Avant Garde (supplement au no.12)

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« PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS !
JOURNAL DE
LA JEUNESSE
COMMUNISTE
REVOLUTIONNAIRE
Numéro 13 spécial - Supplément au N 12 18 Mai 1968 Prix : 1 franc
Toute correspondance AVANT-GARDE JEUNESSE - B.P. 39-16 Paris
Abonnements 12 numéros : Pli ouvert: France, 11 F; Etranger, 15 F; Pli fermé: France, 19 F; Etranger, 25 F; Soutien, minimum, 20 F
« A l'époque de l'impérialisme, dans tous les
domaines de la vie sociale, on voit s'accumuler des
matières inflammables et se créer de nombreuses
causes de conflits, de crise et d'aggravation de la
lutte des classes. Nous ne savons pas, nous ne
pouvons savoir — dans cette masse d'étincelles qui
jaillissent maintenant de partout — quelle étincelle
pourra allumer l'incendie dans le sens d'un éveil
particulier des masses. Aussi devons-nous mettre en
action les principes communistes pour préparer tous
les terrains, même les plus anciens, les plus amorphes,
les plus stériles en apparence, sinon nous ne serons
pas à la hauteur de notre tâche, nous serons exclusifs,
nous ne prendrons pas possession de toutes les
armes. »
(LENINE : « Maladie Infantile du Communisme »).
LE RÉGIME EN QUESTION
La crise est ouverte. Le mouvement
étudiant a joué au delà de toute espé-
rance le rôle de détonateur à l'égard
d'une classe ouvière qui accumule depuis
vingt ans les vexations et les désenchante-
ments et souffre aujourd'hui de la réces-
sion économique.
En dressant des barricades, les étu-
diants ont brisé le jeu du légalisme qui
n'est possible que par l'accord tacite des
protagonistes. Ils ont mis au pied du mur
le pouvoir qui a subi sa première défaite
spectaculaire. Ils ont aussi mis à l'épreu-
ve les forces démocratiques contraintes
d'organiser les manifestations politiques
qu'elles avaient jusque-là évitées.
Après le succès populaire du 13 mai,
il devenait évident que les bouches allaient
s'ouvrir, que les questions allaient être
posées. Encouragés par la lutte des étu-
diants qui avaient jeté bas le mythe de
l'invulnérabilité de la police, qui avait dé-
masqué la pseudo-neutralité gouvernemen-
tale et dévoilé le caractère répressif de
l'état de classe, chacun se sentait prêt à
résister à toute oppression, à toute auto-
rité, celle des bureaucraties incluses.
L'arrogance quotidienne du monde étu-
diant, l'assurance du moindre badaud,
l'engagement de chacun sont des signes
qui ne trompent pas. Pour les Vietnamiens
la révolution est, selon Le Duan, une fête ;
il est à tout le moins certain que tout
grand enfantement populaire s'annonce
par un joyeux déferlement d'énergie libé-
rée.
On pouvait prévoir ce qui arrive.
L'exemple était contagieux. On ne laisse
pas impunément le drapeau rouge flotter
sur la Sorbonne, l'Odéon et les facultés.
Les enragés, c'est comme les lapins, ça
prolifère, et le drapeau rouge a aujour-
d'hui gagné les usines Renault de Flins.
Après Flins, Rouen, Le Mans, Le Havre,
puis Billancourt. Renault, fer de lance de
la classe ouvrière, ouvre la voie.
Désormais, le problème du pouvoir est
posé et personne ne s'y trompe. Tous
ceux qui, dans les restaurants, se taisent
pour écouter les informations, tous les
états-majors politiques qui se réunissent,
tous sont conscients de la profondeur
de la crise. Les perspectives sont en-
thousiasmantes, les dangers n'en sont pas
moins énormes. Une bonne démocratie
bourgeoise style quatrième n'aurait pas
hésité à proposer des élections générales
pour calmer la vindicte populaire. Mais
l'Etat fort gaulliste, solution miracle de
la bourgeoisie française au moment de la
guerre d'Algérie, n'est pas disposé à voir
son prestige ruiné aussi vite. Déjà des
bruits ont couru : mobilisation des offi-
ciers de réserve, quadrillage de Paris,
etc...
Les déclarations de Corse et Pompidou
ne sont pas moins éloquentes. Après avoir
tendu une main réconciliatrice aux étu-
diants, il s'agit de mater maintenant une
« poignée d'enragés irréductibles », de
« défendre la République », de « refuser
l'anarchie » ; en bref, dit Pompidou, « le
gouvernement fera son devoir, je vous de
2
mande de l'aider ».
Cela veut dire en clair le recours très
prochain à l'article 16 ; cela veut dire
qu'après avoir espéré que le mouvement
étudiant s'épuiserait de lui-même, mainte-
nant que l'agitation gagne la classe ou-
vrière, il va falloir réprimer. Dans cette
situation de difficultés économiques, alors
qu'aucun parti de gauche n'est préparé
(en ce qui concerne l'organisation, l'édu-
cation des militants) à un tel affrontement,
le danger d'accentuation du caractère po-
licier du régime gaulliste, préfiguré par
les événements de Grèce et confirmé par
la situation allemande, ne fait aucun doute.
Chaque militant doit prendre en consé-
quence des mesures de sécurité. Cela veut
dire en contre-partie que chaque militant
doit, plus que jamais, poursuivre la lutte.
Il est certain que le mouvement qui se
constitue aujourd'hui ne nous appartient
plus. La classe ouvrière est entrée en scè-
ne. La lutte prend une dimension nou-
velle. Le mouvement ne constitue pas en
lui-même une force alternative au gaullis-
me ; il est même certain que si le régime
s'ébranle lui succédera la brochette des
« démocrates véritables ». Mais si les Mit-
terrand et les Waldeck arrivent au pou-
voir non par un .simple maquignonage par-
lementaire, mais au terme d'une puis-
sante mobilisation extra-parlementaire,
alors, en vérité, les drapeaux rouges qui
flottent aujourd'hui sur les facultés et les
usines n'auront été qu'un signe avant-cou-
reur des luttes à venir. Alors, l'opération
Waldeck-Mitterrand sera elle-même com-
promise.
