Les Informations industrielles and commerciales

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NUMERO SPECIAL 31 MAI 1968 - HEBDOMADAIRE 1 F
sommaire
L'INDUSTRIEL, C'EST L'ICONOCLASTE
PAR A. TEISSIER DU GROS
La « Révolution •>
et le management.
AMERES VICTOIRES
PAR M. M. DE MONTERA
Les responsabilités
de la crise sociale.
1.000.000 DE CHOMEURS ?
PAR J. KLEIN
La •< facture >• économique
et financière de la crise.
L'EXPANSION ACCELEREE
PAR L. LABROUSSE
10
Des raisons d'espérer
que tout n'aille pas si mal.
POURQUOI ET COMMENT
LE FEU A ETE MIS AU POUDRES
PAR J. P. DUMONT
11
L'origine de la crise.
LA PARTICIPATION =
UN MOT AUQUEL IL RESTE
A DONNER UN SENS
Des projets encore très flous.
A QUI LE TOUR EN EUROPE ?
PAR M. PAGANELLI
14
Un coup de sonde
des «Informations» dans cinq
capitales européennes.
Cette publication exceptionnelle a été rédigée et réalisée par l'équipe des
« Informations ». Elle a bénéficié de la coopération de I' « Usine Nouvelle ».
II
USINE LJ
PUeUGUKMS
Les € Informations Industrielles et
Commerciales », ainsi que leur
supplément technique mensuel
« Voici des Idées «, sont éditées
par la Société de Publications
Industrielles et Economiques.
Gérant : Jean-Pierre Parodi.
142, RUE MONTMARTRE, PARIS-2'
TEL. 488-73-40 à 42
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ABONNEMENT ANNUEL :
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' L'Usine Nouvelle • est éditée
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Techniques et Industriels.
S.A. au capital de 1.080.000 F.
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Président Directeur Général :
EDOUARD C. DIDIER.
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ABONNEMENT ANNUEL :
FRANCE 38 F
S DUS une forme inhabituelle, « Les Informa-
tions Industrielles et Commerciales », un pé-
riodique du groupe de « L'usine Nouvelle »
présentent cette édition exceptionnelle.
Elle se veut conforme aux buts que notre hebdo-
madaire recherche avec son souci d'exactitude
et d'honnêteté habituels : précision de l'informa-
tion et de la documentation, sérieux du commen-
taire.
Cette édition était nécessaire pour deux
raisons :
— d'abord, « Les Informations » ne peuvent
rester silencieuses car les événements sociaux
en cours et leurs conséquences éventuelles sont
au cœur même des préoccupations de leurs lec-
teurs et de leurs équipes rédactionnelles ;
— ensuite, elles essaient de vous apporter autre
chose que ce que vous apprenez au fil des heures
et des jours d'une actualité trépidante.
Qu'y trouvera-t-on ? Dans une crise aussi grave,
et dans un désordre aussi grand des esprits, sûre-
ment pas de polémique. Nous constatons les faits.
Nous en tirons des conclusions logiques. Les
événements tournent plus vite que les machines
d'imprimerie : seuls les problèmes demeurent et
aussi la gamme des solutions possibles. Notre
ambition est de vous aider à faire le point. Mais
à un moment où la poussière des événements n'est
pas retombée, nous ne pouvons que vous pro-
poser des opinions, des éléments de jugement.
Quelles que soient les péripéties politiques ou
syndicales, quelles que soient les « remises en
cause» ou les «contestations», un certain nombre
de vérités subsistent que nous ne cesserons de dé-
fendre : à moins de refuser le progrès, c'est-à-dire
de refuser notre siècle, la société française, quelle
qu'elle soit, ou quelle qu'elle devienne, devra
s'adapter aux techniques modernes, ce qu'elle a
mal fait jusqu'à présent.
C'est là un point fondamental.
Beaucoup de « contestataires » croient attaquer
la société industrielle d'aujourd'hui, alors qu'ils
s'en prennent à celle d'hier : technocratie, capo-
ralisme, cadences infernales, capitalisme de droit
divin — ou de raison d'Etat, dans les structures
dites socialistes — ne font pas partie des tech-
niques modernes de gestion et de production.
C'est, au contraire, la délégation des pouvoirs,
le dialogue, et la participation qui assurent la
meilleure efficacité aux appareils de production,
tout en satisfaisant au mieux les aspirations de
chacun.
De tels événements n'ont pu se produire en
France que par la suite d'un retard de nos struc-
tures, dont nous sommes tous responsables.
Réalisons donc cette société d'aujourd'hui en
pensant à celle de demain.
Que sera cette dernière ? Pouvons-nous être,
en France, lees pionniers, alors que nous sommes
trop souvent, maintenant, à l'arrière-garde ?
Il n'est pas possible, en ce domaine, de brûler
les étapes, quelles que soient les « réformes de
structure ».
Est-il raisonnable, pour la France, de proposer
au monde une nouvelle société industrielle, refu-
sant à la fois le capitalisme privé et la bureau-
cratie d'Etat, alors que nous n'avons su pleine-
ment réussir ni dans la première formule, ni dans
la seconde ?
La révolution à faire est celle de nos méthodes
de gestion. Elle implique déjà souvent de grands
bouleversements dans les rapports à l'intérieur
des entreprises et principalement avec les cadres.
La révolution du « management » passe par les
cadres, dont le rôle sera plus déterminant encore
demain qu'aujourd'hui. C'est pourquoi nos publi-
cations leur consacrent une place toujours plus
importante.
Faudrait-il donc en rester là et la France de-
vrait-elle renoncer à toute « mission » dans le
nouveau monde qui se construit ?
Nous ne le pensons pas. Il est un objectif ambi-
tieux qu'aucun pays n'a pu encore réaliser et qui
est à notre portée : c'est la réconciliation de la
« société de consommation », sans ses abus du
type américain, avec les aspirations les plus nobles
de l'homme. Celui-là n'est pas utopique. Le génie
français y paraît particulièrement adapté, à con-
dition qu'il fasse preuve de modestie.
Est-il plus grande tâche pour les jeunes
équipes françaises ?
Edouard C. DIDIER.
LA FRANCE :
UN GRAND PAYS INDUSTRIEL QUI
NE LE SAIT PAS ENCORE.
A. TEISSIER DU GROS
L'INDUSTRIEL,
C'EST
L'ICONOCLASTE!
out cela est de notre
faute », nous a dit un
inspecteur des finances.
« Nous n'avons pas su
informer, entretenir le
dialogue... »
« Tout cela est de notre faute », nous
a dit un universitaire. Nous aurions dû
être le moteur de la réforme de l'ensei-
gnement. Nous en avons été le frein;
nous n'avons pas réalisé combien nous
nous étions dramatiquement écartés des
besoins du pays et des étudiants... »
« Tout cela est de notre faute », nous
a dit un homme politique. Les problèmes
du pays (industrie, agriculture, enseigne-
ment, santé publique, aménagement du
territoire, logement...) sont devenus gi-
gantesques mais sont restés incompris
de l'opinion parce que nous n'en étions
pas les interprètes. »
« Tout cela est de notre faute », nous
a dit un chef d'entreprise. Nos problè-
mes sont restés ignorés du pays, et
d'abord de nos propres salariés. Nous
aussi, nous sommes restés dans notre
ghetto, nous avons continué à voir dans
les travailleurs l'ennemi naturel, dans
l'opinion publique la stupidité irrespon-
sable. Nous avons laissé l'ouvrier, quel-
quefois le cadre, dans sa solitude. Ré-
sultat : la « révolution » de 1968 accuse
jne fois de plus le capitalisme ! »
Une vague d'autocritique déferle sur
la France.
our le reste, le grand pro-
blème est une fois de plus
unanimement passé sous
silence par ceux qui s'ac-
cusent comme par ceux
qui critiquent : ceux-là, ouvriers et étu-
diants, attaquent, les uns le « capitalis-
me des monopoles et des trusts », les
autres la civilisation industrielle en bloc,
dans les deux cas, le libéralisme écono-
mique. Qu'il nous soit permis de rap-
peler à tous les Français, responsables,
étudiants ou travailleurs, combien cette
accusation est tragiquement grotesque
et à quel point, au contraire, ce serait le
libéralisme qui serait en mesure, au-
jourd'hui, de lancer des accusations. Tout
d'abord, le condamner ne peut se faire
que par défaut, car la France n'a jamais
connu le libéralisme économique à
l'exception de brèves périodes.
Par ses structures et ses traditions
étatiques et dirigistes, par la dictature
de son administration, par la centrali-
sation de sa vie publique, par le mono-
pole d'Etat ou le contrôle rigoureux de
pratiquement tous les moyens de finan-
cement, et enfin par la culture même de
tous les Français, la France est fonciè-
rement anti-libérale. « Néanmoins, dira-
t-on, elle a une industrie privée, des en-
treprises et des patrons ». Oui, heureu-
sement !
