La Quinzaine litteraire

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La Quinzaine
2,50 F
littéraire
.Vu m <Vo 17 du !,"> au .'51 mar< l')(>8
UNE GRANDE ENQUÊTE
Quatre poèmes retrouvés
de
Une mise au point de
SOMMAIRE
l)a\ id Herbert Laurence
La Princesse suivi de par Marcel Marnât
La Fille du Marchand de chevaux
Lu Darne exquise
Raymond Queneau
Battre lu campagne
par Jean (langeard
Germain Nouveau
Quatre poèmes retrouvé- de
rmuin .Nouveau
:>ar Pascal Pia
Michel Butor
Pierre Daix
Répertoire III
Essais sur les Essais
\ourelle critique e! art
moderne
par Jean-Noël \ uarnel
par M. V
Patrick Reumai
Les Fleur* v taisent
Ailleurs au monde
par Alain (,lcr\al
Camilo José Cela
F..-E. Cumniing»
ierre Domtnergues
Mrs. Caldicell parle à son fils
Ciiii/uantc-huit poèmes
Anthologie de la littérature
arabe contemporaine :
T. 1/1 : la Poésie
Saul ISelloïc
par Albert Ben.-oussan
par Serge Fauchereau
par Michéle Cote
par Marc Saporta
(.outre le massacre
du quartier des Halles
At\ : tradition humaniste
et vocations neuves
)ar Gilles Lapouge
A.-P. Elkin
Les Aborigènes d Australie
par Roger Dadoun
Pierre Sorlin
Emmanuel Berl
ci La Croix >i et les Juifs
Casser tel qu on le loue
par Madeleine Rebériou>
par Robert Misrabi
Angelo 1 asca
\aissance du fascisme
L Italie et l Armistice
par Louis Rigal
A.-M. Goichon
Jordanie réelle
par Michel Claude Cluny
Quart groupe et tiers-mondi
:>ar Michel Gresset
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Opéra Mundi
LE LIVRE DE LA QUINZAINE
L'envers d'un conte de fées
\
1925 a laissé son nom à un
certain style décoratif. On y
veut des lignes nettes, des
cernes. Le noir-et-blanc triom-
phe. Contre ces dépouille-
ments rassurants (dont on a
mieux vu. depuis, le malaise
et même les secrètes molles-'
ses) ont déjà réagi le Mani-
feste du Surréalisme ou un
film tel que la Ruée vers l'or.
Mais c'est aussi l'année du
Cuirassé Potemkine et d'un
certain « cinématisme » que
l'on retrouve dans Manhattan
Transïer. Il y a une dominante
démonstrative dans l'art 1925
et seuls quelques-uns sauront
donner à ces nettetés osten-
sibles l'ambiguïté de sens
des œuvres définitives. C'est
en 1925 que, d'autre part,
meurent Kafka et Joseph Con-
rad. David Herbert Lawrence
vient tout juste d'avoir qua-
rante ans.
David Herbert Lawrence
La Princesse suivi de
La Fille du. Marchand de chevaux
| Traduction Pierre Leyris
Mercure de France éd. 180 p.
La Dame exquise
huit nouvelles, traduction
de Jeanne Fournier-Pargoire
Calmann-Lévy éd. 200 p.
D.H. Lawrence adoletcen
Ijn portrait
de D.H. Lawrence
peint pur K. Merrild.
Quelques mois auparavant il
avait fait le tri de ses soutiens lit-
téraires en les sommant de tout
abandonner et de s'isoler, comme
lui. dans le « désert » de Taos. Per-
sonne ne le suivit, sinon Dorothy
Brett. vieille fille sourde qui, de-
puis 1915. est son ombre fidèle,
son souffre-douleur. Tout au long
de 1924. il a médité cet échec et.
selon son habitude, cette retraite se
soldera par un recours humble mais
résolu aux enseignements de son
imagination. Rentré à Taos. Law-
rence se remet donc au travail, con-
fiant ses problèmes à des person-
nage qu'il laisse évoluer, qu'il suit,
qu'il surprend. A l'issue de ces ex-
périmentations imaginaires, une
œuvre nouvelle, chaque fois, est
née. intensément vivante, nourrie
d'un réalisme paradoxal, marquée
par f-A étonnant pouvoir de commu-
niquer le plus fugace qui reste la
marque du génie lawrencien. Law-
rence lui-même sortait autre et ra-
jeuni de ces enchantements mais
la crise londonienne de 1923 avait
été sévère. La « cure » n'en sera
que plus énergique et, de 1924-25,
datent Matinées Mexicaines, Saint
Maur, l'Amazone fugitive, Ré-
flexions sur la Mort d'un Porc-Epic,
sa plus grande œuvre enfin : le
Serpent à Plumes à laquelle il met
la dernière main en février 1925,
peu avant son retour définitif en
Europe. Travail gigantesque, acti-
vité si dévorante que, plusieurs
mois durant, l'écrivain dut s'arrê-
ter, terrassé par les premières at-
teintes d'une tuberculose déjà ca-
ractérisée.
Publié en un volume avec Saint
Maur, la Princesse inaugure cette
période décisive, ayant été termi-
né le 8 octobre 1924. Ce sont là
deux œuvres de mise en train et.
dans l'une comme dans l'autre.
Lawrence y règle quelque peu ses
comptes : le personnage principal
de Saint Maur (hors le cheval qui
porte ce nom) est une caricature
vengeresse des indécisions traîtres-
ses de John Middleton Murry. La
« Princesse ». de même, est une
aventure prêtée à l'Honorable Do-
rothy Brett. fille d'un pair d'An-
gleterre (dans la nouvelle, on la
dit de « sang royal »). Aventure
singulière et par laquelle l'écrivain
se démontre qu'il ne trouvera ja-
mais le soutien exigé chez cette hé-
ritière dévouée, mais stérilement
« platonique » (dans l'Amazone fu-
gitive, Lawrence la rajeunira et la
mènera au supplice. A l'origine,
cette autre nouvelle devait être pu-
bliée avec Saint Maur et La Prin-
cesse).
La Princesse était le dernier long
texte romanesque de Lawrence à
n'être point publié en français et,
au moins à cet égard, le choix de
Pierre Leyris s'imposait. Mais en
plus d'un portrait amer et du pessi-
misme de l'inspiration, le lecteur
trouvera dans la Princesse l'une des
plus grandes descriptions lyriques
qu'ait laissées le romancier : ces pa-
ges où il contemple son héritière
cabocharde menée par un guide
indien au cœur des Montagnes Ro-
cheuses. C'est ici que la date de
composition prend tout son sens :
telle quelle cette « princesse » est
un peu une image « 1925 ». très
noire-et-blanche, nette en ses li-
gnes, anguleuse. Lawrence le sait et
l'échec auquel il la voue ne l'hu-
manise guère. Le personnage mê-
me de l'Indien, opposé à bien d'au-
tres « mâles » créés par Lawrence
paraît un rien schématique. Tout se
passe comme si l'auteur, douloureu-
sement marqué par son échec lon-
donien, parvenait moins à faire re-
vivre ici des personnages (qui lui
sont pourtant familiers) que la na-
ture par laquelle, simultanément,
il se stimule et s'apaise. Mais jus-
tement, grâce à ce cosmos ressaisi,
nous débouchons au niveau des
chapitres les plus lyriques du Porc-
Epic et du Serpent à Plumes.
Il était certes malaisé de don-
ner à ce texte un pendant autre
que celui prévu par l'auteur. Il est
permis de regretter qu'on n'ait pas
saisi l'occasion de reconstituer le
volume paru en 1925 car les droits
de Saint Maur (traduit bien avant
la guerre) semblent récupérables,
sinon disponibles. En accolant à
ce premier texte la Fille du Mar-
chand de chevaux, brève nouvelle1
qui semblait avoir plus de relief
dans son contexte d'origine. Pierre
Leyris a sans doute voulu opposer
la triste oblitération dt la Prin-
cesse au triomphe ambigu d'une
héroïne du « premier » Lawrence,
celui d'Amants et Fils ou du Paon
Blanc. Car la fille du marchand de
chevaux n'échappe à la rude réa-
îité et au suicide que parce qu'elle
s'accorde soudain une illusion nou-
velle. Le texte reste aux bords d'une
équivoque presque trop savante
(que Pierre Leyris a su ^especter
scrupuleusement) et qui donne le
ton à toute l'histoire. Mais le con-
traste avec les pages lyriques de
la Princesse paraîtra sévère alors
que. dans England m-y England.
l'aventure de cette campagnarde
éperdue ajoute une énigme à un
recueil d'énigmes psychologiques.
Deux volumes seulement ont. en
France, respecté à ce jour l'or-
donnance initiale des recueils de
nouvelles publiés par Lawrence.
Les fervents de l'écrivain savou-
rent de longue date l'Amazone fu-
gitive, traduit chez Stock, mais la
Dame exquise ne lui est pas infé-
rieur et ce volume était introuva-
ble dès avant la guerre. On peut
s'étonner que, procédant à cette
réédition, Calmann-Lévy n'ait pas
cru bon de faire le point ni même
de retoucher une traduction, II est
vrai excellente dans l'ensemble.
La Quinzaine littéraire, du 15 au 31 mars 1968.
L'envers d'un conte de fées
" Le surg/ssement
au grand jour du
SITUATIONNISME"
(FIGARO LITTÉRAIRE)
LA SOCIÉTÉ
DU SPECTACLE
parGUYDEBORD
directeur de " INTERNATIONALE
SITOATIONNISTE"
" Un petit état-major de théoriciens
éditant une revue secrète et menant
prudemment leur apostolat de subver-
sion... détruire une société essentiel-
lement inhumaine... à Paris comme à
Moscou, à New York comme à Pékin".
Pierre-Henri Simon
de l'Académie française (LE MONDE)
" Cette critique du mensonge généra-
lisé, de la duperie galopante est très
vraie et très convaincante ".
Robert Kanters (FIGARO LITTÉRAIRE)
"...La dernière internationale... une
dénonciation globale... Lisez!"
François Châtelet
(NOUVEL OBSERVATEUR)
" Voici le premier livre théorique
situationniste". j._p. George
(MAGAZINE LITTÉRAIRE)
BUCHET/CHASTEL
n
Géographie de
l'oppression :
U.R.S.S.
Grèce, Espagne...
Un maquis
au Sud-Vietnam
Actualité de
Nietzsche
MARS 1968 : 6 F
ESPRIT
19, rue Jacob, Paris 6'
C.C.P. Paris 1154-51
On a redécouvert là le plus
grand Lawrence : dense, concis
i moderne ». Œuvre d'extrême
maturité (/<i Dame exquise fut
publié trois ans après la mort
de Fauteur) c'est là une succession
de textes se suffisant à eux-mê-
mes et qui s'emparent de l'esprit
avec une telle force qu on y aper-
çoit d'un seul coup l'extraordinaire
étendue du clavier expressif auquel
l'écrivain était parvenu à la fin
de sa vie. A de rares exceptions près
I n Ile mon île ». « Tickets s'il vous
plaît ». ci 1 Aveugle ». « le Re-
nard ») ses nouvelles antérieures
ont été recombinées et amplifiées
dans ses romans. Ici on croit lire,
au contraire, des condensations
d'ceuvres plus vastes, sans pourtant
que leurs frémissements et leurs
nuances aient été altérés. Seul,
ici. « le Toit Rowdon » (manière
de conte de Boccaee 1925) partici-
pe d'un esprit de diverti--ement
san»' arrière-pensées redoutables.
Dans toutes les autres nouvelles, le
ton ii 1925 » s est au contraire char-
gé de sen- ci a trouvé sa grandeur
définitive. Dan- c. la Dame e\qui-
-e •> (qui donne -on litre au recueil)
comme dans u Mère et fille » (com-
ment une « princesse » peut réus-
sir). Lawrence u-e de cette écono-
mie de moven- pour dénoncer de
façon baroque ou méprisante la
" gerontophilie » narcissique et rai-
-onneuse qui. a ses veux, étouffe
1 Kurope. Cet anti-humanisme ap-
pliqué, prend, à travers tout le re-
cueil, les aspect- les plus imprévus,
i Le- Mocassins bleu.- » sont I une
de- nouvelles les plu- sensible- et
les plus désespérantes de l'auteur,
mais il y aura quelque humour dans
léchée des « Deux Idéalistes ».
vaincus par leurs adhérences cultu-
relles, leur générosité boyscoutaire.
vaincus surtout par l'esprit des
« choses" » du passe. Le recueil mê-
me accorde quelque place au surna-
turel, détour unique dans l'œuvre
de Laurence, pourtant parfaitement
à l'aise dans « Gagnant du Cheval
de Bois ». histoire très personnelle
que les amateurs connaissent déjà
pour lavoir lue dans 1 Antlioltiçie
du fruntustique de Roger Caillois.
Les deux textes Içs plus impor-
tants de cette Dame exquise sont
cependant « la Mort de Fan » (thé
Overtone). essai aiiecdotique amè-
rement autobiographique et où l'au-
teur voit s effriter quelques-unes
des idées grandioses qu'il publiait
naguère a propos de 1 amour. « la
Mort de Pan ». donc, et « l'Homme
qui aimait les îles ». Cette dernière
nouvelle n est certes pas inférieure
à ?a réputation. Nulle part, même
pas dans « Kangourou » et " le
Serpent à Plumes ». I « expéri-
mentation imaginaire <> n a eu des
re-ultal- d'une audace plus décon-
certante : en -uivant jusqu'à sa
dernière extrémité le destin d'un
homme résolu a - « i-oler » du
inonde. Lawrence le de-humanisc
-i metieuleu-enieul qu a la lin nous
en -omme- a le confondre avec le-
élément.-'. Bcckett lui-même n'ira
pas plus loin et cette fable qui se
termine au sein des glace- stupé-
fie si bien I esprit que Lawrence.
une fois de plu-, renaît sou- no-
\eu\ comme I un des plus obsé-
dants créateurs de mythes qu'ait
enfantés une littérature à laquelle
nous devions déjà 1 Utopie. Gulli-
ver. Robinson. Frankenstein...
Le schématisme « 1925 ». enco-
re un peu indiscret dans la Prin-
cesse. était donc, en définitive, ce-
lui des grands mythes et des con-
tes populaires. Le noir-et-blanc \
es! symbolique de malaises tout en
nuances. les lignes sévères du récit
renvoient à la complexité des sen-
sations et des scrupules spirituels
de l'auteur. Seule cette décantation
littéraire pouvait rendre compte
des complexités entr aperçues et
dominées plus tard. L'avant-guerre
parla d'obscurité et de « freudis-
me » ( cetait tout un). On sait
mieux de nos jours que I envers
d'un conte de fées ( « la Princesse »)
comme les mobiles inavouables
d'une dame « exquise » ou les
effets d'une solitude « héroïque »
peuvent relever de l'art le plus né-
cessaire.
Marcel .Marnii!
!. I .a neuvième de hn^lmui tn\ kuxluiid.
In-tolre- écrite* ;iu cou[> lie la (*rande
('-lierre et publiée- -eldement en 1922.
_'. ,i TIliltK- n e-il le titre original lie la
nuu\elle et un -ait que /e> (./;IIM.S allait
i-tr-. en 196"). relui (l'un roman eu Geur-
lie- Peree traite (tu même -ujet. en foui -
licin (!••- r, ehu.-e.- » d'au ji>;>ru"hui. île lu
miH|uette au journal.
'!. La dernière phra>e du texte dit : <- //
,sp rrliiurna <•( .sc/i/if If -inillli- (île la
tempête) rem/ *ur lui n tupon liîin }_ La
iraduetrice a\ail cru de\')ir M'ëcifier:
«>• -e/i/i/ ee ^uttlllf M//- sa joiif ". Mai-
I impreci>iun de l.a\\ renée -u<_'<_'ere que le
lient- \a 'le-ormal- -évaporer dan- îe
EDITEURS
Romans français et étrangers à paraître
O.R.T.F.
A paraître parmi les romans. Nom-
bres de Philippe Sollers (Editions du
Seuil) dont les lignes de forces sem-
blent cerner au plus près les options
actuelles du groupe Tel Quel : l'auteur
tente d'y lever la contradiction entre
• discours » et •< Histoire » pour en
inférer une nouvelle communauté de
jeu. celle d'un dialogue entre Occi-
dent et Orient et d'une pensée ebran-
iant dans ses fondations le vieux mon-
de •< mentaliste et expressionniste ..
Chez Grasset les Canadiens fran-
çais figurent toujours en bonne place :
iprès Marie-Claire Biais, Prix Médicis
1966 pour Une saison dans la vie d'Em-
manuel (elle prépare actuellement un
nouveau roman intitulé le Testament
de Jean-Le-Maigre), et Jean Basile,
auteur de la Jument des Mongols et
de le Grand Khan qui vient de parai
tre. Jean Ethier-Blais publie Mater
Europa, éducation sentimentale en
quatre tableaux et quatre saisons ou
un même personnage transpose inlas-
sablement ses souvenirs de jeunesse
Toujours chez Grasset. Eivire de Bris-
sac, rédactrice au Monde, présente
son premier roman, le Cœur au galop,
tandis que Christine de Rivoyre évo-
que la région des Landes pendant l'oc-
cupation allemande : le Petit Matin.
Dans le domaine étranger, on pour-
ra lire le Mal obscur, autobiographie
gargantuesque et onirique de Giuseppe
Berto, qui a obtenu deux grands prix
littéraires en Italie, dont le Strega
(éditions du Seuil) et Feux verts,
vert-bleu d Ursule iVlolmaro (éditions
Grasset) dont le public français con-
naît notamment Lin roman intitulé
l'Un pour l'autre, publie il y a quel-
ques années dans la collection » Les
Lettres Nouvelles ».
Traduit de l'américain par Maurice
Pons, Pourquoi sommes-nous au Viet-
nam ? de Norman Mailer (Grasset)
nous propose, à travers la fiction d'une
chasse a l'ours en Alaska, un violent
réquisitoire contre la guerre et contre
l'Amérique actuelle en deuil de ses
valeurs et de son innocence. Non
moins violents de ton et également
inspirés par les problèmes internes
de l'Amérique sont les romans de
deux jeunes Noirs américains, présen-
tes par les éditions Stock Hall Ren
net. dans les Vignes sauvages, com-
pose une sorte de parodie ubuesque
de la société sudiste ; Bryan Rollins
dans les Rues de la violence, nous
propose une vision dantesque du
ghetto noir de Boston Autres titres
Pour un ciel plus bleu par Pearl Buck.
récit autobiographique sous forme de
dialogues (Stock) ; Terre des Grecs
par Ëvanghelos Averoff. ancien minis-
tre des Affaires Etrangères dont c'est
le premier roman. Dans le cadre de la
deuxième guerre mord'ale on y voit
un jeune Grec exilé à la découverte
de ses racines (Stock).
Les émissions littéraires
à la télévision
Le dimanche 17 mars, sur la pre-
mière chaîne, dernière émission de la
série consacrée par le Service de la
Recherche de i'O.R.T.F. au structura-
lisme : Roman Jakobson. Interrogé
par Michel Tréguer et François Châ-
telet. le maître de la linguistique mo-
derne parlera de sa longue expérience
personnelle, des antécédents philoso-
phiques de la linguistique structurale,
du débat toujours vivant entre struc-
ture, d'une part, et Histoire, de l'au-
tre, de la nécessité des collaborations
interdisciplinaires, etc. L'interview de
Roman Jakobson sera coupée de quel-
ques brefs entretiens des deux au-
teurs de l'émission avec un jeune
linguiste français, Oswald Ducrot.
Le mardi 19 mars, deuxième dif-
fusion du Timide au Palais, comédie
de Tirso de Molina adaptée par
G. Brousse
Bibliothèque de Poche, l'émission de
Michel Polac et Yannicf Bellon sera
consacrée, le 20 mars, a un reportage
sur les clients d'une librairie et à une
interview de Joseph Delt-3il, auteur au
Jeanne d'Arc qui inspira le célèbre
film de Drever. Celui-ci nous parlera
de ses auteurs préféréï : Henri de
Régnier, Huysmans, Rirrmaud et Mac
Orlan. ii sera suivi par le cinéaste
Pierre Kast qui s'entretiendra de li-
vres de science-fiction et. notamment.
du roman de Robert Merle : Un ani-
mal doué de raison.
Coty — Impression •
POÉSIE
Une poésie fabuleuse
i
Raymond Queneau
Battre la campagne
Gallimard éd., 210 p.
Un jour qu'un quidam deman-
dait à Raymond Queneau je ne sais
plus quel pesant pensum et qui en
eût. si possible, bien l'air, j'enten-
dis le père de Zazie plaider pour
l'exclusive de son a petit air de
flûte », sans nulle trace de mo-
destie feinte. Il y a dans toute la
personne de Raymond Queneau, sa
haute silhouette accueillante et ses
écrits pourtant si divers, un natu-
rel qui semble lui avoir été accordé
par grâce divine et dont il aura
réussi à ne jamais se départir. Petit
air de flûte puisqu'il y tient, mais
il nous en aura plus donné avec sa
traversière que d'autres qui préten-
dent réunir les orchestres.
Il me semble que Battre la cam-
pagne, son dernier recueil de vers,
tiendra dans son œuvre une place
un peu équivalente à celle de la
Chanson des Rues et des Bois chez
Hugo, mais on ne peut évidem-
ment parler, à son propos, d'un re-
tour à une simplicité qui juste-
On trouve un coin superbe
pour s'étendre sur l'herbe
Alors on regarde sans fin de*
petites bêtes s'agiter sans fin
L'idéal, ah ! l'idéal ce serait sans
doute ce Drôle d'animal :
Au fond des fourrés de la forêt
il y a un drôle d'animal
il est sensible insensible ni bien
ni mal
il n'attaque pas son semblable
ni l'autre
Ainsi par l'infini du brin d'her-
be contemplé, par la présence-ab-
sence d'animaux devinés, revien-
nent timidement des thèmes dont
on ne se débarrasse pas aisément
— le temps, l'absurde, le néant, la
mort — que Raymond Queneau a
souvent abordés comme avec dis-
traction. Dans certaines pièces se
manifeste plus clairement un goût
de l'absence que n'arrive pas tout
à fait à contredire la nostalgie de
la vie qui s'en va, tandis que, en
retrait, se fait jour la décision d'ac-
Raymond Queneau et Bons V ian.
ment ne l'a jamais quitté, au re-
noncement des cuivres 'qu'il n'a
jamais voulu emboucher, ni sur le
moment, ni après coup, et l'on peut
encore le vérifier en Usant Juin
Quarante, une pièce du même re-
cueil. Battre la campagne c'est
tout de même un retour et s'il
reste discret c'est que Queneau ne
s'était jamais tellement éloigné.
Pas un retour à la terre, malgré ce
titre qui succède à Courir les rues,
mais presque ; un retour aux émo-
tions les plus simples, les plus « pe-
tites » pourrait-on dire, volontiers
les plus ténues mais qui sont peut-
être les plus certaines. D'où ce goût
pour le campagnard plutôt que
pour le citadin, pour l'animal plu-
tôt que pour l'homme et puis pour
l'animal le plus discret, pour l'in-
secte par qui le règne animal sem-
ble parfois confiner au végétal,
lequel aura souvent l'ultime préfé-
rence :
cueillir comme des compagnons les
menaces de l'âge et de les appri-
voiser par la douceur :
Quand on examine le vaste monde
ses beautés ses tristesses ses aléas
on se demande on se demande
à quoi rime tout cela
Revient souvent l'image de la
poussière ou celle de la cendre :
tout au fond de. leurs viscères
tout au fond de leur poussière
fermentent les taches et l'usure
des gens
ou encore une décrépitude qui se
généralise :
Avec le temps le toit croule
avec le temps la tour verdit
avec le temps le taon vieillit
avec le temps le tank rouille
11 y a du Laforgue dans ces pe-
tits gestes de la main, un peu iro-
niques, un peu navrés, adressés au
passé ou au futur :
Adieu Adieu La vie tranquille
se déplace vers le passé
Peut-être un futur immobile
me la fera retrouver
demain demain il n'y aura plus
que poussière
ils sèment à tout vent
pour une année entière
ou alors :
ou bien rien
il faut toucher le fond de la caverne
pour s'assurer de son absence
Pour dire vrai, ce sont là mo-
ments d'un romantisme sans sys-
tématique et qu'un autre rayon de
soleil sur un autre brin d'herbe
suffit à dissiper, ou bien la silhouet-
te amusante d'un boulanger de
campagne, ou d'un paysan en vi-
site à Paris. Queneau aime à s'en-
vironner d'objets familiers, d'ani-
maux aussi peu sauvages que pos-
sible, de bonshommes et de bonnes
femmes qu'il se plaît à animer, à
lancer dans de modestes aventures
pour mieux les regarder vivre. Ain-
si retourne-t-il très volontiers à la
fable mais s'il va jusqu'à reprendre
(ou à peu près) certains titres de
La Fontaine, on se doute que c'est
pour les accommoder à sa façon,
où le saugrenu, le déconcertant, le
porte-à-faux vertigineux tiennent
lieu de morale explicite. A la sim-
plicité des apparences, à la bonho-
mie de l'anecdote, fait contrepoids
l'ambiguïté secrète de certains pro-
pos. Mais il est vrai que l'on a trop
parlé de secret quant à l'œuvre de
Queneau, et lourdement. J'y vois
surtout cette « grâce » dont je par-
lais plus haut et qui, si l'on veut,
est de quelque manière secrète. Re-
tenons que dans Battre la campa-
gne elle s'accommode des rythmes
les plus simples, de vers brefs que
prolongent les assonances, où les
répétitions se font écho. On passe
parfois d'une énumération à la
Prévert à une chute à la Rimbaud
(« alors il passera de l'eau sous les
ponts mous »).
Ainsi l'on oublie vite les person-
nages campagnards, les animaux
de la fable ou même le néant et la
mort, puisque rien n'intéresse
l'amateur de poèmes que le langage
poétique auquel Raymond Queneau
rend ce discret hommage :
Dans la friche on sème des mots
on y sème aussi des phonèmes
des morphèmes des sémantèmes
rosés roseaux au bord de l'eau
bruns grains fichés dans les labours
verts coquelicots des prairies
noirs lys au fond des forêts
dans la friche on sème des mots
pour qu'ils repoussent bien plus
beaux.
Jean Gaugeard
min
L'esthétique collabore avec tou-
tes les disciplines qui tentent
d'étudier les conditions de la
production et de la réception
des œuvres. ____
COLLECTION D'ESTHETIQUE
(Diffusion exclusive pour la France :
DIFFEDIT)
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PHILOSOPHIE
par Mikel DUFRENNE
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ARCHITECTURE et ART
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REVUE D'ESTHETIQUE
PUBLIÉE PAR LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
D'ESTHÉTIQUE
Soi» la direction d'Etienne SOURIAU
de l'In.titu», Mikel DUFRENNE
et O. REVAULT d'ALLONNES
L'abonnement au Tome 2l, 1968
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BALTRUSAITIS
" C'est sans nul doute ici l'un des cha.
pitres les plus révélateurs du subconscient
chargé de la science et de la culture oc-
cidentales, pour lequel il existe, avec la
nouvelle "archéologie des sciences humai-
nes" un renouveau d'intérêt."
ANDRÉ CHASTEL "Le Monde"
304 pages illustrées 78 F
OLIVIER PERRIN
La Quinzaine littéraire, du 15 au 31 mars 1968.
HISTOIRE LITTÉRAIRE
Du nouveau
i
Germain ,\oui
< ^Avant-siècle
Minard éd.. 144 p.
On a tant écrit sur Rimbaud et
sur Verlaine, sur Zola. Huvsmans
et Maupassant. sur le S\ nibolisme
et le Naturalisme, sur les débuts de
Gide et de Claudel, sur les Caliiers
de la Quinzaine et la fondation de
la M.R.F.. qu'on pourrait penser
qu il ne doit pas rester grand-chose
à décou\ rir touchant l'histoire lit-
téraire de la période comprise entre
1870 et 1914. Ce serait pourtant
une erreur, où n est pas tombe
Louis Forestier, qui. préparant une
thèse sur Charles Cros. a dû pro-
céder à de nombreuses recherches
dans des coins du Parnasse ou de
1 Anti-Parnasse encore à peu près
inexplorés. Cela lui a donne I idée
d'une collection d'ouvrages, la col-
lection « Avant-siècle ». ou se-
raient étudiés les auteur:- et les
mouvements littéraires de la pé-
riode susdite, qu occulte encore la
légende ou qui n'ont jusqu'à pré-
sent été l'objet que de commentai-
res trop rapides ou trop inexacts.
Consacré à Germain .\ou\eau. un
des premiers volumes de cette col-
lection rassemble plusieurs essais
sur la vie et l'œuvre du poète, plus
quelques textes de celui-ci, inédits
ou peu connus. M. Marcel A. Ruff.
qui a préfacé le tout, souligne la
singularité du destin littéraire de
Nouveau. lequel n est parvenu
qu'après sa mort à une célébrité
qu'il n'avait d'ailleurs nullement
souhaitée. Avec une nuance de re-
proche. M. Ruff écrit que Verlaine
n a fait place à son ami Nouveau ni
dans ses Poètes maudits ni dans
»es notices sur des Hommes d au-
jourd'hui. Cette petite critique ne
uou.- semble pas très équitable. La
publication des Poètes maudits en
1884. puis, pour la seconde série,
en 1888. se situe en un temps où
rien ne permettait de considérer
et de présenter Nouveau comme un
damne. Quant à recommander aux
lecteurs de ce temps-là la fréquen-
tation du poète, il eût fallu pour
cela qu'il y eût au moins un re-
cueil de lui en librairie. Or, Nou-
veau refusait alors d être édité.
Selon M. Ruff. il serait « inutile
de chercher Nouveau dans les an-
thologies. — sauf celle d Eluard ».
C'est cependant dans de tels ouvra-
ges que 1 ont rencontré bien des
gens qui. auparavant, ignoraient
son nom. Nouveau figure en effet
dans toutes sortes de florilèges :
d'abord dans ['Anthologie critique
des poètes, publiée en 1910 sous la
firme de la Poétique, et qui n'a sans
doute eu qu'une modeste diffusion,
puis dans le tome IV des Poètes
du terroir, d Ad. van Bever. paru
en 1912 et qui. lui. a été réimpri-
mé plusieurs fois : puis dans l'.-l;i-
thologie de la poésie catholique.
de Robert \allery-Radot. qui a eu
au moins deux éditions (chez Crès
en 1919. aux Œuvres représenta-
tives en 1933) : puis dans 1 Antho-
logie de la nouvelle poésie fr<in-
caise. parue chez Kra en 1923 et
réimprimée, elle aussi, plusieurs
fois avant 1939 : dans les Poètes
nouveaux, complément de 1 antho-
logie Walch (Delagrave. 1924).
dans l'Anthologie des poètes fran-
çais, de J. Van Dooren. très répan-
due en Belgique (V'erviers. Alb.
Hermann, 1928). dans les antho-
logies de poésie religieuse dues à
Maurice Allem (1932). à Mabille
de Poncheville (1937). à Louis
Chaigne (1938: treizième édition
en 1946). à Dominique Aur\
(1943) : dans l'Anthologie des poè-
tes de la N.R.F.. dans l'Anthologie
de la poésie française, publiée aux
éditions Rencontre par Robert Kan-
ters et Maurice Nadeau. et enfin
dans plusieurs anthologies impré-
gnées de surréalisme ou de moder-
nisme, comme celles d'André Bre-
ton (Anthologie de l'Humour noir).
de C. Giedion-Welcker (Poètes à
l'écart. Berne. 1946) et de Mme
Flora Klee-Palyi.
En feuilletant l'Album
Zutique
Ce relevé, probablement incom-
plet, montre que depuis une cin-
quantaine d années, les amateurs
de poésie n'ont pas pu ignorer Ger-
main Nouveau, mais il ne s ensuit
pas qu ils se soient facilement fait
de lui une image précise et res-
semblante. Les deux biographies
auxquelles ils ont pu se reporter.
