L'Insurgé

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A ' V
N" 8 - JUIN 1968
nisim
Journal de l'Organisation Révolutionnaire Anarchiste
Durant trois semaines, une commo-
tion sans précédent secoua la France.
Paris, insurgé, voyait flotter le dra-
peau noir sur la Sorbonne, sur les
tours de Notre-Dame, sur les frontons
des théâtres nationaux, sur les usines
de la banlieue ouvrière.
Tout un peuple, violent et ravi, se
découvrait libertaire, ridiculisait les
centrales syndicales déboussolées, reje-
tait ïes partis politiques aux poubelles
de l'Histoire, dressait ses barricades,
affrontait farouchement les forces de
répression d'un Etat chancelant et
créait, lui-même, dans l'enthousiasme,
ses comités de gestion et ses comités
d'action.
Le « Sunday Telegraph » écrivait :
« Les étudiants, par leur saut roman-
tique sur les barricades, derrière le
drapeau noir, ont porté le coup le plus
cruel au régime gaulliste, au pouvoir
depuis dix ans. »
Nous vivons des temps de révoltes
volcaniques et nous savons, mainte-
nant, que nous avons assez de volonté
et de force pour que rien, désormais,
ne résiste à notre élan.
COMMENT ET POURQUOI
CETTE RÉVOLUTION ?
Le mouvement actuel a surpris à peu près tout
le monde, non seulement par sa spontanéité (qui
est réelle), mais également, paraît-il, par son
aspect nouveau. Or, je ne pense pas que l'on puisse
parler d'aspect nouveau quand on regarde de près
le processus tel qu'il a démarré et tel qu'il a de
fortes chances de finir.
Une chose m'a frappé de suite : c'est la simi-
litude de l'évolution de la situation déclenchée
avec les processus de la plupart des révolutions
passées. C'est ce que j'appelle le processus tradi-
tionnel (*). Cela même si — et c'est inévitable —
certaines apparences extérieures paraissent avoir
changé, changement qui s'explique par l'évolution
même de la société et de la pensée humaine.
Ce processus révolutionnaire, qu'est-il ? Enten-
dons-nous tout d'abord. Il ne s'agit pas d'une
règle absolue, ni d'une « vérité scientifique » ; seu-
lement, on constate à travers les diverses expé-
riences révolutionnaires que, bien souvent, il se
retrouve. En fait, il se sépare en deux étapes.
La première consiste en une révolte intellectuelle
qui s'oppose, sur le plan des idées, aux lois exis-
tantes et qui tend à répandre dans la population
un idéal révolutionnaire dont le développement
est pour ainsi dire irréversible. Et on peut rai-
sonnablement penser que nous venons de vivre
cette première étape. Quand la jeunesse étudiante
est descendue dans la rue, elle a avant tout satis-
fait à un besoin de défoulement qui venait d'un
sentiment de frustration face à une société qui
met des barrières aux idées et qui veut régenter
ce qu'on ne pourra jamais régenter : la pensée.
Quant à la deuxième étape de ce processus :
la révolution proprement dite, il est trop tôt pour
savoir si elle vient de commencer à Flins et à
Sochaux ou si elle ne commencera qu'un peu
plus tard, lorsque la classe ouvrière et la popu-
lation dans une grande partie auront assimilé les
causes de la révolte des étudiants.
Quoi qu'il en soit, on doit .se rendre bien compte
que rien n'est fini ; au contraire, TOUT COM-
MENCE, et le Pouvoir gaulliste doit bien savoir
que son temps est dorénavant compté. La révo-
lution se fera contre le gaullisme, mais également
contre les partis politiques, car aucun ne repré-
sente cette révolution, et contre les syndicats,
car aucun ne la prépare.
L'originalité toutefois de ce mouvement révo-
lutionnaire, si elle ne réside pas dans le processus
d'ensemble, tient dans Je fait qu'il est parti non
pas d'un principe de lutte de classes, mais bel
et bien d'une révolte de l'homme contre la collée-
La vraie lutte
Une fois de plus, nous avons vu que le peuple
était une force révolutionnaire capable de faire
trembler les gouvernements et les partis poli-
tiques. Nous l'avions déjà dit : la lutte se fait
en dehors des cadres étouffants, trop légaux
pour être révolutionnaires. Ce sont les individus
seuls qui prennent conscience et se rendent
compte que les soi-disants représentants de la
nation ne font que les trahir.
La base étudiante et ouvrière a réagit saine-
ments, sans mot d'ordre. Dix millions de travail-
leurs se sont mis en grève sans qu'aucune cen-
trale syndicale n'ait déclaré la grève générale.
Nous devons continuer notre lutte, comme
nous l'avons fait dans la rue ensemble, contre le
chantage du gouvernement et des politiciens
qu'ils soient de gauche ou de droite.
Où en sommes-nous de toutes les luttes qui
ont secoué la France ?
« L'Humanité » dit à ses lecteurs que les
ouvriers ont repris le chemin des usines victo-
rieusemeni:.
Quelle victoire ont-il remporté ?
Nous ne sommes pas d'accord. Un seul coup
d'œil sur les événements suffit pour voir que
nous vivions une époque révolutionnaire. Les
minorités ont fait leur travail de détonateur mais
les partis, endormis dans la bureaucratie, n'ont
rien compris, ou plutôt ont fait semblant de ne
rien comprendre.
Les partis politiques, installés dans la légalité,
ne veulent pas que la société change. Pourtant,
ils avaient tous les éléments pour abattre le
pouvoir gaulliste. Ils se sont contentés de
condamner l'action des étudiants servant ainsi
le jeu du régime contre lequel ils luttaient, sem-
blait-il, jusqu'à aujourd'hui. La gauche ne veut
pas d'une extrême gauche qui la déborde. La
gauche, croyant détenir à elle seule les intérêts
de la classe ouvrière, n'accepte pas que d'autres
lui donnent des leçons. La gauche attend les
élections législatives, espérant obtenir quelques
voix de plus.
Nous en avons assez de tous ces révoluition-
nistes qui, derrière notre dos, parlementent
avec le capitalisme.
La Révolution, Messieurs les cadres des par-
tis, ne se fait pas dans un fauteuil. Une fois de
plus vous avez la preuve qu'il y a, en France,
assez d'hommes qui en ont assez de toutes les
salades politiques, qui veulent abattre la dicta-
ture de l'Etat, et mettre à la place une Société
de Justice où chacun pourra s'exprimer sans voir
aussitôt surgir une matraque.
Messieurs les politiciens vous avez joué le jeu
du pouvoir et ça les ouvriers le savent bien. Ils
vous écoutent et se taisent mais dans leur
silence, il y a un souffle de révolution.
