Pouvoir ouvrier

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POUVOIR OUVRIER
N° 90 - Moi 1968
Mensuel — Prix : 0,50 F
Des millions de travailleurs en lutte
EBRANLE
LE SYSTEME
Les ouvriers de la raffinerie An-
tar, à Donges, discutent aujour-
d'hui, 20 mai, de la possibilité de
transformer l'occupation en auto-
gestion de l'entreprise. Dans cer-
taines usines de la région de Saint-
Nazaire l'idée est en l'air.
La révolte des travailleurs con-
tre la stagnation des salaires, con-
tre les conditions de travail ac-
tuelles, les licenciements, les dé-
classements, les transferts, tend
déjà, ici et là, à mettre en ques-
tion l'organisation même de la
production capitaliste.
L'opposition irréductible de la
classe ouvrière à l'exploitation et
à l'asservissement éclate au grand
jour. Le prétendu <c embourgeoise-
ment » des travailleurs avait ser-
vi de prétexte aux faux révolution-
naires pour tourner au réformis-
me ou pour prendre leur retraite,
aux dirigeants des partis et des
syndicats pour justifier leur misé-
rable politique de collaboration
avec l'Etat. Ce sont les ouvriers
« embourgeoisés » de la Régie Re-
nault, les mieux payés de la métal-
lurgie disait-on, qui ont occupé les
premiers leurs usines, qui ont his-
sé le drapeau rouge !
La société dite de « consomma-
tion » est contestée aujourd'hui,
dans les faits sinon toujours dans
les paroles, par les millions de
grévistes qui occupent les entre-
prises. Ce n'est pas seulement
contre les salaires insuffisants que
les ouvriers se dressent, c'est aussi
et surtout contre le système de
production qui les transforme en
objets. C'est le sort du travailleur
dans l'activité productive qui est
objectivement remis en question.
Les revendications de salaire
mises en avant, SPONTANE-
MENT, par les ouvriers expriment
an fond ce même refus de se sou-
mettre aux nécessités de la pro-
duction capitaliste, du profit :
100.000 AF comme minimum vital,
20.000 AF d'augmentation POUR
TOUS. Voilà du nouveau par rap-
port aux augmentations hiérarchi-
sées prônées par les centrales syn-
dicales, au minimum vital « rai-
sonnable » de 60.000 AF proposé
par la C.G.T.
La revendication sur la réduc-
tion du temps de travail — les 40
heures payées 48 — traduit elle
ausi la protestation du producteur
contre son étroite subordination
aux besoins de l'économie capita-
liste : (( Nous voulons du temps
POUR VIVRE », scandaient déjà
en 1964 les O.S. de Renault à
Flins. Aujourd'hui c'est toute la
classe ouvrière qui l'exige. Et les
ouvriers savent aussi qu'une ré-
duction substantielle de la semaine
de travail, sans perte de salaire,
est le seul moyen d'absorber le
chômage, d'éviter que les travail-
leurs ne fassent les frais de la
modernisation des entreprises et
des transformations technologi-
ques en cours.
Ce sont les jeunes travailleurs
qui ont.déclenché partout le mou-
vement. Ceux qu'on disait « dépo-
litisés » ont été les premiers à
comprendre le sens profond et
l'enseignement de la lutte des
étudiants : le Pouvoir bourgeois
n'est fort que de la faiblesse des
méthodes utilisées jusqu'ici pour
le combattre. Les secteurs les plus
avancés des étudiants, en créant
des comités d'action, des comités
de grève, en passant à l'action di-
recte ont montré qu'on pouvait
faire reculer l'Etat. Sans écouter
les conseils de sagesse des diri-
geants syndicaux et des politiciens
de ce gauche », des jeunes travail-
leurs ont participé, dès le début,
aux manifestations étudiantes,
certains se sont battus sur les bar-
ricades. La nouvelle génération
ouvrière, touchée par le chômage
et la déqualification, écœurée par
les faux-semblants d'action des
partis traditionnels — fêtes de jeu-
nes, bals républicains, pétitions,
manifestations-promenades — ré-
voltée contre la perspective de
mener la même vie que les an-
ciens, a pris partout l'initiative de
la lutte. Ce sont les jeunes ou-
vriers qui ont poussé à l'occupa-
tion des usines, rompant ainsi
avec les méthodes « légalistes »
utilisées depuis des dizaines d'an-
nées.
Les journées de lutte étudiante,
la grève généralisée, les occupa-
tions ont déclenché un processus
de contestation du régime gaul-
liste et de la société qui pourrait
aboutir à une situation révolution-
naire.
Certes, des forces importantes
s'opposent à l'approfondissement
du mouvement.
Les directions syndicales, les
partis de « gauche » qui ont tout
çant par un changement de ma-
jorité au Parlement. Mais le régi-
me gaulliste, né rie la guerre d'Al-
gérie ,peuplé d'arrivistes et de mé-
diocres qui jouent les Napoléons,
peut vouloir se maintenir à tout
prix.
Répression contre les étudiants
<c gauchistes », contre les secteurs
les plus conscients et combatifs de
la classe ouvrière en même temps
qu'ouverture d'un dialogue avec
les syndicats, telle pourrait être la
réponse du Pouvoir gaulliste à la
puissante vague qui secoue la so-
ciété.
Il s'agit pour lui d'appliquer une
fois de plus la fameuse devise :
diviser pour régner. D'abord sépa-
rer les étudiants des ouvriers. Ce
travail est d'ailleurs déjà com-
mencé. Le P.C. et la C.G.T. s'en
sont chargés : « chacun chez soi,
les ouvriers à l'usine, les étudiants
à l'Université ». Contre qui a été
barricadée Renault-Billancourt et
bien d'autres usines ?... Contre la
police ? Certainement pas. Contre
les étudiants qui voulaient discu-
Comités de grève élus et révocables
La forme et la durée des mouvements doivent être discutés
et décidés à la base. Et c'est à des comités de grève élus qu'il
appartient de proposer aux assemblées de grévistes les conditions
et la date de la reprise. C'est à la base aussi de déterminer le
contenu des luttes, c'est-à-dire les revendications.
Mais les revendications elles-mêmes doivent mieux exprimer
les intérêts des ouvriers et des employés. Il faut en finir avec les
revendications hiérarchisées qui visent une augmentation de
600 F pour le cadre et de 6 F pour l'O.S. Seules des augmentations
uniformes peuvent unir toutes les catégories, développer la soli-
darité et redonner confiance, en particulier aux couches les plus
exploitées.
Quant aux conditions de travail, elles doivent passer au pre-
mier plan. Le conducteur de la motrice Paris-Lyon, si on lui en
donnait le choix .aimerait beaucoup mieux voir ses horaires amé-
nagés en fonction de ses besoins, obtenir une réduction des
heures de travail et le remplacement du contrôle automatique de
surveillance par un deuxième agent de conduite que de recevoir
1 /'o de plus sur son salaire sans changement dans ses conditions
de travail.
(P.O. n" 82, janvier-février 1967)
fait pour désamorcer la lutte des
étudiants — des calomnies du P.C.
aux conseils paternalistes de Guy
Mollet — font actuellement tout
ce qu'ils peuvent pour désamorcer
la lutte des travailleurs en la ca-
nalisant hors de sa voie de classe:
la contestation du pouvoir patro-
nal, de l'exploitation. La « gau-
che » bourgeoise (Mendès, Mitter-
rand), ou réformiste (SFIO, PC)
se pose maintenant en héritière
du pouvoir, réclame qu'on lui pas-
se les commandes. Pour quoi faire?
Pour endiguer le flot, pour le main-
tenir dans Je cadre des revendica-
tionas salariales hiérarchisées et
(( raisonnables » et de la réforme
de l'Université.
