La Quinzaine litteraire

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La Quinzaine
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littéraire
Numéro 52
Université
et Culture
Lefebvre sur Marcuse
Dubuffet
SOMMAIRE
3 Lefebvre parle de Marcuse
6 Le campus américain, par François Bondy
7 Naissance de l'Union des Ecrivains, par Bernard Pmgaud
8 Dubuffet : Culture et subversion
10 En Sorbonne, par Roger Dadoun
11 Fonctionnement des Comités d'action, par Marc Ferro
12 Chez les scientifiques, par Gilbert Walusinski
Une psychiatrie rénovée, par Ivlaud Mannoni
13 Mort de l'Ecole des Beaux-Arts, par Françoise Choav
14 Cinéma : Etats Généraux, par Anne Capeiie
15 Théâtre et révolution, par Gilles Sandier
Alexandre Kojève vient de mourir subitement. Il y a quelques semai-
nes, il avait reçu notre collaborateur Gilles Lapouge. Nous publierons
le récit de leur entretien dans notre prochain numéro.
La Quinzaine
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Directeur de la publication :
François Emmanuel.
Imprimerie : Offprint.
Copyright : La Quinzaine littéraire.
La France en révolution
Un journaliste anglais, -John
Ardagh, a décrit dans un ouvrage
traduit en français il y a un mois
et demi — un siècle et demi ! — les
changements qui, selon lui, affec-
taient la société française et que le
pouvoir gaulliste feignait d'ignorer
( 1 ). Il aura fallu l'explosion des
semaines de mai, l'occupation de la
Sorbonne, les barricades du quar-
tier Latin, une grève générale à
laquelle les organisations tradition-
nelles de la classe ouvrière n'osèrent
donner son nom, pour que notre
pays découvre son nouveau visage
et que l'Histoire se scinde en un
« avant » et un « après ».
De Gaulle a eu beau ressaisir in
extremis le pouvoir et donner aux
Français un os à ronger : les élec-
tions, ses jours sont comptés, ainsi
que ceux de formes de vie désormais
réduites à de pures apparences. La
fièvre qui s'est emparée du corps
social dans son entier n'est que le
signe visible, encore mal déchiffra-
ble, d'une mutation en cours et qui,
à plus ou moins longue échéance,
aboutira à un renversement des
rapports économiques, sociaux,
politiques. Xous vivons le début
d'un vaste mouvement de l'Occident
européen qui prépare son entrée
dans le XXI1' siècle.
Ce mouvement s'incarne dans la
jeunesse — étudiante aussi bien
qu'ouvrière — dont les vieilles gé-
nérations avaient pris l'habitude
de résoudre les problèmes par les
étripades sur les champs de bataille.
Les vieux ressorts par lesquels on
enfermait les jeunes dans les fron-
tières nationales pour leur faire
envahir ensuite le champ du voisin
en vue d'une extermination mu-
tuelle, ces vieux ressorts n'ont cette
fois point fonctionné. Les cris qui
volaient au-dessus des manifestants
de la gare de Lyon ou du stade
Charléty : « Plus de frontières ! »,
« Xous sommes tous des Juifs
allemands ! », « Xous sommes
tous des étrangers ! » ont brisé le
charme ancestral et résonné dans
d'autres langues, sous d'autres
formes, aussi bien à Rome qu'à
Madrid, à Bruxelles qu'à Berlin, et
c'est une surprise de taille que d'en
entendre l'écho jusqu'à Belgrade,
capitale d'un pays socialiste.
C'est qu'en effet ce mouvement
porte en lui bien d'autres valeurs
de contestation, on s'en est aperçu,
et il serait expéditif de les résumer
en un refus qui déboucherait sur
un nouveau nihilisme. Ce qui nous
frappe, au contraire, en France,
c'est, dans tous les domaines et sur
tous les plans de l'activité humaine,
à travers nombre de professions,
intellectuel:0-- ou manuelles, sous
les formes inusitées de la discussion
tolérante et a-1 l'initiative en
constant éveil, le désir irrépressible
de transformer les rapports des
hommes entre eux. Ici aussi, les
frontières s'effacent, les catégories
craquent, le principe d'autorité est
mis à mal, les hiérarchies mal
fondées s'effrondrent. Une créati-
vité qui part de la base submerge
et noie les échelons intermédiaires,
supprime tous les obstacles bureau-
cratiques. Une société en forme de
pyramide au sommet de laquelle
se tient encore un homme seul,
désormais providentiel seulement
pour les apeurés et les craintifs, cède
la place, sous nos yeux, à une
construction dont nous imaginons
mal la figure mais à l'intérieur de
laquelle circule en tous sens et à
gros bouillons un sang nouveau.
Tout ce qui s'édifie maintenant et
qui a pris racine dans les cœurs
comme dans les esprits, aucun aléa
de la politique quotidienne ne
pourra l'abattre et le défaire. Le
monde d'hier est mort, quelles que
soient les convulsions dernières et
certainement puissantes par les-
quelles il cherchera a conserver ses
privilèges.
Xous avons tenté, dans ce numé-
ro, de grouper quelques témoigna-
ges sur ce renouvellement de la vie
française. Ils ne figurent qu'une
esquisse de ce qui s'élabore dans les
profondeurs et toutes les lignes de
force n'y sont point représentées.
On voudra bien nous en excuser.
Xous travaillons nous aussi dans
la hâte et, à l'instar de beaucoup
d'autres, il nous faut modifier les
structures désormais périmées dans
lesquelles s'exerçait notre activité,
changer les verres de nos lunettes.
Xous espérons offrir bientôt à nos
lecteurs une Quinzaine littéraire
que nous voulons à la mesure des
temps nouveaux.
( 1 ) -John Ardagh . Un Anglais regarde
la France, Robert Laffont, éd.
A nos lecteurs
La grève des ouvriers imprimeurs
nous contraint à n'offrir à nos lec-
teurs qu'un numéro de 16 pages.
Le 1(J' juillet nous reviendrons à
32 p. habituelles. Notre numéro
du 1er juin n'ayant pu paraître,
nos abonnés verrontleurabonne-
ment prolongé d'un numéro.
A partir du prochain numéro,
nous nous voyons obligés de
porter le prix de la Quinzaine lit-
téraire à 3 F. Le tarif des abonne-
ments reste inchangé jusqu'à
nouvel ordre. Pour nos lecteurs
qui ne l'ont pas encore fait, il est
donc intéressant de s'abonner.
2
Lefebvre parle de Marcuse
Herbert Marcuse, philosophe
allemand qui vitdepuis longtemps
aux Etats-Unis, passe pour l'un
des inspirateurs du mouvement
de contestation qu'incarné à peu
près partout dans le monde, au-
jourd'hui, la jeunesse étudiante.
On a publié de lui, en français :
Eros et civilisation (Ed. de Mi-
nuit), Le marxisme soviétique
(«Idées», Gallimard), et vient
de paraître, très opportunément,
l'un de ses ouvrages essentiels :
L'homme unidimensionnel.
Marcuse fonde son analyse a
partir du champ d'observations
que constitue la société améri-
caine, parangon de lasociétécapi-
taliste à son plus haut point de
développement. Il la caractérise
comme une « société close »ence
sens « qu'elle met au pas et in-
tègre toutes les dimensions de
l'existence privée et publique ».
Les forces d'opposition qui, dans
les étapes antérieures du capita-
lisme, luttaient contre le système,
sont désormais intégrées dans ce
système et utilisées par lui. Elles
deviennent « facteur de cohésion
et d'affirmation » dans l'ouverture
de ce système vers l'extérieur :
expansion économique, politique
et militaire. A l'intérieur du sys-
tème « le mal se montre dans la
nudité de sa monstruosité comme
contradiction totale à l'essencede
la parole etde l'action humaines».
Ce qu'il exporte, c'estune«forme
de vie » fondée sur la non-liberté
et la répression.
Pour Marcuse, la revendication
de liberté doit abandonner son
caractère « idéologique et pous-
siéreux » pour se reconnaître
comme un instinct de vie non
sublimé. C'est la jeunesse qui
l'exprime dans sa « dimension
profonde », « biologique », « or-
ganique », « vitale ». Danssa« ré-
bellion à la fois instinctuelle et
politique, la possibilité de libéra-
tion est saisie ». Malheureuse-
ment, il manque à la jeunesse,
pour réaliser celle-ci, « la puis-
sance matérielle » qui n'appar-
tient plus, non plus, selon Mar-
cuse, à la classe ouvrière.
. Cela nesignifie pasqu'il n'existe,
plus de contradictions dans la so-
ciété capitaliste. Mais elles jouent
à l'intérieur du système et sont
finalement aplanies si l'on ne
dépasse pas le schéma marxiste
des forces de production. La « né-
gativité » représentée par la jeu-
nesse et qui s'oppose à la « posi-
tivitê » du système dans son entier
doit contester ce lui-ci et le combat-
tre « en tant que tout » a partir
de l'existence même des hommes
« dans leurs besoins vitaux »,
Dans sa préface à L'homme
unidimensionnel, écrite en février
1967, Marcuse déclare cepen-
dant que la guerre du Vietnam
prend figure de tournant dans
l'évolution du système capitaliste,
celui-ci apparaissant désormais
comme «crime contre l'huma-
nité » et ayant à faire, pour la
première fois, à des forces de
résistance « qui ne sont pas de sa
propre nature ». Pour la première
fois également coïncident « des
facteurs objectifs et des facteurs
subjectifs du renversement ».
Marcuse attend que se manifeste
un « contre-mouvement interna-
tional et global » qui peut seul
arrêter l'expansion du système.
Et il définit ainsi la tâche pré-
sente : « Réveiller et organiser
la solidarité en tant que besoin
biologique de se tenir ensemble
contre la brutalité et l'exploita-
tion inhumaines. »
Les thèses que nous venons
brièvement de résumer sont exa-
minées au fond par Henri Lefebvre
et confrontées avec les raisons de
tous ordres qui ont mené chez
les étudiants a l'explosion de mai
en France.
Pendant le séjour d'Herbert Mar-
cuse à Paris, entre le 6 et le 13 mai,
plusieurs opérations idéologiques
se déroulent autour de lui. A
l'Unesco, un colloque international
tente d'enliser définitivement la pen-
sée marxiste dans l'académisme.
Sous le signe du sérieux, on em-
baume Marx et son oeuvre. Mar-
xistes de tous les pays, officiellement
unis, rivalisent de « scientificité ».
De son nom, de son prestige,
Marcuse avalise, alors qu'il a pré-
cisément montré dans « Onedimen-
sional man » comment la rationa-
lité constituée en corps scientifique
entre dans l'ordre de la société
industrielle avancée ( 1 ).
Pendant cette semaine agitée, le
mouvement étudiant passe sur les
débris d'idéologies diverses, non
pour laisser la place vide, mais
parce qu'un besoin théorique se
fait jour. Les étudiants refusent les
représentations et images qu'on
leur a offertes, y compris l'huma-
nisme classique et le technocratisme
environnant. Ils souhaitent une
théorie neuve, dans l'élaboration de
laquelle ils se veulent partie pre-
nante. C'est alors qu'on leur pro-
pose Herbert Marcuse pour « maî-
tre à penser » et qu'on présente sa
thèse de la société close.
Cette thèse pousse jusqu'à son
terme logique le concept de la réifi-
cation ; elle l'étend à la réalité
sociale entière. Que montre H. Mar-
cuse ? Une société tellement structu-
rée qu'elle se fige. Le mouvement
n'y est plus qu'apparence. Elle
intègre et réintègre jusqu'aux oppo-
sants, et seuls les désespérés peuvent
tenter l'assaut. Très exactement,
Herbert Marcuse met au pied du
mur. Quel mur ? Seule une pratique
peut répondre.
S'il y a mouvement, si le mouve-
ment élargit une fissure, c'est que la
muraille se lézarde, c'est qu'elle
peut s'effondrer. Et voilà une cri-
tique en acte de la « société close »,
du moins en ce qui concerne la
Herbeft Marcuse (Gilles Caron-Gamma)
France et l'Europe. Si l'on prouve
que les phénomènes sociaux ne
rentrent plus dans les concepts éla-
borés par Marcuse, c'est que son
analyse ne suffit pas. A la critique
en acte correspondra une critique
théorique, sur un terrain autre que
celui occupé par Marcuse.
Enfin, si la réflexion peut donner
forme à des spontanéités, on aura
déterminé ce qu'il y a d'acceptable
dans la pensée d'Herbert Marcuse :
sa fonction utopique pendant une
période.
Ces événements ne relèvent pas
d'une seule analyse. Ils peuvent
se mettre diversement en perspec-
tive. Par exemple, on peut les exa-
miner du point de vue du savoir,
de son contenu (analytique ou
synthétique, fragmentaire ou glo-
bal) et de sa transmission (plus ou
moins dogmatique). Le point de
vue des institutions, de leur exa-
men critique, en y comprenant
P Université, ne manque certes pas
d'intérêt. Pourquoi ne pas saisir
l'actualité en partant d'une théorie
des idéologies ? ou de la division
du travail, technique et sociale ?
Le point de vue « classique » sur
les classes et leurs luttes, la petite
bourgeoisie et ses fluctuations, la
bourgeoisie et ses difficultés, le pro-
létariat et ses problèmes, n'a pas
disparu ; les faits rappellent que
certains théoriciens l'avaient pré-
maturément éliminé. Plus d'une
mise en perspective se prétendra
complète. La vieille contradiction
entre le caractère social du travail
productif et la propriété privée des
moyens de production n'a certes
pas disparu, même si la bour-
geoisie se cache derrière les techno-
crates. Comment les étudiants
ont-ils servi de catalyseurs à une
conscience de classe ouvrière quel-
que peu troublée par la société de
consommation ? Il reste à le dire.
Le dogmatisme aurait-il disparu ?
Seuls les dogmatiques font sem-
blant de le croire.
Quinzaine littéraire, du 15 au 30 juin 1968
Lefebvre parle de Marcuse
La théorie du mouvement ne peut
venir que du mouvement lui-même.