— celles qu'ont données Albert Lo-
pez (Lu I ie étrange d'Hurnilis.
Bruges. Ch. Beyaert. 1928) et Léon
\ érane (Humilis poète errant. Gras-
:-et. 1929). — ne font qu'effleurer
certains chapitres de 1 existence du
poète, ou. quand les renseigne-
ments font défaut, recourent à l'in-
vention. La première étude serieu-
QUATRE POEMES RETROUVES
Fin
d'automne
C. est le sinr. au jardin du
Luxembourg : les portes
1 ont se fermer : le jour qui meurt
a l horizon
Semble un dernier adieu de la
douce saison :
Le pied foule un tapis mourant de
feuilles mortes.
Lu nuit lente descend : on entend
s'apaiser
Des passants attardés les pas et
les murmures ;
Les groupes, sur leur socle, au
milieu des ramures,
Pour conjurer le froid échangent
un bai.ser.
Car voici que l'Hiver s'avance.
triste et sombre !
Vous allez être seuls, ô pauvres
marbres nus !
Les amoureux discrets, à vous tous
bien connus.
A p viendront de longtemps
s abriter à votre ombre.
I. n brouillard gris et fin
s estompe dans les airs .
l.t> mystère se fait dans les mornes
allées
Que hanteront bientôt les bises
désolées :
Les moineaux sont partis et les
bancs sont déserts.
Oh .' le triste retour des saisons
enrhumées !
Déjà sur votre épaule un frisson
vient courir :
Déjà le cœur se serre, et. comme
pour s'ouvrir.
Aspire au chaud parfum des cham-
bres bien fermées.
Fille de ferme
A André Gill
En court jupon de lame, et les bras
nus. elle est
Très rosé, avec l œil brave, et sa
toison filasse
S'ébouriffe sous sa marmotte, non
sans grâce.
Elle va. tord sa hanche, et montre
son mollet.
Joiiasseuse. et le poing terrible, elle
se plaît
Aux bourrades. Sa lèvre éclate en
rise grasse.
Et la-bas, dans les foins, le grand
brun qui l'embrasse.
Marche, hanté par ses tétons
couleur de lait.
Cette garce pourtant, le soir.
devient un ange
Pour les maigres petiots qui
couchent dans la grange.
Quand, pour les endormir dans
un signe de croix.
Elle monte baiser au front cette
marmaille.
Sa chemise est un rêve, et sainte
entre ses doigts
Sa chandelle met des étoiles dans
la paille.
Fantaisies
parisiennes
Hier, par une après-midi
Ou le soleil ragaillardi
Luisait dans un ciel attiédi.
Kt dans la splendeur qu'il étale
Comme une ville orientale
Haignait la froide capitale :
Coin ine. j errais, le nez au vent.
Dans la rue au tableau mouvant.
En flâneur naïf et savant.
Je ris sur l asphalte élastique
D'un trottoir aristocratique
l ne vivante et fantastique
Parisienne au pas léger.
Type dont rêve l'étranger !
femme qu on ne peut, sans changer
Aussitôt sa roule et la suivre.
Rencontrer, tant on devient ivre
Lu voyant se mouvoir et vivre :
sur Nouveau
se concernant Nouveau est celle
que Jules Mouquet a écrite pour
son édition du Calepin du men-
diant (Genève, Pierre-Cailler 1949).
Encore est-on loin d'y trouver tout
ce qu'eut pu faire découvrir depuis
longtemps rétablissement d'une bi-
bliographie minutieuse de Nou-
\eau.
Le recueil de la collection
u Avant-siècle » incitera, espérons-
le, de nouveaux chercheurs à s'oc-
cuper de ce poète. Ce que nous
offre ce recueil prouve déjà que
ses auteurs n'ont pas perdu leur
temps. On s'était demandé, en
feuilletant l'Album Zutique où les
apports de Rimbaud et de Verlaine
sont de l'automne 1871. si Nou-
veau, présent dans cet album, avait
passé quelques jours ou quelques
semaines a Paris au cours de la
même saison. M. Michael Paken-
ham. dans une étude sur les débuts
parisiens de Nouveau démontre
d'une manière indiscutable que
c est seulement un an plus tard
que celui-ci enrichit \~Album Zitti-
que de quelques vers de su façon.
M. Henri Coulet. comparant cer-
tains poèmes de Verlaine et cer-
tains poèmes de Nouveau, conclut
que ce dernier n'a pas été. pour
-on aîné, u un simple imitateur,
mais aussi un inspirateur ». dont on
n'avait pas su jusqu'ici discerner
1 influence. Pour notre part, nous
ne sommes pas très sûr que Ver-
laine ait réellement subi cette in-
fluence, mais nous n'oserions cepen-
dant pas contredire M. Coulet sur
ce point, tandis que nous nous re-
fuserons absolument à dire avec lui
qu'il est « hors de doute que les
textes de /Album Zutique et les
Stupra auxquels s étaient complu
Verlaine et Rimbaud » soient à
[origine des Valentines. Ni I ero-
tique ni l'accent gouailleur des l a-
lentines ne rappellent le Rimbaud
des Stupra ou des Remembrantes
d un l'ieillard idiot, et si nous de-
vions à tout prix découvrir des pa-
rentés au chantre de Valentine.
nous serions plutôt enclin à recon-
naître en lui un esprit assez pro-
che de celui dont témoignent quel-
ques pièces de la Chanson des
gueux de Richepin et certaines gail-
lardises de Raoul Ponchou.
Louis Forestier. traitant des
courts poèmes de Nouveau publics
en 1876 dans une plaquette col-
lective de Dixains réalistes, rap-
pelle que cette plaquette ou les ha-
bitués du salon de Nina de \ illard
se sont évertues a parodier Coppee.
naquit de l'indignation ou de
l'amertume qu avaient éprouvées
Charles Cros et ses amis devant
quelques-unes des exclusions pro-
noncées par le jurv du troisième
et dernier Parnasse contemporain.
Nouveau lui-même n'avait pas sou-
mis de vers a ce jury, dont 1 édi-
teur Lemerre avait choisi les mem-
bres : Banville. Anatole France et
Coppee.
" La boutique de cher
Lemerre "
Dans une lettre a Verlaine,
condamné par le jurv eu question,
il qualifie le Pur nasse de « milieu
détestable et d ecœurance géné-
rale ». F,n fait. les favoris
de Lemerre 11 a-aient jamais
eu sa sympathie. Jules Mouquet.
dans son introduction an Calepin
dit mendiant, cite quelques lignes
d un carnet ou Paul Bourget notait
en mai 1873. après une conversa-
tion de café avec Nouveau. Yaiade
et Raoul Gincste : « Germain Nou-
veau méprise la boutique de t-he:
DE GERMAIN NOUVEAU
Tant à ses petits pieds vainqueurs.
Infatigables remorqueurs.
Klle sait attacher les cœurs !
Mise, par ma foi ! comme en mise
De bal, aussi bien qu'en chemise.
Elle seule sait être mise.
Dans la foule, au milieu du bruit,
Sous la voilette où son œil luit.
Discernant très bien qui la suit.
Et sachant que d'elle on s'occupe.
Feignant de soulever sa jupe.
U;i jeu dont on est toujours dupe :
Avec un air fin et discret.
Dont Gavarni sut le secret.
El des mouvements qu'on dirait.
A voir, avec le vol des manches.
Le langage amoureux des hanches
Ravis aux goélettes blanches :
Idéal qui passe, rêvé
Longtemps, qu'on croit enfin
trouvé,
Enchanteresse du pavé !
Dans la soie et dans la dentelle
Elle allait et, se hâtait-elle.
Qu'on se demandait : ou va-t-elle ?
Quel est son but et son dessein Y
Dans l'éblouissant magasin
Où l'étoffe au riche dessin
Dans mille glaces se reflète.
Irait-elle, pour sa toilette,
Faire quelque importante emplette:
Ou bien, afin de se cacher
D'un mari qui peut la chercher.
Disant « ou galop » au cocher.
Se jeter dans une voiture.
Et partir, folle créature,
Pour une galante aventure :
Ou bien encore, dans un lieu
Triste et nu, sans lampe ni feu,
Où la faim tend ses bras vers Dieu,
Porter le seul pain qu'on y mange?
Car, on le sait, cet être étrange.
S'il n'est un démon est un ange.
Peut-être aussi par ce soleil
Sorti souriant et vermeil
Des froides brumes du sommeil.
!\e veut-elle parmi les brises.
Hors du foyer aux ombres grises
Et les rayons — douces surprises —
Que se promener simplement.
Tout à coup, je ne sais comment
Et comme par enchantement.
Bien que des yeux je ne quittasse
Cette fée au pas plein de grâce.
Je perdis tout à fait sa trace !
Le but qu'elle pouvait avoir
Etait-ce Plaisir ou Devoir ?
Je ne devais pas le savoir.
Enchères
Au marché de Saint-Paul j'irai,
Ma petite, et je te vendrai.
Je vendrai tes yeux effrontés
Cent beaux écus fort bien comptés.
Et je vendrai tes ''^-'v rusés.
Ces oiseaux mal apprivoises.
Et ta lèvre qui toujours ment
Quatre-vingts doublons seulement.
Je vendrai tes bras fins et longs
Et les rosés de tes talons,
De tes genoux et de tes seins
Vingt mille francs napolitains.
Je vendrai le jour de Saint-Paul.
Et la raie autour de ton col
Et les jolis plis de ta chair
Un million, ce n'est pas cher.
Et Ion chignon tordu, pareil
A l'or flambant dans le soleil,
Et tes baisers je les vendrai
Aux enchères que je tiendrai.
Aux enchérisseurs les plus forts
Je vendrai ton âme et ton corps.
El ton ca>ur, s'il est recherché.
Sera par-dessus le marché.
La Quinzaine littéraire, du 15 au 3l mars 1968.
Du n&uveau sur Nouveau
l.emrrrr. meprisi- riunce. >t(//v
l'rudhorti/ne... n San.- Joute 11 elait-
,1 pa.- -cul. parmi If- |.'itnes poète.-.
.1 ne lia- iiinu'r celte U>utiq ue. Se-
meilleurs compagnon.-,. Richepin et
Bouchor. ne .-adressèrent ni 1 un
ai I autre a Lemerrc quand il.- li-
rent éditer, le premier -.1 (Jiansitn
des "lieu v. le -econd se- (.liansons
c1
lovruses. oïl Nouveau -i' trous e jo-
liment chanté
Pour en re\enir aux Dixuins
réalistes. Louis FWestier -'est al ta-
che à expliquer la plupart des al-
lusions qu'y fait Nouveau aux af-
fiches publicitaires qui bariolaient
alors les murs de la capitale. Aux
précisions fournies par Forestier
sur les chapeaux de I Hérissé, le
canapé-lit Leroux, le savon de Thri-
dace ou le lait d'Hébé. nous ajou-
terons que la Redingote grise, mai-
son de confections de la rue de
Rivoli, couvrait Paris d'affiches re-
produisant une célèbre lithographie
de Charlet. M. Paul Jarry donne
des détails a ce sujel dans son ou-
vrage sur 1rs Magasins dr nouveau-
tés (Pari.s. André Barry et fils.
1948). Le vers où Nouveau men-
tionne que « lu Maison n est pus
au coin du finis ». corrige, pour les
besoins de la rime, le slogan utilisé
par un autre grand magasin. Au
Pont-Neuf, sjtué rue du Pont-Neuf.
Pour n être pas confondu avec la
Belle Jardinière. Vu Pont-Neuf pro-
clamait fièrement : •> Lu maison
n est pas an coin du quai ».
Un besoin d'aventure
poétique
Loui- Frr -lier écrit 1res jn-te-
ment que le- ili/ains de Non venu
•i lii'nnrnl plu-- i/ue ce i/it'ila jir:i-
inellent •>. Si la plaquette dont ils
lont partie avait bien été conçue
dan- le dc--( in de ridiculiser le Par-
nasse en parodi/U! ' Copj>ec. jiour
.Nouveau, c.-lime Forc-lîer. il -',mi--
sait moins, c.i participai!! a ••e'îc
entreprise, de >i moquer !els hom-
mes an telles iloctrini'* n que
d M affirmer fa /'il t'a uni' iicen-
ture poetunu' différente ». (.. e-l
peut-être prêter a Nouveau plu- de
résolution qu'il n'en avait, mai-
ce qui n'est pa- contestable, c'est
que. conscient ou non. un be.-om
d'aventure poétique inspirait ses
d i x a i n s.
l n autre article de Louis Fores-
tier concerne le seul fragment
connu d'une lettre de Nouveau,
dont on ignore et le destinataire
et la date. Nouveau v dit : u l'in-
t ri {fur pour un ministère nu une
administration : je concours pour
un prix île 500 francs il l "Eldorado :
chanson patriotique, récitatif ,- trois
ou <;,iiitre couplets arec un refrain ;
ne pas prononcer le mot prussien
ni celui allemand : •n le cceur mus
v poussait /c m emploierais pour:
prendriez pseudonyme. si hon vous
semblait. Les manusses don- 'être
déposes le 20 au soir au plus tard .»
Nouveau ayant obtenu un emploi
au ministère de 1 Instruction publi-
que le 30 décembre 1877. la lettre
ci i!e--ii- e-t forcement antérieure
l celte date. Louis horestur pre-u-
nie qu elle esl de I automne 1377.
et comme elle contient quelque.-
liiiiie- relative- a de- dessin- laits
pa: -on destinataire, il en déduit
que celui-ci devait être Krue.-t Oe-
labaye. donl on possède de nom-
breux, croquis, (.elle conclusion est
Ire- plausible, mais le concours de
chansons auquel Nouveau dit parti-
ciper et dont Forestier n'a trouve
aucune annonce dans les journaux
de 1877 eut lieu, non pa- cette
année-là, mais en 1870. C'est du
moins ce que raconte Paulus dans
des souvenirs recueillis par Octave
Pradels et publiés vers 1905. du
vivant de lartiste. sous le titre de
I rente ans de café-concert (Société
d'Edition et de Publications, s.d..
in-1") : n .4 la fin de l année 1875.
la direction de l'Eldorado, poursui-
vant ta tache qu elle s'était imposée
d aider a l eclosion de chansons
populaires dignes de ce titre, a ou-
cerl un concours entre les chanson-
niers français. Il s agit de produire
une belle œuvre patriotique. n
Dans le jury du concours siégeaient
notamment Jules Claretie. Armand
Gou/.ien (ami de Mendès et de Vil-
liers de l'Isle-Adam ). les composi-
teurs Emile Pes.-ard et Laurent de
Rillé. le chansonnier Charles \ in-
cent. Les quatre cent quatre-v iniit.-
cliansons envoyées iurenl jugées -i
médiocre- qu on se borna a décer-
ner un prix de cent francs et a
ouvrir au.-sitot un second concours.
II v cul la seconde loi- cinq cent
vinjjl-cinq chanson- nouvelle:-. Le
prix de cinq cent- liane- alla a
1 auteur déjà récompense au pre-
mier tour et nomme George- (.1ère,
l n pn\ de deux cents trailc- et
deux prix de cenl cinquante Iraucs
lurent attribues a d aiitie- eoncur-
rent-. dont i'auiu- domie îcs noms.
\ucun d eux }', e-t i/cHiiam Nou-
veau, lequel, d ailleur.-. avait peut-
être renonce a ler.lci -a i liaure.
Quatre poèmes retrouvés
Le (jermtnn **i ou ri-tiu de la col-
lection « \vanl--ieele n contient
encore bien d'autre- texte- intéres-
sants, entre autres, une longue lei-
tre inédite de Nouveau à -ou ami
Léonce de Larmandic et deux poè-
mes non recueilli- par .1. Mouquet
et j. Brenner dan.- leur édition
en deux volumes de- O'uv res de
Nouveau (Gallimard. ! 953-1955).
L un de ce- poèmes, un sonnet,
avait déjà paru en 1966 dan- le
n" 1 de la revue lielelgeusr. Nou-
veau v rend hommage a un ami
— H De l.n Hillrlte rsl mort dans
su i liambre d iiutel » — dont per-
sonne na suivi le convoi. Il s'agit
certainement d'un sonnet postérieur
à 1879. puisque, du 25 août 1878
au 21 décembre 1879. date du der-
nier numéro de la Lune Housse.
Auguste de La Billette fut l'impri-
meur suppose et le gérant respon-
sable de cet hebdomadaire, auquel
les dessins d'André Gill valurent
de multiples démêlés avec la cen-
-lire et le Parquet. Le 16 avril
1879. ia 11 chambre eonection-
neile avait condamne de La Billette
a deux cent- francs d'amende com-
me ocrant d.' lu '.une Rousse, pour
publication, dan- le numéro du
13 av ii!. d'un dessin de Gill dc-a-
areaUe aux je-uite- et dépourvu
de \ :-a.
1. autre poème reproduit dans
« \vant--ieele ». et que MM. Ruff
et Forestier ont peut-être cru tout
à fait inédit, avait déjà été imprime
voici plus de trente ans. Il figure
in extenso dans le chapitre que
contient sur Nouveau l'ouvrage de
Charles Fegdal intitule Dans notre
vieux l'aris (Librairie Stock, 1934).
Fegdal y donne également le texte
de la lettre qui accompagnait ee
poème quand Nouveau en fit l'en-
voi au directeur de Bicetre. ou il
avait été interne en 1891. Selon
Fegdal. cette lettre. « mise à la
poste dans une petite ville de Nor-
mandie ». serait parvenue à son
destinataire le 30 octobre 1898.
mais il est probable que cette date
est fautive et que la lettre est d'oc-
tobre 1897. époque à laquelle Nou-
veau passa quelques jours a Fa-
laise, où il venait d'être nommé
professeur de dessin au collège (il
abandonna son poste presque aus-
sitôt). En tout cas. ce bref séjour
de Nouveau en Normandie se situe
six ans après sa .-ortie île Bicetre.
el non pas quelques jours seule-
i.ient après son exeat. comme I a
cru Charles Feudal.
Mme Maïté Dahadic. qui veille
au -onvenir du poète dans le coin
de Provence ou Nouveau était ne
e1 ou il est mort, nous offre quel-
que- vers, inédits ceux-là, et que
! auteur avait retranches lui-même
de -on Ire Claris Stella. En ve-
nte, une édition complète de N<ui
veau re-te a établir. Non -enic
nient (édition Bretmer-Mouque! a
(Icliliei émeut lai--e de cote pré-rue
Imite- les proses lie Nouveau, n: u-
elle a même nejiliiie d imporlanl-
poenie- comme (. ndenet I". ip:e
M. Breimer avait pourtant fè.it re-
paraître eu l'J.it dans |a revue /c-
Lettres nourellef d'aprè- le texte
publie dans la Lune /Vo.'v.ssc en
187!!.
Nou- avon- laisse entendre piu-
haut que ce ne serait pa- perdre -on
temps que de -'astreindre a de- re-
cherches nov eiienne-. Files réser-
vent de- surprises. Sans non- cire
livre nous-mêmes à d'infinies inves-
titiations. nous donnerons ici qua-
tre poèmes de Nouveau, que per-
sonne, a noire connaissance, n avait
encore signales.
f' ant/nsies parisiennes
d automne proviennent de
vue l Artiste, dirigée par
Hou-saye. qui les inséra dans
son numéro du 1 mai 1873. e est-à-
dire a un moment où Nouveau
n'avait encore publie que deux poè-
mes, dans la Renaissance littéraire
et artistique, et sous le pseudonyme,
apparemment béarnais ou bigour-
dan. de P. INéouvielle. C'est d'ail-
leurs de ce pseudonyme que sont
également -ignés les .cr.- imprimes
dan- / Irltste. On [-eirouve là. sois
le titre de h anta: s/es punsirnne*.
l. le poème qui dans lu lirnui*-
stiiicr du \ .1 mar- pn-eedent. s'ap-
pelait Vv/e Louis \i Comme il
ligure dans le tome I de l'édition
Brenner-Mouquet. nous nous dis-
penserons de le reproduire, encore
que le texte de [Artiste présente de
légères différences avec le texte au-
ïerieur. Peui-etre ils'v rions-nous, en
reproduisant les vers qui consti-
tuaient le // des Fantaisies pari-
siennes, mettre ce nom et cet ad-
jectif au singulier. Nous ne le fe-
rons cependant pas. par fidélité au
document original. Fin d automne.
dans l'Artiste, suit directement les
Fantaisies parisiennes mais sans se
rattacher à elles.
Le duc de Mésopotamie
Les deux autres poèmes retrou-
vés sont extraits de la Lune Rousse.
qui publia Fille de ferme dan-; son
numéro du 10 novembre 1878 et
Enchères dans le numéro suivant.
le 17 novembre. On sait combien
Nouveau aimait a changer d iden-
tité. S il a quelquefois mis -on véri-
table nom au bas de se- écrits.
il a été aussi pour ses lecteurs
P. .Neouvielle. Jean de Nov es. Hu-
milis. B. La Guerrière, i! a porte
en Angleterre le e.^rn de Bernard
Marie, et sans do ite ne connaît-on
pas tous ses travestissements. Fille
de l'Tnit' et !', ne h >'i'r * -MU eehap:>"
aux chercheur- parce que ieui -•-
unal-.irc etai' : Duc de la Mc-opi.-
•t Fin
la re-
Arsène
poème- n est cependant pas dou-
teuse. Pour être fixe a sou -U|e!.
u siili s de -c reporter aux A'i/o
i)(i; 's?,v;//• '>•. recueilli -s dans le to-
me I île ! édition Pirenner-Mouquet.
puis aux précision.- que. dan- !e
tome 11. donne sur et- \ote*
M. Aimen Lubm. Nouveau, évo-
quant une petilc Madame lolic-
menl élevante, disait : <i t'Aie va
te >"//'. / 'l'itt't'i' d an coitl'''(it' d"
\inne. iiiultiplirr son prulil dan^
les places au haï drs I ictunes. »
\\ décrivait une princesse uajiuanl
li' Bois dans -a voilure aux pan-
neaux clairs, rendant • le salut
in; dur •!'' la ^! <'\o pi>l n m u- -. ci
soupirant : « (Jui me rendra la
fumée //,/ biasier. te joveux mattn
île \avassarl />. M. Armen Lubm
ne s e-t pas mépris en avançant
qu il s'agissait là d'images inspi-
rées par la lecture d un mémoire
-ur l'écrivain arménien Grejroire
Mai;istro-. qui vécut au ,\P siècle
cl qn un empeieur de Bv/.ance éleva
a la diHnite de due de Mésopotamie.
Ce duché aura plu a Nouveau, qui
s eu est théoriquement empare, et
qui n a pas lait mauvais usa-jf du
litre que lui procurait son coup de
force. Si chatouilleux que puisse
être aujourd'hui leur nationalisme,
les Irakiens ne sauraient se for-
maliser des prétentions de Ger-
main Nouveau sur une .Mésopota-
mie rêvée.
l'ascal Piu
ESSAIS
Une nouvelle
forme <T«essai»
Les volumes I et II de Réper-
toire contenaient des études
sur des auteurs aussi diffé-
rents que John Donne et Cha-
teaubriand, Racine et Pound.
etc ainsi que des aperçus
théoriques plus généraux et
susceptibles d'indiquer ce que
pourrait être un second âge
du Nouvoau roman Certains
articles ouvraient des pers-
pectives sur le livre à venir
que les œuvres récentes de
Butor ainsi que celles d'écri-
vains comme Maurice Roche
ou Jean Pierre Paye n'ont pas
encore épuisées. On voit
mieux maintenant que le Nou-
veau roman se dirige de plus
en plus vers une sorte de
formalisme.
I
Michel Butor
Répertoire III
Essai sur les Fessais
F.d. de Minuil. tOK
Sinon p;ir deux articles (La cri-
tique et l'invention — Lu littéra-
ture, l'oreille et l'œil) Répertoi-
re III eM moins directement lié
aux recherche?- littéraires actuelles.
Dans l'en-scmbl.'. Butor s'\ montre
davantage préoccupé par des pein-
tres (Holbein. Monet. \londrian.
Rothko) ou par des écrivains com-
me Diderot ou Rousseau. Avec ce
troisième \olume on \oit l'étendue
du répertoire de 1 auteur de la .Mo-
dification.
Plutôt que de commenter un à
un les articles (ce qui. pourtant, ne
manquerait pas d'intérêt), il peut
être meilleur de situer globale-
ment Répertoire (I. IL III). Butor.
en effet. v adopte une méthode cor-
respondant à une recherche de
nouvelle expression théorique com-
parable à celle qui anime quelques
autres écrivains soucieux de renou-
veler la lorme de lestai parce
qu il:- ne croient plus aux distinc-
tions de genre. L année dernière,
trois « essais n importants ont pa-
ru, qui. sans être directement in-
lluences par Répertoire. témoi-
gnent cependant de préoccupations
formelles semblable.-- : Acte* de Mi-
chel Deguv. le Récit Hunique de
Jean Pierre Fave. I l:xl<ise maté-
rielle de I .c (,le/.u..
Consciemment ou non. Butor,
comme ces Irm- écrivains pourtant
-i différent.-. es| en train d inven-
ter une lorim- qu n:\ peu! appelei
-I 1 on v i-ut le \(>!, v cl i->- .ii Inr-
me qui tend .1 - • di'-l ;iri v --,T .lu
lo.-ophes tendaient à devenir com-
mun>'s. a abolir la frontière même
qui -eparait classiquement parole
et di.-col irs.
l ne œuvre comme le- /'..s-ai.s de
Montaigne .-emhle donc se charger
d une toute nouvelle actualité. (In
a parle. ,1 propos de l'oucault. de
i maniérisme D -- - 1 expression est
inoni-- inexacte cl plu- éclairante
qu il in parait. \olre modernité,
peut-être bien, rejoint les origines
pi ce!a--iq ne- ou elle prend sa sour-
ce : peut-être entrons-nous dan- un
ajjc manieri-te de la pensée. Dans
le M Nouvel essai ». la parole tend
a cire en même temps parole sur
et parole laite île : au-delà du clas-
sicisme de la représentation comme
avant le classicisme. 1 essayiste se
double d'une sorte (particulière) de
poète. L'exemple de Michel Dejru)
est particulièrement net. Dans
Acles. Michel Degu\ parle sur la
poésie, autant qu il tait artc poéti-
que... (.lie/ Butor, cela demeure
discret. Cela se remarque à peine.
Pourtant, c'est peut-être de là que
vient la fascination qu'exercent sur
le lecteur les textes de Répertoire
dont la structure non linéaire et le
st\ le parfois presque éclate miment
en quelque sorte leurs objets plus
qu'ils ne les désignent.
Ce trait de 1 écriture de Butor
apparaît en particulier dan-, -on
Monnini'iit de rien pour \pollinui-
re et dans cet étrange hommage a
\ndre Breton intitulé Heptaèdre
héliotrope qui se termine sur celle
belle phrase qu'il faut citer tout
entière : « () jour iiilerminalile-
inent poignant, cristal attaqué qui
re/aillit. au prix de quels rci allants
efforts, aussi bien a partir il un
Imminent de feuille que d une feuil-
le : froissée, piquée, déchirée, hru-
lee. serrée entre les pitres d'un li-
vre (/u on aurait cru a jamais fer-
me, tout neuf u perte Je rue du
champ de pierrailles. » L'œuvre île
Butor s inscrit dans un mouvement
eonlen.qi'irain i|iu con-i-le a rabat-
tre I u n -u r 1 aut re la parole et le
discours, mouvement dont I impor-
tance sera peut-être considérable.
Le talent de Butor po-scde une
autre iacelle. plus traditionnelle
mais précieuse, qui con-i-le en un
don d aiialv-e et de ra ]enni-vemcnt
de ces livres qu il nous dit tdan- /'/
('.ntii/iic et I invention) cire recou-
verts par leui.- imitation.-, ce.- livre-
fameux dont ceux que nous II.-OMS
ordinai renii nt .1 ne -ont que les
ombre.- » (sadre--aut au lecteur de
son propre livre, il déclare d ail-
leurs avec humour : M am-i von-.
pris ii lire celui-ci, le laite- aux de-
pen- de quelque chet-d œuv re ».)
Sans doute ce n e-t pas un hasard
-i le talent « archéologique » de
Butor .-e mande-le avec ci la! dan-
un autre e-sai qu il vient de pu-
blier. Lssui su: les l'.ssais. une M pré-
sentation » de Montaiiiiie ou 1 ac-
cent se trouve mi> preci-ement -i:r
le » maniérisme i> (le mol ne de-
vant nullement être entendu de
façon péjorative).
La facilite aurait été de se livrer
a quelque brillante exen'è-e u philo-
sophique » et personnelle de Mon-
taigne. Mai- rien n est plus étran-
ger a Butor que ces u herméneuti-
que- » facile:- qui ont succède aux
K phénoménologies ». Son propo-,
plus modeste, est aussi plu- effica-
ce. Ce qui lui permet d approcher
le- Lssais. ,. eoip- divers et ditlor-
me. auquel on ni peut a-.-eoir uv
iienil nv pri.-e ». au moven d une
simple analvse de- tonnes de lieu-
vie. Butor se ré-urne en lui-même
dao- un chapitre qui -crvait d in-
troduction au troi-icme livre des
Essais dan- la Collection 10 X IH :
n \ons VOYOUS alors ce que devien-
nent les hs-ais (icec ce troisième
livre Le premier, a l online, v était
la guirlande île ^rotesinies •( nia-
nienste » autour du tableau cen-
tral dérobe, le discours île la servi-
tude volonlinie. de la Iloetie : le
second, celai/ la forteresse a l ap-
/nirence de jardin autour du pre-
mier et de la traduction de la t/iei;-
loiiie île ^e/xnid Que va être le
troisième unneau sinon le monde
tout autour ' » Par une anaKso
au ras des formes, mettant 1 ac-
cen! -ur le ( marn l'i-r'c -> qui re-
lie Montaigne a -on époque et peul-
elre il h) notre. Bntoi montre com-
ment « le !\[>e de (omposilton qu!
avait d abord un rôle d encadre-
ment, de mise en valeur d un texte
vénère, a /iris une fonction straté-
gique dans le second livre, pour de-
venu, avec le troisième, instrument
d e \ ploralion cl de description ».
La méthode du Butor u tradi-
tionnel » n est pii> moins convain-
cante que celle du Butor u inven
leur de formes ».
Jean- \ oel l aarnei
Une conversion
Pierre Daix
Nouvelle critique
et art modeine
coll. .. Tel (t)uel .,
Le Seuil éd. 20!!
dencc des \,iicur- bourgeoi>t>. C.e /clé cxce--ii I amené a -e pla-
Le » moiieli.....-I aujourd'hui < er - en épigraphe — entre Karl
cvbernelique et tel i rit d'autre- Maix et ('.lande Lev i-Sl rail —. ce
loi- on. pont -e dire ••. modi-riie ... il qui e.-l penl-elre un peu glorieux,
était ei,]..,int d.jdinirci ji-an Du- et il mvo<pier \ndre Breton, ce qui
lourd CM de •. -c lai--er l'-monvoir •. : -1 peul-êlrc un peu abu-if. I! est
pai i'iaiMni- Maunai. devient lieu- vi.ii que -i pour di'vemr lui-même
ici:........! nu! ci ;i< i, ;' • ei.'.i (,)u.iiil d •• 'l1: -! i i-iM i ra--ei de- ,. -equel-
xl ,;.....M : : i - ,i M • ' i< i ! i - lr i (M ï.ic- i* - ' i M -. i i ! •• i '., n ; • j <• >' i i i i--:i n t
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1 Je garde le droit de vous retourner les volumes dans les 3 jours dans
i leur emballage d'origine et serai en ce cas libre de tout engagement.
1 Nom
7~ Adresse
1 i N C.C.P. ou bancaire
\ i
Profession
Banque
Signature
ROMANS FRANÇAIS
i
I
Patrick Reumaux
Les rieurs se Initient
roman. 120 p.
•li//c«rs au Monde
poème.
