Avant Garde

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« PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS ! »
JOURNAL DE
LA JEUNESSE
COMMUNISTE
REVOLUTIONNAIRE
Numéro 12 Mai 1968 Prix : 1 franc
Toute correspondance AVANT-GARDE JEUNESSE - B.P. 39-16 Paris
Abonnements 12 numéros : Pli ouvert: France, 11 F; Etranger, 15 F; Pli fermé: France, 19 F; Etranger, 25 F; Soutien, minimum, 20 F
LA JEUNESSE DE LA REVOLTE
A LA RÉVOLUTION
Meeting de la Jeunesse Communiste Révolutionnaire
Le 9 mai 1968, 20 h 30, au Palais de la Mutualité
avec la participation de :
Daniel Bensaïd (France) Massimo Gorla (Italie)
Peter Brandt (Allemagne) Ernest Mande! (Belgique)
Paolo Flores d'Arcaîs (Italie) et les dirigeants du groupe S.D.S. de Berlin
....._-___ DE w CONTESTATION DE L'UNIVERSITE
NANTERRE • CAPITALISTE A LA CONTESTATION
11F LA SOCIETE CAPITALISTE
DE LA REVOLTE...
Sans prendre mécaniquement l'origine d'un
phénomène pour sa cause, il est pourtant évi-
dent qu'on ne peut expliquer les récents évé-
nements de Nanterre sans faire référence à
la « grande grève de novembre ». Non parce
qu'elle était inévitablement grosse de dévelop-
pements ultérieurs, mais parce qu'elle déter-
minait un point de non retour dont dépendait
toute nouvelle possibilité de lutte.
L'ESCALADE REVENDICATIVE...
Eduqués dans les schémas et le vocabulaire
staliniens, empressés de calquer les luttes
étudiantes sur les luttes ouvrières (pour mieux
y justifier des prétentions au rôle d'avant-
garde ?), nombreux sont les militants (CLER,
UEC, ESU) qui parlent de grève et de lutte
syndicale des étudiants par désir d'identifica-
tion plus que par souci d'analyse. Il serait plus
juste de dire qu'en novembre, dix jours durant,
dix mille étudiants ont séché leurs cours sur
le tas pour approfondir leur mouvement reven-
dicatif et lui donner les formes organisationnel-
les nécessaires. En effet l'UNEF, qui n'a pas
eu le temps, depuis la récente création de la
...ET SES LEÇONS
Dès lors une simple logique de bon sens,
même aristotélicienne, scholastique, universi-
taire et non dialectique permettait de tirer
deux grandes leçons de l'affaire.
1) Le mouvement revendicatif était enlisé
après avoir obtenu satisfaction sur des points
mineurs. Argumentant à coups de statistiques
officielles, d'impératifs à court terme de l'éco-
nomie, de coqs de combat, de Ve Plan et d'or-
donnances, le ministère — l'Etat — proférait
un méga-niet concernant l'essentiel. D'où les
plus futés déduisaient que le problème était
• en dernière instance un problème politique »
celui du choix (par la bourgeoisie) des objec-
tifs de l'économie (capitaliste) auxquels devait
se subordonner l'université.
Dès lors, ou bien l'on s'inclinait devant l'ar-
gumentation « raisonnable - du ministre —
et nombre d'étudiants, y percevant « leurs in-
térêts bien compris -, le firent — ou bien
l'on refusait les principes ultimes (le profit
capitaliste) qui nous étaient assénés et on ru-
minait les moyens à se donner pour mener
— consciemment désormais — la lutte sur le
terrain politique où elle se situait de toute évi-
dence.
me à bon compte en plaquant une oreille de
petit-bourgeois culpabilisé sur l'abdomen d'une
classe ouvrière ventriloque pour y écouter ba-
biller la conscience de classe enfin libérée des
pontes syndicaux à la langue fourchue. On y
entendra tout au plus les aspirations économi-
ques d'éléments atomisés de la classe ouvriè-
re ; on pourra constater leur combativité ; le
problème de la jonction entre les luttes étu-
diantes et les luttes ouvrières demeurera en-
tier.
ENTRE LE CUL-DE-SAC
ET LE CERCLE VICIEUX
En effet là réside pour les avant-gardes étu-
diantes en mal de prolétariat le douloureux
problème : pour renverser l'université bour-
geoise il faut lutter aux côtés des organisa-
tions ouvrières contre la société capitaliste
dans son ensemble ; or, les organisations ou-
vrières... etc. Les leçons de la grève éclai-
raient un éventail de possibilités.
a) ou bien l'UEC est assez forte pour pren-
dre la tète des luttes étudiantes et les réinté-
grer dans le giron des forces démocratiques.
Mais l'UEC...
faculté, d'être reconnue et d'acquérir une réelle
audience à Nanterre, fut rapidement submergée.
Cette mobilisation de masse sans pareille en
France, après la patiente élaboration de mots
d'ordre et de revendications (sur les équivalen-
ces, l'encadrement pédagogique, le contrôle
d'assiduité, les exigences en matière de forma-
tion) posait le délicat problème de la négocia-
tion. Pour le résoudre se constituaient au ni-
veau des départements des comités paritaires
d'étudiants-professeurs et au niveau de la fa-
culté un comité de grève regroupant syndiqués
et non syndiqués. Certains parmi les profes-
seurs les plus avancés pensaient faire de ces
comités des instances d'intégration susceptibles
de désamorcer le mouvement.
Encore eut-il fallu avoir quelque chose à
négocier. Mais faute de pouvoir et de moyens,
chaque • responsable » ne pouvait que se ré-
fugier derrière son supérieur hiérarchique.
L'escalade revendicat've devait donc passer
par le conseil de dèporterpant, le conseil de
faculté, le doyen pour venir trourir à bout de
souffle contre le tout puisc.in; rnmçtèro, retrar
ché hors de portée du gheUo n;;n;=rroi&.
Dl/TÔCHKE
2) Là prend place la seconde leçon de la
grève. Mener la lutte politique contre les
priorités capitalistes du gouvernement signifie
en principe mener la lutte aux côtés de la
force réellement intéressée et résolue au ren-
versement du système : la classe ouvrière.
Mais, de mémoire de marxiste-léniniste, la
classe ouvrière en tant que telle n'est pas
résolue à mener la lutte jusqu'au bout. Elle
est au contraire « spontanément réformiste et
trade-unioniste •. Sa lutte économique contre
le patron n'est même pas la lutte de classe.
La lutte des ouvriers ne devient lutte de classe
que lorsque, unifiée et dirigée par une avant-
garde révolutionnaire, elle vise la bourgeoisie
dans son ensemble, la bourgeoisie comme clas-
se (1).
Or les directions ouvrières actuellement re-
connues des masses, en dépit des incertitudes
à la caennaise, n'ont pas pour but le renverse-
ment du système capitaliste mais leur propre
admission au sein de ce système. Et elles l'ont
encore prouvé su moment de ia grève de Nan-
terre (cf. article sur le • 13 décembre » dans
l'AGJ No 9). On ne saurait résoudre le problè-
b) ou bien les directions ouvrières redevien-
nent subitement révolutionnaires et reconnais-
sent les avant-gardes étudiantes comme inter-
locutrices. Ce qui est démenti par la moindre
analyse.
c) ou bien, fidèles à une ligne théoriquement
juste, et misant sur la remontée des luttes
ouvrières, les militants d'avant-garde à l'uni-
versité essaient de pratiquer (dans la faible
marge de manœuvre dont ils disposent) l'in-
tersyndicalisme à partir de thèmes convergents
tels que le refus de la rentabilisation capita-
liste de l'université, le droit à une formation
polyvalente et complexe, etc.
d) ou bien le mouvement étudiant se dé-
veloppe selon sa propre dynamique de con-
testation de l'université bourgeoise et de la
société capitaliste au risque de s'isoler des
- masses -, du « peuple -, des • couches
laborieuses • et de leurs organisations.
(1) Cf. Lénine : Œuvres complètes t. 4
. Trois articles pour la Rabotchaîa Gazeta >
et t. 5 : » Que faire ? •
"1
Ainsi posé, le problème était douloureux
sans compter que les militants, même d'avant-
garde, n'en maîtrisent pas toutes les données
au point de pouvoir choisir sereinement la
solution désirée. Il arrive en ces temps de
lente gestation et de difficile enfantement que
les faits, qui ont depuis longtemps déjà la tête
dure, les aident à trancher.
... A LA REVOLUTION...
DE LA MOBILISATION...
Le reflux ne les remporta pas tous. Et les
militants qui, nés de la grève lui survécurent,
se posaient consciemment ou non ces ques-
tions, désireux qu'ils étaient d'assurer la con-
tinuité du mouvement. Comme un feu qui cou-
ve affleure toujours en quelque endroit, le
second trimestre de l'année universitaire fut
constamment émaillé d'escarmouches bénignes.
Le spectaculaire vidage de deux fourgons d'ar-
gousins venus illustrer en chair et en uniforme
le concept de répression policière en témoigne.
C'est cependant l'arrestation de X. Langlade
et de plusieurs militants du CVN qui firent
surgir au grand jour ce processus occulte. Le
22 mars, pour exiger la libération immédiate de
Langlade, les militants s'emparaient de l'émet-
teur central de la faculté, badigeonnaient des
slogans sur les murs intérieurs, organisaient
plusieurs meetings dans les halls et finissaient
par occuper nuitamment la salle du conseil de
faculté. Pendant cette occupation les 150 parti-
cipants votaient une journée d'action pour le
vendredi 29 consistant à remplacer les cours
par des débats sur :
— les luttes anti-impérialistes,
— luttes étudiantes - luttes ouvrières,
— luttes étudiantes dans les démocraties
populaires.
— université, université critique,
Le jeudi 28, alors que la préparation du
lendemain battait son plein, le doyen annonçait
solennellement par micro la suspension des
cours pour deux jours. Aussitôt se tenait un
meeting spontané où les résidents, qui avaient
déjà aboli de fait depuis plus d'un mois le rè-
glement intérieur de la cité universitaire met-
taient leurs locaux à la disposition du mouve-
ment pour qu'ait lieu la journée de débats
prévus. Le vendredi 29, 500 étudiants partici-
paient à ces débats dans un campus désert,
gardé à vue par deux colonnes de CRS qui
plusieurs jours durant, vareuse dégrafée,
jouaient à la belote dans leurs fourgons blin-
dés.
Cette journée était déjà un succès, prouvant
que les agités n'étaient pas si isolés qu'on
le faisait entendre. De plus, la tenue politique
des commissions révélait une politisation qu'au-
cune strjcture existante n'avait jusqu'alors per-
mis d'exprimer. Mais le but n'était pas encore
atteint : tenir une journée de débats dans les
conditions normales de la fac. D'où l'organisa-
tion d'une nouvelle « journée », le mardi 2 avril,
qui voyait dès 10 heures 1.200 étudiants réunis
dans un amphi, scandant « Che Che Gueva-
ra » et • Ho Ho Ho Chi Minh », prêts à défen-
dre leur journée contre les flics, les fascistes
et l'administration.
Là se résument les événements dépouillés
hélas, de tout le décorum et l'anecdotique
qui font leur charme et soulignent leur portée
politique.
...A SES CONSEQUENCES
Le résultat immédiat de cette mobilisation
est l'instauration de fait, grâce à l'établissement
d'un rapport de force, de la liberté d'expression
politique au sein de la faculté... • sauf pour
ceux qui soutiennent les Américains au Viet-
Nam -. Le doyen Grappin, en tolérant ainsi
l'expression politique, crée un précédent d'im-
portance nationale, pouvant encourager l'offen-
sive des étudiants sur ce thème.
Le mouvement de Nanterre a donc remporté
une victoire quant à l'objectif qu'il s'était fixé.
Mais les événements nanterrois esquissent des
conséquences qui vont bien au-delà pour l'en-
semble du mouvement étudiant. Alors qu'en
Allemagne le SDS représente un courant
politique de masse au travers duquel tendent
à se différencier des familles politiques, en
France les familles politiques sont déjà structu-
rées et se neutralisent sur l'échiquier de
l'UNEF en transformant chaque assemblée gé-
nérale en interminable radio-crochet où défi-
lent les représentants de tous les groupes.
A Nanterre dans le mouvement actuel tend
à se constituer un courant de masse auquel
participent de nombreux éléments inorganisés
et certains groupes (« anarchistes » et JCR
surtout) au prix de concessions réciproques
et sur la base d'une expérience politique com-
mune qui sert de point de départ au débat,
sans que l'accord sur • une ligne » soit un
préalable à l'action. Dans ce mouvement les
militants font l'expérience de la démocratie di-
recte, les * inorganisés » censurent l'affron-
tement intergroupusculaire habituel de sorte
que se produit un dégel des frontières entre
groupes et surtout un élargissement considéra-
ble de la sphère d'influence des militants
d'avant-garde.
Un tel mouvement ne peut, pour un certain
temps, avoir de « ligne » ni de direction. Il
ne peut avoir de direction parce qu'il n'est pas
structuré (la structuration s'amorce à la base
sous forme de commissions et sous-commis-
sions), parce que la direction ne pourrait être
aujourd'hui encore que l'émanation d'un cartel
de groupes ou d'un groupe hégémonique, ce
qui dans" les deux cas reviendrait à briser le
mouvement par exclusion des inorganisés vite
désabusés. Un tel mouvement de masse ne
peut avoir de « ligne » parce qu'il repose sur
un minimum de principes et repères communs
émergeant lentement des débats en commis-
sions sans qu'aucune des lignes concurrentes
puisse s'imposer dans sa totalité.
Les étudiants de Nanterre ont donc résolu
à leur façon les problèmes du mouvement étu-
diant en dégageant un courant politique de
gauche et en expérimentant des formes de
mobilisation inédites en France.
Gageons que cet acquis politique et orga-
nisationnel, renforcé à la rentrée 68 par un
afflux de lycéens déjà aguerris par leurs luttes
et attisé par les conditions catastrophiques
de la future rentrée, nous promet des lende-
mains explosifs. Reste à savoir si ce phéno-
mène est aberrant au regard des normes léni-
nistes en vigueur ou si la situation nationale
et internationale dans laquelle il prend place
permet de le comprendre et d'affiner nos cri-
tères.
LE SENS DE L'HISTOIRE
A vouloir juger de l'intérêt et de la portée
d'un tel mouvement, il n'est que deux angles
possibles : quant à son contenu et quant à ses
perspectives.
Quant au contenu, dès ses premiers balbu-
tiements, le mouvement de Nanterre a mis les
choses au point. Il ne s'agit pas de déclarer
que la classe ouvrière n'existe plus, de faire
de l'université le champ clos de la lutte des
classes sous forme d'un conflit enseignant -
enseignés, d'établir sous prétexte d'université
critique une contre-université socialiste alter-
native à l'université bourgeoise. « L'université
critique » en question n'est pas une institution
mais un processus permanent de contestation
selon le principe : « De la contestation de
l'université de classe à la contestation de la
société capitaliste ». Il est donc clair aux yeux
des étudiants en lutte qu'ils ne transformeront
pas l'université qui ne peut être effectivement
remise en cause que par la transformation de
la société dans son ensemble grâce à l'action
révolutionnaire de la classe ouvrière.
Le mouvement actuel est donc un mouve-
ment internationaliste (les débats sur le Viet-
nam et l'Amérique latine, les motions de sou-
tien aux Quadeloupéens et aux étudiants polo-
nais en témoignent) et anticapitaliste conscient
du rôle historique de la classe ouvrière. Compte
tenu de ces données, un tel mouvement de-
vrait en principe se rallier aux luttes de la clas-
se ouvrière sous la direction d'un parti révolu-
tionnaire. Mais quand ce parti n'existe pas et
quand un parti social-démocratisé mais puis-
sant garde la confiance de la classe ouvrier?
et demeure son seul porte-parole, que pe-.:! un
(Suite page 4)
(Suite de la page 3)
tel mouvement ? Se soumettre ou se sabor-
der ?
Choisir l'une des deux réponses, ce serait
accepter de répondre au problème dans les
termes légués par le PC. L'image de la couche
petite-bourgeoise indécise qui doit choisir en-
tre la bourgeoisie et le prolétariat est ici insuf-
fisante. Nous ne comprenons pas le stalinisme
comme un phénomène dont les conséquences
n'agissent que dans les limites des organisa-
tions staliniennes. S'il est vrai que depuis long-
temps les conditions objectives de la révolu-
tion ont mûri, s'il est vrai que la classe ou-
vrière est la seule classe qui, dirigée par un
parti révolutionnaire, peut résoudre les con-
tradictions du capitalisme et de l'impérialisme
par une transformation radicale de la société
à l'échelle mondiale, alors la capacité ou l'in-
capacité de ses directions à résoudre ces con-
tradictions détermine l'ensemble de la société.
Le stalinisme a pendant quarante ans écrasé
sur le plan théorique et idéologique la classe
ouvrière et ses alliés possibles.
Aujourd'hui la poussée de la révolution mon-
diale incarnée par la révojjution vietnamienne,
les positions révolutionnaires des Cubains et
les difficultés des démocraties populaires,
l'instabilité du capitalisme occidental exacer-
bent les tensions au sein du mouvement stali-
nien et parmi ses rejetons. Il est normal dans
cette situation que l'emprise idéologique du
stalinisme soit détruite en ses maillons les plus
faibles. Et le mouvement étudiant, en raison
de la mobilité des ses militants, de leur position
particulière (dégagés de leur classe d'origine
et non encore intégrés dans leur classe à ve-
nir), de la souplesse de ses organisations est
un de ces maillons privilégiés, un de ces points
de déséquilibre où la société capitaliste et le
mouvement stalinien sont conjointement rejetés.
L'expérience du FUA le laissait supposer.
Aujourd'hui l'essor international des mouve-
ments étudiants le confirme. Partis de points
différents (mouvements pacifistes en Angle-
terre et aux USA, scissions dans la social-dé-
mocratie en Allemagne et en Belgique, en
rupture avec le stalinisme en Italie, au Japon
ou en France) ces mouvements unifiés en quel-
que sorte par le problème vietnamien prennent
une ampleur que la simple contagion ne sau-
rait expliquer. Ceux qui ignorent la place par-
ticulière que peut occuper conjoncturellement
ce mouvement étudiant sont acculés à l'incom-
préhension : ainsi à Nanterre l'UJCML qui ca-
ractérise le mouvement comme à « cent pour
cent réactionnaire parce que non situé sous
l'autorité des travailleurs » et le CLER qui s'ac-
croche à contre-courant au thème de la re-
construction à tout prix d'une UNEF conçue sur
le modèle du syndicat ouvrier.
Dans le contexte particulier de la crise du
stalinisme, le mouvement étudiant, outre son
rôle éducatif pour les militants qui y partici-
pent, a sa valeur propre. Il a des conséquences
sur l'ensemble des forces politiques (cf. les
crises ouvertes en Allemagne et en Italie par
les luttes étudiantes). Il faut comprendre qu'au
moment où les fondements du stalinisme sont
ébranlés on ne sait d'où viendront les étin-
celles qui peuvent non déclencher la révolution
mais accélérer le processus de reconstruction
de partis révolutionnaires. Assurément les lut-
tes étudiantes qui mettent en mouvement des
masses particulièrement combatives ne sau-
raient être considérées comme une agitation
désespérée, mais bien comme une de ces étin-
celles. A travers leurs lunes les étudiants
comprennent la nécessité d'un parti et elles
créent par la mobilisation réelle les lieux de
jonction possible avec les luttes ouvrières.
D.B.
BERLIN
LA GRANDE PEUR DE BERLIN
35 ans après Hitler, rien n'est changé aux
mœurs politiques de la bourgeoisie allemande :
l'assassinat politique reste son arme ultime.
Mais aux balles de l'assassin Bachman ont
répondu aussitôt les manifestations massives
des étudiants à Berlin et dans toute l'Allema-
gne. La vitrine de l'Occident a volé en éclats
sous les coups du S.O.S.
Les manifestations qui se développent en
Allemagne ne sont pas les simples péripéties
des luttes étudiantes qui ont déjà eu lieu. Elles
contiennent en elles-mêmes une dynamique
politique, elles marquent ou du moins peuvent
marquer la transformation qualitative du mou-
vement d'extrême-gauche en Allemagne. En
France, la lutte des étudiants allemands est
populaire mais peu connue : l'internationale de
la presse capitaliste ne transmet que des infor-
mations tronquées.
Commençons par rétablir les faits :
50 ANS APRES...
Le jeudi 11 avril à 17 heures, la nouvelle
de l'attentat contre Dutschke court à travers
Berlin. Les premiers télégrammes sont envoyés
un meeting est immédiatement convoqué. Il
s'ouvre à 19 h. dans le grand amphi, bondé,
de la - Technische Universitat » (T.U.).
Les premières nouvelles parviennent : il y a
peu d'espoir que Rudi survive. Les interven-
tions des dirigeants S.O.S. dénoncent sans am-
biguïté les coupables : Springer - Kiesinger -
le bourgmestre Schutz qui par leur « hystérique
campagne de haine contre le S.O.S. ont créé
à Berlin une atmosphère de pogrom dans la-
quelle l'attentat a été rendu possible «. Au
micro, un représentant de la J.C.R. vient rappe-
ler qu'un demi-siècle avant, la bourgeoisie alle-
mande assassinait Rosa Luxembourg et Karl
Liebknecht, décapitant le mouvement ouvrier al-
lemand, et explique qu'il n'y a qu'un moyen
de s'opposer à la terreur fasciste : ré-
pondre par la violence révolutionnaire des
masses. Un Grec apportera, au nom des ré-
sistants, le soutien des organisations révolu-
tionnaires de son pays. Un vote est organisé,
une manifestation décidée immédiatement de-
vant chez Springer.