Il ne s'agit pas ici de formuler une
doctrine, mais de montrer qu'il y a
mouvement, donc exigence théori-
que. Cet apport n'a qu'un but :
signaler que les concepts et caté-
gories liés à la théorie de l'industria-
lisation et de la société dite indus-
trielle ne suffisent déjà plus. Sans
avoir perdu toute portée et toute
efficacité, ils déclinent.
Du point de vue de l'analyse des
phénomènes urbains, le mouve-
ment actuel s'est déployé en plu-
sieurs temps :
Faculté parisienne hors Paris.
Xon loin de la Défense. Vers l'an
1980 ce sera, peut-être, un centre
urbain. En attendant, bidonvilles,
terrils (travaux du métro), H.L.M.
prolétariens ou semi, font l'environ-
nement. Paysage désolé, désolant.
La Faculté a été strictement conçue
selon les exigences de la société
industrielle ; on a projeté une entre-
prise destinée à une production,
celle de petits cadres. Sans d'ailleurs
aller jusqu'au bout de ce program-
me qui s'inscrit sur le terrain et non
dans l'enseignement. En consé-
quence, cette Faculté ne sera pas
tant une entreprise, bien qu'elle en
ait l'allure, qu'un lieu, l'n lieu mar-
qué, dont le sens n'apparaîtra que
peu à peu. 11 porte la marque de
l'absence. L'absence, c'est le lieu
« où le malheur prend forme ».
Dans cet endroit, le travail perd son
sens et le non-travail prend un sens.
Au milieu d'une société et d'une
civilisation fondées sur la Ville, ce
lieu porte la double marque du
vide et du « social extra-social »,
de l'anomique. Dans ce produit de
choix, la Faculté, l'ensemble de la
société s'absente et obsède. Loin-
taine et future, la Ville devient
utopique pour des gens installés
dans une telle hétéro-topie, généra-
trice de tensions, repoussante et
repoussée.
La grande mutation
Avec la Ville, la Culture se change
en U-topie. Dans l'ici et le mainte-
nant, on vit selon une double ségré-
gation, fonctionnelle et sociale.
Fonctionnellement, la culture a été
déportée dans un ghetto d'étudiants
et d'enseignants, parmi les ghettos
des « laissés pour compte » de cette
société. Une dérisoire pensée urba-
nistique a poussé jusqu'au bout
la ségrégation qui produit des effets
paradoxaux. La Cité universitaire,
où se spécialise et se réduit au mini-
mum la fonction d'habitat, devient
le lieu de la rébellion sexuelle ; le
moindre interdit passe pour intolé-
rable, car il symbolise toutes les
pressions et répressions.
Quant aux bâtiments de la Fa-
culté, spécialisés dans la fonction
culturelle, ils deviennent le lieu de
la rébellion politique. Un « extra-
ordinaire de l'ordinaire » assez
étonnant s'y condense, quotidienne-
té de l'intelligence réduite à son
fonctionnement, pauvreté spéci-
fique s'accordant avec l'immense
hall gris et froid, contrastant avec
la richesse mythique (utopique) du
Savoir officiellement dispensé.
Dans un tel contexte, les effets de
la ségrégation sociale s'inversent.
Garçons et filles des quartiers aisés
n'échappent pas au malaise. Pour
une part d'entre eux, il se charge
d'angoisse. Traversant les ghettos,
ils vont au-delà du spectacle. Fu-
sion des classes ? Xon, mais pour
le moins confusion. Plus d'un étu-
diant issu de la bourgeoisie se
tourne contre elle'. Refusant l'image
du Père, ces étudiants refusent aussi
celle du patron et le paternalisme
professoral. Ils assument, dirait
un philosophe, la négativité.
Quant aux autres, ils se dirigent
selon des soucis très positifs : les
cours, les examens, les débouchés.
Mais alors ils interrogent l'horizon
et ce qu'ils aperçoivent les inquiète.
Les mêmes, parfois, réclament un
job et refusent la société entière qui
ne leur offre rien de séduisant ni
rien d'assuré : ni aventure, ni sé-
curité.
«Université critique»
S'agirait-il à Xanterre d'un mi-
lieu pathologique, d'un « bouillon
de culture », si l'on ose dire?Point.
La Faculté prend la fonction d'un
condensateur social des inquié-
tudes, des problématiques ailleurs
dispersées. Non pas à cause d'une
réussite urbanistique ou architectu-
rale, mais au contraire : en tant que
lieu négativement privilégié. Une
sorte d'universalité s'y reconstitue:
toutes les « tendances » s'y font
jour, surtout celles qui s'opposent
au réel existant. Ce processus n'a
rien d'anecdotique, rien de contin-
gent. 11 a un sens global. C'est
l'échec de l'entreprise culturelle
conçue selon le modèle de l'entre-
prise industrielle, et par conséquent
insérée dans une pratique sociale
partielle, fragmentaire, à la fois
ségrégative et prétendant réaliser
une intégration.
La fameuse escalade, officielle-
ment présentée comme montée de
la violence pure, s'analyse double-
ment :
Les « groupuscules » initiaux,
éléments et germes, se mettent en
question et sont mis en question, le
mouvement, vague ascendante,
franchit obstacles, barrages, con-
cessions et tentatives de récupéra-
tion. Entre les garages de la légalité
et les impasses de la brutalité, il
passe, il s'intensifie, il s'étend. Sans
toutefois entamer une masse consi-
dérable de réalistes attachés aux
normes traditionnelles. Il passe
ainsi de la réflexion à la revendica-
tion, de la revendication à la contes-
tation, de la contestation abstraite
et seulement critique à la « praxis »
contestante.
Du point de vrue de l'objet. Le
mouvement franchit asse/. vite
l'étape des objectifs économiques :
revendications matérielles (locaux,
personnels, crédits), débouchés,
état du marché culturel. La question
de la connaissance et de son rapport
avec l'idéologie se pose aux étu-
diants dans toute son ampleur. Ils
adoptent alors un mot d'ordre,
« Université critique », bientôt dé-
bordé. Ils s'en prennent à toutes
les institutions, et spécialement à
l'information étatiquement contrô-
lée et diffusée.
Pendant ces semaines, une effer-
vescence vient remplir ces lieux.
l'Utopique s'incarne. Tel vaste
panneau sur la société de consom-
mation, collage et montage de pho-
tos, de pages publicitaires, de
citations poétiques, aurait mérité
mieux que la destruction immé-
diate, à la fois comme témoignage
et comme œuvre d'une créativité
spontanée. Dans cette effervescence,
le temps ravivé scintille. La fête et
l'élément ludique naissent de l'agi-
tation. Une opposition, fort signi-
ficative et fort impertinente, entre
dans le discours, l'oriente contre le
contexte répressif. A la transgres-
sion s'oppose le folk-lore. Pour ceux
qui transgressent, les règles et nor-
mes tombent de ce fait dans le
folk-lorique.
Le mouvement ne franchit le
seuil qui sépare la contestation
abstraite de la pratique contestante
qu'après la fermeture de la Faculté
nanterroise. Alors il se transporte
à Paris, où il s'étendra de façon
déconcertante. Dans la Ville, il
oscillera entre la fête urbaine et la
guérilla urbaine (terme adopté en
haut lieu et qui conviendrait encore
mieux à la répression policière
qu'aux initiatives des étudiants ).
Cette fluctuation entre le jeu et la
violence oriente la fête vers la tra-
Unc barricade. (Snark international)
gèdie. La Commune de Paris peut
passer pour un exemple de ce mou-
vement dramatique en contexte
urbain. On a pu parler de « commu-
ne étudiante ». Plus brillante que
juste, cette formule dissimule les
différences et masque à la fois l'exi-
gence d'une théorie et l'élargisse-
ment vers le prolétariat du mouve-
ment des étudiants.
Pendant les manifestations Paris
change. Paris se retrouve : rues,
paysages, le Quartier Latin délivré
des autos, redevenant promenade
et forum. Transgression et création
vont ensemble (les masques Xô,
blancs et sanglants, autour du man-
nequin suspendu à la potence, pen-
dant la manifestation du 13 mai,
etc. ).
L'imagination prend le pouvoir
Autour d'elle tend à se centraliser
le mouvement. Il lui faut un centre,
que « l'hétéro-topie » de Xanterre ne
peut fournir. Les étudiants se ré-
approprient l'espace du Quartier
Latin, qu'ils ont reconquis de haute
lutte. Dès lors, la Sorbonne prend
une dimension symbolique renou-
velée. C'e n'est plus le lieu d'une
culture abstraite et d'une « scienti-
ficité » lointaine. L'utopie s'affir-
me d'une Culture unitaire, transfor-
mée, transcendante à la division
du travail, à la spécialisation, à la
fragmentation des sciences parcel-
laires. Cette culture attendue et
vécue sur le mode utopique, ce ne
sera plus la culture classique et
Les bâtiments de la Faculté de Nanterre. ((lilles Caron-Gamma)
Une sculpture de la Sorbonne. (B. Barbey-Magnum)
pré-capitaliste ; ce sera encore
moins celle de la société capitaliste
ou néo-capitaliste, violemment atta-
quée comme idéologie dissolvante
et en dissolution. En attendant, une
explosion remplit la vieille Sor-
bonne, celle de la Parole. Il suffit
d'écouter pour surprendre ce qui
traîne dans les têtes pendant les
périodes répressives et qui a besoin
de sortir : le meilleur et le pire. Qui
parle ? Parfois des gens qui
n'auraient jamais osé franchir, en
d'autres temps, la porte du Temple
aujourd'hui désacralisé. Dans ce
même temps, la fête continue, avec
de grands moments (dans la cour
pleine d'étudiants fatigués, une fille
somnolente dans les bras de Victor
Hugo cravaté de rouge, un chant
de flûte s'élève. — Les devises :
« Le béton engendre l'indifférence »
— « Le pouvoir à l'imagination »).
Sans oublier les transgressions
multiples, plus ou moins réussies.
Une culture unitaire
Fait important. En d'autres épo-
ques, les entreprises et les quartiers
périphériques orientèrent vers les
centres les forces vives. Aujour-
d'hui, de la centralité restituée, le
mouvement a rebondi pour attein-
dre les périphéries. Tout se passe
comme si notre temps entrait dans
une nouvelle sphère culturelle,
entrevue, entrouverte, celle de, la
société urbaine. Et ceci sur la base
matérielle et sociale de la vie
urbaine reprise et métamorphosée
en surmontant les ségrégations
fonctionnelles et sociales. Les forces
montantes, encore mal réunies,
encore dissociées, visant sans bien
le savoir une transformation qui ne
peut s'accomplir dans l'abstrait.
Elle exige un espace à la fois sym-
bolique et approprié (ou ré-appro-
prié). D'abord utopique, cette
culture unitaire veut du temps et
de l'espace pour se déployer et se
réaliser. Sa fonction utopique se
surmontera, ou ce sera l'échec.
La création collective
Ces contradictions se superpo-
sent aux anciennes (mal résolues
ou aggravées) que l'on négligera
ici.
A. Dans cette société qui place au
sommet de ses « valeurs » la cohé-
rence, qui organise et surorganise,
qui tend vers la rationalité pro-
grammatrice, il est extrêmement
difficile de maintenir un secteur
concurrentiel réservé à la connais-
sance, à la culture, aux intellec-
tuels, aux étudiants. Des formes
périmées de compétition s'y conser-
vent, alors que par ailleurs la
hiérarchisation et la bureaucratie
l'emportent. Dans un tel secteur, les
gens mis en concurrence au profit
de ceux qui décident et dominent, ne
peuvent que se révolter en se sen-
tant solidaires des « exploités »
malgré les différences. Etudiants,
intellectuels qui n'ont à vendre que
leur force de travail perçoivent
mieux l'ensemble de la société, son
fonctionnement et ses mécanismes
répressifs que beaucoup de sala-
riés, encore que ceux-ci détiennent
la plus grande capacité politique
d'intervention.
B. Dans cette société, beaucoup
de conflits se ravivent ou deviennent
déchirants. Entre l'activité et la pas-
sivité, entre l'intégration et la ségré-
gation. Entre les séparations et le
besoin de participer. Entre le pro-
duit et l'œuvre, la consommation et
le désir de créer. Entre le discours
apparemment « neutre » et la ré-
pression paternaliste ou brutale.
Entre la rationalité organisatrice
et la tendance à la dissolution.
Entre les points forts de la société
(l'organisation de l'entreprise et de
la production industrielle) et ses
points faibles (la culture, la vie
urbaine), etc.
C. Dans cette société, on réclame
une « créativité » réservée aux
groupes anomiques (groupes « so-
ciaux extra-sociaux » : poètes, phi-
losophes, artistes, en laissant de
côté pour l'instant les savants, les
techniciens). Parce que l'art a tou-
jours reçu dans l'histoire quelque
fonction sociale et idéologique, on
a voulu un peu partout fonctionna-
liser et même fonctionnariser la
« création ». On a oublié que la
création collective jaillit seulement
lorsque la transgression devient
« normale » dans et par un groupe
anomique. Que l'on récupère ou que
l'on écrase ces groupes, ils dispa-
raissent ou se taisent, ou vont vers
la violence. Ensuite, on déplore la
disparition de la « créativité ». Et
l'ennui qui règne...
D. Une autre contradiction se
creuse entre la pratique sociale de
la société dite industrielle — priorité
à la croissance économique, au
marché, à la division technique et
sociale du travail — et les idéolo-
gies, elles-mêmes contradictoires,
qui justifient les « valeurs » indis-
pensables, l'humanisme classique,
la grandeur nationale, l'esthétisme,
la rationalité opératoire, etc.
E. L'autre société, la société
urbaine, cherche sa voie et sa forme
à partir des superstructures (insti-
tutions, idéologies) et des structures
(rapports de production et de pro-
priété, classes et rapports de clas-
ses ) de la période industrielle. De
même, hier, la société dite indus-
trielle, c'est-à-dire le capitalisme, se
constituait à partir de superstruc-
tures pré-capitalistes, marquées par
une longue prédominance de la vie
paysanne, de la production agri-
cole, des idéologies rurales.
