autre
chose : on se souvient des
déclarations ambiguës d'un Pre-
mier ministre qui affirmait, au
plus fort de la crise de mai, que
les désordres étaient le fait
d'une minorité ayant des ramifi-
cations internationales, tendant
ainsi à accréditer la thèse d'un
complot d'origine étrangère.
Dans ce cadre-là, on comprend
fort bien le rôle de la D.S.T. qui
est chargée du contre-espion-
nage.
En fait, personne ne se trom-
pe sur les véritables raisons de
la répression. Le pouvoir veut
faire payer la grande peur qu'il
a eue pendant les deux der-
BULLETIN D'ABONNEMENT
à renvoyer à Madame JALLAUD,
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niers mois ; il veut aussi pren-
dre une hypothèque sur l'avenir
qui s'annonce troublé en empri-
sonnant tous les militants révo-
lutionnaires qui ont joué un rôle
durant le mois de mai et qui
pourraient en jouer un à la ren-
trée. Toute contestation du sys-
tème hors du jeu parlementaire
est dorénavant considérée com-
me atteinte à l'ordre public et,
comme le dit Robert Poujade,
secrétaire général de l'U.D. V?,
dans son discours du 17 juillet
à l'Assemblée Nationale : « Tou-
te tentative de troubler l'ordre
public doit être réprimée dans
l'instant même. » Et plus loin,
menaçant : « Certains des ins-
tigateurs des troubles de mai
doivent s'estimer heureux que
la République n'ait pris contre
eux des sanctions plus sévè-
res. » Outre l'incroyable fatuité
qu'il a à faire accroire qu'il re-
présente « la République », M.
Poujade veut-il dire par là qu'il
est disposé le cas échéant à
mettre au trou dix millions de
travailleurs ? Car dans ces con-
ditions, effectivement, « la gen-
darmerie et la police ne dispo-
sent pas de tous les moyens
nécessaires à l'accomplisse-
ment de leurs tâches » (extrait
du même discours).
En tout cas, le pouvoir sem-
ble avoir compris les dangers
qu'il a encourus. Outre les six
nouveaux escadrons de gendar-
mes mobiles qui viennent d'être
créés, il paraîtrait qu'on serait
en train d'agrandir le péniten-
cier de Saint-Martin-de-Ré.
D'autres parlent d'un camp d'in-
lernement en Lozère.
Mais la répression a aussi
ses aspects plus quotidiens :
les arrestations pour quelques
heures des diffuseurs d' « Ac-
tion », les contrôles d'identités,
les perquisitions ne se comp-
tent plus. Toutes les tracasse-
ries semblent bonnes pour le
pouvoir et sa police pour effa-
cer un mouvement dont ils ont
peur qu'il ne renaisse.
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
Nous recevons en dernière minute
un communiqué de la J.C.R., après l'ar-
restation de plusieurs de ses militants,
dont A. Krivine, l'un de ses dirigeants.
La crise révolutionnaire de mai a
fait vaciller le gaullisme, celui-ci n'a
pu se sauver que par le biais des élec-
tions, mais il est le premier à savoir
que rien n'est résolu.
Le mouvement étudiant et le mouve-
ment ouvrier gardent intacte leur capa-
cité de lutte.
Le pouvoir ne cherche pas la ré-
ponse aux problèmes qui lui sont posés
dans le jeu de sa majorité parlemen-
taire, mais dans des moyens moins
" démocratiques », mais plus effica-
ces : sa police et sa justice.
Il prépare à sa manière la rentrée
en faisant tomber la répression sur
l'avant-garde révolutionnaire (...).
Les organisations ouvrières, qui lais-
sent planer le silence sur ces arresta-
tions sous prétexte de ne pas faire
le * jeu du pouvoir * ne voient pas
qu'il s'agit d'une attaque contre tout
le mouvement ouvrier et en ne réagis-
sant pas, s'exposent à être à leur tour
victimes de la répression.
Le Bureau National de la Jeunesse
Communiste Révolutionnaire dénoncé
ces méthodes qui ne font que prouver
la faiblesse du pouvoir, obligé de jeter
son masque - parlementaire et démo-
cratique ». Il appelle les militants et
les organisations se réclamant du mou-
vement ouvrier à manifester leur soli-
darité en dénonçant cette répression
que le pouvoir veut silencieuse. Il les
appelle à préparer les nouvelles luttes
qui se produiront inévitablement dans
les mois à venir car elles ne sont pas
le fait d'une poignée * d'agitateurs »,
mais l'expression des contradictions in-
surmontables du capitalisme.
Le Bureau National
de la Jeunesse Communiste
Révolutionnaire
PARIS, le 17 juillet 1968.
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