C'est de cette industrie, en la personne
de ses entreprises, de leurs salariés et de
leurs actionnaires, qu'est venu l'enri-
chissement du patrimoine français. C'est
elle qui supporte financièrement la mu-
tation de notre société. Quand nous ré-
formerons — enfin — notre enseigne-
ment, c'est elle qui paiera, comme elle
paie le soutien des prix agricoles, l'amé-
nagement du territoire, le déficit des
secteurs nationalisés... En même temps,
elle a été capable de se transformer
profondément, d'affronter avec succès la
concurrence étrangère, de développer ses
exportations, de se concentrer, d'attein-
dre une productivité par ouvrier qui est
la 3e du monde. Tout ceci dans un pays
où la fiscalité prélève la part du produit
national brut la plus élevée du monde.
ertes. on peut critiquer les
chefs d'entreprises. Mais
il n'y a pas une de ces
critiques qui ne s'adresse
à l'ensemble des diri-
geants, responsables et enseignants de
ce pays.
Car ce qui, aujourd'hui, est mis en
accusation en vérité, c'est tout un mode
de pensée, toute une conception de la
direction et de la motivation du travail
humain qui faisait partie de notre cul-
ture : celle du professeur lisant son
cours devant des étudiants silencieux et
lointains; celle du technocrate décidant
savamment à 500 km de distance de
l'avenir d'une région; celle de l'homme
de gouvernement laissant le pays dans
l'ignorance des problèmes; celle du chef
d'entreprise refusant les responsabilités,
l'information et le contact qui feraient
participer ses salariés à l'avenir de leur
entreprise, et ses cadres aux décisions
réelles.
n fait, la « révolution
permanente » que propo-
sent certains extrémistes
est le parallèle presque
exact, dans le politique
et l'humain, de ce que sont dans l'écono-
mique le management moderne et la
gestion participative, c'est-à-dire ce que
le libéralisme a produit de plus avancé.
— Des deux côtés, on postule l'évolu-
tion, on prend appui sur la créativité, on
est prompt à saisir l'occasion. L'insurrec-
tion étudiante, par sa volonté de créer
et d'amplifier l'événement, rejoint l'inno-
vation industrielle que l'entreprise im-
pose à la société, elle aussi, par l'événe-
ment. Dans les entreprises de pointe,
il y a longtemps que « l'imagination a
pris le pouvoir » !
— Des deux côtés, on s'appuie sur
l'homme comme source d'énergie : car
la créativité exige une forte motivation.
S'éloignant de la contrainte bureaucrati-
que, le management moderne s'efforce
de placer chaque homme dans une posi-
tion stimulante où il peut participer à la
détermination de ses objectifs de travail
et s'identifier à leur accomplissement.
Sur un terrain différent, la « révolution
permanente » tire sa force des mêmes
ressorts.
— Des deux côtés on est iconoclaste.
Sans respect pour les situations acquises,
l'entreprise innovatrice, elle aussi, ren-
verse de leurs piédestals des produits, des
La « révolution » de 1968 accuse une fois de plus le « capitalisme », le
«libéralisme» et - nouvelle antienne - la «civilisation industrielle» : nouveau
symptôme d'un mal profond. La France est demeuré un grand pays
industriel et ne le sait pas encore. Que faut-il donc faire pour réconcilier
la nation et son industrie ? Deux de nos collaborateurs vous proposent
leurs réflexions.
procédés, des hommes, des bilans; elle
impose constamment la révision des
structures.
— Des deux côtés le succès exige la mo-
bilité, la liberté d'action dans le risque
courageux.
— Des deux côtés on a confiance dans
l'homme : on lui donne une formation,
une zone d'action, et dans ce cadre on
décentralise les initiatives; et finalement
on juge par les résultats.
ù s'arrête la similitude ?
11 est évident que la révo-
lution permanente échoue
par irresponsabilité éco-
nomique, puisqu'elle tient
pour négligeables les conséquences éco-
nomiques de ses actes. Le management
de l'entreprise, de même, échoue par
irresponsabilité politique, s'il néglige le
poids des contraintes sociales et des frus-
trations humaines.
La bureaucratie (que ce soit celle de
l'enseignement ou des entreprises publi-
ques et privées) résolvait le problème
par le vide. Toutes les structures, les
situations, décisions et actes étant forma-
lisés une fois pour toutes, il n'y avait
plus besoin de pouvoir créateur et d'ima-
gination ! Les journées de mai 1968
confirment que l'aliénation humaine en-
traînée par la bureaucratie n'est plus
supportée et vont nous obliger à « insti-
tutionnaliser le changement ». C'est le
système bureaucratique, conçu il y a
300 ans pour gérer la stabilité, que nous
enterrons aujourd'hui. L'insurrection de
mai appelle, sans en connaître le nom,
le système capable de gérer le change-
ment permanent : le management mo-
derne, qui n'a pas attendu les étudiants
de Nanterre pour inventer de nouveaux
rapports humains dans l'entreprise.
Condamnés à l'imagination, nous le
sommes maintenant de toute manière !
L'élan revendicatif peut être bloqué net
par la stérilité des responsables et c'est
alors l'aventure politique. 11 faut, au
contraire, déclencher la « fuite en avant »
de l'économie française, et ce sera peut-
être, alors, l'aventure industrielle. Dans
ce dernier cas. nous pourrons enfin
enterrer Colbert.
M. M. DE MONTERA
AMÈRES
VICTOIRES
a grande négociation so-
ciale de la aie de Grenelle
montre que 32 ans après
1936 nous en sommes au
même point : le progrès
social ne s'effectue en France que
par à coups brutaux, à travers des
crises violentes qui entraînent pour le
pays tout entier un traumatisme profond.
C'est mauvais pour l'économie qui n'a
pas le temps de « digérer » les mesures
prises. C'est mauvais pour le climat so-
cial : les salariés sont raffermis dans le
sentiment que la discussion avec le patro-
nat est inutile, qu'il n'y a pas de dialogue
possible et que seul le recours à la grève
et à la violence est efficace. Conséquence
de notre impuissance à « programmer »
le progrès social : nous le payons très
cher sur le plan économique, et par là
même très souvent les travailleurs en per-
dent les fruits. Ce sont d'amères victoires
que celles qu'ont souvent remportées les
travailleurs sur les patrons : combien de
fois ont-ils vu les hausses salariales qu'ils
obtenaient. laminées par l'inflation
parce que celles-ci étaient incompatibles
avec les possibilités économiques du mo-
ment. Arrières victoires aussi, bien sou-
vent, celles que remporte le patronat sur
les centrales ouvrières, quand il refuse de
traiter tel problème ou satisfaire telle re-
vendication. Elles se payent ensuite éga-
lement très cher quand l'explosion sociale
rompt tous les barrages et balaye tous les
impératifs économiques.
1 faut en sortir. Il est aisé
aujourd'hui de reconstrui-
re le passé avec des « 11
n'y avait qu'à... », com-
me il était facile hier
d'arrêter les évolutions nécessaires avec
un « impossible de... » Sans minimiser
les difficultés et les mérites de ceux qui
eurent à négocier, demandons-nous, à la
lumière notamment des expériences
étrangères, si le dynamisme industriel
français remarquable sur les plans de la
production, de la productivité, de l'évolu-
tion des structures n'a pas eu des défail-
lances dans le domaine social.
Qui est responsable ? Poser le problè-
me en termes d'organismes, a fortiori de
personnes est vain. Il n'y a qu'à revivre
l'histoire sociale des dernières années
pour vérifier que chacun des partenaires
sociaux a été prisonnier des attitudes de
l'autre, paralysé aussi par ses propres
adhérents, ligoté en définitive par un
conservatisme intellectuel et émotionnel
enraciné dans les tréfonds des diverses
couches sociales françaises.
ausse des salaires, revalo-
risation du Smig. réduc-
tion de la durée du travail,
avancement de l'âge de la
retraite, extension du droit
syndical... les « accords » du 28 mai.
(et leurs prolongements !) vont être
lourds à payer pour les entre-
prises. Remarquons toutefois qu'au
moins sur deux points importants — ré-
duction de !a durée du travail et extension
des droits syndicaux — la France par
rapport à l'étranger, notamment ses par-
tenaires du Marché commun, était nette-
ment en retard. Sur ces deux points, les
revendications syndicales étaient ancien-
nes : rétroactivement on peut admettre
qu'elles auraient pu être satisfaites à un
moindre coût pour l'économie (des dé-
lais auraient pu être obtenus) et avec plus
de bénéfice pour le climat social : mal-
heureusement les salariés n'inscriront
guère au crédit des chefs d'entreprise les
concessions qui leur sont faites actuelle-
ment parce qu'elles ont été arrachées sous
la pression des événements.