La Révolution ! Voilà un mot dont vous aviez
oublié la signification. Vous tremblez, tout comme
les bourgeois en l'entendant... Et comme vous
avez raison.
Partout, à l'Est comme à l'Ouest, réapparaît le
spectre noir de la Révolution. Organisons-nous
pour mettre à bas l'Etat policier.
R. AUBRUN.
L'ÉTAT A TUÉ
Le pouvoir gaulliste et le P.C., aidé en cela
par la C.G.T., voulaient faire croire à la popula-
tion que les étudiants étaient des provocateurs
qui venaient se glisser parmi les travailleurs
pour les entraîner dans « l'aventure ». Plusieurs
faits viennent de leur infliger un cinglant démenti.
A Flins, pour protester contre l'occupation des
usines par les C.R.S., les ouvriers se sont mobi-
lisés spontanément, afin de faire partir les forces
de l'ordre (?) qui campaient dans les champs
tout autour des bâtiments. Par solidarité, de
nombreux étudiants étaient venus pour bien mon-
trer que leur combat et celui des ouvriers
s'inscrivent dans un même contexte.
Ce jour-là, le travail n'a pas repris, malgré les
appels du patronat, des centrales syndicales qui
hésitaient à avoir une attitude nette pour tenir
la situation en main quoiqu'il arrive. Même les
ouvriers qui voulaient travailler n'ont pu le faire
à cause de la présence des C.R.S. qui ont troublé
le dialogue entre grévistes et non-grévistes.
Pendant que les ouvriers faisaient face aux
C.R.S., la C.G.T. organisait à quelques kilomètres
de là un meeting. A l'heure de commencer, îl
n'y avait qu'une vingtaine de personnes, aussi
les dirigeants vinrent le tenir sur la place qu'occu-
paient les ouvriers, tout près des C.R.S.
Puis les bagarres ont commencé parce que les
ouvriers ont voulu reprendre LEUR usine et que
les C.R.S., s'opposant à la liberté des travailleurs
à disposer d'eux-mêmes, les en ont empêché.
Durant trois jours l'affrontement a eu lieu, sé-
vère, inégal, qui a vite tourné à la ratonnade.
Et c'est la mort qui a marqué de sa sinistre
empreinte ces journées héroïques. Le risque exis-
tait depuis le début, mais il était impossible que
nous ne réagissions pas à la provocation poli-
cière. Un jeune camarade de 17 ans est mort
noyé dans des conditions encore imprécises.
Mais quelles qu'elles soient, cette mort est, et
pour cela tout est maintenant différent.
A Sochaux, là encore les C.R.S. ont empêché
les travailleurs d'être dans LEUR usine. L'affron-
tement était donc inévitable et a eu lieu.
Résultat: un jeune ouvrier tué d'un coup de feu
et un autre le lendemain, par la brutalité poli-
cière.
LE POUVOIR A TROIS MORTS
SUR LA CONSCIENCE
Dorénavant, il faut choisir son camp. Il y a
entre nous et la bourgeoisie trois morts qui
crient vengeance. Il faut choisir entre ceux qui
tuent et ceux qui ne veulent plus être tués. Flins
et Sochaux sont les deux premiers jalons d'un
affrontement qui sera implacable. Nous ne pou-
vons plus reculer. Nous sommes entièrement
solidaires du mouvement révolutionnaire actuel,
nous revendiquons cette lutte comme nôtre et
l'Organisation Révolutionnaire Anarchiste entend
être au premier rang, comme elle l'a été depuis
le début, dans la lutte révolutionnaire.
NOUS CONTINUONS LE COMBAT.
Jacques LIBER.
tivité, qu'il n'a pas reconnue en fin de compte
mais qu'on lui a imposée. Ce qui démontre que
les données révolutionnaires du XIX1"" siècle sont
vraiment périmées et que le vrai problème actuel-
lement se pose au niveau de l'individu face à la
société de consommation, qui tend à devenir un
robot au service de la société alors que c'est la
société qui doit être au service de l'homme. Il
est vrai eue cette notion existait à l'état embryon-
naire lors île la Révolution de 1789 et lors de
celle de 1917, mais, aujourd'hui, elle est le véri-
table moteur qui entraîne le mouvement.
Pour cela, cette révolution a un caractère beau-
coup plus absolu que ses devancières. Non seu-
lement elle veut changer un régime, non seulement
également elle veut changer des sliuclures, mais
aussi elle veut changer la situation de l'homme
par rapport à tout ce qui l'entoure, même et y
compris par rapport a lui-même. C'est-à-dire que
(suite page 4)
Mise au Point
Voici les définitions du LAROUSSE des mots
« anarchie » et « anarchisme ».
ANARCHIE :
• Situation d'un peuple qui n'a plus de gou-
rentcniL'ni ou dont le gouvernement n'a pas
on n'a pins l'autorité nécessaire pour arbi-
trer les antagonismes politiques, économi-
ques ou sociaux, on pour assurer la domi-
nation d'un des groupes en présence sur les
autres =
On \ok que, dans le cas présent, c'est bien le
régime gaulliste qui est la cause de l'anarchie
(au sens négatif du mot) et que la seule solution
qu'il ait trouvée pour maintenir son autorité, c'est
la force, puisque, étant l'Etat, il détient le com-
mandement de la Police et de l'Armée. Une con-
clusion s'impose : le manque d'autorité morale
se transfome en dictature et en fascisme.
• Svstème politique ou social suivant lequel
l'individu doit être émancipé de toute
tutelle gouvernementale =
C'est ici qu'aoparaît pour beaucoup l'utopie.
Mais nous pouvons démontrer qu'avec des struc-
tures économiques et sociales libertaires, un tel
système est possible.
• Absence de règles. Désordre, confusion =
C'est là la seule explication du mot que la plu-
part des gens connaissent, ceux qui ont une
connaissance plus approfondie des idées anarchis-
tes se gardant bien de les expliquer.