LA LUTTE CONTINUE !
FOUCHET, GRIMAUD, DEMISSION !
DE GAULLE A LA PORTE !
CONSTITUONS PARTOUT A LA BASE
DES COMITES DE GREVE ET D'ACTION
POUR UN GOUVERNEMENT DES TRA-
VAILLEURS !
ALERTE !
Face au flot montant, bureaucraties
et bourgeoisie défendent leurs acquis
Entre la réforme...
• Le bureau politique met les travailleurs et
les étudiants en garde contre tout mot d'ordre
d'aventure — notamment à l'occasion des mani-
festations auxquelles il n'est pas associé... «
« La C.G.T. : Faire échec aux Provocations.
Cette entreprise (la manifestation à l'O.R.T.F.)
prend l'allure d'une provocation qui ne peut
que servir le pouvoir personnel ».
« Le mouvement de Cohn-Bendit, l'UNEF et
le CAL appellent les travailleurs et les étu-
diants à se rendre ce soir à l'ORTF. Il est à
peine besoin de dire que cette initiative a
été prise en dehors des organisations de la
classe ouvrière. La manifestation envisagée se
présente dans des conditions susceptibles de
donner au pouvoir gaulliste l'occasion inespé-
rée de se livrer à de nouvelles violences et
de porter des coups au mouvement des masses
en plein développement. Les ouvriers et la
jeunesse ne tomberont pas dans cette provo-
cation. .
(Humanité - 17 mai - 1" page)
... et la Réaction,
Françaises, Français,
Une entreprise de subversion menace la
France. Une minorité va tenter d'imposer sa
loi. Aujourd'hui chacun est face à son devoir.
Chacun de vous, homme, femme, jeune ou
moins jeune, doit dans son milieu faire pré-
valoir la voix de la raison.
Chacun de vous doit se préparer à défen-
dre son bien le plus précieux, la liberté.
Nous sommes là pour vous aider.
C.D.R.
COMITES POUR LA
DEFENSE DE LA REPUBLIQUE
(Tract gaulliste distribué dans la nuit du 16
au 17)
une Sainte Alliance ?
MARt>,
Journaliste de
SA PROPOS DES EXAMENS
Les réformistes de tout poil ont enfourché
le problème des examens et en ont fait leur
cheval de bataille. Ils oublient que l'université
n'est pas en crise universitaire mais en crise
politique, ils oublient que ceux qui se sont
battus résolument n'ont par larmoyé pour
savoir s'ils seraient en état ou non de passer
les examens. En l'occurrence toute démago-
gie ressassant la perte d'une année de travail
frise l'indécence.
Nous sommes sans illusions sur les possi-
bi ités de réforme de l'université dans la
société. Nous savons qu'un jour ou l'autre,
scjs une forme ou sous une autre, il y aura
a nouveau des examens. Le boycott ou la
gr<--ve ne peuvent être qu'un recours extrême.
Or précisément, nous sommes en crise et en
crise politique.
Nous refusons de passer des examens qui
nous donnent le droit d'être les chiens de
garde d'un régime dirigé par des assassins.
Nous refusons de courir aux ordres des Fou-
che; et des Grimaud. Nous refusons de
devenir, sous des formes subtiles, leurs auxi-
liaires en matière de répression.
Il n'y aura pas d'examens alors que ceux
qui gazent et matraquent les étudiants sont
encore au pouvoir. Et si le pouvoir fait, en
ces temps troublés, du passage des exa-
mens le symbole du maintien de l'ordre bour-
geois, il n'y aura pas d'examens. Il n'y en aura
pas tant que Fouchet et Grimaud n'ont pas
démissionné.
Il en découle comme revendications complé-
mentaires que :
— tous les sursis militaires, toutes les bour-
ses et 1RES seront maintenus pour tous
les bénéficiaires à la rentrée 68.
— tous les étudiants, quoiqu'il arrive seront
en fac l'an prochain.
Quant au lendemain de la crise tous les
modernistes viendront pour parachever, sur
les brèches par nous ouvertes l'application
de la réforme Fouchet. Mais alors nous ferons
en sorte que chacun se présente nanti de ces
documents ; nous ferons en sorte qu'éclaté
le ridicule d'examens fondés sur l'encyclopé-
disme et la mémoire, qu'apparaisse l'inanité
des critères grâce auxquels juristes et péda-
gogues taillent leur prestige dans la division
sociale du travail. Nous imposerons qu'en
toute matière les étudiants composent sur une
question politique par eux choisie et votée.
Nous ferons de l'université un lieu d'insécu-
rité permanente pour la hiérarchie bourgeoise.
L'A UTONOMIE
POUR QUOI FAIRE ?
Suffit-il de se proclamer université autono-
me pour l'être ? A Nanterre, à Strasbourg, à la
Sorbonne, on pourrait le croire. Mais autonome
oourquoi faire ? Pour organiser le balayage
'es cours et le ravitaillement ? Ou bien com-
'• e le proposent certains organiser nous-
mèmes (c'est-à-dire étudiants et professeurs)
la gestion de l'université ? Apparemment voi-
|j un but valable. Mais beaucoup d'étudiants
ont trouvé, quand Peyrefitte a annoncé qu'il
était d'accord pour • accorder * l'autonomie,
eue le cadeau avait un arrière goût de stry-
chnine. Professeurs et étudiants doivent gérer
seuls l'université, expliquent certains. Mai^
q^el est le tiers exclus? Le pouvoir d'état
c est implicite. Et la classe ouvrière ?
L'université est un élément de la société,
le centre de formation de la main-d'œuvre
très qualifiée. La classe ouvrière y a donc
d-oit de regard. Mais alors lardasse ouvrière
peut-elle gérer l'université quand elle ne gère
r-ème pas son propre lieu de travail ?