En dépit de la gravité de la si-
tuation, il n'est pas sûr que le
gouvernement gaulliste lui cède la
place. Une démocratie parlemen-
taire classique aurait tenté de ré-
soudre le problème en commen-
ter avec les ouvriers. Le cordon
sanitaire établi par les militants
du P.C. ne vise qu'à « protéger »
la classe ouvrière contre la conta-
gion des idées révolutionnaires. On
vise ensuite, chez les étudiants, à
opposer la masse des modérés
(dont l'U.E.C.) à la fraction poli-
tiquement la plus avancée, aux ré-
volutionnaires stigmatisés comme
provocateurs à la fois par Pompi-
dou et par le P.C.
Chez les travailleurs, on opére-
rait de la même manière. On es-,
sayerait alors, l'opération termi-
née, de conclure DES ACCORDS
SÉPARÉS avec les grévistes : des
concessions pourraient être faites
dans telle usine, dans telle bran-
che industrielle ou tel service pu-
blic, concessions que les syndicats
pourraient accepter et qui justi-
fieraient, pour leurs dirigeants,
des ordres progressifs et échelon-
nés de reprise du travail.
LE PRINCIPAL DANGER QUI
GUETTE LE MOUVEMENT AC-
TUEL EST LA, C'EST LE FRAC-
TIONNEMENT DES FORCES EN
LUTTE, L'ACCEPTATION D'AC-
CORDS SÉPARÉS.
Contre ce danger, il faut s'ef-
forcer de développer les liaisons
étudiants-ouvriers.
Et il faut surtout agir pour que
les travailleurs prennent en main
eux-mêmes leur mouvement :
COMITES DE GREVE DIREC-
TEMENT ELUS PAR TOUS LES
TRAVAILLEURS. SYNDIQUÉS ET
NON SYNDIQUÉS.
LES MEMBRES DES COMITES
DE GREVE DOIVENT ETRE RE-
VOCVBLES A TOUT MOMENT.
COMPTE-RENDU JOURNALIER
DU COMITE DE GREVE DEVANT
L'ASSEMBLEE DES GREVISTES
DANS CHAQUE ENTREPRISE.
FEDERATION DES COMITES
DE GREVE PAR ARRONDISSE-
MENTS ET LOCALITES.
DESIGNATION PAR LES DE-
LEGUES DES COMITES DE GRE-
VE D'UN COMITE CENTRAL DE
GREVE.
Il a fallu plus d'une semaine,
les combats de la nuit des barri-
cades, la sauvagerie de la répres-
sion pour que les directions syndi-
cales se décident enfin à déclen-
cher la grève du lundi 13 mai.
Cette fois-ci les appareils diri-
geants ont fait plus vite. Tout en
refusant de lancer le mot d'ordre
de grève générale, ils ont accepté
d'étendre le mouvement pour être
dans îe coup et pouvoir ainsi le
contrôler. Les directions syndica-
les ont réussi à prendre le train
en marche. C'est pour le diriger
vers des voies réformistes et par-
lementaires.
Il est impossible de prévoir le
dénouement de ce mouvement de
masse qui dépasse déjà en ampleur
tout ce qu'on avait vu depuis 1936.
Mais une chose est certaine : de
nombreux ouvriers, les jeunes en
particulier, des minorités impor-
tantes d'étudiants n'accepteront
plus désormais d'obéir aux consi-
gnes des organisations qui défen-
dent l'ordre social actuel, quelle
que soit l'étiquette politique sous
laquelle elles se présentent. La
critique radicale de la société qu'ils
ont entreprise, îls chercheront à la
continuer et à l'approfondir .
A Madrid, à Rome, à Berlin, à
Varsovie, les étudiants s'insurgent
contre le système qui étouffe
l'homme, qui exploite et asservit
le travailleur. En France, les étu-
diants ont été le détonateur qui a
provoqué l'explosion actuelle.
D'autres explosions se produi-
ront demain dans tous les pays et,
comme en France, la jeunesse ou-
vrU-re sera alors à la pointe du
combat.
Pour une politique ouvrière
Une politique réellement ouvrière doit proclamer des exigen-
ces. C'est l'ensemble de la gestion capitaliste qu'il faut contester,
du niveau de l'entreprise au niveau du pouvoir.
Toute lutte, même défensive, doit être liée à une contestation
du pouvoir patronal ; tout combat d'envergure doit tendre à
développer l'intervention de la puissance ouvrière dans le domai-
ne réservé à la bourgeosie.
Dans le domaine des salaires, il ne s'agit pas seulement de
demander des augmentations. Une politique ouvrière de salaires
doit afficher ouvertement comme but : la suppression des primes
par leur incorporation au salaire, la lutte contre les salaires au
rendement, le refus des heures supplémentaires, la lutte contre
la hiérarchisation des salaires.
Dans le domaine de la durée, la réduction de la semaine de
travail doit passer au premier plan des revendications ; en ou-
tre, le temps de transport doit être compté dans le temps de
travail.
Dans le domaine du travail lui-même, les ordres de l'appa-
reil de contrôle, de la maîtrise, des chefs ne doivent pas être
acceptés comme allant de soi. Il faut également empiéter sur ce
domaine réservé. Il faut exiger la participation des ouvriers à la
détermination des temps d'usinage alloués, des rythmes des chaî-
nes, à l'établissement des horaires.
L'embauchage et le débauchage ne doivent pas être laissés
non plus à l'arbitraire patronal, mais soumis au contrôle des tra-
vailleurs.
Et ce contrôle dans la production doit être exercé par des
assemblées réunissant les travailleurs de l'atelier ou de l'entre-
prise ,et par des organes élus par ces assemblées.
(P.O. n° 75. janvier 1966)
PROLETARIAT ET BUREAUCRATIE
(Extrait de P.O. n° 62 et 63, juillet-
août et septembre 1964).
LA BUREAUCRATIE
« OUVRIERE »
La bureaucratie syndicale et po-
litique qui exerce aujourd'hui son
contrôle sur les grandes organisa-
tions, c'est le prolétariat lui-même
qui l'a engendrée. C'est la crois-
sance des syndicats et des partis
ouvriers qui, lentement d'abord puis
à un rythme rapide, a créé une
couche spécifique de permanents,
de fonctionnaires « ouvriers » dont
la profession est devenue celle de
représenter les travailleurs. Les tâ-
ches toujours plus vastes et com-
plexes d'organisation et de coordi-
nation ont été résolues par eux
d'après le modèle capitaliste : une
structure hiérarchisée, une division
de plus en plus nette entre les di-
rigeants et la base.
Le renforcement de la bureaucra-
tie « ouvrière » a été favorisé par
la classe dominante et son Etat. A
mesure que le développement de
l'industrie rendait plus complexes
et plus aigus les problèmes posés
par la gestion de la force de travail,
que les fonctions de l'Etat s'éten-
daient au domaine de l'économie,
la nécessité d'avoir un « interlocu-
teur valable » devenait vitale pour
les dirigeants. La classe dominante,
constatant la force croissante du
prolétariat, le danger potentiel qu'il
représente, acceptait de reconnaî-
tre la représentativité de la bureau-
cratie syndicale et politique « ou-
vrière ». Elle s'apercevait qu'en lui
reconnaissant ce rôle, en lui accor-
dant certaines prérogatives, en l'as-
sociant, dans les moments de crise,
à la conduite des affaires publiques,
elle avait la possibilité d'exercer un
contrôle, quoique indirect, sur les
travailleurs, d'imposer plus facile-
ment, lorsqu'il le fallait, des déci-
sions vitales : une politique de pro-
ductivité, un blocage des salaires,
et même, à la limite, une guerre
mondiale, décisions que la bureau-
cratie « ouvrière » se chargerait de
justifier et de faire accepter aux
travailleurs.
Toutefois, le rôle réel de la bu-
reaucratie « ouvrière » ne s'est af-
firmé que progressivement, au cours
de dizaines d'années. Et les orga-
nisations syndicales et politiques
qu'elle contrôle n'en sont pas pour
autant devenues de simples « an-
nexes » de l'Etat capitaliste. Au-
jourd'hui encore, dans la plupart des
pays, elles continuent de défendre
dans le cadre du système capita-
liste, des améliorations au sort des
travailleurs.