Depuis 1955, un vaste mouvement de
réduction de la durée du travail s'est ef-
fectuée en Europe par voie de conven-
tions ou d'accords entre centrales patro-
nales et centrales ouvrières. La France
seule est restée en dehors de cette évolu-
tion. Pourtant, le problème de la main
d'œuvre et du temps de travail ne se po-
sait pas en des termes absolument diffé-
rents chez nous et chez nos voisins. Dans
les années cinquante puis soixante, ils ont
connu comme nous d'abord la pénurie de
main d'œuvre (surtout qualifiée), ensuite
l'excès de main d'œuvre (surtout non qua-
lifiée). Ils étaient également confrontés
avec le même impératif de compétitivité.
Or, de 1955 à 1963, la réduction de la
durée du travail a été de 10 % en Alle-
magne, de 5,7 % aux Pays-Bas, de 5,2 %
en Grande-Bretagne. En France, pen-
dant la même période, la durée du tra-
vail a augmenté de 2,5 %. Dans le sec-
teur de la métallurgie, les industriels alle-
mands ont accepté dès 1956 de « pro-
grammer » la réduction de la durée du
travail. Résultat : ils ont obtenu des syn-
dicats ouvriers dix ans pour l'effectuer.
Les horaires ont été ramenés de 48 h à
45 h de 1956 à 1959, puis à 44 h en
1962, à 42 h en 1964, à 40 h en 1965.
Les autres secteurs ont suivi par étapes :
chimie, textile, construction, arts graphi-
ques, etc. La réduction s'est effectuée
avec compensation du salaire, c'est-à-
dire sans que le pouvoir d'achat des sala-
riés en soit affecté et l'économie alle-
mande a néanmoins pu absorber sans
grandes difficultés les conséquences de
cette importante concession faite aux tra-
vailleurs.
Bien, plus, telle qu'elle a été effectuée,
la réduction de la durée du travail a
eu Outre-Rhin, deux effets heureux.
Premièrement, l'obtention d'avantages
sociaux d'une telle importance a renforcé
chez les partenaires sociaux la croyance
dans les possibilités d'accord et de négo-
ciation et a contribué au maintien d'un
bon climat entre patrons et salariés. Deu-
xièmement, la marche vers les 40 heures
a forcé les industriels allemands, pour
faire face à leurs engagements, à se lan-
cer dans une rationalisation et une auto-
matisation à outrance. Avant 1965, ils
consacraient encore plus de la moitié de
leurs investissements à l'extension de leur
capacité de production. A partir de 1965,
les investissements de rationalisation ont
primé sur tous les autres.
t c'est en partie de là que
provient l'actuelle compé-
titivité de l'industrie alle-
mande. L'Allemagne n'a
pas été la seule à se lancer
dans la réduction de la durée du travail.
Les patrons italiens et britanniques ont
A l'étranger
— et principalement
chez nos partenaires
du marché commun —
les expériences
sociales ont été
généralement
plus hardies que
chez nous.
Se serait trop simple
de conclure
sur un « que
d'occasions perdues...
mais demandons
aux partenaires sociaux
français
— patrons et
ouvriers —
de s'interroger,
de procéder
à un examen
de conscience
qui les conduira à
leur autocritique.
conclu également au cours des dix derniè-
res années, dans la plupart des secteurs,
des accords de réduction progressive de
la durée du travail. En France, le seul
accord intervenu à ce jour au niveau d'un
secteur, est celui de la Sidérurgie de l'Est.
Conclu il y a à peine un mois, il ne tou-
che que les travailleurs à feu continu.
Il a d'ailleurs eu un effet remarquable :
les grèves de mai ne sont développées
qu'avec réticence dans l'Est. Ce qui mon-
tre la valeur d'un accord de ce genre.
Un des problèmes qui enveniment le
plus, en France, les rapports du patronat
et des centrales ouvrières, est celui de la
place du syndicat dans l'entreprise. Les
«accords» du 28 mai marquent en ce do-
maine une extension importante de ses
prérogatives et de son rôle. C'est un sujet
très délicat en France où les syndicats
sont souvent politisés. Mais sur ce point
également, nos voisins et concurrents sont
allés plus loin que nous. Prenons l'exem-
ple italien qui est le plus frappant, puis-
que de l'autre côté des Alpes les forces
syndicales se répartissent à peu près de
la même façon que chez nous entre trois
grandes centrales ouvrières dont la plus
représentative est comme la C.G.T. chez
nous d'obédience communiste.
n Italie, des accords inter-
venus dès 1963 et 1964
dans des secteurs aussi im-
portants que ceux de la
métallurgie, du textile, de
la chimie ont généralisé et officialisé cer-
taines pratiques telles que la collecte des
cotisations syndicales dans l'entreprise.
C'est ainsi que les entreprises joignent au
bulletin de paye un chèque au porteur,
que le travailleur peut remplir, s'il le
veut, à l'intention de l'organisation syn-
dicale qu'il choisit. Bien plus important
encore, est le système dit de négociation
« articulée », en vertu duquel le chef
d'entreprise ne peut plus décider seul ou
même d'accord avec ses travailleurs de la
façon d'adapter les règles générales de la
convention collective à son enireprise. Il
doit notamment, pour l'établissement de
primes de production, de classification de
postes de travail, s'adresser obligatoire-
ment au syndicat local. S'il ne parvient
pas à un accord avec lui, la discussion lui
échappe pratiquement et se poursuit en-
tre organisations syndicales et profession-
nelles à l'échelon provincial, voire en be-
soin national. De même en cas de con-
flit dans son entreprise il doit négocier la
reprise du travail avec le syndicat local.
Les pays anglo-saxons — ou les cen-
trales ouvrières surtout aux Etats-Unis
ne mêlent pas la politique et la gestion —
ont toujours reconnu au syndicat dans
l'entreprise des prérogatives également
très importantes sur le plan des princi-
pes et des avantages matériels. C'est ainsi
que dans les entreprises américaines qui
sont considérées comme des modèles de
gestion, le syndicat a obtenu des pou-
voirs extrêmement importants, voire
abusifs. Citons le « closed shop » (em-
bauche interdite à tout non syndiqué),
l'union shop (obligation pour tout nou-
vel embauché de s'affilier au syndicat
qui domine l'entreprise). A la General
Motors, il y a 1796 délégués syndicaux
qui disposent de 15 à 35 heures par
semaines, pour « entretenir des contacts
avec les ouvriers et s'enquérir de leur
sujet de mécontement ».
En Belgique, le patronat a accepté
de s'engager indirectement dans la voie
du syndicalisme obligatoire : dans de
nombreux secteurs, des accords pré-
voient la réservation aux seuls syndiqués
d'avantages sociaux supplémentaires
(dockers, réparation navale, industrie du
verre, livre, ciment, arts graphiques,
etc.). Dans d'autres secteurs, tel celui de
Fabrimetal, l'une des plus importantes
fédérations patronales belges, le patronat
a accepté de verser une subvention aux
syndicats ouvriers contre simple enga-
gement de leur part, de respecter avant
d'en arriver à la grève une procédure de
conciliation.
Qu'est-ce qui a empêché que sur ces
deux revendications — réduction de la
durée du travail et extension des droits
syndicaux — qui constituaient une par-
tie importante du contentieux entre le
patronat et les centrales ouvrières, des
négociations s'engagent à temps pour
empêcher le « pourrissement » des pro-
blèmes et la détérioration des rapports
sociaux ? C'est incontestablement de
part et d'autre le poids des conservatis-
mes. Du côté patronal, les partisans
d'une politique paritaire intelligente,
voire audacieuse sont encore rares et ont
de la peine à se faire écouter. Beaucoup
pensent encore qu'en multipliant les
obstacles au développement des syndi-
cats ouvriers et à leur activité dans
l'entreprise, ils font œuvre utile. Ils re-
doutent plus que tout le renforcement
de leur partenaire social. Pourtant, les
exemples étrangers sont là pour mon-
trer que les pays où le syndicalisme est
organisé et puissant sont ceux où règne
le meilleur climat et où s'effectue dans
les meilleures conditions les transforma-
tions sociales. L'intérêt bien compris du
patronat n'est-il pas finalement d'avoir
face à lui un partenaire capable de s'en-
gager et de faire respecter par la base
les engagements qu'il prend ?
Du côté ouvrier, il y a une grande
impuissance à surmonter les divisions
et à s'organiser. Il y a surtout cette
habitude psychologique regrettable qui
veut encore que l'établissement de rap-
ports confiants et continus entre parte-
naires sociaux soit sujet à caution et
prête à la critique.
Ce sont tous ces freins qui ont em-
pêché en 1965 la politique paritaire qui
s'amorçait de déboucher sur les grands
accords nécessaire. A cette époque, For-
ce Ouvrière était engagée depuis deux
ans dans la voie difficile du paritarisme.
Cette centrale s'était lancée dans l'aven-
ture sans être assurée que le Patronat
très divisé sur l'opportunité d'une relance
des négociations ne renoncerait pas ra-
pidement à une telle politique la laissant
toute seule au milieu du gué exposée aux
critiques des autres centrales ouvrières.