Là est le problème : si nous prenons - au-
•anomie » au sens littéral du terme nous re-
vendiquons :
— Soit la coupure de tout lien entre uni-
versité et société, ce qui est impossible.
— Soit le droit de gérer une partie d'une
société globale, alors gué le pouvoir d'état n'a
pas été transformé, que le système de pro-
duction capitaliste est toujours en place, et
que donc l'université lui est toujours soumise.
Nous nous sommes battus pour occuper
l'université, mais pas pour la gérer. Pas pour
que ce soit nous (et non plus l'autorité admi-
nistrative) qui organisions des examens, des
cours, dont la fonction sociale n'est pas modi-
fiée : éliminer et répartir les étudiants suivant
les besoins du capitalisme. L'autonomie ça ne
doit pas être le droit de cautionner la politi-
que capitaliste » l'université.
Alors? Le mot d'ordre d'°"'—^mie est-il
faux ? Non, à condition d'expliquer pourquoi
faire. L'autonomie de l'université c'est simple-
ment le fait qu'elle est provisoirement paraly-
sée dans ses fonctions sociales. Et qu'elle
assure des fonctions politiques qui, elles,
échappent au pouvoir et à la société capita-
liste.
Il n'y a qu'en période révolutionnaire que
l'avant-garde constituée, qui n'est qu'en ges-
tation aujourd'hui, peut exercer un pouvoir
réel. C'est alors un double pouvoir, bourgeoi-
sie - prolétariat. Nous n'en sommes pas là,
il s'en faut. Simplement, un mouvement parti-
culièrement mobilisé, vues les conditions qui
lui sont faites par la société capitaliste et les
mouvements politiques a réussi à imposer sur
son terrain un rapport de force instable, où il
a provisoirement vaincu l'état bourgeois. Le
rapport de force nous devons simplement
l'exploiter pour donner à la crise qui s'amorce
dans la classe ouvrière toute sa dimension
politique : l'université est autonome en ce sens
simplement qu'elle est le terrain (assemblée
générale à la Sorbonne ainsi que commissions
par exemple) où se rencontrent étudiants et
ouvriers en lutte, où s'élabore l'avant-garde
de demain. L'autonomie n'est pas une fin, mais
un moyen, pas une revendication • universi-
taire » mais un moyen d'agitation politique.
Nous occupons l'université de force, nous n'y
assumons pas de pouvoir constitutionnel, nous
ne passerons pas le pouvoir né de la rue à
des commissions paritaires de gestion. L'auto-
nomie de l'université n'est pas une revendi-
cation qu'on obtient mais une situation de
force qu'on impose. Nous savons que nous
ne resterons pas éternellement à la Sorbonne,
qu'on nous en chassera mais ce sera par la
force, comme sur les barricades.
Et peut-être alors, la crise politique ainsi
déclenchée sera-t-elle mortelle t~~, le gaullis-
me.
LA BRÈCHE
La première semaine de mai pèsera lourd
dans l'histoire de la V République. La ri-
poste foudroyante des étudiants et des lycéens
à la vague de répression déclenchée par ie
pouvoir revêt une signification qui dépasse de
très loin les problèmes de la jeunesse scola-
risée. Pour en mesurer la portée, il faut se
souvenir de la situation antérieure.
Depuis l'été dernier, nous vivons en pleine
offensive gaulliste : pour rendre compétitif le
grand capital français sur l'arène international,
le pouvoir s'attaque systématiquement aux
conquêtes fondamentales de la classe ouvrière.
Les conditions de travail et d'existence des
masses se sont dégradées, croissance du chô-
mage, intensification des cadences, baisse du
pouvoir d'achat, arbitraire patronal, telle est
la réalité quotidienne des travailleurs.
Face à cette offensive du patronat
pouvoir les « grandes organisations
et du
de la
classe ouvrière se sont avérées incapables
d'organiser la riposte. Encroûtées dans l'élec-
torahsme et respectueuses de la légalité, elles
entendent livrer au parlement les batailles dé-
cisives contre le régime. Dans cette perspec-
tive, le problème crucial consiste à rassembler
les 244 voix nécessaires à faire passer la mo-
tion de censure. La stratégie des luttes éco-
nomiques et politiques des masses est subor-
donnée aux préoccupations parlementaires. Il
est bon que les travailleurs manifestent leur
mécontentement, mais il ne faut pas effrayer
les alliés petits bourgeois. Il est bon qu'écla-
tent des mouvements grévistes, mais il faut
éviter qu'ils tournent à ''épreuve de force ou
paraissent s'en prendre à la propriété privée.
C'est la grande période des processions traîne
savates, des grèves tournantes, des pétitions.
Au matin du 17 mai, l'« Humanité > met en
garde en première page les manifestations
« auxquelles le Bureau Politique n'est pas
associé »,
Non seulement ces formes de luttes n'ont
apporté aucun résultat, mais encore elles con-
tribuent à démobiliser les masses.
La contestation parlementaire de la société
parce qu'elle se situe scrupuleusement sur le
terrain de la légalité bourgeoise, tend à sacra-
liser cette légalité.
Le projet politique qui vise non pas à ren-
verser mais à aménager la société capitaliste,
contribue à présenter cette société comme
inébranlable. Il est à la fois l'expression et
l'agent de la résignation devant l'ordre exis-
tant. Il suscite dans les masses qu'il contribue
à maintenir passive, un sentiment d'impuis-
sance devant les choses". Les formes d'oppo-
sition qui en découlent constituent un • hom-
mage * indirect rendu au système par les for-
ces qui prétendent le contester, mais qui s'y
trouvent si profondément intégrées qu'elles se
montrent incapables d'imaginer même un ordre
u."cèrent.
LES MURS IDEOLOGIQUES.