Coll. « Le Chemin »
Gallimard éd.. 188
L œuv re romanesque de ce jeu-
ne écris ain prolonge une vision
féerique dont se.- poèmes expriment
la poignante nostalgie, écho d'un
autre monde dont les choses d'ici-
bas sont l'imparfaite réplique. La
transparence aérienne et déliée des
récits et des poèmes semble couler
d une source située à la fois en-
deçà du monde réel et dans l'en-
fance, d ou 1 écrivain n est jamais
complètement sorti. Son univers
est le reflet brisé d'une perfection,
idéal platonicien qu'il s'efforce de
rejoindre. Les paysages et les êtres
plongés dans lu brume ont lair ir-
réel et lointain. Il- accusent l'exis-
tence d'une realite lumineuse et
pure. La quête d un autre monde
est la continuation d'un rêve :
étreindre l'image radieuse de l'ab-
solu. Par leur rythme ténu et im-
pondérable, ivre et lointain, les
chansons et les dizains rassemblés
dans Ailleurs an Monde épousent
répancliement d'un son;;e diapha-
ne, délivrent une voix ingénue,
sauvage, effarée, qui ne parv ient
pas à se détacher des enchante-
ment* per\ers de l'enfance.
Poreux à toutes les sollicitations,
ces échappée-. \er- I inconnu qui
affirment I immanence du merveil-
leux, le poêle inscrit signes et prê-
sa^e- dan- le .-oufile du vent ou
le fremi--cment de- ramures. C'est
parce c[u'i! n'e-l jamais parvenu a
.-e délier de- crii\ance- enfantines
que ie poète exil'' "h'-rclic a déchif-
frer autour (le lui !.. preuve d'une
cc>niii\ enci- .-ecrcte .i\ec u:. paradi-
perdu. Ni parole - a .iieim i -c et
-cmliic in;; jour- n-ver di1 -: perdre
dan- I air le plu- frêle, témoignant
d'un accord -lili'il entre le laima-
m\ le r vin me el !e- im.i^c-
Dan- !>•- l'Ii-iu-' se tia.^i'iil. on
(ili-'T\c un Ire- -ublil mel,ii)!ie de
tra!ii<|Uc e! de li-erir. J.inlen-ité
du trafique ttcnl ,tn mer\ei!!cu\
sur i'-((uel -e détache i aventure des
per-onnai.'e*. ce rcse hasard qn il-
pour-mvcnl en mar«;e de la vie.
hanlc- p;ir quelque ailleurs m-ai-
-i--al>lc dan- 1 attente il une étrein-
te avec la moi!, réconciliation fi-
nale, l.e livre contient des paires
superbes. !.. écriture de Patrick
Reumaiix est celle d'un poète, une
écriture par fragments, éclairs, dont
les déchirures laissent voir des
échappées vers ! inconnu. ÏNous
sommes à l'écoute de l'êc.lio assour-
di d'une existence antérieure :
« .Mrs yptix s'ouvrent sur un mon-
de (>tnin/!f. sur le monde de der-
rière la fenêtre, el il me semble
être baigné dans une éternité vi-
vante. » Sans cesse, les personna-
ges plongent de 1 autre côté du mi-
roir à la rencontre d'une réalité
Une interminable
rêverie
terrible. Le Destin. Etres possèdes
par la certitude que leur trajectoire
est écrite par avance. Les forêts.
les prairies, la rivière, le ciel ser-
vent île médiation, sont les inférées
seurs de la Providence. L'animi.-me
qui confère aux pierres ou aux ar-
bre- un sens intelligible fait partie
du message dont toute vie est dé-
tentrice. Telle souche tordut- par
i orage, qui dévie le cours de la ri-
\iere à l'endroit ou l'enfant du
narrateur s est noyé n a pas seule-
ment pour fonction d annoncer un
présage, elle est l'instrument d'une
fatalité qui noue et cienoue sans
cesse des liens secrets. Car tous ces
personnages ont un sens très pur
du sacre.
L'histoire, il est bien difficile
de la raconter, tant le charme, la
qualité du récit tiennent peu à
1 événement, reposent entièrement
sur l'agencement des phrases.
Par le pouvoir d'un style d'une
extrême simplicité, les scènes les
plus banales sont transfigurées par
une lumière qui vient de loin. Au
cours d un voyage. Raphaële ren-
contre Henri adosse au tronc d un
peuplier. Ainsi se raccordent les
deux parties de ce livre où les ha-
sards et les rencontres se produi-
sent avec un naturel admirable. La
passion qui pousse Sandrine, lau-
trc sœur, vers Henri, accomplit un
sort que se jettent les générations,
effet d un envoûtement ou d un
maléfice scellé dans le sang.
Sandrine abandonne sa famille el
s'enfuit avec Henri, à bord d'un
camion volé, décidée à accomplir
son amour jusqu au terme. Mais la
prédestination qui poursuit Hem i
aura raison de leur amour. Recher-
chée par -on frère Constantin, elle
se tuera dan- un accident en vou-
lant lui échapper. Henri reprendre1
-(•'il -a roule avec <, Durement 'tu
lotiil des vei/.v / nnnfe de cette
/<•;;.' ;:,f et de ce petit garçon iju'il
r;/</;/ ouhiic!. n. Inéluctablement,
lous le-, i-lre- -ont tires vers lu nuit,
celle de leur-- songe.-.
Seule- le- femmes, dan- ce livre.
aiment furieusement la vie. Ra-
phaële el Sandrine -ont rongées par
le de-ii et traquent l'homme qui
le< apai.-era. Cependant que le Père
vit dans le soincnir de sa femme
morte, et demande a la lecture des
F.\iingiles un reconfort, ou Henri
avance précède de- ombre- confon-
due- de -a femme et de son enfant.
Médiatrice de la terre au ciel. la
femme habitée par une ivresse dio-
nv-iaque participe des puissance-
pank|iies : tandis que l'homme
nourrit une interminable rêverie.
Comme dans toute tragédie, même
dominée par le surnaturel, la crise
culmine dans l'affrontement des
passions contraires, dans le dualis-
me irréductible qui déchire les
êtres places «ous des dieux oppo-
sés : Dionvsos. Apollon.
Cette belle histoire, d'un sombre
romantisme, évoo/ue tantôt André
Dhôtel, tantôt certains contes de
Kleist. c'est dire la qualité et la
réussite de l'écrivain.
Alain Clerval
10
LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE
En noir et sang
Camilo José Cela
Mrs. Calduiell parle à son fils
traduit de l'espagnol par
Luce Moreau-Arrabal
Denoël,
Les Lettres Nouvelles. 188 p.
Camilo José Cela, père et pape
du roman espagnol de l'après-
guerre, a ouvert pour ses succes-
seurs toutes les portes romanesques.
Ecrit-il la Famille de Pascal Duar-
te, son premier texte, en 1942 :
il fraie la voie de ce néo-réalisme
en noir et sang que l'on a appelé
en Espagne « tréinendisme ». Don-
ne-t-il l'année suivante Pabellon de
reposa : il inaugure, aux antipodes
du premier, le roman où il ne se
passe rien. Avec les Nouvelles
aventures de Lazarillo de Tormes.
il cède à la tentation du pastiche
picaresque, mais dans le même
temps souligne une référence indis-
pensable au romanesque espagnol.
Il actualise plus tard le vagabon-
dage littéraire en donnant, avec
Voyage à Alcarria, le branle à cette
cohorte d'écrivains-voyageurs, les
Goytisolo, les Salinas. les Ferres,
les Candel appliqués à bien dire
le triste, le pénible, le franquiste
aménagement du territoire espa-
gnol. Avec la Ruche, Cela publie
une de ses œuvres les plus origi-
nales sous forme de brefs tableaux
de vies délabrées, dans une sorte
de fouillis lyrique à la Dos Passos.
Mrs. Caldwell parle à son fils est
le cinquième roman de cet écri-
vain-phare à feux multiples qu'est
CJ. Cela.
Mais est-ce bien un roman ? Dès
la première page, toute l'histoire
nous est donnée : Mrs. Caldwell a
perdu son fils Eliacin, mort en
héros dans la mer Egée ; elle chérit
son souvenir en rédigeant des
cahiers où elle lui parle jusqu'à
ce qu'elle sombre dans la folie, la
maladie et la mort. C.J. Cela qui
prétend, dans l'avertissement, avoir
rencontré Mrs. Caldwell lors de
son voyage à Alcarria — et de cli-
gner ici son grand œil ! — s'efface
derrière le manuscrit original de la
pauvre mère, selon un procédé
littéraire qui remonte en Espagne
au Quichotte. 213 fragments de
longueur inégale suivent alors où
l'on parcourt les méandres du sou-
venir, du temps qui brasse passé
et présent dans la tête déraison-
nante de Mrs. Caldwell. Ce n'est
pas un roman, mais une plongée
sous les mots, un bain de poésie,
ou funèbre et riante, ou grotesque
et tragique. On franchit le mur de
la fièvre, on traverse le miroir des
paroles, on touche le fond de l'âme,
on perd toute conscience, on meurt
dans le délire. Qu'est-ce qu'un
roman ? Le plus sérieusement du
monde, C.J. Cela propose, ailleurs,
cette définition : « Un roman, c'eut
tout ce qui, publié sous forme de
livre, comporte sous le titre, et
entre parenthèses, le mot roman. »
C'est pourquoi l'édition des Lettres
Nouvelles a préféré pour sous-titre
le mot récit, ce qui permet de
sauver la face, et nous autorise à
ranger ce livre, comme le voulait
Maurice Blanchot, « loin des gen-
res, en dehors des rubriques, prose,
poésie, roman, témoignage, sous
lesquelles il refuse de se ranger et
auxquelles il dénie le pouvoir de
lui fixer sa place et de déterminer
sa forme ». C.J. Cela a écrit là une
œuvre tout à fait originale — et
par là même peu prisée dans son
pays —. en dehors des caîégories
sclérosées du roman.
Point de « il ». de « eux », de
témoins, de protagonistes, mais une
ges funèbres montent des « eaux
grises de sang ». La mort est ins-
crite sur la mer, sur les choses. Les
yeux éteints de l'enfant sont peints
sur la proue des navires. Les co-
lombes sublimes empoisonnent les
flots et clouent au sol « arec d'in-
visibles et longues épingles les
enfants qui se miraient, absorbés,
dans les eaux ». Inconsistance du
souvenir, inconstance de la vague,
de l'image qui fuit « mouette hon-
teuse par les chemins que la mer
efface ». Douleur cruelle de l'ab-
sence, le jour est morne, la ville
est triste. la vie se cramponne à
continuelle apostrophe, un « tu ».
un « toi ». « mon amour ». « mon
enfant » qui imposent au lecteur
le rôle d'interlocuteur, et font
qu'interpellé, pris à partie par Mrs.
Caldwell. il est saisi d'une intense
émotion. Le récit est constitué par
ce dialogue outre-tombe, outre-mer,
entre la mère et ce fils absent, ce
fantôme muet, ce souvenir qui
fuit, qui glisse, poisson insaisis-
sable sous les algues qui peu à peu
entravent la raison de Mrs. Cald-
well.
De cette descente au fond de son
cœur, sous la mer. elle rapporte
d'admirables coquilles de nacre
polies par les pleurs. « D<> tes yeux
sort un minuscule poisson aveu-
gle... ». « ton crâne... seri désor-
mais de chambre nuptiale aux
méduses »... De somptueuses inia-
it la gorge étroite du sablier ». Le
temps n'en finit pas de crouler.
« Nos mains, Eliacin, sont collées
au malheur. » La mer est « pleine
de clous ardents »... Et Mrs. Cald-
well est là. figée sur place comme
la rêveuse des dessins de Copi (« Je
ne suis plus celle que. j ai été »).
à creuser sa mémoire, à sonder ses
blessures, à gratter les croûtes de
ses plaies.
La vérité, c'est qu'elle aimait
son fils, qu'elle l'aime trop, qu'elle
n'aime que lui. et d'un amour
total, c'est-à-dire incestueux, et
rêve de l'envelopper dans les « rets
de riolentes et fécondes amours
inavouables ». Dans le rêve, par
1 exclusivité du rêve et la fuite
d'un réel douloureux, Mrs. Cald-
well puise quelque bonheur, soit
qu'elle danse un langoureux tango
dans les bras dp son fils, ou qu >!•-<•
s'unisse enfin à lui par le mariage.
Amour impo^ible. tendresse as-
soiffante. desséchante, quête épui-
sante, ce livre nous fait descendre
savamment les degrés de la dé-
mence, du seul refuge où la mère
peut retrouver Eliacin. son salut,
son lx>nheur.
Elle laisse alors ces eaux « grises
de sang » l'envahir, elle se bar-
bouille de bouc. « par rire ». dit-
elle : sur son lit d'hôpital, elle
découvre sur l'oreiller, au matin,
l'image >auglante de son fils : « les
silhouettes (/ne je fabrique pour
toi. issues île mes reines, nuit après
nuit ». Puis, inondée, étouffée par
l'eau, par la nausée, par la mer.
elle plonge définitivement dans
l'agonie, sous l'opaque.
Ce monologue fait penser à
Faulkner, bien sûr. et aussi aux
pages brûlantes d'une Katherine
Maiisfield. Chez Cela de même
l'humour est une manière de dé-
tourner les flots nauséeux du pré-
sent. La tuberculose ? Ce n'est rien
d'autre que la facétie du jeune
Luekv Koch (C.J. Cela chasse, par
là même, le mauvais souvenir de
son séjour au sanatorium de Nava-
cerrada). Le suicide '{ u Le véro-
nal. mon enfant, doit se consom-
mer avec du Champagne ». etc. On
a parlé d'humour anglais en in-
voquant l'ascendance britannique
de l'auteur dont le nom patrony-
mique complet est Cela Trulock.
L'humour peut-il se mesurer au
niveau des chromosomes ? S'il y
a de l'humour à l'anglaise, un
détachement face au tragique, c'est
tout simplement parce que Mrs.
Caldwell est anglaise, tout comme
l'inénarrable oncle Albert, ce col-
lectionneur de fleuves qui rêve de
fonder une Fédération Internatio-
nale des Fluviothèques, ou comme
Sir David. « châtreur de cailles et
membre d'honneur de la Société
Royale de Géographie de Guy-
nedd ». Mais la teinte dominante
du récit est le noir et sang, couleur
de l'Espagne. Cet onirisme est bien
souvent scabreux, comme chez Bu-
nuel. Les passages où l'on parle
de masturbation (n°' 69 et 198)
ainsi que tout le fragment 204 du
mariage incestueux ont été expur-
gés de l'édition espagnole (qui de
ce fait ne compte que 212 frag-
ments). La censure espagnole avait
déjà saisi Pascal Duarte à sa pa-
rution et forcé son auteur à publier
la Ruche en Argentine. Il a donc
fallu attendre quinze ans pour con-
naître le texte original de Mrs. Cald-
well. et c'est bien là le mérite
suprême de cette édition française.
On comprend pourquoi Arrabal est
devenu un auteur français. Et on
est heureux rjue Camilo José Cela,
appliqué à décrire l'itinéraire poé-
tique, hallucinatoire de Mrs. Cald-
well, ce cheminement douloureux
mi-tragique, mi-burlesque de la
folie, ait pu recouvrer en notre
langue, et dans une traduction
fidèle, sa liberté d'expression.
Albert Bensoussan
La Quinzaine littéraire, du 15 au 31 mais l'fbti.
CONGRÈS
L'acte d'écrire
Peut-on parler de « l'acte d'écrire »?
Les 17 et 18 février, sous l'égide de
la Société de Symbolisme, deux cents
personnes, philosophes, poètes, méde-
cins et critiques étaient réunis sous la
présidence active de Georges Blin,
professeur au Collège de France. Ils
avaient la caution du • grammatolo-
gue • Derrida, et une table ronde
devait rapprocher de la parole des
communications très écrites.
On s'accorda assez vite sur Tinter
rogation méthodologique que proposé
rent André Grabar, (les images peu-
vent être une écriture dans leur enga-
gement à communiquer une leçon se
Ion un code plus universel que les
langues) et Robert Olivaux, pour qui
la graphie est un langage. Paul de Man
montra une contradiction historique
dans la critique préromantique du
symbolisme et Georges Mounin sou-
tint que les systèmes de signes ne
sont pas le langage, que la sémanti-
que des images relève de la sémio-
logie.
Si Ion veut se faire une image
du langage, il faut se référer à l'es-
pace : pour Gérard Genette, c'est un
espace que décrivent les « figures « ;
pour Deguy, le mot est « une grille
où s'inscrira la circonstance » ; pour
Mounin, les faits analysés par la sty-
listique se situent dans des connota-
tions, une « frange • des mots. A
l'espace absolu du langage on con-
fronta l'expérience d'un « espace dis-
symétrique «, selon Lévinas, pour les
entreparleurs.
Mais qui est présent dans l'acte
d'écrire ? Pour Michel Deguy, poète,
l'écriture veut l'absence du lecteur,
mais aussi celle de l'écrivain, qui
meurt à soi-même pour s'ouvrir à
I' « élément » du poétique, où la mé-
taphore est seule présence ou hantise.
Très loin de ces accents mallarméens,
Olivaux indiquait la symbolique sexuel-
le de l'apprentissage de la plume, des
bâtons et des lignes, et développait
une analyse très nouvelle du rôle de
la main et de l'outil ; les maladies
de l'écriture dénoncent son jeu nar-
cissique, voire masturbatoire. On re-
connaissait alors une même leçon :
solitude de l'acte d'écrire, mais avec
appel vers un complice absent, le lec-
teur.
Bien plus, pour Jacques Derrida
l'écriture est absence dans son mou-
vement, comme trace qui s'efface en
se présentant : le mot énoncé ne
signifie que si un autre, pour le com-
pléter, l'a suivi. Derrida insista encore
sur l'idée que l'autre, lecteur ou inter-
locuteur, est toujours absent : qu'il
ne peut être connu comme autre
qu'absent.
Le « scripteur » est seul ou annulé,
l'écriture est effacement, le lecteur
est ailleurs ? Avec Georges Blin les
poètes répondaient que la poésie
comme parole se révolte contre l'ab-
sence ; elle est mortelle comme le
grain qui lève. Seule résistance aux
philosophies de l'écriture, elle y ga-
gne en sérieux ; et Yves Bonnefoy
conclut sur ce « salut inaccessible,
mais que la poésie désignerait comme
un besoin ».
Le dialogue, multiple, n'a pas eu
lieu seulement entre des disciplines,
mais entre des personnes, toutes pré-
sentes à l'importance des problèmes
évoqués.
Martine de Rougemont
La poésie américaine a tou-
jours mis un certain temps à
nous atteindre. Oui connaît
ici, sauf les spécialistes,
quelques gloires américaines
telles que Robert Frost ou
William Carlos Williams ?
Cummings, qui a l'âge d'Ara-
gon, est également à peu près
inconnu en France. Cela va
peut-être changer avec la pu-
blication d'un Cummings dans
les « Poètes d'aujourd'hui »
chez Seghers et surtout avec
les Cinquante-huit poèmes de
Cummings que publie Chris-
tian Bourgois. Notre collabo-
rateur Serge Fauchereau, qui
va incessamment publier un
ouvrage sur la poésie amé-
ricaine contemporaine, nous
dit qui est Cummings.
E. E. Cummings
Cinquante-huit poèmes
traduit de l'américain
par D. Jon Grossmann
Christian Bourgois éd., 160 p.
Avec ces poèmes on nous annon-
ce la parution prochaine de la
Grande chambrée, la plus célèbre
œuvre en prose de E. E. Cummings.
C'est au début de ce roman auto-
biographique qu'on trouve l'anec-
dote souvent citée : « Est-ce que
vous détestez les Boches ? » deman-
dait, en 1917, un officier français
chargé d'interroger un ambulancier
américain ; « Non. J'aime beau-
coup les Français », répondit le sus-
pect. Et Cummings se retrouva
pour quelques mois en prison. Ain-
si, ses rapports avec la France
commençaient mal : on le prenait
déjà pour un autre. Il a fallu atten-
dre les années soixante pour qu'un
volume lui soit enfin consacré. Au-
jourd'hui, ces Cinquante-huit poè-
mes représentent le plus large
choix de poèmes de Cummings pu-
blié en France ; les amateurs de
Cummings regretteront de voir
Un Apollinaire
E.E Ctimmmgs
reprises ici des traductions de poè-
mes qu'ils avaient trouvées ailleurs
mais d'autres penseront qu'il est
commode de les posséder dans ce
volume face au texte original.
Le dernier Grand Larousse résu-
me admirablement l'idée que l'on
se fait en France du poète E.E.
Cummings en l'appelant « un Apol-
linaire anglo-saxon ». On ne peut
pas dire que cela soit absolument
faux puisqu'il partage avec le poè-
te français deux points communs :
ses poèmes d'amour sont nombreux
ainsi que les recherches typographi-
ques (sans rapport avec les calli-
grammes cependant). Pour le res-
te, Cummings est à peu près le con-
traire d'Apollinaire, ce qui ne doit
guère nous étonner puisque pour
avoir vécu la même guerre, ils
n'en sont pas moins de générations
différentes.
D. Jon Grossmann, qui a choisi
et traduit ces poèmes, a voulu ren-
dre compte de la variété et de l'évo-
lution de la poésie de Cummings
en prenant des poèmes dans cha-
cun de ses recueils et en s'effor-
çant de représenter la plupart des
grands thèmes du poète. De ce
point de vue, le choix est équitable.
M.
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43 rue du Temple, Paris 4.
(..C.l'. I :»..-).") 1.53 Paris
12
anglo-saxon ?
Il faut cependant savoir que pres-
que un tiers des poèmes de Cum-
mings est proprement intraduisible
tant il a poussé loin la désagréga-
tion de la forme : ces poèmes qui
ont éclaté sur la page, où les mots
grammaticalement changés de na-
ture sont coupés, soudés, réassem-
blés ou ponctués de points et vir-
gules entre leurs lettres sont peu
nombreux dans ces Cinquante-huit
poèmes, évidemment, mais qui son-
gerait à le reprocher au traduc-
teur ? Le poème « Sauterelle » ou
« Mon père... » en donneront pour-
tant une idée, ou bien encore ce
poème-conversation en argot pseu-
do-phonétique :
iFO
thune
tucon
thune c'est
tucon prensez
ifo sang
tucon prensez sales
ifo sang débarrasser
Le poème n'est pas obscur :
lorsqu'on a compris comment il
procédait, il apparaît même fort
simple. Mais les trouvailles de
Cummings ne sont pas de l'ordre
du truc : il a voulu donner ici un
équivalent écrit des distorsions de
la langue populaire. Il ne s'agit pas
d'un divertissement comique :
c'est l'homme de la rue qui parle
pendant la guerre (les paroles de
son interlocuteur ne nous parvien-
nent pas) et qui espère en finir
avec ces « salopards jaunes » — de
la manière que l'on sait. Le traduc-
teur a dû regretter avant ses lec-
teurs de ne pouvoir introduire un
plus grand nombre de ces poèmes
où !e langage est traité de façon
si nouvelle qu'on a d'abord l'im-
pression de se trouver devant quel-
que langue inconnue, alors même
qu'il nous apporte la révélation de
quelque chose de tendre, de comi-
que ou. ici, de très cruel.
La poésie de Cummings est ex-
trêmement variée : il y est ques-
tion d'enfants, d'oiseaux ou de
fleurs comme de danseurs de shim-
m\ mais on peut remarquer avec-
William Carlos Williams que
« beaucoup de poésies de Cum-
mings — voire toutes — sont les
évidences de l'amour » : il est de la
génération d'Eluard et d'Aragon en
France, de Robert Graves en Angle-
terre. Cummings peut écrire sans
fausse pudeur certains poèmes qui
sont parmi les plus beaux qu'un
poète de langue anglaise ait écrits.
Les vers suivants permettront en-
core de juger s'il est un poète her-
métique :
j aime mon corps lorsqu'il
est avec ton
corps. C'est une chose
tellement neuve.
Muscles meilleurs et nerfs plus,
j'aime ton corps, j'aime ce
qu'il fait.
j'aime ses continents, j'aime
sentir Véchinc
de ton corps p.t ses os,
et le tremblant
— ferme-lisse et que
encore et encore et encore
j'embrasserai, j'aime embrasser
ton ceci ton cela,
j'aime lentement caresser le
duvet chargé
de la toison électrique
et le secret qui vient
sur une chair qui s'ouvre...
Et les yeux gros d'amour,
et peut-être j'aime le. frisson
de sous moi tellement neuve loi
On applique souvent à Cum-
mings les étiquettes d'individualis-
te et d'anarchiste ; il n'a cepen-
dant jamais pratiqué la poésie en
mandarin : peu de poètes ont été
autant concernés par leur propre
société. Son œil voit juste ; tel poè-
me satirique (« Les dames de Cam-
bridge ») met en scène des person-
nages grotesques, ses concitoyens,
tel autre naît d'un événement mon-
dain ou politique :
pourquoi cette foule
un accident ? quelqu'un a eu
une comrno-
lion du cerveau '? — Pas
du tout mes chéris seulement
le premier
ministre du Siarn en costume
national, qui
sortant d'une pissotière
entre brusquement dans
Notre-Dame
Si Apollinaire parvenait à trou-
ver parfois la guerre « jolie ». il
n'y aura rien de plus effroyable
pour Cummings. Nombreux sonl
les poèmes exprimant son horreur
devant la guerre (« Renvoyez-le /
à sa vieille mère dans / une jolie
boite de sapin neuve / en porl dû « )
et son mépris pour toutes les for-
mes de patriotisme (« la beauté de
ces morts heureux et héroïques » ).
Cummings savait déceler « la cul-
pabilité, cet atroce fléolh » et c'est
ce qui le faisait se raidir dans une
attitude d'individualiste pessirnisle
et irréductible :
« Rien » en 1944 apr. J.-C.
« ne. peut résister à l'argument des
exigences militaires » (le
généralissime p)
et l'écho répond « il n'y a pas
d'appel
contre la raison » (Freud) — tu
alignes ton fric et
tu ne choisis pas. Que c'est
beau la liberté
Homme du XXe siècle, Cumming.-
vécut toujours entre le retour du
printemps et les morts d'Hiroshi-
ma, entre l'espoir et le désespoir,
et cela, nul ne 1 a mieux exprimé
que lui-même dans un de ses poè-
mes les plus célèbres :
Humanité je t'aime
Humanité je te hais.
Serge Fauchereau
DOMINIQUE
FERNANDEZ
l'échec
de Pavese
Thèse soutenue avec éclat, où la méthode psychanalytique de
déchiffrement vient donner aux autres disciplines critiques
l'instrument qui coordonne leurs résultats et enracine ceux-ci
dans l'organisation psychique de l'écrivain.
MARTHE ROBERT Le Monde
Tout restait encore à dire sur Césare Pavese: Voilà qui est
mené à son terme aujourd'hui, magistralement, dans une ample
étude que je tiens pour un modèle d'intelligence et de subtilité
critiques.
ROBERT ABIRACHED Quinzaine Littéraire
Le travail de Fernandez a la qualité rare et éminemment enri-
chissante de voir le problème et de l'attaquer de face : jusqu'où
peut-on aller dans l'interprétation d'un homme par l'œuvre et
d'une œuvre par l'homme ?
MADELEINE CHAPSAL L'Express
Un très grand essai critique.
Dominique Fernandez a eu l'intrépidité peu répandue d'étudier
un écrivain en posant comme hypothèse de départ que la
méthode psychanalytique avait peut-être à dire sur Pavese
deux ou trois choses que Pavese ne savait pas de lui.
CLAUDE ROY Nouvel Observateur
Du même auteur :
Mère Méditerranée
GRASSETi
LOUIS
GUILLOUX
Grand Prix National des Lettres 1967
la confrontation
Plutôt que le bilan d'une vie, c'est peut-être celui d'une
sensibilité que nous donne Louis Guilloux dans ce bref
roman en forme de monologue et d'exhortation.
JEAN GAUGEARD
La Quinzaine Littéraire
GALLIMARD
lettres françaises
COLLECTION H
ANALYSES STYLISTIQUES
par Yves LE HIR, professeur à la Faculté des Lettres de Grenoble
COLLECTION U
ÇA LITTERATURE COMPAREE
par Claude PICHOIS, professeur à l'Université de Baie
et André ROUSSEAU» chargé de conférences à la haculté des Lettres
et Sciences Humaines d'Aix
ELEMENTS DE LINGUISTIQUE GENERALE
par André MARTINET,professeur à la Sorbonne
LA CRITIQUE LITTERAIRE EN FRANCE
par Pierre MOREAU , professeur à la Sorbonne
\RMAND
La Quinzaine littéraire, du 15 au 31 murs 1968
13
La poésie arabe
i
de la littérature
arabe contemporaine
T. III : lu Poésie
Le Seuil éd.. 256 p.
Depuis l'époque antéislamique.
la poésie n'a fessé d'être floris-
sante et d'exercer sur les Arabes
une véritable fascination. Prestige
immémorial de cette parole que
la « descente n du Coran allai! con-
sacrer et immortaliser. Le \erbe
sémitique, en effet, est créateur, et
a I Arabe qui se concentre en lui.
il offre l'unique chance tic subli-
mer la realite insipide ou doulou-
reuse. Cet effort de transfiguration
na pas toujours anime les poètes
des premiers « Moallaqat » et de
la (c qassida » (sorte d'ode mono-
rime) qui ont rarement dépassé les
limites du folklore et du conven-
tionnel. Avec la « .Nahda ». renais-
sance des années 1HJO-1920. et la
période actuelle, il semble que la
poésie ait retrouve sa vocation uni-
verselle.
L Anthologie de la littérature
arabe contemporaine, parrainée par
Jaeques Berque. a précisément le
mérite de « saisir l'expression que
les Arabes se donnent de leur être
contemporain et de faire avec eux
le tour de- leurs problèmes qui. pour
la plupart. nous concernent ».
Après le recueil des œuvres roma-
nesques, celui des essais, dûs res-
pectivement à Makarius et à
Anotiar Abdel-Malek. Luc Norin et
Edouard Tarabay présentent la tra-
duction de quelque cent cinquante
poèmes venus de Baghdad et du
Caire, de Beyrouth et de Damas,
du Soudan et de Jordanie. La pré-
face de Georges Henein et le com-
mentaire des anthologistes appor-
tent à ces œuvres un éclairage ef-
ficace.
Si Luc Norin et Edouard Tara-
bay ne cachent pas les difficultés
rencontrées au cours de ce travail,
ce n'est pas là précaution de vanité.
On peut leur reprocher d'avoir réu-
ni, dans un souci égalitaire. des
poètes mineurs et des chefs de file :
mais on ne peut leur tenir rigueur
d'une réussite incomplète. La lan-
gue arabe, sensitive et imagée, se
laisse mal appréhender par notre
dialectique, pas plus que le mode
circulaire, concentrique de sa pen-
sée et son système de versification
sans rapport avec le nôtre. Dès lors,
par quel sortilège pourrait-on res-
tituer les effets d'une langue où
seules apparaissent les consonnes,
socle de l'étymologie et signe de
toute une gamme de sentiments at-
tachés à la racine primitive, « sa-
phir qui garde sa consistance mai-
gré la poussière et recouvre son
éclat dès lors qu'une main pieuse
a pris soin de le nettoyer », disait
Khawam, alors que W. Marçais la
comparait à une lyre dont on ne
touchait pas une corde sans en fai-
re vibrer toutes les autres. Les
voyelles, elles, symbolisent le souf-
fle vital et décident du rythme, non
pas arithmétique, mais organique
du poème, selon la fréquence des
accents toniques.