Le cortège traversera Berlin pendant une
heure aux cris de : « Rudi vit quand Springer
brûle I • « Axel (Springer) nous arrivons I »
« U.S. hors du Vietnam, bombardez la maison
de Springer ! -, Arrivées devant le building,
2.000 personnes attendent le cortège pour s'y
ioindre, en majorité des gens du quartier. Pen-
dant 2 heures de violentes bagarres avec la
police auront lieu devant les portes du building
dont toutes les vitres volent en éclat. Refoulés
par les canons à eau, les manifestants enva-
hissent le parc des camionnettes de livraison
et y mettent le feu. 22 véhicules seront dé-
truits. Pour la soirée de jeudi, Springer en
aura pour plus de 31 millions d'AF.
A une heure du matin, la manifestation se
disperse. Un meeting destiné à tirer les leçons
pratiques de l'attentat est décidé pour le lende-
main à 11 h.
DES ETUDIANTS
AUX TRAVAILLEURS...
A ce meeting on remarque déjà un certain
nombre de jeunes travailleurs.
On y affirme la nécessité de dénoncer la
presse et le gouvernement et de renforcer la
mobilisation. Une seule solution pour y arriver :
accentuer la contradiction dans laquelle se
trouve le pouvoir, intensifier les manifestations,
démontrer pratiquement que l'Etat est prêt à
semer la terreur policière par tous les moyens
et isoler le pouvoir d'Etat en sensibilisant de
nouveaux secteurs. Vendredi 12 à 15 h., doit
avoir lieu une manifestation.
Manifestation de solidarité, samedi 13 mars, à Paris
MOT D'ORDRE
Annonce de la manifestation, sur les murs de la Cité d'Antony
Elle commence avec 5.000 participants, pré-
cédés d'une nuée dé drapeaux rouges, sur la
grande artère qu'est le Kurfurstendam. La ré-
pression est immédiate et le kudam se transfor-
me en champ de bataille où la police montée
charge sabre au clair, les motards et les auto-
pompes foncent dans la foule et où les ma-
nifestants, arrachant les pavés et renversant
les voitures se battent et construisent les
premières barricades.
Une moto de police est brûlée en pleine rue.
A 15 h. 30 le cortège se reforme dans une
avenue parallèle et descend vers la place de
l'Hôtel-de-Ville où siège le Sénat. Seulement
ce ne sont plus les 5.000 manifestants de tout
à l'heure. Des ouvriers et des employés berli-
nois qui jusqu'à présent se tenaient en spec-
tateurs sympathisants, se joignent en masse
au cortège. Ce sont 12 à 15.000 Berlinois, qui
derrière les drapeaux rouges et sous la direc-
tion des militants révolutionnaires du S.O.S.
descendent vers l'Hôtel de ville.
On crie maintenant : « Qui nous a trahi ?
La social-démocratie I Qui a raison : Karl
Liebknecht I ». « 2-3 Vietnam, nous nous com-
mençons par Springer I > Les vieux refrains
reviennent qu'on lance à l'adresse des gens
sur le trottoir. • Range-toi dans le front de
tous les ouvriers, avec tous tes frères étran-
gers... » La justesse de la tactique décidée
à la TU se révèle immédiatement. A 16 h., la
place de l'Hôtel-de-Ville est noire de monde.
Dans la foule, des dizaines de drapeaux rou-
ges. La police intervient avec une brutalité
inouïe, la bataille durera deux heures et demie.
A 18 h. 30, la manifestation se dissout dans
le calme afin que les participants puissent se
rendre à un meeting de coordination de l'action
à 19 h.
... UNE MEME LUTTE
A ce meeting, la résolution (en exergue à
l'article) est votée et une délégation est élue
pour la présenter au Sénat et à Schutz. Une
manifestation doit commencer à 22 h. 30 pour
empêcher la sortie de la presse Springer. A
partir de 22 h. 30, 400 voitures chargées de
militants du S.D.S. bouchent la circulation dans
le quartier de Springer pendant que les jeunes
travailleurs du quartier participant massivement
à la démonstration dressent des barricades
dans toutes les rues, allument des incendies
inoffensifs dans les terrains vagues afin de
disperser les auto-pompes. Des dizaines de
petits cortèges se forment.
Des batailles de rue interminables s'enga-
gent. Chez Springer : barbelés, pompiers, ca-
nons à eau, soldats, contrôles d'identité, bar-
rières métalliques défendent un périmètre de
sécurité d'un rayon de 100 m autour du buil-
ding. Deux camions de livraison tentent de pé-
nétrer dans le quartier, ils sont immédiatement
interceptés et vidés de la totalité de leurs
journaux qui sont brûlés et déchirés. Dès lors
les journaux seront livrés dans des taxis et
des voitures de pompiers. A 1 h. du matin
le quartier est abandonné dans l'ordre ; ce
sont les filiales de Springer qui seront atta-
quées dans la ville.
A 4 h. tout est fini, les manifestations s'éva-
nouissent sans que la police ait pu rien faire.
Durant toute la soirée l'initiative est restée
aux mains des manifestants.
Le samedi 13, une assemblée d'organisa-
tion se tient à 12 h. au grand amphi de la TU.
La veille un appel à la solidarité internationale
était lancé. L'annonce de manifestations en pré-
vision à Rome, Paris, Vienne et Londres dé-
chaîne un enthousiasme indescriptible dans la
salle qui debout, scande pendant 5 minutes :
« 2 - 3 Vietnam I Ho Ho Ho Chi Minh ! »
On décide d'organiser l'action du lendemain
et de préparer un plan jusqu'au 1er mai.
Jusqu'à cette date on étendra les manifesta-
tions, on créera partout un climat d'agitation
permanente afin de gagner de nouveaux sec-
teurs de la population pour organiser, le 1er
mai, une grande manifestation de dénonciation
tique et à faire accéder ainsi leur mouvement à
un stade plus élevé de luttes, à le transformer
qualitativement.
En s'attaquant à la presse et à l'information
bourgeoises, le S.D.S. avait depuis longtemps
touché aux organes les plus subtils, aux points
les plus sensibles du système d'oppression
capitaliste. L'Etat bourgeois se sentait attaqué
sur son point le plus faible.
Dans une situation d'émotion politique inten-
se, il était possible, à condition d'engager des
batailles résolues, de faire apparaître au grand
jour le rôle de la presse, agent zélé de l'ordre
bourgeois, organe de la domination idéologique
de classe, de montrer comment, dans une so-
ciété de concentrations capitalistes, la presse
qui est entre les mains de un ou deux trusts
gigantesques, ne joue qu'un rôle de bourrage
de crâne systématique, ne fait que défendre
contre l'usurpation par la social-démocratie
de la journée militante de la classe ouvrière.
Déjà les problèmes sont posés par les mili-
tants : comment prévoir de nouvelles structures
de lutte, larges, nationales et non plus étudian-
tes, capables d'accueillir et d'organiser sur un
programme d'action les éléments populaires
qui se sont joints pour la première fois aux
manifestations.
LA RESISTIBLE ASCENSION...
Il est important de comprendre comment les
étudiants révolutionnaires allemands sont par-
venus à exploiter totalement une situation poli-
lés intérêts exclusifs de l'Etat, protecteur, des
puissances financières.
... D'AXEL SPRINGER
Mettre Springer (78 % de la presse berli-
noise, 3 quotidiens totalisant plus de 8 millions
de tirage) au pied du mur, expliquer que sa
campagne de presse n'était rien moins qu'une
incitation publique et forcenée au meurtre,
pousser le trust dans ses derniers retranche-
ments, le forcer à bénir la répression violente,
tel fut le but du S.D.S. C'est ainsi que dans sa
propre logique, Springer *n arriva à l'aberrant.
(Suite page 6)
RESOLUTION ADOPTEE AU MEETING DU 12 AVRIL POUR ETRE PRESENTEE AU SENAT ET A LA CHAMBRE DES
DEPUTES DE BERLIN-OUEST
Attendu que,
— l'attentat criminel contre Rudl Dutschke
n'est pas l'acte insensé d'une personne Isolée,
— la presse de Springer, par sa systématique
campagne de haine contre l'opposition de gau-
che, a créé en premier lieu le climat dans le-
quel un homme isolé a pu imaginer et exécuter
ce plan (l'attentat),
— que les quotidiens de Berlin-Ouest, la ra-
dio, la télévision, par leurs falsifications, non
seulement au sujet du mouvement de l'opposi-
tion extraparlementaire et de ses buts, mais
encore au sujet d'autres problèmes politiques,
ont donné des bases à la campagne de haine
de Springer,
— que le Sénat de Berlin-Ouest, la Chambre
des députés, les partis de Berlin-Ouest et leurs
appendices syndicaux, par leurs mensonges
cherchent à dissimuler l'administration de mi-
sère de cette ville et à s'emparer des centres
de manipulation grâce à leurs hommes de
main,
Nous réclamons,
1) la dissolution du Sénat (de Berlin) et la
formation d'un nouveau Sénat qui engagera le
premier pas avec nous pour établir des rap-
ports démocratiques à Berlin-Ouest.
2) l'expropriation immédiate de Springer et
la création d'une assemblée composée d'ou-
vriers, d'employés, d'étudiants et d'élèves qui
puisse examiner comment les moyens de pro-
duction de ce konzern pourront être employés
au service d'une information démocratique,
3) que cette assemblée puisse mettre au
point un programme de démocratisation des
émissions de radio. En ce qui concerne RIAS
(1) nous réclamons la suppression immédiate
du contrôle américain et son remplacement par
un comité de contrôle régulièrement élu. Pour
la SFB un représentant de l'opposition extra-
parlementaire sera immédiatement élu pour
pouvoir participer à l'organisation de l'informa-
tion,
4) pour la période s'étendant jusqu'au 1er
mai, nous réclamons journellement une heure
d'émission pour pouvoir nous entretenir avec
la population travailleuse de la ville sur les
réalités politiques de Berlin-Ouest et sur la
possibilité de les changer. Pour cela, les assu-
rances doivent être données que la population
pourra décider si elle prendra part (ce jour-là)
à une soi-disant démonstration de la liberté
sur la place de la République, ou bien si elle
se joindra à une manifestation vraiment socia-
liste qui exprimera ses véritables intérêts.
Berlin-Ouest, 12 avril 1968.
(1) Chaîne berlinoise qui d'après les traités
est placée sous contrôle U.S.
(Suite de la page 5)
Dimanche 12, « BZ », son plus important or-
gane de presse, titrait : « Rudi a organisé lui-
même l'attentat pour déclencher la terreur rou-
ge -.
Devant de telles calomnies, quel est l'imbé-
cile qui se laisserait encore prendre... Ainsi
par réaction d'indignation et de bon sens s'opé-
rait un bouleversement de conscience qui ne
pouvait se développer que dans des luttes d'un
haut niveau politique, qui mettraient l'Etat et
ses filiales dans une situation de contradiction
entre ses protestations en tant que garant des
libertés démocratiques et ses appels à la ré-
pression sauvage. Ainsi, dans une situation de
crise aiguë, on assiste à un retournement d'at-
titude dans la population qui hier encore « cas-
sait de l'étudiant de gauche » et qui aujourd'hui
commence individuellement à prendre part aux
manifestations.
PRENDRE L'ETAT DE VITESSE
Le problème dès lors est d'accélérer le pro-
cessus. Pour cela il faut aggraver la contra-
diction entre les déclarations de l'Etat allemand
qui, dans la tradition de Weimar, se prétend
au-dessus des classes, garant des libertés,
gérant des intérêts collectifs de la population
et la réalité palpable de la répression policière.
Or l'Etat pour réprimer a besoin, au moins,
d'une passivité de la population afin d'isoler
totalement le mouvement. C'est ainsi que nulle
part il n'est fait mention de la participation de
la population ; tous les moyens sont bons, au
contraire, pour tenter de la dresser contre les
étudiants. De même le mouvement pour rendre
inopérante la répression a besoin de s'étendre,
et s'étend à de nouvelles couches de la
population.
Le mouvement, à l'heure actuelle, se déve-
loppe en l'absence de luttes sociales graves.
Cependant son ampleur et la profondeur de la
crise politique qu'il provoque peuvent permettre
s'il gagne des secteurs de la population tra-
vailleuse de déterminer et de catalyser une
crise sociale qui jusqu'à présent se trouvait à
l'état Ifitent. Dans la mesure où le mouvement
démasque le fonctionnement réel du système
politique allemand, il force celui-ci à engager
une répression ouverte qui, au travers des étu-
diants, vise dans la situation présente les prin-
cipaux secteurs de la population.
Ainsi aujourd'hui Kiesinger réclame les pou-
voirs spéciaux, ainsi l'Etat mobilise-t-il la police
des frontières. A-t-on vraiment besoin de tout
cela pour réprimer une agitation étudiante ?
Donc le temps est précieux dans la mesure
où il faut aujourd'hui capitaliser au maximum
cette sensibilisation émotive pour la faire dé-
boucher effectivement sur une base sociale et
politique solide et ceci avant que la répression
n'écrase le mouvement dans sa première étape,
la deuxième étant sa transformation en mobili-
sation populaire.
QUELLES PERSPECTIVES?
Il y a une grande différence de nature entre
ce qui se passe en Allemagne et les manifes-
tations étudiantes italiennes par exemple.
Le mouvement allemand dispose d'une direc-
tion politique, d'un programme (démocratisation
et contrôle de l'information) qui n'intéresse pas
les étudiants en premier lieu mais bien l'en-
semble de la population allemande, ce qui per-
met d'élargir le mouvement. Il dispose aussi
d'une perspective politique. Aboutir à la mani-
festation du 1er mai voilà le but des manifesta-
tions qui auront lieu dans les jours à venir.
Ceci n'est pas un but arbitraire, il doit entériner
un saut qualitatif, l'entrée dans la lutte d'un
certain nombre de travailleurs, ouvriers et em-
ployés. Ainsi l'issue, c'est-à-dire la retombée
de la lutte ou l'élargissement du mouvement
ne dépend que de la solidité des structures
qui apparaîtront.
Le mouvement se propose des objectifs li-
mités et doit compter au même moment
avec la répression massive. Ainsi les militants
allemands savent qu'il faut s'attendre au
retour à un calme relatif. Si dans une période
de montée des luttes, la fluidité organisation-
nelle du S.O.S. a pu être un certain avantage,
pour l'intégration d'éléments nouveaux, cette
même fluidité serait fatale au mouvement dans
une période de répression massive ou de sta-
gnation. Il importe donc de mettre en place
dès maintenant les structures qui permettront
de conserver dans les quartiers les éléments
qui ont participé aux manifestations lorsque
celles-ci seront retombées, C'est pour cela
que lundi 15, à un meeting important à la TU,
a été votée la création d'un • Comité de mai •
qui devra organiser des comités de base de
façon à réunir dans les quartiers les gens qui
ont participé au mouvement. Mais sur ce co-
mité, quel commentateur quelle agence de
presse a-t-il écrit un seul mot ?
De même, la nécessité de considérer la lutte
à un niveau européen a été maintes fois répé-
tée et il est pour nous, révolutionnaires fran-
çais, important d'orqaniser la solidarité inter-
nationale, de multiplier les manifestations de-
vant les ambassades et les consulats du régime
de Bonn et devant les agences de Springer.
La valeur du soutien que nous pouvons accor-
der aux militants allemands est immense.
STAAL
LA NOUVELLE GAUCHE
RÉVOLUTIONNAIRE AU BRÉSIL
Le 1" avril, les gorilles brésiliens s'apprê-
taient à célébrer le quatrième anniversaire du
coup d'Etat militaire de 1964 lorsque déferla la
plus violente, la plus large vague de révolte
populaire depuis le renversement de Goulart.
La goutte d'eau : l'assassinat d'un étudiant par
la police en plein restaurant universitaire de
Rio. Quelques milliers d'étudiants, descendus
dans les rues de la ville en brandissant des
portraits de Che et des pancartes : < A bas
la dictature - et « Mort à l'impérialisme ian-
qui », sont le noyau, qui a permis de cristalli-
ser la révolte latente de toute une foule d'ou-
vriers, de chômeurs et de fonctionnaires et de
l'entraîner vers une véritable insurrection. De
50 à 100.000 personnes se sont battues à
coups de pierre contre la police dans les rues
de Rio. Le gouverneur local (un « démocrate »
élu avec l'appui du P.C.) a été obligé d'avouer
son incapacité à assurer le contrôle de la ville
et de recourir à l'intervention d'urgence de
l'armée fédérale.
Dans des centaines de villes du pays,
des manifestations extrêmement violentes
se sont poursuivies pendant plusieurs jours.
A Brasilia, les étudiants ont barré toutes les
routes menant à l'université et ont empêché par
la force l'entrée de la police.
SITUATION DE LA GAUCHE
Tout cela intervient dans un contexte politi-
que tout nouveau : ce sont des avant-gardes
jeunes formées tout récemment qui sont à la
tête de ce qui constitue en fait le seul foyer
de contestation du pouvoir au Brésil. La < gau-
che • traditionnelle et libérale (P.C. compris)
comprend bien, d'ailleurs, les « dangers » que
court sa politique de < paix démocratique -
face à la mise en cause radicale du régime par
les jeunes : ses commentaires condamnent les
« brutalités policières - et font valoir que des
slogans aussi « extrêmement guevaristes »
peuvent servir comme prétexte aux généraux
d'extrême-droite pour donner un coup d'arrêt
dans la • libéralisation » promise par les géné-
raux (de droite...)
L'origine de ces nouvelles avant-gardes se
trouve surtout dans l'ancien P.C. lui-même. L'in-
capacité totale du Parti à répondre à la crise
de 1964 par une mobilisation indépendante des
masses a été dans la pratique la démonstration
la plus évidente de la faillite du réformisme.
Aucune auto-critique de façade n'était possible
pour celui (Prestes, le secrétaire-général) qui
avait affirmé « être déjà au pouvoir » en 1964.
Il l'a bien compris, d'ailleurs, lorsqu'il déclarait
textuellement en 1966 qu'il « est une sottise
d'imaginer que la dictature puisse tomber par
l'assaut des masses, l'écroulement spontané du
groupe putschiste étant le plus probable -...
(Voz Operària, organe du C.C., sept. 1966). Le
P.C. avait fait donc, en toute netteté, son
• grand choix » — il prenait le mot d'ordre
de la « redémocratisation », il complotait avec
le leader fasciste Lacerda la formation d'un
« Front Ample » d'inspiration « libérale • et en-
voyait un membre du Comité Central, au Portu-
gal pour convaincre l'ancien président Kubits-
chek (en exil) d'y participer.
Les conséquences de cette ligne si honnête-
ment droitière se sont fait sentir à tous les
échelons du parti. Fin 1966, Mariguella, deuxiè-
me dirigeant, le plus connu du parti, donnait
sa démission du Comité Central et dénonçait
en lettre ouverte le • capitulationnisme et la
politique de remorque à la bourgeoisie ». Mais
cela n'était qu'un symptôme du malaise, voire
Manifestation à Rio
de révolte la plus totale régnant à la base. La
grande majorité des militants jeunes dans les
principaux Etats du pays, exigeait une critique
radicale, non seulement du réformisme, mais
aussi de toutes les vieilles conceptions stali-
niennes sur la « révolution démocratique », le
rôle de la • bourgeoisie nationale » et aussi
des pratiques bureaucratiques de l'organisation.
Ils font campagne pour le boycottage des élec-
tions parlementaires de novembre 1966 et pour
cela 85 % des militants étudiants de Rio
étaient exclus alors du parti — ils ont formé
ensuite la Dissidence de Rio qui est à l'origine
des actuelles manifestations. A Rio Grande do
Sul, extrême-sud du pays et deuxième grande
région ouvrière, les jeunes militants révolution-
naires ont obtenu la majorité dans la direction
locale du P.C. et ont exclu, par là même, les
vieux bureaucrates.
En avril 1967, Mariguella était élu secrétaire
du comité de Sâo Paulo, la plus grande concen-
tration ouvrière du Brésil. Un mois après il par-
tait à Cuba pour la conférence de l'OLAS en
tant que seul représentant du P.C. brésilien et
prônait alors la guerrilla au nom de la nouvelle
avant-garde révolutionnaire... La nécessité d'une
stratégie radicalement nouvelle pour remplacer
le réformisme, explique la grande influence
qu'ont exercé en ce moment les thèses de De-
bray au sein des jeunes avant-gardes et aussi
l'application mécanique qui en a été souvent
faite pour le Brésil. Mais c'est au niveau poli-
tique plutôt que tactique, que s'est fait sentir
l'influence des résolutions de l'OLAS : la crise
générale du réformisme se précipitait, Mari-
guella était exclu du parti, un regroupement
global de forces s'est effectué alors. D'un côté
il y a la formation d'un « Front de la Gauche
Révolutionnaire - (FER), groupant des jeunes
dissidences de plusieurs Etats et un embryon
marxiste révolutionnaire qui existait déjà précé-
demment : - Politique Ouvrière - (POLOP). La
révolution brésilenne est comprise comme ayant
un caractère socialiste, la tâche prioritaire étant
la formation (dans la lutte) d'un nouveau parti
révolutionnaire chargé d'établir le lien entre la
lutte ouvrière et la lutte de guerrillas. D'un
autre côté, différents secteurs des dissidences,
pour lesquels la préparation d'un foyer guerril-
lero est prioritaire à celle du Parti. Ce sont des
nuances d'ordre stratégique qui les différen-
cient, les uns admettant encore la révolution en
deux étapes, les autres considérant la révolu-
tion comme un processus unitaire.