ANARCHISME :
• Platon mentionne l'anarc/iisme dans « La
République », où il l'identifie à la démocra-
tie directe. Sous différents aspects, il a
connu un grand succès, à la fin du XIX""
siècle, dans certains milieux populaires et
intellectuels de France, de Russie, d'Italie
et d'Espagne. Après Proudhon, les Russes
Bakounine c! Krrjpotkine, les Français Elisée
Reclus et Jean Grave énoncèrent les doclri-
ties de l'anarchie positive, libérant l'individu
de toute forme de contrainte (religion,
gouvernement, propriété) pour établir une
société nouvelle, « fédération de libres asso-
ciations ». La destruction de la société capi-
taliste ne pourra se faire sans violence :
toutefois, pour certains anarchistes, qui
rejettent la société fedéralive elle-même, la
révolution reste le but unique. Le mouve-
ment anarchiste fui particulièrement violent
en France entre 1880 et 1894, multipliant les
attentats individuels contre les représentants
de l'autorité. Il ji.ua un rôle important lors
de la guerre civile en Espagne (1936-1939) =
Pour nous, anarchistes constructils, les moyens
pour atteindre à la réalisation d'une société liber-
taire ne peuvent passer que par la Révolution,
c'est-à-dire à la destruction totale de tout ce qui
exploite l'homme en quelque domaine que ce soit.
Cette Révolution pourrait se taire sans violence
(car nous haïssons la guerre) ; mais, comment
peut-il en être autrement puisque les système.-,
autoritaires en place ne peinent supporter un
souffle de révolte et une contestation partielle
ou globale de la société sans s'entourer tout de
suite du dispositif armé à leur solde, comme nous
avons pu le voir à Prague, à Berlin, a Paris (la
police et l'armée n'ont aucun jugement humain ;
elles obéissent au maître en place et sont prêtes
à tuer 1 Yére et ami ;.u moindre ordre reçu) ?
Chaque lois qu'un gioupe humain mettra en cause
ceux-là même qui le dirigent, il y aura repression.
Oui provoque ainsi la violence, sinon les diri-
geants ? La répression a pour but de tuer tous
les germes d'émancipation qui risquent d'attein-
dre la masse.
Il y a deux mois, combien sa\aient la signifi-
cation du mot <> autogestion » ? Aujourd'hui,
beaucoup se sont informés et en savent suffisam-
ment pour l'expliquer autour d'eux.
C'est un autre aspect de notre lutte : il faut,
parallèlement à la destruction des institutions en
place, éduquer et expliquer nos théories. Si en
Espagne, en 1936, les ouvriers ont été capables
de faire tourner les usines sans patron et mettre
en place un système libertaire, c'est que, depuis
le début du siècle, les idées anarchistes avaient
été largement diffusées.
Se contenter clé tout détruire sans lien avoir à
proposer après la Révolution, voilà ce qui fait
la force des gouvernements en place qui bran-
dissent l'épouvantail de l'anarchie. Ce serait en
effet aller au suicide total de la société. Qui le
désire ? Certainement pas nous. Sinon, pourquoi
lutterions-nous ?
Et De Gaulle le sait bien, lorsqu'il traite les
anarchistes d'irresponsables et Pc1 veut voir le seul
danger que dans le communisme. Il sait que le
vrai danger, pour lui, c'est l'anarchisme. Nous ne
préconisons pas l'abolition des privilèges de quel-
ques-uns pour devenir à notre tour des privilégiés.
.Vous ne demandons pas a prendre le pouvoir.
Nous voulons que chaque homme prenne ses parts
de responsabilités cl que les ordres viennent de
la base, c'esî-à-dire de tous, dans une société qui
sera avant tout humaine, solidaire et responsable.
Hier, on nous croyait la négation de la \ie :
aujourd'hui, on s'aperçoit que nous sommes la
VIE.
Ce qui paraît aujourd'hui utopie, demain sera
réalité.
Corine LEGER.
AUTOGESTION LIBERTAIRE
Vouloir expliquer l'autogestion en quelques
lignes est pure utopie étant donné la complexité
des nombreuses formes différentes qu'elle peut
prendre. Aussi ne faut-il pas s'étonner si tous ses
aspects et toutes ses perspectives ne seront pas
exposés ici.
Je définis l'autogestion, ou sa forme apolitique
la gestion directe comme l'organisation des tra-
vailleurs en vue de prévoir, ordonner, contrôler,
mettre en \aleur et tirer profit de leur travail.
Quel que soit le produit d'un travail : matière
première extraite, produit métallurgique, objet
manufacturé, produit agricole, \iande de pèche ou
d'clevaee, œuvre d'art ou littérature, etc... ; qu'elle
que soit sa nature ou sa forme, ce produit appar-
tient a celui qui l'a realise. L'homme est propric-
taiie de son travail et n'existe par rapport aux
aune.-, hommes que par son travail. Aussi est-ce
un \ ol légalise par les sociétés étatiques quelles
soient capitalistes ou marxistes, que de rémuné-
rer le travail par un salaire qui, clé toutes racon--,,
est toujours hors de proportions avec les besoins
humains de chaque travailleur. En Joute justice,
le salaire doit être relivsé par les travailleurs et
remplacé par un accès direct à la \aleur du pro-
duit. Je précise bien refuse par les travailleurs qui
doivent, dans une attitude légitime, ne pas accep-
ter de travail salarié et se révolter contre l'accapa-
rement de leur bien par les possédants.
Le profit que peuvent tirer les travailleurs de
leur bien, le travail, est fonction de la valeur de
celui-ci. Il faut distinguer dans la valeur d'un
produit sa valeur propre qui représente son prix
de revient, sa qualité, son rythme de fabrication
et une plus-value qui représente les besoins des
travailleurs. La mise en valeur d'un produit ne
peut donc dépendre que des travailleurs, non pas
pris dans le sens d'individus travaillants, mais
comme l'ensemble des travailleurs organisés selon
les principes du socialisme libertaire : c'est-à-dire
fédérés verticalement clans chaque branche de pro-
duction et hori/.ontalement sur le plan local, régio-
nal, en vue d'une distribution socialiste de la pro-
duction en fonction des besoins de consommation.
Le travail conduisant à l'obtention d'un produit
se divise en trois termes ou moments : prévoir,
ordonner, contrôler.
ment,
4; décider de sa réalisation.
Ce prcmici moment du tiavai! i^essùe !;.i VM r-
licinalion cie ton-, a tous !es niveaux, soit e:i a---e-v
blées générales soit répartis en comités de •.•es'.'on
spécialisés dans l'étude des ditléixnls problèmes
particuliei s a chaque étape et charges de les expo-
ser ainsi qtie le maximum de solutions a l'assem-
blée générale. Le projet établi dans tous ses
détails, il faut ordonner le travail, e'est-a-dire le
distribuer dans le temps et dans l'espace, tache'
par tache. Cette distribution est faite en assem-
blée générale par libre engagement des intéressés.
Le contrôle est l'œuvre de tous, a la lois par l'in-
termédiaire de commissions spécialisées rendant
compte de leurs constatations devant l'assemblée
générale, et surtout grâce à la conscience profes-
sionnelle de chacun mise en éveil par les répercus-
sions directes de la qualité sur le gain du travail-
leur.