Le danger du catalogue menace
le critique autant que l'anthologis-
te. 11 n'en faut pas moin-; rappeler
les grandes écoles poétiques qui se
sont succédé depuis la \ahda : le
néo-classicisme, respectueux mais
esclave aussi de la tradition, regrou-
pa autour de Chavvqi. dont la poé-
sie courtisane se mua en chant pa-
triotique à la faveur de l'exil, les
noms de Tâmer Mallâr. Mutrân.
al-Akkad. Hâfi/ Ibrahim. De la
génération du mahjar (l'exil), per-
sécutée ou frappée d'ostracisme par
le-- Ottomans, le nom de Klialîl Ju-
brâa reste le plus haut titre de no-
blesse et il brille en effet d'un lu-
trc incontesté, aux côtés de Cheiili'.
de Khâlid al-Chauùf ou d'Abou Mà-
di. dont ce poème Limon, est parti-
culièrement célèbre :
Limon, lu es limon. .\'c te dis pu*
plus pur. plus haut placé
Que la terre ou tu marches et
reposes la tête
Roi ou serf, tu es l animal
qu'enserré le destin
Le château que tu construis sera.
pierre à pierre, détruit
Ton vêtement, tisse par toi. déchire
Que ton cit'ur n'abrite la discorde
Car mon cii'iir. en lui-même
changé, est /lerenu temple
(l amour
Plus que toi je mérite l amour :
Plus que le rëlernent promis à la
mort :
Plus que l or dont le trésor tarit...
Avec Saïd Akl ou Bichr Fârès.
la poésie se fait à la fois sensation
et connaissance. Les vers de ces
symbolistes ont des accents tout
mallarméens et Entre deux claires
extases de Joseph Sâyegh n'est pas
sans rappeler lanabase de la cons-
cience chez la Jeune Parque.
Quant aux jeunes courants poé-
tiques d'aujourd'hui, ils sont mul-
tiples. Les plus audacieux de leurs
aèdes sont-ils ceux qui démantè-
lent l'écriture, comme Ounsi al-
Hâj. admirateur de Breton et d'Ar-
taud, ou ceux aui l'adaptent à
l'irrépressible jaillissement révolu-
tionnaire, les Iraquiens. les Jorda-
niennes comme Fadvva Touqân ou
Salma al Javoussi 'f On peut aussi
souhaiter l'avènement d un temps
où l'art ne sera plus simple reflet
des contingences et mobilités so-
ciales, mais « expression » vérita-
blé.
Ce n'est pas le moindre mérite de
cette anthologie que de nous ame-
ner, pour la plupart, à réviser les
connaissances que nous avions de
la poésie arabe. L'histoire a em-
porté l'imagerie d'un Orient de pa-
cotille, orné de princesses lointai-
nes, d'émirs ou de palais khédi-
vaux. Et ce que nous savons dé-
sormais de cette poésie nouvelle,
c'est sa volonté de recherche et son
pouvoir de contestation. Notre
curiosité, ainsi alertée, ne s'arrête-
ra pas en chemin.
Michèle Cote
Un grotesque
pathétique
I
Pierre Dnmmcrgue.-
Saul Bellow
Grasset éd. 250 p.
L intérêt que présente aujour-
d'hui Saul Bellov\ pour la littéra-
ture contemporaine, semble expli-
quer, sinon justifier pleinement,
que l'on entoure d'un grand dé-
ploiement d'exégèses ia publication
de la pièce en un acte qui forme
le « noyau » de ce petit livre.
Certes, le recueil comprend les
souvenirs de l'excellent historien
de la littérature Alfred Ku/.iu. qui
viennent à point pour tracer un
portrait vivant de la jeunesse de
Bello\\. Mais, de toute évidence,
c'est la pièce elle-même qui polarise
l'attention et donne à la publica-
tion sa raison d'être.
l'n grain de beauté peut être te-
nu pour une œuvre mineure si
l'on s'en tient à des critères conven-
tionnels. C'est un texte bref — un
acte — dont le sujet paraît, à pre-
mière vue. fort mince : un savant
génial, couronné par un prix No-
bel, fait un détour considérable,
au cours d'une mission officielle,
pour aller satisfaire, en Floride, une
obsession qui le poursuit de.puis le
temps de son enfance.
Quelle est donc cette importante
affaire qui le détourne de graves
préoccupations scientifiques, voire
politiques, et risque de compromet-
tre une négociation internationa-
le ? Tout le mérite de l'auteur est
précisément de savoir nous le faire
comprendre. Car si le savant man-
que ainsi à ses obligations, ce n'est
pas pour retrouver la femme vul-
gaire et totalement dépourvue d in-
térêt qui est le prétexte de son es-
capade.
Avec un humour sarcastique.
Bellow nous révèle quel est le pro-
pos secret de cette démarche.
L'hoaime de science, universelle-
ment connu et admiré n'a jamais
pu oublier l'émoi ressenti par lui.
plusieurs di/aines d années plus
tôt. lorsqu'il a découvert, au cours
d'un jeu hardi et puéril, le grain
de beauté caché à l'emlroit le plus
troublant du corps d'une de ses
petites camarades. Et le voilà, par-
venu à la gloire, qui supplie une
dame assez mûre, dont la mémoire
n'a pas gardé souvenir de 1 inci-
dent, de se trousser pour dévoiler,
une lois encore, le grain de beauté
merveilleux.
Mais, comme dans lc.~ tableaux
de Gocrg. le grotesque ici. est
monstrueusement pathétique. Le
génie ne va-t-il pas jusqu à dévoi-
ler un secret d'Etat en échange de
ce qu'il demande '.'
Comme dans Herziig. mais par
des raccourcis plus frappants en-
core. Bellow met en scène l'ab-
surdite dérisoire des rapports en-
tre les êtres dès que se tjouve fran-
chi le cerceau de papier des con-
ventions et des mythes : car le
grand savant ne s'avilit pas lors-
qu il se traîne à quatre pattes jus-
que sous les jupes de la dame : il
se trouve simplement transporté,
comme Herzog, dans un univers
obsessionnel, très proche de celui
de la raison. A la différence de
la bouffonnerie qui est l'apanage
des Idiots dostoievskiens. le gro-
tesque qu exprime Bellow — avec
sa marge d'humour à froid — n'a
rien de la vision tragique. Elle
tient du constat plus que du plai-
doyer. Il est quelque chose de scien-
tifique même dans son aberration.
En fait. Salomon Ithimar. l'anti-
héros de la pièce, incarne et expli-
que la folie d'Henderson — « le
Faiseur de Pluir —. de même
qu'il reprend à son compte le rôle
de la « Victime » ou assume un
échec vé"u. malgré les apparences.
» Ai' Jour le Jour ».
Cette œuvrette significative est
sans doute l'une des pièces impor-
tantes à verser au dossier de Saul
Bellow.
Marc Saporta
14
DÉCLARATION
Déclaration d'écrivains et d'artistes
1. Aucun des projets actuellement
soumis à l'examen des Parisiens et
du Conseil Municipal ne peut être
retenu sans engendrer des inconvé-
nients graves et, à certains égards, ca-
tastrophiques pour l'avenir de la ville.
La répartition arbitraire des zones di-
tes de restauration (c'est-à-dire à con-
server) ou de rénovation (c'est-à-dire
à remplacer) — et donc l'ampleur des
destructions qui en résultent, sont
injustifiables. Le problème, tel qu'il a
été posé au départ, préjuge une solu-
tion visant à désarticuler le quartier
afin de réaliser une opération de pres-
tige, contestable dans son principe ;
le programme qui a été établi est écra-
sant, confus et contradictoire.
2. En outre, ce programme est en
opposition flagrante avec les princi-
pes du vrai schéma directeur de Pa-
ris, qui fixe légitimement autour des
gares les pôles de croissance néces-
saires et le dégagement corrélatif du
centre de la ville.
3. L'évacuation progressive du mar-
ché de gros vers Rungis, qui doit être
réalisée au cours de 1968-1969, n'en-
traîne nullement la nécessité d'une
démolition massive du quartier des
Halles, mais seulement, d'une part, un
« aménagement » des deux espaces
vides : celui du plateau des Halles
proprement dites (où se trouvent les
hangars de Baltard) et celui du pla-
teau Beaubourg (laissé béant depuis
de nombreuses années, dans l'attente
de la solution radicale que l'on révèle
maintenant) et, d'autre part, une étu-
de du « traitement » à donner aux
îlots et groupes d'îlots qui, du fait du
départ du marché de gros, vont subir
une sorte de mutation sociale. Seule
l'excessive ambition du programme et
des projets officiels, entraîne des dif-
ficultés énormes de financement. M
n'y a aucune espèce de nécessité à
procéder à un éventrement général de
la rue du Louvre à la rue du Temple,
et à ouvrir au centre de Paris un
chantier géant qui a toutes les chan-
ces de se poursuivre quinze, vingt ans
et davantage, au scandale et au dé-
plaisir de toute une génération.
4. Une interprétation tout à fait dif-
férente de celle qui a été suivie par
les pouvoirs publics, semble s'imposer
et recueille déjà l'assentiment massif
de la population. Si l'on veut bien
avoir présente à l'esprit l'épouvanta-
ble erreur qu'a été, il y a un siècle, la
« modernisation administrative » de
l'île de la Cité, on est amené à récla-
mer un traitement intelligent et sensi-
ble de toutes les zones avoisinant le
fleuve, rive droite et rive gauche. Ce
traitement doit évidemment tenir
compte du merveilleux cadre histori-
que qui subsiste partout et dont on
comprend mieux l'intérêt et les possi-
bilités depuis les restaurations récen-
tes du quartier Saint-Séverin, par
exemple, et le nettoyage systémati-
que des façades, dû à l'initiative du
Ministère des Affaires Culturelles, qui
a suscité un renouveau d'attention
pour le « paysage urbain ».
5. L'intérêt ainsi porté par la po-
pulation — la plus modeste comme la
plus cultivée — au cadre même de la
ville, impose à un urbanisme moderne
une attention précise aux chemine-
ments, aux trouvailles de l'architectu-
re et des agencements d'autrefois. Ce
sont là des réalités sensibles qui ne
ce réinventent jamais et qui sont le
secret de l'originalité et du charme
de Paris et l'une des raisons d'être de
son prestige universel : la rue Saint-
Honoré, la rue Saint-Denis tout entiè-
re, la rue de la Ferronnerie, la rue
Quincampoix sont des réalités natu-
relles et attirantes qui ne peuvent
être sacrifiées. Il est clair qu'elles ré-
clament une réhabilitation urbanisti-
que et sociale et ne peuvent — en
1968 ! — être détruites ou profondé-
ment mutilées par une décision capri-
cieuse et désinvolte.
6. Les possibilités du quartier, com-
merçantes et « culturelles » (au sens
universitaire et au sens le plus large),
n'ont pas été sérieusement étudiées,
ni ses ressources en architecture et
décors anciens, voilées jusqu'ici et dé-
figurées par l'extension du marché en
gros. Les témoins irremplaçables qui
donnent à une ville sa physionomie et
sa séduction, sont moins les « monu-
ments » que les ensembles complexes
où tout se rassemble. C'est encore
aujourd'hui, comme autrefois, l'un des
buts les plus élevés que doive se
proposer l'architecture urbaine de no-
tre temps. Toutefois, une composition
résolument moderne possède un ry-
thme propre, qui ne peut s'épanouir
que dans des conditions très diffé-
rentes de celles qui lui seraient fai-
tes aux Halles.
7. Le quartier des Halles, largement
défini, est la liaison naturelle et né-
cessaire entre les quartiers du Palais-
Royal et de la place Vendôme, et ce-
lui du Marais : ils sont tous égale-
ment et diversement riches de réso-
nance. Au moment où, de l'avis des
technocrates eux-mêmes, nos sociétés
entrent dans l'ère des loisirs, Paris
se doit et doit à la jeunesse, qui d'ail-
leurs s'y passionne, de préserver et
d'exalter pour l'avenir les qualités
spécifiques d'un paysage urbain, dont
on ne saurait exagérer l'apport et la
portée dans la culture.
André Frénaud, Jean Cortot, Jacques
Busse, Jean Follain, Max-Pol Fouchet,
Louis-René des Forêts, Jean-Louis Bar-
rault, Madeleine Renaud, Roger Cail-
lois, Charles Lapicque, Alain Cuny,
Yves Bonnefoy, Jean Tardieu, André
Chastel, Robert de Billy, André Mas-
son, Bernard Pingaud, Jean Bazaine,
Huguette-A. Bertrand, Eugène Guille-
vic, Jacques Lassaigne, Edouard Pi-
gnon, Marie-Jeanne Durry, Pierre Em-
manuel, Georges-Emmanuel Clancier,
Michel Leiris, Maurice Nadeau, Pierre
Soulages, Alfred Manessier, Hélène
Parmelin, Jacques Reda.
Parmelin, Jacques Reda, Louis Aragon,
Pierre Daix, Georges Boudaille, Jean
Bouret, Sonia Delaunay, Raoul Ubac,
Jacques Dupin, André Beaudin, Jeanne
Laurent, Suzanne Roger, Roger Vieil-
lard, Garbell, Anita de Caro, Aimé
Maeght, Karel Appel, François Fiedler,
Pierre-Jean Jouve, Marcel Arland, An-
dré du Bouchet, Roger Derieux, Michel
Deguy, Claude Roy, Janine Arland, Jac-
ques Hilairet, Lise Deharme, André
Marfaing, Estève, Marguerite Duras,
Jacques Borel, Paul Chaulot, René
Char, Elisabeth Porquerol, Ettëmble,
Jean Messagier, Dominique Fernandez,
Jean Dutourd, D.H. Kahnweiller, Brice
Parain, Paule Thévenin, Suzanne Maury,
Marcel Béalu, Pierre-Maxime Schuhl
Jean Duché, Marc Netter, Pierre Klos-
sowski, Gaétan Picon, Vieïra da Silva,
Guy Weeden, Jean Hélion, Gérard
Schneider, Jean Le Moal, Abbé Morel,
Meyerson, Johnny Friedlander, Fernand
Dubuis, Brassai', Henri Dutilleux, Jac-
ques Chailley, Maurice de Gandillac,
Christiane Martin du Gard, Bernard
Barbey, André Dhôtel, James de Co-
quet, Constance Colline, Jacques
de Sacy, Françoise Choay.
BILINGUE
AUBIER «FLAMMARION
pour mieux connaître l'espagnol, l'italien,
i'allemandj'anglais.bientôt le russeipour
lire les grands textes étrangers sans pio-
cher le dictionnaire.
U.Keats POÈMES
2 Hoffmann CONTES
L'HOMME AU SABLE
LE CONSEILLER KRESPEL
3 LA VIE DE LAZARILLO
DE TORMES
4 Goldoni BARODFE A CHIOGGIA
5 Shelley PROMÉTHÉE DÉLIVRÉ
6..Gœthe LES AFFINITÉS
7.. ÉLECTIVES
8 Tirsode L'ABDSEUR DE SÉVILLE
Molina "DON JUAN"
9 Poe CONTES
10 Wagner L'OR DU RHIN
GOETHE
r L A "S VIA R i O N £B - L = N. C
DU LES
WAHL- AFFINITÉS
VERWANDT- ÉLECTIVES
SCHAFTEN1
BILINGUE AUBIER FLAMMARION
LA VIDA LA VIE
DE LAZARILLO DE LAZARILLO
DE TORMES DE TORMES
à paraître:
11 Blake POÈMES
12 Kleist LE PRINCE DE HOMBOURG
13 Shakespeare LE SONGE D'UNE NUIT D'ÉTÉ
14 Eichendorii SCÈNES DE LAVIE D'UN PROPRE A RIEN
le volume simple : 4,50 f le volume double : 6,50 f
à l'aube du marché commun,
enfin une collection européenne
au format de poche._____________
BILINGUE AUBIER.FLAMMARION
La Quinzaine littéraire, du l" au 15 mars 1968.
15
L'anniversaire
'Nos collaborateurs
depuis le 15 mars 1966 :
A noua r Abdel-\lalek
(.';ar-jé d,- recherche* au (.'.Y.«,V
Robert Al)iraclied
Jean-Pierre Abraham
Jean Adhemar
'.-in*!1: cnlenr du (.uhtnet de*
l'.*'nin ;>e* a la li. *\.
Alfred Adler
\IKlciie de recherc/ie* nu (.'.A. K..V
André Akoun
Jean Ambrosi
Jean-Pierre Amélie
Robert \ndre
Pierre Andreu
Didier An/.ieu
l'rit!e**eiir n I université de "\uuterre.
Noël \rnaud
Gérard Arseguel
Jean-Pierre Attal
Jacques Auberl
Pierre Audinet
Coletle Audr\
Dominique Aur\
Pierre Avril
(.atherme Backes
\**:*!anle a la Sarluinne
Georges Balandier.
î'rnle**eiir à lu .^itrhonuc
Serge liard
Roland Barthes
Roger Bastide
l'rolc**cur a la Sorhotiue
Jean Ba/.m
\ndre Ba\
\
\
\
\
Konnen Brrnm ic
"l M, il Behnal
1' n>l c**i-ll ! n lu ^nr/iiinil''
Nicole Belmont
l'/li'l de trurauf 'i il-.inl''
nrulil/uc de* Haute* Elude
Simone Benmu-.-a
Ale.xandre Bcnn ii;sei>
Directeur d'étude!- n I /'.< "
de* Haute* r.tude*
Jean-Marie Benoi-t
Albert Bcn.-oiissan
l'r,ile**eur n lu liirulle de
John Beruet
1 .oui.- Bergen)!)
Charité de recherche* ,n, C.
Pierre Bernard
C.G. Binrstroni
Kavmonci Bloch
l'ritie**eur d hi*lmre n In ^
Guy Bocquet
Jean Bollack
l'nd e**eiir n In laci:/{<'
il"* lettre* de Lille
Frédéric Bon
Itr(ife*seitr nu\ ^cieni <"• lu
I' rancois Bond s
Gene\ ie\ e Bonnefoi
Claude Bonnefo\
Rof^er Borderie
Michel Borwic/
.(••an-I.oiii- Bor\
(riiy Bosl-I.aiiKindie
l'aiil Mouju
Nicolas Boullc
(jahriel Bounoure
Pierre lîourpeade
François Bourricaud
\>rute**enr n l itiurer*tl<-
de li(trdetitt\
Guy [iraucotirt
Krrnanil Kraudel
/'ro/f'-s.sfur tlti (^ollègf de
VK.
litcques Brenncr
Si i ne Bncianer
Marcel Brion
'/c / 1 r ndcinie trancai*e
Maric-( .lande de Brnnhoft
M icbel- \ntome Buriner
José ( .ahani-
\rine ( .apellc
llelrnc Carrerr d l',ncati--e
Charge de rei lierclle* au I \ /{ -•
J ean ( .a/.e ncu \ r
I'nde*.*enr n In ^ln!>.,nnr
Bernard Ca/.e.-
Madcleine ( hapsal
Simone (.harlier
Franco!.- Chalelet
Jean-René (.liauvin
Maurice Cha\arde-
Jean Chesneaux
Directeur d'étude* n l'Ecole
l>rttli<ilte de* Haute* Etude*
Francoi-e Choay
Ko.-ta Chrislilch
Alain Cler\al
Claude Michel Chinx
Claude Cohen
.\l-oeat n In Cour
Dr. Claude Coule
Michèle (iule
Claude Coiiffon
(.lande Dalla 1 orrc
Ri>Uer Dadoun
Simone Dehoul
Michel Deg.M
Luc Delartlenne
Dominique Desanti
Jean-Toussai nt Desanti
/Vo/V.s.scHr </'• jihil<t*o[>lite a l Ecole
normale *uj>éricure de Saint-Cloud
Louis-René des Forêts
Henri Desfochc-
Directeur il l'Kfule pratiqur
de* Haute* Etudes
Pierre Dhainaut
Demba Diop
Bernard Dorl
Edmond Dune
Josane Duranteau
Jean Duvignaud
Roger Errera
Auditeur an Conseil d Etni
François Erval
Claude Estier
Serge Fauchereau
Victor Fay
Jean Pierre Faye
Diane Fernandrz
Dominique Fernantlr»
Marc Ferro
Directeur d'études à l r-.colr
;>rutii]iie de* Haute* Etude*
Lucette Finas
Michel Foucault
\.R. Fouquc
t.larisse Francillon
Jacques Fressard
Dr Roger hreligm
Georges Friedmanii
Carlos Fuentes
Mario h usco
Lucien (iahmanrl
Jean Gauneard
Gérard Genclie
Daniel George-
Bernard (ihcerhran!
Huhert Gie
Main Girard
/'/•;) fe**en r n !<t ^nrlmuuf
Roger (/renier
Michel Grosse!
F>ierre (Brimai
/Vo'"~S"!(r /; /'i Sttrhoitne
C. C/uIman
Jacques (iuyard
Georges Halda-
Raou! llaussmann
Henri ilell
J ac<jne.- Ho\\ leti
Khalil Jaouich
Michel-Claude Jalard
Ludox ic Jam 1er
Ray mond Jean
Francis Jcan-on
K.A. Jelenski
1' ranck Jotterand
Alain JoutlroN
Jean A. Keim
Stanislas Koeik
Albert Kolin
Annie Kriegel
l'rnle**eur n In lac ni lé d- Keiin-
Frédéric Lamottc
Georges I.apas-ade
Mnitre u**i*tant n I Etide
!>i'ntliiue de* limite* Elude*
Hérni Laureillard
Jean-Jacques I.ebel
N'ictor Leduc
Henri Lefeh\ re
/Vo'f.s.scnr '( In faculté
d"s lettre* de ^iinlerre
Claude Leforl
Maître de conférence* a lu lai ultc
de* lettre* de ('.lieu
Jacques le Goff
Directeur d étude* a L Ecole
pratique îles Haute* Etude*
Jacques Legrand
Lrnrnanuel Le Ko\ Ladurie
U: recteur d'études <'l l'Ecole
t'-.niique' tles Hautes Etutles
Cluude Lrgny
Noëlle Loriot
Michel Lutl'alla
issistan! u lu -uculte de droit
et de sciences "conoiuiques
Olivier de Magny
Clara Malraux
Jacques Maquet
Directeur {l'élude? ù l'Ecole
pratique des liantes Etudes
Marcel Marantz
Ritta Mariaricic
Jean-Jacques Marie
Louis Marin
Assistant de ph.ilosuphie ù la faculté
Marcel Marnât
Dr Jean-Daniel Martinet
Dior.ys Mascolo
j. Massière
Roger D. Masters
,"ro ' :'Sseur de Sciences politiques de }
r rançois Mathey
( ,'isenatelir en c/lel tlu Musée
i.-'s \rts decoruli/s
Ker.aud Matignon
Dr Charles Melrnan
Louis Mercier
Mcr.ique Meyer
-. u: -e iiifist'.intr ti la Inculte
7:.?rre Meyronne
iïene Micha
-lonert Misrahi
: ean Molinrer
Henri Moniot
'•/>::!:'e assistant a I E'olf prufique
.'••* Hautes Etudes
Maris j. Morgtnth.au
Maurice Nadeau
jean-r rancois Nahmia.-
lacques Nan'.et
Pierre .\awlle
Paul Na/.'kian
jJcrîiMiiqut Noijue/.
Pierre .\ora
Uorninii;ue .Nores
André Nouscht
Professeur à lu Inculte
d-s.'lettres •/•• Mer
Jacques Ozouf
•/r;///-(- tlssislunt u lu ^orbtinue
Roger Paret
'.liarxe de conférences u l Ecole
pratique des Hantes Etutles
Jérôme Feignot
Claude Fennec
Georges Ferec
Jacques Perret
Professeur a la Sorlionue
I.P. Peter
f,7i"<' de trui'lll.l il l Ecole pratique
d»$ Hautes Etudes
Pascal Fia
Claude Pichois
Professeur a l université île Utile
Bernard Pingaud
Rafaël Pi\ idal
Geneviève Foideviri
Pierre Ponsot
A :•.:<,';ne Pro-t
M-i'.ïr- assistant d histoire
Juliette Raabe
Piotr
M a de le i ne Rebei lou \
Muitre ::s.,!st-int u ! i •sorljonn •
Jean Ricardou
Loui.~ Riiial
Jacqueline Ri?sct
Denis Roche
Gu\ Rohou
Jacqueline de RomilK
l'rolesseiir t'i la ^..rhonnc
Henri Ronse
Jean Roudaut
Samuel de Sac\
Maurice Saille!
Gilles Sandier
Marc Saporta
Bons de Schloe/.er
Christian Schmidl
\ssisttint en sociologie ti la SorlHinni
Antoine Schnapper
•\ssislanl en histoire
île l'art a la Sorliouue
Jean Selz
Geneviève Serreau
Gilbert Sigaux
René de Soher
Philippe Solltrs
Ri.j)hael Sonn
Robert Soûlât
l'ierre Souyn
(.fiel de trtn'tiu.i- tl I Et oie pratique
des Hautes Eludes
Eruin Spatz
Dan Sperber
Mânes Sperber
Jean Starobinski
Professeur a l unirersité de (,euei e
Jean Tailleur
1 ibor 1ardos
Ra\ monde Temkine
1 -\ t-lan 1 o(loro\
Docteur :-u p/nlusophi-
Delphine I odorov a
Docteur i'n linguistique
(.lande I resmonîan!
Mtnlri- insistant il iu ~>orl>oune
Birgitta Trot/.iii
Jean \ aune
Krik \ eaux
Pierre \ ian-on-Ponte
Pierre \ idal-.\aqiii't
so(( --.lu et tt'iir a I i.to'tt pratique
des Hautes Elu,te*
Jean-Noël \ uarnet
J ea n \\ au ne r
R.L. \\ agner
h rancois \\ ahl
(^ilbert \\ alusinski
>r/ reluire général de I \ssociution
fies professeurs île intrlheuialiqlies
André \\ arusfel
Maître de t on terenies a ll.E.<
René \\ mt/.en
qui ont rendu compte
de 524 ouvrages.
En 1967-1968, nous
avons publié des lettres
de nos correspondants
en :
et publié des entretiens
avec :
MiUi'el- \[iuci \*-!un;i-
Miche! Butnr
N ictur ( !llkl(>\ -kl
\\ itoKl ( »(imbro« !c/
(,!-old\\-kl
Liehten-tcin
Jaeque^ Houbaud
Lucien Sebag
(.lande .simon
A lexandre >ol jenll>ine
\\ illiam St\ ron
Kdith 1 bornas
ainsi que des textes
inédits de :
Alain
i u i i
l>aae nahel
Georges Bataille
C.harles Baudelaire
\\ illiaii) Bu rrmigh-
Luuene l(ine>r(»
Michel Lrms
André Malraux
H redcnc \ic!/.-chr
\-]/ra l'ound
Claude H<n
Claude Simon
Léon Trot-k>
ENQUÊTE
A consulter les journaux de ce
temps, on jurerait que tout le
savoir de l'université française
est contenu dans quatre-vingts
cervelles. C'est un effet de la
mode. Celle-ci procède de Paris,
s'acclimate mal loin de la Seine
et embrouille les perspectives.
Elle répand ses feux sur le Col-
lège de France, la Sorbonne, les
facultés parisiennes et les Hau-
tes Etudes. Le reste de l'univer-
sité, à quelques exceptions près,
est consacré à la pénombre et
à la discrétion.
Il faut convenir que les maîtres
parisiens, quand ils ne sont pas
fourbus par les honneurs, sont
des hommes du premier mérite.
En quelques années, ils ont ren-
versé les configurations d'un
savoir que nous tenions pour
étale depuis la guerre : philoso-
phes et biologistes, anthropolo-
gues et linguistes, historiens,
psychanalystes, ils ont ouvert
de nouveaux tracés, renouvelé
l'équilibre incessamment rompu
de la science. Mais pourquoi
les vérités dont ils nous ins-
truisent seraient-elles moins
mortelles que celles qu'ils ont
déplacées ? D'autres figures de
la science, peut-être, sont en
train de s'élaborer dans les ou-
vrages ou dans les thèses qui
s'ourdissent loin de Paris.
C'est à reconnaître ces territoi-
res de la phériphérie que nous
voudrions nous attacher. Les
personnalités des professeurs
nous retiendront moins que Tes
mouvements qui les portent. Dé-
couvrir Sartre au Havre lors-
qu'il écrit la Nausée, ou Fou-
cault quand il étudie la folie à
Clermont-Ferrand ne sera pas
notre ambition. Si la chose se
produit, elle viendra de surcroît
et, du reste, est-il assuré que
nous la devinions ? L'essentiel
est ailleurs : interroger les fa-
cultés, déterminer les figures
que le savoir y forme, même si
ces figures sont à l'envers de
la mode.
Ce voyage dans les lointains de
l'université laissera sa part au
hasard. On ne saurait dresser
un inventaire complet des res-
sources et des promesses de
l'université française. Il y aurait
donc de l'impertinence à donner
cette promenade pour une re-
connaissance exhaustive. Il
s'agira plutôt d'un sondage, au
sens où l'entendent les pétro-
liers. On lancera quelques son-
des dans les sols de l'univer-
sité ; on en retirera ce que les
pétroliers appellent, révérence
gardée, des « carottes » et, si
ces carottes contiennent quel-
ques jolies formations profes-
sorales, on les décrira. Il va de
soi qu'on mettra du soin à évi-
ter les terrains trop évidemment
secs : en province aussi, il exis-
te des professeurs périmés, des
chaires en déroute et des cer-
velles désertées. De le nier se-
rait absurde : cela reviendrait
à remplacer la mode de Parte
par le ridicule d'une mode con-
traire.
La faculté des lettres d'Aix-en-
Provence a longtemps occupé un
hôtel ravissant, vis-à-vis de la ca-
thédrale Saint-Sauveur. Les profes-
seurs y distribuaient un enseigne-
ment exquis, fondé sur les belles-
lettres et sur un humanisme bien
tempéré. On y étudiait les odes de
Pindare, la métrique d'Agrippa
d'Aubigné et les mésaventures du
yod. La philosophie balançait entre
la caractérologie, la métaphysique
et la prospective. Cette culture
avait de la grâce. Ceux qui ont
fait leurs études à Aix en parlent
avec douceur. Mais, dans la for-
mation de leurs esprits, la rumeur
des fontaines, la distinction des
façades patriciennes et le bonheur
des grands platanes n'ont pas joué
un rôle inégal à celui des facultés.
Ce temps n'est pas ancien et
pourtant, les traces en paraissent
se brouiller, à l'abord des nouvelles
facultés de lettres. Celles-ci ont
déserté les ombres fraîches de la
cathédrale pour implanter leurs
puissantes architectures à deux pas
de cette gare dont Giono jurait,
voici trente ans, qu'elle était tout
éberluée que des michelines s'ar-
rêtent pour elle. Aujourd'hui, la
gare connaît la raison de ces ar-
rêts : c'est pour que s'entassent les
cargaisons d'étudiants qui rega-
gnent Marseille le nez dans leurs
bouquins. Voilà bien des métamor-
phoses et cependant, l'ancien par-
fum continue de s'exprimer du
flacon renouvelé. Même dans ses
buildings, la faculté reste fidèle à
ses manières : elle rend son culte
à l'humanisme, aux lettres, aux
arts et qui ne s'en féliciterait ?
Mais d'autres intérêts, depuis dix
ans. ont surgi et c'est eux que nous
éclairerons. Il était naturel que
cette enouî > choisît le r mveau.
Parmi d'autres vocations. Aix a
celle des langues rares. C'est la
faute de la géographie qui a établi
Aix près de Marseille et Marseille
près de la- mer. Les étudiants y
apprennent l'arabe, le turc et l'hé-
breu. Depuis deux ans. ils appren-
nent le chinois. Cela n'est pas
usuel. Le chinois n'a droit de fa-
culté que depuis 1958. Il ne pos-
sède que trois chaires en France.
Celle d'Aix est occupée par un
jeune maître de conférence, M.
Vandermeersch. qui nous dira
d'abord les tribulations du chinois
en France.
Le chinois, pour l'administra-
tion, qu'est-ce que c'est ? Une lan-
gue étrangère soumise aux mêmes
normes que l'anglais ou l'italien.
Ce n'est pas très équitable : le chi-
nois offre des difficultés incompa-
rables à celles de l'anglais et, de
surcroît, un étudiant de première
année n'a jamais vu un caractère
chinois quand il a déjà fait six ans
d'anglais.