En dehors des dissidences récentes du P.C.,
il y a surtout « Action Populaire », mouvement
d'origine catholique, mais ayant adopté un pro-
gramme marxiste centré sur le travail de politi-
sation dans les campagnes. L'A.P. exerce une
influence prédominante sur le mouvement étu-
diant et partage la direction de l'UNEB avec les
jeunes dissidences du P.C. L'Union Nationale
des Etudiants a exclu tous les membres du
P.C. « orthodoxe », après avoir quitté l'U.I.E.,
accusée de révisionnisme. Son dernier congrès
a opté pour un programme de renversement de
la dictature et de la lune pour le socialisme...
UN BILAN
Le regroupement de la gauche n'en est qu'à
ses débuts. Il n'y a, pour l'instant, que des
amorces d'un programme révolutionnaire qui
pourrait donner une solution à la nécessaire
combinaison de formes de lutte au Brésil. Le
rôle des étudiants et des jeunes est au Brésil,
comme en Europe, d'une importance fondamen-
tale : ils ont été en fait les seuls capables de
dépasser en 4 ans tous les mythes et les dog-
mes staliniens. Il reste que cette génération
de militant doit bâtir « de A à Z » toute une
stratégie. Sa créativité se montre déjà dans
les tactiques originales de combat de rue,
ainsi que dans un style nouveau de militan-
tisme inauguré par les nouvelles avant-gardes.
L'acquis politique le plus important est pour
l'instant le dépassement radical du réformisme,
avec l'éclatement total du vieux P.C. : il est
exclu du rang des forces révolutionnaires par le
départ même de la majorité de ses militants.
Il s'agit d'une crise plus profonde que dans tout
autre P.C. en Amérique Latine, y compris le
vénézuélien. Il fallait passer nécessairement
par là pour effectuer cette fois-ci un regroupe-
ment à la base et véritablement sur des bases
radicales.
L'enjeu international dans lequel se place la
nouvelle gauche brésilienne est assez évident
pour être même perçu par un général chargé
de la répression à Rio : se référant aux « ins-
tigateurs de la subversion » il a affirmé :
« ce n'est pas un secret pour personne qu'il
s'agit de communistes I De communistes vrai-
ment dangereux comme ceux qui provoquent
des désordres à Berlin, à Rome et à Varso-
vie » (...) Un général qui voit bien loin...
DES CAMARADES BRESILIENS.
2e CONFÉRENCE NATIONALE DE LA JCR
La deuxième Conférence Nationale de la
Jeunesse Communiste Révolutionnaire s'est te-
nue dans la région parisienne les 13, 14 et
15 avril derniers. Prés de 350 délégués venus
de 37 villes ont participé aux débats. La pre-
mière Conférence Nationale avait eu lieu il
y a deux ans, en avril 1966, immédiatement
après notre exclusion du Mouvement de la
Jeunesse Communiste.
Objet de cette conférence : A la lumière
de l'expérience accumulée depuis deux ans
par notre organisation et l'ensemble des * or-
ganisations-sœurs » d'Europe occidentale, ré-
examiner notre conception de la construction
du Parti Révolutionnaire et, plus précisément,
définir la place qu'occupent les nouvelles avant-
gardes jeunes dans le processus de recons-
truction du Parti Communiste de demain.
Menées en commissions de travail restrein-
tes, les discussions ont permis une large
confrontation des expériences régionales et
sectorielles. Signe des temps : pour la pre-
mière fois le secteur étudiant ri'a pas mono-
polisé les débats. Les apprentis et élèves de
C.E.T., les lycéens, les jeunes travailleurs ont
fait part des problèmes auxquels ils se trou-
vent confrontés et présenté leurs perspec-
tives de développement. Le caractère militant
de la Conférence fut accentué par la véritable
symbiose qui s'établit avec nos camarades alle-
mands en lutte. Toute la conférence prenait
part, samedi 13 avril, à la manifestation de
solidarité avec Rudi Dutschke et le S.O.S.
Les contributions aux débats apportées par
des camarades allemands et italiens ont ou-
vert une véritable dimension continentale à
nos problèmes et à notre combat. La seconde
Conférence Nationale de la J.C.R. devait ou-
vrir la discussion dans l'organisation, dans le
cadre de la préparation du 2e Congrès, en au-
tomne prochain.
Dans ses prochains numéros, fAvant-Garde
se fera l'écho des discussions en cours et
présentera à ses lecteurs les problèmes poli-
tiques qui se posent à nous, au stade actuel
de notre développement.
NE VOUS CONTENTEZ PAS DE LIRE, RETENEZ BIEN
* char M-60 « Général Patton », blindé lourd nord-américain
46 tonnes
vitesse 95 km/h, rayon d'action 300 km
1 canon de 102 mm
2 mitrailleuses
1 lance-flammes
utilisé au Vietnam, en Corée, à St-Domingue, au Guatemala, en Grèce, en Allemagne de l'Ouest...
IL PEUT SE DETRUIRE :
— A et E : kiosque de visée et aération du moteur, vulnérables par coktail molotov (cf. A.G.J. n° 9)
— A, B, C, D, points vulnérables à une charge creuse (bazooka, missile anti-tank)
--- une mine électrique peut être mise à feu par le passage du char
— un trou de 1 mètre de profondeur et d'1 mètre de diamètre peut protéger le tireur, même si le char
passe dessus.
LA CRISE MONÉTAIRE INTERNATIONALE
Nous publions, dans ce numéro,
le premier d'une série de 3 articles
traitant de certains aspects des con-
tradictions inter capitalistes :
Ils s'efforceront d'analyser leur évo-
lution depuis la guerre jusqu'à leur
manifestation au travers de la crise
monétaire internationale actuelle, d'en
donner une explication marxiste, c'est-
à-dire se plaçant au niveau de la pro-
duction des biens matériels. Ils pour-
ront paraître ardus. Mais il est impor-
tant pour les militants de comprendre
quels mécanismes fondamentaux sont
à l'origine de la crise actuelle, quels
gaspillages — liés à la nature du sys-
tème capitaliste — elle entraîne et
par quels moyens la bourgeoisie fait
payer par la classe ouvrière, au tra-
vers des mesures qu'elle prend pour
tenter de les conjurer, les difficultés
d'un système de plus en plus archaï-
que. Il est donc nécessaire qu'ils fas-
sent un effort pour étudier ces arti-
cles, qui feront appel aux concepts
fondamentaux de l'économie marxiste,
et dont la complexité tiendra plus au
sujet qu'à l'écriture.
Les prévisions faites précédemment
dans ce journal (cf. N° 8 et 9) selon
lesquelles le domaine monétaire allait
être pour une longue période le lieu
privilégié des manifestations des con-
tradictions entre pays impérialistes
semble se confirmer. Il est important
pour les forces de gauche de com-
prendre la nature profonde de ces
contradictions afin de dégager correc-
tement les perspectives qu'elles ou-
vrent à la lutte révolutionnaire.
I. LES CAUSES PROFONDES
DE LA CRISE MONETAIRE
INTERNATIONALE
En réalité, les causes fondamentales de la
crise monétaire ne se trouvent pas dans le
système monétaire lui-même. Bien que. en
courte période, il puisse s'y développer des
contradictions qui lui sont propres, il n'est que
le lieu où s'exprime les contradictions fonda-
mentales du développement capitaliste.
Les racines profondes de la crise mnétaire
doivent être recherchées dans l'inégalité rela-
tive des rythmes de développement des for-
ces productives dans les différents pays capi-
talistes et dans la nature des politiques impé-
rialistes liées au niveau de développement des
forces productives de ces différents pays.
Inégalité des rythmes du développement
des forces productives
Au lendemain de la seconde guerre mon-
diale, le seul pays dont la capacité de pro-
duction n'avait pas été touchée était les Etats-
Unis. Les appareils productifs des pays euro-
péens étaient soit détruits soit vieillis. Dans
ces conditions les rapports de forces entre
bourgeoisies étaient favorables aux Etats-Unis
qui, sans contestation possible dominaient le
monde capitaliste et pratiquaient comme ils
l'entendaient leur politique impérialiste.
Sur le plan politique, cette suprématie se
traduisait par: des bases militaires mainte-
nues à l'étranger, des dépenses d' « aide »
à des pays étrangers, qui les maintenaient de
la sorte dans l'orbite d'influence U.S., par
des opérations militaires et par le rôle d'arbi-
tre qu'ils s'octroyaient dans les conflits inter-
nationaux (cf. l'attitude U.S. vis-à-vis de la
France et de l'Angleterre lors de l'affaire de
Suez).
A cette suprématie du pouvoir politique à
l'échelle internationale liée elle-même à la puis-
sance technique et économique des Etats-Unis,
correspondait une suprématie dans le domaine
monétaire. Cette dernière était donc d'abord
l'expression dans la « superstructure • moné-
taire du niveau atteint par le développement
des forces productives aux Etats-Unis relati-
vement à celui atteint dans les autres pays
capitalistes.
Cette suprématie se traduisait notamment
par la concentration à Fort-Knox de la plus
grande partie des moyens de paiements inter-
nationaux qui constituait la base du système
monétaire à savoir l'or-monétaire. Ceci est
facile à comprendre puisque tous les pays
européens étaient déficitaires vis-à-vis des
Etats-Unis dont ils devaient importer massive-
ment les biens matéirels pour redresser leur
capacité de production.
Mais, la suprématie monétaire des Etats-
Unis n'était pas que l'expression des rapports
de niveau de développement ; elle était aussi
un moyen spécifique contribuant au maintien
de cette suprématie et permettant à la bour-
geoisie dominante des Etats-Unis d'opérer des
transferts de valeur au détriment des bourgeoi-
sies européennes.
Ce moyen était assuré d'une part par la
• puissance d'achat • du dollar, d'autre part
cains la dépense hors de leurs frontières et
tout particulièrement la dépense d'investisse-
ment.
Pourquoi le taux de change est-il si favo-
rable aux Etats-Unis au lendemain de la guerre ?
Tout simplement parce qu'il ne fait que reflé-
ter, en dernière analyse, les niveaux relatifs
de productivité et de salaire, en d'autres ter-
mes, les niveaux relatifs de développement des
forces productives.
En effet, en Europe, au lendemain de la
guerre, compte tenu du faible rendement du
capital technique, la condition pour que les
capitalistes puissent exporter et combler ainsi
leur déficit vis-à-vis des Etats-Unis était que
les salaires soient maintenus à un niveau
beaucoup plus bas que celui des Etats-Unis.
Si, en Europe, à productivité constante, les
salaires réels avaient augmentés, il n'aurait
plus été possible d'exporter concurrentielle-
par les mécanismes monétaires internationaux
mis en place au lendemain de la guerre lors
des accords de Bretton Woods (1944).
La puissance d'achat du dollar,
instrument de l'impérialisme américain
* La puissance d'achat * du dollar relative-
ment aux autres monnaies signifie que les
parités (les taux de changes) entre le dollar
et les autres monnaies sont telles qu'elles
rendent intéressant pour les capitalistes améri-
ment vers les Etats-Unis et il aurait fallu
dévaluer les monnaies européennes. Ceci s est
d'ailleurs produit à diverses reprises puisque
l'on compte une trentaine de dévaluations en
Europe entre 1945 et 1958. Il fallait donc
maintenir entre le dollar et les monnaies euro-
péennes une parité telle qu'elle permette,
malgré la faible productivité de l'appere-l
technique de production, d'exporter concur-
rentiellement. Naturellement, cette parité était
payée par les ouvriers européens dont les
salaires réels, c'est-à-dire la capacité de
consommation, était réduite. Lorsque les salai-
res réels, tendaient à augmenter, rapidement,
une dévaluation intervenait qui les ramenait
à peu près au niveau antérieur.
Le maintien d'une parité de « combat - par
les bougeoisies européennes était particulière-
ment intéressante pour les capitalistes améri-
cains et les induisaient fortement à investir
en Europe. D'où venait l'intérêt d'une telle
parité pour les capitalistes américains ? Tout
d'abord, les exportations européennes ne met-
taient pas réellement en danger les concurrents
américains car elles n'étaient pas considéra-
bles mais simultanément, la « puissance
d'achat » du dollar démultipliait la • producti-
vité • du dollar. En effet, compte tenu du taux
de change, un dollar permettait au capitaliste
américain d'acheter aux U.S.A. par exemple
une heure de travail tandis que ce même
dollar investi en Europe, transformé en mark,
en franc belge ou français, permettait d'ache-
ter deux heures de travail... Comme ces heures
de travail représentent des constructions de
machines, de bâtiments, etc., la • productivité »
de ce dollar investi en Europe, est, compte
tenu du taux de change, plus élevé que s'il
était investi aux Etats-Unis. Cette puissance
d'achat du dollar pousse donc les Américains
à investir hors de chez eux, à exporter des
capitaux. Ceci est parfaitement compréhensi-
ble ; puisque les parités ont été fixées pour
rendre les produits européens relativement
moins cher, il est normal que la réalisation
par les capitalistes américains d'un investisse-
ment en Europe soit également moins cher
tières, il faut qu'une des deux conditions sui-
vantes soit remplie :
1) II faut que la productivité ne s'accroisse
pas en Europe car cela se traduit presqu'au-
tomatiquement par des accroissements de taux
de salaires (pas nécessairement proportion-
nels) et par conséquent par une diminution de
la « productivité - du dollar investi par rap-
port à la « productivité - qui prévalait avant
l'amélioration de l'appareil de production et la
hausse réelle des salaires.
2) Ou bien, si la productivité et les salaires
réels s'accroissent, en Europe, ils faut que
les investissements effectués ne soient pas
réellement « payés - par l'investisseur étran-
ger.
La première condition n'a pas été réalisée
car la productivité et les salaires réels ont
augmenté en Europe mais par contre, jusqu'à
ces dernières années, le mécanisme de l'éta-
lon de change-or a permis que la seconde soit
réalisée, c'est-à-dire que les investissements
U.S. en Europe ne sont pas - payés » par les
capitalistes américains.
II. LE DEVELOPPEMENT DES FORCES
PRODUCTIVES DANS LE CAPITALISME
EUROPEEN APRES LA GUERRE :
a) Le redressement du capitalisme occiden-
tal.
Pour des raisons évidentes, par peur des ré-
volutions sociales, le capitalisme américain ne
pSftl
» V?V£5SSï^~-?l
Irance
Wll.on ..
» h INTM fc U**>
Itl IMttt tttffit, ttt
DAILY
GOLD CUISIS ;
ROCKS WORLD!
giti ^etoasl^ton|^É|;
London Shuts Markets in Gold Crisis
| JSL Bai Ijj 40* Mat!
l«.m. PALACE PROT1 AMATIftff
The Queen acts X,
on gold: Banks,
shutdown
que la réalisation de cet investissement aux
Etats-Unis.
Naturellement I' « exportation • que repré-
sente pour la bourgeoisie européenne la réali-
sation par un capitaliste américain d'un inves-
tissement direct en Europe n'est en rien
comparable à l'exportation d'un bien consom-
mable aux Etats-Unis. L'investissement direct
des capitalistes américains représente en fait
l'expulsion progressive de la bourgeoisie euro-
péenne de secteurs entiers de l'économie, le
développement de secteurs de pointe en de-
hors de son contrôle voire même expropriation
de la bourgeoisie nationale de secteur qu'elle
dominait antérieurement (l'industrie alimentaire
en France, par exemple).
Mais pour que les capitalistes américains
continuent à avoir intérêt à exporter leurs
capitaux, à investir en dehors de leurs fron-
10
pouvait pas ne pas aider les bourgeoisies euro-
péennes, y compris celle des vaincus, à remet-
tre sur pied leur capacité de production^et à
assurer de la sorte leur pouvoir sur le prolé-
tariat. L'aide américaine (plan Marshall) favo-
risée par l'attitude conciliatrice des partis
ouvriers (cf. la politique • participationniste >
du P.C. en France) assura en grande partie le
redressement et la remise sur pied de l'appa-
reil productif des bourgeoisies européennes.
Entre 1947 et 1960 approximativement on
assiste en Europe au développement rapide
de la production et de la productivité euro-
péenne, souvent même les taux de croissance
sont supérieurs à ceux qui prévallent aux
Etats-Unis. (Italie, Allemagne, taux de crois-
sance de 8 à 10% contre 4,5-5% aux Etats-
Unis). Naturellement, on ne peut parler d'affai-
blissement de la puissance technico-économi-
que des capitalismes européens. Renforce-
ment qui se traduit, quoi qu'on en dise, notam-
ment par une réduction relative des écarts
de productivités. En d'autres termes, les rap-
ports entre niveaux de développement des
forces productives se sont modifiées depuis
la guerre au profit — relatif — du capitalisme
européen.
Ces modifications à' long terme devaient
entraîner des modifications dans les rapports
monétaires qui en sont simultanément l'ex-
pression et l'instrument.
Tout particulièrement, les transformations
dans la superstructure monétaire devaient pren-
dre la forme d'un réajustement international
des parités au profit du capitalisme européen
et par voie de conséquence au freinage du
développement des investissements américains
en Europe.
Depuis 1960, on assiste précisément aux lut-
tes pour la mise en concordance des rapports
monétaires avec les rapports de force réels des
différents pays impérialistes que l'on assiste.
b) Les transferts de valeur par le dollar
monnaie de réserve :
Techniquement, les luttes interimpérialistes
ont pour enjeu le système monétaire interna-
tional (fondé sur le mécanisme de l'étalon de
change or) sous l'égide des Etats-Unis en
1934. Il s'agit de savoir si l'on parviendra à
modifier le mécanisme qui, malgré les change-
ments de rapports réels de force continuent
à fonctionner au détriment des bourgeoisies
européennes.
On sait que le dollar, monnaie • privée > des
Etats-Unis joue également le rôle de moyen
de payement international et notamment de
moyen de réserve international. A ce titre, il
était conservé dans les réserves au même
titre que l'or. Cette particularité allait permettre
aux Etats-Unis de continuer à investir facile-
ment à l'étranger alors même que les parités
réelles tendaient à s'ajuster aux cours des an-
nées d'après guerre, parallèlement à la recons-
truction des économies européennes. En effet,
chaque fois que les Etats-Unis investissent à
l'étranger, dépensent des dollars pour entre-
tenir leurs bases militaires ou pour faire la
guerre au Viet-Nam ou ailleurs, ces dollars
sortent des Etats-Unis et vont s'accumuler
dans les caisses des pays étrangers où ils sont
été dépensés. Cette politique menée sans
frein conduit au déficit de la balance des
payements américains c'est-à-dire qu'il sort plus
de dollars des Etats-Unis qu'il n'en rentre. A
l'heure actuelle, il existe en dehors des Etats-
Unis environ 31 milliards de dollars. Ces dol-
lars sont une dette à court terme puisque
théoriquement, ils peuvent être renvoyés aux
Etats-Unis contre de l'or. Cette dette constitue
ce que l'on appelle le déficit de la balance des
payements des Etats-Unis.
En réalité, de ces 31 milliards de dollars, 9
ont été transformé en or par leurs détenteurs
(principalement européens) et c'est le reste
soit 22 milliards de dolars qui constitue une
créance sur les Etats-Unis. Cette créance pou-
vant à tout moment se transformer en or ou
en importation des Etats-Unis. En réalité, com-
me ces dollars sont conservés dans les réser-
ves des différents pays qui les détiennent et
qu'ils ont été dépensé par les Etats-Unis soit
pour faire des investissements soit pour entre-
tenir des bases militaires, etc., cela signifie
qu'il s'agit d'un prêt gratuit des puissances
européennes aux Etats-Unis : contre des dol-
lars accumulés dans les caisses européennes,
les Etats-Unis ont obtenus des biens d'inves-
tissements, des services pouf leurs bases mi-
litaires, etc. En d'autres termes, les pays
occidentaux ont financés pour deux-tiers envi-
ron (par leurs prêts déguisés en réserves) le
déficit militaire, les investissements américains
(Suite page 21}
DOSSIER POLOGNE - DOSSIER POLOGNE - DOSSIER
QUELQUES RAPPELS...
La République de Pologne, • démocratique
et populaire • a été proclamée au lendemain
de la seconde guerre mondiale, sous l'égide
de la bureaucratie soviétique. A Yalta, Staline
avait obtenu de ses alliés démocrates —
Churchill et Roosevelt — une large « zone
d'influence • en Europe Centrale. Il allait y
édifier des Etats amis, glacis protecteur de la
frontière occidentale de l'U.R.S.S.
1) A l'origine, ces Etats devaient être diri-
gés par des gouvernements de coalition entre
partis communistes et démocrates bourgeois,
dans le cadre d'un régime de type nouveau :
la démocratie populaire.
Il ne s'agissait pas au départ de mettre
sur pied à l'instar de l'Union Soviét'que, des
« Républiques socialistes •.
Moyennant une réforme agraire et la natio-
nalisation des industries de base, le mode de
production capitaliste pourrait fonctionner libre-
ment.
2) Le développement de la guerre froide
va ruiner ce projet. Dans les conditions nou-
velles d'affrontement entre les blocs, la cons-
titution d'un glacis efficace en Europe cen-
trale impliquait l'assimilation structurelle des
Démocraties Populaires à l'Union Soviétique.
Toute une série de mesures, réalisées de
1948 à 1950, en réponse au Plan Marshall et
aux tentatives de désagrégation économique
du glacis, par l'impérialisme, vont conférer
aux démocraties populaires un régime analogue
à celui de l'U.R.S.S. depuis 1927.