Je n'entre pas ici volontairement dans les détails
d'organisation tant ceux-ci sont multiples et varia-
bles, soumis aux caractères des entreprises et aux
personnalités clés travailleui s. Cette organisation
en commun du travail implique la propriété col-
lective des moyens de production car elle est le
l'ait des investissements individuellement et collec-
tivement consentis par les travailleurs. Le point
essentiel clans la gestion directe étant la dispari-
tion d'un troisième facteur (social) qui, dans le.-,
sociétés étatiques, sépare les travailleurs des
mcnens de production et du produit de leur tra-
vail : a savoir l'entrepreneur prive du capitalisme
ou la bureaucratie économico-politique d'un état
marxiste.
On a souvent taxe la gestion directe d'utopie,
mais de rcmbreux exemples, bien que non calques
sur le schéma ci-dessus, suffisent à prouver le
contraire. Je ne ferai que citer l'expérience collec-
tiviste espagnole, la démocratie directe des kib-
bout/im, la gestion ouvrière en Russie pendant la
l'évolution de 1917, l'autogestion en république
algérienne, pour m'étendre plus amplement sur la
gestion ouvrière en Yougoslavie. 11 faut tenir
compte de deux conséquences du régime polit i-que
sous lequel vit la Yougoslavie actuellement :
L'autogestion représente un changement radi.v:'
clans l'oiganisation économique de ce pays ; il
s'agit d'une évolution qui s'approfondit mais oui
n'est pas achevée. Ceci explique les erreurs et les
faux pas. Le développement de la gestion ouvrière
en Yougoslavie s'esl déroulé en trois étapes. De
1951 à 1958 l'Etat narde encore un pouvoir absolu
sur l'économie et décide des salaires, des investi-
ssements et de la planification, ne laissant aux
travailleurs que la possibilité de diriger leur tra-
vail à l'intérieur de leurs entreprises. De 1958 à
1965. l'Etat met à la disposition des entreprises la
portion des revenus qu'il destinait aux salaires
laissant la liberté aux travailleurs de distribuer
cette part en fonction du travail fourni ; mais
l'investissement et la planification restent en son
pouvoir. Depuis 1965, les entreprises disposent d'en-
viron 60 à 65 °n de leur revenu, elles accèdent
ainsi à l'investissement, l'état se réservant des sec-
teurs non encore autogérés comme l'éducation,
la santé, etc. Mais l'économie est encore soumise
à un plan général de développement qui maintient
les diverses entreprises dans des rapports entre
production et distribution défini par l'état. Les
ouvriers gèrent leur travail à l'aide de conseils
ouvriers dont les membres sont élus. Pour un
mandat de deux ans par les travailleurs d'une
entreprise. Les conseils ouvriers élisent parmi
leurs membres ceux qui constitueront le comité de
gestion de l'entreprise ; celui-ci a pour rôle d'exécu-
ter les décisions des conseils ouvriers. Les conseils
ouvriers choisissent également un ou plusieurs
directeurs parmi des spécialistes d'un secteur
économique. Les conseils ouvriers nomment enfin
des délégués chargés de les représenter dans des
chambres économiques siégeant conjointement
aux chambres politiques dans chaque entité poli-
tico-territoriale (commune, république, fédération).
Ainsi les délégués des travailleurs peuvent influer
sur les décisions centrales qui continuent à enser-
rer dans le cadre étroit d'un plan de développe-
ment la production et la distribution. Il se forme
ainsi un cercle : entreprise, travailleurs, délégués,
chambres, plan, entreprises. Ceci bien sûr n'est
qu'un pis-aller mais ne l'oublions pas, dans ce
pays, l'autogestion n'a pas achevé son évolution.
La gestion directe exige de la part des travail-
leurs une connaissance des problèmes économiques
liés a leur travail, d'où nécessite d'un enseigne-
ment que ne donne pas une société étatique. Celle-
ci se garde de donner aux travailleurs une éduca-
tion leur permettant d'assumer leur responsabilité
d'homme et forme des cadres docilement soumis
(c'est la prise de conscience de ce problème qui
justifia en partie le soulèvement des étudiants lors
des récents événements).
Dans un futur que je souhaite proche cette ins-
truction sera distribuée avec l'apprentissage et
tout au long de la vie par l'éducation permanente.
Cette éducation permanente ne doit pas se limiter
aux seules données gestionnaires mais doit aussi
s'atteler à une formation professionnelle continue
tenant le travailleui au courant des recherches
technologiques les plus avancées. 11 est primordial
que l'éducation passe avant toute autre tonne de
lutte ou d'évolution, elle doit être l'essentiel de
la propagande anarchiste. En effet, lors de l'ins-
lallation progressive de l'autogestion en Yougosla-
vie, les travailleurs, et d'autant plus qu'ils étaient
moins qualiliés, se sont jetés sur les surplus de
production prclciani être paves en arjcnt plutôt
entrepri-
Syrnpathisants du 14 ïi-rc,id:sse:nent, n'oubliez
pa& que vous pouvez recevoir gratuitement, sur
votre demande, le bulletin local d'information
libertaire, le « DRAPEAU NOIR ». Pour toute
demande écrire à : Groupe Socialiste Libertaire
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DÉCANTATION ET DURCISSEMENT
DU PROCESSUS RÉVOLUTIONNAIRE
Le premier catalyseur du phénomène révolu-
tionnaire s'est opéré une première fois, dans la
contradietion REFORME - REVOLUTION.
Le deuxième catalyseur s'est opéré sur le pro-
blème des élections, les deux éléments étant étroi-
tement liés.
Dans un premier temps, la révolution a pu être
tuée par le réformisme. Toutes les réformes frag-
mentaires n'étaient que supercheries destinées à
briser la grève génnérale. La grève générale ayant
porté un coup Fatal à l'économie capitaliste fran-
çaise déjà chancelante (un affaiblissement du
franc de l'ordre de 15 à 20 llo étant déjà enre-
gistré), la satisfaction des revendications, et no-
tamment l'augmentation des salaires de 12 °o, ne
pouvaient qu'entraîner une augmentation du coût
de la vie (cf. le pain). Soyons logiques. Quel est
le parti, qu'il soit de gauche ou de droite, qui
empêchera la faiblesse du franc de s'accentuer ?