Du nouveau sur la Chine
Pour comble,* l'outillage pédago-
gique n'existe pas : ni grammaire,
ni dictionnaire modernes. Les an-
ciens manuels sont excellents mais
ils étaient rédigés par des mission-
naires qui traitaient de la langue
écrite. Or, aujourd'hui, la langue
écrite est morte, la langue orale
s'étant divisée en deux branches,
une nouvelle langue écrite et la
langue parlée. Etudier le chinois
de 1968 avec les manuels tradi-
tionnels, c'est traduire Queneau ou
Beckett avec un dictionnaire latin.
L'ardeur de M. Vandermeersch
n'en est pas découragée. Il vous
parle de la Chine comme d'autres
du Parthénon. La Chine a tout
trouvé : pharmacie et médecine,
sciences humaines et sociales, tech-
nique et géographie, pas un canton
du savoir où ses leçons ne soient
excellentes. Quant à sa littérature,
elle est la plus vaste et la plus
élaborée : c'est que, seule dans le
monde entier, elle a disposé d'un
outil spécialement taillé à son in-
tention, la langue écrite justement.
Aujourd'hui, les sinologues
français se comptent sur les doigts
de la main. C'est une raison de
ne rien comprendre à la Chine
présente. Sans connaître la langue
ou Confucius, sans savoir ce qui
s'est passé sous les Hia, les T'sin
ou les Ming, comment les journa-
listes ne commettraient-ils pas d'af-
freuses bourdes s'ils s'aventurent
dans ce labyrinthe ?
— Tout cela, dit Vandermeer-
sch. c'est la part de l'enseignement.
Il y a aussi celle de la recherche,
c'est-à-dire la thèse à laquelle je
travaille depuis six ans. Vous savez
peut-être que 50.000 inscriptions
sur la période allant du 15e au 12e
siècle avant Jésus-Christ ont été
découvertes en 1898. De quelle
façon ? Eh bien, les paysans chi-
nois trouvaient des os couverts de
signes étranges. Ils pensaient que
ces signes avaient été tracés par
les dragons. Les apothicaires en
fabriquaient des infusions contre
les maladies. Or. un jour, un éru-
dit est enrhumé. Il court chez le
pharmacien. On lui propose une
tisane d'os. Il regarde cet os et
comprend qu'il s'agit d'une écri-
ture. Il achète tout le stock et, de
fil en aiguille, on retrouve tout le
gisement, c'est-à-dire la capitale
disparue de la Chine archaïque.
— De sorte que l'histoire de la
Chine a été absorbée pour soigner
des rhumes. C'est un récit pour
J.L. Borges ?
— Et il bouleverse toutes nos
idées. On a déchiffré, depuis cin-
quante ans, une grande part des
documents. C'a été le travail des
érudits chinois et formosans. Moi,
je m'attache à en tirer des ensei-
gnements. Ils renversent bien des
certitudes : un homme comme
Granet, encore, pensait que la civi-
lisation chinoise était née d'une
société agricole primitive, compa-
rable aux sociétés australiennes. Or,
ce que disent les os. c'est le con-
traire. Cette culture archaïque n'a
rien de primitif. Son écriture est
si élaborée qu'il faut imaginer que
d'autres écritures perdues l'ont pré-
cédée. Quant à la société, elle est
très organisée. Elle compose un
édifice aristocratique cohérent que
l'on pourrait dire féodal si le mot
n'évoquait pour nous la féodalité
toute différente du Moyen Age.
Un nid de philosophes
—- Et cette Chine archaïque
peut éclairer la Chine actuelle ?
— Le génie d'un homme com-
me Mao Tsé-toung est d'avoir su
adapter les formes anciennes de la
culture chinoise à des buts moder-
nes. Tchang Kaï-cheik a tenté le
contraire : adapter les idéaux an-
ciens à des formes modernes. C'est
Mao qui l'a emporté : ce qui
compte, dans une tradition, c'est la
forme plus que le cu.ilercu. La
leçon est valable pour nous : com-
ment déchiffrer la Chine moderne
si on persiste à la lire à travers des
modèles formels qui n'ont rien à
voir avec elle, ceux de l'Occident ?
18
tradition humaniste et vocations neuves
I oilà pourquoi, si vous voulez, la
recherche et l'enseignement me
paraissent liés : l'un et 'l'autre
'.'ment à abattre ce mur d'ignorance
qui nous interdit de comprendre
un pareil pays.
L n saut de puce clans la faculté
ot nous voici tombe dans un nid
de philosophes. Leur singularité :
ces philosophes sont des mathéma-
ticiens. Sur les étagères de la salle
où Gille> Granger tient ses sémi-
naires, ni Bergson, ni Heidegger
mais Bourbaki ou Russell. Et
Gérard Lebrun, s'il n'est pas ma-
thématicien, semble préparer, dans
sa thèse sur Kant et la fin de la
métaphysique, l'espace dans lequel
ses collègues logiciens pourront
conduire leurs enquêtes.
— Considérez l'œuvre de Kant.
dit Lebrun. // promettait toujours
sa métaphysique. Or. celle-ci n est
jamais venue. Son œuvre critique
a tout dévoré. En ce sens, il est
exemplaire puisque, le premier, il a
pris du recul, il a fait, si vous vou-
lez, la métaphysique de la méta-
phvsique. Mais, il reste ambigu et
c est cela l'important pour la suite.
II n'est pas allé aussi loin que
Nietzsche. Cette critique, il ne Va
pas conduite de manière assez radi-
cale. Il n'en a donc pas vraiment
fini avec la métaphysique. Il a
abandonné un résidu, et que se
passe-t-il en effet depuis Kant ?
Tous les philosophes cherchent à
se débarrasser de la métaphysique
et celle-ci résiste précisément parce
que celui qui a manqué de l'anéan-
tir n'a pas été assez radical. Kant
a tout changé, mais pas assez pour
que l'ancien ne continue d'agir.
Jadis, on savait sur quel terrain
on allait. On disposait des condi-
tions minima pour définir un
savoir. Quelques évidences suppor-
taient le discours philosophique. Il
v avait par exemple une même
confiance dans ce que désignait le
mot être. Or. aujourd hui. ce heu
commun, ce terrain à partager, se
dérobe et pourtant, parce que jus-
tenienl la destruction kantienne
n a pas été assez rigoureuse, la phi-
losophie moderne vit trop souvent
sur une problématique qui lui
vient encore de très loin, Leibniz.
Descartes. Spinoza.
Heidegger et Russell
/Vous sommes toujours dans
l âge de la critique de la métaphy-
sique. Il est difficile de se débar-
rasser de la métaphysique au béné-
fice d'un savoir positif. Considérez
les désagréments des sciences hu-
maines au moment où elles surgis-
sent dans le vide ambigu créé par
le reflux du discours métaphysi-
que. Même les plus radicales conti-
nuent à se fonder sur des présup-
posés philosophiques. Lévi-Strauss
a beau se déclarer libéré — et il
est en effet celui qui va le plus
loin dans ce sens — une grande
part de l'intérêt que lui porte le
public est dû à la portée immédia-
tement philosophique de son œu-
vre.
De sorte que, sur les décombres
de cette métaphysique, à la fois
blessée et préservée par Kant, appa-
raissent deux tentations : celle des
sciences humaines dont Foucault a
essayé de décrire la genèse et les
catégories, mais qui ont du mal à
trouver un langage qu'on puisse
formaliser ; et une sorte de philo-
sophie qui n'a plus de sens que
comme métaphilosophie, c'est-à-
dire comme une réflexion sur la
philosophie. On pourrait parler
d une « philo non figurative ». qui
n aurait plus d objets mais décri-
rait ses arabesques en méditant sur
elle-même, sur son statut et ses
conditions.
Pour résumer à gros traits, di-
sons que la tentative, héroïque
mais inachevée de Kant rend comp-
te du désarroi de. toute la philoso-
phie qui Va suivie — de cette lon-
gue décomposition de la métaphy-
sique dont Heidegger par exemple
forme l'illustration. C'est pourquoi,
à mes yeux, il y a peu de chose à
attendre d'un Heidegger mais bien
davantage d'une œuvre comme cel-
le de Russell qui a tenté d'orien-
ter la philosophie vers d'autres
voies.
Que le discours de Lebrun se
ferme sur le nom de Russell est
éloquent. On dirait que cet histo-
rien de la philosophie s'est donné
à tâche de nouer son travail à celui
de. ces philosophes nourris de ma-
thématiques dont deux exemplai-
res officient dans cette même fa-
culté d'Aix, Granger et Frey.
Du travail de Frey, on aura scru-
pule à parler en quelques lignes.
On se bornera à dire son dessein :
tant pis pour l'admirable ouvrage
d'horlogerie, tant pis pour le bel
objet mathématique qui fonctionne
sans à coup sous nos yeux. Sa thè-
se porte sur l'Analyse mathémati-
que appliquée aux Synoptiques. On
sait que le terme de Synoptique dé-
signe les évangiles de Matthieu,
Marc et Luc car ces trois textes
comportent de nombreux passages
communs. Le même miracle est
présenté dans deux ou trois ver-
sions : il peut être décrit en ter-
mes identiques, ou bien le thème
est commun mais le langage très
différent.
Gomment expliquer ces chevau-
chements ? Depuis cent ans, la
question est posée de l'origine des
Synoptiques. Deux doctrines s'op-
posent, celle de la filiation, selon
laquelle les trois évangélistes au-
raient utilisé une source commune
(ou peut-être deux sources, cer-
tains faisant intervenir une secon-
de source, la source Q, c'est-à-dire
un évangile de Matthieu en ara-
méen). Au contraire, la thèse de la
documentation multiple suppose
que les évangélistes auraient ras-
semblé des documents qui circu-
laient dans les églises primitives.
Tel est le problème auquel s'at-
taque Frçy. Son extrême origina-
lité est de n'en chercher la solu-
tion que par l'analyse mathémati-
que de la forme des Synoptiques,
sans la moindre référence à leur
contenu ou signification.
Les synoptiques
Un mot sur la méthode : consi-
dérant les passages communs aux
trois Synoptiques, il accomplit un
double travail. Il fait le décompte
des mots communs, les compare et
traite leurs relations par l'analyse
mathématique. Même travail for-
mel en ce qui concerne la présenta-
tion des passages, les insertions de
l'un par rapport à l'autre, en bref
l'ordre que chaque texte présente
par rapport à celui des autres.
Enfin, dernier objet de son enquê-
te : les doublets, c'est-à-dire les
thèmes qui reviennent plusieurs
fois à l'intérieur du même Synopti-
que, la loi de leur apparition en
La Quinzaine littéraire, du 15 au 31 mars 1968.
Aix
fonction des insertions des diffé-
rents passages communs.
Sautons à la conclusion : I' re\
apporte des preuves à la thèse de
la documentation multiple contre
celle de la filiation. Cette conclu-
sion présente déjà de l'intérêt.
Mais pour nous, plus essentielles
nous paraissent être les levons mé-
thodologiques de son travail : à
aucun moment, les significations
des textes ne sont interrogées :
c'est se garder de toute tentation
d'interprétation. C'e-t examiner le
problème avec des méthodes aussi
pures que celles des sciences exac-
tes. Il est difficile de pousser plus
loin la rigueur et l'ascèse de l'intel-
ligence.
Voilà pourquoi, sans doute, un
mathématicien comme Guilhaud.
des Hautes Etudes, a fort encou-
ragé la recherche de Frey comme
l'a fait aussi Gilles Granger. qui
occupe la chaire d'épistémologie à
Aix et qui a dirigé la thèse. Gran-
ger échafaude depuis quelques
années une œuvre d une haute am-
bition, si hautaine cependant
qu'elle a touché jusqu'ici les spé-
cialistes plutôt que le public, mê-
me éclairé. Il voudrait établir
comment les méthodes de la pensée
abstraite, de type mathématique,
sont utiles à la philosophie, non
seulement comme instruments des
sciences de l'homme, mais même
comme constitutives de l'objet de
ces sciences. Celles-ci savent mal
de quoi elles parlent. L'usage de la
pensée abstraite n'a-t-elle pas pour
premier résultat d'en définir les
champs, d'en formuler une axioma
tisation ''.
L'âge de la science
A ce propos, il est frappant que
certaines des visées de Granger. et
jusque dans les termes qu il em-
ploie, depuis des années, peuvent
paraître évoquer ces doctrines que
l'on nomme abusivement « struc-
turalistes ». De fait, il existe peut-
être des chevauchements entre les
deux tentatives, par exemple un
même souci d'arracher les sciences
de l'homme aux délires et aux
leurres de la rhétorique ou de la
métaphysique. Mais Granger ne
reconnaîtrait pas volontiers ces pa-
rentés. Malmènerait, même, dure-
ment, certaines de ces entreprises
qui utilisent mathématiques, lin-
guistique ou logique formelle sans
en bien posséder, pense-t-il, le ma-
niement.
Un premier temps a conduit
Granger à examiner les structures
toutes faites. Le livre qu'il a actuel-
lement sous presse considère les
variantes de ces structures, envisa-
gées du point de vue de leur sur-
gissement dans l'histoire, variantes
auxquelles il donne le nom de
stylistiques. Son étude analyse sous
cette perspective aussi bien la géo-
métrie d'Euclide que l'algèbre mo-
derne de Grassman ou le langage
de la littérature. Dans tous les cas.
le style lui paraît naître du flou
qui accompagne la superposition
des structures, le chevauchement
de plusieurs codes.
Projet ardu que celui de Gran-
ger et qui déjà a cessé d être soli-
taire. Témoin la revue l'Age de
lu science que Vuillemin. profes-
seur au Collège de France, et Gran-
ger lancent en ce mois de mars
chez Dunod en même temps
qu'une collection nouvelle chez
Armand Colin.
Nous ne voulons pas être autre
chose que des philosophes mais des
philosophes qui ne veulent pas
ignorer la science. Une des tâches
fondamentales de la réflexion est
même d interpréter l'œuvre scien-
tifique. Pour vous donner une
idée, disons que le premier numé-
ro de « / Age de la science ». a
côté des textes de philosophes, pré-
sentera l'admirable première leçon
de \lonod au (Collège de France, et
le second numéro un texte de Dieu-
donné, qui fut l un des fondateurs
de Bourbaki : « Que font li'S ma-
thématiciens Y »
On aurait pu. on aurait dû com-
pléter ce flash sur les logiciens
d'un coup d'œil sur la psychologie
et la sociologie, également en plein
essor ù Aix. Faute de place, on de-
vra pourtant courir directement
vers une discipline différente, la
linguistique.
La linguistique
Depuis quatre ans. cette science
de pointe est enseignée à Aix par
Georges Mounin. dont on connaît
les livres sur René Char et sur la
traduction. De nos jours, qui dit
linguistique dit « structuralisme ».
Ce qui n'empêche pas Mounin de
déclarer d'emblée à ses étudiants :
« Nous allons faire de la linguisti-
que. Je vous demande de ne pas
ouvrir un livre de Lévi-Strauss ou
de Barthes. Apprenez d'abord la
linguistique. Ensuite, vous verrez. »
Et il s'en explique :
— Des hommes comme Lévi-
Strauss, Merleau-Ponty, Barthes.
Foucault ou Lacan sont à l'origine
de l'intérêt fiévreux qu'on porte à
la linguistique. Leur rôle ne peut
être passé sous silence. Mais, il faut
ajouter ceci : parmi tous ces hom-
mes, qui uni mis à la mode la lin-
guistique, pas un seul linguiste, et
c est ici que se développe une ambi-
guïté que je déplore. Ce sont des
gens de très grande dusse mais en
utilisant les concepts linguistiques,
ils les ont biaises et parfois traves-
tis. La plupart se sont formés à la
linguistique assez tard. Même un
homme comme Lacan, si on étudie
son œuvre de près, on saisit ses
différentes rencontres avec la lin-
guistique et l'on s'aperçoit qu'il l'a
d'abord reçue d'un autre non-lin-
guiste. Merleau-Ponty. Il n'a décou-
vert Saussure que plus tard, vers
1955. Quant à Jakobson, il ne lui a
pris que très peu de chose, la méta-
phore et la métonymie. Et encore
je vous parle là de Lacan. Mais
que devrait-on dire des tentatives
d application de la linguistique à
la littérature, que dire de l'entre-
prise calamiteuse de Tel Quel !
Saussure
'Alors, il est vrai que ces hom-
mes ont rendu un grand service.
Ils ont mis le feu aux poudres
mais ils ont créé une publicité que
nous payons cher. Les générations
actuelles sont un peu sacrifiées. Il
faudra reprendre la question sé-
rieusement, former des étudiants à
la linguistique générale, avant d en
appliquer à tort et à travers les lois
à d autres sciences. D'autant qu en
bien des cas. c est moins la linguis-
tique qui pourrait servir ces scien-
ces, que des disciplines voisines,
comme lu phonologie ou la sémio-
logie. (//;/' ne sont pas encore aussi
avancées </iie la linguistique.
Il faut former les gens très jeu-
nes. 1 quarante ans. même 1res
itoui'. vous ne viendrez pas aux
mathi'inatKjues. a la linguistique
non plus, l ou* 'l'apprendrez pas
non plus la linguistique dans les
livres, mais avec un />rofesseur et
par des exercices pratiques. C est
pourquoi j'apporte tous mes soins à
ma tâche pédagogique. Je laisse
un peu de côté en ce moment mes
recherches personnelles pour rédi-
ger un livre sur Saussure car en-
lin, tout part de Saussure et on le
comprend, un le connaît, souvent,
fort mal.
Est-ce contamination, est-ce per-
sistance rétinienne de notre part ?
Il nous a semblé que même des
disciplines plus tradilionnellcs que
celles que nous venons de dire
obéissent aussi dans celle faculté
d Aix à ce même souci de rigueur
et de recherches interdisciplinaires.
Jacques Dubv enseigne 1 hisloirr
du Moyen Age. On connaît les
beaux livres qu il a consacres à
1 An mil ou a 1 économie rurale
dans l'Occidcn! im-diéval. On l'in-
terrogera liur.r moiii- sur ses ira-
vaux perso.iiicis que sur Ir ilimhlf
appareil qu'il a mis en place au-
tour de lui : sa chaire d'histoire
du haut Moyen Age et le Cenire
des études des sociétés méditerra-
néennes. Le Centre, qui veut établir
une conjonction entre géographie
et histoire, étudie avec minutie la
France du Sud. en dégage les types
originaux, les confronte avec des
types étrangers. Quant à la chaire
de faculté. Dubv l'ori-Mite vers le
travail en équipes et les expérien-
ces interdisciplinaires. Ainsi, un
de ses séminaires, celui qui groupe
les étudiants au sortir de la licence,
attelle une trentaine de jeunes
chercheurs à un même thème
d'études : la société chevaleresque
aristocratique aux .\T et XIIe siècles.
L'Histoire
Mais il ne s agit pas seulement
de rompre des habitudes de travail
solitaire. On s'efforce aussi île lan-
cer des ponts entre l'hi.-ioirr et
d'autres sciences humainr*. Diiliv
est l'un de ces historiens qui exa-
minent aussi bien l'iii^kiirc <!< >
mentalités que celle des économies.
Ainsi fait-il appel aux disciplines
voisines. L économie du Muv.-n
Age. qui est non quantitative, pur
exemple, présente des traits com-
muns avec celle de certains pays
du tiers monde actuel. Le modèle
qu on peut observer aujourd irji
sera donc utilisable pour une so-
ciété abolie et il est alors naturel
que Dubv fasse appel aux profes-
seurs de la faculté de droit, spécia-
listes des pays du tiers monde,
comme en d'autres eirconstanci's. il
peut collaborer avec an germ;ir;is-
te. un psychologue, un sociologue.
On ne saurait dire ici toutes les
facettes d'un tel programme. On
doit simplement remarquer que
1 entreprise de Duby est assez
ancienne maintenant, quinze ans
déjà, pour que des étudiants de ré-
gions voisines soient attirés à Aix,
ainsi que certains chercheurs
étrangers très spécialisés.
On s'étonnait, à la tête de cet
article, que la tradition humaniste
d'Aix. si elle demeure ricin- et foù-ii
vivante, soit aujourd'hui coni|.iélic
par des vocations mu es. .Nous pen-
sions surtout au dev i ioppciii'-nl di
la logique et de l'épistënioloîiie.
Et pourtant, quoi d'i-travigr à ces
métamorphoses '.' Le 1111 :ne iléror
et des couleurs sembi iblcs on! pu
produire Galilée ou \ éronc-.-. 1rs
Eléates ou Pétrarqr< . i,a dureté un
peu abstraite des p.'\-a^'-. Sa lii.i-
pidité des ciels vides qu, 'onrnenl
sur les collines, celte ça;. ,!.!;"!'•
peuplée d'évidences et d'énigi: •*.
tout cela, qui fait le Su i. prir <vr
duire vers les douces. ( ilcctso is d*-
1 humanisme aussi Iriw. qu'a'i-;
lieux plus austères c<") rv;\-n-»»l <<
modèles inalhfînaliij, s ilmit nous
avons cru décrier i( t : là IH #«--
en- ij.;."t:.-v.
20
LETTRES A
La Quinzaine
Une mise au point de
Michel Foucault
.Après la reproduction dans notre
dernier numéro d'un entretien dif-
fusé par l'O.R.T.F., nous avons reçu,
de Michel Foucault la lettre sui-
vante :
Sidi Bou Saïd, le 3 mars 1968
Chers amis.
Vous savez en quelle estime, je
tiens votre journal et l'effort que
vous y faites. Ma consternation est
d'autant plus grande.
Un collaborateur de l'O.R.T.F.
vient de vous communiquer un
entretien avec moi, que vous m'avez
fait l'honneur de publier. Or,
1. Je n'ai pas donné le moindre
accord à cette publication : je
n'étais au courant de rien.
2. Le texte qu'on vous a trans-
mis était à peine une ébauche.
Premier montage qui devait être
entièrement révisé, comme le prou-
vent, parmi bien d'autres signes,
des phrases comme : « Eh bien,
ça c'est un reproche... » ou « je
vais vous faire un aveu... », qui se
référaient avec leur suite à des
questions refusées par moi : elles
s'adressaient, évidemment, non pas
au public, mais au seul journalis-
te.
3. Plusieurs passages (l'un con-
cernant Jean-Paul Sartre, ^l'autre
ma vie passée) étaient des explica-
tions données a parte pour justifier
— à titre privé — mon refus de
répondre à certaines questions. Ces
deux passages ayant été enregis-
trés avec l'ensemble de la conver-
sation, j'avais bien précisé qu'ils
ne pourraient en aucun cas figurer
dans un montage définitif.
4. Ce montage a été fait après
mon départ, sans mon accord. Il
ne comporte pas un certain nombre
de passages qui étaient d'ores et dé-
jà au point. Il en comprend un
certain nombre que j'avais d'entrée
de jeu exclus. De toute façon, cou-
pures, juxtapositions et rapproche-
ments produisent un sens qui m'est
étranger.
Deux remarques pour terminer :
Depuis dix-huit mois, je me gar-
de de toute réplique car je travaille
à donner une réponse à des ques-
tions qui m'ont été posées, à des
difficultés que j'ai rencontrées, à
des objections qui ont été formulées
— et entre autres à celles de Sartre.
Ce travail sera publié bientôt, il
n'a rien à voir avec la conversation
que j'ai eue, et qui n'avais aucu-
nement le sens d'une réponse à qui
que ce soit.
Vous m'avez fait, dans votre
journal, la part belle, trop belle à
mon gré. Je pense que l'œuvre, im-
mense, de Sartre, que son action
politique marqueront une époque.
Il est vrai que plusieurs aujour-
d'hui travaillent dans une autre di-
rection. Je n'accepterai jamais que
l'on compare — même pour les op-
poser — le petit travail de défriche-
ment historique et méthodologique
que j'ai entrepris avec une œuvre
comme la sienne. Cela dit, je l'ai
dit à plusieurs reprises, depuis deux
ans. Que cet incident me serve d'oc-
casion pour le redire publiquement.
Je ne peux vraiment pas apposer
ma signature ni donner mon as-
sentiment au texte qui vous a été
proposé.
Bien fidèlement vôtre,
Michel Foucault
Surpris par ce désaveu, et cons-
ternés à notre tour — surtout en
tant qu'amis de Michel Foucault
— nous avons demandé à Jean-
Pierre Elkabbach de préciser les
conditions dans lesquelles il avait
recueilli des propos que l'auteur des
Mots et les Choses n'avalise pas.
Il nous a répondu ce qui suit :
Paris, le 6 mars 1968
Chers amis,
C'est parce que la Quinzaine lit-
téraire a fait très tôt un grand ef-
fort de présentation et d'explica-
tion du travail de Michel Foucault
que je vous ai communiqué une
partie du texte de ma conversation
avec l'auteur des Mots et des Cho-
ses. Je me permets d'apporter deux
précisions :
1. Vous remerciez dans les quel-
ques lignes de votre présentation,
à la fois l'O.R.T.F., l'interviewer.
et Michel Foucault de « vous avoir
permis de reproduire l'entretien ».
Je dois à la vérité de reconnaître
que Michel Foucault n'a pas eu à
se prononcer sur l'utilisation de cet
entretien radio.
2. Vous aviez également raison
de préciser que cet entretien avait
été « en partie diffusé par France-
Inter ». Vous avez en effet reçu la
copie des premiers montages, et
non de la version définitive, qui ne
contenait plus cette douzaine de
lignes, consacrées au passé person-
nel de l'auteur, et à ses rapports
avec Jean-Paul Sartre.
Je le regrette. La Quinzaine lit-
téraire a donc pu insister sur la po-
lémique que l'on a d'ailleurs créée
Foucault-Sartre, polémique dont
Foucault ne souhaitait pas qu'elle
fût l'objet de notre conversation.
Les auditeurs de France-Inter
avaient prouvé d'ailleurs l'intérêt
de cet entretien, d'après leurs nom-
breuses lettres et réactions. On ne
retrouve pas toujours, dans les mots
écrits, le ton et la signification d'un
enregistrement.
Je tiens en tout cas à remercier
Michel Foucault de nous avoir
consacré un moment pour cette
conversation, et la Quinzaine litté-
raire d'avoir publié l'ensemble du
texte. Le vif intérêt qu'il a suscité
et le succès public qu'il a connu
auprès de l'auditoire de la Radio
française, témoignent sans doute de
#on opportunité.
Jean-Pierre Elkabbach
De ces deux communications, il
ressort :
1. Que l'entretien de Michel Fou-
cault avec Jean-Pierre Elkabach a
été diffusé par « France-Inter »
dans les termes mêmes que nous
avons reproduits, hormis deux pas-
sages importants : les allusions de
l'auteur à son passé personnel et
à ses rapports avec Jean-Paul Sar-
tre. Le texte de l'entretien qui nous
a été communiqué ne comportait
pas ces deux coupures. C'est de
bonne foi que nous l'avons repro-
duit tel quel.
2. Nous prenons acte qu'en dé-
pit de l'assurance contraire qui
nous avait été donnée, Michel Fou-
cault n'avait pas autorisé la publi-
cation de son entretien avec Jean-
Pierre Elkabbach.
Un contact personnel aurait pu
nous éclairer. Les difficultés d'une
communication rapide avec Sidi
Bou Saïd en Tunisie, ne l'ont pas
permis.
3. Nous partageons la « conster-
nation » de l'auteur des Mots et
les choses à voir mis en vedette,
par le titre donné à l'entretien en
page de couverture, un jugement
sur Jean-Paul Sartre qui ne répond
aucunement à une pensée autre-
ment subtile et déliée.
Comme il le rappelle dans sa let-
tre, Michel Foucault avait demandé
que ce jugement fût supprimé de
l'interview, et les précisions qu'il
donne sur ses rapports avec Sartre
dissipent, nous l'espérons, toute
ambiguïté sur ce point. Nous leur
faisons écho bien volontiers en at-
tirant sur elles l'attention du lec-
teur.
Nous remercions Michel Fou-
cault de n'avoir pas mis en doute
notre bonne foi.
REVUES
Ni Bourbaki, ni Canrobert : « Scilicet »
L'Ecole freudienne de Paris a dé-
sormais sa publication officielle : une
revue qui paraîtra « trois fois l'an ».
La première livraison de Scilicet est
un vrai livre : près de deux cents
pages. Plus d'un quart du texte est dû
au fondateur de l'Ecole, le docteur
Jacques Lacan : une présentation et
quatre communications, dont une « pro-
position * qui fonde le statut du « psy-
chanalyste de l'Ecole ».
Les autres articles ne sont pas si-
gnés, pas plus que les documents cli-
niques ou les notes de lecture. Jac-
ques Lacan, certes, est « inescamota-
ble au programme » : quant à la suite,
qui n'est pas d'une équipe, qui n'éma-
ne pas non plus d'une société, elle
doit témoigner de l'Ecole. Elle vise à
retrouver, non pas l'anonymat, mais la
liberté d'invention scientifique que
réalisent, depuis bien des années dé-
jà, les mathématiciens français lors-
qu'ils signent en commun (le secret
de la participation de celui-ci ou de
celui-là était bien gardé) du nom col-
lectif de Bourbaki.
Ne soyons pas frustrés : le non-
signe n'est pas l'anonyme : « car il
peut inclure qu'à un délai près, que
l'expérience réglera des étapes qu'elle
engendre, des noms se déclarent
d'une liste assumant l'ensemble d'une
publication ». Mais il s'agit ici de
faire œuvre de science : d'atteindre
la psychanalyse « à venir », de pour-
suivre l'œuvre freudienne, de la pour-
suivre, dans les deux sens du terme :
de l'atteindre, de la rejoindre, en y
retrouvant ce qu'elle écrit et oui n'a
pas été lu ; d'en développer aussi, en
fonction d'une expérience str ?tement
définie, les implications inouïes. Jac-
scilicet
Prcnum ainré 1968. Revue pacamanl irais fow l'an
m (lump fitudra, loUccrlon dulgcc par Jacques Lacan
aux Éditions du Seuil, Paris
ques Lacan détermine clairement l'en-
jeu : ou bien la psychanalyse est, à
côté des autres, une technique du con-
fort, ou bien elle a une portée théori-
que décisive (et elle passe par l'Ecole
freudienne de Paris).
Pourquoi Scilicet ? Pourquoi ne pas
se « faire abri du nom de Canrobert »,
un autre militaire répliquant fort bien
à Bourbaki ? « Scilicet » veut dire ici :
« tu peux savoir -, étant entendu que
ce qu'il y a à savoir, c'est • ce qu'en
pense l'Ecole freudienne de Paris ».
Signalons, pour information, que Bour-
baki a vécu quatre-vingt-un ans, que
Félix Gaffiot (page 1 042 d<- l'édition
de 1934) donne comme <.ns au mot
scilicet : « On peut aisément se ren-
dre compte que, il va de soi que, il
va sans dire que » et que If maréchal
Canrobert se prénommait Certain
F. C.
La Quinzaine littéraire, du 15 au 31 mars 1968.
ETHNOLOGIE
La bonne conscience
A. P. Elkin
Les Aborigènes d'Australie
trad. de l'anglais
Ipar A. et S. Devyver
<c Bibl. des Sciences Humaines
Gallimard éd.. 451 p.
Citer les aborigènes d'Australie,
c'est faire surgir, d'un continent
perdu à l'autre bout de la terre,
l'image d'hommes perdus à l'autre
bout du temps : « hommes fossi-
les ». dit-on, restés à 1 "âge de
pierre. » les êtres les plus primi-
tifs du monde ». L'Australien, sil-
houette ultime du Sauvage, dan-
sant sur la frontière brouillée entre
humanité et animalité.