La puissance sociale des anciennes classes
dominantes sera liquidée par la Nationalisa-
tion des principaux moyens de production et
d'échange. Le contrôle étatique du commerce
extérieur brisera l'emprise de la bourgeoisie
internationale sur l'économie. L'infrastructure
« La classe ouvrière produit et trans-
porte des armes, sert dans l'armée,
crée toute la puissance matérielle de
l'Etat. Si les murs des prisons, des
casernes et des arsenaux restent debout
de façon durable, ce n'est pas parce
qu'ils sont construits en matériaux soli-
des, ce n'est pas parce qu'ils sont proté-
gés par l'hégémonie de la classe domi-
nante, l'autorité du pouvoir, la peur et
la résignation devant l'ordre social en
place. L'existence de ces murs psycho-
logiques permet au pouvoir de s'installer
en sécurité derrière des murs de bri-
ques. La crise sociale prive le pouvoir
de son hégémonie, de son autorité, lui
oppose la majorité écrasante de la so-
ciété, enfin, dresse la classe ouvrière
contre la bureaucratie dominante. L'ap-
profondissement inévitable de la crise
sape les murs idéologiques qui sont la
véritable protection du pouvoir. La situa-
tion révolutionnaire les fait s'écrouler ;
alors les murs de briques ne constituent
plus un obstacle. La crise économique
et sociale est impossible à surmonter
dans le cadre du système bureaucra-
tique : LA REVOLUTION EST INEVI-
TABLE. »
KAROL MODZELEWSKI
et
JACEK KURON.
l'Etat, donc à l'atomisation de la société et à
la passivité des classes sociales, en particulier
de la classe ouvrière. Elle ne négligera aucun
effort pour parvenir à ces résultats.
INSTABILITE DE LA DICTATURE BUREAU-
CRATIQUE.
3) Mais la dictature bureaucratique dans les
démocraties populaires, imposée et exportée
par l'Union Soviétique, repose sur des bases
beaucoup plus instable qu'en U.R.S.S.
L'économie des pays du glacis soviéî'que
a connu un développement contradictoire et
saccadé. Elle fut victime de l'exploitation di-
recte de l'Union Soviétique (réparations de
guerre (!), démontage d'usines, pillage des
matières premières, sociétés anonymes sovié-
tiques, sociétés mixtes, traités de commerce
à tarifs unilatéralement préférentiels, etc.}. Elle
a souffert de l'application mécanique du sché-
ma stalinien d'industrialisation : Investissements
outranciers dans l'industrie lourde et autar-
cie économique. Les tentatives de coor-
dination de l'ensemble des économies du pla-
cis, ou même d'élaboration d'un plan commun
n'ont été lancées que tardivement.....
D'autre part, l'isolement de la bureaucratie
au pouvoir est beaucoup plus net qu'en Union
Soviétique. L'appareil, installé de l'étranger se
trouve, confronté à des forces autonomes de
classe encore vivantes (traditions oolitiques et
syndicales), il n'a pas encore pu s'entourer
d'une large couche d'aristocratie ouvrière. Im-
posé par l'Union Soviétique, il doit compter
avec les aspirations à l'émancipation natio-
nale, etc.
Tout ceci explique que la crise générale du
système bureaucratique ait frappé le plus
durement les régimes de démocraties oopu-
laires.
économique introduite par la Révolution d'Oc-
tobre, maintenue au travers de distorsions mul-
tiples par la bureaucratie soviétique, se trouve
étendue par elle aux pays de démocratie po-
pulaire.
Sur cette infrastructure socialisée (collecti-
viste) s'édifient des rapports sociaux de domi-
nation et un Etat de dictature bureaucratique. La
démocratie ouvrière n'existe pas. L'appareil du
parti communiste fondu à l'appareil d'Etat
règne en maitre absolu. La classe ouvrière
perd toute possibilité de s'organiser dans le
pays et dans les usines, indépendamment du
pouvoir, pour formuler ses revendications et
contrôler la politique de ceux qui parlent en
son nom. Un système répressif est mis sur
pied pour empêcher toute tentative de con-
testation politique.
Les partis communistes, très faibles en
1945, se gonflent de centaines de milliers
de nouveaux adhérents. Partis au pou-
pouvoir, ils drainent les aventuriers et les
carriéristes. Ils forment le corpus autour du-
quel s'agglutine la bureaucratie en rapide
constitution. Cette bureaucratie du parti et
de l'Etat, faite des centaines de milliers de
nouveaux responsables, administrateurs, fonc-
tionnaires, gestionnaires, représente la nouvelle
couche privilégiée du système. C'est en son
sommet que réside le centre de toute initiative
politique et elle profite dans son ensemble des
innombrables avantages qui sont liés à l'exer-
cice du pouvoir.
La couche bureaucratique mène une politique
visant à consolider ses positions : sa puis-
sance sociale est liée à la toute-puissance de
11
VIVE LA LUTTE DES
II y a 12 ans, la révolution anti-bureaucratique...
LA CRISE DU SYSTEME
En automne 1956, la Pologne connaît une
situation révolutionnaire. La crise du système
est patente. « Ceux d'en bas ne supportent
plus d'être gouvernés comme précédemment;
ceux d'en haut ne peuvent plus gouverner com-
me précédemment. » Les masses ouvrières sont
exaspérées par les salaires de misère (infé-
rieurs à leur niveau de 1938), la législation du
travail, calquée sur le code soviétique, le plus
sévère du monde. Les paysans sont excédés
par les exactions de la collectivisation forcée.
La terreur policière qui sévit dans tous les sec-
teurs de la vie sociale n'est plus supportée
avec résignation.
Au sein du Parti et de l'Etat, une crise de
direction s'est ouverte : Bierut, chef suprême
du parti ouvrier unifié est mort quelques mois
après qu'au XXe Congrès, Khroutchtchev eut
prononcé son fameux rapport sur les crimes de
Staline. La lutte pour la succession est ouver-
te : Staliniens et - libéraux » se disputent
âprement la direction du parti.
La force des seconds est considérable. Long-
temps le parti communiste polonais est resté
réfractaire aux dogmes staliniens. Son non-con-
formisme a entraîné sa dissolution par Staline
en 1938 et la liquidation physique de ses prin-
cipaux cadres. Nombreux sont les Communistes
polonais qui profiteront des critiques kroutché-
viennes pour se débarrasser du carcan stali-
nien. La bureaucratie est scindée de bas en
haut.
Cette atmosphère de crise politique stimule
l'initiative des masses. La liberté de pensée et
de critique fait violemment irruption au sein des
organisations ouvrières. Les travailleurs ne se
contentent plus de faire pression sur les appa-
reils. Ils passent désormais à l'action directe.
Des grèves éclatent contre la politique écono-
mique et sociale du gouvernement.
Le 28 juin 1956, au cours d'une manifestation
monstre les ouvriers de Poznan montent à
l'assaut de la prison centrale, libèrent les dé-
tenus, s'arment auprès des détachements de
l'armée qui refusent de tirer sur le peuple. La
Révolte ouvrière de Poznan sera finalement ré-
primée. Mais son retentissement est énorme.
Elle donne le signal de la lutte directe et ou-
verte contre la dictature bureaucratique dans
tout le pays.
LA REVOLUTION DES CONSEILS
De juillet à octobre 1956, la Pologne est
dans un état d'effervescence extraordinaire :
Les masses réveillées envahissent la scène
politique. Partout, les meetings succèdent aux
meetings. La bureaucratie ne peut ni les inter-
dire, ni empêcher quiconque d'y prendre la
parole. La politique des dirigeants est passée
au crible de la critique. La presse quotidienne
recouvre sa liberté et en use largement :
les articles publiés au cours de cette période
constituent un formidable réquisitoire contre le
régime bureaucratique. A côté des descriptions
accablantes de la réalité quotidienne du svstè-
me, on trouve des analyses très élaborées du
stalinisme, qui évoquent irrésistiblement les
thèses de la • Révolution trahie ». Le caractère
oppresseur et exploiteur de la bureaucratie
devient conscience commune.
En novembre 1956, le Congrès des syndicats
est envahi par plus d'un millier de délégués
d'usine envoyés spontanément par la base. Les
120 bonzes syndicaux présents sont contraints
d'admettre la modification de l'ordre du jour.
La réunion se transforme en un réquisitoire
implacable contre les méfaits de la Bureaucra-
tie syndicale.
Au plus fort du mouvement, les Conseils ou-
vriers surgissent dans les Usines. A l'usine
d'automobiles de Zeran (Varsovie), le conseil
12
composé d'ouvriers du rang, élus et révoca-
bles, procède à une transformation du système
des salaires, en faisant intégrer la plupart des
primes dans le salaire de base. Il refuse la
candidature du directeur commercial proposé
par le ministère et remanie largement le plan
de réorganisation administrative élaboré par la
direction.
Le mouvement de création de Conseils ou-
vriers s'étend rapidement. Le Conseil de Zeran,
constitué en décembre 56, reçoit chaque jour
des délégations en provenance de toutes les
régions, qui viennent s'informer de son mode
de fonctionnement et proposent d'établir des
contacts permanents entre les entreprises. De
plus en plus, le contrôle ouvrier sur la produc-
tion est réclamé, en même temps que l'abolition
des lois sur la discipline du travail et le relè-
vement des salaires.
Les ouvriers et les étudiants restent indéfec-
tiblement attachés au socialisme. Ils ne per-
mettent pas que la réaction intérieure profite
de la liberté qu'ils ont imposée pour développer
la propagande restaurationniste. Le mouvement
des masses est orienté à gauche : il ne lutte
pas contre le socialisme, il lutte contre la
bureaucratie. Rien ne l'atteste mieux que la
multiplication des conseils ouvriers dans les
usines. Les travailleurs d'avant-garde voient
dans les Conseils les organes potentiels du
pouvoir ouvrier. Ils ont conscience de ce que
ce pouvoir doit s'exercer également hors de
l'entreprise, au niveau de la branche d'industrie
et du Plan National. Les tentatives de coordina-
tion se multiplient. Dans l'électro-technique un
Cartel des Conseils est créé qui s'oppose vic-
torieusement à l'Office Central, ancienne for-
teresse de la bureaucratie. Des liens se nouent
entre Conseils d'une même région indépen-
damment de toute autorisation officielle. L'idée
de la création d'un organe central des Conseils
ouvriers fait son chemin.
AUTO-REFORME DE LA BUREAUCRATIE
Face à cette situation, la base de l'appa-
reil bureaucratique, perd toute cohésion.
Subissant l'immense pression des masses, elle
devient sensible aux revendications ouvriè-
res. Elle transmet cette pression à l'intérieur
de l'appareil bureaucratique dont les sommets
eux-mêmes décomposés, sont déchirés entre
plusieurs lignes à suivre : les Staliniens les
plus obtus — ou les plus compromis —
dénoncent à tout propos les machinations de
l'impérialisme et se déclarent partisans d'un
prompt retour à l'ordre. Ils bénéficient du
soutien de l'Union Soviétique, dont le repré-
sentant, le maréchal Rokossowski siège au
Bureau Politique ! Contre cette tendance
« dure », l'aile libérale de la bureaucratie prône
l'auto-réforme du système. Elle cherche à
atténuer la crise sociale à l'aide de mesures
de libéralisation limitée et de concessions
économiques. Elle s'efforce de prendre la tête
du mouvement de masse, afin de le maintenir
dans les limites compatibles avec la perpé-
tuation de l'ordre bureaucratique. Les libéraux
ont compris que la liquidation de la fraction
la plus compromise de la direction stalinienne
constitue le minimum indispensable pour
essayer de contenir la révolution montante. Ils
œuvrent au retour au pouvoir de Gomulka :
emprisonné pour • Titisme » par les Staliniens,
dirigeant du P.C. clandestin pendant le> guerre,
Gomulka jouit d'une indubitable popularité. En
cette période de « troubles -, il incarne à mer-
veille la couverture de qauche dont la bureau-
cratie a besoin.
A côté de ces tendances de la bureaucra-
tie, se rassemble ce qu'on a appelé - la gau-
che d'octobre ». Composée de militants et de
cadres ouvriers, de jeunes, d'intellectuels révo-
lutionnaires, elle est à l'avant-garde de la
lutte anti-bureaucratique. Elle se distingue du
courant libéral en ce que, plus ou moins confu-
sément, ce sont les structures sociales mêmes
de l'Etat bureaucratique qu'elle conteste. Le
point de clivage va être l'attitude à l'égard
des conseils ouvriers. Contraint de tolérer les
conseils, le courant gomulkiste manifeste à leur
égard une méfiance tenace. Pour lui, les
conseils ouvriers doivent être de simples orga-
nes locaux de co-gestion destinés à améliorer
le rendement en intéressant les travailleurs à
l'entreprise. Il dénonce « l'anarchisme » de la
gauche révolutionnaire qui voit dans les
conseils les organes naturels de la dictature
du prolétariat et l'ossature d'un pouvoir réel-
lement populaire.
X
En haul
études [
En bas!
à Berlil
Le Centre Gomulkiste passe un accord avec
la gauche pour s'emparer de la direction du
parti au VIIIe Plénum (octobre 1956). Les Sta-
liniens en appellent à Khrouchtchev. Les tanks
russes font mouvement vers Varsovie, où les
attendent des dizaines de milliers d'ouvriers
en armes. Au terme de 4 journées de fièvre
révolutionnaire, les Soviétiques cèdent devant
la détermination des Polonais.
Quelques semaines plus tard les chars rus-
ses écraseront l'insurrection des travailleurs
hongrois. Le reflux révolutionnaire s'amorcera
dans tout le glacis. En Pologne, Gomulka va
reprendre en main l'appareil du parti. La bu-
reaucratie, rassurée, se ressaisit : des années
durant, elle luttera pied à pied pour vider de
leur contenu les conquêtes d'octobre. Le cen-
tre gomulkiste va se tourner violemment con-
tre la gauche. Ses représentants les plus popu-
laires seront écartés au moyen de manœuvres
diverses. Ses manifestations seront durement
réprimées. L'appareil bureaucratique va s'effor-
cer de reprendre tout ce que, dans sa panique,
il a été contraint de céder. Au début des an-
nées 60, ce sera chose faite.
ÉTUDIANTS POLONAIS
La révolte des étudiants
En Pologne, aujourd'hui il est dan-
gereux d'être étudiant... ou d'en avoir
l'air. La répression qui s'abat sur
l'Université est aveugle et féroce. La
milice arrête les étudiants dans la
rue, sur leur mine, et les détient plu-
sieurs jours, quand elle ne les in-
culpe pas. Nombreux sont les étu-
diants contraints de payer l'équiva-
lent de 600 F pour leur libération, ou
de séjourner 40 jours en taule. Nom-
breux sont ceux qui voient leur sursis
: Manifestation officielle en Silésie : • Etudiants, à vos
; Manifestation de solidarité avec les étudiants polonais
Le porteur de la pancarte à droite est Peter Brandt.
----------- . ,^-~~, - , ,a,
StUKNCt
CRISE DU SYSTEME BUREAUCRATIQUE
Les soulèvements populaires de 1956
avaient contraint la bureaucratie polonaise à
concéder aux masses des libertés politiques
et des avantages matériels. Le pouvoir d'achat
des travailleurs n'a cessé d'augmenter régu-
lièrement jusqu'en 1959.
Mais à partir des années 60, la gestion
bureaucratique de l'économie et de la société
va entrer de plus en plus nettement en
contradiction avec les impératifs économiques
nouveaux du système, à ce stade de son dé-
veloppement. Une crise économique va frapper
la plupart des démocraties populaires. Pour
l'analyse de cette crise économique, nous ren-
voyons à la remarquable brochure de Modze-
lewski et Kuron. Nous nous bornerons à en
rappeler les effets en Pologne.
En premier lieu, la crise économique du
système a entraîné la baisse du pouvoir
d'achat des travailleurs. Depuis 1960, les sa-
laires sont a peu près stagnants, alors que
les prix augmentent, notamment les prix des
marchandises de première nécessité (viande,
résilié et se trouvent affectés pour
2 ans dans l'Oural ! Des centaines
d'étudiants sont exclus de l'Univer-
sité. On n'a pas de nouvelles de ceux
qui sont en prison.
Un climat policier pèse sur tout le
pays. Le pouvoir a saisi la répression
du mouvement étudiant comme pré-
texte pour liquider les plus incorrigi-
bles parmi les «libéraux» de 1956.
Comme aux pires moments de la
période stalinienne, on surveille son
produits laitiers, vêtements). La chute du ni-
veau de vie frappe particulièrement les fa-
milles qui n'ont pas bénéficié de promotion
sociale ou dont le nombre de salariés n'a pas
augmenté,
En second lieu, le chômage est réapparu
et menace de devenir massif. Le Plan pour
1966-70 prévoit la création de 1,5 million d'em-
plois nouveaux. Or les prévisions officielles
affirment qu'en 1970, l'accroissement de la
population en âge de produire atteindra deux
millions. Même si le Plan quinquennal est réa-
lise (ce qui parait douteux), on escompte
donc 500000 «personnes inemployées».
LJ pléthore de main-dœuvre dans les en-
treprises fait de la menace de licenciement
une arme particulièrement efficace, entre les
mans des directeurs et des surveillants dont
l'arrogance croit à vue d'oeil.
Par ailleurs, l'Etat rogne désormais sur tou-
tes les dépenses sociales. La Plan prévoit
que la construction de 60 % des logements
sera financée par des « coopératives de cons-
truction ». En dépit de la crise suraigùe, les
irais de construction passent ainsi du budget
de l'Etat à la charge des particuliers. Les ni-
veaux des salaires de la plupart des ouvriers
ne permettant pas l'épargne, la majorité des
travailleurs ne pourra acquérir des logements
neufs.
La limitation des dépenses pour l'enseigne-
ment supérieur (bourses, restaurants et cités
universitaires) explique dans une large mesure
la chute (relative) de la proportion des fils
d'ouvriers et de paysans pauvres à l'Uni-
versité. La baisse des crédits alloués à la
diffusion de la culture impose aux familles
ouvrières, la renonciation à certains biens cul-
turels élémentaires (livres, disques, specta-
cles, périodiques).
Pour les paysans, la crise signifie avant
tout, la perte d'un salaire d'appoint extra-agri-
cole perçu dans l'industrie et la réapparition
de la surpopulation agricole.
LA MONTEE DES - PARTISANS -
La bureaucratie polonaise a perdu les ba-
ses populaires de son hégémonie, acquises
en 1956. A mesure que la crise sociale s'ac-
croit, l'animosité s'aiguise contre elle dans
toutes les classes.
Le fondement du pouvoir bureaucratique ré-
side de plus en plus dans la seule contrainte.
Et plus la bureaucratie se sait isolée, plus le
contrôle policier qu'elle fait peser sur la so-
ciété devient tatillon et brutal. A tout prix il
lui faut empêcher l'apparition de formes de
résistance organisée, par lesquelles pour-
raient un jour s'exprimer l'initiative populaire.
A cette fin, on a sorti en Pologne l'an-
cienne juridiction stalinienne. (Le Petit code
pénal, hérité de la dictature fasciste de Pil-
sudski et aménagé par Bierut). Les articles
22 et 23 de ce Code confèrent une validité
aux actes d'accusation fondés sur le dépis-
tage des conversations privées et des notes
et correspondances personnelles.
langage et ses fréquentations. La
contrainte policière n'épargne pas les
entreprises. A Poznan, la principale
usine est entourée de cordons de
police. A l'intérieur pullulent les indi-
cateurs.
Pourquoi une telle répression dans
un pays qui depuis 1956 est réputé
particulièrement « libéral » ? Que si-
gnifie le mouvement étudiant et quelle
peut être sa portée ?
L'ascension du groupe dit des « parti-
sans * au sein du Parti et de l'Etat, opérée
essentiellement aux dépens des • libéraux -
de 1956, correspond à la situation de la bu-
reaucratie polonaise dans l'actuelle conjonc-
ture de crise. Sur le plan décisif de leurs
conditions d'existence et de travail, la bureau-
cratie n'a plus rien à concéder aux masses.
Elle limoge ceux, qui, fidèles à leur orienta-
tion de 56, rechignent devant le durcisse-
ment du régime.
Au régime bureaucratique « libéral » fondé
sur une politique complexe de répression-
concessions, se substitue lentement un régi-
me bureaucratique-policier. Cette évolution
s'accompagne, comme il se doit, d'un chan-
gement progressif de personnel. La bureau-
cratie reconnaît dans le groupe des « parti-
sans » les dirigeants adaptés aux conditions
nouvelles de sa domination.
Anti-occidentaux, anti-soviétiques .anti-intel-
lectuels, antisémites, les - partisans * offrent
à la bureaucratie effrayée une idéologie du
pouvoir : le nationalisme polonais ; et un per-
sonnel politique : les cadres néo-staliniens
regroupés autour du général Moczar.
LA JEUNESSE
DANS LA CRISE DU SYSTEME
En Pologne comme partout, ce sont les
jeunes qui ressentent le plus durement les
effets de la crise du système. Ce sont les
jeunes ouvriers qui sont les premiers frappés
par le chômage. Ce sont eux qui cherchent
et ne trouvent pas de logements. Ce sont eux
qui, en raison des difficultés nouvelles d'ac-
cès à l'enseignement supérieur, se voient pri-
vés des chances de promotion.