A peine mises en place, même pas
complètement élaborées, les super-
structures de l'industrialisation se
détériorent et commencent à dépé-
rir dans les pays industriels avan-
cés.
Henri Lcfebvre
M. Herbert Marcuse :
L'homme unidimensionnel.
Ed. de Minuit, Coll. Arguments,
282p.
La Quinzaine littéraire, du 15 au 30 juin 1968
Le campus américain
Student politics,
un symposium dirigé par
Seymour Martin Lipset
Basic Books éd.
Londres, New York, 1968.
Daedalus,
| journal ofthe American
Academy of Arts and Sciences
Numéro spécial (48) :
I « Students and Politics »
La politique comme facteur de la
vie universitaire, l'étudiant comme
facteur de la vie politique — par une
série d'éruptions successives (Ber-
keley, Berlin) ou presque simulta-
nées (Italie, France), par l'univer-
salité et la virulence du phénomène,
aussi violentes à l'Est (Varsovie,
Prague, Belgrade) qu' à l'Ouest et
dans les nouveaux Etats en déve-
loppement ou en stagnation, les
mouvements estudiantins de pro-
testation, de contestation, de parti-
cipation sont à juste titre au centre
de l'intérêt des historiens comme
des sociologues. Tel était le cas bien
avant l'explosion française qui est
à la fois la plus tardive et, par son
« impact » sur la totalité de la vie
sociale et politique d'une nation, la
plus considérable jusqu'à présent.
Tout a commencé aux Etats-Unis
comme en témoigne le vocabulaire
internationalement adopté du
« teach-in », « sit-in », etc, tout, y
compris l'antiaméricanisme, car
c'est une partie de la jeunesse amé-
ricaine qui a exprimé à partir des
poètes « beat » et des « beatnik »,
la désaffection, la rupture paisi-
ble ou violente avec les réalités amé-
ricaines qui démentent les valeurs
affichées ou encore avec ces va-
leurs elles-mêmes. Il est donc permis
de dire que dans une large mesure
l'antiaméricanisme vient des Amé-
ricains eux-mêmes.
Aussi parmi les trentes études mo-
nographiques ou comparées que
comportent ces deux excellents re-
cueils — résultat de travaux collec-
tifs et de conférences — serons-nous
d'abord intéressés par ce qui touche
aux Etats-Unis et, en particulier, à
Berkeley en Californie, premier la-
boratoire de cette incubation.
Dans les années 60, des étudiants
participent à la lutte contre la dis-
crimination raciale. Une Nouvelle
Gauche émerge dont un des grou-
pes, le S.D.S., n'a que par hasard
les mêmes initiales que le mouve-
ment extrême des étudiants alle-
mands. Des étudiants qui partici-
paient à la campagne non-violente
et se rendaient dans les Etats du
Sud pour soutenir les protestations
animées par le pasteur Martin Lu-
ther King furent malmenés, certains
assassinés avec la complicité des
forces de police locales. Ce mou-
vement qui unissait l'idéalisme à
un engagement précis a perdu de sa
force avec l'émergence du « Black
Power » dont les militants accu-
saient les étudiants de traiter les
Noirs selon un « paternalisme »
d'un type nouveau. C'est sur « Black
Power » que s'est ensuite modelé le
mot d'ordre de Student Power qui
reste problématique puisque un
Noir est noir toute sa vie durant et
un étudiant n'est étudiant que pour
quelques années. La transmission
de pouvoir d'une courte génération
d'étudiants à l'autre est toujours
incertaine.
Depuis 1965, c'est le refus actif de
la guerre du Vietnam qui mobilise
le plus d'énergies, et c'est encore un
motif que les étudiants américains,
japonais, allemands ou italiens au-
ront en commun.
« Commitment » est le fait d'une
minorité relativement petite, mais
souvenons-nous que les étudiants
aux Etats-Unis sont au nombre de
six millions accueillis par 2300
« collèges » d'une variété-extrême.
Rien qui puisse être comparé à ce
qu'en France, et uniquement en
France, on appelle au singulier
l'Université, en tant que branche
de l'administration. Les étudiants
américains choisissent leurs « col-
Contestation sur un campus
californien. (Holmès-Lebel)
lèges » en dehors de tout impératif
topographique. Les « activistes »
ici comme ailleurs se trouvent avant
tout —je suis l'analyse de Richard
Petersen dans Daedalus — dans les
Humanities et Social Sciences, ce
qui correspond à la Faculté des
Lettres. Ce sont en majorité des fils
de classe moyennes, dont les pa-
rents sont le plus souvent des libé-
raux qui ont milité pour les bonnes
causes (n'oublions pas qu'aux
Etats-Unis « libéral » veut dire ré-
formiste, et « radical » révolution-
naire).
Nous retrouvons bien des analo-
gies entre Berkeley et Berlin que sou-
ligne dans Student Politics Paul Sea-
bury. Deux universités de haute ré-
putation qui attirent de ce fait un
grand nombre d'étudiants de par-
tout. Mario Savio et deux autres
des animateurs de la contestation
à Berkeley ne s'y étaient fait im-
matriculer que l'année qui a précé-
dé les troubles. Clark Kerr, le pré-
sident de Berkeley, passait pour un
recteur d'avant garde. C'est lui,
d'ailleurs, qui a lancé le terme de
« multiversity » pour définir la nou-
velle Université de masse qui conci-
lie tant bien que mal l'éducation
humaniste, la formation de cadres
et la recherche. Une enquête parmi
les étudiants politiquement actifs a
confirmé que les deux tiers de ceux
qui participaient à des « piquets »,
venaient de la Faculté de Lettres,
alors que dans les « contre-
piquets » d'étudiants conservateurs
la majorité se préparait pour le
« ménagement » et le droit. La pré-
pondérance des « lettres » tient-elle
à la matière même de cet enseigne-
ment qui prédispose à l'examen cri-
tique de la société ou plutôt au sur-
nombre des étudiants et aux incer-
titudes d'avenir ? Selon une enquête
citée par Lipset et Albach, ce sont
des étudiants déjà disposés à la cri-
tique qui choisissent souvent cette
Faculté. Nous apprenons aussi que
par elle. Nous apprenons aussi que
la qualité du travail des étudiants
« committed » est en moyenne su-
périeure à celle des autres, mais
que cela vaut aussi pour les étu-
diants non « radicaux ».
Un changement récent a été noté
par Irving H owe dans la New York
Review : des étudiants qui jusque-là
voulaient avant tout paraître « ex-
centriques » se sont fait couper les
cheveux et s'habillent en bourgeois
pour mieux gagner des voix au sé-
nateur Eugène McCarthy. Conver-
sion donc du « provo » en militant.
Il y a dans les explosions estu-
diantines américaines ce double ca-
ractère de protestation politique et
de « fête » ou assouvissement — de
manifestation exubérante qui par
elle-même donne des satisfactions à
ceux qui y participent. Voilà à coup
sûr une différence par rapport aux
étudiants révolutionnaires de la
Russie tsariste, exclusivement dé-
voués à une cause et auxquels Lé-
nine, en 1905, rendait hommage,
disant qu'ils avaient appris aux
militants ouvriers des méthodes de
lutte nouvelles. En même temps ce
« défoulement » peut être considéré
comme un « ricorso » de l'Histoi-
re, au sens de Vico, puisque à tra-
vers le Moyen Age, et au-delà, des
heurts violents entre étudiants et
autres citadins étaient fréquents et
qu'Oxford a été plusieurs fois le
théâtre de luttes sanglantes entre
la « ville » et la «toge » (town and
gown).
Un facteur mis en lumière parles
recherches citées dans Student Poli-
tics c'est la tension nerveuse tou-
jours croissante, liée à la pression
des parents, de la direction des col-
lèges et des examens — et peut-être
à d'autres facteurs aussi. Le taux
des suicides parmi les étudiants a
augmenté en quelques années de
48 % pour le groupe d'âge entre
15 et 19 ans, de 26%pourceux en-
tre 20 et 24 ans, alors qu'il est res-
té égal pour les hommes de plus de
55 ans.
Plus même que l'Allemagne, c'est
le Japon où surgissent les mouve-
ments d'étudiants les plus violents,
dont en particulier le Zengakuren —
minorité très efficace — qui, en 1960,
contraindra le président Eisenho-
wer de renoncer à se rendre à Tokyo
et qui causera la chute d'un gouver-
nement. Ses dirigeants seront plus
tard exclus du Parti Communiste ja-
ponais pour « trotskysme ». L'étu-
de de Michiya Shimbori dans « Dae-
dalus » conclut sur la constatation
qu'il y a eu une succession de « cy-
cles » d'agitation, chaque mouve-
ment à travers son élargissement
national ayant fini par s'aliéner de
ses bases locales et se désagrégeant
pour être suivi par une autre vague.
Les Universités d'Amérique La-
tine qui ne sont, bien entendu, pas
négligées dans ces deux recueils
américains, posent des problèmes
tellement particuliers qu'il faudrait
en parler à part. Relevons que cer-
taines de ces Universités sont deve-
nues des lieux d'agitation perma-
nente et ont perdu en partie leur
caractère de centres d'éducation et
de recherche. Je me souviens
d'avoir rencontré à l'université de
San Marcos à Lima un « militant
estudiantin » très important et —
quadragénaire. Ici, la vocation mi-
litante devient une carrière, mais
l'Université, elle, entre en sous-
développement.
L'étude de M. Jean-Pierre Worms
sur la France dans Student Politics
est fort intéressante, puisqu'elle lais-
sait clairement entrevoir une situa-
tion explosive et un « syndicalis-
me révolutionnaire » qui alors n'in-
quiétait guère les responsables. Si
M. Worms montre comment la hié-
rarchie catholique s'est coupée des
jeunes Chrétiens et la S.F. I.O. des
jeunes socialistes, il omet la crise
opposant à la même époque le P.C.
aux animateurs de Clarté et qui a
eu, elle aussi, des conséquences loin-
taines". Rien de mieux partagé pour
hiérarchies et appareils que la dif-
ficulté d'accueillir le neuf !
Les deux recueils ne réservent que
peu de place aux étudiants de l'Est
— mais il est vrai que les mouve-
ments plus importants ne se sont
manifestés que tout récemment.
François Bondy
Naissance de l'Union
des Ecrivains
Le 21 mai 1968, à 11 heures, un
groupe d'écrivains conduits par
Michel Butor, Nathalie Sarraute
et Jean-Pierre Paye occupe les lo-
caux de la Société des Gens de
Lettres et décide d'y créer une
Union des écrivains qui sera vrai-
ment représentative de la littéra-
ture vivante. Constitués en bureau
provisoire, les occupants lancent
un appel qui recueille aussitôt de
nombreuses signatures. Le 28 mai,
la première assemblée générale de
l'Union se réunit à l'hôtel de Mas-
sa. Des étudiants, des traducteurs,
des militants syndicaux y assistent.
L'assemblée adopte, après trois
heures de débat, une déclaration
définissant les règles de fonction-
nement et le programme minimum
de l'Union.
Entre ces deux dates, une semai-
ne fertile en coups de théâtre : dans
l'hôtel de Massa envahi par des
groupes successifs, on discutejour
et nuit.
Mais aucune décision claire ne
sort de ces palabres. Finalement,
les rescapés du premier commando
reprennent peu à peu le contrôle
des locaux et organisent, sous leur
seule responsabilité, une occupa-
tion constante, mais réduite, à la-
quelle la SGL se résigne comme
à un moindre mal.
Deux tentations contradictoires
s'offraient à nous, aussi dange-
reuses, finalement, l'une que l'au-
tre. La première consistait à faire
de l'hôtel de Massa un second
Odéon. Il fallait l'écarter, non par-
ce qu'elle courrouçait les dignitai-
res de la SGL, mais parce qu'elle
allait contre notre objectif initial,
qui était de tirer les écrivains de
leur isolement traditionnel pour
leur proposer un travail en com-
mun. Nous sommes aussi sensibles
que quiconque aux charmes du
folklore, mais nous ne confondons
pas la contestation de l'ordre établi
avec la foire permanente. A cet
égard, le « Happening » qui s'est
déroulé pendant trois ou quatre
jours à l'hôtel de Massa a eu au
moins l'utilité d'une démonstra-
tion négative. S'il s'était poursuivi,
nous étions, sous couvert d'« agi-
tation », condamnés en fait à la
paralysie.
L'autre tentation était d'instal-
ler, à côté de la SGL, une organisa-
tion parallèle et rivale qui l'eût, peu
à peu, supplantée. Il fallait l'écarter
aussi, parce que nous ne croyons
pas aux vertus du corporatisme.
Nous ne méconnaissons pas l'im-
portance des revendications maté-
rielles que la SGL défend depuis
des années avec plus ou moins de
bonheur. Mais pour nous, l'amélio-
ration du sort de l'écrivain passe
d'abord par une révision de son
statut ; la discussion sur les droits
d'auteur, les allocations familiales,
ou les retraites, n'a d'intérêt que
si elle s'insère dans une réflexion
générale sur les conditions d'exer-
cice de l'activité littéraire dans la
société actuelle et sur la nécessaire
transformation de cette société.
Aussi laisserons-nous la SGL
s'acquitter de tâches administrati-
ves qui ne nous intéressent pas
au premier chef. Notre action se
situe sur un autre plan. Nous vou-
lons grouper ceux des écrivains,
et en particulier les plus jeunes,
qui ont conscience que la littéra-
ture, aujourd'hui, ne peut plus être
une simple distraction ou un sim-
ple ornement, et qui se refusent,
d'autre part, à la considérer comme
un destin solitaire, une activité
précieuse et maudite. Nous leur
proposons de réfléchir ensemble,
comme le font déjà, chacun dans
leur domaine, les cinéastes, les
comédiens ou les architectes, sur
les moyens de changer en profon-
deur l'ordre littéraire établi.
Ce travail critique, c'est à eux
de l'entreprendre d'abord. Mais il
est clair que, pour le mener à
bien, les écrivains devront y asso-
cier tous ceux qui, de près ou de
loin, sont intéressés à la produc-
tion littéraire, à commencer parles
étudiants et les travailleurs du
livre. Nous avons d'ailleurs tenu à
ce que celle-ci soit possible, préfé-
rant — au moins dans un premier
temps — les risques du désordre
aux inconvénients de l'« appareil ».