Ce que donne l'accouplement de
la prétention scientifique et de ce
véritable « fantasme des origines ».
on le constate en lisant cette des-
cription des Australiens offerte
par la Géographie Universelle de
Vidal de la Blache. et tout bête-
ment reprise dans le petit livre de
la collection « Que sais-je » sur
L'Australie :
« Dans l'ensemble, les Austra-
liens ont une taille au-dessus de la
moyenne. Mais trop souvent, leur
ventre proéminent et leurs jambes
longues et grêles les font paraître
difformes. Leur couleur brun cho-
colat les distingue nettement des
Nègres. Sous le crâne, petit et très
allongé en arrière, la face fait sail-
lie comme un museau, avec un nez
large et écrasé à la racine, et de
fortes mâchoires de ruminants pro-
jetées en avant et qui laissent voir.
quand la bouche lippue s'entrouvre,
de longues canines de carnassiers.
Leurs yeux, enfoncés sous les arca-
des sourcilières proéminentes, leur
donnent un air farouche. Le systè-
me pileux est très développé : toi-
son épaisse sur tout le corps, barbe
fournie, cheveux longs et noirs... »
On ne demandera pas aux au-
teurs de ce tableau, dont nous avons
souligné quelques-unes des articu-
lations hallucinatoires, de s'inquié-
ter de savoir pourquoi un grand
ethnologue comme Basedow parle
de ces mêmes Australiens comme
des « aristocrates de la nature » '
ou pourquoi, plus récemment, un
explorateur évoquait leurs « splen-
dides corps », « leur port roval...
perpétuel plaisir des yeux » 2 : il
suffit de se reporter aux photogra-
phies qui illustrent le livre d'A. P.
Elkin pour comprendre à quel
point pareille description est faus-
sée, en quelque sorte désaxée, et
que ce dévergondage anthropologi-
que n'est que la figure pittoresque
d'une méconnaissance de la réalité
australienne.
Le livre d'Elkin vient donc
combler une lacune, particulière-
ment grave en France, où l'ethnolo-
gie est essentiellement tournée
vers l'Afrique et l'Amérique du
Sud ; c'est le travail de synthèse
d'un des meilleurs spécialistes de
l'Australie : Elkin est allé à plu-
sieurs reprises sur le terrain, depuis
1927 ; il a observé, filmé, enregis-
tré les activités de nombreuses tri-
bus ; il a analysé, dans de soli-
des monographies, d'importants as-
pects de la vie indigène : les struc-
tures matrimoniales, le totémisme,
la magie, l'art, la musique. Actuelle-
ment à la tète de l'Institut d'an-
thropologie de l'université de Syd-
ney, il dirige la revue Oceania. in-
comparable source d'informations.
L'origine des Australiens
L'ouvrage est d'une construction
claire, linéaire. Elkin commence
par poser le problème de l'origine
des Australiens : comme on arrive
difficilement à les classer dans une
catégorie raciale, on en fait, c'est
si commode, des « Australoides ».
Le peuplement de l'Australie date-
rait de quelque 17.000 ans : c'est
dire quelle longue et complexe évo-
lution a précédé le stade « ethno-
graphique » actuel et combien nous
sommes mal venus de parler de
« primitifs » ou d'un quelconque
« état de nature ». Relevons aussi
l'idée qu'il y a 5.000 ou 10.000
ans. les aborigènes connurent,
avant « la raréfaction des précipi-
tations, le tarissement des rivières,
l abaissement des eaux des lacs,
des conditions de vie plus favora-
bles et des plaisirs excitants com-
me ceux, entre autres, de chasser
ces animaux gigantesques qui for-
maient une partie de la faune de
ce passé préhistorique. » Ne peut-on
imaginer qu'à cette époque furent
mises en place certaines des gran-
des structures sociales — classes
d'âge et de mariage — et idéologi-
ques — totémisme — qui encadrent
encore si fermement la vie indigè-
ne ? Elkin évalue à environ
300.000 âmes la population indi-
gène à l'arrivée des Blancs, en
1788 : il n'en reste aujourd'hui
guère plus de 30.000, mais un re-
nouveau démographique s'est amor-
cé.
Chasseurs-collecteurs, les Austra-
liens vivent en contact — en com-
munion — intime avec la nature ;
Elkin décrit fort bien ce type de
relation, sans insister suffisamment
sur l'un des termes, à savoir la na-
ture, qui méritait d être présentée
de façon plus riche, plus détaillée,
plus vivante : on aurait aimé
« voir » les paysages d'Australie,
rocs, cailloux, sables, dépressions
argileuses, cours d'eau ; la végéta-
tion : eucalyptus, mulga. spini-
fex : la faune : kangourous, euros,
wallabies, bandicoots. émeus, chats
indigènes, et le riche éventail des
lézards, goannas et serpents — tous
éléments sans lesquels la vie maté-
rielle, affective et spirituelle des
aborigènes demeure incompréhensi-
ble, vague ou abstraite. Elkin est
plus précis lorsqu il analyse 1 orga-
nisation sociale — tribus, clans,
groupes locaux — et matrimonia-
le : il expose avec clarté les diffé-
rents types de parenté classifica-
toire. grâce à laquelle s effectue le
phénomène fondamental de la cir-
culation des femmes, et il dessine
ces élégants tableaux où l'on voit
1 Ego. au centre d'un jeu binaire
d interdits et d'instructions, rayon-
ner à la recherche de l'épouse idéa-
le — tableaux qui ne seront vrai-
ment parlants que lorsqu'on en au-
ra trouvé la transcription mathéma-
tique ou algébrique, permettant de
saisir dans une intuition simple,
chiffrée, ce que peut être par exem-
ple « la fille de la fille du frère
de la mère de la mère ».
Durkheim a rendu célèbre en
France le totémisme australien ;
Elkin aborde le problème dans
une perspective moins « romanti-
que », si l'on peut dire, plus posi-
tiviste ; il ne systématise pas — il
fragmente au contraire le fait to-
témique — il ne cherche pas la
profondeur. Voici par exemple
qui est typique de sa manière :
« Quel rapport y a-t-il entre toute
cette affaire de sociétés cultuelles.
de « loges » et le totémisme Y La
réponse est simplement que le to-
témisme cultuel se fonde sur la
croyance en l'interdépendance de
l homme et de la nature, sur le be-
soin que l'un a de l autre, et sur
le sentiment instinctif qui pousse
le premier à introduire la seconde
dans sa vie cérémonielle et histori-
que. » Qu'on puisse chercher à
déterminer des principes explica-
tifs un peu moins sommaires que
cette « croyance en l'interdépendan-
ce » et ce « sentiment instinctif »
pour rendre compte de ces types
remarquables de relations que sont
la parenté classificatoire et le toté-
misme, cela n'effleure jamais El-
kin : l'imposant effort d'élucida-
tion entrepris par l'anthropologie
structurelle et qui donne d'éblouis-
sants résultats avec l'œuvre de Lévi-
Strauss ne trouve aucun écho dan>
les Aborigènes d Australie.
Roheim
Dans une tout autre direction, si
Elkin apporte à profusion des don-
nées concernant la philosophie, les
rites, les mythes et les croyances des
Australiens, il ne se soucie même
pas de faire état de l'interprétation
psychanalytique tentée par Géza
Roheim dans thé Eternal Ones of
thé Dream 3 ; pourtant, Elkin est
bien friand de « psychologie », il
ne peut pas ne pas savoir qu'à peu
près en même temps que lui. vers
1928, Roheim a travaillé s; <• le
terrain, dans la région d'Hermanns-
burg, qu'il a publié une étude dans
Oceania, et que son livre a fait
l'objet, dans cette même revue,
d'un élogieux compte rendu du
grand ethnologue australien R. M.
Berndt. Serait-ce, pour Elkin.
s'avancer en terrain miné ?
C'est encore plus grave que cela.
Si l'on veut, le « transcendantalis-
me » anthropologique d'un Lévi-
ECONOMIE
L'Espagne à l'heure du développe-
ment, numéro spécial de la revue
Tiers Monde édité par les Presses
Universitaires de France, ne manque-
ra pas de retenir l'attention des éco-
nomistes et de tous ceux qui s'inté-
ressent de près ou de loin aux pro-
blèmes de la croissance économique
Publié sous l'égide de l'Institut du
Développement Economique et Social
que dirige François Perroux. cet énor-
me ouvrage, qui compte quelque -1230
pages et dont la rédaction a demandé
plus de deux ans, est dû à la collabo-
ration des plus éminents économistes
espagnols actuels, appelés à dresser
le bilan des réalisations des quatre
dernières années et à en dégager,
secteur par secteur, les réajustemenis
que le nouveau Plan aurait à prévoir.
Malgré la diversité de l'approche et
l'abondance des sujets traités, il sem-
ble que les auteurs de cette étude
complète et approfondie se soient
Revues
attachés à suivre, quels que fussent
les secteurs analysés, une ligne direc-
trice qu'éclairé la question posée par
François Perroux dans la préface :
« Une nation qui s'enrichit est-elle
menacée dans les valeurs de sa tra-
dition ? » Cette optique confère au
livre unité et originalité de ton. Bien
qu'il ait été destiné à faire mieux con-
naître les caractères spécifiques de
l'économie espagnole et à poser des
problèmes de structures dont dépend
la condition des hommes et le deve-
nir même de la nation espagnole, ce
numéro spécial dépasse le cadre de
l'Espagne et apparaît comme un ef-
fort de réflexion et de formulation
sur les problèmes de planification en
général et sur leurs incidences socia-
les, politiques et culturelles.
Extrapolation (Wooster Collège,
Ohio), déc. 1967. T. Zaniello. « Outopia
in Borges'Fiction ».
Economie et Humanisme (Janvier-
février 1968). Trois articles sur l'ave-
nir de la société industrielle : J. Gar-
barino, « Les relations industrielles
aux U.S.A. dans 20 ans -, B de Jou-
venel, - Tâche de la prévision », M
Masson, « Progrès technique et struc-
tures politiques ».
Après-demain (janvier 1968). Numé-
ro spécial sur le Proies, avec des
contributions de P. Mendès France.
Crozier, Naville...
Prospective n" 14, « Education et
Société » : Economistes, sociologues
(A. Tourairie), hauts fonc'ionnaires.
s'interrogent sur la fonction d'un sys-
tème d'enseignement dans une socié-
té en changement.
Analyse et Prévision (février 1968).
» Les études sur l'avenir en U.R.S.S. »
p'-ir Igor Bestoujev-Lada, historien et
spécialiste des utopies sociales.
ethnographique
Fonhc Kncr ( -\itstniln' centrale ). les quatre
hmn tnt'* s (ippri'tciil <t f n'en 1er le rituel Wul
(.oui urnes des ho m mes des tribus U ailbri
et 11 (ir<uniuij>a (territoires du Yon7 ) pour
(icconi plir leurs rîtes totem if]lies.
Strauss, ou la « symbolique » in-
consciente minutieuse d'un rloheirn
peuvent répugner a des chercheurs
formes dans la stricte tradition po-
«itiviste — anglo-saxonne notam-
ment. Mais même au simple ni-
veau di'scriptif. il ne -erait pa-
diffifile aux spécialistes de déce-
ler diverse- lacunes dans le riche
panorama offert par Klkin : objet-
oublies (pitchi. matati}. activités
passées -ou- silence (rien ,-ur la vie
sexuelle des Australiens, mai- un
long paragraphe sur « la prostitu-
tion de- femmes » ). descriptions
trop values (alimentation, chasse,
circoncision, subincision), etc. Tom-
parativemcnt. on appréciera la mo-
destie, la rigueur et la sobriété
cl un travail mené dans une pers-
pective analogue, les !\otes d'i'tli-
noloifip néo-calédonienne, de Mau-
rice Leenhardt 4 par exeinj)le. heen-
hardt était un missionnaire. Elkiu
ne 1 est pas — mais le malheur
veut qu'il écrive, il le souligne lui-
même, pour les missionnaires et
les fonctionnaires blancs. Intention
pédagogique louable, puisque ces
gens-là sont en contact permanent
direct avec les aborigènes — mais
intention viciée à sa source, en ce
qu'elle s'alimente à une idéologie
qu'on peut qualifier, à volonté, de
paternaliste, ou de colonialiste, ou
d'ethnocentriste : jamais Elkin ne
met en question le bon droit des
Blancs en Australie ; s'il parle
— comment faire autrement —
d'atrocités commises, il ne signale
pas 1 extermination totale des Tas-
maniens : dans les conflits entre
Blanc- et Australiens, il lui plaît
souvent d établir une svmetrie des
responsabilites. en conformité avec
1 hvpocnte principe qui prétend
condamner les \iolences don
qu elle- viennent >• : les quelque-
liirne- <iu il con-acre a la volonté
~ !
d émancipation des \u-ti alicn- re-
prennent !<•- clichés les plus rni-e-
rables de la ps\ cholouie coloniale :
-a bonne con.-cience ethnographi-
que e-t telle (|u il ne se rend mê-
me pa- compte que -a perception,
dison- scientifi(|iie. du monde abo-
rigène e-t faussée, désaxée, par la
pression constante qu exercent deux
trrands modèles idéaux : la société
blanche, chrétienne, fondée sur la
propriété, et l'homme blanc, ra-
tionnel et intelligent : cette opti-
que, manifeste ça et la dans le
cours de l'ouvrage, prend toute
son ampleur dans 1 épilogue, qui
est \eritablement exemplaire :
•( Beaucoup de colons traduisaient
cela sous une forme, imagée en di-
sant : a Au fond, nous sommes
en train de travailler pour les nè-
gres. » En fait, ils avaient un peu
raison. » (p. 414) : « Tous les
autochtones... ne pourront construi-
re leur avenir gué dans le cadre
économique, politique, social et re-
ligieux de la vie australienne » (la
blanche, évidemment) (p. 426).
C'est à peu près le mot de la fin.
Et Elkin est l'un des plus éclai-
rés et des plus généreux parmi les
Blancs d'Australie ! En vérité, com-
ment aller plus loin, dans cette civi-
lisation blanche qui a inventé la
pêche melba et brille dans les tour-
nois de tennis, mais qui a long-
temps, et encore aujourd'hui, pra-
tique une si radicale « meeonnai.--
-ance » du monde aborigène, qu'elle
aurait tant aime voir doucement
-éteindre, non seulement dan.- sa
n'alite pbvsique, mai.- même en
tant qu'objet de savoir — pui.-qu il
a fallu attendre 1026 et le- sub-
vention- américaine- de Hocke-
feller et de Carnegie pour déve-
lopper des investigations sv-tema-
tiques : et encore, remarque Elkin.
filmer le- cérémonie- de la nui!
« dépasse ta- ino\cits ili.'s et/ino-
^raphes. »,
Art et culture
II ne convient pas de terminer
la lecture du beau livre d'Klkin
sur cette note sombre. Il faut re-
venir en arrière, et lire les remar-
quables développements sur I art.
la musique. la danse et la poésie
australiennes : on verra alors que
les aborigènes ne sont pas seule-
ment les créateurs de systèmes de
parenté d'une admirable congruen-
ce, d'une philosophie puissante et
subtile qui s'est révélée un mer-
veilleux instrument d'adaptation à
une nature hostile — mais aussi
les artisans d'une riche culture ar-
tistique, comportant des écoles et
des styles nombreux et variés. Les
Australiens ne connaissent pas l'écri-
ture, mais ils conservent oralement
de grandioses épopées qui soutien-
nen aisément la comparaison avec
les œuvres qui ont nourri la cul-
ture occidentale : le e\cie du célè-
bre rituel Kunapipi. dan.- la l'erré
d Arnhem. comprend, rappelle par
exemple Elkin. 12'.' mélopée.- : et il
v a surtout le e\cle I)|ang<;a\\ ul.
Iran-erit notamment par Ri'rndt. et
qui comprend IKK chant.- représen-
tant plus de 90 pa»e- de texte im-
primé : Elkin en offre un très bel
extrait, domine avec une étonnan-
te virluosite par le thème de la
pagaie, et dont les deux derniers
versets peuvent chanter en nous
comme 1 écho d une belle civilisa-
tion méconnue '•
\oits. les li iunf>naicut. nous faisons
du bruil avec nos pagaies, nous
faisons de I écume quand nous
pu jf avons nie...
L odeur du sel .' Lu mer mugissan-
te, et son écume! Son immense
étendue derrière nous !
Roger Dadoun
1. The Australitin Aboriginal. 1924.
'2. O.P. Alountford, Mythes et rites de.*
aborigènes d'Australie centrale. Fayot éd..
1953. On trouvera <ie belles descriptions
dans les livres de J. Villerninot. Paradis
Primitif. Connaissance du Monde éd..
1959. et Boomerang. 2 vol.. Julliard éd..
1934.
3. Traduction à paraître dans la collection
K Connaissance de l'inconscient ». Galli-
mard.
4. Institut d'Ethnologie. Paris 1930.
La Quinzaine littéraire, du 15 au 31 mars 196K.
23
ANTISÉMITISME
«La Croix» et les Juifs
En étudiant l'histoire du jour-
nal catholique la Croix, Pierre
Sorlin montre comment les ca-
tholiques cléricaux du XIXe siè-
cle étaient naturellement anti-
sémites. L'historienne Made-
leine Rebérioux caractérise cet-
te peur du juif et cette haine
contre lui par !e refus du « pas-
sage à l'économie industrielle »
et le refus, par les mêmes mi-
lieux, du monde moderne.
I
Pierre Sorlin
La Croix et les Juifs
Grasset éd.. 345 p.
Que l'antisémitisme soit né pour
l'essentiel de l'antagonisme judéo-
chrétien dans nos sociétés où le
christianisme, religion-fille, s'est
dresse contre sa mère, la Synago-
gue, les historiens, depuis Jules
Isaac. Léon Poliakov et Marcel Si-
mon ' en sont assurés et l'KglisC
catholique a pour une part recon-
nu sa responsabilité en ce domaine
eu supprimant de son rituel pascal
la prière consacrée aux Juifs déi-
cides. Mais nous sommes encore
loin de connaître dans son ampleur
et dans sa continuité l'antisémitis-
me de I Lglisc et de ses fidèles.
C est cette double lacune que
comble largement, pour les vingt
dernières année- du \i\l siècle, le
livre — sa thèse complémentaire
de doctorat — que vient de publier
Pierre Sorlin. La » croix » ce n est
pas le crucifix qui orne la couver-
ture et que contemplent avec dé-
goût et courroux deux individus
bedonnants, à « faciès de juif »
-clou 1 imagerie raciste tradition-
nelle. Il s'agit du périodique fonde
pur les Assoinptionni-te- en avril
M-îiO : d'abord revue mensuelle. /</
(li>ii.\ devient, à partir du 16 juin
iiSH.'i. un quotidien complémen-
taire du fortune Pèlerin et comme
lui contrôlé par le Père Bailly.
Mais 1 image, dans son ambiguïté
voulue, n'est pas dépourvue de si-
gnification : à travers la Croix.
journal hautement représentatif
des milieux catholiques, ne peut-
on espérer atteindre, au moin-
piirlicllement. u les sentiments des
niilieu\ cléricaux n l égard des
mils « et comprendre comment
il.- " ont franchi en nn^l nus lu
qui va de la
demi-inconscience, certains aspects
de l'ancienne société.
Les Assomptionnistes, éditeurs
de la Bonne Presse, appartiennent
justement à un milieu qui refuse
le monde moderne et qui en a
peur. Le passage à l'économie in-
dustrielle et à ses nouvelles struc-
turations auxquelles la religion
s'adapte mal leur inspire une sor-
te de vertige. Ils ne sont pas les
seuls. L'extraordinaire succès de
l'ouvrage de Drumont. la France
C?
juive, qui paraît en 1886. les tira-
ges atteints par les écrits aritijuifs
(on en a recensé 15 en 1886. 14
en 1887. 9 en 1888. 20 en 1889 :).
le- 200.000 exemplaires auxquels
se vend, à partir de 1892. la Libre
Parole, tout cela témoigne des in-
quiétudes d'une société apeurée
devant des forces qu'elle contrôle
difficilement. Il convient de cher-
cher un coupable, un responsable :
le Juif 'f Sorlin montre que 1 anti-
sémitisme de la Croix atteint un
niveau obsessionnel entre 1889 et
1892. au moment où le journal
s implante fortement chez les ca-
tholiques de la région du Nord où
vit » une grosse proportion de pe-
tits commerçants, épiciers, quin-
cailliers, cabaretiers ». à la limite
de la gène. L antisémitisme s y ren-
contre jusque dans la presse locale
sociali-te : Claude \\illard a ras-
semblé dans sa thèse quelques ar-
ticles un peu plus tardifs (1897)
parus dans le Réveil du Mord : un
guesdiste connu. Charles Bonnier.
v affirme par exemple que. long-
temps avant Drumont. deux socia-
listes. Toussencl et Marx, avaient
a stigmatisé la juiverie européen-
ne »\ Bref, pour réussir dans le
Nord il est commode à cette date
d être antijuit.
Mais pourquoi « les nufs » plu-
tôt que « li'S fourreurs » ''. La ques-
tion de Sartre, reprise récemment
par Jean-Luc Godard dans Une
femme mariée, joue le rôle de mi-
roir. Du lecteur boutiquier de la
Croix elle nous renvoie à ses fan-
tasmes, c'est-à-dire à l'antisémitis-
me chrétien. fond- commun où
tous peuvent puiser sinon des ar-
guments, du moins une attitude
mentale. Je veux bien que. com-
me I écrit Sorlin. / I nivers. journal
catholique s il en lut. -e soit pro-
nonce, a la fin de la monarchie de
juillet, en faveur de l'émancipa-
tion <\e~ juils. et il est très pro-
bable ijiic le l(ii! de- autres jour-
n.m\ i-at!io'ique- de ];> fin du -!••-
elt- a I e\ei-M||.ili l!ll !'"->!>lt' traii-
• i'(- le I aii!.-" ( /armer e-! moin-
V I '. ïl! :.!• •!,- déli'MI I -il:,• ,-ej,.i
•<•< lit '" \\ " 'e <;^ilt<>~ -.m!
', .. •. ,•::•, - \ • ! ..-.,, \ I i I ' .|, !.
\
(Quelle en est l'ampleur '.' Sorlin
a consacré deux gros chapitres à
ce <ju il nomme « les variations an-
tisémites » du journal. Entendons
par la des variations sur le thème
de l'antisémitisme car la Bonne
Presse, qui ne réagit guère au
krach de l'inion Générale, classe
pourtant les juifs, dès 1881 « parmi
les gens dangereux » et. a partir
de 1889. l'antisémitisme y triom-
phe : « Le journal le plus anti-
juif de France ». telle se proclame,
en septembre 1890. la Croix. Jus-
qu'aux élections législatives d'août
1898. elle rivalise avec elle-même
d'efficacité et d'éloquence dans la
haine du juif. L antisémitisme to-
tal est atteint le 2-1 mai 1893 :
la Croix en vient à faire des
Israélites « la cause unique de toutes
les difficultés passées et présentes ».
La haine des Juifs que manifeste
le journal du Père Bailly. en quoi
se distingue-t-elle de celle du reste
de la France antisémite '.' Je m'en
tiendrai h deux exemples : les
journaux socialistes et la Libre Pa-
role. L hostilité envers les Juifs a
touché, dan.- les années 1893-1897.
une large partie de la presse socia-
lisante. Jaurès lui-même en 1895.
au retour d un bref voyage en Al-
gérie, croira entendre pa-scr dans
l'antisémitisme un souffle révolu-
tionnaire. Contrairement cepen-
dant a ' ci- icr.- quoi tend la de-
niKnslration il Kdnutnd Silberner .
non -eulemcnt la crise fut brève
il altairc Dn'vlu- ouvrit bientôt Ic-
'. c;i^ île l'.u- h-- d: ri^'';uil- I. mai-
cnrop- ii1- 'i \'' - ir- 'ihi- i i.ail mi --
HAUTE ^orrç
4 elanvier 1900
CONDAMNÉ.,
de la Croix, un juif peut, s il se
convertit, cesser d'être juif : il
reste l'héritiei rie l'antique promes-
se faite au peuple élu et déchu :
par la conversion il perd son exo-
tisme et. devenant chrétien, de
vient en même temps bon Fran
eais. voire, s'il est financier. « di-
Sue d estime ». La Croix refuse
donc l'essentialisnip racial selon
lequel le juif demeure éternelle
ment juif, au bénéfice d'un autre
système d'équivalence hérité de
notre moyen âge : comment être
français si l'on n'est pa« chrétien '.'
et comment estimable '.'
Songeons à ceci : à partir de
1893 et jusqu'en 1900. la Croi'.i
et le Pèlerin atteignent au moins
un demi-million de lecteurs.
Aussi supportons-nous assez mal
1 étrange préface que Charles
Monsch a écrite pour le livre de
Sorlin et notamment sa tentative
d'expliquer et presque de légiti-
mer l'antisémitisme de la Croix
en tant que réplique aux « milieux
sectaires et anticléricaux (qui) ne
visaient ni plus ni moins qu'a la
destruction de l Lglise ». Pourquoi
« tous les juiis » est-on tenté de
repondre a ce Père assomptionnis-
te. pourquoi " tous les /«(7s » et
non pa- " ton* les anticléricaux » '.'
Madeleine Rebérioux
I. .Iule- l-.rn-. <ii'iif.f ,!,- i :i:!ii-<'mitisnn .
i''.>'>. i.'J [i l.con IVi : -ij,' ••. il'.i (.hriïl
ri:- . iiu! • •.'•• l'.oiir. l'y.",.". ., i, -, M,!i-rvï
-.i!:,,;,. ^ <•!.<* /T./..' /;/;, .- >•_,, M . n'hl-
ll,., .„,-,- , '.,.;,.-:•. ,.; ,. .-,, ,',„;, /•/•-;,..
'.' '• '. i. ! ,• ;-; .m.;,T (i,- n K iu,i,-.
Un appel à la raison
I
Emmanuel Berl
Nasser tel qu'en le loue
coll. « Idées »
Gallimard éd., 155 p.
Emmanuel Berl vient d'écrire
un rrai livre. /Yasser tel qu'on le
loue n'est pas le simple pamphlet
qu'on dit avec un ton mi-admira-
tif mi-condescendant : songeant à
Facuité spirituelle et à la force du
style, on veut dire aussi par là
que l'ouvrage serait partial, rapide
et simplement polémique. C'est le
contraire qui est vrai. Le hvre de
Berl est en effet la réussite du
très rare équilibre entre l'œuvre
écrite et l'œuvre vraie, entre l'ou-
vrage littéraire finalement poéti-
que et sensible et l'œuvre politique
véridique et responsable.
Par son seul titre déjà (discrète
évocation d'un titre de Péguy. Lan-
son tel quon le loue, répondant
lui-même à un écrit de Lanson.
Langlois tel qu'on le parle) cet
ouvrage se pose comme œuvre litté-
raire d'abord. Mais la pure écriture
est surdéterminée et le style ren-
voie à une forme de la sociabilité.
Par le choix d'un style rigoureuse-
ment parfait quant à l'équilibre de
la syntaxe, du rythme et des en-
veloppements réfléchis de la phra-
se se retournant sur elle-même
comme chez Rousseau, ce livre est
un pur hommage à la langue fran-
çaise. Par sa seule forme déjà il
exprime donc l'une des trois idées
qu'il comporte, la première étant
que Berl est un Juif français
(nous nous reconnaissons là entiè-
rement) et qu'il se pose fermement
et sereiriement comme tel : u Je
s«is que je suis français et que
donc je puis être ami d'Israël mais
non pas Israélien. Quand, après la
Guerre des Six Jours, j'ai été à
Moscou revoir une tic mes amies
— juive elle aussi et russe — j'ui
eu le contentement que les partîtes
qu elle ni a aussitôt dites, aient re-
pondu mot pour mot a celles que
je lui eusse dites, moi, si c eût été
moi qui avais parle le premier. »
Cette revendication de l'être
français reste pourtant pure, tran-
quille et non chauvine, jamais com-
promise par la sourde intention de
donner des gages et de fournir en
somme des excuses pour son être-
juif mal accepté, comme on voit
encore le cas se produire trop sou-
vent chez certaines personnes ou
associations juives, u Que je le
veuille ou non. je suis français...
M. d'Astier l'a rappelé aux fran-
çais Israélites. C'était juste. Je ne
pense pas que ce fut nécessaire.
Mais enfin ce qui va sans dire va
mieux encore en le disant. » « Tout
au plus pourrais-je devenir un
Français persécuté » comme les
protestants ou les communistes, en
d'autres circonstances, répond en-
core Emmanuel Berl à d'Astier. à
l'occasion d'une émission télévisée
qui est à l'origine de ce livre.
Cet ouvrage, qui fait donc par-
tie constitutive de la culture fran-
çaise vivante, est en même temps
une réponse politique, une œuvre
polémique réfléchie qui s'adresse,
par-delà « les erreurs gracieuses »
de d'Astier, « homme de gauche
issu de l'Action Française » à toute
une opinion arabophile et anti-
israélienne qui se prétend de gau-
che et ne sait même pas qu'elle
est antisémite. C'est la deuxième
idée fondamentale de ce livre, à la
fois la plus audacieuse et la plus
vraie, et c'est elle par conséquent
qui se heurtera aux plus grandes
« résistances ». au sens où 1 enten-
dent les psvchologues. Explicite-
ment formulée dans l'avant-dernier
chapitre « Ant;-emilisme et anti-
sionisme ». elle sous-tend au-si tout
l'examen détaillé de.- grief- qu'on
dit avoir contre Israël ou îles exi-
gences qu'on se donne !<• droit de
formuler devant I opinion
Berl voit fort bien la tentation
que pourrait être, pour certain-
Juifs français. 1 anti-ionisme : tie-
vant la distinction laite entre les
Juifs et les !( sionistes ». ils éprou-
veraient un « lâche soulagement ».
Emmanuel Berl n'accepte pas ce
chantage. 1. antisionisme recouvre
en fait les mêmes passions et les
mêmes mécanismes psvchologiques
et politiques que I antisémitisme,
c est un nouveau mot pour une
BIBLIOTHÈQUE NATIONALE
L'exposition Léon Bloy
A l'occasion du cinquantième anni-
versaire de la mort de Léon Bloy, la
Bibliothèque Nationale a organisé une
exposition consacrée à celui qui se
qualifiait lui-même de « très humble
et très ingénu vociférateur ». Classé
par ordre chronologique, cet ensemble
de documents mis à la disposition des
organisateurs par la fille de l'écrivain
et quelques collectionneurs passion-
nés, nous restituent la figure, l'œuvre
et les colères célèbres de ce catholi-
que exacerbé, disciple de Barbey d'Au-
revilly, ami de Huysmans, qui vécut
dans un état de perpétuelle indigna-
tion et qui portait en toutes choses
une telle exigence qu'il allait jusqu'à
stigmatiser les défenseurs de son pro-
pre parti, nul n étant assez catholique
à son gré. De l'acte de naissance de
Léon Bloy, daté du 11 juillet 1846, à la
dernière page du Journal, arrêté en
pleine guerre, le 20 novembre 1917
(Léon Bloy devait mourir quelques
jours plus tard, le 3 novembre 1917),
l'essentiel de la correspondance et
l'essentiel de l'oeuvre, contenu dans
cinq cahiers d'écolier que l'auteur a
couvert de son écriture extraordinaire-
ment fine et serrée, dessins, photo-
graphies, éditions originales, objets
familiers et souvenirs personnels,
nous permettent de suivre les étapes
d'une vie aux résonances apocalyp-
tiques.
chose ancienne et une violence
passionnelle qui par-delà les Israé-
liens et les « sionistes » vise a la
fin tous les Juifs. « Les litiges de
bornages prêtent beaucoup plus
aux compromis que les passions
de haine, de peur, de rancune ou
d'envie. Comme il est évident pour
tout homme sensé que l objectif
à atteindre au Proche-Orient, c'est
la coexistence et non seulement la
coexistence mais la coopération et
tre l'antisémitisme des Arabes et
des antisioniste.-, on sent que Berl
lance comme un appel sourdement
angoissé à la conscience publique
en France. » La folie menace tou-
jours chacun : c est une marque
de déraison que de l'oublier. Je ne
crois pas que « chacun soit coupa-
ble de tout envers tous »... mais je
pense que chacun est toujours ca-
pable de tout envers tous... aucun
indnidit ni aucun groupe n esl un-
! amitié, le sionisme, perdrait rite
toute arrofiance et l antisionisme
sun venin, si I antisemilisme n ef-
frayait pas I un et ne surexcitait
pas l autre. Il est malheureusement
une passion trop ancienne et trop
répandue pour accorder aucune
iraisemblnnce aux déclarations des
Arabes quand ils affirment que le
monde arabe en est exempt. »
Citant parmi de nombreux
exemples ledit donné aux Juifs du
Y emen par l'Iman Yahia en 1(H)5.