De nombreux journalistes ont comparé les
manifestations du 13 mai 1968 à celles qui
ont suivi le massacre de Charonne. Cette
analogie est très superficielle : Ce n'est pas
l'indignation face à la répression qui nous frap-
pait qui nous a valu la sympathie des travail-
leurs C'est la riposte déterminée que nous
avons su opposer aux flics du pouvoir gaul-
liste. En rendant coup pour coup aux C.R.S
et gardes mobiles, en manifestant des jours
entiers dans tout Paris, en dressant des bar-
ricades devant les cordons de police, nou-
n'avons pas simplement démontré que nou
étions déterminés à vaincre. Nous avons éga
lement déclenché un immense processus :•••
démystification. Nous avons montre que e
pouvoir n'était pas tout puissant, que
gardes mobiles n'étaient pas invincibles, G--
les décisions ministérielles n'étaient pas sa-
crées, que l'ordre des choses n'était pas
immuable. Notre victoire emportée au terme
de l'épreuve de force a décuplé la portée de
ce message. Pour des dizaine de milliers de
travailleurs, notre combat a ouvert une pers-
pective et permis un espoir. C'est pour cela
que dès mardi 7 mai, ils sont venus nous
prêter main-forte dans la rue. C'est pour cela
que vendredi 10 mai, ils sont venus nous
aider sur les barricades. C'est pour cela que
fait sans précédant, ils viennent depuis di-
manche, par centaines, discuter avec nous dans
les facultés. C'est pour cela qu'ils nous réser-
vent un accueil chaleureux à la porte de leurs
entreprises.
Au cours de ces contacts, nous avons pu
mesurer l'immense sentiment de libération qu
anime aujourd'hui de nombreux travailleurs
d'avant-garde. Ce sentiment de libération pro-
vient de ce que pour la première fois depuis
longtemps, vient de surgir la perspective de
victoires possibles. Notre succès, gagné de
haute lutte, a révélé la faiblesse du pouvoir
face à un certain type d'affrontement. Il sem-
ble à bien des travailleurs que tout est pos-
sible.
La révolte s'est substitué à la protestation
La volonté de combat s'est substitué à la rési-
gnation. L'organisation pour la lutte s'est subs-
titué à la soumission passive. Toutes les tradi-
tions, toutes les hiérarchies sont remises en
cause. Les travailleurs, comme les étudiants
ressentent le besoin impérieux de se réunir,
de se concerter, pour déterminer ensemble
ce qu'il convient de faire. Les autorités en
place tremblent, se taisent, suggèrent conces-
sions sur concessions.
Les techniques d'occupations directe et d'or-
ganisation à la base, inaugurée le 22 mars
à Nanterre, se répandent comme une traînée
de poudre. Le drapeau rouge flotte sur les
usines Renault occupées comme sur la Sor-
bonne.
« Si les murs des prisons, des casernes et
des arsenaux restent debout de façon durable
— écrivaient Modzelewsky et Kuron — ce n'est
pas parce qu'il sont construits en matér.aux
solides mais c'est parce qu'ils sont protèges
par l'hégémonie de la classe dominante, l'ai.
torité du pouvoir, la peur et la résignation de
vant l'ordre soc;al en place — l'existence ce
ces murs idéologiques permet au pouvoir c-_-
s'installer en sécurité derrière les murs ce
brique. -
Par nos luttes, nous avons ouvert une la^ce
brèche dans « les murs idéologiques » qui s---
trouvent aujourd'hui profondément lézardés. —
Le mouvement étudiant a bien joué son rôle de
détonateur — maintenant la parole :;st aux
usines. Puissent les travailleurs s'enqouffre'
par la brèche que nous avons ouverte af '
de faire voler en éclat les murs de brique1-
et de pierres qui protègent l'Etat Gaulliste '
Luttes étudiantes,
luttes ouvrières
I. LE ROLE HISTORIQUE DU PROLETARIAT
En France, le mouvement étudiant a fait
preuve d'une maturité politique probablement
supérieure à celle des mouvements italiens
et allemands. Sa confrontation à un mouvement
ouvrier profondément enraciné et fortement
sî'ucturé contribue à l'expliquer. Ici, contraire-
ment aux allégations du Nouvel-Observateur,
l'idéologie marcusienne ne joue qu'un rôle très
secondaire ; les militants d'avant-garde recon-
naissent quasi-unanimement le rôle historique
de la classe ouvrière tel que l'analyse la théorie
marxiste.
Mais aujourd'hui cette compréhension de-
passe largement le cercle restreint des mili-
tants politiques. Les masses étudiantes, au
travers de leur expérience concrète, ont explo-
re les limites et l'horizon de leur action.
Lors de la grève revendicative de Nanterre
is ont compris que leurs volontés ne pou-
vaient être satisfaites quant au fond que s
e ies étaient reprises en charge par un pu s-
sant allie. Lors des combats de rue et ces
barr.-.ades, elles ont découvert que leur lutte
cor-.re l'état bourgeois et ses forces de ré-
pression ne pouvaient être menées à bie~
que si une force politique capable de résou-
dre i ensemble des contradictions capitalistes
ver ait les relayer. Désormais, le rôle histori-
que du prolétariat n'est plus une simple
abst-action conceptuelle mais une nécessité
pratiquement éprouvée.
Pour opérer cette jonction nécessaire entre
luttes étudiantes et luttes ouvrières, il existe
une solution historiquement éprouvée : c'est le
regroupement un sein d'un parti révolutionnaire
des militants d'avant-garde sans distinction
d'origine sociale : dans un tel parti « doit
s'effacer toute distinction entre ouvriers et in-
tellectuels » (Lénine). Et la plupart des étudiants
qui animent les luttes s'accordent à dire que
leur place serait dans un tel parti s'il existait.