Cependant, la bureaucratie « ou-
vrière » ne s'est pas contentée du
rôle d'auxiliaire que prétendaient lui
assigner les capitalistes ; elle a fini
non seulement par prendre cons-
cience de ses intérêts spécifiques
en tant que couche intermédiaire
entre le capital et le travail, mais
par viser à prendre une place dans
la direction même de la société.
Dans les pays occidentaux, ce-
pendant, elle constitue toujours un
corps intermédiaire : elle n'a ni le
pouvoir politique ni le pouvoir éco-
nomique.
Mais la même évolution du capi-
talisme qui a facilité le développe-
ment d'une bureaucratie « ouvrière •>
a donné également naissance à
une autre couche de bureaucrates,
d'organisateurs de la production, la
bureaucratie économique, qui tend
à se substituer à la bourgeoisie tra-
ditionnelle.
Les intérêts à court terme de ces
deux couches bureaucratiques ne
se rejoignent pas entièrement au-
jourd'hui. La bureaucratie « ou-
vrière •• conserve des attaches avec
le prolétariat ; elle en subit la pres-
sion et, finalement, c'est en tant
que « représentante » des travail-
leurs qu'elle a une force.
Mais le modèle de société qu'elle
propose : propriété étatique, plani-
fication, direction de l'économie et
de l'entreprise confiée à des spé-
cialistes, hiérarchie sociale fondée
sur « la compétence », adaptation
de l'homme aux exigences de l'in-
dustrie, élévation contrôlée du ni-
veau de vie en vue d'une consom-
mation elle-même déterminée par
les nécessités de la production,
prise en charge par l'Etat de toutes
les activités sociales et culturelles,
ne diffère pas essentiellement du
modèle vers lequel la bureaucratie
économique pousse la société de
nos jours.
Les organisations qui constituè-
rent les instruments de la lutte du
prolétariat pour le socialisme, le
creuset où se forgeait sa cons-
cience révolutionnaire, sont actuel-
lement des corps toujours mieux
adaptés à un régime capitaliste
que la bureaucratie « ouvrière »
cherche simplement à aménager
en fonction de ses propres intérêts.
Mais la dégénérescence ne s'est
pas arrêtée là : le programme lui-
même a changé de signe. Ce qui
constitua pendant longtemps, pour
le mouvement ouvrier, un program-
me de « transition » vers le socia-
lisme, l'ensemble de mesures de
contrôle et d'étatisation qui de-
vaient ouvrir la voie vers la société
sans classes, est devenu pour l'es-
sentiel le programme des couches
bureaucratiques qui sont à l'avant-
garde du capitalisme.
COMMENT EN EST-ON
ARRIVE LA?
La bureaucratisation du mouvement
ouvrier n'a été, en un sens, qu'une
manifestation de la survie du capi-
talisme dans le prolétariat lui-mê-
me. Elle traduit l'impossibilité où
la classe ouvrière s'est trouvée jus-
qu'ici de se dégager en permanen-
ce de l'influence qu'exercent sur
elle les modèles d'organisation, les
conceptions, les attitudes considé-
rés comme « normaux » dans 'a
société capitaliste ; l'impossibilité
d'assurer de façon permanente !a
gestion de ses propres affaires, de
ses propres luttes. La bureaucra-
tisation a mis en évidence que sa
tendance à se constituer en force
autonome, à se diriger elle-même,
est constamment contre-balancée
par la tendance à accepter une di-
rection séparée, spécialisée, de
même qu'elle est contrainte de l'ac-
cepter dans la production.
Cela ne signifie évidemment pas
que la bureaucratie était inéluctable
ni que la lutte du prolétariat pour
se diriger d'une façon autonome
soit vouée à l'échec. Car le renfor-
cement de la bureaucratie et la
dégénérescence des organisations
ont eu lieu au cours d'un long déve-
loppement historique qui a été lui-
même façonné par la lutte des
classes et non pré-déterminé par
des « nécessités inéluctables ».
La seule nécessité réelle pour que
la lutte pour le socialisme soit
autre chose qu'une utopie c'est
l'existence d'un prolétariat nom-
breux et concentré, ce qui sup-
pose un haut degré de dévelop-
pement des forces de production.
A partir de là — et ces conditions
étaient présentes dans les princi-
paux pays d'Europe dès la fin de
la première guerre mondiale —
c'est la capacité du prolétariat
d'accéder à la conscience révolu-
tionnaire, c'est sa capacité de
« s'auto-diriger », qui devient l'élé-
ment fondamental de la lutte pour
le socialisme. Certes, cette capa-
cité ne peut s'affirmer, se traduire
en actes, qu'en fonction du cadre
social dans lequel il vit et travaille.
Mais aussi une lutte victorieuse ou
vaincue, une expérience positive
ou une révolution avortée, et mê-
me la façon dont l'échec se pro-
duit, peuvent avoir des profondes
conséquences, non seulement sur
la capacité révolutionnaire du pro-
létariat mais sur le cadre même qui
conditionne sa lutte. Ainsi la vic-
toire de la révolution d'octobre 17
en Russie, sa dégénérescence en
régime bureaucratique ont affecté
pour des décennies les conceptions
et les moyens de lutte du mouve-
ment ouvrier : en ouvrant la voie
au pouvoir de la bureaucratie, en
transformant la Russie du Tsar en
la deuxième puissance industrielle
du monde, elles ont bouleversé les
rapports de force mondiaux et
changé l'évolution même de la so-
ciété capitaliste.
Aujourd'hui, les conditions per-
mettant une prise de conscience
révolutionnaire par le prolétariat se
reconstituent sous le capitalisme
moderne, mais elles ne sont plus
celles de la période 17-23, et le
contenu même de cette conscience
ne peut être que beaucoup plus
vaste et profond.
L'opposition prolétariat-bureaucra-
tie qui tend à devenir l'antago-
nisme fondamental de la société
moderne à l'Est et à l'Ouest ne
pouvait pas apparaître comme dé-
terminante pendant la période où la
bureaucratie — économique et po-
litique — était encore en voie de
constitution. Si le prolétariat s'est
déjà heurté à ses appareils « ou-
vriers » au cours de cette période,
il ne pouvait pas encore identifier
comme ennemie une couche so-
ciale dont les fonctions étaient am-
biguës et les contours indécis.
De même, ce qui était tenu pour
un programme de « transition »
vers le socialisme ne pouvait ap-
paraître et être critiqué comme un
programme de capitalisme d'Etat
que dans la mesure où, dans la
société elle-même, le capital pas-
sait aux mains de l'Etat ou se liait
à lui, et où la bureaucratie « ou-
vrière » d'un côté, la bureaucratie
économique de l'autre assumaient
dans les secteurs étatisés des fonc-
tions dirigeantes.
C'est au cours d'une longue mar-
che qui n'a été ni linéaire ni pa-
cifique que le programme a changé
de signification. C'est parce que
cette évolution s'est accomplie au
travers de crises et de guerres, dans
un monde où les périodes d'expan-
sion étaient suivies de périodes de
chômage massif et de misère ex-
trême, où les intérêts privés des
capitalistes se heurtaient non seu-
lement entre eux mais aussi à tou-
tes les tentatives de l'Etat d'impo-
ser une discipline, une réglemen-
tation efficace, bref dans un monde
où capital et propriété privée sem-
blaient être une seule et même
chose et où le capital était syno-
nyme d'anarchie du marché que
l'étatisation de l'économie et la pla-
nification paraissaient des objectifs
spécifiquement révolutionnaires. Et
l'opposition, longtemps irréductible,
de larges couches de la classe
bourgeoise, non seulement à des
mesures de ce type mais encore à
toute extension des fonctions de
l'Etat, ne pouvait qu'ancrer cette
croyance chez les travailleurs. C'est
ce qui explique l'appui accordé par
eux, dans différents pays et à dif-
férentes époques, aux nationalisa-
tions et autres « mesures socia-
les » prises par les gouvernements
de gauche; c'est ce qui explique
leur soutien aux organisations dont
le programme visait, à long ou à
court terme, la liquidation de la
propriété privée capitaliste.