Les légitimes revendications sociales ne produi-
sent-elles pas, dans le système d'une monnaie, re-
présentant une valeur propre, invariablement une
hausse des prix, dans lesquels entre une part tou-
jours plus importante des frais généraux ? Notam-
ment, l'entreprise s'endette toujours davantage,
consécutivement aux concentrations, à la libre
concurrence, au Marché Commun et à l'insuffisan-
ce des commandes enregistrées. C'est la crise,
c'est le besoin d'argent croissant. La planche à
billets n'est pas une solution valable ; la monnaie
vaut moins, mais il y en a davantage, et si le
travailleur récolte le gain de ses revendications,
par contre, la ménagère dépense davantage pour
son marché. En réalité, rien ne change. Donc, il
faut bien constater que, si nous maintenons le
moyen actuel de distribution par la monnaie-
marchandise, celle-ci constamment fera défaut et,
quel que soit le gouvernement issu du corps élec-
toral, les travailleurs ne recevront en paiement
que des sommes très inférieures à celles qui sont
nécessaires pour acheter l'équivalent du travail
fourni.
Dans le contexte politique actuel, il est évident
qu'aucune formation politique — de quelque idéo-
logie qu'elle se réclame — n'est capable de résou-
dre ce problème. Pas plus un gouvernement gaul-
liste qui a déjà fait ses preuves (pourquoi y a-t-il
une crise à l'heure actuelle ?), qu'un quelconque
gouvernement de front populaire qui a déjà
démontré, par le passé, sont incapacité à résou-
dre ce même problème, n'apporteront une juste
solution.
En effet, la véritable solution ne se situe pas au
niveau de l'Assemblée Nationale. Ce n'est pas en
votant que l'on résoudra la crise, elle sera résolue,
non en changeant de députés mais en transfor-
mant radicalement les structures économiques
sclérosées.
Et cela, aucun de ceux qui se présentent aux
élections ne peut vous le proposer. Les fausses
solutions qu'ils vous soumettront ne pourront
déboucher, en dernier recours, que sur une nou-
velle crise politico-sociale. Leur seul point d'ac-
cord, dans l'immédiat, c'est la Réforme (remise
sur pied) d'un capitalisme atteint de maladie incu-
rable. La clique gaulliste, consciente de sa fai-
blesse actuelle, a fait appel a une plus large
audience clé \eaux : elle rassemble maintenant,
sous l'étiquette U.D.R., tout ce que la France peut
compter d'éléments troubles fascisants. Des rési-
dus d'O.A.S., aux revanchards nationalistes de
14-18 à l'Algérie française ou indépendante en pas-
sant par l'Indochine. Si une poule ne retrouverait
pas ses petits dans ce camp-là, en revanche, la
situation n'est guère plus rassurante de l'autre
côté. A la pègre gaulliste qui, comme toute pègre,
proclame bien haut : « Tout le monde et la France
au travail », ceux d'en lace répondent en écho :
« Au boulot camarades, et n'oublions pas qu'en
36 notre vénéré maître Thorez l'a dit : il faut
savoir terminer une grève » !
Nous n'insisterons donc pas sur le cas d'une
éventuelle victoire d'une gauche unie, s'appuyant
sur un programme économique fortement désuni.
Une nouvelle kermesse électorale va s'engager,
où les politicards de tous poils trouveront de tou-
tes façons un intérêt certain à rabaisser un peu
plus notre dignité d'hommes. La crise née en
dehors du parlement sera résolue par ce même
parlement. Tous ceux qui ont provoqué, qui sont
concernés par ce problème, ne pourront rien dire,
rien faire.
Ils ont tous pour la plupart moins de 21 ans.
Leur avenir est malgré tout engagé, mais par les
autres. Il ne faudra donc pas s'étonner s'ils des-
cendent dans la rue pour exprimer leur opinion
sur la démocratie gaulliste. L'essence du mouve-
ment actuel est l'inspiration à la participation aux
décisions et à la responsabilité. Ce n'est certai-
nement pas en déposant un bulletin dans une urne
tous les quatre ans que l'on affirme ainsi son pou-
voir de décision. Il est vrai que la conception de
la cogestion gaulliste ressemble fortement à celle
proposée par Mussolini en 1923 dans son program-
me économique.
Pour nous, le pouvoir n'appartient qu'aux pro-
ducteurs à la base. Les services publics genre :
commissions municipales, départementales, régio-
nales, nationales et internationales, ne sont que des
services informateurs, coordinateurs, suggcstion-
naires, mais ne peuvent, en aucun cas, avoir de
pouvoir de décision, lequel est le monopole des
travailleurs.
Oui, camarade, les élections sont des pièges à
cons. C'est la voie qu'a choisi le pouvoir bourgeois
pour saboter l'élan révolutionnaire. Le parlementa-
risme réactionnaire s'apprête, une nouvelle fois, à
nous gruger. SABOTONS-LE par l'action directe.
GMV HI AU M.
CONTESTATIONS CONTESTÉES,
ET CONTESTATIONS CONTESTATOIRES
« Le mois de mai 1968 restera, quoi qu'il arrive,
une date gravée en lettres d'or dans le grand Livre
d'Histoire du mouvement liber/aire. »
Pour la première fois dans l'histoire du XX""
siècle, sans que nous en revendiquions pleinement
la responsabilité, l'esprit libertaire s'est fait jour
spontanément et partout. La jeunesse a contesté
la société de consommation qui l'auto-mutile,
l'auto-aliène, la déshumanise. Si, pour une grand'.:
part, la spontanéité conlcstatoire n'a pas été
consciente d'elle-même, de son but, si elle n'était
pas « politisée » — ce qui a d'autant plus affolé
et désoriente la bourgeoisie —, si elle jaillissait
avant tout du nihilisme même que provoque notre
société marchande, elle a été avant tout révolte
contre ce nihilisme, d'abord relus, puis joie créa-
trice de détruire. La création s'est exprimée dans
la construction de barricades, l'organisation de
combats de rues, puis tic comités d'action, de lutte
et de propagande. La presse bourgeoise s'est un
moment l'égalée, croyant enfin comprendre, en
voyant la vieille baderne opportuniste de Mendcs,
un fiasco terrible. Elle ne comprend plus, ni ne
le cherche : elle matraque bêtement, brutalement.
Peu à lieu, la contestation consommaloire est
devenue contestation de l'auiorité. La liaison du
« tu manges » et - tu obéis >- était assimilée. Il
faudra sans doute une nouvelle période de conlcs-
tation pour passer a l'assimilation globale du pour-
quoi de .l'autoritarisme, en analysant ses causes
tcchnico - bureaucratiques, centralistes - étatiques,
voire même au dernier degré le danger paterna-
liste qui a pourri la France depuis dix ans.
L'Université bourgeoise, l'accusation de sa
culture bourgeoise n'est même pas encore chos-j
totalement assimilée dans les milieux étudiants.
Beaucoup de travail reste à faire, après ce premier
choc.