La réussite de l'Union se jugera à
son fonctionnement non moins
qu'aux résolutions qu'elle
adoptera.
Certains se sont tenus ou se
tiennent encore à l'écart, estimant
qu'il y a, dans les circonstances
présentes, des tâches plus urgen-
tes que de discuter du sort de
l'écrivain. Nous le reconnaissons
volontiers. Aussi bien ce travail
à long terme n'exclut-il nullement,
dans notre esprit, la participation
active à la lutte politique que mè-
nent les étudiants et les travail-
leurs. Il s'agit là de deux entre-
prises complémentaires et non
rivales, comme le prouvent les
motions adoptées par l'Union dès
les premières heures de son exis-
tence et la position politique sans
équivoque qu'elle a définie à
l'égard du régime.
D'autres enfin — les écrivains
de « Tel quel » —auraient souhaité
nous voir adopter une « plate-
forme » plus précise. Mais il
nous a paru contraire à l'esprit
même du mouvement qui nous
a réunis de vouloir imposer
dès le début à l'Union un program-
me dont les termes auraient été
soit faussement rigoureux, soit
exagérément limitatifs. Nous pen-
sons qu'à l'intérieur du cadre que
nous nous sommes fixé la discus-
sion doit rester très libre. Il appar-
tiendra aux participants de préciser
peu à peu, à mesure que progresse-
ra leur réflexion commune, les
options théoriques qu'elle impli-
que. Ceux qui jugeront ces options
inacceptables s'élimineront d'eux-
mêmes.
Une précision pour conclure :
l'hôtel de Massa est pous nous un
lieu à la fois symbolique et commo-
de. Nous sommes décidés à défen-
dre cette tête de pont. Mais l'impor-
tant, finalement, n'est pas le lieu :
l'important est que l'Union des
écrivains existe, et surtout qu'elle
travaille. Le travail a commencé
depuis le 28 mai. Il se développe
de façon très encourageante. A
l'hôtel de Massa ou ailleurs, on
peut être sûr qu'il se poursuivra.
Bernard Pingaud
La revendication de pauvreté
Le comité d'action étudiant s-écrivains,
dans la perspective de soutenir la lutte
de tous les travailleurs contre une idée
ségrégationniste de l'Etat, dénonce :
Toute information qui tendrait a ato-
miser le Mouvement du trois Mai en
éléments honnêtes et revendicatifs en-
traînés dans des actes reprehensibles
par des éléments malhonnêtes m contrô-
lés,
affirme
qu'en révolution il ne se trouve que
des droits avec pourtant le devoir de
réussir,
qu'il n'est point d'acte rêprêhensible
qui ne trouve son origine dans l'exer-
cice lui-même rêprêhensible d'un pou
voir usurpé,
revendique
au titre de la crise calculaire qui
frappe la société bourgeoise dans tous
ses organes.
les enragés,
les groupuscules,
les provocateurs a la sol de de l'étran-
ger,
les pillards,
les blousons noirs,
les incontrôlés,
la chienlit,
qui ont pour mérite d'accentuer le
clivage entre nous c'est a-dire le refus
radical, et l'autre, c'est-à-dire le pouvoir
et ceux qui ne l'ont pas encore déserté,
affirme
qu'il restera insensible a tout chan-
tage a une débâcle êconomiquequi n'at-
teindrait que la richesse.
se félicite
de ce que la bourgeoisie ait eu in-
térêt en des temps de sécurité a faire
croire a la jeunesse qu'elle était unie
quand elle ne l'était que dans une for-
me de consommation.
déclare
que la forme entraine le fond,
reconnaît la.
que tout le système oppresseur se-
crète sa propre condamnation,
admire
que cette apparence de réussite
qui confondait dans le visage de la
rue ouvriers et étudiants, leur ait per-
mis de se reconnaître comme des pro-
duits contradictoires d'une même alié-
nation : richesse et non richesse ; de
refuser radicalement une société qui
condamne a acheter ou a ne pas pou-
voir acheter ; de refuser l'achat, de
choisir la même décente pauvreté pour
chacun dans la réalisation d'un idéal
révolutionnaire ; de choisir l'amour
et non le prix,
revendique,
parce que la richesse semble n'avoir
pu se définir comme instrument de
bonheur que dans l'expérience de son
manque,
LE DROIT A LA PAUVRETE.
Texte collectif émanant du Comité d'Action Ecrivains-Etudiants.
Le Comité d'action Écrivains-Étudiants
• Des lespremiersioursde l'occupation
de la Sorbonne par les étudiants, quel-
ques écrivains, décidés a soutenir leur
mouvement et celui des travailleurs en
général, ont participé a la Commission
d'agitation culturelle de ia Sorbonne,
avant de former avec les étudiants un
Comité d'action siégeant en permanen-
ce. Au cours de réunions animées en
particulier par Dionys Mascolo, Robert
Antelme, Georges Lapassade, Jean Du-
vignaud, Maurice Blanchot, un certain
nombre de positions ont été prises et
des communiqués rédigés qui ont
contribué a définir une attitude poli-
tique commune au regard des événe-
ments et de la situation en général. La
Quinzaine littéraire était représentée
par Maurice Nadeau.
^Ajoutons qu'aux premières heuresde
l'occupation de la Sorbonne, la Quin-
zaine littéraire était le seul périodique
en vente dans le « Hall Bibli ». Le pro-
duit de la vente est allé aux étudiants.
La Quinzaine littéraire, du 15 au 30 juin 1968
Dubuffet : Culture et
A propos de Jean Dubuffet, l'Arc publie
ces jours-ci un cahier très actuel sur les
rapports de la culture et de la subversion.
Tandis que des critiques (G. Argan, R.
Barilli, G. Limbour) étudient l'œuvre, —
Gaétan Picon, Max Loreau et quelques au-
tres analysent et discutent les idées du
peintre. Jean Dubuffet a écrit pour ce nu-
méro de nombreux textes. Nous en avons re-
pris quelques-uns. Les autres, non retenus
par l'Arc, paraîtront ultérieurement dans un
volume dont la rédaction n'est pas encore
achevée.
La culture c'est l'ordre, c'est le mot d'ordre.
C'est librement consenti que l'ordre est le plus
débilitant. Le libre consenti est la nouvelle
arme des nouveaux empires, ingénieuse for-
mule, et plus opérante que n'était le bâton, de
Yultima ratio régis. Les organismes de propa-
gande culturelle constituent le corps occulte des
polices d'état ; elles sont la police de charme.
Imposé par force, l'ordre provoque un mouve-
ment de ressort, il revigore la sédition. Celle-ci
se portait mieux naguère au temps des contrain-
tes, au temps que les forces de l'ordre montraient
leur vrai visage et ne recouraient pas à ces
pressions occultes nouvellement mises en exer-
cice. C'est en notre temps de liberté de la presse,
que celle-ci, avec plus d'empressement qu'elle
n'en eut jamais, s'est faite si unanimement la
servile auxiliaire des forces de l'ordre.
Il n'est pas possible, il n'est en tout cas plus
possible, d'entendre le mot culture, sans que
soit aussitôt exhalée par lui l'odeur spéciale
(de police) dont l'a maintenant une fois pour
toutes doté la militation culturelle nationale. Il
en est de ce mot comme de celui de patriotisme,
qui n'est plus séparable de la couleur de chau-
vinisme imbécile et cocardier dont l'a doté
pareillement la propagande d'Etat. Au mot
culture déjà s'attache tout un relent de mythe
et de mystification et il va être urgent de le
remplacer par un autre terme. C'est alors qu'on
verra qu'il y en faut non pas un seul mais
deux, dont un pour désigner la pratique des
œuvres du passé, la déférence à celles-ci et le
conditionnement de l'esprit qui en résulte, et
l'autre pour désigner l'actif développement de
la pensée individuelle, qui est une toute autre
chose.
paraît officiant d'un cérémonial totalement
dénué de portée pratique. Il n'y aura d'affec-
tion et d'intérêt du public pour les poètes et
les artistes que lorsque ceux-ci parleront la
langue vulgaire, au lieu de leur langue pré-
tendue sacrée.
Le public a bien du mérite à ne pas mettre
en doute la notion de valeur que les officiers
de culture s-'emploient à lui inculquer dès lors
qu'il n'y a guère d'ouvrages dont la valeur
échappe à leurs controverses. Mais il est vrai
que de temps à autre et après délibération ils
font entre eux l'union sacrée pour le bien du
corps, en célébrant unanimement à toutes trom-
pettes un artiste canonisé, afin que l'idée ne
vienne pas au public que leur notion de valeur
se fonde sur des critères passablement brumeux.
En matière de mobilier le recours aux modes
anciennes tient lieu de bon goût. Les bourgeois
de province s'enorgueillissent de leurs fauteuils
Louis XIV, Louis XV, Louis XVI. Ils s'initient
à distinguer les uns des autres, poussant des
hauts cris quand la soie du dossier n'est pas
d'époque ; Os sont convaincus qu'ils se montrent
là des artistes. Ils savent reconnaître les fenêtres
à meneaux, l'ogival tardif et le début Renais-
sance. Ils sont persuadés que ce beau savoir
légitime la préservation de leur caste. Ils
s'emploient à en persuader les manants,
convaincre ceux-ci de la nécessité de sauve-
garder l'art, c'est-à-dire les fauteuils, c'est-à-dire
les bourgeois qui savent de quelle soie il
convient d'en tapisser le dossier.
Entre la sécrétion mentale et la production
d'une œuvre qui la restitue et la transmet, il
y a, c'est bien vrai, une très difficultueuse
opération de mise en forme que chacun doit
inventer telle qu'elle convienne à son propre
usage. C'est bien plus vite fait d'y utiliser la
formule de mise en forme que tient toute prête
à disposition la culture. Mais qui s'en saisit
constate aussitôt qu'elle n'est propre à moudre
qu'une seule sorte de grain qui est le grain
spécifique de la culture ; elle le tient de même
à disposition. D'où farine facilement faite, mais
ça n'est plus du tout la vôtre.
La culture tient aussi à disposition un modèle
de cervelle, faite de son grain, pour mettre à
la place de la vôtre.
de ce plan économique à celui de l'activité de
la pensée et de la création d'art, cette déposses-
sion qu'on veut imposer aux foules au "profit
d'un très petit nombre de spécialistes est certai-
nement fort dommageable. Dans ce domaine
est nocif tout ce qui tend à la hiérarchisation, à
la sélection, à la concentration, pour ce que le
résultat est de stériliser le vaste, l'innombrable
fourmillant terreau des foules. La propagande
culturelle agit proprement dans la forme d'un
antibiotique. S'il y a un domaine qui, àl'oppo-
sé de la hiérarchisation et de la concentration,
requiert le foisonnement égalitaire et anarchi-
que, c'est assurément celui-là.
La culture tend à prendre la place qui fut
naguère celle de la religion. Comme celle-ci,
elle a maintenant ses prêtres, ses prophètes, ses
saints, ses collèges de dignitaires. Le conqué-
rant qui vise au sacre se présente au peuple
non plus flanqué de l'évêque, mais du prix
Nobel. Le seigneur prévaricateur pour se faire
absoudre ne fonde plus une abbaye mais un
musée. C'est au nom de la culture maintenant
qu'on mobilise, qu'on prêche les croisades. A
elle maintenant le rôle de 1' « opium du peu-
ple ».
De même que la caste bourgeoise cherche à
se convaincre et à convaincre les autres que
sa prétendue culture (les oripeaux qu'elle pare
de ce nom) légitime sa préservation, le monde
occidental légitime aussi ses appétits impéria-
listes par l'urgence de faire connaître aux
nègres Shakespeare et Molière.
C'est à cause, sans doute, que le mythe de
la culture est si bien accrédité, qu'il survit aux
révolutions. Les états révolutionnaires, dont
on aurait attendu qu'ils dénoncent ce mythe,
si intimement lié à la caste bourgeoise et à
l'impérialisme occidental, le conservent au
contraire et l'utilisent à leur profit. A tort,
semble-t-il, car il ne manquera pas de ramener
tôt ou tard la caste bourgeoise occidentale qui
l'a forgé. On ne se débarrassera de la caste
bourgeoise occidentale qu'en démasquant et
démystifiant sa prétendue culture. Elle est en
tout lieu son arme et son cheval de Troie.
L'homme de culture est aussi éloigné de
l'artiste que l'historien l'est de l'homme
d'action.
La culture a proprement déconsidéré la créa-
tion d'art. Le public la regarde comme activité
ridicule, passe-temps d'incapable, inutile et
oiseux et, par là-dessus, coloré d'imposture.
Celui qui s'y adonne est l'objet de mépris. Cela
vient justement des formes qu'elle emprunte,
conservées du passé et réservées à une seule
caste ; elles sont étrangères à la vie courante.
La création parle une langue rituelle, une
langue d'église. Le regard que l'homme de la
rue porte à l'artiste est à peu près le même
qu'il porte au curé. L'un comme l'autre lui
La position actuelle prise par la culture et
ses corps constitués de spécialistes et de fonction-
naires s'inscrit dans un courant général de
noyautage (et de confiscation) de toutes les
activités au profit d'un corps de spécialistes
et elle s'inscrit aussi d'ailleurs dans un courant
général d'unification dans tous les domaines.