Si ce programme a pu rester
pendant une longue étape celui
du mouvement ouvrier, cela n'a
pas résulté d'une espèce de « pé-
ché originel » dont Marx serait le
coupable et qui aurait faussé le
sens et les objectifs de la lutte. Le
« Marx-théoricien-de-la-bureaucra-
tie » n'est qu'une divagation d'in-
tellectuels en déconfiture théorique.
Le mouvement ouvrier a affirmé dès
le début — et pas seulement sous
la plume de Marx —• que son ob-
jectif était l'abolition du salariat,
la constitution d'une société sans
exploitation, sans Etat et sans clas-
ses où le travailleur dominerait la
production au lieu d'être dominé
par elle.
Mais le contenu du programme
de lutte et de transformaîion révo-
lutionnaire de la société ne pouvait
être formulé qu'en étroite dépen-
dance des conditions concrètes du
développement du capitalisme et
du mouvement ouvrier. Au début
du XXème siècle, la majorité des
organisations ouvrières envisageait
cette transformation comme le triom-
phe du parti prolétarien porté au
pouvoir par les masses et procé-
dant, à partir de là, à une série de
bouleversements dans l'économie
et la société. Pendant une pre-
mière phase de « transition » en-
tre le capitalisme et le socialisme,
il s'agissait de supprimer la pro-
priété privée des moyens de pro-
duciion et de distribution, de pro-
céder à une planification et d'ap-
pliquer un ensemble de mesures
qui, en libérant les capacités créa-
trices des masses, provoqueraient
un accroissement tel de la produc-
tion qu'il serait alors possible de
passer à une étape supérieure.
Cette deuxième phase se caracté-
riserait par la disparition des clas-
ses ,le dépérissement de l'Etat,
l'abondance des produits, la trans-
formation du travail lui-même, qui,
de « moyen de vivre » deviendrait
« première nécessité vitale » per-
mettant l'épanouissement de l'hom-
me. On passerait ainsi du « règne
de la nécessité au règne de la
liberté ».
Certes, le mouvement ouvrier de
cette époque a connu des profon-
des divergences, des scissions. La
social-démocratie réformiste comp-
tait à la fois sur l'action graduelle
et légale des organisations ouvriè-
res et sur une évolution du capita-
lisme amenant de manière pour
ainsi dire mécanique le socialisme
comme un fruit mûr, alors que dans
la réalité quotidienne elle prati-
quait une politique de collabora-
tion de classes et de crétinisme
parlementariste. Les révolutionnaires
marxistes, par contre, comptaient
sur l'action et l'initiative des mas-
ses pour détruire d'un seul coup
par l'insurrection la classe domi-
nante et ses institutions politiques.
Cependant, au-delà de cette prise
violente du pouvoir, les révolution-
naires, pas plus que les réformis-
tes, n'ajoutaient rien au programme
traditionnel.
La première guerre mondiale et
la crise révolutionnaire qui suivit
soumirent le mouvement ouvrier à
sa première grande épreuve.
LA PREMIERE GRANDE
EPREUVE
La faillite du mouvement poli-
tique et syndical réformiste
est alors totale. Il prêche l'Union
Sacrée pour la défense des pa-
tries capitalistes, puis, lorsque les
révolutions de Russie, d'Allema-
gne, de Hongrie, les grèves et
les émeutes dans toute l'Europe
ébranlent le régime bourgeois, il se
met carrément du côté des gou-
vernements.
Cependant, les fractions les plus
avancées de la classe ouvrière rom-
pent avec le réformisme, l'Interna-
tionale Communiste est constituée
en 1919: elle établit comme ob-
jectif immédiat le renversement du
capitalisme et la prise du pouvoir
par le prolétariat en Europe.
En même temps l'action des mas-
ses va bien au-delà du programme
socialiste traditionnel ; elle ne vise
pas seulement à porter un parti
ouvrier au pouvoir et à nationaliser
l'économie. En Russie comme en
Allemagne, en Hongrie comme en
Italie, les travailleurs constituent
sous des formes diverses (soviets,
conseils de fabrique, conseils d'ou-
vriers et de soldats, comités d'usi-
ne) des organismes autonomes.
Pour la première fois dans l'his-
toire du prolétariat les embryons
de leur pouvoir surgissent des mas-
ses elles-mêmes ; pour la première
fois l'action des masses tend à
créer un nouveau type d'Etat fondé
sur le réseau des soviets ou con-
seils et un nouveau mode de ges-
tion collective de la production
fondé sur les comités d'usine.
Mais l'échec de la révolution en
Europe ne permet pas à ces ten-
tatives de se développer. Face à
un capitalisme plus fort et à un
réformisme mieux enraciné qu'on
ne l'avait pensé, l'avant-garde ou-
vrière se trouve rapidement isolés.
La révolution n'est victorieuse
qu'en Russie, pays très arriéré où
la classe ouvrière, quoique concen-
trée dans de grands centres indus-
triels, ne représente qu'une petite
partie de la population. Et cette
révolution elle-même subit bientôt
une grave régression : la remise
en route de la production et la dé-
fense militaire ont comme contre-
partie la création d'un appareil
étatique détaché des masses et
formé par une bureaucratie de plus
en plus nombreuse ; le rôle des
soviets et des comités de fabrique
se transforme ; ils perdent leur ca-
ractère d'organismes de masse et
de pouvoir pour devenir des sim-
ples rouages de transmission. Paral-
lèlement, le parti bolchevik s'intègre
peu à peu à l'appareil d'Etat, avec
lequel il finit par se confondre ; il
commence lui-même à se bureau-
cratiser, à fonctionner comme une
machine administrative. Bientôt,
avec le triomphe du stalinisme, !e
pouvoir de la bureaucratie s'affir-
me nettement, les travailleurs sont
désormais réduits au rôle de sim-
ples exécutants. La bureaucratie
stalinienne élimine les éléments ré-
volutionnaires du parti et de !a
classe ouvrière et, à travers les
plans quinquennaux, renforce sa
puissance en supprimant les cou-
ches sociales encore liées à la pro-
priété privée (propriétaires pay-
sans, petits-bourgeois, commerçants
et artisans des villes).
... ET SES CONSEQUENCES
Sur le plan international, l'im-
mense prestige de la révolution
russe d'une part, l'échec des révo-
lutions en Europe d'autre part, per-
mettent à la bureaucratie « com-
muniste » de Moscou d'exercer un
contrôle total sur les partis de la
Illème Internationale. Dès lors, ces
derniers renoncent à toute réflexion
sur les causes et les effets de
l'échec subi, à toute tentative de
fonder leur politique sur l'expé-
rience propre au prolétariat euro-
péen. Ils se bornent désormais à
reproduire les « analyses » fabri-
quées au Kremlin pour défendre,
sous couvert d'un « marxisme-lé-
ninisme » à la fois figé et déformé,
les besoins de la bureaucratie
russe au pouvoir. Incapables de
saisir la signification historique des
créations de la classe ouvrière au
cours de la période révolutionnairie
qui vient de prendre fin — les so-
viets, les conseils ouvriers —• ils
identifient carrément l'étatisation
au socialisme, la dictature d'un
parti à la dictature du prolétariat.
Les partis communistes stalinisés
vont constituer ainsi — à un degré
non moindre que la vieille social-
démocratie — un des principaux
obstacles au renouvellement de la
pensée et de l'organisation du pro-
létariat. En effet, dans la mesure où
leur attachement à l'URSS et leur
programme d'étatisation les oppo-
sent à la bourgeoisie traditionnelle,
ils conservent une apparence révo-
lutionnaire pour les ouvriers et les
intellectuels qui rompent avec le
réformisme ; mais, en même temps,
cette influence ne fait que stériliser
leur révolte dans une orthodoxie
pétrifiée et une obéissance aveu-
gle aux directives des staliniens.