Mais aujourd'hui, alors que les grands partis
ouvriers n'ont plus rien de dévolutionnaire. doit-
on se contenter d'attendre que la • base •
saine par définition se débarrasse des por'e-
et bureaucrates, et dans l'attente former à '• :
des théoriciens d'élite armés po«r le grand ;_
qui ne luttent pas ? Nombre de groupes,' grc,
puscules et particules se sont usés les dentt
sur ce problème.
II. LES PARASITES ET LES SERVILES
L originalité du mouvement actuel réside er
ce qu'il tend à résoudre concrètement ce prc
blême jadis insurmontable. Pour sortir de l'or
niere, les militants d'avant-garde ont dû rejeté-
comme inopérantes plusieurs attitudes assu-
mées par tel ou tel groupe :
1) Le parasitisme politique
En l'absence de luttes de masse, une orga-
nisation étudiante, le CLER (aujourd'hui mue
qualitativement — dans le sens d'une régres-
sion et non d'un progrès — en FER) s'éta^
spécialisé dans le gadget politique présente
sous forme de motions et d'objectifs. Il s'agis-
sait en gros d'adresser aux organisations syn-
dicales et politiques, • objectivement traîtresses
aux intérêts de la classe -, des mises en de-
meure verbales : « Etes-vous pour les « corrv-
tés de grève » ? , pour « la manifestatio"
centrale -, pour les <• 3.500 jeunes à la Mutua-
lité -, etc. ?
Et si la réponse (souvent prévisible) était
non, on dénonçait les bureaucrates. Sur la base
de ces dénonciations successives, il est tou-
jours possible de recruter quelque élément
mécontent ou aigri, c'est-à-dire de se nourrir
des queues et reliquats des luttes d'autrui. (Ce
qui explique peut-être la médiocrité du recru-
tement du CLER). C'est ce qui s'appelle du
parasitisme politique : gonfler sa baudruche
par un processus de dénonciation, escalade
qui ne peut exister que par rapport à autrui, au
détriment de l'initiative politique propre.
Mais il ne s'agit là que d'un mouvement dé-
cadent, dont la survie était liée à la stagnation
des luttes. Dès que l'histoire se met en mar-
che ces éléments en descendent et s'éloi-
-;-.-.-• C""s- :T-S ~'jp symboliquement ils ont
cu.tte 'es ca^caces _ u g e t- b pdr~ c o * ^ • , c ,^-
et 3ve-,tv,r stes
Autrement intéressant pour nous est le rai-
sonnement ratifié par la formule :
2 « Servir le peuple -
Puisqu'ils s'agit-là de gens qui se réclament,
à grands renforts de parenthèses, du marxisme-
léninisme, nous en référerons sans dogmatisme
à Lénine. La référence n'est pas ici un simple
procédé scholastique, elle est justifiée par la
situation même. Dans les années 1898-1902, il
n'existe pas en Russie de parti révolutionnaire.
En luttant contre divers courants du mouvement
ouvrer, Lénine travaille à sa construction. Et
mistes. Il n'est pas étonnant aujourd'r.ji, é:a':
donné la social-démocratisation politique et c-
ganisationnelle du PC, de voir resurgir toute
une gamme diversifiée de groupes qui parfois
répètent à quelques variantes près, les événe-
ments d'antan.
Il faut, disent nos camarades M.L, se mettre
au service du peuple, se placer sous l'autorité
des travailleurs, faute de quoi le mouvement
étudiant est réactionnaire. Mais qui détermine
l'autorité des travailleurs 1 Ce ne sont pas, et
tout le monde se réconcilie sur ce point, leurs
organisations (r) (lisez révisionnistes). Alors
ce serait le problème individuel qu'on rencontre
dans les files de chômage ou à la sortie de
l'usine.
Pour un léninisme bien compris, sinon bien
compilé, une telle attitude relève de la mons-
truosité. Il y est reconnu que l'ouvrier atomisé,
isolé, n'est pas le porteur de la conscience
de classe, il est tout au plus le porte-parole
des intérêts limités, parcellaires, corporatistes,
de telle fraction particulière du prolétariat. La
conscience de classe n'est pas quelque chose
de spontané et d'immanent au prolétariat : elle
ne peut lui venir que « du dehors ». » L'histoire
de tous les pays atteste que par elle-même la
classe ouvrière ne peut arriver qu'à la cons-
cience trade-unioniste (...) Et la politique trade-
unioniste est la politique bourgeoise de la clas-
se ouvrière ». (Lénine).
Tous ceux qui se figurent que le mouvement
ouvrier est capable par lui-même d'élaborer
une idéologie indépendante, à condition que
les ouvriers arrachent leur sort des mains des
dirigeants, sont dans l'erreur affirme également
Lénine. Car le socialisme et la lutte des
classes surgissent d'abord parallèlement et ne
s'engendrent pas l'un l'autre. La conscience
socialiste ne peut surgir que sur la base d'une
profonde connaissance scientifique de l'ensem-
ble de la société. « Or le porteur de la science
n'est pas le prolétariat mais les intellectuels
bourgeois -. (Lénine reprenant Kautsky). Le dé-
veloppement spontané du mouvement ouvrier
aboutit seulement à le subordonner à l'idéologie
bourgeoise ; « le trade-unionisme, c'est l'as-
servissement idéologique des ouvriers par la
bourgeoisie ».
De façon très condensée, Lénine dès avant
<• Que faire 7 », dès les trois articles à la Ra-
botchaïa Gazeta, détenait la réponse de fond .
« Qu'est-ce que la lutte de classe 1 Lorsque
les ouvriers affrontent leurs patrons ce n'est
qu'un faible embryon. La lutte des ouvriers ne
devient lutte de classe que lorsque tous les re-
présentants d'avant-garde de l'ensemble de la
classe ouvrière ont conscience de former une
seule et même classe et commencent à agir
non pas contre tel ou tel patron, mais contre
la classe des capitalistes toute entière et contre
le gouvernement qui la soutient. « Toute lutte
de classe est une lutte politique ». On aurait
tort de comprendre ces paroles célèbres de
Marx en ce sens que toute action des ouvriers
contre les patrons est toujours une lutte politi-
que. Il faut les comprendre ainsi : la lutte des
ouvriers contre les capitalistes devient néces-
sairement une action politique dans la mesure
où elle devient une lutte de classe ».