Berl rappelle opportunément que
l'humiliation fut bien plutôt le lot
des Juifs opprimés dans le monde
arabe que celui des Arabes d'au-
jourd'hui, libres, indépendants, es-
timés et reconnus, ci La vérité est
que ce n est pas le .sionisme qui
ressuscite l'antisémitisme. c est
l'antisémitisme qui attise l'anti-
sionisme. » Evoquant les caricatu-
res de la presse égyptienne et les
appels au massacre génocide et a
la guerre sainte sur les ondes de
la Voix des Arabes. Berl écrit :
« Je sais, je vois, je sens, je suis
désabusé : cet antisionisme est le
frère jumeau de i'antisémitisme tel
que Drumont le prêchait, que
Goebbels le propageait, que Eich-
mann le pratiquait. »
Derrière l'accusation portée con-
mitnise contre ce délire... Il :ne
semble effrayant que. après aroir
fait dans un passe tellement pro-
che des ra cages tellement atroces,
l'antisémitisme effraie tellement
peu. »
C'e.-t cet appel angoi-sé a la rai-
son qui nourrit I ensemble des ana-
lyses concrète- qui constitue la troi-
sième idée fondamentale de ee li-
vre -i dense et ramasse ; c est la
démonstration selon laquelle le-
griefs enver- Israël ne sont fonde-
ni en vérité ni en raison. Mais par-
delà les réponses précise- qu il
donne aux questions sur les « ré-
fugies ». sur « I humiliation » ara-
be ou sur « l'agression » israélien-
ne, on est trappe par la permanen-
te volonté de dialogue et de compré-
hension à l'égard des Arabe- : leur
civilisation, leurs vertus, leur di-
gnité sont toujours évoquées avec
objectivité et sympathie, comme si
par-delà 1 angoisse et la guerre ab-
solue des hommes entre eux. on
savait bien que tout est toujour-
possible, que les conversions a la
raison et à la générosité sont de
1 ordre de 1 humain. « Au Proche-
Orient, la seule idée qui aille ilans
le sens de la vie. c'est celle de la
fraternité entre Juifs et Musul-
mans. » Robert Misraln
HISTOIRE
Comment est né le
Les éditions Gallimard procu-
rent au public une nouvelle
édition de cette œuvre, parue
il y aura trente ans. Elle ne
passa pas inaperçue. Mais
dans les milieux qui s'y in-
téressèrent, elle ne reçut pas
l'accueil que son originalité
aurait dû lui mériter.
Angelo Tasca (Rossi)
.\aissutice du fascisme
L Italie de l'Armistice
à la marche sur Rome
Nouvelle édition 1938. 1967
Gallimard éd.. 504 p.
Ce qu'on a ajouté à l'édition de
1938 ne' tait pas de cette seconde
édition un li\ re nouveau. Le cœur
de l'œuvre, ce par quoi elle vaut
singulièrement était déjà connu
alors. La préface à l'édition italien-
ne de 1950. ajoutée ici en postface,
prolonge pour 1 essentiel, à la
lumière des ans. les réflexions que
Tasca avait commencé de faire plus
systématiquement, il y a déjà
trente ans. dans son premier épi-
logue. Les notes conjointes méri-
tent un intérêt attentif.
Né en 1892. Tasca meurt à
Paris, en 1960. Tout en poursui-
vant des études supérieures com-
plètes, il se forme « à la base ».
par des travaux de jeune recrue,
dans toutes les branches du mou-
vement ouvrier et socialiste italien
— jeunesses, syndicat, coopérative,
parti — et s'élève peu à peu à des
postes de responsabilité. Il passe
des socialistes au parti communiste
naissant, où il travaille aux côtés
de Gramsci dans ce milieu turinois
de 1 « Ordine A'uoro ». si original
par la place qu'il donna aux Con-
seils ouvriers d'entreprise. Il est
très vite porté, sans l'avoir recher-
ché, à des postes de direction, au
secrétariat du parti italien d'abord,
de la IIIe Internationale, ensuite.
Il y est opposant et en est exclu
en '1929. Il s'établit, dès 1930. en
France, où il collabore quotidien-
nement à l'activité des milieux
socialistes, français comme ita-
liens, et, particulièrement. au
Monde de Barbusse où des socia-
listes et des communistes tâchaient
alors de travailler en commun. En
1934. il se rapproche de Léon
Blum et ses amis du Populaire. On
lui confie une rubrique inter-
nationale. Dès lors, il cherche avec
d'autres à revoir critiquement les
fondements d'un socialisme démo-
cratique. La guerre, qui survient,
disperse et emporte tout cela. La
débâcle française, l'occupation du
pays par les Nazis et l'avènement
du régime de Vichy le démorali-
sent profondément. Dans la suite,
il se redressa et rejoignit la Résis-
tance selon ses lumières propres.
Les dix chapitres qui couvrent
le récit de la Naissance du fas-
cisme, de novembre 1918 à octo-
bre 1922. s'ouvrent sur la neutra-
lité, puis l'intervention italiennes et
s'achèvent par la marche sur
Rome, la nomination de Mussolini
à la Présidence du Conseil. Ils
n'omettent rien d'essentiel. ne
s'alourdissent d'aucun superflu et
nous conduisent des conditions
existantes à ce qui en résulta sans
en avoir procédé de nécessité, avec
une économie de moyens et une
pureté de ligne qui font de ce récit
un chef-d'œuvre.
Après l'occupation des
usines
Tout \ est en trois cents pages.
Cette Italie, mal unie entre Nord
et Midi, au profit d'une dynastie
parasitaire, aboutit à une démo-
cratie bâtarde, fruit, pourri dès la
naissance, des compromis que fo-
mentaient les Savoie, le Vatican.
les agrariens et les industriels pro-
tectionnistes. Elle faillit sombrer
dans une guerre que le pays ne
\oulait pas et dont tout le monde
sortit, pour des raisons diverses et
propres à chacun, tous mal con-
tents, les uns pleins de ressenti-
ment et d'inquiétude, les autres de
désirs de changer, de ne plus subir,
d'agir pour un meilleur sans re-
chute. Le retard qu'elle avait pris
dans l'histoire était gros d'une
révolution démocratique que seules
les couches travailleuses pouvaient
désormais promouvoir et qu'elles
auraient dès lors spontanément
poussée jusqu'à une victoire socia-
liste. Il n'accoucha pas, faute d'une
vue claire et du vouloir concerté
de ceux qui y tendaient.
Dès lors, s'agitent, inquiets de
réussite, tous ceux qui, sans racines
avouables, pèchent en eau trouble
et saisissent, quelle qu'elle soit, la
fortune aux cheveux. Les prolé-
taires des villes et des champs
avaient été, les uns déjà fortement
organisés par un quart de siècle
de luttes et d'éducation, les autres
arrachés par 1 expérieui,^ des mois
de guerre aux servitudes qu'ils
avaient jusqu alors souffertes, ac-
coutumés à combattre et à vouloir
changer à l'exemple de leurs com-
pagnons plus heureux. Ils firent
irruption, en nombres décuplés,
dans les luttes sociales, posant des
problèmes nouveaux à eux-mêmes
et à ceux qui auraient dû les diri-
ger.
Les masses poussèrent jusqu'à
l'occupation des usines, puis, faute
d'impulsion directrice, refluèrent
et se dispersèrent. L'Etat parle-
mentaire était au comble de la
faiblesse. Toutes les forces vives
l'avaient abandonné. Il n'était plus
que paralysie. Il ne formait pas
l'un des pôles qu'avait constitués
la tension des rapports sociaux. Il
fallait, au contraire, que l'un de
ces pôles, gagnant à lui les pou-
voirs que retenait encore l'Etat, en
assumât la fonction.
Le camp ouvrier et socialiste
n'avait pas su tirer avantage de la
poussée des niasses pour avancer
décisivement. Il ne pouvait désor-
mais que reculer. La fabrique
sociale ne souffre pas le vide. Il s'y
crée comme un appel d'air où s'en-
gouffrent les forces adverses jusque-
là contenues. L'abstention des so-
cialistes, leur inaptitude à mobili-
ser les forces ouvrières et à grouper
autour d'elles les couches exploi-
tées et déplacées, mais non prolé-
tarisées, surtout les anciens com-
battants et les jeunes, provoqua
aussitôt, non pas une impasse,
mais une offensive des agrariens
et des industriels, d'autant plus
enragés qu'ils avaient eu plus peur.
Les bandes fascistes, jusqu'alors
mal organisées, indécises et tâchant
de rester dans le vent sans pouvoir
percer, s'étaient déjà offertes à eux
et leur fournirent l'armature poli-
tique dont ils avaient besoin pour
former cette coalition qui pourrait
détruire les institutions ouvrières,
s'imposer à l'Etat et jouir sans
partage des pouvoirs et richesses
qu'il lui assurerait.
L'offensive engagée progressa
sans retour. Les institutions répres-
sives de l'Etat y prêtèrent la main
Les forces conservatrices et les
politiciens opportunistes crurent
qu'il était habile de favoriser les
fascistes pour balancer les forces
ouvrières et pouvoir ensuite arbi-
trer. Les catholiques populaires,
que les socialistes auraient pu en-
traîner s'ils avaient été de l'avant,
inclinèrent d'autant moins à s'al-
lier à eux qu'ils les voyaient s'af-
faiblir davantage. Même, ils tin-
rent pour habile de s'en séparer
nettement pour du inoins éviter
que les coups ne retombent aussi
sur eux. Bien vainement, car c'est
toutes les organisations populaires
que les fascistes étaient résolus à
détruire. Tout ce que le socialisme
italien avait laborieusement consti-
tué de forces et d'organisations se
trouva isolé, parce que les diri-
geants n'avaient su ni pu rassem-
bler les masses, les armer et les
guider au combat quand il l'aurait
fallu.
Le Caporetto socialiste
Avec une joie féroce, les fascis-
tes s'engagèrent vers ce que Tasca
appelle justement le « Caporetto2
socialiste ». Et ce qui n'était pas
inévitable, le devint dès lors. Le re-
fus de combattre engendra l'isole-
ment, l'isolement la retraite et la
retraite la destruction. Ce furent
vinpt ans de fascisme et de guerre
et, puis, l'écroulement dans la dé-
faite.
26
fascisme
Tasca marque avec grande force
et très justement combien le temps
contraint, ce qu'il a d'urgent et
d'irrémissible dans l'histoire, dans
celle des sociétés comme de chaque
homme. Il en faut profiter ou le
perdre sans retour. Le changement
nous emporte, que nous le voulions
ou non, pour le meilleur ou pour
le pire. Il faut vouloir ce que nous
pourrions être, ou nous serons ce
que nous ne voulions pas et ce que
nous n'avions même pas rêvé que
nous deviendrions. Pour n'avoir
pas fait, en temps propice, une
révolution, on a vu ce que souf-
frirent, bien au-delà, le socialisme
et le peuple italiens.
Tasca illustre aussi — et Si-
lone dans sa préface — ce que
ces événements eurent de propre-
ment européen : combien les dé-
fauts du socialisme occidental s'y
trouvèrent engagés et lourdement
responsables. Pour l'essentiel il dé-
nonce la passivité fatale qu'engen-
dra chez tous cette croyance en
l'inévitable d'un avènement du
socialisme : que les uns en aient vu
le terme dans une construction
graduelle et réformatrice et les
autres dans une action violente à
poursuivre sans désemparer ou. au
contraire, à préparer par une at-
tente minutieuse — et passive, puis-
qu'un heureux succès était à plus
ou moins long terme la seule alter-
native concevable. II montre aussi
la conséquence du long travail
laborieux d'organisation et d édu-
cation que poursuivirent la plupart
des partis de la II1 Internationale
pour rassembler les ouvriers, à
quoi se juxtaposait un verbalisme
révolutionnaire qui ne visait qu'un
avenir soigneusement indéfini. On
se borna ainsi à maintenir et ac-
croître, sans égard à la différence
des temps, alors qu'on savait pour-
tant qu'on n'échapperait pas à une
catastrophe qu'on avait appris à
prévoir — mais ce n'était plus
pour ainsi dire qu'une rhétorique
— sans qu'on y pourvût,
Rassembler la nation
autour des ouvriers
Ces mêmes pratiques firent ou-
blier un autre souci fondamental
du socialisme : qu'il faut rassem-
bler la nation autour des ouvriers
et la convaincre, à chaque étape,
que la classe révolutionnaire éman-
cipe, en s'abolissant, la société tout
entière. Les chefs de la IIe Inter-
nationale avaient, si l'on peut dire,
renversé les termes de cette exi-
gence. Ils y avaient peu à peu
substitué en fait et, même pour
certains, en droit, l'opinion qu'un
procès progressif agrandissait pour
tous les assises de la démocratie et
y intégrait de mieux en mieux le
monde ouvrier. Leur souci quasi
professionnel des ouvriers les dé-
tourna des fins nationales du socia-
lisme, comme, d'ailleurs, des objec-
tifs démocratiques qu'elles embras-
sent, et, par là. ils furent inaptes
à affronter la révolution dans toute
son ampleur, à rassembler la nation
autour d'elle.
Par opposition à l'épisode histo-
rique qu'il analyse, en négatif si
l'on peut dire. Tasca discerne ce
qu'une révolution doit avoir de
créateur et de spécifiquement ori-
ginal. La leçon est ancienne, mais
on l'oublie. Qui ne s'en aperçoit,
pourtant, dans chaque révolution
qui survient : en Russie, en Yougo-
slavie, en Chine, au Viêt-nam ?
Quoi de plus inattendu, que la
marche, le succès et les change-
ments renouvelés de la révolution
à Cuba ? Voilà ce qui manqua
cruellement, de 1918 à 1923. en
Italie et en Allemagne.
Tasca veut faire au bolchévisme
sa part de reproche et de respon-
sabilité dans la faillite du socia-
lisme en Italie. Que l'impact du
bolchévisme russe sur 1 Europe se
soit ou non révélé négatif et désin-
tégrant, il n'y a pas faute dans le
cas de l'Italie et pour l'époque
considérée. L'eussent-ils voulu, les
dirigeants, à Moscou ou dans la
IIP Internationale, ne pouvaient
guère alors. Il est d'ailleurs notoire
que la seule section nationale qui
ait résisté en effet aux directives
venues de Russie fut l'italienne.
On ne saurait reprocher à Lénine
le sectarisme de Bordiga3, et Ser-
rati4 se servit de l'exemple bolche-
vique comme Kautski fit de Marx.
Il s'agit ici de faits, et non pa?
d épouser sans bénéfice d inventai-
re les thèses que Lénine et le?
bolcheviques formulèrent sur le
parti et la révolution. De 1918 à
1923 Fêtât de choses politique était
bien plus fluide, si je puis dire,
et les défaites des socialistes euro-
péens qui survinrent alors contri-
buèrent aussi à son durcissement.
Les bolcheviques discutaient avec
leurs camarades européens en ter-
mes d'égalité et non sans ouver-
ture. C'est alors que Lénine disarl
à Brandler : « Nous avons trouvé
notre formule et l'avons appliquée
en Russie ; c'est à vous d'étudier
les conditions européennes dans
chaque pays et de trouver la
vôtre. » Dans la suite la dogma-
tique, puis la casuistique stalinien-
nes... Mais c'est là tout autre chose.
Louis Rigal
1. Le maximalisme italien fut ce que
Ton nomme, dans un jargon politique
peut-être oublié aujourd'hui, une variété
de centrisme, sincèrement opposé à la
guerre, mais fort peu apte à la trans-
former, quand elle survint, en guerre
civile et. tout de même, bien incapable
de reconnaître une situation révolution-
naire, d'en affronter les tâches et de la
guider vers la conquête du pouvoir.
2. Tasca rapproche dans cette métaphore
la défaite socialiste de la rupture du
front italien qu'en décembre 1917 les
armées austro-hongroises réussirent à pro-
voquer et qui faillit entraîner la déroute
définitive des armées italiennes et non
pas une retraite sur le Piave, comme ce
fut le cas.
3. Premier secrétaire général du Parti
communiste italien.
4. Secrétaire général du Parti socialiste
italien et porte-parole principal du maxi-
malisme.
nouvelle
HENRI BREMOND
de l'Acadcmie française
édition
HISTOIRE LITTERAIRE DU SENTIMENT
RELIGIEUX EN FRANCE
DEPUIS LA FIN DES GUERRES DE RELIGION
L'HUMANISME DÉVOT
L'INVASION MYSTIQUE
LA CONQUÊTE MYSTIQUE
pamphlet
par
DANIEL EWANDÉ
Le rire vengeur d'un Africain en colère.
ALBIN MICHEL
UNE ANNÉE
d'informations,
de critiques,
les événements du monde
des livres,
les ouvrages importants de
l'étranger :
UN ABONNEMENT
d'un an à
La Quinzaine
littéraire
La Quinzaine littéraire, du 15 au 3l mars 1968.
une révolution
technique
au service
de la réforme
de
l'ensei
PAYS
La Jordanie
i
A.M. Goichon
Jordanie réelle
Desclée de Brouwer. 580 p.
1 200 C.E.S. à construire en 5 ans !
Seule, l'industrialisation du Bâtiment peut-y parvenir.
Dans le domaine scolaire, G.E.E.P.-INDUSTRIES,
le plus ancien et le plus important des Constructeurs
(4000 classes édifiées en 6 ans, pour 150 000 élèves ;
2 500 .classes pour la seule année 1966),
reste à la pointe de ce combat.
Grâce au dynamisme de son Service « Recherches »,
à la puissance des moyens mis en œuvre, G.E.E.P.-INDUSTRIES.
ne cesse d'améliorer la qualité et le confort
de ses réalisations et de justifier
la confiance grandissante qui lui est faite.
CEEP-INDUSTRIES
Ce livre remarquable comble
deux lacunes. Tout d'abord, il est
le seul ouvrage dont le lecteur fran-
çais puisse disposer pour connaître
la Jordanie dans sa réalité contem-
poraine, et, au-delà de l'admiration
et de la passion qu'il a pu éprouver
— s'il y a séjourné quelque peu —.
pour la splendeur de ses paysages,
comprendre quelles difficultés il
faut surmonter pour faire vivre un
pays particulièrement démuni. Le
second mérite du livre de Mme
Goichon, c'est de faire le point,
avec une objectivité critique très
sûre, à propos de cinquante années
d'histoire.
Ce premier volume — le second
ne doit paraître que dans plus d'un
an et compléter l'étude économique
et géographique du pays —. se
compose en effet de trois parties.
Après avoir défini, dans ses gran-
des lignes, le cadre jordanien, son
paysage, Mme Goichon en relate
l'histoire, pratiquement jusqu'au
début de 1967, et commence ensui-
te de dresser un tableau précis des
réalisations entreprises. Ce bilan,
que le second tome doit donc com-
pléter, est éclairé par une analyse
minutieusement documentée des
conditions historiques, sociales et
i économiques avec lesquelles il a fal-
i lu compter pour procéder à quel-
1 que réforme que ce soit (on y ap-
' prendra, par exemple, comment la
' politique britannique a empêché
, pendant des années l'irrigation des
> terres cultivables \). Le problème
i de l'eau est un problème essentiel :
* h la faveur d'un hiver sans pluie,
' le désert est prêt à tuer tout arbre
* qu'on plante. Mais on pouvait voir,
, aux portes d'Amman, les efforts de
» reboisement et de cultures et, avant
* juin dernier, la vallée du Jourdain
* était à la Jordanie ce que la vallée
* du Nil est à l'Egypte...
, Progressivement, l'administra-
• tion jordanienne s'est efforcée de
• mettre en valeur les ressources de
22, rue Saint-Martin, Paris-4'
Téléph. 272.25.10 - 887.61.57
ce pays pauvre, qui ne pouvait guè-
re compter que sur le tourisme et
l'agriculture. Les responsables ont
fait preuve d'autant de ténacité que
de souplesse, sachant revenir sur
des décisions qui eussent pu être
catastrophiques par leurs consé-
quences, notamment dans le domai-
ne écologique. A mesure des pos-
sibilités, des réfugiés palestiniens
ont été intégrés à la vie jordanien-
ne et se sont vu offrir des emplois
(ils ont fourni une grande part de
la main-d'œuvre nécessaire à l'ex-
ploitation hôtelière et surtout aux
cultures de Cisjordanie). Des rui-
nes magnifiques de Dierash à Pé-
tra, des collines de Judée au désert
d'Arabie et au golfe d'Akaba, un
pays courageux tentait de survivre,
de dominer les inextricables com-
plications sociales et humaines que
créaient la présence de milliers de
réfugiés, l'imbroglio politique et
aujourd'hui les conséquences d'une
guerre dont il est la première vic-
time sans en être responsable. Pri-
vée de ses territoires occidentaux.
la Jordanie est condamnée à l'étouf-
fement.
Elle demeure prise dans le jeu
des malheureuses rivalités politi-
ques arabes, et tributaire, pour
l'équilibre de son budget, de gran-
des puissances économiques et fi-
nancières. Ce portrait d'un pays
que l'on connaît si mal était in-
dispensable et on ne saurait trop
louer l'auteur de nous le donner
avec une autorité aussi remarqua-
blement fondée.
Ce qui était non moins indispen-
sable, c'était de permettre au lec-
teur de revenir -aux réalités de
l'histoire, si confuse et tellement
travestie par la presse et les décla-
rations passionnelles. Le travail
auquel Mme Goichon a consacré
la plus large place dans ce premier
livre repose sur le dépouillement
analytique de toutes les sources
internationales accessibles. C'est
un extraordinaire dossier d'infor-
mation, serré, précis, refusant l'in-
terprétation et tout procès d'inten-
tion : les textes, les faits, les preu-
ves sont le seul matériel livré au
lecteur, les sources étant rigoureu-
sement contrôlées, analysées, citées.
L'auteur procède avec une rigueur
exemplaire à l'examen des thèses
controversées. L'histoire se libère
enfin de la légende et des récits
fabriqués, nous laissant voir, à
travers les délirantes proclamations
de leaders arabes inconséquents et
les atermoiements diplomatiques,
l'ensemble des rouages qui ont fait
du Moyen-Orient une machine in-
fernale. C'est le livre le plus neuf,
parce que le plus vrai, sur l'his-
toire diplomatique et les conflits
israélo-arabes. Il est riche de ré-
vélations. Qu'il soit accablant pour
la politique de compromis — pour
ne pas dire de compromissions —,
de la Grande-Bretagne, comme il
l'est pour l'incroyable impéritie de
rO.N.TJ., et pour les responsables
d'un état de guerre permanent, on
ne saurait s'en étonner.
Ces chapitres composent finale-
ment l'ouvrage de référence dont
on avait grand besoin pour com-
prendre comment, et pourquoi, des
peuples (que la race même ne sé-
pare pas !) ont pu en arriver à vivre
dans la haine au lieu de vivre en
commun. Des engagements de
Fayçal aux plans de partage inco-
hérents, nés dans la cervelle ma-
lade des diplomates, et aux guerres
successives, la ligne de conduite
suivie par les dirigeants israéliens
est clairement définie, face à des
nations divisées, dont la Jordanie
maintenant démantelée. La naissan-
ce d'Israël dans le terrorisme y est
suivie avec une exactitude scrupu-
leuse, une irréfutable documenta-
tion. Mme Goichon est parvenue à
écrire un livre d'histoire en pleine
actualité, livre capital qui est un
modèle de conscience historique et
d'information.
Claude Michel Cluny
28
LETTRE DES ÉTATS-UNIS
~Vw York Ri'\ ic
Opéra Mumli.
Quart groupe et
tiers-monde
D'une analyse du Publisliers'
Weekly pour 1967 il ressort que
le roman ne tient plus, aux Etats-
Unis, que la seconde place dans les
chiffres de vente : la première est
désormais occupée par les ouvrages
de sociologie et d'économie. La loi
de l'offre et de la demande, dra-
conienne outre-Atlantique. régit
désormais l'édition américaine
comme n'importe quelle entreprise
commerciale.
On peut même se demander si.
peut-être inconsciemment I dai^ les
meilleurs cas), les auteurs, devenus
fabricants, n'écrivent pas en fonc-
tion directe d'un public lecteur
dont d'innombrables sondages ré-
vèlent sans cesse les besoins et
désirs plus ou moins clairs. Qui
sait même si l'étude de marché
n'est pas déjà responsable d'un bon
nombre de livres ?
Il est, en tout cas, une consta-
tation qui s'impose : plus que le
fait divers (cf. De Sang-froid), c'est
l'actualité internationale qui en-
vahit maini:jr.,mt la « fiction », et
dans des deLus de plus en plus
stupéfiants. La guerre de Corée.
Cuba, Saint-Domingue ont eu leur
« fiction ». Le Viêt-nam, bien en-
tendu, envahit la vitrine des li-
braires (serait-ce négativement, ou
plutôt ironiquement, comme dans
le cas du dernier Mailer). rt ga-
geons que le « Pueblo » poindra
bientôt à l'horizon « littéraire »,
tout de même que la vague de
sentiment anti-français, bien ex-
ploitée, peut être immédiatement
rentable.
Beaucoup plus que dans le
triomphe, en un sens mérité, do la
sociologie sur la littérature, et
même le succès confirmé d un
« genre nouveau de réalisme social
en littérature >;. connue l'écrivait
hardiment Oscar Lewis dans l'in-
troduction de ses prophétiques En-
fants di> Sanchez. qui marquaient,
voici six ans. l'avènement du
magnétophone à la littérature (ou.
qui sait, de la littérature au magné-
tophone !). c'est dans cette « actua-
lisation » superficielle et forcenée
du roman qu'est le danger.
On ne voit pas très bien, en
effet, a quel niveau peut se situer
l'intégrité d'un écrivain lorsqu'il
exploite, sans la moindre médiation
et aux seules fins (lu succès com-
mercial, une situation internatio-
nale si récente que la moindre
mise en perspective lui est impos-
sible. Car vous n irez jamais faire
croire à ces écrivains qu'ils man-
quent de sérieux. Hollywood, qui
leur achète leurs livres a des prix
scandaleux et parfois avant même
qu ils soient écrits, est là, bien sûr.
pour faire taire tous les scrupules.
Hollywood, qui parvient à gâcher
les talents les plus sûrs, constitue
en quelque sorte de ça. l'inconscient
qualitatif de la littérature améri-
caine : elle la tire vers le bas. vers
ce qu'on appelle assez justement la
sous-littérature.
Mais qu'en est-il du vrai roman,
c'est-à-dire d'une infime portion de
ces dix pour cent auxquels est
confinée la « fiction » américaine ''.
Sur la scène littéraire française,
il y a toujours Giono : sur l'amé-
ricaine, il n'y a plus Faulkner.
Mais il est relevé en nombre dans
cette partie du pays qui. depuis
Poe. est la seule a approcher en
qualilé le prodigieux sommet at-
teint par les écrivains de la Nou-
velle-Angleterre dans les années
1850.
C'est en Caroline du Nord que
vit et travaille le groupe d écrivains
le plus prometteur aujourd'hui. A
Duke, sous 1 égide de William
Blackburn. sont nés les écrivains
William Styron (dont les (Confes-
sions df> !\nt Tnrner restent le livre
américain le mieux vendu depuis
la rentrée). Reynolds Priée, et Fred
Chappell. qui annonce son troi-
sième roman et dont le second est
en cours clé traduction.
Le conteur Peter Tavlor fait
aussi partie de ce groupe, connue
le regretté Kandall Jarrell. dont les
jeunes de Greensboro ne sont pas
prêts d'oublier la figure : notam-
ment Heather Ross Miller, qui. à
moins de trente ans, n'a pas écrit
moins de deux romans et un re-
cueil de poèmes après l'Orée des
bois. Qui dit que le roman sudiste
s'épuise après Faulkner '.'
Tout près de là. en Virginie, un
excellent écrivain (George Garrett)
et une toute jeune romancière
(Sylvia Wilkinson) attendent le
bon vouloir des éditeurs français,
cependant que dans le Sud pro-
fond, la grandeur déjà toute clas-
sique de Flannery O'Connor n'a en
rien oblitéré la valeur de roman-
ciers comme Shelhy Foote (dont le
célèbre Shiloh va peut-être accéder
à la traduction) et Shirley Aiin
Grau (dont on ignore peut-être que
Stock a déjà publié trots livres).
Eudora Welty. la doyenne.
« notre matrice à tous ». comme
le dit William Goyen. attend tou-
jours que soient traduits quelques-
uns de ses très beaux contes (à ce
jour, seul son Mariage au Delta
a été donné en français).
Pourquoi donc se laisser obnu-
biler par les produits de la scène
littéraire new-yorkaise, devenue la
plus artificielle qui soit '.' Pourquoi
les éditeurs français se croient-ils
obligés de traduire et de publier
les ineptes triomphes de la sou.s-
lilterature produite en >erie dans
1 usine new-yorkaise, sinon parce
que c'e.-t jusqu'ici la seule façon
qu on ;iil imaginée de relever, sur
ce plan le « défi » américain '.'
Ne voit-on pas que le défi est
tout à fait ailleurs, et que le mérite
des Sudistes est non seulement de
ne pas relever, mais de ne pas
lancer le faux défi de la littérature-
à-l"heure - de - la - technologie ''. Ce
n'est pas du tout mon intention de
nier que la plupart des auteurs que
j'ai cités sont encore atlachés à
des valeurs, partant a une profon-
deur et à une écriture humanistes
Mais, tant cju'on ne m'aura pas
convaincu qu'il existe en Occident
un nouvel humanisme, je conti-
nuerai à penser qu'une littérature
qui respire encore selon les rythmes
de l'être dans le monde ancestral
importe plus que les halètements
de laboratoire. Ni les empilements
de cubes à l'intérieur de cubes, ni
les tonitruements des mots cruci-
fiés entre littérature et publicité,
ni les longues. insupportables
plaintes narcissiques ne me con-
vainquent de la nécessité, encore
moins de la valeur et de l'utilité
des sous-produits de consommation
d'une urbanité pléthorique et de
plus en plus aliénée.
Le vrai défi, le défi du siècle,
n'est évidemment pas américain :
idéologiquement. spirituellement,
intellectuellement et littérairement.
il appartient, tout entier, au tiers
monde : a 1 Amérique du Sud. a
l'Airique, à l'Asie. Que pèsent tous
les écrivains de New York devant
la simple, la terrible idée du pre-
mier roman vietnamien '.'
Caillois était prophète, qui di-
sait, voici longtemps déjà, que
seule l'Amérique latine pourrait
nous donner (beau retour de gifle!)
l'équivalent du prodigieux apport
litieraire américain des années
1920-I9.ÏO. C'est là qu'est l'offre
vraie, et là que doit être notre
demande. A I heure où les Etats-
Unis assument, bientôt seuls, fol-
lement et. heias. en maîtres. ! hé-
ritage colonialiste européen, que ru-
se gardent-ils par-dessus tout dr
reprendre, de leur voix infiniment
plus puissante et faite, naguère,
pour d autres thèmes, la vieille
plainte des rues, les vieux plaisirs
de chambre, le vieil egocentrism»
aveugle de l'Europe !
New York, pour être notre capi-
tale, n en est pas moins désormais
ville close. L'histoire lui passe à
cote. Le seul écrivain moderne de
l'Amérique est apocalyptique: c'est
Melville.