Face à un prolétariat profondé-
ment divisé et idéologiquement dé-
sarmé, le capitalisme parvient à
surmonter la crise économique des
années 30 et ses graves consé-
quences sociales. En Espagne, la
lutte armée des ouvriers et des
paysans pour instaurer un socia-
lisme fondé sur la gestion collec-
tive de l'industrie et l'agriculture,
se heurte non seulement aux trou-
pes franquistes, mais, dans le camp
« républicain », à l'opposition dé-
terminée de la vieille social-démo-
cratie et du parti communiste sou-
tenu par l'URSS. Ce parti affirme :
« L'heure n'est pas à la révolution
socialiste, mais à la défense de la
République démocratique bourgeoi-
se ». Franco triomphe. En France,
au même moment, la vague gré-
viste de 1936 est stoppée à la fois
par le Gouvernement de Léon Blum
et par le parti communiste qui
déclare par la bouche de Thorez .
•< II faut savoir terminer une grè-
ve ». Les conquêtes de juin 36
sont détruites en 37 et 38 par la
même Chambre qui avait porté le
Front Populaire au pouvoir. En Alle-
magne, le fascisme a triomphé trois
ans plus tôt sans rencontrer de ré-
sistance organisée.
La deuxième guerre mondiale
éclate en 39. L'alliance de l'URSS
avec les puissances occidentales,
conclue en 41. entraîne celle des
par!is communistes avec la social-
démocratie et la bourgeoisie. Les
hostilités terminées, cette alliance
suffit, en dépit de la misère régnant
en Europe, à étouffer toute tenta-
tive de subversion. Sous le drapeau
des nationalisations et autres me-
sures dites socialisantes, les tra-
vailleurs sont invités à « retrousser
les manches », à « produire »
pour reconstruire l'économie capi-
taliste. En France c'est le gouver-
nement de Gaulle-Thorez-Bidault.
(suite page 3)
CAPITALISME ET SOCIALISME
L'exploitation et l'insécurité de
l'emploi caractérisent la situation
des travailleurs dans les pays in-
dustriels avancés. Certes, toute le
monde mange a. sa faim. Mais le
relèvement du niveau de vie s'est ac-
compli dans une société en plein
développement. Cela veut dire que
par rapport à la richesse globale
produite le niveau de vie des tra-
vailleurs n'est pas plus élevé qu'il
y a trente ans : la part du produit
social que la classe travailleuse re-
çoit sous forme de salaire et d'avan-
tages sociaux pour « entretenir e.t re-
produire sa force de travail » n'est
pas plus grande actuellement.
L'écart entre la valeur produite par
le travailleur et la valeur que con-
tient son salaire ne diminue pas, au
contraire : l'accroissement de la
productivité du travail est si consi-
dérable que cet écart tend même à
augmenter, et avec lui l'exploita-
tion.
Mais surtout, la lente élévation
du niveau de vie depuis vingt ans
n'est pas le résultat automatique de
l'augmentation de la production et
de l'accroissement de la producti-
vité. Il ne s'agit pas d'un « phéno-
mène économique » indépendant de
la lutte des classes. Elle découle
avant tout de la résistance obstinée
de la lutte incessante des travail-
leurs au cours de ces deux décades.
D'autre part, l'élévation du niveau
de vie n'est ni uniforme ni conti-
nue. Ce niveau reste très bas pour
des couches importantes de la popu-
lation ; l'augmentation du pouvoir
d'achat, sévèrement contrôlée par
l'Etat, subit des arrêts, des contre-
coups ; l'insécurité de l'emploi,
provoquée aussi bien par les réces-
sions temporaires que par l'automa-
tisation, la concentration des entre-
prises plonge périodiquement des
milliers de salariés de telle ou telle
branche dans des conditions d'exis-
tence précaires.
Dans les grands pays industriels,
depuis quinze ou vingt ans, le ca-
pitalisme a été capable d'assurer
aux travailleurs un niveau de con-
sommation jamais atteint dans le
passé. Mais ce n'est qu'au prix
d'une intensification de l'exploita-
tion que le capitalisme a pu con-
sentir un tel niveau de consom-
mation, c'est-à-dire en amplifiant
l'esclavage industriel qui constitue
la base même du système.
En effet, le capitalisme, ce régi-
me plus que tout autre dans l'his-
toire a placé le travail au centre
des activités humaines, dénie au
travailleur toute possibilité d'ini-
tiative, de décision en ce qui con-
cerne les conditions et la durée, la
nature et les buts de son activité
productive. Il lui dénie tout pou-
voir sur le produit comme sur les
instruments de production. Il tente
consciemment de le réduire à l'état
de robot.
L'ouvrier ou l'employé ne travail-
lent que pour gagner leur vie : dès
que la journée commence, les huit
ou neuf heures qu'ils vont passer
dans « la boite •• se dressent
devant eux comme un mur d'ennui
et de fatigue ; ils n'ont le senti-
ment de commencer « à vivre »
que lorsqu'ils quittent l'usine ou
le bureau. De ce fait, le travail re-
prif lente une mutilfltion perma-
nente de leurs capacités, un gas-
pillage continu de leurs forces créa-
trices.
D:ms les pays industriels avan-
ces, le socialisme doit puiser ses
raisons dans la situation réelle du
travailleur dans la société moder-
ne, et avant tout dans la produc-
tion. Il a pour but de supprimer
l'esclavage industriel. Et il ne peut
le faire qu'en détruisant la ra-
cine même du système actuel : les
rapports de production capita-
listes.
RAPPORTS DE PRODUCTION
ET FORMES DE PROPRIETE
Les rapports de production capi-
talistes sont les rapports que les
hommes établissent entre eux dans
la production quotidienne des ob-
jets et des services qui assurent
leur vie matérielle. Ce sont donc
des rapports sociaux, des rapports
entre classes.
Dans le rapport qui s'établit en-
tre l'employeur et le salarié, les
positions des deux parties sont ab-
solument différentes. Cette diffé-
rence découle de leur relation dif-
férente avec les moyens de pro-
duction. Tandis que l'employeur
possède (directement ou indirec-
tement) ces moyens, les travailleur
ne possède que sa force de tra-
vail. Il échange donc sa force de
travail < comptée en heures de tra-
vail ) contre un salaire qui lui per-
met de se procurer de quoi vivre.
La valeur qu'il ajoute au produit
en le transformant par son tra-
vail — la plus-value — est acca-
parée par l'employeur, qui décide
ensuite de sa répartition entre sa
consommation personnelle, l'inves-
tissement, etc. Basé sur le salariat,
le rapport capitaliste de produc-
tion et un rapport d'exploitation.
Mais ces rapports présentent
aussi un autre aspect : l'employeur
et se représentants détiennent le
monopole de l'organisation et de
la gestion de l'activité productive,
les travailleurs n'étant que des sim-
ples exécutants. Cela signifie qu'au
cours de cette activité, le travail-
leur est étroitement soumis aux be-
soins de la production, qu'il est
considéré comme un simple appen-
dice de la machine, que son rythme
et- travail, ses gestes, ses horaires,
o.f: même que son embauchage et
son licenciement, sont directement
subordonnés aux nécessités du com-
plexe productif. De ce point de
vue. pour l'employeur, pour le di-
rigeant do l'entreprise, le travail-
leur n'est pas un homme.
L'oppression, la mutilation quoti-
diennes que subit le travailleur ne
découlent pas d'un « maléfice » qui
serait inhérent à « l'univers mécani-
que ». Non, les machines ne sont
pas responsables. La condition ac-
tuelle du travailleur découle direc-
tement des rapports établis entre
les deux classes sociales qui partici-
pent à l'activité productive, rapports
que la classe dirigeante justifie et
défend avec tout un arsenal de lois
et d'institutions politiques et ré-
pressives.
Or, ce type de relations ne dispa-
rait pas par un simple changement
de la forme de la propriété. En de-
venant propriété de l'Etat — com-
me en U.R.S.S. et dans les autres
pays dits socialistes — les moyens
de production ne deviennent pas
forcément propriété des travailleurs,
l'exploitation, le salariat ne dispa-
raissent pas automatiquement, l'op-
pression dans le travail, la subordi-
nation de l'homme à la machine ne
•los pas nécessairement supprimées.