C'était l'époque où la C.F.T.C. de-
venue depuis C.F.D.T. avait opté pour
une ligne dure vis-à-vis du Patronat et
où la C.G.T. encore exclue du cercle
des interlocuteurs valables ne songeait
pas à faire patte de velours. Il y avait là
un tournant à prendre; mais finalement
au sein du C.N.P.F. ceux qui hésitaient
à s'engager plus avant dans la voie d'une
véritable politique paritaire avec des
syndicats qui pouvaient paraître en effet
trop divisés, sans autorité réelle sur la
base et toujours prêts à céder à la suren-
chère, l'ont emporté. La C.F.D.T. s'est
tournée vers la C.G.T. M. Descamps
devait alors déclarer : « On peut négo-
cier avec le patronat après la grève,
jamais avant ».
En 1967, pourtant, un nouveau départ
aurait pu être pris avec les négociations
sur le chômage partiel qui, pour la pre-
mière fois depuis 1947, réunissaient au-
tour d'une table de négociations les
états-majors du C.N.P.F. et des autres
centrales ouvrières y compris la C.G.T.
Mais là encore l'occasion n'a pas été
saisie à tort ou à raison. Du côté pa-
tronal, les réticences de certains secteurs
étaient tels, qu'on n'osa pas déborder le
cadre trop étroit du chômage partiel pour
s'attaquer au contentieux existant. Du
côté des confédérations ouvrières, on a
manqué de maturité en formulant des
exigences par trop exagérées et on a fait
preuve de conservatisme en reprenant
les thèmes dépassés de lutte des classes.
a leçon de 1936 n'a pas
été comprise. Celle de
1968 le sera-t-elle davan-
tage ? Notre devoir est
d'être optimiste : la France
d'aujourd'hui est — quand même —
différente, de la France d'il y a trente-
deux ans : elle ne sort pas d'une crise
économique profonde, la guerre ne poin-
te pas à l'horizon, elle n'est pas démo-
graphiquement vieillie. Une expansion
quasiment ininterrompue depuis vingt
ans, les impératifs de l'ouverture des
frontières, et surtout la montée des
nouvelles générations, devraient lui don-
ner les atouts du renouvellement, même
dans le domaine social.
La violence de la
crise sociale et
politique a asséné
un choc formidable
à l'économie du pays.
Dans quels délais
peut-on guérir le
traumatisme ? Voici
deux opinions d'un
optimisme inégal.
1.0
Une chose est certaine : quel que soit
le résultat des consultations de l'électo-
ral, la France sera, dans un avenir très
proche, dirigée par une nouvelle équipe,
dont la politique économique et sociale
sera nécessairement très différente de
celle menée jusqu'à présent par l'équipe
actuelle.
Ecartons l'hypothèse d'un gouverne-
ment révolutionnaire, exerçant une sorte
de « dictature du prolétariat suivant un
modèle plus ou moins directement ins-
piré des « classiques » de 1918 et 1945.
La nouvelle équipe, qu'elle soit issue de
la majorité ou de l'opposition actuelles,
se trouvera placée devant des problèmes
identiques, devra lutter contre les mê-
mes dangers, s'efforcera de saisir les
mêmes chances, disposera de la même
gamme de solutions. Essayons de tracer
une première esquisse des lignes d'action
prévisibles au futur gouvernement.
Trois têtes de chapitre vont dominer
l'actualité : les prix et les salaires, le
commerce extérieur, l'emploi.
Cessations
d'activité et poussée
des importations.
Prix : impossible de faire des prévisions
chiffrées, dans l'ignorance où l'on de-
meure encore du résultat des négocia-
tions et contestations salariales en cours.
Immédiatement après la conclusion de
la négociation générale de la rue de
Grenelle, l'on pouvait évaluer entre 15
et 20 milliards de francs — soit 4 à
5 % du revenu national — le total du
pouvoir d'achat nouveau qui serait dis-
tribué aux salariés, c'est-à-dire affecté
pour la plus grande partie à des dépenses
de consommation. Compte tenu de l'ac-
cueil réservé au protocole d'accord de
la rue de Grenelle, il est certain que
l'augmentation des hausses salariales, et
par suite des dépenses de consommation,
sera plus élevée encore. En face d'une
production nationale dont l'élasticité
immédiate est faible, et dont le volume
aura été diminué par les arrêts de travail
et leurs conséquences, une poussée de
hausse des prix est inévitable; de nou-
velles revendications salariales « de dé-
fense » sont dans l'ordre des choses et
JACQUES KLEIN
0.000 DE CHOMEURS ?
ainsi de suite, suivant un schéma éprou-
vé de l'économie française.
Commerce extérieur : seconde préoccu-
pation majeure. La hausse de nos prix
intérieurs produira ses effets à un mo-
ment où nos engagements vis-à-vis du
Marché commun, combinés avec les ré-
sultats du Kennedy Round, tendront à
rendre beaucoup plus immédiat et plus
ample son action sur notre balance com-
merciale. Il existe un « multiplicateur du
commerce extérieur » qui veut qu'à une
augmentation limitée de la demande et
des prix internes, corresponde une dé-
térioration plus forte des échanges avec
l'extérieur : ce mécanisme a joué, com-
me on sait, aux Etats-Unis.
Paradoxalement, de graves difficultés
risquent aussi de se produire en ce qui
concerne l'emploi. Les entreprises mar-
ginales, utilisant une main-d'œuvre mal
rémunérée, connaîtront une augmenta-
tion de leurs coûts nettement supérieure
à la moyenne et de nombreuses cessa-
tions d'activité sont à prévoir, dans des
régions souvent industriellement sous-
équipées. Le phénomène serait suscep-
tible de s'étendre aux entreprises produi-
sant des biens de grande consommation,
particulièrement menacées par la con-
currence étrangère. Si de sérieuses me-
sures ne sont pas prises, la France pour-
rait compter 1 million de chômeurs dans
quelques mois.
D'autre part, les événements de mai
1968 ont souligné qu'un effort public
exceptionnel s'imposait en matière d'édu-
cation nationale, de formation profes-
sionnelle, d'aménagement du territoire,
et de logement. Cet effort, qui ne porte
ses fruits qu'à moyen terme, requiert
dans l'immédiat un considérable accrois-
sement des dépenses publiques d'investis-
sement et de fonctionnement. Dans ces
conditions, le déficit des finances publi-
ques risque de venir relayer et renforcer,
comme facteur de déséquilibre et d'in-
flation, l'injection initiale de pouvoir
d'achat salarial.
Citons enfin — last but not least —
l'élément de désordre et d'affaiblissement
de la productivité que peut constituer,
dans une première phase, la mise en
place des nouvelles structures de parti-
cipation et de dialogue dans les entre-
prises. Les habitudes nouvelles ne se
prennent pas en un jour : il sera difficile
d'éviter, dans de nombreux cas, la dé-
moralisation du patronat, l'impatience
et la maladresse initiale des salariés.
Face à ces contraintes redoutables,
quelle pourra être l'attitude générale du
nouveau gouvernement ?
Ni dévaluation
ni isolement.
Une première réponse consisterait à
ne rien faire ou plus exactement à lais-
ser successivement se détériorer les prix,
le commerce extérieur, l'emploi, les fi-
nances publiques, en admettant implici-
tement une future dévaluation. Une telle
attitude est totalement irréaliste : dans
la conjoncture internationale actuelle,
les représailles risqueraient fort d'être
immédiates et sévères. Le seul taux de
dévaluation qu'à l'extrême rigueur, nous
pourrions essayer d'appliquer se révéle-
rait insuffisant à corriger l'affaiblisse-
ment de notre position compétitive vis-
à-vis de l'étranger. Notre économie, au
demeurant, aurait pris une « vitesse de
dérive » propre qui ne pourrait être
stoppée que par une politique d'assainis-
sement infiniment plus brutale que celle
mise en œuvre en 1963 — et peut-être
même en 1958.
Une deuxième attitude — tout aussi
absurde — consisterait à prendre les
devants en nous isolant du monde exté-
rieur, c'est-à-dire en rétablissant, par
une violation éclatante de nos engage-
ments internationaux, non seulement un
contrôle des changes étroit, mais aussi
une protection douanière suffisamment
élevée pour être réellement efficace.
Cette pofitique aboutirait à nous exclure
du Marché commun et, d'une manière
plus générale, des circuits commerciaux
de l'espace économique occidental.
Elle pourrait théoriquement nous per-
mettre de recommencer, en vase clos,
l'expérience de l'inflation et des désor-
dres des années 50. Mais elle compor-
terait des conséquences dramatiques à
court et à long terme. A court terme,
nos meilleures entreprises, qui dépendent
le plus largement du marché mondial
pour l'écoulement de leurs produits, de-
vraient se reconvertir à l'alimentation
d'un marché intérieur dérisoirement étroit
eu égard à leurs capacités de production,
d'où une aggravation sérieuse des pro-
blèmes de l'emploi et des structures fi-
nancières de notre industrie. A plus long
terme, coupées du grand courant d'inno-
vation et de rationalisation qu'apporté la
compétition internationale, elles restitue-
raient l'image d'une France archaïque
et sous-équipée.