Les jeunes paysans ne parviennent pas à
trouver d'emplois dans l'industrie et se trou-
vent contraints de servir en surnombre dans
les fermes de leurs parents. Quant aux étu-
diants, ils bénéficient de bourses (300 zlotis
mensuels. 24 zlotis = 1 $) qui leur permettent
tout juste de payer leur loyer et leurs repas
en cité. Ils éprouvent de vives difficultés, une
fois diplômés, à trouver un travail correspon-
dant à leur niveau de qualification. Ils suppor-
tent d'autant plus mal les tracasseries mania-
ques de la censure, qu'ils sont en train de
se former.
« Si toute la société est privée de pers-
pectives, c'est la jeunesse qui le ressent le
plus » écrivaient Kuron et Modzelewski.
• Etant données les difficultés croissantes
pour trouver une place dans la vie sociale,
la jeunesse est dans chaque milieu le groupe
le plus touché par la crise économique, so-
ciale, idéologique et morale et constitue en
même temps, dans chaque milieu, l'élément
potentiellement révolutionnaire. •
13
La lutte des Etudiants Polonais
LES TRADITIONS D'OCTOBRE 56
Les traditions de 1956 sont restées viva-
ces parmi les jeunes intellectuels. Elles ont
été diffusées et approfondies depuis 12 ans
par des groupes semi-clandestins travaillant
en milieu lycéen et étudiant.
Après 1956, l'organisation polonaise des
« pionniers rouges », calquée sur le modèle
soviétique, est abolie. Jocek Kuron fonde alors
une nouvelle organisation de jeunesse socia-
liste, où est donnée une éducation politique :
il reçoit une importante décoration pour cette
activité. La nouvelle organisation des pion-
niers est particulièrement dynamique dans
les lycées.
Paralèlement — mais non concurremment —
existe le club Michnik — du nom de son
principal animateur. Club de lycéens, toléré au
cours de la période libérale et surnommé :
le club des révisionnistes en langes... Les
lycéens regroupés autour de Kuron et de Mich-
nik se distinguent par "leur ouverture d'esprit
et leur non-conformisme. La teneur de leurs
débats scandalisent les permanents des orga-
nisations de jeunesse officielles. Arrivés à
l'université les lycéens, membres des deux
organisations se regroupent naturellement pour
continuer leur travail critique.
Ils organisent des cercles de discussions
clandestins en Economie Politique ,en His-
toire, en Mathématiques-Physiques, en Psy-
chologie. Simultanément ils militent au Z.M.S.
(Union des Jeunesses Socialistes) au sein
duquel Modelewski et Kuron animent un cer-
cle de discussion politique. Le groupe des
jeunes intellectuels révolutionnaires Modzelew-
ski-Kuron se taille rapidement une solide noto-
riété. Les bureaucrates universitaires le sur-
nomme le « groupe des paras • — troublions
de choc. A mesure que le régime se durcit,
on s'inquiète de plus en plus, en haut lieu,
de l'activité des clubs de discussion. En 1964,
les pionniers sont dissous, ainsi que le club
Michnik et le cercle Z.M.S. animé par Modze-
lewski. A la fin de l'année Kuron et Modzelew-
ski sont exclus du F ' ~ '' '"• "l'onais
pour avoir rédigé un Manuscrit (.saisi par *a
police) où se trouve exprimée pour la pre-
mière fois, de façon synthétique, leur analyse
de la société polonaise. Ce manuscrit porte
le titre d'un ouvrage publié au 16e siècle par
un obscur auteur polonais : • Du Renouveau
de la République ». La fameuse Lettre ouverte
que nous diffusons résume les principales ana-
lyses de cette brochure.
Ar/êtés pour activités nuisibles à l'Etat,
Kuron et Modzelewski sont condamnés à 3 ans
et 3 ans et demi de prison au cours d'un
procès à huit-clos. 300 étudiants et intellec-
tuels manifestèrent devant la salle du tribu-
nal.
Face à la répression, l'activité des cercles
diminue. Mais une sélection s'opère et la
cohésion interne se renforce. Le niveau poli-
tique et la maturité du groupe s'élèvent.
En octobre 1966, une réunion publique est
organisée en Faculté d'Histoire, pour l'anniver-
saire de la Révolution de 56. Le professeur
Kolakovski dresse un bilan amer du gomul-
kisme. Plusieurs étudiants interviennent dans le
même sens. Kolakovski sera exclu du P.C. 7
étudiants seront suspendus. Sur ces sept, six
seront réintégrés rapidement. Le septième sera
traduit en Conseil disciplinaire : il s'agit d'un
étudiant en Histoire nommé Michnik.
Immédiatement, une lettre-pétition aux autori-
tés circule, réclamant notamment la liberté
d'expression politique et l'interdiction des sanc-
tions disciplinaires pour délit d'opinion. Cette
pétition est signée en avril 1967 par plus d'un
milliers d'étudiants et de professeurs de l'Uni-
versité de Varsovie.
Ce succès est le premier signe avant coureur
de l'effervescence qui naît en milieu étudiant.
En mai 67, Kuron est libéré. Modzelevski est
libre en août. A la rentrée, l'agitation étudiante
éclate en Tchécoslovaquie. Les événements de
Prague exercent un grand impact dans les Uni-
versités polonaises. Le gouvernement ferme le
Centre Culturel Tchèque.
LE MOUVEMENT DE MARS 68
C'est dans ce contexte que survient l'incroya-
ble interdiction de la pièce de Mizkiewick. Les
spectateurs manifestent le soir de la « derniè-
re». Parmi eux de nombreux étudiants. Mitchnik
et Szlafer sont arrêtés et expulsés de l'Univer-
sité.
C'est contre ces nouvelles mesures qu'aura
lieu la première grande manifestation, le 8 mars.
Comme en 1956, le fer de lance du mouvement
étudiant est l'Ecole Polytechnique, où se trouve
la plus forte concentration d'étudiants d'origine
ouvrière. Dès avant les premières manifesta-
tions, une vague d'arrestations préventives ra-
mènent en prison les militants les plus connus.
L.iOérés depuis 6 mois, Kuron et Modzelevski
regagnent leurs cellules.
Mais l'ampleur du mouvement dépasse tout
ce que ses initiateurs ont pu imaginer :
L'organ/sat/on des étudiants est impeccable.
A l'Ecole Polytechnique, la grève d'occupation
se déroule dans un ordre parfait. Le service
d'ordre des étudiants déjoue toutes les provo-
cations. Il empêche la diffusion de matériel de
propagande anti-socialiste. Les tracts et les
banderoles affirment bien haut, la solidarité ré-
volutionnaire des étudiants en grève avec la
classe ouvrière polonaise et les révolutionnai-
res de tous les pays, à commencer par les com-
battants vietnamiens.
Incident cocasse, mais révélateur de l'ex-
trême diversité des provocations auxquelles les
étudiants durent faire face : venue d'on ne sait
où, une camionnette chargée de caisses de
Vodka a été négligemment abandonnée dans la
cour de Polytechnique. Mais les miliciens n'eu-
rent pas à embarquer les étudiants ivre-morts.
Le service d'ordre s'est chargé de détruire les
bouteilles, avant que leur contenu n'ait sapé
le mouvement I
En quelques jours, la lutte s'étend aux prin-
cipales villes universitaires du pays. L'extrême
brutalité de la répression, n'a pas eu raison des
étudiants. De nouveaux dirigeants ont surgi et
se sont affirmés dans la lutte. Après chaque
vague d'arrestations, la relève est assurée. Au-
jourd'hui, les revendications sont clairement
formulées. Organisés dans chaque faculté en
Comité Révolutionnaire, les étudiants se prépa-
rent à de nouvelles actions.
ISOLEMENT DU MOUVEMENT ETUDIANT ?
Dès les premiers jours de manifestation, la
bureaucratie s'est efforcée d'isoler les étu-
diants. Elle n'a ménagé aucun effort pour dres-
ser contre eux l'ensemble de la population
ouvrière. La presse a déversé les habituels
tombereaux de calomnies que les journalistes
staliniens fabriquent lorsqu'il s'agit de monter
les travailleurs contre les intellectuels. Les res-
ponsables de la campagne n'ont pas hésité à
recourir largement aux incitations antisémifes.
Mais finalement, l'opération s'est dans une
large mesure soldée par un échec . Une partie
de la population s'est jointe aux manifestations
étudiantes. Sur les 1208 manifestants inculpés,
367 seulement étaient étudiants. Les 841 autres
seraient des « hooligans » ! Tout incite à pen-
ser que de nombreux jeunes ouvriers et chô-
meurs ont rejoint les étudiants. On sait par
ailleurs, que la population a largement ravitail-
lé les grévistes de Polytechnique. 30.000 zlotis
ont été collecté dans les Usines (notamment
à Zeran).
L'action de grand style déclenchée par l'ap-
pareil ne doit pas faire illusion. La présence
aux grands meetings politiques est obligatoire
en .Pologne. L'arrêt de travail est décrété par
la direction, et les activistes du parti « condui-
sent » le personnel jusqu'au point de rassem-
blement.
Si les bureaucrates ne sont pas parvenus à
susciter l'hostilité des travailleurs contre les
éudiants, si en certains points on a pu même
noter une nette sympathie ouvrière envers leur
lutte, il n'en reste pas moins que le mouvement
étudiant est isolé, dans la mesure où il ne peut
compter pour l'instant sur l'appui actif d'aucune
couche sociale.
Les travailleurs polonais ont vécu l'expérien-
ce de 1956 et de ses suites amères. De ces
expériences est né un certain scepticisme. Il ne
sont pas prêts à se jeter à nouveau dans une
bataille au terme de laquelle ils se trouveraient
gros Jean comme devant.
Sans strictes garanties ils ne bougeront pas.
En quoi résident ces garanties ? Dans leur « let-
tre ouverte ». Modzelewski et Kuron répondent
à cette question : contrairement à ce qui s'est
passé en 1956 la gauche révolutionnaire de de-
main doit se montrer capable de s'organiser
en force autonome et de se donner un program-
me cohérent.
Les étudiants ont conscience de la nécessité
de briser leur isolement. Nombreux sont parmi
eux les fils d'ouvriers et de petits salariés. Ils
savent d'expérience ce qu'est la conditioo ou-
vrière et sont à même de formuler des reven-
dications intéressant les travailleurs. L'ampleur
de la répression contraint l'avant-garde étudian-
te à s'organiser solidement. Sa volonté de bri-
ser l'isolement l'incitera à mettre en avant des
revendications concernant la masse de la po-
pulation. En Pologne comme ailleurs, une nou-
velle génération de militants s'éduque aujour-
d'hui dans la lutte. Une nouvelle avant-garde
se forme, débarrassée des illusion de 1956 et
résolue à aller jusqu'au bout.
H. W.
14
Manifestation de solidarité
avec la lutte des Étudiants
Polonais
Aussitôt que l'écho des manifestations
des étudiants polonais était parvenu en
France, la J.C.R. faisait passer un commu-
niqué de presse exprimant sa solidarité
avec les victimes de la répression et son
soutien, sous toutes les formes possibles,
au mouvement démocratique qui appa-
raît publiquement aujourd'hui en Pologne.
Elle s'engage notamment à diffuser au
maximum la Lettre Ouverte au Parti
Ouvrier Polonais des militants commu-
nistes Jacek Kuron et Karol Modzelewski,
qu'elle considère comme l'expression la
plus juste des aspirations à une démo-
cratie socialiste dans les pays de l'Est et
la meilleure marque d'un véritable inter-
nationalisme prolétarien.
Le 21 mars, à 18 h 30, un cortège soli-
dement constitué de 350 militants de
l'organisation se plaçait aux abords de
l'ambassade de Pologne, malgré la pré-
sence d'importantes forces de police prê-
tes à intervenir, et lançait les mots d'or-
dre : « Démocratie Socialiste •» et «. Soli-
darité avec les étudiants polonais ». Deux
camarades portèrent à l'ambassade une
pétition réclamant la libération des étu-
diants emprisonnés et le droit à une libre
expression politique en Pologne, tandis
qu'était entonnée l'Internationale.
Un devoir impérieux pour la J.C.R. est
de combattre les interprétations tendan-
cieuses développées tant à l'Ouest qu'à
l'Est de la nature et des perspectives des
mouvements de jeunesse qui se font jour
dans les démocraties populaires, tant
qu'un lien concret ne pourra être reconnu
entre tous les mouvements de jeunes
communistes. Le télégramme publié par
les étudiants polonais qui « salue les jeu-
nes communistes d'Europe Occidentale »
revêt ainsi pour nous une signification
essentielle et nous l'accueillons avec en-
thousiasme, en y voyant la démonstra-
tion que nos combats à l'Est comme à
l'Ouest sont communs à plus d'un égard.
Solidarité avec la jeunesse communiste
de Pologne !
Vive la démocratie socialiste !
HISTOIRE POLONAISE
Qu'est-ce que 3 étudiant* 7
— Un meeting.
Qu'est-ce que 5 étudiants ?
— Une manifestation interdite.
Quest-ce que 10.000 étudiants ?
— Un petit groupe de meneurs.
Diffusion J.C.R. :
KURON et MODZELEWSKY
« LETTRE OUVERTE AU PARTI
OUVRIER POLONAIS»
Toutes commandes à Avant-Garde leunesse,
B.P. 39-16 - PARIS Prix : 5 F
« Si le sang doit (xrfïler... je préfère que cèXspit le nôtre plutôt que
celui de nos frètes blancs ».
Pasteur MàVfrm Luther King -^
la -
lZ9lMlÉb "^ffi *i*siË' '*sirim» " - - • • *•
^^^^^^•^^^•MIMUH» %» >vî;"" ^^^•t—aw^^B*. •^•^^^^i^^M^^^H^HH^VBMfHBvxwse,-* jAtam^
« Je ne suis pas d'accord avec ce qu il dit ou fait, mais si vous touchez
à un cheveu de la tête de Martin Luther King, il y aura des représailles
telles que vous ne pourrez plus les contrôler ».
Télégramme de Malcom X au chef du Parti Nazi Américain, Rockwell.
VIETNAM : QUELLE PAIX ?
E9HVi^B^^lK^WBBP»^>^>r -,
Et le septième jour, Dieu se reposa...
Les éclatantes victoires remportées par le
F.N.L lors de l'offensive du Têt font qu'un
tournant décisif se dessine au Vietnam. De-
puis 1960, à chacun de ses échecs, l'impé-
riaHsme U.S. avait toujours un choix facile à
faire: se retirer, ou escalader. En 1968, ce
choix n'est plus aussi clair.
Escalader ? Une escalade militaire conven-
tionnelle nécessiterait 3 millions d'hommes,
avec un appui feu aérien en rapport : problè-
mes logistiques insolubles, déficit de la balan-
ce des paiements, impopularité de toute me-
sure de mobilisation même partielle, autant
de raisons qui, à des degrés divers, font
hésiter le gouvernement U.S.... Alors, il ter-
giverse. En dehors de toute autre arrière-
pensée politique, la restriction des bombarde-
ments sur le Nord Vietnam a des raisons
militaires évidentes : 1 800 avions et hélicop-
tères ont été perdus au sol au moment où
l'aviation devient indispensable pour dégager
certaines bases et villes du Sud : réduire les
« sorties * sur Hanoi et Haïphong permet de
faire redescendre en-dessous du XVR* paral-
lèle une partie de la force aérienne U.S.
Face à cette situation, beaucoup de bons
apôtres s'affolent. risque de conflit généralisé
à toute l'Asie du Sud-Est ? Emploi de l'arme
atomique ? Les Vietnamiens devraient négo-
cier un • compromis honorable -, - d'autant
qu'ils sont en bonne position pour le faire -...
Certains Etats Ouvriers — non des moindres
— multiplient les pressions en ce sens sur
le F.N L. et la R.D V.N. : négociez !
La seule base de négociations a toujours
été et reste les 4 et 5 points : la paix au
Vietnam continue de passer par le retrait total
et définitif des troupes U.S. et la reconnais-
sance du F.N.L. comme seul représentant au-
thentique du peuple vietnamien.
Toute négociation ne peut porter que
sur les modalités du retrait ou de la recon-
naissance, non sur leur principe. Toute tenta-
tive pour « rapprocher Hanoi et les U.S.A. •
ne peut se faire que contre les intérêts du
peuple sud vietnamien : Hanoi ne peut négo-
cier pour le F.N.L, et c'est une des idées du
Pentagone que la lutte au Sud a été déclen-
chée sur ordre d'Ho Chi Minh. Nul besoin
d'- infiltrations - ou du • génie de Giap • pour
expliquer la naissance et la victoire du Front.
Il représente l'organisation de combat du peu-
ple du Sud, et cette représentativité, il se
l'est acquise par ses réalisations, lesquelles
seraient remises en cause par toute paix de
16
compromis fondée sur l'obligation d'abandon-
ner les 4 et 5 points.
NAISSANCE DE LA LUTTE
ARMEE
1954
Le Vietminh a remporté une victoire mili-
taire incontestable, sans commune mesure,
toutefois, avec celle du F.N.L. aujourd'hui.
Dans les zones libérées, les taux de fermage
ont été réduits puis, très tard (1953) une pre-
mière réforme agraire a été tentée. Dans les
villes, il était l'organisateur des luttes ouvriè-
res à caractère obligatoirement anti impéria-
liste : la bourgeoisie nationale vietnamienne
étant « rachitique • (Tran Duc Thao), toute
lutte contre l'exploitation capitaliste était une
lutte contre l'exploitation colonialiste.
1956
• S'il y avait eu des élections, 90 % des
voix seraient allées à Ho Chi Minh • (Gl Eisen-
hower). Le régime Ngo Dinh Diem n'avait
aucune base populaire: profitant du silence
(donc de la complicité tacite) de l'U.R.S.S. et
de la Chine, cosignataires des Accords de
Genève imposant un compromis au Vietminh,
les U.S.A. décident de bâtir en Asie du Sud-
Est une « digue • contre le communisme, dont
le Sud Vietnam sera la partie centrale. Leur
erreur, à cette époque, est de ne pas pousser
à fond la logique de leur intervention : 100000
Gl's et quelques 800 hélicoptères auraient per-
mis de quadriller le pays et sans doute d'écra-
ser tout foyer naissant de guérilla. (La même
erreur a été commise au Laos et en Thaïlan-
de. Elle ne l'a pas été à Saint-Domingue, au
Guatemala, au Liban. Elle ne sera pas répétée
en Amérique Latine...) Plutôt qu'une attaque
massive, le gouvernement de Washington choi-
sit de mettre en place et d'utiliser un régime
fantoche. Cela nécessitait :
— Une classe sociale sur laquelle s'ap-
puyer : la bourgeoisie compradore et les féo-
daux de l'ex-régime Bao Dai. Ceux-ci, res-
suscites artificiellel'nent, s'appuyant sur l'armée
de Saigon, voulurent reconquérir leurs ancien-
nes positions : ils abolirent la réforme agraire,
rétablirent les taux de fermage, les corvées,
tout ce contre quoi le Vietminh avait nette-
ment pris position.
— Un ooup d'arrêt aux luttes ouvrières,
l'intervention U.S. entraînant une surexploita-
tion du prolétariat urbain, mais aussi l'inflation,
la chute vertigineuse des salaires, la dégrada-
tion de l'économie du pays.
— L'importation d'une culture : on tentera
de • briser • la tradition culturelle vietnamien-
ne non pas en l'attaquant de front mais en lui
substituant une autre culture, une autre reli-
gion : les traditions culturelles du régime de
Saigon sont la drogue, la prostitution, la cor-
ruption élevée à son plus haut niveau...
— La répression contre les anciens cadres
Vietminh restés au Sud qui, pourtant, se con-
tentaient de réclamer les élections promises
par les Accords de Genève, et qui durent,
contraints par la nécessité, reprendre la lutte.
Cette reprise de la lutte armée devait être
très lente. Contrairement aux conceptions « mi-
litaro-guérillistes », la lutte armée ne s'indi-
vidualise pas, elle prolonge un intense travail
politique (tout en lui offrant des possibilités
de développement).
Dans les villes, la lutte politique passa par
la reconquête des syndicats jaunes dont le
PRP reprit très vite la direction. En 1960, fut
créée l'Alliance Nationale pour le Progrès des
Travailleurs.
Dans les campagnes, les cadres du PRP
s'accrochent au village, malgré les chasses
à l'homme et la terreur, ils craignent avant
tout, en se réfugient dans les montagnes, de
se couper des masses ; certains passent ainsi
plusieurs années dans des cachettes souter-
raines : ils organisent la lutte politique contre
les représentants de Saigon et, peu à peu,
« font comprendre la nécessité de la lutte
armée - (Nguyen Van Thien) : dès «on déclen-
chement sur une grande échelle, cette lutte
armée était non seulement comprise mais
voulue et ressentie comme nécessaire far les
paysans du Sud.
Dès sa naissance officielle en 1960, le F.N.L.
était donc le représentant des aspirations et
des luttes des ouvriers et des paysans vietna-
miens. Sa représentativité devait être accrue
par l'élection des Comités de village, des Co-
mités de région, puis de son Comité Central :
émanation de l'alliance des ouvriers et des
paysans, renforcée par la petite bourgeoisie
nationaliste. Ce qui veut dire :
— que le pouvoir du Front est en dernière
analyse un pouvoir démocratique populaire
d'alliance ouvriers-paysans sous la direction
de la classe ouvrière ;
— que les luttes du Sud sont autonomes
du gouvernement du Nord, ce qui ne signifie
pas du tout qu'elles n'ont pas besoin de son
aide matérielle (l'Offensive du Têt, c'est le
programme du F.N.L plus les lance-roquettes
RPG 17...).
Toute néqociation qui se ferait par dessus
la tête du F.N.L. serait une remise en cause
des pouvoirs que le peuple vietnamien s'est
donnes (par exemple négociations Moscou-
Washington).