La mystique de l'époque est, dans tous les
domaines, de sélectionner et concentrer. Cette
mystique est évidemment en rapport avec la
vogue actuelle de concentration des entreprises
industrielles et commerciales. Si cette concentra-
tion est ou non finalement profitable, en quoi
profitable, à qui profitable, ce n'est sûrement
pas mon affaire. Elle dépossède, au profit de
quelques personnes en très petit nombre, des
responsabilités et des initiatives. Transportée
La culture, comme dieu symbolique, ne de-
mande pas plus aux ministres de son culte que
des cérémonies votives, dûment associées aux
fêtes patriotiques. A quoi Monsieur Malraux
excelle, à grands braillements d'Euripide et
d'Apelle, de Virgile et Descartes, Delacroix,
Chateaubriand et tous autres phares de son
empyrée. Ses oraisons, en musique de sonneries
de cloches, sont dans le même ton que les prê-
ches de Pâques, et il fait, pour les déclamer, les
mines de grand-prêtre requises. La relance de
l'activité cérébrale personnelle n'a pas plus
de part à tout ce chienlit dans son propre
esprit que dans celui de ses auditeurs, qui n'en
sont pas dupes, pensant seulement qu'assister
à cette messe une fois de temps en temps et
remplir ainsi leurs devoirs par ministère d'offi-
ciants intercesseurs les tient quittes d'opérer
eux-mêmes.
subversion
JeanDubuffct : Autoportrait.
Dubuffct : Une page de Rhinozeros.
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EUR HRUBLAWTE
L'Occident a deux héros. Il célèbre d'une
part le hardi corsaire, le chef intrépide, sabreur
d'insoumis à qui rien ne résiste, et d'autre part
en même temps, son opposé, le pardonneur
d'offenses, le doux renonceur, le sacrificiel.
L'homme d'Occident n'est pas conscient de
l'incomptabilité de ces deux opposés soleils,
ébloui tour à tour par l'un puis, dans l'instant
immédiatement suivant, par l'autre. Peut-être
est-ce leur double éclat contraire qui le porte
à se vouloir en même temps pareillement
subversif (ce qui dans sa tête implique un qui
est libre et maître entier de son destin) et ce-
pendant aussi déférent à ses devoirs sociaux,
loyal serviteur de son groupe, patriote, etc. La
prise de conscience en toute lucidité de cette
double antagonique aspiration devrait lui être
bonne occasion de mettre en question son mode
de penser unitaire, s'essayer à l'éthique
bifide, à une digitation de la pensée, une plura-
lité des centres, une musique conduite sur plu-
sieurs portées. Mais à cela il n'est pas pr,êt
— pas encore prêt. Au lieu de cela, il s'est
jusqu'à présent évertué, sans d'ailleurs y parve-
nir, à trouver la formule qui peut tout concilier,
par le moyen de rogner un peu sur l'un et un
peu sur l'autre. Subversif donc oui, mais pas
trop, une pointe seulement, comme on plante
un chapeau sur l'œil, sans cesser pour autant
d'être bon citoyen. Il est à remarquer que tout
un dans son domaine se prétend subversif,
aspire à l'être, croit de bonne foi l'être et même
l'être beaucoup, faute de s'imaginer qu'on
puisse mettre en question plus de choses qu'il
n'en met ni qu'on soit en droit d'aller plus avant
dans la réfutation des idées admises. C'est
l'espiègle subversion du curé qui dit merde, de
la duchesse qui renifle. Elle est la bravade et
la bonne conscience du monde culturel, le
rassure pleinement sur son indépendance
d'esprit. Qui dénonce son conditionnement ne
manque pas de se voir objecter cette subversion-
là. C'est celle de l'aile gauche, de F aile progres-
siste. Elle consiste à changer un peu de place
les meubles, à en ajouter quelques nouveaux, à
introduire dans le vieux manoir un colifichet
de la dernière mode, à moderniser la vaisselle
et la robinetterie.
Les intellectuels prétendus révolutionnaires,
qui se veulent révolutionnaires (mais se veu-
lent-ils vraiment révolutionnaires ?) n'ont
qu'un chemin à prendre : renoncer à être des
intellectuels — j'entends bien ce qu'on appelle
ainsi et qui implique donc une emprise spécia-
lement marquée de la culture sur la pensée, un
conditionnement de l'activité mentale spéciale-
ment contraignant. Il serait nécessaire de consti-
tuer pour eux des écoles de déculturation, où ils
devraient demeurer un long temps, car la dé-
prise des imprégnations culturelles ne peut
s'opérer que lentement, par petits degrés succes-
sifs...
Dans cette longue opération de progressif
déconditionnement, la pensée devra fournir un
effort particulièrement tendu et aussi une tacti-
que adroite appropriée, s'agissant pour elle
d'un combat très spécial qui est un combat
contre elle-même, contre ses points d'appui,
contre un appareil qui est l'instrument même
de son fonctionnement, l'aiguille même de son
tricotage, et en somme proprement son être.
Jean Dubuffet.
En Sorbonne
La caractéristique la plus frap-
pante du mouvement de mai 68 est
de crever, de traverser les schémas,
de faire éclater les modèles politi-
ques, économiques, sociaux, cultu-
rels, où l'on tente de l'enfermer. Son
extraordinaire résonance interna-
tionale — il frappe à Madrid comme
à Belgrade, à Tokyo comme à
Washington, à Berlin comme à
Milan, sans s'inquiéter de la nature
des régimes ou des équilibres so-
ciaux — et son impact dans des
couches sociales tenues jusqu'à
présent pour « quantité négligée » et
victimes d'un véritable « refoule-
ment » social —ouvriers immigrés,
jeunes chômeurs, blousons noirs —
indiquent que le mouvement
s'alimente aux sources les plus
profondes de la personne, à une
énergie de vie que cernent le mieux
les termes de spontanéité, liberté,
gratuité, créativité, bref, la notion
de Jeu, comme essai et déploiement
de tous les possibles d'un individu,
comme ouverture indéfinie, élan
perpétuel, affirmation plénière et
joyeuse de soi qui rend insuppor-
tables tous les cadres et tous les
rôles préétablis.
Ainsi comprend-on mieux le style
des barricades et des manifesta-
tions, la parole, non pas figée dans
ses formes contraintes mais jaillis-
sant — avec quelle surprenante
aisance, quelle grâce, souvent —
comme le dynamisme même, la
modulation de l'intimité indivi-
duelle. L'une des réussites peut-être
les plus fécondes du mouvement de
mai 68est d'avoir arraché la parole
au pouvoir gaulliste et à ses oppo-
sitions officielles, et de l'avoir
rendue, distribuée à tous ; le régime
connaissait son apogée dans la
cérémonie sacrée qu'était l'allo-
cution du général, elle-même ra-
massant toute sa substance dans
un mot-fétiche, jetée en pâture à la
presse complice et aux foules mé-
dusées ; brusquement, tous ces
discours sonnent creux, sonnent
faux, même lorsqu'ils se détachent
sur fond de crosses et de gâchettes.
Comme le pouvoir, la parole est
« dans la rue », c'est-à-dire dans
les amphis, les usines, les magasins,
les bureaux, les lieux de travail ; il
ne sera sans doute plus possible de
la reprendre, de la « récupérer ».
Le Jeu révolutionnaire de mai 68
n'a pas été seulement révélation des
masques et mascarades, de la
« chienlit » du pouvoir et de ses
oppositions, il n'a pas simplement
crevé les effigies solennelles — mi-
nistres, politiciens, professeurs,
patrons, maîtres et chefs en tous
genres ; il a été, 0 est toujours, en
même temps qu'une réalité hu-
maine, politique, culturelle, pleine
et homogène, un apprentissage des
figures nouvelles, souvent imprévi-
sibles, sur lesquelles le mouvement
a des chances de déboucher, qu'il
est précisément en train d'élaborer,
d'essayer, comme on dit d'un enfant
qu'il « essaye » ses muscles et ses
sens et ses synapses — essai, jeu,
exercice, qui n'ont rien à voir avec
l'amusement facile et imitatif (celui
justement auquel se livrent les gaul-
listes lorsqu'enfermés dans leurs
10
voitures, comme tous les week-
endards, ils klaxonnent sur le
rythme d' « Algérie française ! » ),
mais qui sont l'expression même de
la maturation, du développement,
de la vie.
Ce bouillonnement de vie, la Sor-
bonne en offre une merveilleuse
illustration ; elle écrase le capita-
lisme sur son propre terrain, sur
ses propres prétentions — à l'effi-
cacité, au rendement, à la produc-
tivité. Hier encore, énorme orga-
nisme grabataire et bouffi, elle est
devenue un organisme vivant,
agile, alerte, travaillant à plein
temps, nuit et jour, multipliant les
services et les circuits : les amphis
n'ont jamais connu public aussi
nombreux, enthousiaste, délirant,
créateur ; les murs se couvrent
d'affiches, de proclamations, de
manifestes, de graffiti, et parfois de
fresques vraiment informelles pein-
turlurées à la hâte ; de tableaux et
de poèmes ; on a installé une infir-
merie, qui a soigné des centaines de
blessés ; une crèche, au troisième
étage, a été aménagée, les nourris-
sons et les enfants y passent des
heures exquises ; un service de
presse édite un bulletin d'informa-
tion et reçoit les journalistes ; un
peu partout, on mange, on dort, on
boit, on imprime des tracts ; on
trouve même le temps de flâner et
de méditer au soleil ; un immense
piano à queue, au pied de la cha-
pelle, domine la cour transformée
en kermesse politique.
Il est important de noter que c'est
comme on dit, et n'en cherche au-
cun. Si le nom d'Herbert Marcuse,
qui fit il y a quelques années une
série de cours à l'Ecole des Hautes
Ktudes, devant un auditoire qui ne
dépassa jamais dix personnes, a été
prononcé, il était inconnu de la pres-
que totalité des étudiants. C'est
moins des hommes que des situa-
tions globales qui ont inspiré le
mouvement, et les deux plus impor-
tantes sont le Vietnam et Cuba. Il
est utile de rappeler que le Mouve-
ment du 22 mars, qui a joué un
rôle déterminant, doit son nom à
la journée du 22 mars, au cours de
laquelle une centaine d'étudiants de
Nanterre occupèrent un amphithéâ-
tre pour protester contre l'arresta-
tion de militants des Comités viet-
namiens ; et le premier amphi bap-
tisé par les étudiants révolution-
naires s'appelait amphi Che Gue-
vara. Les manifestations les plus
importantes, qui précédèrent les
journées de mai, se déroulaient sur
le thème du Vietnam, et les mili-
tants scandaient leur marche sur un
rythme d'allégresse avec les noms
de « Ho Chi Minh, oh oh » et
« Guevara, che che ».
Et il est significatif, que son porte-
parole soit l'Allemand Cohn-Ben-
dit, faisant faire à la France en quel-
ques jours un bond de plusieurs
années. Cohn-Bendit donne à la ré-
volution un rythme de ballet ; il
n'est jamais là où on l'attend (par
exemple la conférence de presse àla
Sorbonne), toujours là où on ne
l'attend pas (dernier défilé de
mouvement, c'est qu'il ne tient pas
de place, qu'il est animation pure ;
sa présence n'est pas celle d'une
opacité exclusive des autres, elle des-
sine au contraire un espace ouvert
et libre où l'autre se sent advenir ;
son volontarisme est source de
spontanéité, préserve et associe la
volonté des quelques milliers d'étu-
diants révolutionnaires qui senties
créatures véritables du mouvement.
La Révolution est une fête pro-
clame une affiche manuscrite sur les
murs de la Sorbonne. Elle surgit, de
fait, dans une société de l'ennui,
une société sans fête véritable, dans
un paysage social d'objets trafi-
qués, dans un paysage politique en-
combré de potiches et de fantômes,
dans un paysage culturel four-
millant de zombies ; aussi la résur-
gence des courants libertaires, si
caractéristique du mouvement, doit
être perçue dans une perspective
nouvelle : ils expriment à la fois la
revendication traditionnelle des
« laissés pour compte », de tous
ceux dont l'avenir économico-social
est bouché, et aussi le besoin nou-
veau, typiquement moderne,
d'échapper à la contrainte et à
l'envahissement des objets. Ainsi a
pu s'opérer la rencontre fructueuse
entre les étudiants les plus lucides et
les éléments les plus démunis, jeunes
ouvriers, chômeurs, et dans la Sor-
bonne en fête, véritable aima mater,
authentique matrice, tandis que les
étudiants et quelques professeurs,
dans les salles discrètes des Comités
d'action, dessinent le nouveau visa-
ge de l'Université.
Dans la cour de ta Sorbonne. (J. Lattes-Gamma)
un mouvement international qui
organisa la manifestation pour le
Vietnam à Berlin, avec Rudi
Dutschke, qui fut le point de départ
de toute l'agitation étudiante en
Europe.
Le mouvement de mai 1968 ne
reconnaît aucun «maître à penser»,
l'UNEF, le 31 mai), il nargue les
autorités, bondit par dessus les
frontières (« les frontières, on s'en
fout ! »), terrorise tous les «assis »,
refuse d'entrer dans le rôle de ve-
dette ou de leader qu'on lui tend de
tous côtés. Sa force et la raison pro-
fonde de son harmonie avec le
D faut pourtant compter avec les
trouble-fête, avec tous ceux qui ne
connaissent d'autre flamme, d'au-
tre feu, que celui qui surgit d'un
tombeau, tous ceux qui ont partie
liée avec la mauvaise mort.
Roger Dadoun
Fonctionnement des Comités d'action
Pour sentir battre le cœur de la
révolution, pour la comprendre, en
saisir les caractères et les objectifs,
il faut participer à un Comité
d'action. Il en est des centaines qui,
bien qu'ils se soient formés spon-
tanément, fonctionnent néanmoins
de façon voisine à la Sorbonne, au
Centre National de la Recherche
Scientifique, etc.
Voici un comité constitué pour
la « liberté de la recherche ». A
condition d'appartenir à l'institu-
tion qui l'abrite, chacun peut y
entrer et participer aux discussions
autant qu'il le désire et à chaque
réunion du comité, ici quotidienne.
A l'issue de chaque réunion, des
constatations sont enregistrées, des
témoignages et des informations
recueillies ; et puis des vœux s'expri-
ment et se discutent, par exemple
sur les modalités qui président à
la distribution des crédits de recher-
che. On se sépare et, chaque soir
avant de se quitter, deux représen-
tants de ce Comité d'action, élus par
les présents, se rendent à un Comité
de coordination, qui regroupe les
délégués de tous les Comités
d'action d'une institution.