Michel Gressrl
A L'ÉTRANGER
Une lettre de Soljénitsyne
Dans une lettre à la direction de
l'Union des Ecrivains, Alexandre Sol-
jénitsyne s'élève contre les rumeurs
calomnieuses qui courent a son pro-
pas en U.R.S.S. après la lecture du
texte qu'il avait envoyé au dernier
Congrès des écrivains. Il se plaint que
ses « archives » ne lui aient pas été
rendues, qu'Une journée d'Ivan Denis-
sovitch soit « furtivement retiré des
bibliothèques » et qu en dépit de la
promesse de laisser publier son der-
nier roman, la Section des cancéreux,
» quarante-deux secrétaires de la di-
rection n'ont pas été en condition
d'exprimer un avis ni de donner ! ap-
probation nécessaire à sa publica-
tion », trois mois après cette promes-
se. Dans ces conditions, il se déclare
n'être •• pas: en état d'en empêcher
une publication hors de notre contrôle,
en Occident »
Cette lettre, datée du 12 octobre
1967. et parvenue en France, est pu-
bliée en entier dans le supplément au
numéro 26 de Quatrième Internatio-
nale.
Un film sur Henry Miller
Robert Snyder, qui obtint l'Oscar du
documentaire pour un film sur Michel-
Ange et qui est l'auteur d'autres
films sur Pablo Casais, Willem de
Kooninq, etc.. a suivi, caméra en
mains. Henry Miller lors de son der-
nier voyage en Europe Avec des sé-
quences tournées che/ I écrivain et
qui montrent ia vie journalière de ce-
iui-ci, seul ou en conversation avec
des amis, au travail ou en recréation,
il a composé un film qui cherche pre-
neur : aux Etats-Unis, mais aussi bien
en France (Robert Snyder Films, 8455
Beverlv Los Angeles. Calif 90048)
ii/.aliu- littrrairc.
TOUS LES LIVRES
^m^^^^^m^m
Emmanuel Roblès
Neuf rescapés dans
ROMANS FRANÇAIS
La croisière
Seuil, 208 p., 15 F Deux couples, un yacht
une île ou les méandres du psychisme humain.
Jean Basile
et son équipage
Gunter Seuren
Le grand Khan
Grasset, 240 p., 17,50 F Des souvenirs doux-amers de Montréal,
mais surtout la mer, révélatrice d'hommes,
Romain Roussel
Lebeck
trad. de l'allemand par Claude Miquet Calmann-Lévy,
Dar l'auteur de
Nous souperons
256 p., 16,15 F
« La jument des Mongols ».
à El Castanar
Hachette, 256 p., 14 F Un cas de conscience
L'antagonisme entre la génération actuelle et celle qui subit le
pendant la guerre
nazisme ou y participa.
Yves Buin Histoire de Smagg Grasset, 192 p., 12 F
d'Espagne au temps de Napoléon.
A/éra Toss
Le malaise d'un monde où « l'on ne peut guère
André Salmon Le monocle
J aime quand je veux
trad. de l'allemand
penser qu'à la mort » par l'auteur des « Alephs »
à deux coups
Pauvert, 316 p. Un roman burlesque,
par Dagmar Empereur Julliard, 352 p., 20 F La " dolce vita »
Guillaume Chpaltine
philosophique et surtout poétique
munichoise.
Une préhistoire
Ch. Bourgois, 144 p., 18 F A la recherche de
par l'auteur d' « Ames en peine et corps sans âmes •>, paru en 1905.
Vassilis Vassilikos Trilogie : La plante, Le puits, l'Ange
trsd du QTGC
lui-même, un cartésien découvre l'irrationnel.
•••M^
par Pierre Comberousse Gallimard, 304 p., 18 F
Mohammed Dib La danse du roi
ROMANS ÉTRANGERS
La Grèce moderne, encore hantée par
Seuil, 208 p., 15 F
les prodiges antiques.
Un homme
William Golding
et une femme devant la guerre et devant
Les héritiers
trad. de l'anglais
POÉSIE
la paix.
par Marie-Lise Marlière
Gallimard, 252 p., 16 F
M.B. Féline La petite fille derrière la vitre
A l'ère du Neanderthal, la naissance du manichéisme.
Aherdan Cela reste cela
Julliard, 80 p.. 18 F Le rêve à haute voix
coll. « L'Initiale » Mercure de France, ÇA r* c ^n c
Marek Hlasko Le dos tourné
d'un Marocain qui est à la fois poète, peintre
fa4 p., o.oU r Une petite fille perverse dans un monde à la fois attirant et horrible.
trad. du polonais par J. Ritt et J. Trabuc Seuil, 256 p., 18 F Le retour à la terre
et homme politique.
Mathieu Bénézet L'histoire de la
Mouloud Feraoun Jours de Kabylie
III. de Charles Brouty Le Seuil, 144 p., 9,50 F
promise, Israël, mais un Israël implacable qui devient peu à peu terre d'exil.
peinture en trois volumes
Gallimard, 116 p.. 12 F Préfacé par Aragon.
Une savoureuse évocation de la Kabylie par l'écrivain algérien, assassiné il y a six ans
nar l 'O A 9
Gunter Herburger Un paysage uniforme
trad. de l'allemand par Lily Jumel
Jean-Paul Gallez Féminaires
Flammarion, 138 p., 7,50 F
pdr i w .r\ .0 .
Gallimard, 256 p., 14 F
A travers les petites
Gérard Haddad
Jean Giono Ennemonde et autres caractères
*-* _ 1 1 : __ „ _,J -i 7O •-. Cl C
villes de l'Allemagne d'après-guerre. Nouvelles.
Le retour du Non Ulysse
Coll. « Voix Nouvelles »
Gallimard, 172 p., 9 F
Dans le haut pays
de Provence,
les personnages hauts
en couleurs
chers à Giono.
Alexandre Kalda
Le désir
A. Michel, 304 p., 15 F
Un document sur la
prostitution masculine.
Manz'ie
Warrant
Pauvert, 216 p., 20,25 F
Huit personnages
très divers, un destin
commun, un roman
d'une facture toute
nouvelle.
Olivier Perrelet
L'issue du miroir
suivi de Le lierre
Mercure de France,
248 p., 13,50 F
Par l'auteur
des « Petites filles
criminelles »
voir le n° 30 de
la Quinzaine.
Patrick Reumaux
Les fleurs se taisent
Coll. « Le chemin »
Gallimard, 120 p., 7 F
Mort, haine
et amours tragiques.
Voir ce n° p. 10.
D.H. Lawrence
La princesse suivi de
La fille du marchand
de chevaux
trad. de l'anglais
par Pierre Leyris
Coll. « Domaine
anglais »,
Mercure de France,
184 p., 15 F
Voir notre n" p. 3.
Cormac McCarthy
Le gardien du verger
trad. de l'américain
par Bernard Willerval
Coll. « Pavillons »
Laffont, 296 p., 20 F
Un roman « faulknerien »
salué par la critique
américaine comme une
des révélations
de l'année.
Nicolas Mosley
Accident
trad. de l'anglais
par J. Le Béguec
et Henri Thomas
Gallimard, 240 p., 14 F
Le roman qui inspira
le film de Losey.
Frédéric Prokosch
Le naufrage
du Cassandre
trad. de l'anglais
par Elisabeth Gilles
Stock, 240 p., 18 F
Pierre Jean Oswald
64 p., 9 F
Patrick Reumaux
Ailleurs au monde
Coll. « Le Chemin »
Gallimard, 188 p., 12 F
Voir notre n" p. 10.
Armand Robin
Le monde d'une voix
Fragments posthumes
réunis et présentés
par H. Thomas
et A. Bourdon
Préface d'Henri Thomas
Gallimard, 232 p., 18 F
Jean Rollin
L'amour même
Pierre Jean Oswald
64 p., 12 F
BIOGRAPHIES
MÉMOIRES
Henri Arvon
Lukacs
Seghers, 200 p., 8,40 F
Un des plus éminents
penseurs marxistes.
Randolph S. Churchill
Churchill (1874-1900)
58 illustrations
trad. de l'anglais
par Lola Mopès
Stock, 529 p., 26,40 F
La jeunesse de Churchill
à travers ses lettres
et d'autres documents
inédits rassemblés
par son fils.
Marcel Dietschy
Le cas André Suarès
39 photographies
La Baconnière,
diff. Payot,
368 p., 40.20 F
Un grand réfractaire
quelque peu méconnu
par le public actuel.
John Dos Passos
La belle vie
trad. de l'américain
par M.-E. Coindreau
et C. Richard
Mercure de France,
294 p., 19,50 F
Quand les grands
écrivains américains
se mesuraient à l'Europe
des années folles.
J.-M. Perrin
Gustave Thibon
Simone Weil telle que
nous l'avons connue
Fayard, 198 p., 16 F
Le témoignage de deux
hommes qu'une amitié
profonde lia à
Simone Weil
les dernières années
de sa vie.
Richard J. Whalen
Les Kennedy : histoire
d'une dynastie
trad. de l'américain
par Andrée R. Picard
16 hors-texte
Trévise, 384 p., 35,98 F
Les étapes de la vie
prodigieuse de
Joseph P. Kennedy,
fondateur
d'une dynastie.
REEDITIONS
CLASSIQUES
André Breton
Philippe Soupault
Les champs
magnétiques suivi de
Vous m'oublierez et de
S'il vous plaît
Gallimard, 200 p.. 11 F
La première œuvre
surréaliste ainsi que
deux pièces théâtrales,
parues toutes trois
en 1919.
Lawrence Durrell
Le quatuor d'Alexandrie
Préfaces d'H. Juin
Cercle du Bibliophile,
4 vol. reliés, 48 F
Dans une présentation
excellente,
une nouvelle édition
des quatre œuvres
maîtresses de Durrel!
Gobineau
Le mouchoir rouge
et autres nouvelles
Texte établi et présenté
par Jean Gaulmier
16 reproductions
Garnier, 448 p., 12 F
Les principales
nouvelles de Gobineau
classées par ordre
chronologique.
Jean Grenier
Senancour
Coll. « Les plus
belles pages »
Mercure de France,
280 p., 21 F
Pour découvrir
ou redécouvrir le grand
écrivain romantique.
CRITIQUE
HISTOIRE
LITTERAIRE
LANGAGE______
Michel Butor
Essai sur les Essais
Gallimard, 224 p., 12 F
Voir notre n" p. 9.
Abdelkabir Khatibi
Le roman maghrébin
Maspero, 168 p., 15,40 F
Historique et situation
actuelle du roman
maghrébin.
Thierry Maulnier
Lecture de Phèdre
Gallimard, 176 p., 10 F
Edition revue
et corrigée.
Claude Pichois
Baudelaire (études
et témoignages)
Ed. de La Baconnière,
Diff. Payot,
272 p., 24,70 F
Une certaine image de
l'homme et du poète.
Georges Poulet
Mesure de l'instant
(Etudes sur le temps
humain, tome IV)
Pion, 384 p., 22 F
L'expérience intime de
la durée dans la
littérature
contemporaine.
Jules Chaix Ruy
Kafka : la peur
de l'absolu
4 ill. hors texte
Centurion. 212 p., 12 F
L'importance de Kafka
dans la littérature
et l'esthétique
contemporaines.
Susan Sontag
L'œuvre parle
trad. de l'américain
par Guy Durand
Seuil, 344 p.. 24 F
Les principaux essais
d'un maître de la
« Nouvelle critique »
américaine.
SOCIOLOGIE
PSYCHOLOGIE
Guy Delpierre
L'affrontement de
l'inquiétude face à la
vie moderne
Centurion, 304 p., 15 F
Comment faire bon
ménage avec cette
maladie de notre
temps : l'anxiété.
Albert Ellis
Robert H. Harper
L'art et la science
du mariage
trad. de l'américain
par Pierre Charles
Laffont. 320 p., 15,50 F
L'expérience de deux
psychothérapeutes.
Marc Oraison
Etre avec...
Centurion, 192 p., 9,30 F
La relation à autrui.
Gabriella Parca
Les Italiens et l'amour
Un rapport sur la
mentalité et le
comportement
du mâle italien
trad. de l'italien
par Armand Monjo
Gallimard, 320 p., 16 F
Une minutieuse enquête
menée à travers toute
l'Italie
par une journaliste.
Psychanalyse et
valeurs morales
Ouvrage collectif
Ed. du Cerf,
200 p., 13,50 F
Bilan du colloque de
l'Académie de Religion
et Santé mentale
qui réunit aux U.S.A.
des prêtres de toutes
les religions
et des psychiatres.
Alexander A. Schneiders
L'anarchie
des sentiments
L'affectivité peut-elle
tout expliquer
et justifier ?
Centurion, 248 p., 15 F
Les déchirements
et les pièges d'une vie
affective qui commande
trop souvent
les conduites
de l'homme moderne.
Yan Yoors
J'ai vécu chez
les tsiganes
trad. de l'américain
par Antoine Centien
12 illustrations
Stock, 168 p., 18 F
Un document vécu
sur les coutumes de
ce peuple
indépendant et fier.
PHILOSOPHIE
Gilles-Gaston Granger
Pensée formelle et
sciences de l'homme
Aubier-Montaigne
228 p., 18 F
Les sciences
de l'homme en tant
qu'objet scientifique
et système
de significations
Martin Heidegger
Questions II
trad. de l'allemand
par Jean Beaufret
Gallimard. 280 p 10 F
L'ensemble des tev''-«
où Heidegger tente de
cerner la ,jhilcsop!~:ia
comme la libre
succession des
Yva;i .
Claude Lé -.M Strauss
ou la « passion de
l'inceste »
Aubier-Montaigne
384 p . 27 F.
Introduction au
structuralisme.
ESSAIS_________
Casamayor
Combats pour la justice
Coll. « Esprit »
Seuil, 320 p., 18 F.
Quinze ans d'histoire
judiciaire par un
homme qui sut
toujours prendre parti.
Gilbert Dreyfus
Origines et devenir
de la médecine
Calmann-Lévy,
256 p.. 12,70 F.
Pour une nouvelle
morale médicale, à la
mesure de la
complexité de la
médecine actuelle.
Vitus B. Drôscher
Le merveilleux dans
le règne animal
trad. de l'allemand
par B. Roubaud
16 p. de hors-texte
104 clichés in-texte
Laffont, 288 p., 25 F.
L'univers énigmatique
de l'instinct.
L'homme et son avenir
ouvrage collectif
traduit de l'anglais
et présenté par
M. Marois
Laffont, 288 p., 12,40 F.
Actes du Congrès
organisé à Londres
par la Fondation Ciba.
Alain Jouffroy
Trajectoire
Gallimard, 140 p.. 10 F.
L'écriture : lien entre
la pensée aléatoire
de l'homme et la
pensée révolutionnaire
collective. Par l'auteur
du « Temps
d'un livre ».
LeRoi Jones
Le peuple du blues
La musique noire dans
l'Amérique blanche
trad. de l'anglais
par Jacqueline Bernard
Gallimard, 256 p., 15 F.
Le premier livre sur le
jazz d'un écrivain noir
profondément engagé
aujourd'hui dans la
révolution noire.
Marie Naudin
Evolution parallèle de
la poésie et de la
musique en France :
rôle unificateur de
la chanson
Nizet, 272 p., 25 F.
Par un professeur du
département de Langues
Romanes à l'Université
de Connecticut.
Françoise Parturier
Lettre ouverte
aux hommes
A. Michel, 160 p., 8,70 F.
De la technocratie à
la « phallocratie >.
André de Peretti
L'Administration
phénomène humain
préface de M.J. Minot
Berger-Levrault
352 p. relié toile 34 F.
Les communications et
systèmes sociaux
dans l'administration
par un grand spécialiste.
Carlo Suarès
La Bible restituée
Ed. du Mont-Blanc,
280 p., 27,80 F.
La Genèse et certaines
parties des Evangiles
d'après leur code
chiffré originel :
la Cabale.
P. Teilhard de Chardin
Etre plus
Seuil, 160 p., 15 F.
Anthologie de textes
en partie inédits,
classés selon l'ordre
chronologique.
HISTOIRE
Georges Brissaud
1918, pourquoi
la victoire ?
16 p. de hors-texte
cartes
Pion, 448 p., 27 F.
Les origines profondes
de la deuxième
bataille de la Marne.
Robert Buron
Les dernières années
de la IV République
Pion, 249 p., 18 F.
Les carnets d'un
ancien ministre qui
fit partie, notamment,
du cabinet de
Mendès France
en 1954.
Ladislas Farago
La clef du chiffre
Le décryptage du code
japonais et Pearl
Harbour
trad. de l'anglais par
Méhu
Stock, 272 p., 18,30 F.
Le mécanisme d'une
catastrophe que les
Etats-Unis étaient
pourtant en mesure
de prévoir.
Maurice Garçon
Louis XVII ou
la fausse énigme
Hachette. 416 p., 25 F
Réédition d'une étude
historique du grand
avocat, récemment
disparu.
Jésus Silva Herzog
La révolution mexicaine
Maspero,
232 p., 15.40 F.
Au-delà du folklore,
la première grande
révolution
latino-américaine,
analysée par un
historien mexicain.
Jean Lestocquoy
Histoire du patriotisme
en France des origines
à nos jours
A. Michel,
256 p., 18.70 F.
L'apparition en France
de la notion de patrie
et son évolution au
cours de l'Histoire.
P. L'Huillier
P. Benaerts
Nationalité
et nationalisme
(1860-1878)
P.U.F., 764 p., 50 F.
De l'apogée de
l'Europe à la crise
qui allait donner
naissance à l'Europe
des nationalismes.
L'Inde du Bouddha vue
par des pèlerins chinois
sous la dynastie des
Tang (V!i: siècle)
présentation de
Etiemble
16,p. d'iconographie
Calmann-Lévy,
320 p., 18,60 F.
Un témoignage
saisissant sur la
réalité quotidienne
de l'Inde au VII* siècle.
Mémoires de Canler
ancien chef du service
de sûreté
Mercure de France.
512 p., 26 F.
Le monde du crime
au temps de Lacenaire
et de Vidocq.
Actes du Tribunal
révolutionnaire
recueillis et commentés
par Gérard Walter
Mercure de France,
488 p., 24 F.
Les grands procès
révolutionnaires
d'après les archives
authentiques.
POLITIQUE
ÉCONOMIE
John Ardagh
La France vue
par un Anglais
traduction de
Bernard Willerval
Laffont, 560 p.
Une enquête objective
et approfondie sur le
renouvellement
français.
Avec Douglas Bravo
dans les maquis
vénézuéliens
Mpspero, 80 p.. 5 F
Le texte intégral d'une
interview de D. Bravo
par des journalistes
nord-américains.
Pierre Jalée
Le tiers monde dans
l'économie mondiale
Maspero. 208 p..
21.60 F
Un vaste ouvrage
de synthèse.
L'Espagne à l'heure
du développement
Ouvrage collectif
publié sous la
direction de l'Institut
du Développement
Economique
Préface de F. Perroux
P.U.F., 1.236 p., 30 F
Un ouvrage capital
et qui dépasse
largement le cadre
de l'Espagne.
Bruce Page,
Philip Knightley,
David Leitch
Philby : l'Intelligence
Service aux mains d'un
agent soviétique
Préface de
John Le Carré
trad. de l'anglais par
Mr. Olcina
16 p. de hors-texte
Laffont, 320 p., 23 F
Une enquête très
complète sur
l'espion nc 1 depuis
la dernière guerre.
William Pomeroy
Les Huks dans la
forêt des Philippines
Préface de G. Fischer
trad. de l'anglais
par Denis Nardin
Masparo, 168 p.,
15,30 F
D'après Fidel Castro,
un * classique • sur
la guérilla.
Le Grand défi - Tome 2
^ous la direction de
M. Saporta et G. Soria
500 illustrations
Laffont, 528 p., 87,50 F
Une encyclopédie
comparée des U.S.A.
et de l'Union
soviétique.
des hôtels, des églises
et des monuments
civils.
Michel Hoog
L'art d'aujourd'hui
et son public
Ed. Ouvrières, 128 p..
9 F
La fin d'un
long divorce ?
Saga de Xam
Réalisé par
Nicolas Devil
d'après un scénario de
Jean Rollin
Présenté par
M. Taittinger
Losfeld, 112 p., 60 F
Un album luxueux
de bandes dessinées
d'une exceptionnelle
qualité de dessin.
RELIGION______
Jean-Claude Barreau
La reconnaissance ou
qu'est-ce que la foi ?
Seuil. 112 p., 8,50 F
La foi chrétienne
aujourd'hui.
C.A. Bouman
J. Le Brun
Hermann Tùchle
Nouvelle histoire
de l'Eglise. Tome III :
Réforme et contre-
réforme
Seuil, 624 p., 33 F
Une grande édition
internationale.
Hervey Cox
La cité séculière
Casterman, 288 p.,
19.50 F
Une interprétation
chrétienne des
« signes » de notre
temps : sécularisation
et urbanisation.
Michel Meslin
Les ariens d'Occident
Coll. « Patristica
Sorbonensia »
Seuil, 448 p., 60 F
Les communautés
chrétiennes dissidentes
à la fin de l'Empire
romain.
Jean Toular
Juifs, mes frères
Fayard, 262 p., 17,50 F
L'amitié
judéo-chrétienne
après le Concile
ART____________
Yvan Christ,
Jacques S. de Sacy
Philippe Siguret
Le Marais
Préface de P. Gaxotte
nombr. illustr.
Collection
• Les Promenades •
A. Balland éd.. 368 p.
Une étude historique
et artistiaue
THEATRE
MUSIQUE
CINEMA________
F.-R. Bastide
La Forêt Noire
suivi de
Le Troisième concerto
Seuil, 160 p., 12 F
Deux pièces dont l'une
vient d'être créée
à la Télévision.
Frank Martin
J.-C. Piguet
Entretiens sur
la musique
Ed. de La Baconnière
Diff. Payot, 136 p.,
15,45 F
Le témoignage
d'un compositeur
contemporain.
Thierry Maulnier
La défaite d'Hannibal
suivi de La ville
au fond de la mer
Gallimard, 240 p., 14 F.
Pierre Tilot
La machine à coudre
Dessins de l'auteur
144 p.
Ed. des Artistes
Bruxelles
Napoléon rencontre
De Gaulle et Pompidou.
Gabriel Vialle
Franju
16 p. d'ill.
Seghers, 208 p., 8,40 F
Une étude
suivie de textes
de Franju, d'extraits de
scénarios et d'une
filmographie.
W. Wycherley
L'épouse campagnarde
Introduction, traduction
et notes par
A. Mavrocordato
Coll. bilingue
Aubier-Montaigne
416 p., 21 F.
SPORT
HUMOUR
DIVERS
Henri Chiland
Secrets et merveilles
du jeu de dames
411 schémas
Stock, 300 p., 15 F
Un véritable bréviaire
pour les amateurs
de ce jeu.
Robert Colombini
Histoires de... boxe
Préface de
J.-P. Belmondo
Calmann-Lévy
256 p., 10,90 F
Le roman de la boxf
par un reporter de
« L'Equipe ».
Hervé Lauwick
Zut. zut et zut !
Pion. 320 p., 18 F
Le Paris d'avant les
H.L.M et les voies
à circulation unique
Marc Le Guillerme
Si je m'écoutais
Pion, 224 p., 18 F
L'histoire d'une
demi-mondaine,
nymphomane
et mythomane.
Michelle Maurois
L'art d'utiliser
les hommes
Hachette, 224 p., 12 F
Précis de stratégie
féminine par la fille
du célèbre romancier.
POCHE_________
Littérature
Baudelaire
L'art romantique
Garnier Flammarion
Mérimée
Théâtre de Clara Gazul
Garnier Flammarion.
Jacques Teboul
Le pharaon
Préface de
M.-A. Asturias
Seuil / Ecrire
L'histoire d'un
Toutankhamon
de province,
à la manière de
Borges.
Alfred de Vigny
Chatterton Quitte
pour la peur
Garnier Flammarion.
Thomas Wolfe
Que l'ange regarde
de ce côté
Seghers / Vent d'Ouest.
Essais
Baudelaire polémiste
Textes choisis par
Jean-François Revel
Libertés / Pauvert.
Charles Bettelheim
Jacques Charrière
Hélène Marchisio
La construction du
socialisme en Chine
Petite Collection
Maspero.
Henry Corbin
Histoire de la
philosophie islamique
Gallimard / Idées.
Biaise Cendrars
A cœur du monde
Gallimard / Poésie.
F. Garcia Lorca
Poésies III
1926-1936
Préface de A. Bélamich
Gaiiimard / Poésie.
Inédits
Roger Peyturaux
L'énergie solaire
Que sais-je ?
Par un maître de
recherches au C.N.R.S.
Georges Poulet
Benjamin Constant
par lui-même
Coll. • Ecrivains
de toujours »
Seuil / Microcosme.
J. Thorn, R. Lockyer
D. Smith
Histoire
de l'Angleterre
32 p. d'illustr.
Marabout Université.
Policiers
Michel Barrett
Feux de Bush
trad. de l'américain
par Noë! Chassériau
Gallimard / Série Noire
Henry Cecil
Le crampon
Gallimard / Série Noire
James Hadley Chase
Lâchez les chiens
trad. de l'anglais
par G. Belmont
Gallimard / Poche Noire
James Eastwood
Bas les masques
trad. de l'américain
par J.-G. Marquet
Gallimard / Poche Noire
Anthony Gray
Les perceurs de ciel
trad. de l'américain
par Michel Deutsch
Gallimard / Série Noire
Dashiell Hammet
L'introuvable
trad. de l'américain
par H. Robillot.
Gallimard/Poche Noire
Patricia Highsmith
Ceux qui prennent
le large
trad. de l'américain
par Yves Brainville
Calmann-Lévy
304 p., 14,70 F
Un Nouveau roman
ayant pour cadre
Venise
Jasseron
Gondole réservée
A. Michel / Ernie Clerk
Espionnage.
Jan Warren
Agent suicide
A. Michel / Ernie Clerk
Espionnage.
La Quinzaine littéraire, du 15 au 3l mars 1968.
SEUIL
Susan Sontag
L'ŒUVRE PARLE
Susan Sontag est aujourd'hui une personnalité de premier plan des lettres âme
ncames Romancière en premier lieu, elle s'impose ici avec des essais qui ont
ameuté, séduit, souvent convaincu l'intelligentsia américaine Une culture très
vaste, un certain goût du paradoxe et de la singularité ont fait de ce livre en
Amérique I une des chartes de l'anticonformisme
24 F.
P POLITIQUE
coi:ec'ion d.rgee par Jacai.es Ju ara
Les problèmes politiques sont
les problèmes de tojt le monde,
les problèmes de tout le monde
sont des problèmes politiques.
Que faire?
1 La démocratie
par Georges Burdeau (si
2 L'Afrique noire est mal partie
par René Dumont (d)
3 Communisme, anarchie et
personnalisme par E. Mounier (s)
4. Que faire? par Lénine (t)
"Spontanéité ouvrière" ou "conscience
social-démocrate"? Revendications à
court terme ou stratégie révolution-
naire ? Parti large ou parti étroit ?
Lénine a répondu a ces questions
décisives, qui contiennent en germe
tout le bolchèvisme.
5. Machiavel par Georges Mounin(d)
Qui était donc Machiavel? Il faut pour
répondre, retracer d abord la vraie
figure du secrétaire florentin, avant de
redécouvrir le vrai machiavélisme.
6. Dans 30 ans la Chine
par Robert Guillain (t)
7. Citations du président
Mao-Tsé-Toung (s)
Le petit livre rouge
8. Pour une réforme de l'entreprise
par F. Bloch-Lainé (s)
9. Les socialistes par André Philip(d)
De Jean Jaurès à Guy Mollet, la pre-
mière d'une série d'études sur le
passé et l'avenir des partis français.
10. Hô Chi Minh par J. Lacouture (d)
11. Histoire de la Révolution russe
par Léon Trotsky (q)
Tome 1 - Février 17
12. Histoire de la Révolution russe
par Léon Trotsky (q)
Tome 2 - Octobre 17
13. Réflexions sur l'histoire
d'aujourd'hui par Tibor Mende (d)
Comment les nations possédantes
répondront-elles au défi des nations
prolétaires? Tel est le débat de la
fin du siècle.
14. Histoire du Syndicalisme
britannique par Henry Pelling (t)
Les Trade Unions britanniques sont
un des colosses du monde syndical
contemporain. Comment s'est donc
constitué un tel empire ouvrier?
15. Trois encycliques sociales (d)
Mater et magistra - Pacem m terris
Populorum progressio.
16. Bilan de l'U.R.S.S. 1917-1967
par J.-P. Nettl (t)
De Lénine à Kossyguir.e, en passant
par Staline et Khrouchtchev, se des-
sine une voie russe vers le socialis-
me. Est-ce un échec ou un succès?
17. Mahomet par Maxime Rodinson (t)
Un destin : Mahomet. Dans la vie du
prophète, religion, politique et culture
se mêlent indissolublement.
SIMPLE : 4,50 F - DOUBLE . 6 F
TRIPLE : 7,50 F - QUADRUPLE 9,50 F
TEL QUEL
Revue littéraire trimestrielle
rr- 32
J. DERRIDA. La pharmacie de
Platon.-J. KRISTEVA. Distan-
ce et anti-représentation. -
L. MÀLL. Une approche pos-
sible du SÛNYAVÂDA. - J.-L.
BAUDRY. Freud et la « créa-
tion littéraire », - S. SARDUY,
Cubes, - J.-L. BAUDRY. Le
sens de l'argent.
Le n( 7,50 F, abonnement à 4 nos
30 F.
LE VRAISEMBLABLE
COMMUNICATIONS
11 - Le vraisemblable
En empruntant aux Grecs, et,
après eux à une longue tra-
dition, le concept de vrai-
semblable, Communications
se propose aujourd'hui de
montrer que les discours ne
sont pas régis par une cor-
respondance pure et simple
avec leur réfèrent.
Revue semestrielle publiée par le
Centre dEtudesdes Communications
de Masse
Le n" 10 F, abt aux 2 n°! : 20 F.
Georges Poulet
BENJAMIN CONSTANT
SCILICET
Revue de l'fccoie freudienne
de Pans. Paraît 3 fois i an.
Scilicet espère ranimer la
publication psychanalytique
si souvent tombée dans le
bavardage ou le guindage.
Une formalisation théorique,
à travers ce geste, est mise
à lépreuve.
Collection " Le cnarnp freudien
dirigée par Jacques Lacan.
N" 1 192 pages 15 F - Abt à 3 nrs
45 F.
A qui voudrait percevoir chez un être le lent travail du temps, Benjamin peut servir
d'exemple. Dans son œuvre politique, historique, religieuse et romanesque, il a
réussi à enfermer le double sentiment de l'indépendance du temps et de notre
dépendance à l'égard du temps. Georges Poulet est le premier à mettre en lu-
mière l'unité de la pensée politique de Constant et de son histoire intime. Il éclaire
d'un jour nouveau l'auteur d'Adolphe qui est aussi l'un des pères du roman
moderne.
Collection Microcosme "Écrivains de toujours' , dirigée par Monique Nathan
Chaque volume illustré 6 F - 78 titres parus
Claude Bruaire
PHILOSOPHIE
DU CORPS
Que peut répondre le philo-
sophe à la question qui hante
les esprits depuis que le chris-
tianisme les interroge : la
résurrection de la chair a-t-
elle un sens, est-elle pos-
sible ?
Un volume 272 pages. 21 F.
Mikel Dufrenne
POUR
L'HOMME
Mikel Dufrenne dévoile l'ar-
rière-plan philosophique de
ces œuvres qu'on groupe
sous le nom de « structura-
listes » ; il les montre conver-
geant dans l'idée que
l'homme doit mourir — après
Dieu — pour que vive le
système.
Collection "Esprit" dirigée par J -M
Domenach. 256 pages, 18 F.
Rudolf Bultmann
JESUS, mythologie
et démythologisation
préface de Paul Ricœur
En un volume, deux ouvrages
dans lesquels le grand théo-
logien protestant expose les
principes et les résultats de
son analyse critique concer-
nant l'interprétatisn du Nou-
veau Testament.
Traduit par F. Freyss, S. Durand-
Gasselin et Ch. Payot 256 p.. 21 F.
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La Quinzaine litteraire
Issue
no.47
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no.47