Aussi ne peut-on reprocher aux travailleurs, pour
la plupart, de se battre pour une société de
consommation contre laquelle les étudiants luttent.
Très peu de gens s'intéressent à la révolte de Tata
Télé... pourtant à l'avant-garde de la révolution
dite « culturelle ». L'Etat-pion, lui, a senti le
danger, il a compris tout de suite que la mass-
culture de consommation était en danger, qu'en
moins de trois quarts d'heure on pouvait confu-
sionner 25 millions de boîtes crâniennes. La lueur
qui nous permet d'espérer en la poursuite de la
lutte sur les lieux de travail consiste en deux
points :
— d'uni? part, la masse de jeunes travailleurs
qui ont parlaitement assimilé le processus
en cours ;
— d'autre part, le fait que, dans la plupart des
occupations d'usines, les patrons et autres
récalcitrants se soient vus manu militari
séquestrés, symbolise la manifestation actua-
lisée de l'anti-autoritarisme.
Les travailleurs, jeunes pour la plupart, devant
l'incohérente bêtise de leurs organisations syndi-
cales et des partis dits de gauche — type sociaux-
démocrates — ont, après avoir déclenché une grève
généralisée, illégale syndicalemcnt parlant (pre-
mier processus de débordement des cadres aulo-
rilo-cégétistes), repris la lutte d'une façon plus
conscicn.e.
En effet, la C.G.T. et la C.F.D.T. ont réussi,
âpres les fallacieux accords de Grenelle, a repren-
dre le mouvement en main, a le briser sur de mes-
quines aumônes gom crncmenlalc-, du tvpe .:IILI-
mentation .salariale de i2 ". : « II faut sa\oir arrê-
ter une grè\e, même si les i-,:vcni!k:aiions ic\o-
lutionnaircs (tspe i00.000 F - 40 heure--) n'ont pas
été >ati-i!aites • . Ce sera peut-être pour îj. pro-
chaine lois... Mj'heureuse:i;ent. certains • pciils
malins;.- ont raisonne en sens inverse, en em-
ployant la iormule : •< Plus tu dcmapdcs. p!u, tu
obtiendras, compte tenu tki lait que l'on t'cr
enlèvera toujours un bon morceau par !a s;1'.'.'.-.
Les étudiants ont bien iait tombe;' mu ]iop;>LV
de letes ministérielles, qujlqu.es recteurs eî pas
mal d'arrêts île justice. La nouvelle conscience qui
se lait joui- commence a revêtir un asnect révolu-
tionnaire chez une minorité île travailleurs. 1!.-, onl
compris du même coup que De Gaulle était révo-
lutionnaire tout autant que Waldeck, Mcndès ou
Mitterrand, qu'il.-, contestaient tous la boite à cons,
du même accab't île laquelle ils sortaient
tous, dans laquelle ils axaient appris les mêmes
conneries, mais qu'ils n'avaient jamais songé à
remettre en question. Les travailleurs en "ont
déduit que les révolutionnaires ne pouvaient se
trouver que derrière les barricades et le parasi-
tisme en face, grenade en main. Car enfin, qu'est-
ce qui fait vraiment peur à une société bourgeoi-
sement établie, sinon la révolution ? Il n'est plus
qu'à regarder ceux qui étaient contre et ceux qui
étaient pour, afin île séparer les loups des brebis,
ou vice-versa !
P.-J. ROBERT.
La
Dictature
du
Prolétariat
vue par
Enrico MALATESTA
Quand la révolution bolchevique a éclaté, plu-
sieurs de nos amis ont confondu ce qui était
révolution contre le gouvernement pré-existant
et ce qui était nouveau gouvernement, lequel
venait se superposer à la révolution pour la
freiner et la diriger aux fins particulières d'un
parti — et pour un peu se serait déclaré bolche-
vique.
Mais peut être la vérité est-elle celle-ci : que
nos amis bolchevisants, par l'expression « dicta-
ture du prolétariat », entendent simplement le
fait révolutionnaire des travailleurs qui prennent
possession de la terre et des instruments de tra-
vail et cherchent à constituer une société, d'orga-
niser un mode de vie dans lequel il n'y ai pas
de place pour une classe qui exploite et opprime
les producteurs.
Ainsi entendu, la dictature du prolétariat serait
le pouvoir effectif de tous les travailleurs,
d'accord pour abattre la société capitaliste et
deviendrait I' « anarchie » aussitôt que cesserait
la résistance réactionnaire et que personne ne
prétendrait plus obliger par la force la masse à
obéir et a travailler.
Et alors notre dissension ne serait plus qu'une
question de mots. « Dictature du prolétariat »
signifierait dictature de tous, c'est-à-dire ne
serait plus dictature, comme gouvernement de
tous n'est plus gouvernement, dans le sens auto-
ritaire, historique, pratique du mot.
Mais les vrais partisans de la dictature du pro-
létariat ne l'entendent pas ainsi et ils nous le
font bien voir en Russie. Le prolétariat, natu-
rellement figure ici, comme le peuple dans les
régimes démocratiques, c'est-à-dire simplement
pour cacher l'essentiel de la chose. En réalité, il
s'agit de la dictature d'un parti, ou plutôt des
chefs d'un parti et c'est proprement une vrai
dictature avec ses décrets, avec ses sanctions
pénales, avec ses agents exécutifs et surtout
avec sa force armée qui sert aujourd'hui à défen-
dre la révolution mais qui servira demain pour
imposer aux travailleurs la volonté des dictateurs,
arrêter la révolution, consolider les nouveaux
intérêts qui sont en voie de constitution et dé-
fendre contre la masse une nouvelle classe pri-
vilégiée.
Le général Bonaparte aussi défendit la révolu-
tion contre la réaction européenne mais en la
défendant i! l'étrangla. Lénine, Trotsky et compa-
gnie sont certainement des révolutionnaires sin-
cères à la façon dont ils comprennent ia révolu-
tion et ils ne trahiront p?G ; niais ils préparent
ies cadres cioiivofriiireniRUA qui serviront a ceux
qu: viendront après peu: profiter de la révolution
et la tuer.
C'est la dictature de Robespierre qui porta
Robespierre à la guillotine et prépara la voie a
Napoléon.
(D'une lettre à Luigi Fabri.
Londres, 30-7-1919.)
Vous trouverez à la Librairie Publico, 3, rue
Ternaux, Paris (11'), tous les livres et disques
que vous désirez, au prix normal.
Les coups de pied occultes
RÉVOLUTION DANS UN BOCAL
Les manifs se succédant, les barricades pous-
sant comme des champignons, Paris se réveilla
aux éclatements des grenades ; les groupuscules
grossirent dans une ville quadrillée par les flics.