Ainsi, il y a actuellement une
demi-douzaine de Comités d'action
à l'Ecole Pratique des Hautes
Etudes (sur les rapports ensei-
gnants/enseignés, sur le fonction-
nement de l'école, etc. ), et une dou-
zaine de délégués se retrouvent
chaque soir au Comité de coordi-
nation. Ce ne doit pas être les
mêmes chaque soir car chacun ne
peut pas (ou ne veut pas) assister
chaque jour au même Comité
d'action et, par principe, on veut
éviter la bureaucratisation par de
petits groupes. Ce Comité de coor-
dination collabore avec un Comité
de l'Assemblée générale, qui pré-
pare l'ordre du jour des sessions
en accord avec les conclusions du
Comité de coordination. A ce stade
intervient également le Comité
d'action politique, qui est un Co-
mité d'action comme les autres mais
qui, naturellement, oriente la poli-
tique de l'Assemblée chaque fois
que la conjoncture fait passer la
décision ou l'action politiques
avant les problèmes proprement
corporatifs. Ainsi propose-t-il de
manifester ou de ne pas manifes-
ter à l'appel de telle organisation.
La décision appartient à l'Assem-
blée générale « souveraine » qui
renvoie la tâche d'étudier les moda-
lités pratiques à un autre Comité
d'action, celui-ci particulier et éphé-
mère. A la base de l'institution se
constituent les Comités de gestion
(pour les laboratoires ou les insti-
tuts de recherche). Leurs deux délé-
gués se tiennent en liaison avec un
Comité de coordination qui se char-
gera d'en faire reconnaître la légi-
timité par l'Assemblée générale.
Tel est le schéma qui se dessine
avec, à son sommet, un Comité
général des Comités d'action re-
groupant les délégués de tous les
groupes sociaux qui se sont placés
en situation révolutionnaire.
Naturellement, en marge de ce
fonctionnement « idéal », merveil-
leusement démocratique, mobile,
antibureaucratique et novateur, il
y a des groupes initiateurs qui,
manifestement, animent le mouve-
ment, orientent le processus de dé-
veloppement et lui impriment son
orientation spécifique. Ils ne s'en
cachent pas. Ils sont jeunes, dyna-
miques, vigilants mais nullement
sectaires et, s'ils ne donnent pas
toujours l'impression de savoir où
ils vont, il est sûr qu'ils savent ce
qu'ils veulent et surtout qu'il est
certaines procédures qu'ils rejet-
tent. Ainsi, ressuscitant l'esprit des
partis politiques et des syndicats
bureaucratisés dont beaucoup ont
dû faire l'apprentissage, tous leurs
gestes attestent que leur conception
de l'organisation, sans participer
en rien à l'anarchisme, est néan-
moins décentralisatrice et anti-
totalitaire.
Sans doute, ils obéissent à des
orientations centrales, centralisées
peut-être, mais leur « terrorisme »
reste verbal et il refuse, par prin-
cipe, de prendre une forme institu-
tionnalisée ou de se constituer en
groupes de pression. Ses membres
agissent individuellement comme
ferments dans chaque comité
d'action, mais bientôt les institu-
tions qu'ils ont suscitées les absor-
bent à moins qu'ils n'aient réussi
à grossir leur propre base et que,
leur « groupuscule » s'étant déve-
loppé, ils puissent essaimer et être
présentés dans chaque Comité
d'action, chaque Comité de gestion,
etc.
Subjuguée, conquise ou saisie de
nausée, la « base » a assisté à une
remise en question absolue des
situations acquises, de tous les
statuts, des hiérarchies, de toutes
les valeurs et grades, de tous les
rôles et de la validité des anciennes
relations d'homme à homme. Si
l'on se rappelle qu'à la Sorbonne,
cette « base » comprend les étu-
diants mais aussi les maîtres émi-
nents, de renommée internationale,
qui, lorsqu'ils participent à ces
assemblées tumultueuses doivent se
dépouiller de leur fonction ou de
leur statut pour devenir, chez eux,
dans leur royaume, des simples
citoyens qui ne disposent pas d'un
temps de parole plus grand que
leurs étudiants ou leurs assistants,
on imagine que la métamorphose
est difficile et que beaucoup sont
incapables d'opérer spontanément
l'adaptation nécessaire.
Il est vrai que porteurs mysté-
rieux d'une pensée maîtresse et
jouissant la veille encore d'un pres-
tige intellectuel sans partage, cer-
tains d'entre eux voient, brutale-
ment, que le charme est rompu et
que l'autorité a échappé dans le
tourbillon de ces journées de mai.
Pressentant l'avenir, ils ne partici-
paient pas à l'allégresse générale,
et, leur rôle terminé, beaucoup se
sont réfugiés dans l'exil du temps
passé, désormais oublié, d'acteurs
devenus spectateurs, derniers té-
moins d'un monde mental disparu.
Un des faits étonnants que révè-
lent les discussions passionnées au
sein des comités d'action, c'est la
résurrection de l'idéologie. On la
croyait définitivement déconsidé-
rée : en réalité, elle avait trouvé
asile dans une autre société, isolée
de celle des maîtres, des partis
politiques ou syndicats qui ensei-
gnent à vivre et à penser, à diriger
ou à se révolter : la jeunesse. Celle-
ci a recueilli l'idéologie dans k>
ruisseau et, paradoxalement, elle en
a ressuscité la raison d'être, qui
n'est pas de « relire Marx » ou
Bakounine, mais d'agir.
L'orientation et les buts du mou-
vement de mai 1968 appartien-
nent sans doute à la tradition de
toutes les révolutions ; mais les
journées de mai ont une spécificité
qui, à l'échelon des Comités
d'action ou de telle ou telle assem-
ments rappellent, tant s'affirme à
chaque intervention des orateurs
le désir de briser, dans l'entreprise
ou l'institution, le rapport gouver-
nants —gouvernés et le souci de ré-
tablir une nouvelle relation des liens
d'homme à homme. Messali Hadj
déclarait en 1 950 : « Que m'importe
que tu mettes l'eau courante dans
ma maison si ma maison n'est pas
à moi ». Aujourd'hui, la volonté
d'autogestion traduit les mêmes
aspirations. En 1917 comme en
1968, rejetant instinctivement le
système représentatif, les étudiants
et les ouvriers commencent à le
mettre en cause. Pour les citoyens
Fonctionnement des Comités d'action
à l'inverse d'une Unité Institutionnelle
Exemple de l'Ecole des Hautes-Etudes,
Sorbonne.
c.
Ass.
Gde
('A : Comité cl at'tioll
CI* : Comité politique
'G : Comité (te gestion
blée générale évoque irrésistible-
ment des expériences passées. Et
d'abord l'Algérie des années 1950
ou l'Européen ignorait et mépri-
sait l'Arabe, comme en 1968 la
société adulte ignorait et méprisait
la jeunesse. Deux mondes qui vi-
vaient ensemble en s'ignorant abso-
lument. Pas un seul Européen, en
1950, ne lisait les journaux musul-
mans d'Algérie (pourtant écrits en
langue française ), ignorant ainsi
toutes les raisons de se révolter
d'une population opprimée ; de la
même façon, il n'était pas un seul
« adulte » penseur ou non, qui ait
lu la presse des jeunes, les publica-
tions révolutionnaires, ignorant de
la même façon que les Européens
d'Algérie ceux qui contestaient le
fonctionnement de la société.
C'est encore l'Algérie (mais aussi
la Russie de 1917) que ces événe-
La Quinzaine littéraire, du 15 au 30 juin 1968
de la nouvelle Cité, le problème
n'est pas d'être mieux gouverné
ou de choisir une autre façon de
l'être, mais de se gouverner soi-
même. Toute délégation de pou-
voirs est marquée d'opprobre, tou-
te autorité insupportable.
Notre société est bloquée par
l'oppression des individus-chefs (de
famille, d'Etat, d'entreprise, d'ins-
titution, etc. ) par celle des maîtres
à penser, par celle des églises, par-
tis, syndicats et par l'oppression
anonyme de la loi, de la mode, du
progrés, de l'opinion ou du gadget.
Sa révolte explose, mettant en ques-
tion par une contestation absolue,
non pas seulement le fonctionne-
ment de notre société, mais notre
culture.
Marc Ferro
11
Chez les
scientifiques
II ne peut y avoir recherche
scientifique et par conséquent en-
seignement des sciences, sans li-
berté de l'esprit. Mais chacun sait
qu'il y a mille entraves à cette
liberté-là comme aux autres. Res-
pect des théories en cours, respect
des sacro-saints programmes offi-
ciels, ou bien encore respect des
titres, du prix Nobel à l'agréga-
tion... Le règne des pontifes, dans
la science comme dans l'Education
Nationale, a traversé sans encom-
bre tous les régimes. Il est plaisant
de constater que dans les amphis
de la faculté des sciences aussi
bien que dans les lycées occupés,
ces formes officielles ont été sim-
plement ignorées. La pègre dont a
parlé M. Fouchet n'a pas perdu
son temps à dégonfler ces fausses
réputations dont l'évanouissement
a eu quelque chose de miraculeux.
Un thème est alors apparu par-
tout : le travail en équipe. Partout:
chez les élèves de quinze ans pré-
occupés de leur formation mathé-
matique ; chez les chercheurs de
l'Institut National d'Astronomie et
de géophysique (« le mouvement
de Meudon »).
Les lycéens se sont d'ailleurs
montrés aussi actifs et aussi Ima-
ginatifs que leurs aînés de quelques
années. Ce sont eux qui imposeront
des formules neuves aux profes-
seurs, sachant entraîner dans leur
mouvement tous ceux qui considé-
raient les quelques rares cher-
cheurs en pédagogie comme des
hurluberlus dangereux. Le déca-
lage est d'ailleurs saisissant entre
l'audace tranquille (et sage) des
lycéens préconisant des formules
de gestion des écoles ou une for-
mule réaliste de baccalauréat et
l'absence presque totale de reven-
dications originales des syndicats
de l'enseignement sur la gestion
générale de l'Education Nationale.
Elèves et étudiants ont deman-
dé l'autonomie pour leurs facultés
ou leurs lycées. Mieux, ils l'ont
réalisée. Soyez tranquilles : les bu-
reaux feront ce qu'ils pourront
pour stériliser cette vie-là. Mais
qui est le plus fort, la vie ou la
bureaucratie ?
Un fait étrange est l'effroi de
beaucoup de professeurs devant la
réussite, à vrai dire imprévue, de
leur enseignement ! Ne se propo-
saient-ils pas de former des
hommes libres, c'est-à-dire des
hommes sachant dire non ? S'ils
sont réellement effrayés de leur
réussite, faut-il en déduire que les
beaux principes proclamés étaient
la couverture chatoyante d'une
plus triste marchandise ?
On objectera, bien sûr, qu'il y a
eu des « désordres » ; un général
les a d'ailleurs dénoncés d'un mot
impropre. C'est de « tohu-bohus
triomphants» (1) qu'il s'agissait,
qu'il s'agit encore. Car une impul-
sion est donnée. Le système des
colloques de sages soigneusement
préparés par des commissions offi-
cielles et couronnés par un grand
et historique discours du ministre
(rappelez-vous Amiens 68), cela ap-
partient au passé.
Gilbert Walusinski
1. Rimbaud : ..... Et les Péninsules démarrées
n'ont pas connu tohu-bohus plus triomphants.»
Une psychiatrie rénovée
Aux Commissions de psychiatrie,
de psychanalyse et de sciences
humaines, les étudiants travaillent
à l'élaboration d'une charte pour
une psychiatrie rénovée. Le but est
de renouveler dans sa forme et son
esprit un enseignement médical qui
jusqu'à nos jours ne préparait en
rien le candidat à son métier de
psychiatre. Est exigée la réduction
d'un enseignement mécaniste, bio-
chimique, médical au profit de l'in-
troduction de la philosophie, de la
logique, de la linguistique, et, en
général des sciences humaines. Le
droit à la culture se trouve ainsi
implicitement revendiqué.
Sur le plan hospitalier, les
options sont tout aussi clairement
définies : c'est l'hôpital qui doit
devenir le lieu d'une véritable for-
mation à un enseignement critique.
C'est au sein d'équipes soignantes
que doit s'établir une sorte de
contestation permanente de soi et
du système dans lequel chacun se
trouve impliqué. Ce que l'étudiant
refuse c'est un savoir pré-digéré
fondé sur un système autoritaire.
Ce qui se trouve du même coup
remis en cause, ce sont les fonde-
ments de la psychiatrie classique.
Au classement systématique d'en-
tités nosologiques, l'étudiant veut
substituer l'étude du suj et qui parle
(de ce sujet qui justement dispa-
raît dans les classifications).
En cela, d'ailleurs, on ne fait
en France que rejoindre les préoc-
cupations qui animent à l'étranger
une avant-garde psychiatrique. Des
perspectives hardies ont déjà été
ouvertes en Angleterre. A Paris,
en octobre 1967, Cooper et Laing,
psychiatre et psychanalyste anglais
avaient fait scandale pour avoir
osé affirmer que l'étiquette noso-
graphique servait à cacher nos
ignorances. Devant un auditoire
médusé Cooper s'exprimait alors
en ces termes :
« Nos travaux nous ont permis
de mettre en évidence ceci : ceux
qui sont admis en hôpital psychia-
trique, le sont non tant parce qu'ils
sont malades, que parce qu'ils pro-
testent de manière plus ou moins
adéquate contre l'ordre social ; le
système social dans lequel ils sont
pris vient ainsi renforcer les
méfaits produits par le système
familial dans lequel ils ont grandi.
Cette autonomie qu'ils cherchent
à affirmer à l'égard d'une micro-
société joue comme révélateur
d'une aliénation massive exercée
par la société toute entière. »
Sept mois plus tard, les barri-
cades du quartier Latin ébranlent
l'édifice de la psychiatrie française :
« il est interdit d'interdire... » Se
trouve dévoilée la nature d'un
système qui avait pour fonction de
perpétuer toutes les formes
d'obscurantisme, de maintenir le
candidat dans la capture imaginaire
de l'objectivité dite scientifique.