LE F.N.L., GOUVERNEMENT
DU SUD
Le F.N.L n'est pas que le gouvernement
< de fait > du Sud Vietnam. Aujourd'hui, le
double pouvoir, fantoche d'un côté, F.N.L. de
l'autre, existe réellement :
— Une nouvelle réforme agraire a eu lieu :
deux millions d'hectares ont déjà été redis-
tribués, soit plus du tiers des terres cultiva-
bles du pays. Des coopératives agricoles ont
été créées, avec comités d'auto-gestion élus.
— Il y a autogestion aussi, dans toutes les
* usines de jungle > du Front.
— Le F.N.L. a planifié les travaux d'habita-
tion, de voierie, d'irrigation des zones libérées.
— L'enseignement gratuit a permis la dispa-
rition de l'analphabétisme.
— Une intervention médicale de masse,
compte tenu des possibilités inhérentes à
l'état de guerre, a permis une amélioration
certaine de l'hygiène et la réduction des
pertes humaines : les médecins sont payés
par l'administration du Front, et tous les soins
sont gratuits.
— Les minorités nationales ont été, enfin,
intégrées à la lutte contre l'agresseur U.S.
Le sens des luttes menées actuellement au
/ ""'_
Sud impose la consécration, le développe-
ment de ces réalisations qui dépassent d'ores
et déjà le cadre d'une simple révolution na-
tionale démocratique : leur plein développe-
ment impose le socialisme. C'est le processus
continu de passage au socialisme, et lui seul
qui permet l'accomplissement des tâches na-
tionales et démocratiques. Ce qui implique en
toute logique :
— que les Américains ne peuvent pas
« conserver » une partie du Sud Vietnam.
— que le F.N.L. ne peut accepter ni parti-
ciper a un « Gouvernement de coalition » dont
il ne serait pas la force essentielle : le gou-
vernement provisoire dans la période transi-
toire du retrait des trompes U.S. ne peut être
qu'issu du F.N.L. Son élargissement à certai-
nes * personnalités » n'est possible que si
celles-ci n'en acquièrent pas la direction poli-
tique.
Tout appareil bourgeois, tout maintien partiel
des troupes U.S., signifierait, de par une logi-
que de classe évidente, un coup d'arrêt donné
aux luttes ouvrières et paysannes. Il ne pour-
rait qu'être imposé, et l'actuel rapport de for-
ces au Vietnam rend cela sinon impossible,
du moins très difficile.
Une paix de compromis style Genève, un
aouvernement style - Nasakom » (Indonésie)
serait-il d'ailleurs Imposé aux Vietnamiens que
se répéterait le processus de 1954 : les pay-
sans reprendraient la lutte pour défendre leurs
droits acquis. Tout compromis serait, à terme,
remis en cause, mais au prix de dures années
de combats nouveaux : en 1954, Genève signi-
fiait bien le socialisme au Nord, mais aussi
14 années de combats au Sud.
QUAND JOHNSON
NEGOCIE...
La négociation est bien confuse, Hanoi ne
pouvant négocier que pour ce qui la concerne :
desserrement de l'étau autour du 17e parallèle,
baisse des tirs d'artillerie lourde, diminution
du transit de matériel vers le Sud.
La RDVN est passée du « nous parlerons
si les bombardements sont arrêtés incondition-
nellement » au « nous parlerons pour un arrêt
total des bombardements », concession ren-
due plus grave par la pratique : l'étau s'est
desserré autour de Khe Sanh, alors que les
troupes tenaient déjà l'extrémité de la piste
d'atterrissage, et que le F.N.L. annonçait « la
population de la province de Ouang Tri est
résolue à faire de la route n° 9 une route
sanglante qui conduit les agresseurs U.S. à
la mort. »
Pourquoi cette concession ? Hanoi a adopté
la meilleure solution dans la marge de ma-
nœuvre dont la RDVN disposait : d'une part,
le discours « de paix • de Johnson préparait
visiblement une nouvelle escalade (envoi de
renforts, menaces ouvertes...). Or, l'U.R.S.S.
et la Chine ont déjà démontré qu'elles se re-
fusaient à bloquer l'escalade U.S., à y répon-
dre autrement que par la protestation verbale.
Pour ne pas mettre en péril les conquêtes
déjà réalisées, les Vietnamiens ont trouvé
une solution tactique : prendre Johnson à son
propre piège : avant d'escalader à nouveau,
il lui faut prouver sa bonne foi, style « je vou-
lais la paix, ce sont les Vietnamiens qui la
refusent • ; il s'agit dès lors d'expliquer que
les offres de paix et de négociation ne peu-
vent se faire que sur la base de la recon-
naissance du F.N.L. et du retrait des troupes
U.S. Plus que jamais, le soutien politique au
combat des Vietnamiens est nécessaire : c'est
la seule condition pour que la « concession •
à laquelle a dû se plier Hanoi devienne un
avantage tactique lors de l'ouverture d'éven-
tuels pourparlers. Il est temps de • conjuguer
tous les efforts », de renforcer le soutien de
la masse à la révolution vietnamienne, pour
mettre en échec ceux qui, à l'Ouest comme
à l'Est, rêvent d'un nouveau Genève.
CHAOUAT.
VICE-PRESIDENT
N CAO KY :
« // est pO55îft/e que la majorité du
peuple du Sud-Vietnam n'aime pas ou ne
soutienne pas vraiment notre gouverne-
ment [...] Notre programme doit être:
1) réorganiser les forces armées, 2) inté-
grer plus de gens dans les organisations
de Front-Uni et 3) obtenir l'appui de la
population. »
TRING QUOC KHAUH:
« J'ai rencontré beaucoup d'Américains
qui disent qu'ils n'ont pas le droit de
se mêler de nos affaires intérieures. Mais
en.fait, ils s'en mêlent et devraient s'en
occuper plus encore. Ils doivent considé-
rer le Vietnam comme une entreprise.
Si vous investissez de l'argent dans une
entreprise vous avez votre mot à dire sur
sa gestion et sa direction. »
TOU THAT AINH :
« Une réforme du gouvernement est
vraiment nécessaire. Mais, en même
temps, quelque chose doit être fait pour
donner à la population une raison de se
battre contre les communistes. Nous,
comme les Communistes, menons une
sorte de guerre du peuple. »
NGUYEN NGOC HUY :
« Le peuple vietnamien a peur. Le Viet-
nam a besoin d'un vrai dirigeant, d'un
vrai patriote. Mais jusqu'à présent, les
Américains ne semblent pas avoir été
capables de trouver une telle personne. »
Le Secrétaire d'Etat Dean RUSK - 17 avril 1968
« Hanoï ne devrait pas gâcher les chan-
ces qui s'offrent à lui en retombant dans
la polémique à propos du lieu où se tien-
draient d'éventuelles négociations, car les
Etats-Unis ne sauraient poursuivre indéfi-
niment leurs efforts unilatéraux.
La limitation des bombardements du Nord
constitue un acte unilatéral de désescalade au-
quel Hanoi n'a pas répondu sur le terrain puis-
que pas un kilomètre carré du territoire sud-
vietnamien ne se trouve à l'abri de ses atta-
ques. »
17
U.S. A. LA GUERRE PAR
C'est Johnson, l'homme de la formule de
San Antonio — l'arrêt des bombardements
aériens exige une contrepartie militaire, un
geste de réciprocité qui prouve la possibilité
d'engager des négociations fructueuses (autre-
ment dit, aux conditions des américains) —
lui qui déclarait en mars, après l'offensive
du Têt, « les communistes ont montré claire-
ment leur refus de négocier ou de préparer
à un règlement de la situation sinon sur le
champ de bataille » et concluait en avertis-
sant : « Ne vous y trompez pas, nous sommes
sur le point de gagner », c'est ce même John-
son qui vient de suspendre les raids améri-
cains sur une partie du territoire nord-vietna-
mien, jusqu'au 20* parallèle. Le discours du
31 mars annonce en même temps qu'il ne se
représentera pas à la présidence.
SIMPLE MANŒUVRE POLITIQUE ?
Hésitante, la presse internationale salue tout
d'abord quand même ce « premier pas vers
la paix ». Elle se retourne complètement le
mardi 2 avril, ne croit plus à une réponse
favorable de la RDV. Johnson en aurait gâché
les chances : des raids sont intervenus à
50 km de Hanoi. Les * candidats de la paix »,
Mac Carthy et Kennedy, reviennent vigoureu-
sement sur leur approbation du « geste » de
la Maison Blanche. Le Wall Street Journal,
organe des milieux financiers, a lui, immédia-
tement suspecté une initiative qui, « assortie
d'un ultimatum », corrompue au départ, éloigne
encore la perspective de négociation. Nouveau
retournement, celui-là définitif, un jour plus
tard, à l'annonce d'une réponse positive de
Hanoï, le mercredi 3 avril.
Celle-ci n'est pas seulement verbale. Le
30 mars, un jour avant le discours public de
Johnson, alors que les nord-vietnamiens en ont
déjà eu communication, le siège de Khe Sanh
a commencé d'être levé.
Quelles qu'aient été, quelles que soient les
intentions politiques de Johnson, sa marge de
manœuvre est extraordinairement limitée, sur
les deux plans politique et militaire.
Elle s'est encore resserrée depuis la sus-
pension partielle des raids.
CONTRE-COUPS DE LA DEFAITE
Sa décision, en effet, est intervenue au
travers d'une crise politique profonde, contre-
coup direct de l'échec de la stratégie amé-
ricaine au Vietnam.
Alors que la crise de la Baie des Cochons,
la crise de Berlin avait laissé intactes les
bases du gouvernement Kennedy, l'importance
de l'échec au Vietnam, sa nature, ont profon-
dément ébranlé le gouvernement Johnson et
avec lui, ont secoué tout le système politique
américain.
La campagne électorale a enregistré cette
crise : « a topsy-turvy campaign », « une cam-
pagne chaotique » titre un numéro de News-
week (équivalent américain de l'Express).
Deux semaines avant le discours de Johnson,
le 11 mars 1968, Newsweek présente un édi-
torial de Walter Lippman sur la défaite.
Il donne un aperçu du climat idéologique
aux U.S.A.
« Avons-nous subi une défaite au Vietnam ?
Le fait même que la question soit posée pro-
voque un choc dont nous venons seulement
de ressentir la force, dont les conséquences
sont incalculables... -
• La guerre du Vietnam est ingagnable.
Il s'agit pour nous de comprendre la diffé-
rence entre l'échec de cette intervention et
une défaite véritable dans une véritable
guerre. »
18
Toute une fraction de la bourgeoisie amé-
ricaine cherche dès maintenant à limiter l'im-
portance de la défaite américaine au Vietnam.
Fait décisif, les milieux dirigeants du capi-
talisme américain, les milieux financiers ont
pris le tournant dès le lendemain de l'offen-
sive du Têt, dans un éditorial du Wall Street
Journal, repris par toute la presse américaine :
• Nous devons nous préparer à comprendre
que tout notre effort au Vietnam a été vain. »
Voici pourquoi :
• Nous croyons que le devoir de l'adminis-
tration (Johnson) implique qu'elle reconnaisse
qu'aucune bataille, aucune guerre ne vaut n'im-
porte quel coût, aussi ruineuse soit-elle. »
Les maîtres du dollar ne veulent pas accé-
lérer sa chute (accentuation du déficit de la
balance des paiements) • pour une guerre
ingagnable ».
• Dans le cas du Vietnam, cela pourrait
échouer pour la simple raison que l'ensemble
du pays et la cause politique s'effondrent de
l'intérieur. »
Ils donneraient leur appui à Bob Kennedy,
à la fois l'homme d'une solution négociée au
Vietnam et partisan d'une intervention énergi-
que de l'Etat dans l'économie.
Redoutée par le big business — avec l'af-
faire des « prix imposés de l'acier », sous le
gouvernement de son frère, « Bobby • s'est
fait de solides ennemis — une telle inter-
vention trouve un accueil favorable dans les
milieux financiers, dans une conjoncture telle
que le dollar crie au secours.
Aussi bien, à Wall Street, les valeurs bour-
sières ont-elles atteint 42 millions de dollars
en une semaine, après le discours de Johnson,
dépassant de 20 % le trafic total de la bourse
de Paris en 1967.
U.S. News and World Report commente dans
son numéro du 22 avril :
' C'est la guerre qui provoque les graves
tensions dont souffre aujourd'hui notre éco-
nomie, une inflation croissante, des taux d'in-
térêt exorbitants, des pressions sur le dollar
et de lourdes saignées dans l'or américain.
La fin de la guerre apporterait un soulagement
immédiat sur toute la ligne. »
Johnson s'est fait présenter un plan éco-
nomique d'après-guerre.
* II en ressort une conclusion : la fin de
la guerre est appréciée par ceux qui font
la politique gouvernementale comme une bé-
nédiction, non comme un danger, pour l'éco-
nomie américaine. »
PAS D'ALTERNATIVE
La guerre au Vietnam a exacerbé toutes
les tensions, toutes les contradictions de la
société américaine, politiques, économiques,
sociale (problème racial).
Mais pour RENVERSER LA POLITIQUE
DE JOHNSON, CES PRESSIONS, AUSSI
CONTRAIGNANTES SOIENT-ELLES, NE
JOUENT A FOND QUE PARCE QU'IL N'Y
A PAS D'ALTERNATIVE MILITAIRE AU VIET-
NAM.
C'est un fait acquis de la politique améri-
caine, la stratégie de l'escalade, formule par-
ticulière de la stratégie des • risques calcu-
lés » contre une guerre révolutionnaire a
échoué. Le Pentagone en a d'ores et déjà
tiré les leçons : étouffer, écraser dès les dé-
buts le mouvement révolutionnaire, avant
qu'il ne développe ses capacités de résistance,
puis ses capacités offensives (cf. Saint-Domin-
gue). Quelles que soient les assertions offi-
cielles, l'optimisme de Westmoreland, qui, en
abandonnant ses responsabilités au Vietnam,
conclut : - La situation n'a jamais été meil-
leure », la reconnaissance de l'échec est dé-
sormais explicite, étalée dans les colonnes de
journaux depuis l'offensive du Têt.
Newsweek en donne • l'explication militai-
re » à l'américaine, dans son numéro du 15
avril :
« L'équilibre a été rompu par l'offensive du
Têt du ministre de la défense du Nord-Viet-
nam, Vo Nguyen Giap et par le siège de
Khe Sanh. En conséquence, les formes d'ac-
tion ouvertes aux américains au Vietnam ont
encore une fois été examinées * de A à Z >
cette fois sous la direction du successeur
de McNamara, Clark Clifford. L'une des con-
clusions de Clifford fut que les résultats mesu-
rables de trois années de bombardements, ne
justifient pas les coûts élevés en tonnage, en
argent, en pertes d'avions et en pilotes tués.
Une autre conclusion fut que l'envoi massif
de troupes terrestres additionnelles au Viet-
nam, mesure soutenue par les militaires, im-
poserait de nouvelles tensions économiques et
politiques aux U.S.A., sans apporter aucune
garantie d'une fin rapide de la guerre.
A l'intérieur des limites que le président
s'est tracées pour cette guerre, fit remarquer
l'un de ses conseillers, il a épuisé toutes les
options. -
USURE POLITIQUE
C'est parce qu'ils étaient foncièrement im-
préparés à cet échec que le Pentagone et
la Maison Blanche ont été entraînés depuis
plus de six mois dans une fuite en avant au
Vietnam, à la recherche d'une alternative.
D'où les mesures contradictoires, le bombar-
dement de Haîphong, les interventions au Laos
et au Cambodge, mais la limitation de l'envoi
de nouvelles troupes (plus de troupes, plus
de doutes, commentait Newsweek, le 11 mars).
L'administration Johnson n'était pas prête à
cet échec, soit à une remise en cause de sa
stratégie internationale, comme les milieux
dirigeants américains dans leur ensemble n'y
étaient pas prêts. John F. Kennedy lui a légué
sa politique à peine mise au point. Robert S.
Me Namara, dit Super Mac, en était le pilier.
Il s'est écroulé avec la faillite de la stratégie
qu'il avait développée.
Jusqu'à il y a un mois, aucun représentant
de la bourgeoisie américaine, au sein du Parti
Républicain ou au sein du Parti Démocrate
n'avait posé concrètement une alternative à la
politique de Johnson.
Voilà pourquoi notamment la campagne élec-
torale, l'une des plus agitées de l'histoire des
U.S.A. s'est engagée sur des données instables,
désorientées.
D'AUTRES
OYENS . ..
Les raisons qui ont poussé R. Kennedy
à poser sa candidature et à préciser — à
retardement — ses positions sur le Vietnam
sont les mêmes qui ont provoqué la décision
de Johnson de suspendre les raids aériens
sur une partie du Nord-Vietnam. Il préconise
un règlement politique de la guerre par l'in-
tégration du « Vietcong » au sein d'un gouver-
nement de coalition, neutraliste. (Mac Carthy,
quant à lui, n'a pas de programme concret).
Quant à l'alternative militaire défendue publi-
quement par le général Eisenhower et dans
certains bureaux du Pentagone, elle implique
une transformation dans la nature même de la
la guerre : extension du conflit, voire, emploi
d'armes atomiques tactiques.
LOGIQUE DES INTERETS IMMEDIATS
Politiquement parlant, les Etats-Unis ne sont
pas prêts à cette alternative. Pourquoi ? Parce
qu'elle entre en contradiction avec leurs inté-
rêts immédiats.
Ce qu'ils ont cherché à obtenir au Vietnam,
c'est le maintien du statu quo.
Ce qu'ils ont cherché à démontrer, c'est
qu'une révolution n'avait pas les moyens de
le bouleverser, qu'ils étaient les maîtres du
rapport de forces mondial.
Dès 1961, John F. Kennedy s'était engagé
au Vietnam en fonction de ce calcul politique,
• un recul américain en Asie risquerait de
perturber l'équilibre des forces dans le
monde. >
Les U.S.A. ont essuyé au Vietnam un échec
irréversible. La logique de Kennedy se retour-
ne : éviter « des perturbations de l'équilibre
des forces », c'est aujourd'hui stopper la
guerre. Tout le problème en effet pour l'im-
périalisme américain est de limiter les impli-
cations de cette défaite. Cerner l'échec, l'en-
diguer, bloquer ce que Pham Van Dong appelle
• des réactions en chaîne » qu'il ne manquera
pas de susciter.
En 1961, le sous-secrétaire d'Etat de Ken-
nedy, Chester Bowles, lui conseillait, à l'en-
contre d'une intervention militaire, une solu-
tion * politique ».
Créer une ceinture d'Etats neutres à l'exem-
ple du Laos, sous la garantie de l'U.R.S.S.,
de la Chine, du Japon, de l'Inde et des pays
de l'OTASE.
Sous d'autres formes, cette « solution » trou-
ve aujourd'hui de nouveaux défenseurs.
Dans le brain trust du clan Kennedy, le
général Gavin préconise depuis trois ans
(contre l'escalade de 65), la fortification autour
du Vietnam, « irrécupérable », d'un cordon sa-
nitaire d'enclaves américaines en Asie du
Sud-Est, sur le modèle des bases en Thaï-
lande ; sans d'ailleurs se faire illusion sur la
viabilité d'une telle « solution ».
Battu sur le terrain, Johnson tente de
• continuer la guerre par d'autres moyens » :
les négociations.
Les négociations de la seconde guerre du
Vietnam mettent en jeu le rapport des forces
mondial. Comme toutes négociations interna-
tionales, elles sont soumises à des pressions
de toutes sortes.
En 1954-, le Vietminh, en position de 'orce
sur le plan militaire, co/iclut des accords sur
la base de lourdes concessions parce qu'il
n'est pas en position de force sur le plan
diplomatique. Molotov, Monsieur Niet à Berlin,
se reconvertit au cours des négociations et
fait à Genève le coup d'essai de la coexis-
tence avec les U.S.A.
La seconde guerre du Vietnam en a déj<3ué
les règles. Le F.L.N. a brisé le statu quo.
Renforçons, sur le plan international, le sou-
tien politique aux victoires du F.L.N. et de
la R.D.V.
P. B.
Ils n'ont pas libéré Khe Sanh
A propos d'une interview du Générât Beaufre
L'AVANT-GARDE Jeunesse a conquis une
certaine notoriété en analysant (numéros 8,
9, 10-11) sans ambiguïté la nature de l'aide
apportée par les Soviétiques au Vietnam.
Notre affirmation selon laquelle l'U.R.SS
et les pays socialistes disposeraient d'arme-
ments permettant de changer du jour au
lendemain la physionomie de la guerre (équi-
valents soviétiques du * Red Eye ') a été
mise en doute par certains mais n'a été dé-
mentie par personne.
Bien que nous n'ayions pas pour habitude
de chercher caution chez les auteurs bour-
geois, nous laisserons les incrédules méditer
sur cette déclaration du général Beaufre (Nou-
vel-Observateur du 17-4-68) qui ne s'attendait
<@&rtes pas à nous voir reprendre ses pro-
pos :
On m'a beaucoup posé la question quand
l'étais là-bas : > Est-ce que les soldats du
Front ont ce qu'on appelle des • Red Eye >,
c'est-à-dire des fusées anti-aériennes tirées
d'une espèce de bazooka, avec une tête
chercheuse, fondée sur l'infrarouge ? »
II semble qu'autour de Khe Sanh ils aient
eu quelques fusées anti-aériennes, mais ce
sont peut-être des modèles plus élaborés,
plus lourds ; s'ils avaient eu des « Red Eye »,
aucun hélicoptère n'aurait pu passer.