La seule vraie politique économique
que puisse envisager le gouvernement de
demain est donc celle, extraordinairement
difficile, qui consisterait, dès son arrivée.
à faire face.
Une politique
de l'investissement
et de
l'emploi
Faire face sur le front des prix et du
commerce extérieur signifie, non pas
bloquer et contingenter, mais imposer
qu'en contrepartie du pouvoir d'achat
nouveau affecté à la consommation, une
masse substantielle de pouvoir d'achat
soit épargnée et affectée à l'investisse-
ment public et privé. Les techniques à
utiliser ne sauraient être simplement vo-
lontaires : à côté de l'emprunt, il serait
inévitable de faire une large place à la
fiscalité.
Faire face sur le front de l'emploi
signifie mettre en œuvre, non seulement
des actions à long terme, mais aussi de
véritables programmes d'urgence, aux-
quels le secteur privé serait appelé à
prendre une part très large. Il ne s'agirait
pas de conserver à tout prix, par des
subventions diverses, des activités mou-
rantes ou de résusciter des « chantiers
nationaux » mais bien, par un effort
financier exceptionnel, de lancer des
opérations de reconversion et d'investis-
sements productifs nouveaux sans com-
mune mesure, par leur ampleur, avec
ce qui a pu être fait jusqu'ici.
Les finances publiques seraient appe-
lées à jouer un rôle extrêmement actif
dans cette politique économique globale,
à la fois conjoncturelle et structurelle,
visant à la consolidation réelle des avan-
tages sociaux obtenus en mai et à la
poursuite et l'accentuation de la réno-
vation des structures de l'économie fran-
çaise, dans un contexte maintenu de
compétition internationale. '^ y
Un
effort général de
rénovation.
Une telle attitude gouvernementale ne
serait toutefois possible qu'à quatre
conditions.
La première est que le gouvernement
s'impose de dire la vérité aux divers
partenaires sociaux : il serait démago-
gique de ne pas affirmer qu'un effort
considérable s'impose à tous. Effort fis-
cal pour toutes les catégories de la nation.
Effort de productivité, de reconversion,
de formation, de mobilité, pour les tra-
vailleurs. Effort de concertation, tant
avec leurs salariés qu'avec la puissance
publique, pour les chefs d'entreprise.
Mais cet effort — c'est là la seconde
condition — ne sera accepté que si un
avenir est proposé : les équilibres du
cinquième plan apparaissant définitive-
ment compromis, il sera nécessaire de
préparer, dans une concertation très lar-
ge de tous les groupes économiques, un
Plan intérimaire tenant compte de la vo-
lonté générale de redéfinition des objec-
tifs de la croissance à moyen terme.
Troisième condition : L'Etat doit entre-
prendre sérieusement de balayer devant
sa propre porte, de rénover profondément
des structures administratives dont l'ar-
chaïsme et le manque de souplesse por-
tent une lourde responsabilité dans la
création de la situation révolutionnaire
de mai 1968.
Quatrième et dernière condition — la
plus nécessaire de toutes — elle est
politique : II faut que le gouvernement
inspire confiance.
Nous ne sommes ni en 1917 ni en
1936. La France n'est ni épuisée par une
guerre étrangère ni diminuée par de
longues années de récession économique.
Elle dispose de très grandes ressources
humaines, sinon toujours technologi-
ques, qu'il est possible et nécessaire de
mobiliser, dans un cadre de coopération
européenne renforcée.
Une occasion sera bientôt ouverte à
tous : Etat, cadres dirigeants de l'éco-
nomie, salariés, de prendre de nouvelles
responsabilités. Le plus grand risque qui
menace, en réalité, l'économie française,
c'est de voir l'absence d'imagination
prendre le pouvoir.
LIONEL LABROUSSE
L'EXPANSION
ACCÉLÉRÉE !
Devant le déroulement de l'actuelle
crise sociale, le pessimisme quant à
notre avenir semble être de rigueur chez
la plupart des responsables. Certains
économistes adoptent cependant une atti-
tude plus nuancée, parfois même assez
optimiste.
Certes, la France traverse une diffi-
cile crise morale mais, par contre, son
économie connaît, depuis six mois, une
expansion très soutenue (croissance du
P.N.B., calculée au taux annuel, de
plus de 7 %) et de plus ses finances
sont assez bonnes. Cette situation, a
priori assez paradoxale (paradoxe qui est
entre autres à l'origine du malaise ac-
tuel), pourrait permettre à notre écono-
mie de « digérer » assez rapidement les
conséquences des « accords » du 28 mai.
Modernisation
plus rapide.
Le dénouement va être brutal, voire
même « sauvage », pour certaines en-
treprises, mais dans l'ensemble l'indus-
trie française semble avoir les moyens
d'amortir le choc et devrait même en
bénéficier. Les mesures qui normalement
découleront des négociations en cours
pourraient, d'une part, précipiter la mo-
dernisation des structures de notre éco-
nomie, mais aussi entraîner une expan-
sion très rapide.
En effet, les hausses les plus impor-
tantes concernent le SMIG et les ré-
munérations de niveau assez voisin; or
de tels salaires ne se rencontrent guère
que dans certaines entreprises industriel-
les marginales et dans les services (dis-
tribution et commerce essentiellement).
Il est bien évident que dans ces sec-
teurs, la seule issue sera une rationalisa-
tion très rapide, le cas échéant la dispa-
rition de certaines petites et moyennes
entreprises. Globalement, il y aura donc
amélioration de la productivité de l'éco-
nomie française. Toutefois, c'est dans
ces secteurs souvent peu sensibles à la
concurrence internationale que la hausse
des prix sera la plus forte, ce qui aura
comme effet de rendre moins inévitable
le mouvement de modernisation et de
permettre à certaines petites et moyennes
entreprises marginales de survivre.
Des capacités
de production
Inutilisées
Pour le reste de l'industrie française,
le coût de l'opération sera probablement
moindre. C'est ici qu'entre en ligne
de compte un facteur très important :
l'accroissement considérable de la pro-
ductivité depuis 3 ans. Il s'effectue au
taux annuel de 4,85 %. le plus élevé
d'Europe. On a d'ailleurs pu constater
que la reprise intervenue depuis le dé-
but de l'année n'a pratiquement eu au-
cune conséquence sur l'embauche, les
entreprises étant à même d'augmenter
sensiblement leur production sans enga-
ger de personnel supplémentaire. Cela
est capital. Il ressort en effet d'une en-
quête récente de l'INSEE que les ca-
pacités de production inutilisées n'ont
jamais été aussi importantes. L'industrie
française, qui va se trouver face à une
demande interne fortement accrue (15
milliards supplémentaires vont être in-
jectés dans les circuits de consomma-
tion), doit donc dans la plupart des cas
pouvoir répondre très rapidement à cet
accroissement.
Cette première constatation permet
déjà d'éloigner quelque peu le spectre de
l'inflation galopante. Il en est une se-
conde qui, à ce point de vue, n'est pas
sans conséquence : étant donné la capa-
cité d'absorption de ces secteurs, dont
il a été fait état plus haut, la hausse des
prix devrait y être moins importante que
dans le branches d'activités directement
touchées par la hausse du SMIG. Ce qui.
par ailleurs, permet de penser que la
compétivité de certains de ces entre-
prises ne sera pas obligatoirement di-
minuée. D'autant plus que la tendance
à une hausse plus rapide des prix est
quasi générale dans le monde indus-
trialisé.
Donc, en partant des trois postulats :
marché intérieur en forte progression,
maintien de nos positions à l'extérieur
et relative souplesse de l'appareil pro-
ductif, on peut miser sur une forte
expansion de l'industrie française.
10
Toutefois, le schéma ci-dessus n'est
valable que si les entreprises peuvent
continuer à investir, le taux d'autofinan-
cement actuel, déjà faible, ne pourra
être tenu et c'est sans doute là la pierre
d'achoppement de tout l'édifice.
Cette attitude « expansionniste » en-
traînerait ipso facto la négation des
principes d'orthodoxie financière adop-
tés jusqu'ici. La sauvegarde à tout prix
de nos réserves de change n'est pas
compatible avec l'augmentation obliga-
toire des importations pour répondre à
une demande fortement accrue. Il est
vrai que le montant élevé de ces réser-
ves de change nous permet de « tenir »
un certain temps sans être acculés à
prendre des mesures extrêmes.
Du côté du budget, l'impasse actuel-
le pourrait être sensiblement élargie dans
l'espoir de plus-values fiscales apprécia-
bles. Il n'est toutefois pas concevable
qu'un effort spécial ne soit pas demandé
aux contribuables et aux consommateurs
pour éponger une partie du pouvoir
d'achat nouvellement injecté et effectuer
les investissements indispensables.