Si la psychiatrie française sem-
ble vouloir s'engager aujourd'hui
sur les rails révolutionnaires, il
n'en est pas de même de la
psychanalyse. Sur ce plan, les étu-
diants sont encore embarrassés ; ils
n'ont pas eu le temps d'opérer une
sorte de démystification du person-
nage de l'analyste. Lorsque les
futurs « nouveaux maîtres » en
chaire de psychanalyse leur lancent
ce très curieux avertissement : « la
théorie, ça ne vous regarde pas !..»
ils croient ne devoir s'en tenir
qu'aux seules revendications maté-
rielles. Toute réflexion psychana-
lytique s'en trouve du même coup
aplatie, la contestation en psycha-
nalyse prend l'aspect d'un tabou.
L'étudiant pour peu qu'il soit d'une
certaine Ecole analytique se sent
piégé puisque son psychanalyste
tel un confesseur, lui interdit la
critique.
Si le futur psychiatre dénonce
à juste titre le piège qu'il y a pour
un médecin à se référer pour
l'appréciation d'une situation au
seul critère d'adaptation (adapta-
tion à quelle société ?), le futur
psychanalyste est autrement plus
embarrassé : il a du mal comme
« révolutionnaire » à se situer
dans le système conformiste qui
est celui de son Ecole analytique.
Sur quoi, débouche un système
psychanalytique qui se réfère à une
idéologie d'un « moi » dit « fort »
et autonome ? Sur quoi, si ce n'est
ces paroles d'un de ses représen-
tants, paroles rappelées dans le
n" 1 de Scilicet :
« Ce pourquoi je n'attaquerai
jamais les formes instituées c'est
qu'elles m'assurent sans problème
d'une routine qui fait mon
confort ».
L'apport de Lacan est cepen-
dant resté lettre morte à la Faculté
de Médecine. Si les instituteurs le
connaissent depuis 1936, si les nor-
maliens ont intégré l'étude de sa
doctrine dans leurs recherches, les
futurs médecins analystes passent
l'essentiel de leur formation à se
défendre contre... une lecture mise
à l'index. S'il est interdit d'interdire
Lacan, il est pour le moins recom-
mandé de ne point le fréquenter.
Le « révolutionnaire » est prié de
substituer au système logique laca-
nien (système qui ébranle la certi-
tude selon laquelle « moi je suis
moi » et fait jaillir la somme de
méconnaissance cachée dans le
confort narcissique du « moi» fort)
un humanisme pédagogisant.
Dans cette perspective, le mé-
decin est invité comme religieux a
prendre la place de l'ex-psychiatre
policier. Les Jungiens ne viennent-
ils pas nous rappeler l'existence
de l'âme ? Le marxiste athée, dans
le domaine de la psychanalyse, se
trouve ainsi bizarrement écartelé
entre l'influence d'un style psy-
chiatrico-analytique moralisateur
ou adaptatif (ne fais pas pipi au lit,
ne ronge pas tes ongles, sois auto-
nome et fort à mon image...) et
l'appel à la bonté par le prédicateur,
défenseur de la notion spirituelle
de « souffrance humaine». La théo-
rie de Lacan installant une réfé-
rence à la structure et à la subver-
sion du sujet à la place de toute
idéologie suscite dans ce milieu
médical une inquiétude.
L'histoire nous dira qui, des
philosophes ou des médecins, s'op-
posera à l'anéantissement de l'héri-
tage de Freud, héritage contenu
dans ces mots : « je leur apporte
la peste ». C'est son caractère de
scandale que nous avons à mainte-
nir à la psychanalyse afin de garder
à sa théorie tout son mordant. Le
scandale ne s'accommode pas
d'une carrière universitaire ou mé-
dicale traditionnelle.
Si dans l'Université de demain,
une place doit être faite à la psycha-
nalyse, c'est non dans l'occupation
d'un poste de « patron », mais dans
le travail besogneux au sein d'une
équipe médicale. L'étudiant a
besoin non tant de recevoir un
nouveau savoir, que d'être remanié
dans son rapport au savoir et à la
vérité.
Maud Mannoni.
M.
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12
Mort de l'Ecole des Beaux-Arts
La société industrielle est urbai-
ne. C'est dire que chacun de nous
est directement concerné par l'ac-
tivité de ceux qui ont pour tâche
de construire et aménager nos vil-
les. Or ce n'est pas un des moindres
paradoxes de la société française
que cette activité de pointe et de
prospection soit régie par la caste
archaïque d'une profession qui est
à la fois organisée selon des struc-
tures de type pré-industriel et cou-
pée du champ vivant des problé-
matiques contemporaines. C'est
pourquoi chacun de nous est
aujourd'hui concerné par les évé-
nements qui se déroulent depuis
le début mai àl'ex-EcoledesBeaux
Arts de Paris (1). Ce temps du pas-
séisme, cette serre chaude à culti-
ver les inadaptés, le petit ghetto de
la rue Bonaparte où le « système »
et l'incurie des patrons a enfermé
des générations de jeunes gens à
l'abri des bruits et de la fureur de
la société, a définitivement éclaté.
Indispensable révolution qui
consacre et fait aboutir le travail
accompli depuis 1966 par le groupe
C, puis l'atelier collégial au Grand
Palais (2) qui avaient successive-
ment refusé la tradition des « com-
positions en plan » et les analyses
de monuments anciens, refusé
l'enseignement empirique etpater-
naliste des patrons, refusé de conti-
nuer à préparer des projets imagi-
naires, établi la jonction avec
l'université et les autres discipli-
nes, instauré le travail en équipe,
exigé dès mai 1966 la participation
des étudiants à l'établissement des
programmes. Le mois de mai rue
Bonaparte aura permis que l'im-
pulsion de ces groupes minoritai-
res soit communiquée à l'ensemble
des étudiants et une fraction im-
portante de jeunes architectes ; elle
aboutit à une mise en question
radicale des structures et du sens
de l'activité constructivc et de la
société où celle-ci s'intègre, au
cours d'un psychodrame en plu-
sieurs actes.
Le décor : plus délabré que ce-
lui de la Sorbonne, morne sym-
bole de l'éclectisme du XIX1 siècle,
il est soudain envahi et nié par
des affiches et inscriptions multi-
colores dont la floraison croît cha-
que jour. Des stands communistes,
trotskistes, maoïstes voisinent pa-
cifiquement dans les galeries. Dans
les ex-ateliers ou parmi les écorchés
poussiéreux de l'amphithéâtre
d'anatomie, siègent les commis-
sions. Les assemblées générales se
tiennent dans la cour, en plein air,
ou à la « Melpo », la grande salle
des jugements où trois mille per-
sonnes s'asseyent par terre : aux
murs c'est la tapisserie continue
des chefs-d'œuvre de la Renais-
sance italienne réduits au dénomi-
nateur commun du pompiérisme
par quelque titanesque copiste du
siècle passé et qui, trois lustres
durant, servit à l'édification de nos
futurs artistes. Le drame : il com-
mence par un prologue. Jusqu'au
13 mai, les étudiants procèdent, à
huis clos, dans une atmosphère de
ferveur, à la critique de leur école
et des cadres de leur future profes-
sion. Les premières commissions de
travail sont créées le 10 mai. Le 13
mai l'Ecole des Beaux Arts est
occupée par les étudiants en grève.
Ceux-ci mettent à la porte les pa-
trons du groupe A venus les assu-
rer de leur solidarité.
Le premier acte commence. Il
s'agit de passer à l'action. Deux
mesures solidaires constituant les
deux faces d'un même problème,
sont immédiatement proposées :
rattachement de l'enseignement de
l'architecture à l'université (d'où
suppression du système des pa-
trons) et suppression de l'ordre
travail, liée à celle de la société
dans une assemblée. Les murs de
l'école résonnent d'une terminolo-
gie insolite : concepts classiques
de lutte des classes, exploitation
de l'homme par l'homme, mais
aussi critique de la technocratie
et de la société de consommation,
vision messianique d'un « dépas-
sement de l'économique ». Souvent
l'utopie devient vacuité. Mais si la
dialectique est parfois hasardeu-
se, un pas est franchi : l'ex-école
posé à tous les grévistes étudiants
et enseignants un texte de ban pour
la restructuration de l'enseigne-
ment.
Nous y reviendrons, à mesure
des discussions. Celles-ci auront
à se garder de bien des pièges et
des difficultés. Il ne faut pas, en
particulier, que cet admirable mou-
vement d'ouverture aux vrais pro-
blèmes et à la réalité rugueuse
tombe dans le mythe des sciences
de l'homme et s'abandonne com-
«TMMJOI6UUSUWC Ml
l»IA40»'ElAIAtAlWf9MH
» IKA8MH3 iajAl SWB5 ICifi. ,
Les affiches des élèves de l'Ecole des Beaux Arts, mai 1968 (Cilles \adeau)
des architectes, organisme corpo-
ratif hérité de Vichy et servant
essentiellement au maintien des
privilèges. Le comité de grève pu-
blie le 15 mai un texte de base. Des
commissions étudient en particu-
lier la déféodalisation de la pro-
fession, les divers aspects de la
nouvelle pédagogie à promouvoir,
les rapports inter-professionnels
dans le domaine bâti. Le 20 mai,
dans l'enthousiasme, une assem-
blée générale de deux mille cinq
cents personnes adopte la motion
du 15 mai et décide l'occupation
symbolique du siège de l'ordre.
Les orateurs se succèdent, dénon-
çant pêle-mêle l'hégémonie des
banques dans la promotion, l'in-
sécurité des chantiers qui tuent
trois ouvriers par jour, la néces-
sité de municipaliser les sols. Puis
une série d'architectes viennent
déchirer leurs cartes de membres
de l'ordre à la tribune. A vingt
deux heures le siège de l'ordre est
occupé.
Cependant la politisation des dé-
bats s'accentue. La remise en ques-
tion du statut des architectes est,
dans toutes les commissions de
des Beaux Arts a pris conscience
de la dimension politique de l'acte
de bâtir. L'urbanisme devrait, plus
clairement, s'appeler polistique.
Le deuxième acte va être celui
de la politisation complète. Il dé-
bute avec les « accords » de Gre-
nelle. Le comité de grève démis-
sionne tandis que se constitue un
comité d'action ouvrière.«Lefront
de lutte ouvrière est le plus impor-
tant ». L'école se vide des éléments
les plus dynamiques.
Parallèlement, la réaction com-
mence à s'organiser. Avant le vote
à la Chambre sur la motion de cen-
sure, tout architecte opposant avait
disparu duquartierdesBeaux-Arts.
Terrifiés, les féodaux qui venaient
en observateurs arboraient le cos-
tume de la révolution, blue jeans
et col roulé. Le lendemain du vote,
ils réapparaissaient en complet
mastic et nœud papillon. La sémio-
logie vestimentaire n'est pas un
vain mot. La caste va donc tenter de
défendre ses privilèges tandis que
débute le troisième acte. A peine
amorcé celui-ci est néanmoins mar-
qué par une motion des membres
du SNE-Sup qui ont, le 3 juin, pro-
me autrefois à l'architecte « conduc-
teur de troupeau » prôné par le
Corbusier, au nouveau démiurge,
la sociologie. De même les notions
de création et d'art dans le domai-
ne bâti demandent à être entière-
ment réanalysés.
On peut espérer alors que des
bâtisseurs conscients contribuent
à promouvoir une société nouvelle
en nous délivrant de la laideur et
de l'absurdité qui depuis la fin de
la guerre caractérisent notre envi-
ronnement. Et puisqu'il s'agit de
dissoudre l'Ecole nationale des
Beaux-Arts, ne devrait-on pas ra-
mener la métaphore à sa lettre et
commencer par démolir effective-
ment et physiquement le bâtiment
hideux et morne qui pendant cent
cinquante ans a sécrété le confor-
misme et la hideur ?
Françoise Choay
1. Les ex-ateliers de peinture, gravure, sculptu-
re, ont eux aussi, dans le même temps, meiu1
une action révolutionnaire considérable c le le
cadre de cet article ne permet pas d'abt 'der
1*. Groupes nés officiellement de la nécess
déconcentrer l'Ecole des Beaux-Arts. L'a
collégial avait complètement éliminé les pa
La Quinzaine littéraire, du 15 au 30 juin 1968
é de
elier
ons.
13
Cinéma : Etats Généraux
« Nous refusons un monde ou
la certitude de mourir de faim
s'échange contre le risque de périr
d'ennui. ». Cette inscription sur
les murs de la Sorbonne explicite
mieux, dans sa concision, les rai-
sons essentielles de la révolte estu-
diantine que tous les débats qu'elle
a suscités.
Pour le cinéma les choses com-
mencent le 12 mai
Réunis au bureau du syndicat,
les techniciens du cinéma sont
avertis de la proposition de Jean-
Luc Godard qui suggère d'envahir
le CXC (centre national du
cinéma), geste symbolique, copié
sur la prise de l'Ôdêon, et en signe
de solidarité avec les étudiants.
Mais, à cause des heurts prévisibles
avec la police, le syndicat s'oppose
à cet investissement et par tous les
moyens avertit ses membres du
danger de la manœuvre.
La plupart des personnalités
cinématographiques se trouvent
bloquées dans le midi, par le fait
de la grève des transports et se
débattent en vase clos tandis qu'à
Paris le travail se poursuit non
sans beaucoup de difficultés, de
discussions, d'affrontements com-
me dans toutes les séances de
toutes les assemblées et commis-
sions nées de la révolte exemplaire
des étudiants.
C'est le délire verbal, à la fois
utopique et concret, des premiers
jours, les oppositions classiques :
anarchistes (réclamant un cinéma
révolutionnaire, dégagé des struc-
tures capitalistes) et syndicalistes
(affirmant qu'une grève doit,
d'abord, reposer sur des revendica-
tions). Enfin le dimanche 19, à
l'unanimité moins une voix, le
mouvement se politise définitive-
ment et vote la lutte pour le ren-
versement du pouvoir. Une com-
mission de contestation composée
d'environ cent cinquante person-
nes établit une motion pour la
suppression du CMC aux structures
réactionnaires, et décide (en consé-
quence) que « Son existence (celle
du CNC) sa représentativité et ses
règlements ne sont plus reconnus
par la profession ».