Il y a maintenant le risque, qui n'est pas
encore très clair, mais qui peut se dévelop-
per, des moyens anti-aériens mis en œuvre
par les Nord-Vietnamiens. Ce serait extrême-
ment dangereux, non pas pour l'aviation de
bombardement américaine, qui opère à haute
altitude, mais pour l'emploi d'hélicoptères ou
même pour les • straffings » comme ceux
que Je voyais l'autre jour à la télévision où
des avions viennent jeter leur napalm au ras
de terre.
19
A L'OUEST, DU NOUVEAU
Après la Rhodia, après Caen, Re-
don : si chaque numéro de l'Avant
Garde contient une rubrique « explo-
sions sociales » (1) c'est que la re-
montée des luttes ouvrières en France
se traduit par l'émeute mensuelle ou
presque : le 11 mars, ça a été les
3000 manifestants de Redon, et 20
flics blessés. L'événement ne surprend
à chaque fois que ceux qui prennent
leurs souhaits — la coexistence paci-
fique des classes en France — pour
des réalités : l'« Humanité » consacre
aux événements de Redon une tren-
taine de lignes en 4e page. En fait, la
« grande presse » a fait silence autour
de Redon ; quand l'exception devient
la règle, les travailleurs commencent
à se demander pourquoi leurs syndi-
cats abandonnent les ouvriers de Re-
don comme ils ont isolé et abandonné
ceux de Lyon, ceux du Mans, ceux
de Caen...
DE LA FERME...
L'Ille-et-Vilaine est une région pauvre. En-
tendons-nous : une région pauvre, en régime
capitaliste, ça n'est pas une région défavorisée
par la nature (les landes et les marais qui en-
tourent Redon par exemple). C'est une région
où l'exode rural permet aux patrons de dispo-
ser d'une main-d'œuvre nouvelle nombreuse,
inexpérimentée, qui accepte des salaires bas.
Le sous-développement régional se nourrit de
lui-même : l'expansion démographique (2) et
l'exode rural nourrissent le sous-emploi, fournis-
sent aux patrons l'armée industrielle de réserve
qui leur permet de peser sur les salaires :
dans la région de Redon les exploitations agri-
coles sont parcellisées à l'extrême. La concur-
rence des grandes exploitations les accule à la
faillite, pousse les jeunes ruraux à accepter
les bas salaires de l'industrie locale.
En régime capitaliste, le développement iné-
gal des régions suit la loi de la concurrence :
le fossé va s'accroissant entre celles qui sont
déjà les mieux équipées et les autres, de même
que la concurrence joue toujours au profit de
I entreprise la plus puissante ; le patronat re-
fuse de faire un certain nombre d'investisse-
ments, collectifs notamment (transports, forma-
tion de la main-d'œuvre, etc.) dans des régions
« défavorisées ». Il investit dans les régions
déjà équipées et aggrave en conséquence le
sous-équipement des autres. L'Ouest n'échap-
pe pas à la règle : l'industrialisation y est mar-
ginale, limitée à quelques centres d'accès fa-
cile (comme Nantes - St-Nazaire) ou à quelques
régions où la faiblesse du coût de la main-
d'œuvre vient contrebalancer les inconvénients
structurels.
Les embryons d'industrialisation à l'Ouest se
font au prix d'une surexploitation de la classe
ouvrière ; à Redon, où l'expansion du secteur
métallurgique jusqu'en 1957 a pu faire illusion
la stagnation et la récession qui se sont abat-
tues sur la région ont aggavé la surexploita-
tion par la généralisation du chômage.
...A L'USINE
En 1985, le capitalisme prévoit — c'est-à-
dire entend réaliser — la situation suivante de
l'emploi à Redon : 3.000 emplois dans l'indus-
trie, autant dans l'agriculture pour... 16.000
jeunes cherchant une profession. Actuellement
l'industrie métallurgique (très dispersée : 37
usines ont entre 10 et 20 ouvriers. 21 plus de
20) emploie 3.500 personnes. L'abondance de
la main-d'œuvre, entretenue par la crise agrico-
le, permet au patronat d'imposer de bas salai-
res. Aussi entend-il bien perpétuer et aggraver
une situation qui lui est hautement favorable.
Les bas salaires : voici les chiffres pour
l'ensemble des catégories, avec en regard le
salaire horaire minimum parisien accepté par
les centrales syndicales.
Redon
Paris
salaire
Salaire
horaire
horaire
manœuvre
1
2,39
2,83
2
2,45
2,93
O.S.
1
2,50
3
2
2,65
3,22
P.
1
2,96
3,66
2
3,36
4,01
3
3,78
4,45
(1) cf. A.G.J. No 9 (Rhodia), 10-11 (Caen).
(2) la population de la région de Redon a
augmenté de 9,1 % entre 54 et 62.
20
L'écart avec le salaire moyen parisien atteint
46 %. L'écart entre salaires moyens à Redon
et à Rennes - usine Citroën est de 10 à 15 %
et il n'y a pas d'abattement de zone entre ces
deux villes.
Deux exemples « parlants » enfin : chez
Dubois (vêtements) qui emploie 208 personnes,
une ouvrière avec un C.A.P. de couturière
gagne moins de 9 F par jour. Chez Flaminaire
(648 ouvriers) un manœuvre gagne 380 F par
mois ; les horaires ont été réduits de 45 à 40
heures.
Chômage et bas salaires : dans une région
déjà défavorisée, disions-nous, le patronat évi-
te d'investir. L'usine Michelin promise (1.400
emplois nouveaux) s'installera à Epinal. A Re-
don, du 1er mai au 1er octobre 67 les deman-
des d'emploi inscrites non satisfaites ont
doublé : elles atteignent 350.
Et à côté du chômage « officiel », du chô-
mage • partiel », il y a la foule de ceux, jeunes
notamment, qui ne trouvent pas de situation :
le manque de place dans les écoles entretient
la sous-qualification. La hausse de la qualifica-
tion dont le patronat a besoin il l'effectue par
la formation professionnelle dans les usines.
La vie quotidienne à Redon subit les effets
de la situation de l'emploi : la diminution du
pouvoir d'achat entraine la fermeture des com-
merces et crée de nouveaux chercheurs d'em-
ploi. Les logements H.L.M. sont en nombre
bien insuffisants (300 demandes non satisfaites)
et pourtant, pour payer le loyer, mari et femme
sont contraints de travailler à l'usine.
A Redon, en dépit du manque d'explications
des directions ouvrières, les travailleurs ressen-
tent que la politique de reconversion du capi-
talisme français « pour devenir concurrentiel »
se fait sur leur dos. Personne ne leur a expli-
qué que le taux de plus-value n'augmentait
qu'au moment où H y avait diminution du ca-
pital variable : mais ils sont en train de le re-
découvrir.
UN CONFLIT CONTROLE
L'expérience récente a du moins appris
cela aux bureaucrates syndicaux : il vaut
mieux accepter le mouvement et l'engager dans
des cadres « traditionnels » que le laisser en
proie à toutes les tentations gauchistes. A Re-
don, au contraire des autres conflits .les appa-
reils syndicaux ont réussi à garder un contrô-
le relatif des opérations. Mais Ils n'ont agi que
poussés par la base : en assignant au mouve-
ment des objectifs « modérés >, ils lui ont per-
mis de remporter une victoire illusoire et dont
Jes travailleurs pourront bientôt sentir la pré-
carité.
La motivation de départ du mouvement a été
un premier « réajustement • opéré le 1er fé-
vrier après un an de tergiversations. L'exigen-
ce des « 30 centimes » pour mobilisatrice
qu'elle fût ne prenait son sens plein que si on
la liait à tout un programme revendicatif, exi-
geant notamment des garanties sur le plan de
la sécurité de l'emploi. Tout le monde sait que
les augmentations de salaires sont rapidement
reperdues du fait de l'augmentation du prix de
la vie. Mais expliquer les limites du mot d'or-
dre n'était-ce pas aussi poser aux travailleurs
le problème des formes de lutte adéquates ?
Le 6 février, la première manifestation ras-
semble 2.500 participants. C'est elle qui con-
traint les directions syndicales, bon gré mal
gré à lancer le mouvement. Dès le début,
elles l'enferment dans la logique patronale en
centrant la lutte sur le « droit de discuter avec
le patronat -. Les syndicats demandent une
réunion de la commission paritaire où bureau-
crates syndicaux et délégués patronaux se re-
trouvent. Au refus du patronat, ils répondent
en organisant une manifestation pour le
11 mars.
Mais le 11 mars, tandis que les délégués
discutent à l'intérieur de la mairie, les travail-
leurs, notamment les « jeunes » ceux que les
centrales (surtout la C.F.D.T.) contrôlent le
moins, généralement sortis directement de
l'exode rurale, décident de manifester violem-
ment leur résolution : ils barrent la voie fer-
rée (l'express Paris-Quimper est stoppé en
gare) et se heurtent violemment aux C.R.S.,
qui chargent avec une brutalité inouïe. Par ce
débordement, les travailleurs ont manifesté
qu'ils refusaient, peut-être confusément, mais
résolument, le cadre de revendications et de
discussions qu'on leur imposait.
Après les « incidents » les centrales conti-
nueront à axer la lutte sur le thème : droit de
discussion avec le patronat.
L'Union Locale C.G.T., le 25 mars, déclare :
- la C.G.T. se déclare prête à poursuivre la
lutte jusqu'au bout pour obtenir un protocole
d'accord », Les syndicats iront jusqu'à faire
appel au préfet, pour qu'il contraigne le patro-
nat à accepter la réunion paritaire...
VICTORIEUX ?
Les débrayages se succèdent dans diffé-
rentes usines, le 21 a lie\j un débrayage d'une
heure sur le tas dans toutes les entreprises.
2 500 ouvriers suivent le mouvement. Le 22
mars, le patronat accepte la réunion paritaire
et accorde une augmentation de 0,25 F (au
lieu des 0,30 demandés). Dans trois boites,
l'augmentation refusée en commission pari-
taire sera conquise par une lutte prolongée :
chez Sebilleau — dont les 210 ouvriers sont
à la base du mouvement revendicatif ; les
ouvriers de Sebilleau se mettent en grève
pour 48 heures. Chez Unifer, les 348 ouvriers
déclenchent une grève illimitée. Contraints
par la relance du mouvement, les trois U.L.
(C.G.T., C.F.D.T., F.O.) organisent le 23 un
meeting d'information qui groupe 2500 parti-
cipants. Le 28, 1 500 métallos débrayent dans
toutes les usines de Redon par solidarité
avec Sebilleau et Unifer, qui obtiennent satis-
faction. Ce que la • commission paritaire •
n'avait pas obtenu, le combat des ouvriers l'a
gagné. Mais il reste que la direction a réussi
à limiter la lutte à un objectif partiel, qui n'a
d'ailleurs été atteint que de façon limitée. En
refusant la généralisation des luttes et des
mots d'ordre, en acceptant la logique patro-
nale de discussion en limitant la revendica-
tion à une augmentation de salaire, les direc-
tions ont remporté un succès. La seule géné-
ralisation • à froid - qu'offrent les centrales,
c'est la perspective d'une journée pour le « dé-
veloppement régional » de l'Ouest. Perspective
qui trace le plan d'un développement de la
région comme si le retard de l'Ouest ne tenait
pas à des causes structurelles et générales
du capitalisme français. La clé des problèmes
bretons n'est pas en Bretagne : elle est au
niveau du système économique global, où
joue la concurrence entre régions « pauvres »
et régions « riches ».
Mais ce succès des directions est ambigu,
comme est ambiguë la victoire des 25 cen-
times. Quand elle sera — ce qui est iné-
vitable — remise en question, les travailleurs
de Redon se souviendront des leçons posi-
tives de la lutte de mars 68 : l'unité syndicale
a été imposée par les travailleurs aux trois
centrales, surtout le mouvement de solida-
rité des entreprises avec les travailleurs de
Sebilleau donne la preuve du haut niveau de
conscience de la classe ouvrière dans la
région.
Les étudiants ont manifesté leur solidarité
avec les travailleurs, en dépit du refus de
l'U.E.C. et de l'U.N.E.F. de l'organiser : soli-
darité dont la forme la moins heureuse a été
la constitution d'un « Comité de Soutien aux
travailleurs de Redon » qui s'est contenté de
reprendre à peu près uniquement le mot d'or-
dre partiel des 30 centimes. Enfin et surtout,
l'unité de lutte avec les paysans confrontés
à la concurrence capitaliste s'est réalisée : les
- jeunes - redonnais, dont les parents sont
souvent paysans, unissent la lutte des pay-
sans — dont ils reprennent les méthodes ra-
dicales — et celles de la classe ouvrière : au
niveau des organisations, le « front syndical
commun de confédérations ouvrières et des
syndicats agricoles », la solidarité du C.D.S.A.
avec les ouvriers — comme en octobre 1967
la solidarité des ouvriers avec les paysans,
témoignent avec toutes les limites que leur
imposent les directions syndicales de la
force de l'unité d'action.
Cette expérience témoigne du niveau auquel
peuvent oarvenir les luttes dans une région ,
qui vit intensément, aussi bien dans l'agri- |
culture que dans l'industrie, la crise du capi-
talisme français dans le Marché commun.
A travers Redon, c'est un nouveau visage
de l'Ouest français qui apparaît : celui d'une
région où se forme très vite un nouveau pro-
létariat combatif.
Le groupe de Rennes de la J.C.R.
LA CRISE MONETAIRE INTERNATIONALE
(Suite de la page 9)
en Europe, l'aide à l'étranger... Bref, la poli-
tique impérialiste des Etats-Unis.
Les investissements fait par les capitalistes
américains avec ces dollars leur rapportent un
profit qu'on peut estimer à 10 °/ (-Le Monde»
4 avril 1968), et les dollars obtenus en échange
de ces investissements par les capitalistes
européens s'ils sont prêtés soit aux U.S.A.
soit en Europe même, ne rapportent que 3 %
aux capitalistes qui les détiennent. Par consé-
quent, le mécanisme dans lequel le dollar joue
le rôle de monnaie de réserve sans que les
Etats-Unis soient forcés par un mécanisme
quelconque à régler l'émission de monnaie
internationale conduit à un formidable trans-
fert de la valeur créée par la bourgeoisie euro-
péenne (avec le travail de son prolétariat, bien
sûr) en faveur de la bourgeoisie des Etats-
Unis.
C'est cette situation que ne veut plus accep-
ter la bourgeoisie européenne qui se sent
maintenant assez forte pour refuser ce méca-
nisme.
Cette contradiction entre les intérêts de la
bourgeoisie européenne et l'impérialisme des
Etats-Unis touche actuellement deux questions
essentielles et liées qui font l'objet des anta-
gonismes.
Ces deux problèmes peuvent être synthéti-
sés de la manière suivante : Premièrement :
qui payera réellement la politique de déficit des
Etats-Unis. La « note » à payer étant en l'oc-
curence les 22 milliards de dollars de créances
détenus par les pays occidentaux et qui ne
pourraient pas être remboursés en or par
les Etats-Unis qui n'en ont pas suffisamment
au taux actuel (au taux actuel de 35 dollars
pour une once d'or, les Etats-Unis ne pour-
raient rembourser que 10 milliards environ).
Deuxièmement, si le mécanisme de crèd-
tion de monnaie internationale qui était assuré
jusqu'aujourd'hui par le déficit sous contrôle
de la balance des payements américains doit
être transformé sous la pression des nouveaux
rapports de force réels comment sera créée
la nouvelle monnaie dont on a besoin pour
assurer l'expansion du commerce mondial ;
quels seront les rapports de forces entre puis-
sances impérialistes qui fixeront les règles de
la création et de la distribution de cette mon-
naie. Ce sont ces deux aspects des contra-
dictions interimpérialistes que nous nous pro-
posons d'analyser dans un prochain article.
Michel Alexis.
L'ETAT VU PAR WALDECK ROCHET
2l
QUE SE PASSE-T-IL A LA C.G.T. ?
Depuis la rentrée de septembre 1967, on ne
peut pas dire que la C.G.T. ait entrepris quoi
que ce soit qui permette un réel démarrage
des luttes. Certes nous avons eu un envoi de
délégations à l'Assemblée au moment de la
rentrée parlementaire d'octobre. Nous avons
eu le morne défilé du 13 décembre. En dehors
de cela ? Rien.
Lorsque la grève a éclaté à Caen, c'est tout
juste si l'on a informé les militants de ce qui
se passait là-bas. Aucune collecte d'argent
pour soutenir les emprisonnés de la Saviem
et des autres entreprises de Caen.
Au point mort ; voilà où nous en sommes.
Mais qu'on ne s'y trompe pas. Ce calme
n'est qu'apparent : en fait, et faute de com-
bats revendicatifs un peu sérieux, c'est à l'in-
térieur de la C.G.T. que l'on se remue, que
l'on critique, que l'on réorganise, etc.
L'absence de tout mouvement, malgré une
pression de la base, a fait jaillir des critiques
de toutes sortes. Non pas un courant critioue,
mais des critiques. Les plus responsables de
la C.G.T. se sont trouvés au banc des accusés
et se sont défendus : ce n'est pas nous, ce
sont les autres. Les autres : la C.F.D.T. et
F.O.
Pour F.O. c'était clair : elle a trahi et re-
trahira. Tout le monde est d'accord pour dé-
noncer la collaboration de classe pratiquée
par la direction de cette confédération.
Mais la C.F.D.T. ? On fait l'unité avec elle.
Alors que signifie cette unité là ? Question
embarrassante et les réponses étaient embar-
rassées. C'est pourquoi les militants et parmi
eux ceux du P.C.F. purent expliquer que l'unité
dans l'inaction cela ne peut plus durer.
Si la C.F.D.T. ne veut pas marcher, nous
irons seuls à la bataille. Et pour qu'on ne nous
qualifie pas de diviseurs, nous afficherons les
réponses de la C.F.D.T. à nos propositions,
nous prendrons les travailleurs comme témoins
de notre volonté d'engager des actions.
Inutile de dire qu'une telle position est bien
gênante dans la période actuelle : elle ne va
pas du tout dans le sens de l'unité de « toutes
les forces démocratiques » et présente cet
inconvénient supplémentaire de mettre en cause
la politique plus ou moins secrète habituelle-
ment pratiquée par les dirigeants à quelque
niveau qu'ils soient. Imaginez seulement un
instant Seguy contraint de prendre les tra-
vailleurs à témoin des propositions qu'il serait
sensé faire à ses acolytes de la C.F.D.T., et
de sa bonne volonté à organiser effectivement
de grandes luttes. Ce qui a pu passer au niveau
des syndicats n'est pas prêt d'être accepté
par la direction confédérale, soyons en cer-
tains.
Mais on ne peut rester ainsi à attendre que
se développe une attitude critique des mili-
tants. Tôt ou tard cela finira mal pour les
bureaucrates. Alors ceux-ci ont cherché et
trouvé des expédients. Il y en a quatre imoor-
tants qui permettront peut-être de tenir jus-
qu'aux congés.
Tout d'abord on reprend l'affaire des « gau-
chistes ». Récemment dans la Vie Ouvrière
(hebdomadaire de la C.G.T.), Krasuki les met
à mal dans un article intitulé « Les affaires
sérieuses ». Citons-en les passages les plus
intéressants :
- Avez-vous remarqué que depuis un cer-
tain temps une partie de la presse bourgeoise
s'est mise à trouver une saveur agréable à
tout ce qui se prétend ultra-révolutionnaire'7
Et que je te mette en avant les excités qui
cherchent à entraîner les étudiants progres-
sistes dans des voies qui les isoleraient de la
masse des étudiants et de la classe ouvrière...
Et que je te tartine des colonnes oour tenter
de dévoyer la juste colère de la jeunesse ..
Et que je te fasse mousser les casseurs de
vaisselle qui, à l'intention de la classe ouvrière,
lancent des mots d'ordre sans rapport avec
la réalité.
22
II en est qui se laissent prendre à ces
campagnes intéressées. On voit des gens qui
affirment se classer * à gauche • faire chorus
et assaut de démagogie et d'irresponsab'lité.
On voit aussi, dans certaines entreprises,
voire dans certains départements, des mili-
tants de la C.F.D.T. s'embarquer dans cette
galère, avancer des mots d'ordre inconsidérés
et tenir un langage « dur de dur ». Ils le font
en créant des difficultés à l'unité d'action et
dans le même temps que leur organisation
adopte une position qui fait obstacle à l'union
des forces de gauche sans exclusive... -
(La Vie Ouvrière, rf 1232, 10-4-1968, p. 9.)
Là encore l'unité avec la C.F.D.T. est sou-
mise au feu de la critique. Plus exactement,
Krasuki appelte ses homologues de la C.FD.T.
à contribuer à isoler et combattre les gau-
chistes.
Soit dit en passant, même si la C.F.D T. a pu,
au nom de la • démocratie véritable » refuser
d'entrer dans le jeu de la chasse aux sor-
cières, rien ne nous prouve que demain, com-
prenant les dangers qui menacent tous les
appareils bureaucratiques, elle ne changera pas
son fusil d'épaule.
Mais il reste que la dénonciation des gau-
chistes ne suffit pas pour mobiliser des syndi-
qués ou pour répondre à la volonté (actuelle-
ment en recul) de se battre contre les ordon-
nances et le chômage et pour les salaires. Il
faut donc autre chose et la direction de la
C.G.T. s'en occupe.
Etant donné que les gauchistes influencent
surtout les jeunes, commençons par organiser
une belle démonstration de la jeunesse. Un
Festival est en préparation pour le mois de
mai et l'on sait déjà qu'il sera gai gai gai,
oh yes ! Chars fleuris, batailles de confettis,
rien ne manquera... sauf peut-être des propo-
sitions un peu sérieuses pour organiser et mo-
biliser les jeunes.