Le Pouvoir, lassé des défilés de la jeunesse dans
les rues, faute d'Elysée libre, lâcha un os aux
étudiants et aux groupes révolutionnaires : il lui
laissa la Sorbonne : ce fut l'abcès de fixation.
La jeunesse, contente d'une première victoire,
en sueur, les pieds fatigués d'avoir traversé Paris
dans tous les sens, s'enferma dans les vieilles
pierres. Le gouvernement lui laissa en pâture
cette institution, sachant bien que l'atmosphère
de cette caserne, pourrie par plusieurs siècles de
crétinisme universitaire, l'endormirait, l'intoxique-
rait. Pour certains, ils y réussirent ; beaucoup
s'assoupirent sur leurs lauriers.
Dans cette faune, du bien et du pire.
Du bien : quelques braves types idéalistes,
refourgueurs de brochures sociales, et d'autres,
tenant des permanences pour draguer les quelques
révoltés sérieux, subjugués par les événements,
cherchant à les rassembler pour des actions futu-
res, et une certaine quantité de curieux sincères
venant s'informer.
Mais aussi le pire : tout un chacun vint à la
Sorbonne nous faire son cinéma. Tout ce que
Saint-Germain peut compter do mythomanes, de
cintrés, de révolutionnaires de terrasses de cale,
de refoulés du baratin, de pilons, de bourgeois
en col dur toute la semaine, en treillis le diman-
che, autrement dit l'uniforme du conformiste de
l'anli-conformiste, les anti-militaristes d'occasion
avec brassards, insignes du service d'ordre, jouant
aux flics, possédant sifflet et toute la panoplie,
une bande de rabâcheurs clé truismes à renver-
sements, des Bolchos sans pouvoir, débarques à
un tournant, étalant sentencieusement leurs idées
confuses, joints aux Danton des « Deux Magots »,
aux Camille Dcsmoulin de théâtres d'essais, vien-
nent après la fermeture des boites de nuit, des
rhumeries, se pointer aux amphis, se frotter aux
révolutionnaires, le sexe en leu — en cela le repos
du barricadier. Une foule de clients prêts à écou-
ter n'importe quel bobard — la même que l'on
voit à la sortie des artistes à 1' « Olympia », au
pesage à Longchamp — vient dans l'espoir d'aper-
cevoir Cohn-Bendit. son idole. Johnny, tu es
dégommé !
Dany, heureusement que tu vis présentement
clans l'illégalité, sans cela, tes admiratrices t'au-
raient sucé jusqu'au trognon !
Côté goualante, Aznavour, ta chansonnette fout
le camp : l'heure est a 1' « Internationale », ma
chère ! ! !
Cela défile... Les pèlerins de l'action sociale —
comme a Lourdes — font provision de souvenirs ;
les collectionneurs maniaques de couvercles de
boite de camembert changent de truc : ils accu-
mulent les journaux révolutionnaires.
Cn vil même des camelots à De Gaulle surgir
sur la pointe des pieds et entretenir le commun
de l'ordre et de lu beauté de la société.
Et, au milieu de tout cela, les mouchards, tâ-
chant de repèrer dans la masse les clients sérieux
afin de remplir leurs fiches pour préparer le coup
de iilet en prévision des répressions a venir.
Devant leur popularité, les jeunes révoltés se
gontlent, cloisonnes longtemps dans de petits
groupes sans audience. Soudain, ils accèdent à la
renommées. La foule leui sert de LSD. C'est très
mauvais pour eux : plus d'un sera emporté par
la tourmente...
CHEXILLARD.
L'HOROSCOPE SCIENTIFIQUE
par Pol Chenille
Nous ne le répéterons jamais assez à tous
vents, et des générations d'anarchos l'ont dit, que
le Matérialisme historique, Pierre d'Achoppement
de l'Utopie Marxiste, est une misérable affaire
sans consistance, méthode juste bonne à émer-
veiller de jeunes naïfs diplômés ou non et ser-
vant de canevas à une tribu de vieux pions nous
publiant tous les quinze jours des recueils sa-
vants de prévisions ayant pour tout contenu : la
révolution sans peine en douze leçons.
Prenez un marxien quelconque, se piquant de
dialectiser à tout propos, serrez-le dans un coin,
contrez-le dans ses déductions. Inévitablement,
devant vos critiques, le ton supérieur, la bouche
en cul-de-poule, il vous balance dans les gencives
« tu ne peux pas comprendre le sens de l'histoire,
tes réflexions sont sans méthode, nous au moins
nous possédons : le Matérialisme historique ».
Là-dessus, le dialogue est terminé pour lui, il
ne vous écoute plus, touché par la grâce de de
scientisme il vous considère comme un simple,
un demeuré du socialisme d'antan.
A la lumière de cette recette de cuisine, le
marxiste, en quête d'une thèse étayant trop sou-
vent ses sentiments, observe l'histoire, chose
vaste interprétée de différentes façons par une
multitude d'historiens jamais d'accord entre eux,
tributaires, par ailleurs, des modes et de leurs
fréquentations.
Pour vous donner un aperçu de l'immense fatra
de l'histoire, consultez la presse quotidienne sur
un fait actuel et comparez les interprétations.
Pas besoin d'être grand clerc pour juger à vue de
nez que c'est délirant. Après cela essayer donc
d'évaluer les difficultés de l'historien honnête
d'ici 'vingt ans, compulsant la même collection
de canard, et cela vous donnera les proportions
de l'à-peu-près et de la fabulation en ce domaine.
L'histoire n'est donc pas une science exacte.
Pour les marxiens, si !
Alors en bons bricoleurs et en se triturant les
méninges un chouïa, ils n'ont pas beaucoup de
peine à étayer leurs argumentations en montant
en épingle certains faits et en bons jésuites de
jeter à la poubelle de l'histoire ceux autant vala-
bles pouvant les contredire ou tout simplement
les gêner. Sur un tel terrain mouvant, ils ont la
prétention d'établir, par comparaison et analogie,
des situations historiques, la marche de l'histoire
à venir dans ses moindres détails.
Si cela n'était qu'une gymnastique de l'esprit
à la mode parmi les vieilles filles dans les pen-
sions de famille, un amusement, un jeu de société,
on n'y verrait aucun inconvénient. Mais ils veu-
lent nous faire avaler leurs prévisions. C'est
inouï, avec de telles sornettes, ils demandent le
respect du peuple. La chose sociale c'est leur
« capital », ils vivent dessus, obligeant ainsi les
hommes a choisir un chemin tout tracé, ne per-
mettant pas une reconversion lorsqu'un fait im-
prévu surgit prenant en ce cas inévitablement
des positions réactionnaires.