Une commission de metteurs
en scène et assistants metteurs en
scène souhaite alors que se créent
des groupes spontanés de restruc-
turation de l'art et de l'industrie
cinématographique. Ils présen-
teront des projets dont l'intérêt
sera discuté au cours d'une future
assemblée à Suresnes.
Les grands « ténors » du cinéma
ont, enfin, regagné Paris.
Le 28 mai, devant une assem-
blée de plus de 1300 professionnels
du cinéma furent lus à la suite
l'un de l'autre dix-neuf projets de
restructuration du cinéma français.
C'est dire la difficulté qu'il put y
avoir à choisir les deux projets
que l'on avait prévu, initialement,
de retenir, et la difficulté que
purent éprouver les assistants,
même très attentifs, àéluciderpour
Manifestation des professionnels du cinéma, à la gare de Lyon, le 24 mai 1968.
eux-mêmes le contenu de ces pro-
positions qu'il eût fallu pouvoir
examiner, discuter, contester ou
approuver dans le calme, après un
temps normal de réflexion.
Devant l'impossibilité de réunir
l'unanimité sur deux projets
(encore que beaucoup se recou-
passent) on en arriva enfin au
choix moins limité de quatre pro-
jets : les n" 16, 13, 19 et 4. Ils
allaient susciter des journées pas-
sionnées. Le projet 16 (présenté
par Louis Malle et appelé projet
des metteurs en scène) trahissait
deux tendances, celle des « vieux
cahiers du cinéma » avec Doniol-
Valcroze, Rivette, Malle, Kast et
Jean-Daniel Pollet, sur lesquels
étaient branchés des metteurs en
scène de « contrôle » tels que
Vadim, Joffé, Le Chanois, et, pour
la liaison entre les deux, Alain
Resnais.
Le second projet
Le second projet, le n" 13,
rapporteur P. Lhomme, appelé pro-
jet du syndicat préconisait :
1. Coexistence secteur public —
secteur privé (mais minoritaire).
2. La libre circulation des techni-
ciens.
3. L'abolition du système actuel
de distribution remplacé par des
messageries.
Ce projet, peu révolutionnaire,
en soi, laissait la voie ouverte à
de nombreuses possibilités propo-
sées dans d'autres projets.
Le projet 19, rapporté par
Enrico, dit projet Lelouche, dont
l'organigramme supposait une
« maison de cinéma » apparut à
beaucoup comme l'image de la
« maison du cinéma » à sigle
Lelouch. A ce titre ce projet fut
accusé d'être néo-capitaliste et fa-
vorable aux « chapelles » cinéma-
tographiques. Il fut violemment
attaqué.
Malgré sa teneur utopique, ad-
mise par ceux qui l'élaborèrent, le
projet n" 4 fut examiné pour son
contenu provocateur, après tout le
plus proche de l'esprit de la révo-
lution estudiantine.
Présenté par Thierry Derocles,
soutenu par Chabrol et de très
jeunes cinéastes, il proposait, dans
le cadre d'un office regroupant
cinéma et télévision à l'échelle
nationale :
1. L'accès gratuit à ses spectacles.
2. La décentralisation véritable de
la culture.
3. La possibilité pour tous de deve-
nir professionnels.
Et ce, en réclamant pour la produc-
tion cinématographique une parti-
cipation de tout le pays qui, à
l'échelle de cent francs par cinq
habitants, donnerait à l'office un
milliard de francs, « somme dépas-
sant largement le financement
dévolu actuellement au cinéma
français » et faisant ainsi les specta-
teurs « producteurs » des films
qu'ils seraient appelés à voir.
A la fin de cette Assemblée
des Etats généraux qui dura jus-
qu'à six heures du matin, une
commission unique était créée. Les
projets 16 et 13 fusionnaient et
demeuraient en face du projet 19.
Mais j'en reviens à ce projet
unique, mort-né, qui risquait de
provoquer l'effondrement des
Etats généraux du cinéma français.
Amalgame de tendances, ne repo-
sant pas sur des bases concrètes, il
fut l'objet, dans une commission
composée d'une soixantaine de
professionnels, d'un remaniement
qui aboutit à une Charte compre-
nant six points de principe et le
maintien de la grève. Ces six points
sont :
Le projet unique
1. Supprimer les monopoles et créer
un organisme national de distribu-
tion permettant la perception des
droits de production à la base (dans
les salles).
2. Création d'un organisme natio-
nal englobant tous les moyens
techniques audio-visuels.
3. Suppression de la censure.
4. Création d'une école unique
audio-visuelle dans le cadre des
structures nouvelles de l'Educa-
tion nationale autogérée.
5. Formation de groupes de pro-
duction autogérés.
6. Relation très serrée entre télé-
vision et cinéma dans le cadre d'une
télévision autonome et autogérée.
Sur cette demi-victoire il est
trop tôt pour porter un jugement
de fond, ni même pour conclure si
des réformes profondes aboutiront.
Anne Capelle
14
Théâtre et révolution
Le rideau du Théâtre de France recouvert d'affiches. (Bruno Barbey-Magnum)
Nous ne connaissons pas encore
le bilan des Etats-Généraux du théâ-
tre, qui se sont tenus, par petits
paquets, à la fois à Lyon, pour les
gens de théâtre du «secteur pu-
blic », et dans différentes salles de
Paris, pour les autres. Mais on peut,
à priori, formuler quelques souhaits
et propositions. D'abord, cette révo-
lution dont la France vient d'esquis-
ser le modèle aux yeux de l'Europe
interloquée et dont elle a achevé
seulement la première phase, il faut
que le théâtre, désormais, la serve.
On ne peut plus concevoir le rôle
du théâtre que dans une perspective
politique et révolutionnaire. Dans
une nation réveillée, qui enfin se
politise, et où la parole est libérée,
le théâtre doit sortir de ses salles
closes, qui tiennent du temple, du
club, et du bordel. Il doit descendre
sur les places, dans les cortèges,
dans les meetings ; il doit descendre
dans la rue ; ou plutôt il doit en
naître : lié à l'événement, à l'his-
toire qui se fait, commentaire lyri-
que ou critique de l'actualité, il doit
être capable de constituer des fables
et des images, des récits et des cari-
catures, qui puissent éclairer, don-
ner à voir et à comprendre, dénon-
cer, exciter, célébrer : théâtre de
cirque, de parade, de guignol, et de
création collective.
Il est dommage qu'on n'ait pu voir
que quelques jours, à Aubervilliers,
la troupe du « Bread and Puppet
Theater », de New York, qui fut la
révélation du Festival de Nancy.
Avec tambour et trompette, usant
essentiellement de masques et de
gigantesques mannequins de deux
ou trois mètres de haut, cette trou-
pe joue dans les défilés et manifes-
tations pour la paix, et dans les
quartiers populaires de New York,
mettant en images critiques le « Dis-
La Quinzaine littéraire, du 15 au 30 juin 196S
cours de Johnson sur l'état de
l'Union », par exemple, ou l'itiné-
raire funèbre du soldat américain
au Vietnam, dans le style direct,
simple, et saisissant, de fables pour
enfants, pour le monde infantile
qui est le nôtre.
Je pense aussi, comme référence
possible, à l'expérience tentée en
Italie par une troupe itinérante de
L'IMAGINATION PREND LE POUVOIR
La lutte révolutionnaire des travailleurs
et des étudiants qui est née dans la
rue s'étend maintenant aux lieux de
travail et aux pseudo-valeurs de la so-
ciété de consommation.
Hier Sud-Aviation à NANTES, aujour-
d'hui le théâtre dit « DE FRANCE» :
l'ODEON.
Le théâtre, le cinéma, la peinture, la
littérature etc. sont devenus des in-
dustries accaparées par une « élite »
dans un but d'aliénation et de mercan-
tilisme.
Sabotez l'industrie culturelle.
Occupez et détruisez les institutions.
Réinventez la vie.
L'ART C'EST VOUS !
LA REVOLUTION C'EST VOUS !
ENTREE LIBRE
à l'ex-théâtre de France, à partir d'au-
jourd'hui.
C.A.R.
Tract distribué
le soir où l'Odéon
était occupé.
Dans la salle occupée.
(Jean Lattes-Gamma)
théâtre politique et prolétarien, le
« Groupe M.K.S. », qui se propose
de présenter des spectacles,conçus
collectivement, dans des versions
successives et toujours modifia-
bles, sur un matériau constitué par
des enquêtes menées en commun
par des étudiants, acteurs et ou-
vriers, à partir des aspects de la
réalité économique et sociale qui
mettent en lumière les contradic-
tions de la société capitaliste ; ils
ont ainsi travaillé sur la banlieue
industrielle de Venise, (dans des
usines de matière plastique pour le
napalm) et en Emilie, sur les luttes
ouvrières avec la police qui firent
plusieurs morts. Comme le dit Max
Frisch, qui participe à l'expérience,
il s'agit de réfuter le contenu elles
formes d'une culture qui a été for-
gée par une couche de la société
étrangère au prolétariat, et défaire
naître directement le théâtre d'un
public nouveau et ouvrier, façon-
nant sa conscience dans une œu-
vre qui naît de la matière même
de sa propre existence sociale.
C'est aussi la conscience du co-
médien, qui doit être modifiée, et
qui le sera, dans un théâtre ainsi
conçu. Le comédien, rendu à sa
dignité double de travailleur et de
citoyen, sera enfin un homme, et
non plus l'enfant mineur, irrespon-
sable et aliéné, la cocotte entrete-
nue, le gigolo, minable ou couvert
d'or, d'une société qui a fait de lui
à la fois son historien et son idole,
c'est-à-dire toujours un objet, une
victime, et finalement un néant,
une pure image, comme le dit si
bien Kean, l'acteur, par la bouche
de Sartre.
C'est aussi nous autres critiques,
qui devrons changer de peau,
voyant désormais inutile l'absurde
office qui fait de nous, sur le mar-
ché du théâtre, des agents publici-
taires essentiellement destinés à
rameuter des clients. Faire gagner
de l'argent, ou en faire perdre,
voilà, finalement, notre rôle. Et
c'est pourquoi le rapport qu'entre-
tiennent avec nous les gens de
théâtre est un absurde rapport de
crainte et de flagornerie : on a peur
des petits juges-mandarins que
nous sommes, parés des oripeaux
d'une culture vétusté ou inexistan-
te, ces petits juges dont, souvent,
l'incompétence navrante peut, à
bon droit, indigner des hommes de
théâtre que la règle du jeu boursier
soumet pourtant à nos sentences
risibles.
Dans un théâtre arraché au circuit
commercial, à la société mercantile,
dans un théâtre redevenu institu-
tion d'Etat — gratuite cela va de soi,
ou quasiment — le critique devien-
dra le collaborateur des gens de
théâtre, tenu d'être instruit et
compétent (il y aura des études
conçues à cet effet) : il travaillera,
avec les acteurs, à l'élaboration du
spectacle, il informera le public,
dialoguera avec lui, et, le spectacle
achevé, le critiquera dans un exer-
cice enfin désintéressé, en
commun avec ce public et avec ces
acteurs. D'ici là, nous continuerons
peut-être notre office de Trissotins
faisant le beau avec des phrases
et cherchant le brio dans la méchan-
ceté, mais au moins nous ne pour-
rons plus nous regarder sans rire.
Gilles Sandier
15
Une nouvelle forme d'équipement culturel
LE COLLÈGE GUILLAUME BUDÉ DE VERRES
a / CES 1200 élèves enseignement général
b / CES 1200 élèves enseignement
scient,tique et spécialisé
c / CES 1200 élèves : enseignement pratique
d ,' Restaurant libre-service, salles
de réunion, centre médico-scolaire
e / Logements de fonction
f / Salle de sports avec gradins (1000 places)
et salles spécialisées
g / Piscine
h / Installations sportives de plein air
i / Formation professionnelle
et promotion sociale
] / Bibliothèque, discothèque
k / Centre d'action sociale.
garderie d'enfants, conseils sociaux,
accueil des anciens
I / Maison des ;eunes
m / Centre d'action culturelle :
théâtre, galerie d'exposition, musée,
cerîre d'enseignement artistique
n / Foyer des Jeunes Travailleurs
Lt COLLÈGE DE VERRES INTÈGRE. EN UN MÊME ENSEMBLE ARCHITECTURAL, LES DIVERS ÉQUIPEMENTS
SPORTIFS. SOCIAUX ET CULTURELS DE LA COMMUNE.
L'ENSEMBLE DE CES ÉQUIPEMENTS EST AU SERVICE DE L'ENSEMBLE DE LA POPULATION. LEUR UTILISATION,
TOUT AU LONG DE LA JOURNÉE, DE LA SEMAINE ET DE L'ANNÉE, PAR LES JEUNES COMME PAR LES ADULTES,
ASSURE LEUR PLEIN EMPLOI.
réalisation
L'Abbaye, Verres — 91. Essonne — 925.39.80
Les Lettres
Nouvelles
LJV
Malcolm Lowry -------
Helmut Hcissenbùttel
Sergucï Ermolcnski —
Françoise Xénakis
Keith Barnes-------
Mai-Juin 1968
Tentative d'explication
d'"Au-dessous du Volcan"
— Poème sur l'entraînement
à mourir
- Portrait d'un dramaturge :
Mikhaïl Boulgakov
----------------------------Soleils
---------------------------Poèmes
José Pierre--------Le vaisseau amiral ou les Portugais, fin
Serge Fauchereau : De Glasgow à Liverpool----------------
Julia Tardy-Marcus : A. Berlin...----------Al Mirodan :
Montage-------------Georges Schlocker : La leçon du roseau
Diane Fernande^ : D. H. Lawrence, la femme et la mort
Hélène Cixous : Les conversations cruelles d'L Compton-
Burnett-------------Actualités par Lionel Mirisch, Pierre
Chabert, Geneviève Creuset, D. Nores, J.-M. Caillé,
].-M. Benoist-------------------------------------------------------
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Category
Author
Title
La Quinzaine litteraire
Issue
no.52
Date
Keywords
Publication information
no.52