Notons cette contradiction : on prépare le
Festival assez sérieusement au niveau des
Unions locales, ou des U.D., voire dans les
syndicats. Là s'expriment toutes sortes de re-
vendications et la presse de la C.G.T. s'en
fait abondamment l'écho. Et la conclusion in-
variable est qu'il va falloir se battre. Mais au
lieu de cela, et sans pudeur aucune, on nous
prépare une vaste fiesta, pour laquelle on
requiert des énergies relativement importantes.
La seconde grande mobilisation est pour le
mois de juin. Là il s'agit de choses plus sé-
rieuses puisque nous avons à préparer des
Assises Nationales contre le chômage. Re-
marquez qu'on est déjà rôdé : assises sur le
travail des jeunes..., assises sur le travail des
femmes cette année sur le chômage. Comme
c'est en juin que cela aura lieu, il sera im-
possible de terminer cette mobilisation par
une action. Les vacances seront trop proches.
Néanmoins, faute d'autre chose, on pourra
occuper des militants car il faut le rappeler,
« ceux qui critiquent ne font pas le boulot... »
Alors voilà du travail maintenant : il s'agit
d'organiser des comités de chômeurs et de
préparer des rassemblements régionaux.
• Rassemblements régionaux. Ils seront or-
ganisés dans les semaines qui viennent dans
les départements et régions. On sait que la
C.F.D.T. a donné son accord pour l'organisa-
tion en commun de ces manifestations...
Des comités de chômeurs, de sans-travail
seront constitués sur la base locale à l'initia-
tive de la C.G.T. Ils seront ouverts à tous les
chômeurs sans distinction, syndiqués ou non,
y compris aux nombreux jeunes qui n'ont ja-
mais eu d'emploi après leur scolarité.
Des dispositions doivent être prises oour
syndiquer à la C.G.T. tous les chômeurs et
sans emploi... »
(Le Délégué du Personnel, n° 215, fév. 1968,
p. 4).
Enfin pour faire le lien entre tout cela nous
avons une grande tâche supplémentaire :
• Nous (direction confédérale, ndlr.), appe-
lons tous nos militants, tous nos adhérents, à
participer de toutes leurs forces et de tout
leur cœur à l'action qui doit conduire à l'ou-
verture d'un débat devant le Parlement et au
déroulement d'un vaste mouvement de pro-
testations populaires susceptibles d'imposer
l'abrogation des Ordonnances, »
(Le Peuple, n° 796, 1-15/4/1968, p. 17).
et nous aurons à intervenir
• par délégations nombreuses et autres dé-
marches auprès de vos élus, des députés,
des sénateurs, pour qu'ils exigent un débat et
un vote sur la Sécurité sociale et qu'ils rejet-
tent les ordonnances. •
(Tract C.G.T., Union régionale rjarisienne,
1/4/1968).
On recommence comme à la rentrée, «vec
cette différence que si en octobre des illusions
existaient encore sur l'efficacité de la pres-
sion sur les élus, il est bien possible que cette
fois, elles aient disparu de la tête des militants.
Voilà donc le programme jusqu'aux vacances
d'été. Cela ne permettra pas de grandes flam-
bées : tout au plus aurons-nous un 17 mai,
qui semble devoir appartenir aux dates histori-
ques - dans la France de notre temps ». C'est
peu, et surtout peu enthousiasmant.
Curieusement la Confédération vient d'éditer,
pour le 1er mai, une affiche « révolutionnaire ».
Sur un drapeau rouge : Unité. Sur un drapeau
du F.N.L. : solidarité. Une belle affiche en véri-
té mais hélas trois fois, sans rapport avec
l'activité de la C.G.T. Mais ce n'est pas par-
ce qu'elle est sans rapport avec l'activité de
la C.G.T. que cette affiche est critiquée. Les
militants de la C.G.T... et du P.C.F. orotestent :
quoi ? le drapeau rouge ! et pourquoi pas la
faucille et le marteau pendant qu'on y est ?
Oue peuvent faire des révolutionnaires dans
cette situation ? Leur première tâche est d'être
militants syndicaux (bien entendu, s'ils ont une
activité salariée et non en quittant volontaire-
ment l'université) car, nous l'avons dit, c est
à l'intérieur du mouvement syndical que se
préparent les mutations futures. Aujourd'hui,
ils doivent ouvrir parmi les organisateurs du
Festival de la jeunesse des discussions et
préparer des rassemblements contre le chô-
mage. Ils doivent être de ceux qui « réorga-
nisent » le syndicat pour montrer que
l'on ne peut pas dissocier l'organisation 'de
l'agitation et de l'action revendicative. Ils ont à
être de ceux qui discutent des conditions de
l'unité avec la C.F.D.T.
A propos
de la déclaration commune
PCF-FGDS
Les syndicalistes réunis autour du bulletin
• Le Militant -, ont analysé et discuté démo-
cratiquement du contenu de l'accord passé
entre le P.C.F. et la F.G.D.S. Ils ont pris con-
naissance de la prise de position de la Com-
mission administrative de la C.G.T. en faveur
du document issu des négociations entre les
deux formations politiques. Bien que la grande
majorité des syndicalistes du « Militant • soient
membres de la C.G.T., ils n'estiment pas de-
voir reprendre à leur compte la déclaration
faite par la C.A. de la C.G.T., et ce, pour les
raisons suivantes :
1) II n'y a pas d'accord entre les deux for-
mations signataires sur la fixation d'un sa/aire
plancher de 600 F par mois, la F.G.D.S. ayant
assorti ce point de conditions qui ne l'enga-
gent pas dans le cas où elle accéderait au
pouvoir.
2) Le retour à la semaine de 40 heures n'a
pas été retenu sinon accompagné du mot
progressif ; l'abaissement de l'âge de la re-
traite est accompagné du même qualificatif.
Or l'élévation du nombre des chômeurs et les
mises à la pré-retraite font que ces deux me-
sures doivent être adoptées immédiatement
après l'avènement d'un gouvernement de
' gauche ».
3) II n'y a pas d'accord entre les deux for-
mations sur la question des nationalisations ;
la F.G.D.S. entend créer un organisme pour
• orienter * le secteur privé mais sans pour
autant formuler des propositions permettant un
contrôle des travailleurs sur la production ou
interdisant aux capitalistes de se soustraire à
un contrôle de l'Etat sur l'orientation de la
production.
4) Sur le plan des problèmes de la démo-
cratie et des institutions, la F.G.D.S. s'en tient
à un amendement de la Constitution gaulliste
et aucune proposition allant dans le sens de
l'élection à la proportionnelle d'une nouvelle
Assemblée constituante n'est formulée.
5) Sur le terrain de la politique extérieure,
la F.G.D.S. met comme condition au désenga-
gement à l'égard du Pacte Atlantique, la
construction d'une force militaire européenne.
Cette proposition conduirait, si elle était réa-
lisée, à la naissance d'un pacte militaire de
plus et non à l'instauration d'une paix du-
rable en Europe.
Pour toutes ces raisons, les syndicalistes
réunis autour du bulletin « Le Militant » est/-
ment Que l'accord n'apporte rien de construc-
tif en correspondance avec les revendications
de la C.G.T. et plus généralement de l'en-
semble des travailleurs. C'est pourquoi, ils
n'estiment pas devoir soutenir cet accord mais
au contraire en souligner toutes les limites.
(Suite de la page 22)
Que font en réalité les révolutionnaires ? Non
seulement ils s'intègrent à toutes les activités
du syndicat mais en plus ils sont amenés à
combiner une activité syndicale et une activité
de soutien de la révolution vietnamienne. Par
l'une et l'autre, ils sont amenés à trouver de
nouveaux militants et surtout à apparaître com-
me d'authentiques dirigeants de masse, même
dans des secteurs limités.
Comme en témoigne le texte que nous pu-
blions par ailleurs, des militants, révolutionnai-
res sinon par leur étiquette politique du moins
par leur activité, en viennent même à s'orga-
niser pour éditer un bulletin. Celui-ci reflète
un peu les critiques qui fusent de partout Hans
la C.G.T. et surtout en donne la forme géné-
rale. Car si l'on commence à se rebeller au
sein des syndicats ce n'est que d'une manière
encore limitée, partielle. Il faudra sans doute
des centaines de ce bulletin et probablement
pas mal d'exclusions avant que quelque chose
ne change réellement dans la C.G.T. En atten-
dant, on ne peut guère manquer une seule
réunion, car dans chacune d'elles, on discute,
et à chaque fois il v a une critique à laquelle
il faut donner sa forme et son prolongement.
A. P.
0) Nous parlons ici de la C.G.T. en tant que
centrale la plus influente dans la classe ouvrière,
la plus forte numériquement et dont la direction
a, de ce fait, les responsabilités les plus grandes.
Cela ne signifie donc pas que nous n'avons pas
de critiques è formuler è l'égard de la direction
corrompue et traître de F.O. ou de la direction
• intégrationniste • de la C.F.D.T.
Répression en Tunisie
« L'impérialisme n'existe pas, c'est un mot
d'ordre démagogique lancé par les extrémis-
tes pour justifier leur incapacité'", affirmait
Bourguiba dans un discours vilipendant l'op-
position universitaire grandissante à son ré-
gime.
Mais pour ces * incapables » le • mot d'or-
dre ' recouvre hélas une sinistre réalité en
Tunisie : l'emprise croissante des Etats-Unis
sur tous les secteurs clés de leur oays ;
celle-ci se manifeste par les voies 'es plus
diverses : entraînement et équipement de for-
ces spéciales à Bouficha, de militaires, de
policiers, par des • assistants techniques »
américains ; présence permanente de « volon-
taires de la paix », activité inlassable des
' missions culturelles >, ef débouche sur une
politique inconditionnellement alignée sur celle
du département d'Etat, que ce soit sur le pro-
blème vietnamien ou l'affaire palestinienne.
Les Américains ont fait comprendre que
cette assistance leur semblait encore trop in-
formelle et Bourguiba, en subordonné zélé,
a déclaré récemment devant l'Académie Mi-
litaire qu'il envisageait de signer un pacte
militaire avec les U.S.A. * de façon à oroté-
ger son pays de tout danger extérieur •.
C'est contre cette emprise qu'éclatait, le
5 juin 1967, la première grande manifesta-
tion publique anti-impérialiste organisée par
les étudiants de Gauche de l'U.G.E.Ï. (1) de-
vant les ambassades anglaise et américaine.
La manifestation ayant dégénéré, sous l'ac-
tion des hommes du P.S.D. (2), brassard au
bras, en actes de vandalisme contre les lo-
caux juifs de Tunis, le gouvernement fit l'amal-
game, et arrête l'un des dirigeants de l'op-
position progressiste, l'étudiant Ben Jennet.
Après un simulacre de procès, celui-ci fut
condamné à la plus forte peine, 20 ans de
Travaux Forcés.
Cet avertissement • ne calma pas les es-
prits '. Après la rentrée universitaire, un Co-
mité Vietnam était sur pied et participait le
17 novembre à la journée internationale de
soutien au Vietnam.
Le JO janvier, les étudiants manifestaient
aux cris de * on ne nous achète pas avec
du blé * contre l'arrivée d'Humphrey en Tu-
nisie.
Le 15 mars, à l'appel du • Comité pour la
libération de Ben Jennet », la grève des cours
fut décrétée à l'Université.
Pendant 3 jours les meetings se succédè-
rent, aux quels plusieurs enseignants apposè-
rent leur soutien ; le mouvement s'amplifie et
gagne le lycée Alaovi.
Décidée à briser le mouvement, le police
investit les locaux universitaires, matraqua les
manifestants dent un (lycéen) fut tué, et pro-
céda à de nombreuses arrestations,
A l'heure actuelle, 5 étudiants ont été ex-
clus à vie de l'Université, et 34 oersonnes
(étudiants, personnel enseignant), tous les di-
rigeants du Comité Vietnam doivent passer
en jugement.
Pour tous ces militants, ces mesures si-
gnifient l'impossibilité de trouver du travail et
de survivre dans un pays où le contrôle ooli-
ciei s'appesantit chaque jour davantage. Tout
homme soupçonné de sympathie envers les
opposants est filé, arrêté sous les prétextes
les plus futiles et « passé à tabac •.
L'indifférence de la grande presse occiden-
tale aux événements tunisiens est significati-
ve : là Tunisie reste l'un des meilleurs ga-
rants du capitalisme en Afrique.
La J.C.R. s'associe pleinement à tous ceux
qui luttent contre le régime policier de Bour-
guiba.
Solidarité avec les étudiants tunisiens em-
prisonnés ! M. K.
(1) Union Générale des Etudiants Tunisiens
dont la direction est aux mains d'hommes du
régime et l'aile gauche oppositionnelle, dont
l'influence est grandissante, animée par le
G.E.A.S.T. (Groupe d'Etude et d'Action Socia-
liste).
(2) Parti Socialiste Destourien... gouverne-
mental.
23
ISRAËL : UN AN APRÈS
441 avions détruits, 80.000 Egyptiens tués
au napalm ou morts de soif dans 'e Sinai,
600 chars détruits ou capturés ; les « frontières
naturelles > atteintes : plateau de Golan, rive
du Jourdain, Sinai. Le 11 juin, le « monde libre6-
respire : Israël est sauvé.
Impeccable exemple de stratégie. Non moins
impeccable exemple d'agression. Et après ?
Qui a gagné la guerre ?
Les Israéliens ? Peut-être. Mais le vrai visage
de la politique sioniste est apparu : détourner
les Juifs de la lutte pour l'égalité raciale dans
leur pays pour les transplanter dans un état
artificiel, de nature coloniale, créé par expro-
priation des Arabes, Juifs, condamnés dès lors
artificiel, de nature coloniale, créé par expro-
au rôle d'instrument de l'impérialisme et à
l'agression perpétuelle.
DE L'OPPRESSION...
A en croire Moshe Dayan, la guerre de six
jours devait assurer la paix à Israël et n'avait
pas été menée dans des buts expansionnistes.
Résultat : après l'annexion de Jérusalem, on
donne aux Arabes des territoires occupés la
carte d'identité israélienne. La ligne de cessez-
le-feu devient « ligne d'armistice ». Précisons
que les frontières de 1948 étaient déjà une
ligne d'armistice. Puis l'administration civile
prend le relai des militaires ; et Moshe Dayan
pense déjà aller plus loin. Dans l'interview du
Nouvel Observateur, on lit : « dans le cadre de
négociations... nous sommes tout à fait dis-
posés à rendre les hauteurs de Gola... Elles
sont moins importantes que la poche Cisjor-
danienne qui réduisait Israël à l'état d'un
couloir. - A quand l'annexion officielle de la
Cisjordanie, où s'implantent 24 kibboutz ?
Quant à la 'politique libérale israélienne :
« soyons sérieux. Il y avait 60.000 Syriens à
Kurestra. Aujourd'hui il reste 4 à 5 mille
Druses, qui nous sont acquis, et soixante
Arabes, que l'armée nourrit. Ces gens-là n'ont
rien à faire à Kurestra. » (Colonel Ghazit).
Moralité : 60 Arabes, c'est encore trop ! De
même, 60.000 Arabes ont quitté la zone de
Kaza pour se réfugier en Cisjordanie puis en
Jordanie. Voilà pour l'état multiracial.
...A LA REPRESSION...
Arrestations, perquisitions en cas de grève
sont de règle. On dynamite les maisons « soup-
çonnées d'avoir abrité des terroristes. « Le
colonel Ghazit répond crûment : oui, nous pra-
tiquons le contre-terrorisme.
La guerre agit comme un formidable cata-
lyseur, a dit Lénine. La guerre de six jours
a relancé le mouvement des masses arabes :
chez les Palestiniens, tout d'abord. Ils prennent
conscience qu'ils étaient utilisés par les diri-
geants arabes à phraséologie socialiste com-
CAMP CHE GUEVARA POUR
LE VIETNAM
Organisé par le Comité Vietnam
National et la Conférence de Bruxel-
les, un stage politique où les jeunes
révolutionnaires européens rencontre-
ront des jeunes Vietnamiens et des
jeunes Cubains, se déroulera cet été,
à 30 kilomètres de La Havane.
Pour tous renseignements, écrire à
Avant-Garde Jeunesse, Boîte Postale
39-16, Paris.
me masse de manœuvre ; voire que les inté-
rêts des régimes réactionnaires féodaux, des
bourgeoisies militaires et des sionistes coïn-
cident : qu'ils se tiennent tranquilles. Actuel-
lement, les soi-disant régimes progressistes
arabes tentent de réprimer les commandos . .
et les Egyptiens les premiers.
Dans un premier temps, les « dirigeants >
des mouvements de libération ont été éjec-
tés. Au même moment, grossi par les Arabes
expulsés de Cisjordanie le mouvement de lutte
armée reprend son essor autonome. Pour la
première fois des organisations de Palestiniens
ne parlent plus de jeter les Juifs à la mer, mais
la distinction entre dirigeants sionistes et Juifs
trompés, avec qui un état multiracial est pos-
sible, apparaît. Plus important : au sein même
d'EI Fath, on commence à comprendre que la
création de cet état, seule solution au problème
israélien, impose une révolution socialiste au
Moyen Orient : « désormais, il ne s'agit plus
seulement du peuple palestinien, mais de la
lutte générale de la nation arabe contre les
traîtrises impérialistes. Il nous faut un pou-
voir qui soutienne la révolution et lui donne
les armes et les hommes dont elle a besoin. »
Le processus de catalyseur agit également
dans la population non palestinienne. La situa-
tion d'Hussein n'a jamais été aussi instable.
Quant à Nasser, malgré sa spectaculaire fausse
sortie de juin dernier, il n'a pu cacher aux
masses égyptiennes la responsabilité de la
bureaucratie militaire dans la défaite. L'action
des ouvriers d'Helouan est le premier signe
révélant que la lutte s'engage ''désormais
contre la bourgeoisie égyptienne.
...ET A L'AGRESSION.
Qualifiés d'insignifiants quantitativement,
les actes de sabotage dépassent maintenant
50 par mois. Les Israéliens répondent par la
violence et, au bout d'un certain temps, par
une nouvelle agression. L'attaque de Karané,
par exemple. Israël est condamné à l'agres-
sion perpétuelle. Et déjà, Dayan dit : « une
quatrième guerre est possible. • Pour quels
objectifs ? Damas, Amman, Le Caire ?
Au type de guerre que mène El Fath, Israël
ne trouve plus de réponse. Là encore, le cata-
lyseur a joué : les mouvements terroristes
sont en perte de vitesse. El Fath a désavoué
l'attentat contre l'autobus civil qui a servi
de prétexte à Karamé, et préconise une guérilla
contre les objectifs industriels et militaires.
De répression en répression, la logique mili-
taire israélienne s'affole : « après Karamé, nous
aurons la paix pour un bout de temps » déclare
un militaire israélien. Du temps ? deux jours !
Faudra-t-il envahir quotidiennement la Jorda-
nie ? Et les pertes commencent à se faire
lourdes pour de simples « opérations de po-
lice"-. Le peuple juif découvrira-t-il où le mè-
nent ses dirigeants ? La dernière trouvaille des
Israéliens, la ligne « Maim - Ba Lev - résou-
dra peut-être le problème des infiltrations de
terroristes. Mais même si la lutte de guérilla
était privée de ses bases extérieures, reste-
rait, à condition qu'EI Fath le veuille, la pos-
sibilité d'un mouvement politique en Cisjor-
danie, pouvant peu à peu déboucher sur une
lutte armée intérieure. C'est pourquoi il im-
porte qu'EI Fath reprenne la lutte politique
(grèves, boycotts) abandonnée depuis juin.
Ce travail à longue haleine devient d'autant
plus important que la situation intérieure en
Israël se dégrade depuis la guerre ; le prix
de l'agression militaire, c'est une imposition
IMBATTABLE
Publicité pour les«oranges israéliennes
croissante de la population ouvrière et pay-
sanne. Le nationalisme outrancier coûte cher.
Sur le plan politique, il se donne les moyens
d'une dictature intérieure.
A la répression anti arabe en Cisjordanie
s'ajoute une répression contre les militants so-
cialistes en Israël même. Des membres juifs et
arabes de l'Organisation Socialiste Israélienne
sont arrêtés. « Un peuple qui en opprime un
autre ne peut être libre. > Les dirigeants israé-
liens ont mis en marche un processus redou-
table : la fuite en avant ne fait qu'aggraver les
contradictions. Si une direction nouvelle appa-
rait au Moyen Orient en dépit des efforts
de l'U.R.S.S. pour étouffer un nouveau foyer
révolutionnaire, les masses peuvent découvrir
que la seule voie vers la résolution des con-
tradictions nationales au Moyen Orient est le
Socialisme. Les dirigeants sionistes auront
peut-être un jour conscience d'avoir joué les
apprentis sorciers.
DOCUMENTS J.C.R.
DISPONIBLES
Mouvement ouvrier, stalinisme
et bureaucratie (H. Weber)
Textes du Premier Congrès
National
Révolution et contre-révoluticn
en Indonésie
Israël et la révolution arabe
DOCUMENTS DIFFUSES
PAR LA J.C.R.
— Où va le Parti ?
— Lettre ouverte au Parti Ouvrier
Polonais (Kuron et
Modzelewski)
AVANT-GARDE JEUNESSE
Directeur de publication : Gérard Verbizier
Dépôt légal : N° 607 — Editeur N° 33.778
OFFSET-PRESSE, Saint-Maur (94)
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