Affirmer simplement aujourd'hui que la tâche
des étudiants progressistes est de se mettre
au service des travailleurs, c'est faire preuve
d'une incompréhension totale du rôle historique
et conjoncturel du mouvement étudiant. Déjà en
1902 des gens étaient apparus qui, disait Lénine
« se mettaient à genoux pour contempler reli-
6
gieusement le postérieur du prolétariat russe -.
taires, ne trouveront pas, 3pres 40 ans ae sta.:-
nisme, le postérieur au prolétariat français plus
reluisant que celui de son homologue slave
Se contenter d'annoncer que !e prolétariat
est seul résolu à mener la lutte jusqu'au bout
c'est se contenter d'une abstraction théorique
là ou nous avons un problème pont.que conc'et
à résoudre, c'est prendre '.a politique pour un
Simple reflet de l'économe, c'est encore une
fois ravaler le marxisme au rang d'un écono-
misme vulgaire. De même qu'il était stupide
de se mettre au service des Vietnamiens parce
que les Vietnamiens ne peuvent juger a notre
place des possibilités d'action qui sont les nô-
tres, de même il aurait été criminel pour les
avant-gardes de mettre les étudiants au service
des travailleurs au heu d'utiliser !e mouvement
étudiant comme un révélateur politique pour la
société dans son ensemble
•< A l'époque de l'impérialisme, dans tous les
domaines de la vie sociale, on voit s'accumuler
des matières inflammables et se créer de nom-
breuses causes de conflit, de crise et d aggra-
vation de la lutte des classes. Nous ne savons
pas, nous ne pouvons savoir — dans cette
masse d'étincelles qui jaillissent maintenant de
partout — quelle étincelle pourra allumer l'in-
cendie dans le sens d'un éveil particulier des
masses. Aussi devons-nous mettre en action
les principes communistes pour préparer tous
les terrains, même les plus anciens, les plus
amorphes, les plus stériles en apparence, sinon
nous ne serons pas à la hauteur de noter
tâche, nous serons exclusifs, nous ne pren-
drons pas possession de toutes les armes ».
III. DE LA THEORIE A LA PRATIQUE
Précisément, alors que le mouvement ouvrier
se place sur le terrain choisi par le gaullisme
en faisant de la classe ouvrière une simple
force de contestation, en transformant les ma-
nifestations en simples démonstrations, le mou-
vement étudiant, par sa lutte déterminée, parce
qu'il a rejeté les méthodes des partis tradi-
tionnels, a mis le gouvernement' et la gauche
au pied du mur, non plus verbalement ma.s
réellement, dans la rue et aux yeux de tous
En se mobilisant de façon indépendante, au
risque de se couper de • la classe », il a sus-
cité les lieux de jonction réels : par les mani-
festations de rue, par les barricades, p?.r l oc-
cuoation des facultés où sont venus lutter
et dis' uter des travailleurs de plus en plus
nombreux Ce n'est donc ni avec l'appareil ni
avec des individus isolés que s'est opérée la
jonction avec la classe ouvrière, mais au tra-
vers de l'action, avec les militants d'avant-garde
de la classe ouvrière.
C'est pourquoi pour nous la grande mani-
festation du 13 mai est un succès Quiconque
avait encore des illusions sur les appareils
politiques et syndicaux peut-être déçu, mais qu.-
conque n'avait pas a'iliusions doit être satis-
fait. En imposant au gouvernement, par un af-
frontement de rue une première défaite impor-
tante, nous avons contraint les syndicats a or
ganiser la mobilisation qu'ils n'avaient pas
voulu ou pas su organiser contre les ordon-
nances. « Ca bouge » ; et c'est ce qui impor-
te. Le million de travailleurs qui a défilé le
13 mai, même s'il est rentré au bercail, ne s'est
pas déplacé pour rien. Il a pris conscience de
sa force, il a marqué sa volonté de s'exprimer
il ne considère plus les étudiants comme des
gauchistes enragés. Voila l'acquis.
A p-ese" e- oo-'su.var,t son act.cn, le
mouvement etuc. ani peut accélérer la cr.se eu
régime et des partis de gauche. Maintenant,
nous ne r.cus battons p;us sur des problèmes
iim.îes au domaine université,re, mais pour la
cemission oe Foucnet et G'.maud, c est-a-dire
contre l'Etat gau!!!s:e 'u.-rnême. A long terme.
cette lutte o^v^e deux .ssues possibles qu'il
faut des a présent avoir a l'esprit
1) ou bien une fascisat.on du régime dont
nous avers entrevu ces derrières semaines
que,eues prémisses. Et le danger est considé-
raDie. Dans un contexte économique difficile
l'éventualité doit être envisagée avec d'autant
P:us de sérieux « que les forces démocrati-
ques » n'offrent en contre-partie aucune garan-
tie politique réeile.
2) ou bien l'accession au pouvo.r de la gau-
che un<e. t/ais aiors ,;a 'roika Waiceck-Mo-let-
Mitterand ne viendra pas au pou/oir au terme
d'une simple opération parlementaire, mais sur
la base d'une rée'ie mobilisation de masse.
Un régime à vocation .viisomenne, parvenue au
pouvoir dans ces conditions, ne pourrait, à
terme, qu'accroître a Désaffection à son égard
des militants ouvriers Alors pourront se déga-
ger beaucoup plus nettement divers éléments
ccnst.tut"s a'un parti révolutionnaire (courant
d'oppos tion dans le PC, les syndicats ouvriers
et enseignants, regroupements adultes, organi-
sation ce jeunes}.