Des mesures particulières seraient in-
dispensables pour aider les petites et
moyennes entreprises à franchir un cap
périlleux, de même qu'une aide sélective
devra être consentie à certains secteurs
spécialement touchés.
Paradoxalement, les événements de
mai 1968 peuvent donner à l'économie
française une extraordinaire impulsion.
L'élévation du coût de la main-d'œuvre
a toujours constitué un facteur primordial
d'accroissement de la productivité :
l'exemple américain en fait foi. Mais il
s'agit de savoir avec quelle énergie et
quelle imagination les entreprises réagi-
ront face aux conditions nouvelles qui
prévalent aujourd'hui.
L'origine
de la crise
sociale
Comment
et pourquoi le feu
a été
mis aux poudres.
• Comment la crise de l'Université s'est-
elle transformée en quelques heures en
une bourrasque sociale ? Tous les Fran-
çais, pas seulement les moyens, mais
aussi les « experts » de tous poils et
même les dirigeants syndicalistes ont été
surpris sans parler... du gouvernement.
Pourquoi ce réveil brutal ? Après une
petite poussée de grèves en 1967, les pre-
miers mois de 1968 n'avaient jamais été
aussi calmes, aussi bien dans le secteur
privé que dans le secteiir public. Une ex-
plication peut être tentée. Il faut pour
cela distinguer les raisons circonstanciel-
les et les raisons profondes.
RAISONS CIRCONSTANCIELLES :
la répression des manifestations étudian-
tes coïncidant avec l'anniversaire du 13
mai a provoqué chez les ouvriers à la
fois un mouvement de solidarité avec
les jeunes du quartier Latin et surtout
un réflexe anti-régime. A Paris, le 13
mai, près de 700.000 ouvriers et étudiants
défilent de la République à Denfert-
Rochereau. « C'est une révélation pour
les syndicats » avoue G. Seguy.
Une prise de conscience brutale se fait,
d'une part, celle de la puissance et de la
profondeur du mécontentement ; d'autre
part, celle des faiblesses d'un gouverne-
ment jugé fort jusque là. Le lendemain,
dans les usines, tous les salariés en par-
lent. Chez Renault, des grévistes nous
l'ont confirmé, dans tous les ateliers un
seul cri : « Le moment est peut-être venu
de « faire quelque chose ». Les occupa-
tions d'usine par les ouvriers se succèdent
en chaîne. C'est d'abord Nantes, puis
Cléon chez Renault.
Pourquoi Nantes ? Peut-être, parce que
toutes les usines de la région sont agitées
par un fort courant anarcho-syndicaliste.
Pourqoui Cléon, établissement réputé
très calme ? Peut-être, parce qu'il y a là
beaucoup de jeunes ouvriers devant les-
quels les syndicalistes ouvriers eux-mêmes
sont dépassés. C'est eux qui ont déclen-
ché les mouvements, outrepassant les dé-
cisions de leur délégué syndical et de
l'assemblée générale des salariés. Le mou-
vement s'est ensuite rapidement étendu
aux autres usines Renault et dans les
gares de Paris. A ce stade, il est spon-
tané. Les centrales ouvrières, surprises
elles-mêmes, décident alors d'appuyer le
mouvement, l'orchestrent ; l'organisent,
le généralisent à partir du 15 mai.
RAISONS PROFONDES : il y en a
plusieurs.
Première cause : l'accord C. G. T.-
C.F.D.T. de janvier 1966 a eu, en dépit
des accidents de parcours, comme résul-
tat concret, un réveil du syndicalisme et
une mobilisation des travailleurs.
Deuxième cause : le refus du C.N.P.F.
de négocier des accords-cadres au som-
met sur les grandes revendications posées
par les centrales ouvrières. Certes, il y
a eu plus de 1.500 accords signés depuis
2 ans. Mais aux dires des syndicalistes
il ne s'agissait que « d'accords restreints
sur des questions marinales ». L'accord
sur le chômage partiel était important...
mais rien ne fut négocié sur les grandes
questions soulevées par les syndicats :
les salaires, la durée du travail, l'exten-
sion des droits syndicaux.
Troisième cause : la montée des jeu-
nes et les difficultés croissantes rencon-
trées par eux sur le marché du travail,
ce qui a expliqué la violence de certaines
grèves à Rhodiaceta (Vaise et Besan-
çon) et à Caen.
Quatrième cause : la moindre progres-
sion du pouvoir d'achat noté déjà en 1967
par rapport aux années précédentes
auquel il faut ajouter les répercus-
sions de la réforme de la Sécurité so-
ciale qui se sont faites sentir peu à peu.
Un piquet de grève de Renault m'a dé-
claré : « En octobre, la majeure partie des
travailleurs ne ressentait pas encore la di-
minution des prestations remboursées...
Tout le monde ne tombe pas malade et
ne se fait pas opérer en même temps. Le
mécontentement des salariés a donc été
progressif ».
Cinquième cause : la technocratie. On
a cru dans les ministères que des hauts
fonctionnaires, sortis de l'E.N.A. pou-
vaient rédiger et faire voter des réfor-
mes profondes telles que celles de la
S.S., sans un véritable dialogue avec les
intéressés. Toutes ces réformes, souvent
absolument justifiées dans leur principe
ne pouvaient rencontrer l'adhésion ou
même la compréhension des masses.
Sixième cause : f'atmosphère insurrec-
tionnelle entretenue à la fois par la célé-
bration du 30e anniversaire de 1936 dans
la presse syndicale, le lOème anniver-
saire des journées de mai 1958 et la
révolte des étudiants.
J.P. DU MONT.
11
La Participation
un mot
auquel il reste
a donner
un sens
• C'est sur la notion de participation
que le référendum du 16 juin devait être
organisé et notamment sur celle des sa-
lariés à la marche des entreprises aux-
quelles ils appartenaient.
La notion de participation est extrê-
mement floue. L'expression peut, selon
le sens qu'on lui donne, recouvrir des
réalités bien diverses.
Pour le général de Gaulle et les gaul-
listes de gauche, qui en ce domaine se
sont faits ses interprètes, la participa-
tion doit revêtir deux formes. D'abord,
celle d'une participation matérielle aux
fruits de l'entreprise : c'est la participa-
tion à l'autofinancement. Ensuite, celle
d'une participation à la gestion des en-
treprises sous la forme d'une meilleure
information, voire d'un contrôle des dé-
cisions prises par les directions des en-
treprises.
Dès son arrivée au pouvoir, le chef de
l'Etat, avec l'ordonnance de 1959, fai-
sait un premier pas dans la voie de l'in-
téressement matériel des salariés à l'en-
treprise. Mais celui-ci était facultatif et
dans les années qui suivaient peu d'ac-
cords étaient passés au niveau des en-
treprises, la formule rencontrant aussi
peu d'intérêt du côté ouvrier que pa-
tronal.
Lors de son congrès de 1963, l'U.N.R.-
U.D.T. envisageait de relancer l'idée de la
participation des salariés aux entreprises
sous une forme plus contraignante. A
l'époque, il s'agissait de créer un Fonds
national de travail alimenté en partie
par des prélèvements sur l'autofinance-
ment des entreprises. Deux ans plus
tard, au printemps 1965, l'U.N.R. faisait
adopter à l'Assemblée nationale le fa-
meux amendement Vallon, qui faisait
obligation au gouvernement de déposer
avant le 1" mai 1966, un projet de loi
garantissant la participation des salariés
à l'autofinancement. Après de multiples
péripéties, c'était l'ordonnance de 1967
rendant l'intéressement obligatoire sous
les formes que l'on sait.
En ce domaine, nous sommes en
France en flèche par rapport à nos voi-
sins. Les expériences étrangères d'inté-
ressement s'inscrivent, en effet, toutes
dans un cadre libéral et facultatif et sont
orientées éventuellement vers l'encou-
ragement à l'épargne ouvrière sous for-
me d'une aide à la fois gouvernemen-
tale et patronale. Citons en ce sens le
plan Leber, aux termes duquel depuis le
1" janvier 1966, chaque travailleur du
bâtiment qui fait l'effort d'économiser
2 pfennig par heure de travail en re-
çoit 9 de son patron en complément.
Les projets des
gaullistes de gauche.
'En ce qui concerne la participation des
travailleurs à la gestion des entreprises,
les choses sont allées jusqu'ici moins
loin. C'est à René Capitant, gaulliste de
gauche comme Louis Vallon, que l'on
doit en ce domaine les tentatives de
réforme.
Lors de la discussion du code des so-
ciétés en 1965, il déposait une proposi-
tion de loi tendant à introduire en
France la société anonyme à l'allemande.
Rappelons qu'en Allemagne les fonctions
de direction et de contrôle sont sépa-
rées : en effet, à notre conseil d'adminis-
tration correspondent deux conseils, l'un
de direction, responsable de la marche
de l'entreprise, l'autre de surveillance,
chargé de représenter et de défendre les
intérêts des actionnaires. Le premier est
élu par le second, mais sa révocation ne
peut intervenir sous peine de dommages-
intérêts que pour un juste motif.