En l'ait, l'image que ces pays of-
frent actuellement est la suivante :
1 ) Les moyens de production ap-
partiennent à l'Etat.
2i L'Etat appartient en fait, sinon
•in droit, à une bureaucratie écono-
( suite page 4)
Prolétariat et Bureaucratie
(suite de la page 2)
La dégénérescence de l'avant-
garde constituée en 1919 était
complètement achevée : non seule-
ment en URSS le parti ex-bolchevik
n'était plus que le représentant de
la bureaucratie, mais dans plusieurs
pays d'Occident les partis com-
munistes se trouvaient au pouvoir
avec les représentants du capital.
Ces partis n'étaient désormais
séparés de la social-démocratie que
par leur attachement au régime
russe et aux méthodes du stalinis-
me. Bientôt cependant, avec la mort
de Staline et la montée du khrouch-
tchévisme, cet attachement lui-mê-
me commençait à se relâcher. Et la
crise provoquée par le schisme
chinois a fini par placer les partis
communistes devant la nécessite
de déterminer eux-mêmes leur po-
litique ; la tendance profonde de la
majorité des cadres dirigeants dans
chaque pays à mieux s adapter aux
« intérêts nationaux » se trouve
ainsi libérée du carcan longtemps
imposé par Moscou ; il en résultera
sans doute un rapprochement en-
core plus net avec les partis réfor-
mistes.
M est impossible, et il serait vain
de décider aujourd'hui si cette
étape du mouvement ouvrier était
« inévitable ou pas ». L'histoire n'est
pas un film en bobines qu'il suffit
de dérouler, mais le produit de
l'action des hommes.
Les tentatives d'autogestion, la
constitution de soviets et conseils,
de comités d'usine en 17, en 18-23
puis en 36-37, prouvent qu'au cours
même de cette étape la classe ou-
vrière a essayé de donner un
contenu nouveau au socialisme cha-
que fois qu'elle est parvenue à se-
couer la domination capitaliste. Ses
fractions les plus avancées ont
montré ainsi— et chaque fois con-
tre les anciennes organisations
constituées — que la révolution
ne pouvait plus se limiter à une
« prise du pouvoir » mais devait
être avant tout la suppression ra-
dicale et immédiate du rapport ca-
pitaliste -à sa racine, c'est-à-dire
dans la production, à l'entreprise,
et que ce rapport ne pouvait être
supprimé que par la gestion ou-
vrière.
LA BUREAUCRATISATION
DU CAPITALISME ET
L'EXPERIENCE PROLETARIENNE
Cependant, l'échec de ces ten-
tatives et la bureaucratisation du
mouvement ouvrier qui est allée en
s'aggravant ont permis au capita-
lisme non seulement de survivre
mais de se transformer profondé-
ment.
Dans les grands pays industriels
d'Occident, la concentration des for-
ces de production s'est poursuivie,
dépassant la phase des monopoles.
Concentration et développement
technique ont entraîné des inves-
tissements toujours plus grands, qui
appelaient l'intervention de l'Etat.
Le secteur économique géré par
celui-ci — entreprises nationalisées,
entreprises mixtes, participations,
etc. — s'est considérablement éten-
du, en même temps que se déve-
loppait son intervention indirecte
par le canal des aides, des sub-
ventions et des crédits, ainsi que
des commandes passées aux en-
treprises. La planification de l'^éco-
nomie — même à titre indicatif —
accroît encore ses pouvoirs, qui
couvrent maintenant, en pratique,
les domaines de l'emploi, des ho-
raires de travail, du logement, et
de la consommation de la classe
travailleuse, et s'étendent progres-
sivement à toutes les activités so-
ciales. De simple instrument de
coercition, I Etat devient le pivot
de la vie économique et tend à se
transformer en instrument de ges-
tion des forces de production par la
classe dominante. Mais cette classe
elle-même n'est plus celle des an-
nées d'avant-guerre.
A l'entreprise, le capital est de
moins en moins personifié par un
patron ; il est représenté par la
couche bureaucratique chargée de
diriger et de contrôler le travail, par
la bureaucratie économique. Sans
même parler du secteur public, où
est aujourd'hui « le patron » chez
Bull, chez Citroën ou à la compa-
gnie Péchiney ? Qui est le patron
d'Usinor, d'Ugine, de Saint-Gobain?
De moins en moins les travailleurs
se trouvent en face d'un patron se-
condé par quelques chefs ; c'est à
tout un réseau de dirigeants, de
bureaucrates organisateurs, d'une
part, et à l'Etat d'autre part, qu'ils
ont affaire.
Au sein de l'entreprise, la bu-
reaucratie économique remplit les
fonctions d'une classe dominante ;
elle est perçue par les travailleurs
comme le « patron collectif ».
Quant à l'Etat, l'extension de sa
gestion économique directe non
seulement ne supprime pas l'ex-
ploitation, comme le prétendait le
vieux programme socialiste, mais
elle fait de cet Etat aussi — c'est-
à-dire de la bureaucratie qui le di-
rige en fait — un « patron collec-
tif » ; et le contrôle qu'il exerce
dans tous les domaines de la vie
dévoile, à mesure qu'il croît, son
but réel : garantir le système d'ex-
ploitation. Sur ce rôle actuel de
l'Etat les travailleurs du secteur
public n'ont certes plus rien à ap-
prendre, mais ce sont maintenant
tous les travailleurs qui le perçoi-
vent de plus en plus clairement : et
non seulement en tant que produc-
teurs et salariés, mais aussi en tant
que consommateurs, chefs de fa-
mille, locataires, malades, usagers
des transports, téléspectateurs, va-
canciers, etc.
La transformation du capitalisme
— sa « bureaucratisation » — est
restée voilée à ses débuts ; l'étati-
sation a pu conserver un caractère
anu-capitalisîe, ei même révolution-
naire. Nous sommes aujourd hui en
pleine bureaucratisation, et, sous
une forme ou sous une autre, à
un rythme plus ou moins rapide,
elle ne peut que se poursuivre. La
signification sociale de cete trans-
formation apparaît au grand jour.
Pour déceler le rôle véritable de
la ccuche sociale qui incarne le
développement <> bureaucratique »
du capitalisme, les raisonnements
et les analyses théoriques sont
presque superflus : la bureaucratie
est devenue pour les travailleurs
un ennemi en chair et en os.
Peut-on dire la même chose de
la bureaucratie <- ouvrière », syndi-
cale et politique ?
Il est vrai que les travailleurs
n'ont pas rompu avec les partis et
les organisations syndicales qu'el-
le contrôle. En' particulier, ils con-
tinuent d'utiliser le canal des syn-
dicats pour défendre leurs intérêts
immédiats. C est que les travailleurs
ne peuvent pas attendre. Ils sont
forcés de réagir quotidiennement
contre l'exploitation et l'asservisse-
ment dans le travail. Et ils n'ont
actuellement d'autres instruments
a leur disposition.
Mais si les ouvriers et les em-
ployés votent pour telle ou telle
centrale aux élections de délégués,
ils répugnent à prendre la carte, et
même inscrits ils participent rare-
ment aux assemblées syndicales.
•< Manque de conscience de clas-
se ». disent les syndicalistes. Mais
quelle est l'influence réelle des as-
semblées syndicales de base sur
l'orientation de la centrale ? ou
même sur les mouvements revendi-
catifs ? Au moins une fois sur
deù.*,, n'est-ce pas par les journaux
qu'on apprend qu'une grève est
envisagée ?
Quant aux partis — •< socialis
tes ». « communistes » — en dépit
de leur dégénérescence, de leur
intégration plus ou moins poussée
aux institutions capitalistes, il est
vrai qu'ils apparaissent encore à 'a
majorité des travailleurs comme 'e
seul contrepoids aux formes les plus
sévères d'oppression et de discri-
mination, comme les seules forces
d'opposition à la dictature du ca-
pital. Mais leur appui à ces partis
se manifeste essentiellement sur le
plan électoral ; ils ne considèrent
plus ces organisations comme leurs
propres créations ; pour eux, c'est
quelque chose d'extérieur. Et quand
us y militent, c est bien souvent
comme <• un moindre ma! », « par-
ce qu'il n'y a pas autre chose ».