V'o là :es résultats et les perspectives of'er-
tes oar des luttes étudiantes qui. dirigées par
des militants d avant-garde, et conçues sur un
mode non boutiquier, ont déverrouille, débloqué
la situation politique. Désormais la jonction
mutante et non pas carriériste ou parasitaire,
avec les luttes ouvrières devient possible.
D.B.
N.B. — Toutes ies citations de Lénine sont
tirées des •• Trois articles a la Rabotchaia Ga-
zeta », de ' Que faire ? « et de • La maladie
infantile ». Elles sont livrées sans référence
de page pour inciter les amateurs de petits
livres à lire ies textes intégraux.
Les C.E.T. dans
(e mouvement
La vague de fond qui déferle dans la jeu-
nesse progresse par couches concentriques
vers la classe ouvrière.
Les élèves des CET parisiens, où sont for-
més les ouvriers professionnels destinés di-
rectement au patronat, se soulèvent à leur tour
Pour certains depuis plus d'une semaine,
des dizaines de collèges, Turquetil, Levallois.
Duméril, Reuilly, Corvisard, Roquette, Corbeilte-
en-Parisy, etc., sont en grève. Le mouvement
gagne maintenant de nouveaux centres.
Victimes d'une réforme qui tend à une for-
mation professionnelle accélérée éliminant l'en-
seignement général, victimes du chômage et
de la déqualification, car il est fréquent qu'un
jeune ouvrier muni d'un CAP ne trouve —
s'il en trouve — que des emplois de manœu-
vre, victimes d'une répression particulièrement
brutale de l'administration des établissements,
travaillant dans des conditions d'hygiène dé-
plorables (les CET sont fréquemment installés
dans de vieilles usines désaffectées), nos ca-
marades des CET, spontanément, sans deman-
der la permission de quiconque, ont arrêté
le travail, parfois occupé les locaux et le
standard.
Déjà ils créent eux-mêmes des formes d'or-
ganisation de leur mouvement, élisent des co-
mités d'action, établissent des contacts entre
collèges. Ils affirment — oh scandale ! — le
droit de discuter politique et sexualité au CET.
Face à un corps professoral en majorité réti-
cent ou hostile, imbu de son « autorité » ou
prisonnier de réflexes paternalistes, face à
une administration qui, momentanément débor-
dée, ne tardera pas à contre-attaquer par la
répression ou en essayant d'absorber le mou-
vement sous la forme d'une quelconque asso-
ciation des comités au Conseil d'administration.
Face au patronat, qui pèse directement sur
la gestion des CET, l'établissement des pro-
grammes et des sujets de CAP, nos camarades
ne doivent pas rester isolés. La solidarité
concrète des CAL et des comités d'actiont
étudiants doit leur être acquise, leur lutte
popularisée et étendue.
DOCUMENTS J.C.R.
DISPONIBLES
Mouvement ouvrier, stalinisme
et bureaucratie (H. Weber)
Textes du Premier Congrès
National
Révolution et contre-révolution
en Indonésie
Israël et la révolution arabe
DOCUMENTS DIFFUSES
PAR LA J.C.R.
Où va le Parti ?
Lettre ouverte au Parti Ouvrier
Polonais (Kuron et
Modzelewski)
4500 JEUNES
A LA
MUTUALITÉ
Le meeting de la jeunesse communiste révo-
lutionaire, s'est tenu comme prévu jeudi 9
mai 1968, dans la grande salle de la Mutualité
sous la présidence du camarade Henri Weber.
_es dirigeants des mouvements étudiants ita-
lien, belge, espagnol, hollandais, invités par
"otre organisation, sont venus exposer les
problèmes auxquels ils se trouvent confrontés
et nous ont fait part de leur expérience. Le
gouvernement français avait refoulé les diri-
geants de la SDS de Berlin, les camarades
Semmler et Rabehl, g leur arrivée à Orly. Mais
le salut du SDS nous fut tout de même appor-
té par un troisième délégué, venu par la route.
Ernest Mandel et Massimo Gorla traitèrent de
a signification et de la portée des luttes de
a jeunesse dans les pays capitalistes d'Euro-
pe occidentale. Nos camarades Alain Krivine
et Daniel Bensaid développèrent longuement
es positions de la JCR sur le mouvement étu-
diant en France :
En raison des « circonstances >, nous avions
décidé dans l'après-midi de modifier le carac-
tère de notre meeting. Au cours d'un sit-in
spontané devant la Sorbonne, nous avons
invité les étudiants de toutes tendances à venir
cebattre le soir, à notre réunion, du sens et
ces perspectives du mouvement. Aussi dès
22 h 30 et jusqu'à 1 h du matin une intéres-
sante discussion s'est ouverte, au cours de
laquelle toutes les organisations engagées
dans la lutte prirent librement la parole.
La JCR se félicite de ce que la première
• réunion libre » du mouvement étudiant ait pu
se dérouler sous son égide.
0
iflfs
AVANT-GARDE JEUNESSE
Directeur de publication : Gérard Verbizier
Imprimerie Les Presses du Marais - Paris
Détonateurs de grenades au phosphore, cuiller (longue) de grenade offensive, grenade au CB ou CS (marquée), cricket au CN
(marqué), bombe au chlore (non marquée), engins ramassés sur les barricades de la rue Gay-Lussac au matin du 11 mai 1968.
« ... En toutes circonstances et en tous lieux,
lors de ces journées troublées, les unités char-
gées du maintien de l'ordre n'ont fait qu'exé-
cuter, comme par le passé, les instructions
données par l'autorité supérieure. »
(Communiqué du Syndicat des gradés de la
police nationale. •• Le Monde », 17 mai 1968.)
Flics, flics « calottes », gendarmes mobiies,
brigades anti-émeutes en treillis, soldats de
métier, C.R.S., pendant une semaine entière
l'Etat a montré au Quartier Latin le visage
sinistre de ses - bandes d'hommes armés ».