Pour René Capitant le conseil de sur-
veillance et le comité d'entreprise de-
vaient coordonner leur action de con-
trôle des directions en place en tenant
ces réunions communes ou en consti-
tuant des commissions paritaires mixtes.
EN POURCENTAGE
100 ____________
90
80
70
60
50
40
30
20
10
PROPORTION DES ENTREPRISES CAPABLES DE PRODUIRE PLUS AVEC LES
MOYENS EN PLACE SI ELLES RECEVAIENT DAVANTAGE DE COMMANDES
JAN. JUIN JAN. JUIN JAN JUIN JAN. JUIN JAN. JUIN JAN JUIN JAN. MARS
1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968
L'emploi
sera encore plus
menacé que les prix.
• Les hausses de salaires définies par
le protocole d'accord gouvernement-pa-
tronat-syndicats, d'ailleurs remis en
cause, impliquaient une augmentation
de la hausse salariale de 12 % environ
en 1968. C'est un minimum. Les experts
estiment que l'économie française n'est
pas capable évidemment d'absorber une
telle augmentation sans un accroisse-
ment sensible des prix. Mais quelle sera
l'ampleur de la hausse ? Certains jugent
qu'elle pourra être contenue dans des
limites peut-être supportables. Leurs ar-
guments : II faut se garder, disent-ils, de
se référer au passé, notamment aux
accords de 1936 et de 1947. Aujourd'hui,
le contexte est très différent :
— les entreprises françaises sont sou-
mises à une vive concurrence étrangère:
— les entreprises françaises n'ont ja-
mais disposé, depuis 1958. de telles ca-
pacités de production inemployées. C'est
ainsi qu'en mars dernier, selon une en-
quête de l'INSEE, 84 % des firmes
interrogées estimaient être capables de
produire plus avec les moyens en place,
si elles recevaient davantage de com-
mandes. Les pourcentages n'étaient res-
pectivement que 65 % en juin 1966.
12
But : constituer un front commun des
actionnaires et des travailleurs contre
les directeurs.
En définitive, la possibilité d'adopter
la forme de société anonyme à l'alle-
mande a été retenue par le Code des
Sociétés mais tous les articles prévoyant
la liaison entre actionnaires et repré-
sentants des travailleurs ont été élimi-
nés. Ces dispositions pourraient être au-
jourd'hui reprises sous une forme ou une
autre.
L'exemple allemand.
En fait , c'est l'exemple allemand qui,
en ce domaine, pourrait inspirer cer-
tainement les réformes envisagées. Ce
que les Allemands appellent la « Mit-
bestimmung » et que nous avons traduit
en France par cogestion, revêt outre-
Rhin les formes suivantes : dans toutes
les sociétés par actions et les S.A.R.L. de
plus de 500 personnes, le tiers des sièges
du conseil de surveillance appartient aux
représentants du personnel. En outre,
dans toutes les entreprises de plus de
1 000 salariés appartenant aux secteurs
des Mines et de la Métallurgie, ce sys-
tème de cogestion est renforcé : les élus
du personnel ont droit, non au tiers,
mais à la moitié des sièges. Mais ce qui
est encore plus important, les salariés
ont également une représentation au
sein du comité de direction. Celui-ci est
composé de 3 personnes : l'une d'entre
elles est élue par les travailleurs. Cest
le directeur du Travail compétent pour
toutes les questions sociales.
Il est certain que disposant de la moi-
tié des voix au conseil de surveillance
et d'un élu sur 3 au conseil de direction,
les salariés peuvent faire entendre leur
voix dans l'entreprise.
Les syndicats ouvriers allemands ré-
clament à l'heure actuelle la générali-
sation de cette forme renforcée de la
cogestion à toute l'industrie. Pourtant,
le système n'a pas répondu à toutes
leurs espérances. Si par le conseil de sur-
veillance les travailleurs sont à peu près
informés, ils ne sont guère parvenus par
l'intermédiaire du directeur du travail à
jouer un rôle important au niveau direc-
tion ; théoriquement, ce directeur a droit
de veto pour toute une série de déci-
sions qui doivent être adoptées à l'una-
nimité. Mais le recours à certaines pra-
tiques telles que l'élargissement à 8 ou
10 membres du comité de direction com-
me la création d'un poste de directeur
général habilité à prendre seul les déci-
sions importantes, a dans la plupart des
cas permis aux patrons de tourner les
textes et d'échapper aux conséquences
de la cogestion. Le manque de formation
économique de beaucoup de militants
syndicaux promus brusquement direc-
teurs du travail, l'évolution de leurs
idées une fois qu'ils se retrouvaient pour
ainsi dire de l'autre côté de la barrière,
comme les reproches et la suspicion
qu'ils encouraient parfois de la part de
leurs anciens camarades ont également
contribué à retirer à l'institution beau-
coup de sa portée.
Modalités spéciales
pour les codes.
En France, pour l'instant, seule l'or-
donnance de 1945 prévoit que 2 repré-
sentants du personnel peuvent assister
au conseil d'administration des sociétés,
mais avec voix consultative. Il n'est pas
exclu que l'on songe à leur donner voix
délibérative et qu'on renforce leur nom-
bre. Autre voie possible : le renforce-
ment des pouvoirs des comités d'entre-
prise qui obtiendraient un droit à l'in-
formation plus poussé et plus précis,
voire un droit de regard ou de contrôle
sur les chiffres de la société et qui devait
être obligatoirement consulté pour les
décisions les plus importantes. Il y aura
sans doute des modalités spéciales pour
les cadres, notamment en ce qui con-
cerne le droit à l'information.
En fait, la « cogestion » n'est pour le
moment qu'un mot, qui malgré le pré-
cédent allemand est dépourvu d'à peu
près tout contenu concret.
M. M. M.
M % en juin 1964 et 63 % en juin
1962.
Mais les hausses de salaires peuvent
avoir comme conséquence un accrois-
sement très sensible du chômage, car
beaucoup d'entreprises marginales, em-
ployant une forte proportion de « smi-
gards » ne tiendront pas le coup et ris-
quent d'être balayées. Ainsi, le problème
de l'emploi déjà irritant (500.000 chô-
meurs) pourrait prendre une ampleur
telle que le gouvernement devrait mettre
en place une série de mesures d'urgence
(formation professionnelle, reconversion,
etc.).
La montée
des
jeunes
• La France a connu de grands change-
ments démographiques depuis 1962. Pa-
rallèlement à un certain vieillissement
de la population, le nombre des jeunes
de 15 à 29 ans n'a cessé d'augmenter,
le raz de marée des naissances d'après-
guerre (jeunes ayant de 15 à 22 ans
actuellement) venant combler le trou des
naissances de la guerre (jeunes ayant de
22 à 29 ans actuellement). Les années
qui viennent vont confirmer cette arri-
vée des jeunes qui se présentent mainte-
nant en masse aux portes de l'Université.
Ce phénomène n'est pas étranger au
malaise actuel.
POPULATION PAR MILLIONS
DES CLASSES D'AGE
1966
1962
15 ANS
33 ANS 50 ANS 60 ANS
ET PLUS
13
A QUI LE TOUR
EN EUROPE?
PAR
MARCEL PAGANELLI
L'étranger croit que le Franc va s'effriter. Il craint à terme une dévaluation
précédée d'une fuite de capitaux hors du pays. Il est certain que la France
ne pourra plus jouer le rôle majeur qui fut le sien à Bruxelles. Le désordre
social français ne fait école, pour l'instant du moins, précisons-le, chez au-
cun de nos voisins. Les «convulsions» françaises restent, jusqu'à nouvel
ordre, un phénomène isolé : c'est vrai pour l'économique et le social ; c'est
beaucoup moins vrai pour le monde universitaire.
ALLEMAGNE
Combat pour l'extension de
la cogestion et de la sécu-
rité de l'emploi.
Les Allemands suivent avec une cer-
taine inquiétude les événements qui se
déroulent en France. Beaucoup d'entre
eux n'ont pas caché leur désaccord avec
le style du général de Gaulle ces der-
nières années. Maintenant que celui-ci
se trouve menacé, ils se demandent si
ceux qui lui succéderaient éventuelle-
ment constitueraient des partenaires
plus commodes.
L'électoral allemand a longtemps été
méfiant vis-à-vis de son propre parti so-
cialiste, malgré la modération dont ce-
lui-ci faisait preuve. Il garde a fortiori
14
une crainte profonde envers ce qui évo-
que de près ou de loin le communisme
proprement dit. Et lorsqu'on parle d'un
nouveau front populaire en France...
Les problèmes universitaires ressem-
blent par certains côtés du moins à ceux
de la France. Les problèmes sociaux
sont différents. Dans le domaine de l'agi-
tation universitaire, l'Allemagne a été
en avance de nombreux mois sur la
France.