Aux yeux de l'immense majorité
de travailleurs, partis et syndicats
actuels sont des organismes sur
lesquels ils n'ont le moindre pou-
voir.
Cette attitude de la plus grande
partie de la classe ouvrière est le
fruit logique du rôle que les appa-
reils politiquea et syndicaux ont joué
depuis de longues années. En ef-
fet, chaque fois que la lutte ou-
vrière tend à mettre en péril 'a
stabilité du système, risque de
créer une situation de crise so-
ciale aiguë, elle rencontre l'oppo-
sition — ouverte ou larvée — des
états-majors des partis et des syn-
dicats. En France, de la grève Re-
nault en 47 à la grève des mineurs
en 63, l'histoi'e des luttes ouvrières
depuis la Libération est celle des
mouvements sabotés, fractionnés et
finalement étouffés par la bureau-
cratie syndicale et politique.
Cependant, pour cette bureaucra-
tie, les possibilités de manœuvre
vont en s'amenuisant. Non qu'elle
n'ait pas l'expérience et le talent
nécessaires. Mais c'est qu'elle se
trouve dans une situation contradic-
toire.
La classe dominante, qui offre
maintenant aux appareils « ou-
vriers » une place stable dans le
système, compte sur eux pour faire
accepter aux travailleurs leur as-
ssrvissement définitif en échange
d'une augmentation contrôlée de
leur niveau de vie. Toutefois, cette
augmentation est loin d'être auto-
matique : le niveau des salaires
reste soumis aux nécessités de la
concurrence, nationale et interna-
tionale, qui exige que chaque en-
treprise ait des prix de revient com-
pétitifs : les possibilités réelles de
consommation sont également limi-
tées par les licenciements, les dé-
classements, les transferts que la
modernisation et la concentration
provoquent ; elles le sont encore
par les besoins de l'Etat qui accroît
sans cesse ses dépenses et, par
des procédés divers, en fait suppor-
ter le poids à la population travail-
leuse.
Ainsi, la contrepartie offerte par
les dirigeants capitalistes — la
consommation — n'est ni « suffi-
sante » ni garantie ; elle apparaît
même comme dérisoire si on la
compare à l'augmentation continue
de la productivité du travail et à
l'extraordinaire accroissement des
richesses produites.
Dans le domaine des salaires, du
niveau de vie, l'opposition entre la
classe prolétarienne et la classe
dirigeante demeure irréductible.
Or, si la bureaucratie « ouvrière »
est capaole d exercer une certaine
pression sur les patrons et l'Etat
dans ce domaine, elle ne peut dé-
sormais le faire que dans des limi-
tes très étroites : en pratique, elle
ne peut avancer d'autres revendi-
cations que celles compatibles avec
l expansion de I économie capita-
liste, ni d'autres méthodes de lutte
que celles strictement admises par
la légalité bourgeoise. Il lui est donc
de plus en plus difficile, même sur
ce .erram, d'apparaître comme le
dé,enseur inconditionnel et efficace
des intérêts de la classe ouvrière.
Mais c est dans le domaine du
travail lui-même que sa position,
dujourd nui inconfortable, peut de-
venir demain intenable. Car révo-
lution de la société industrielle
pousse les travailleurs à étendre
leurs revendications à tous les as-
pects de leur activité salariée : ho-
raires, conditions, emploi, etc. Et ce
mouvement de riposte à l'asservis-
sement qui leur est imposé tend à
les amener finalement à poser la
question de l'organisation même de
I entreprise, c'est-à-dire le problème
ce ia gestion.
A la longue, la bureaucratie « ou-
vrière » ne pourra pas se con-
tenter de réclamer seulement une
augmentation du niveau de vie si
elle veut conserver quelque in-
iluer.ce sur les travailleurs. Elle de-
vrait répondre, ne serait-ce qu'en
parue, aux revendications nouvel-
les qui peu à peu se font jour. Mais,
ce faisant, elle risquerait de se
heurter non seulement aux direc-
tions des entreprises mais à l'Etat;
elle cerait amenée à poser la ques-
tion des structures économiques et
sociales, et linalement la question
de la gestion. Il est vrai qu à ce
problème elle propose une solu-
tion : la nationalisation. Mais cette
solution, qui rejoint, quant au fond,
les conceptions défendues par les
groupes les plus conscients de la
bureaucrate économique capita-
liste, n'est qu'une fausse réponse ;
elle ne peut pas être acceptée
par les travailleurs dont un bon
nombre fait depuis des années
l'expérience de I Etat-patron et qui,
en tout cas, ne sont pas prêts à
se battre pour un tel objectif.
Si les revendications dans le do-
maine du travail s'étendent et se
radicalisent, si les actions dans
cette direction s'intensifient, les
conflits entre la base et les appa-
reils bureaucratiques « ouvriers »
ne pourront que se généraliser et
s'approfondir. Des conditions con-
crètes seront ainsi créées permet-
tant aux travailleurs non seulement
de prendre pleinement conscience
du rôle actuel joué par ces appa-
rei's. mais aussi de développer des
initiatives fécondes en ce qui con-
cerne les buts et l'organisation des
luttes du prolétariat.
CAPITALISME ET SOCIALISME
(Suite de la page 3)
mique et politique qui détient les
fonctions dirigeantes.
3) La classe travailleuse ne pos-
sède rien d'autre que sa force de
travail.
4) Elle échange cette force de
travail contre un salaire, payé par
le possesseur des moyens de pro-
duction, l'Etat, c'est-à-dire la bu-
reaucratie.
5) La bureaucratie dispose de la
plus-value produite par les travail-
leurs, décide de sa répartition sui-
vant une planification qu'elle a
elle-même établie, fixe le niveau des
salaires, etc.
6) La situation du producteur a
l'usine ou au bureau vis-à-vis de
son travail, du produit, de la direc-
tion, des systèmes de rémunération,
est Identique à celle du producteur
des pays capitalistes classiques.
La forme de la propriété — pri-
vée ou étatique — ne change donc
rien aux rapports de production
eux-mêmes. Il peut y avoir des rap-
ports de production de type capita-
liste aussi bien avec propriété
privée qu'avec propriété étatique.
QU'EST-CE QUE
LE SOCIALISME ?
Le socialisme c'est avant tout la
suppression de l'exploitation, l'abo-
lition du salariat, la subordination
de la production aux besoins de
l'homme, l'autodétermination par
les travailleurs de la nature et des
buts de la production, de la durée
et des conditions de leur travail.
Supprimer l'exploitation ne signi-
fie pas supprimer le surproduit —
donner à chacun la totalité de ce
qu'il produit — mais supprimer l'ap-
propriation de ce surproduit par
une minorité privilégiée monopoli-
sant les fonctions dirigeantes.
Abolir le salariat ne signifie pas
puiser librement dans la masse des
richesses produites, mais ne plus
être obligé de se vendre — à un
patron ou à l'Etat — pour avoir de
quoi vivre, cesser d'être une mar-
chandise qu'on achète.
Subordonner la production aux
besoins de l'homme signifie cesser
d'être un appendice de la machine,
une pièce qu'on rejette après usure.
Déterminer la nature et les buts
de la production, la durée et les
conditions du travail signifie parti-
ciper consciemment à l'activité pro-
ductive, participer à la gestion col-
lective de la production.
La gestion de la production par
les travailleurs est la pierre angu-
laire du socialisme.
Parce qu'elle vise le fondement
même de la condition prolétarienne,
la gestion de la production par les
travailleurs donne au socialisme un
contenu réel, immédiat, non utopi-
que. Le socialisme cesse d'appa-
raître comme une société où, les
patrons n'existant plus, « le bon-
heur » serait assuré en quelque
sorte par définition — et l'on sait
qu'en U.R.S.S. tout comme en
France « le bonheur » est mesuré
aux kilos de beurre et aux postes
de télévision consommables. Le
socialisme apparaît comme l'abou-
tissement de la lutte des travail-
leurs contre l'esclavage industriel
et contre la classe dirigeante qui
veut le maintenir.