Ce socialisme pseudo-scientifique n'a su, en
fait, que grouper les indécis, ceux sortant des
églises et qui sont à la recherche de formules
de sécurité. Ça leur tient chaud, ça aide à vivre.
Mais il a fait un tel ravage dans les esprits que
l'on peut affirmer que c'est une des raisons de
l'avachissement du peuple et du monde intellec-
tuel en particulier.
L'histoire, d'après eux, pouvant être prévue
dans le temps, il est évident qu'un tel raisonne-
ment peut enlever au peuple la volonté d'agir. Au
point que, lorsque leurs disciples saisis du besoin
d'engager une action rangent soigneusement le
Matérialisme historique dans le dernier rayon
de leur bibliothèque, se rendant compte de
l'inefficacité de leurs prévisions comme facteur
de révolte, alors comme des Blanquistes, ils font
appel aux sentiments, à la psychologie souvent
la moins honnête. Mais en ce cas c'est une toute
autre histoire.
Pol CHENILLE.
LES CADRES
Ils ont joué à la révolution
En faisant leurs commissions
Leurs comités commotionnés
Par l'écrasement de la hiérarchie
Des salaires et la peur de l'anarchie
Ils ont parlé pavés
Se sont méfiés des étrangers
Epouvantés par le sommeil ds Shell
L'assèchement d'Esso
Où l'on ne lavait plus les drapeaux
Et puis un vieillard rusé
A rempli quelques citernes
Alors ils ont quitté leur révolution
Comme on quitte une veste un peu terne
Pour casser du kilomètre
Comme au beau temps de la consommation
Ils ont retrouvé leurs fermettes
Ils ont parlé des élections
Entre deux drinks
Savez-vous qu'il faut verser lentement
Le sang des usines au fond du verre ?
Ouvriers on thé rocks
Mon cher, il faut revenir à la légalité
La natalité, la nationalité
La partialité, la puérilité
Priorité à la placidité
Fermons les yeux sur la cécité
De ceux que l'on cache dans les hôpitaux
Sur les mutilés
Sur les violées
Sur la révolution insultée
Sur l'information bâillonnée
Sur la dictature en semelles de crêpe
Remettons notre chapeau
Sur une cervelle qui a bouilli
Mais comme du café niul surveillé
Le cadre n'est pas le tableau.
LE POETE INSURGE.
Communiqué
La Commission Préparatoire du Congrès Interna-
tional de Fédérations Anarchistes nous demande de
faire savoir à nos lecteurs que le Congrès International
de Fédérations Anarchistes aura lieu à Carrare (Ita-
lie) durant la première semaine de septembre 1968.
Vous trouverez ci-dessous la liste des Fédérations
qui participeront à ce Congrès.
Nous formulons beaucoup d'espoir pour ce Congrès
et espérons plus spécialement qu'il débouchera sur
des propositions pratiques de façon à donner à notre
lutte une résonance internationale et à favoriser les
combats que nous menons localement.
« Union des Anarchistes Bulgares en Exil» (U.A.B.).
'< Fedcracion Anarquista Iberica » (F.A.I.).
" Mouvement Anarchiste Hollandais » (« Federatie Van
Vrije Socialisten » -'- Groupe de Vrije).
- Federuzione Anarchica Italiana » (F.A.I.).
«Fédération Anarchiste Française» (F.A.F'.).
« Fédération Anarchiste Japonaise ».
« .VIovimento Liberlario do Brasil » (Brésil).
« Movirniento Libertario Cubano en el Exilio »
(M.L.C.E.).
• Feucracion Anarquista Mexicana » (F.A.M.l.
>-Deutsche Anarchislische Bewcgung» (Allemagne
Fédérale').
« Federacion Libcrtaria Argentina » (F.L.A. - Argentine).
.< Fédération of Austraiian Anarchisls ,. (Australie).
« Anarchist Fédération ol Britain » (Grande-Bretagne).
•< International Anarchist Commission (C.I.A. - Lon-
dres).
'.- Fédération Anarchiste du Québec» (Québec).
•- Organi/aciones Libertarias ciel Peru » (Pérou).
< New Zealand Fédération of Anarchists » (Nouvelle-
Zélande).
« Anarchist Movernent ot thé United of America»
(U.S.A.).
' Mouvement Libertaire de Finlande» (Suoini).
•• ï'ederacion de Agrnpaciones Libertarias de Chile »
(F.A.L. - Chili).
f Fédération Anarchiste de Chine» (Federacio Anar-
chista Cina - Chine Communiste).
OBSERVATEURS :
Vovimiento Anarquista de Colombia » (Colombie).
-< Mouvement Anarchiste de Belgique ».
'.- C'.l.R.A. » - Lausanne (C.H.).
«Mouvement Libertaire Hongrois» (Hongrie i.
« Helliniki Anarchiki Kinici » (Grèce).
Comment et pourquoi cette Révolution
(suite c's la page 1)
le véritable problème est de change]- la civilisation,
de refuser celle qui existe pour en créer une autre,
couper l'homme-robot actuel de lui-même pour
recréer l'homme-individu.
Voilà pourquoi nous refusons toutes les voies
qui se trouvent à l'intérieur du système, parce
qu'elles sont de fausses voies. Cela explique pour-
quoi nous refusons le vote, même- si certains se
sentent frustrés de ne pas mettre leur petit papier
dans l'urne. II faut enlin comprend: e que ce n'est
pas un problème d'hommes, ni de régimes. L'expé-
rience parlementaire a été tentée, elle a échoué.
Elle est maintenant d'un autre temps.
L'enjeu, vous le voyc/, est d'importance. Xotiv
combat, nous le savons, est peut-être la dernière
chance pour l'homme d'échapper a l'horrible des-
tin qui l'attend. Ce qui explique que nous sommes
décidés à employer tous les moyens. Nous ne sa-
vons pas el donc ne pouvons pas vous dire combien
de temps va durer le combat. Mais sache/, seule-
ment que nous sommes décidés à aller jusqu'au
bout, conscients que nous sommes qu'il n'y a pas
d'autres solutions pour l'homme de rester lui-
même dans son intégrité qu'il a déjà trop perdue
au fil des siècles.
Le combat est celui de la liberté contre l'auto-
rité. C'est le combat de tous les libertaires.
Miche! CAVALLIER.
Notre journal ne peut vivre qu'avec votre aide — Gilles DUCHEVET - C.C.P. 9.916-35 Paris
Le Directeur de la Publication : R. FEREZ - 3, rue Wcstermcyer - 94-IVRY
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L'Insurgé
Issue
no.8
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no.8