Mais, l'étudiant allemand paraît avoir
beaucoup moins peur que le français de
devenir à la fin de ses études, un chô-
meur intellectuel ou un salarié mal payé.
Le saut de l'université à la vie active
s'effectue moins douloureusement outre-
Rhin. L'absence d'une « aristocratie » de
Grandes Ecoles comme celle qui existe
en France valorise les diplômes univer-
sitaires traditionnels. A la lumière des
événements français, les étudiants alle-
mands ont tenté de faire le « coude à
coude » ces derniers jours avec les ou-
vriers dans deux circonstances :
— pour protester contre la Notstand-
gesetz, la loi sur l'état d'urgence qui
venait en troisième et dernière lecture
ce mercredi au Bundestag.
— pour renforcer les revendications
salariales dans certains secteurs de l'in-
dustrie.
Ce « coude à coude » est resté limité,
notamment en ce qui concerne les re-
vendications salariales. Pour l'instant, la
D.G.B., la grande centrale syndicale al-
lemande reste assez fidèle au S.O.P., l'un
des deux partis qui gouvernent ensem-
ble. Le monde ouvrier allemand n'a
donc pas de raison purement « politi-
que » de mettre en cause l'équipe en
place, bien que les élections récentes du
Bade-Wurtemberg aient montré qu'une
partie des troupes du S.P.D. se soient
déplacées vers les extrémistes de droite
du N.P.D., le parti dit « néo nazi ».
L'année scolaire en Allemagne a été
très calme en 1967. Pas de grand re-
mous à signaler ces derniers temps.
L'I.G. Metall, le grand syndicat des mé-
tallos en conflit virtuel avec les em-
ployeurs a préféré ces jours-ci l'arbitra-
ge à la grève. Le calme enregistré jus-
qu'à présent tient à plusieurs faits :
— le souci qu'a le ministre de l'Eco-
nomie, le Pr Schiller de maintenir des
rencontres fréquentes à trois (syndicats,
patronat, Etat) pour aboutir à une cer-
taine concertation;
— le fait que les salariés ont été trau-
matisés par la grave crise qui a affecté
l'économie allemande en 1966-1967;
— l'inquiétude moins grande des Al-
lemands (par rapport aux Français par
exemple) vis-à-vis du prochain désar-
mement douanier total à l'intérieur de
la C.E.E.
On note cependant ces dernières se-
maines un certain réveil des revendi-
cations. Elles sont de deux ordres. La
D.G.B. veut obtenir que la Mitbestimung,
(la cogestion qui donne un droit de con-
trôle ou de participation à la gestion de
certaines entreprises, notamment du sec-
teur des mines et de la sidérurgie) soit
étendue à toute entreprise de plus de
1.000 ouvriers. Les syndicats veulent en
outre, une « Rationalisierungs schutz »,
une protection contre les débauchages
dans les entreprises par suite d'opéra-
tions de rationalisation. Le projet con-
sisterait à garantir notamment un nom-
bre élevé de mois de salaires aux sala-
riés victimes de telles opérations.
A la faveur de la reprise allemande,
qui s'est bien affermie ces derniers mois,
les salaires qui avaient à peine aug-
menté en 1960, devraient redémarrer en
1968. Un taux de 5 % était prévisible
vers janvier, mais l'exemple français
poussera vers le haut les revendications
allemandes sans dégénérer nécessaire-
ment, nous l'avons vu, en troubles aussi
graves que chez nous.
ITALIE
L'agitation universitaire ne
déborde pas sur le social.
travail : de nombreux ouvrier italiens ont
perdu leur emploi lors de l'austérité fran-
çaise et de la crise allemande en 1964-
1966.
Les difficultés françaises donnent pro-
bablement à réfléchir aux députés italiens
issus des élections du 19 et 20 mai (les
«Informations» leur ont consacré un long
reportage dans leur dernier numéro), et
retardent en conséquence la formation
d'un nouveau gouvernement.
Il est possible que le PSIUP. le parti
constitué par un certain nombre de socia-
listes dissidents du Parti Socialiste Unifié
fasse beaucoup parler de lui. Il a gagné
un nombre de voix assez sensible aux der-
nières élections. Il cherchera sans doute à
déborder les communistes sur leur gau-
che et contribuera à réveiller l'activité des
syndicats (notamment le syndicat à obé-
dience jusqu'ici sociale-communiste la
CGIL).
Notons au passage que les négociations
patrons-ouvriers italiens de 1967, qui
s'étaient déroulées dans un climat relati-
vement modéré avaient en particulier
tourné autour de plusieurs thèmes : la
réduction de la durée du travail (1 h 1/2
en moyenne par semaine, parfois 3 h), le
rapprochement progressif des salaires ou-
vriers- employés, l'élargissement de l'arbi-
trage, et de façon générale la création
d'organismes et de procédures permettant
de résoudre les conflits collectifs.
ressés seront probablement influencées
plus ou moins par la hausse des salaires
intervenue effectivement en France d'ici
là.
L'Italie connaissait ces jours derniers
des troubles universitaires assez sérieux
(heurts violents avec la police, etc).
Sur le plan des relations sociales, pas
de réactions notables à signaler jusqu'à
mercredi dernier.
La reprise économique, plus vigoureuse
que celle qui se dessinait en France jus-
qu'aux événements, plus ancienne que
celle qui se produit en Allemagne, favo-
rise bien entendu de nouvelles revendi-
cations. Mais celles-ci restent assez modé-
rées à cause de la situation du marché du
PAYS-BAS
GRANDE-BRETAGNE
Peu de répercussions prévi-
sibles sur un climat social
calme.
Les Pays-Bas restaient ces derniers
jours imperméables au virus français.
Les excès des « provos » paraissent en ce
moment appartenir au passé.
Etant donné la situation conjonctu-
relle longtemps préoccupante, le Gouver-
nement néerlandais avait préparé une dé-
claration d'intention pour le Parlement
envisageant de surseoir de 6 mois au re-
nouvellement de nombreux contrats col-
lectifs qui viennent à échéance fin 1968.
Ceci afin de préserver la compétitivité de
l'industrie néerlandaise qui a par ailleurs,
à résoudre certains problèmes de struc-
ture.
Le projet du Gouvernement hollan-
dais vient de susciter de la part des syndi-
cats (socialiste, catholique, protestant) de
vives protestations qui viennent d'obliger
celui-ci à renoncer à ses intentions. Mais
il a l'intention de réexaminer sa proposi-
tion vers l'automne. Les nouvelles posi-
tions qui seront alors prises par les inté-
Gravités d'une dévaluation
française.
Les Anglais se sentent directement
concernés par les événements de France.
Ils craignent que la situation, si elle
empire encore, n'oblige les Français à
dévaluer un jour ou l'autre leur mon-
naie ce qui limiterait les conséquences
favorables qu'a pu avoir sur les finances
extérieures britanniques la dévaluation
de la Livre de fin 1967 et surtout donne-
rait un coup fatal du système moné-
taire mondial. Partisans pour la plu-
part d'une entrée, dans des délais plus
ou moins longs de leur pays dans le
C.E.E., les Anglais regrettent en outre
tout « accident » qui risque d'affec-
ter la vitalité de ce Marché commun
(même si ce marché reste pour autant
limité à Six).
Certains experts britanniques jugent
d'un œil beaucoup moins critique que
certains Français eux-mêmes, le bilan
de la politique économique des 10 der-
nières années. Ils pensent même que la
Grande-Bretagne aurait mainte leçon à
tirer de cette politique, telle quelle a été
conduite dans certains domaines jusqu'à
l'accident d'aujourd'hui.
En début de semaine, l'effet de conta-
gion des troubles universitaires et so-
ciaux français sur les universités et l'éco-
nomie semblait devoir rester fort limité.
Les étudiants anglais ont été jusqu'à
•présent parmi les plus calmes d'Europe.
Le débordement des syndicats et notam-
ment de leur centrale unique (le Trade
Unions Congress) par leur base, est peu
vraisemblable. Les Trade Unions répré-
sentent un appareil compliqué mais très
puissant qui assure à ses adhérents des
avantages torp importants pour que
ceux-ci remettent très sérieusement en
cause son autorité.
Dans le cadre d'une longue austérité
décidée pour tenter d'assainir la Livre,
le Gouvernement entend utiliser l'arme
que va lui donner une loi sur le plafon-
nement de la hausse des revenus donc
des salaires. Si la hausse des salaires
en France dépasse sensiblement celle
décidée lors des négociations de Gre-
nelle, et si cette hausse faisait tache
d'huile en Europe continentale, les syn-
dicalistes anglais auraient peut-être quel-
ques nouvelles raisons de regimber plus
sérieusement contre la loi précitée.
15
Le Directeur de la
Dépôt légal
Publication : E-C. DIDIER
2' trimestre 1968
Imp.-Hél. C
Van Cortenbergh, s.p.r.l
Imp. en Belgique
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Les Informations industrielles and commerciales
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no. special
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