Matraques perfectionnées pour briser les os
du crâne, mousquetons à crosses énormes et
à angles aigus, boucliers en tôle, casques,
lunettes, le tout transporté dans les classiques
petits cars Renault et Citroën ou les engins
blindés des C.R.S. Plus les motopompes dont
le jet tue un homme de plein fouet a 5 mètres
et qui furent, pour la première 'ois, emplies
de liquide acide conçu pour défigurer
Le véritable délire de la répression a ce-
pendant été atteint avec les gaz. Aucun dé-
menti officiel ne pourra rendre caduques les
preuves amassées et les affirmations du Dr
Kahn : outre les lacrymogènes classiques, ont
été employés à Paris, contre une population
estudiantine désarmée, les gaz CN et les gaz
CS ou CB, hautement toxiques. Une grenade
- cricket » (photo ci-dessus) en contient de
0,6 à 3 g : à 30 mg par m3, ce gaz est mortel.
c'est son inventeur, le général Rotschild, qui
l'a affirmé. A des degrés moindres de
concentration, le CS ou CB, outre l'irritation
insupportable des muqueuses, provoque à long
terme des nécroses hépatiques et rénales.
Mais cela n'était pas suffisant : le 11. les C.R.S.
eurent recours à l'orthochloracétophénol qui dé-
gage de l'acide chlorhydrique et des phénols.
' Ce gaz, affirment les autorités, est « ineffi-
cace -. Pourquoi alors, certains C.R.S. por-
taient-ils des masques à gaz ? Et pourquoi le
bruit court-il avec insistance que les C.R.S.
8
sans masques sont aujourd'hui hospitalisés ?
D'autres grenades ont également été utilisées
au cours de la * nuit des barricades » : grena-
des incendiaires au phosphore, grenades offen-
sives... Des balles à blanc ont été retrouvées
rue Gay-Lussac...
Après le nettoyage par les gaz, devaient
venir les « ratonnades -, elles aussi hors de
proportion : matraquage systématique ae tous
les civils, grenades dans les cafés. les appar-
tements, les caves, blessés arrachés aux se-
couristes, médecins matraqués, otages conse--
vés sans soins dans les commissariats
Le chiffre des blessés est considérable Si
les services officiels en donnent 805 pour ;e
6 et 427 pour le 11. il faut bien VOT que
ces chiffres sont déjà en dessous du tota1 de
ceux donnés par les différents hôpitaux il y
a des aveugles, des comateux, des amputes
de bras ou de jambes. .
Nul ne peut affirmer de façon abso'ue qu'il
y ait eu des morts, tant il est facile d'en ca-
moufler la réalité : disparition de reg'stres,
trous de mémoire, pressions sur «s , -d-vidus.
diagnostics trafiqués (« accident sur la voie pu-
bl<que »). morts sans familles pour les recher-
cher ..
Ce qu'il importe de souligner, c'est le nom-
bre relativement peu élevé des victimes en
égard à la férocité de la répression Ce "fait
tient avant tout au niveau de conscience poil-
tique et organisationnel de ceux qui cnt af-
fronté la police, et à leur courage : combats
à 10 m des C.R.S., barricades tenues ,us-
qu'au dernier instant, charges de polices re-
poussées a plusieurs reprises, 25'. po 'Ciers a
l'hôpital, des capacités inventues surprenantes
Sans cela, et sans les barricades et ieurs
pavés, l'agress.on des C.R.S. contre ceux qui
occupaient le Quartier eut été un vrai mas-
sacre Mais les C.R.S. ont eu peur : énervés
par l'attente, fatigués par leurs voyages han-
dicapés par la trouille, ils ne se sont nullement
battus au sens propre du mot : nettoyage aux
gaz, pu,s charges à 10 ou 20 contre un sur
des combattants déjà - groggys -, La férocité
vient souvent de la lâcheté même.
La manœuvre de ceux qui appelèrent à
quitter les barricades, la manœuvre de ceux
qui tentèrent d'empêcher ie dépavage des rues
apparaissent, à la lumière de le férocité poli-
cière, comme des actes proprement contre-
revoiutionnaires des trahisons qui ne méri-
tent aucune excuse.
Quant a la vertabie responsabilité de
l'affa.re. e[!e ne doit pas faire de doute La
DEMENCE dec- moyens employés (gaz de guer-
re utilises au Vietnam, interdits par la Conven-
t.on de Genève et dont personne en France ne
connaît 'a thérapie), ettraie et indigne, mais
surtout éclaire, aussi bien que le fait que les
C R.S aient été ee.rtois victimes de ieurs pro-
pres armas : 'es forces d'intervention sont er-
trair.èes à sévir, dressées dans la haine, eiles
ignorent jusqu'aux armes qu'elles emploient et
aux conséquences de !eups actes Eiies ne
sont pas -esponsabies Elles viennent d'être
démystifiées quant à leur invulnérabilité. Elles
doivent 1 è:-ï quant à leur autonomie : elles
ne font c.j exécuter, dans les 2 sens du mot
Le Ministre de 'intérieur et le Préfet de Po-
uce, en ordonnant le « nettoyage •• du Quar-
tier, ne croyaient certa nernent pas que ce
nettoyage se ferait dans le calme, lis con-
naissaient leurs • hommes •• (c'est 'eur métier),
lis connaissaient surtout leur armement Ils
connaissaient les conséquences d'un affron-
tement entre étudiants et policiers, lis ont
froidement donne l'ordre de cnarger, autorisé
es grenades de guerre, permis les ratonnades,
cautionne les blesses et les morts. Nous de-
vons exiger que les responsables de -J'ordre
repub'icam » qui ont pu livrer plusieurs mil-
i ers d'étudiants 3 la démence des armes des
C.R.S. ne continuent pas à exercer impuné-
ment leurs fonctions répressives. Nous devons
exiger la démission de MM. Fouchet, ministre
des gaz, et Grimaud, préfet de la matraque.
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Avant Garde (supplement au no.12)
Issue
no.13 special
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no.13 special