Dès aujourd'hui, en effet, la ré-
sistance des travailleurs à l'exploi-
tation tend à se transformer en
lutte contre l'esclavage industriel,
contre l'organisation capitaliste de
la production; les travailleurs soulè-
vent ainsi, même s'ils n'en sont pas
actuellement conscients, des problè-
mes d'un type nouveau, problèmes
que seule une gestion de la pro-
duction par les producteurs eux-
mêmes serait capable de résoudre.
La lutte contre l'organisation ca-
pitaliste de la production n'est cer-
tes pas « une nouveauté ». Elle
existe depuis un siècle. Mais dans
les conditions du capitalisme mo-
derne, les revendications concer-
nant les rythmes et les conditions
de travail, les horaires imposés, les
déclasements, les transferts, les li-
cenciements — c'est-à-dire les re-
vendications portant directement
sur la condition d'objet, de robot,
à laquelle le capital veut réduire
le travailleur — prennent une in-
tensité croissante, apparaissent de
plus en plus souvent dans les lut-
tes, et d'autant plus souvent que
l'appareil productif se concentre
davantage.
Ce qui est important du point
de vue du socialisme, ce n'est pas
que ce type de revendication rem-
place les revendications visant à
l'augmentation des salaires, du ni-
veau de vie. Les luttes pour des
meilleurs salaires conservent toute
leur signification .Si l'on se place,
en effet, sur le terrain de la classe
et non sur celui des individus, il
n'y a aucune espèce d' « embour-
geoisement » à réclamer 10 centi-
mes de plus de l'heure, et plus
généralement à réclamer une part
plus grande de la richesse pro-
duite. Seuls des sectaires impéni-
tents ou des intellectuels « déçus »
(jouissant eux-mêmes la plupart du
temps de confortables revenus)
peuvent y trouver à redire. Ce qui
est important c'est que la lutte
contre l'organisation capitaliste de
la production, en se combinant
justement avec la lutte pour les sa-
laires, tend à former un tout por-
tant sur tous les aspects de l'op-
pression capitaliste, et doit se heur-
ter inévitablement à la politique
unitaire, planificatrice de la classe
dominante et de son Etat.
Ni la situation qui est faite à la
classe travailleuse dans la produc-
tion, ni même la volonté de cette
classe de se libérer ne suffisent à
montrer qu'il est possible d'instau-
rer et de maintenir une société so-
cialiste. Pour être autre chose
qu'une utopie, le socialisme doit ap-
paraitre comme la seule solution
positive à la crise du monde moder-
ne, doit constituer le seul modèle
d'organisation des activités produc-
tives et sociales permettant à l'hu-
manité de franchir le dangereux
carrefour actuel et d'aborder une
phase nouvelle et décisive de son
histoire.
C'est parce que le monopole exer-
cé sur la gestion par une minorité
privilégiées entrave le libre essor
des capacités productives, techni-
ques et humaines que l'organisation
de l'activité productive par tous les
travailleurs, la suppression de la
division entre appareil de direction
et masse d'exécution, l'adhésion
consciente des producteurs à leur
travail, apparaissent comme des
bouleversements à la fois positifs et
réalisables, et seuls capables de
mettre fin aux contradictions du
système actuel.
La gestion capitaliste de l'entre-
prise, en effet, n'entraine pas seule-
ment l'exploitation du travailleur et
sa subordination aux besoins du
complexe productif. Elle est, com-
me nous l'avons déjà montré, la
source d'un conflit permanent, car
elle suscite la résistance continuelle,
ouverte ou larvée, des producteurs
aux conditions de la production.
Alors que la direction doit sans
cesse pousser à l'accélération du
travail, à l'accroissement du rende-
ment, le travailleur s'oppose quoti-
diennement à cette tentative ; alors
que la direction essaie constam-
ment de transformer les travail-
leurs en une poussière d'unités en-
gagées dans un processus de pro-
duction dont les tâches sont pour-
tant toujours plus interdépendantes,
alors qu'elle prétend ne traiter
qu'avec des individus, les travail-
leurs refusent de s'ignorer les uns
les autres, résistent à cette atomi-
sation et tentent de récréer une
collectivité pour s'entraider dans le
travail et pour mieux se défendre.
De ce heurt continuel, de cette
lutte de classes permanente, dé-
coule un gaspillage immense, une
perte incroyable de travail.
L'une des formes les plus appa-
rentes de ce gaspillages réside dans
le développement monstrueux de
l'appareil de direction de l'en-
treprise. Puisqu'on a morcelle à
l'extrême les tâches, atomisé les
producteurs, dénié au travailleur
toute initiative en le réduisant à
la fonction de simple exécutant,
il faut que ces tâches soient non
seulement très exactement pré-
vues d'avance, mais définies et
mesurées avec une grande préci-
sion et minutieusement coordon-
nées aux différentes étapes et aux
divers échelons par un organisme
spécifique, séparé. Cet organisme
doit, en outre, instaurer un con-
trôle permanent tout le long du
processus de production, en mê-
me temps qu'une information in-
interrompue concernant le cours
de cette production. La création
d'un tel appareil qui prétend faire
tout par lui-même, non seulement
sans les exécutants mais contre
eux, exige naturellement l'emploi
d'un nombre considérable de per-
sonnes, de spécialistes, d'organisa-
teurs, de contrôleurs de toute
sorte. A leur tour, ces gens ont
besoin d'aide, de personnel auxi-
liaire. L'appareil se gonfle, en son
sein même apparaissent aussi des
rapports direction-exécution, nais-
sent et éclatent des conflits. Mais
surtout, face à l'indifférence ou à
la résistance de l'exécutant, le
contrôle, c'est-à-dire ta coercition,
devient la fonction principale de
l'appareil de direction. C'est ainsi
que, même sans compter les ser-
vices directement liés à l'existence
du marché (services commerciaux,
publicité, etc. ). l'activité d'une
bonne partie des « bureaux »
d'une grande entreprise moderne
n'est nullement justifiée par la
technicité et la complexité des opé-
rations, mais découle directement
du caractère capitaliste de la ges-
lons.
Il est vrai que l'appareil de di-
rection arrive tant bien que mal
à assurer le fonctionnement de
l'entreprise : c'est au prix non
seulement de la déshumanisation
totale du travail, mais encore d'une
perte incroyable d'énergie, soit
parce que celle-ci n'est pas utili-
sée soit parce qu'elle l'est pour
des tâches parasitaires ou coerci-
tives.
Or, ce qui se passe à l'échelle
d'une entreprise, se retrouve dans
le système tout entier, et en par-
ticulier au niveau de l'Etat
La croissance régulière de l'ap-
pareil d'Etat découle, certes, pour
une bonne partie, de la nécessité
d'assurer sans heurts le fonction-
nement des secteurs et de servi-
ces indispensables à l'économie ;
elle correspond aux fonctions de
plus en plus étendues que l'Etat
remplit dans tous les domaines.
Mais l'hypertrophie de cet appa-
reil, le gonflement monstrueux de
ses services, leur prolifération ten-
taculaire expriment aussi un be-
soin vital pour la classe dominante:
le besoin de contrôler étroitement
toutes les activités de la popula-
tion, et en particulier celles de la
classe travailleuse.
A ce niveau aussi l'appareil de
direction arrive tant bien que mal à
coordonner le fonctionnement de
l'économie et des institutions. Mais
là encore c'est au prix d'un im-
mense gaspillage de travail humain,
d'une contrainte tatillonne et étouf-
fante, du renforcement d'une hié-
rarchie compliquée d'emplois et de
fonctions, d'un morcellement des
tâches qui engendrent indifférence
et irresponsabilité à tous les éche-
-ons.
Le système capitaliste ne se limite
pas à gaspiller le travail humain :
en l'asservissant aux buts de la
classe dominante, il le retourne
contre l'homme lui-même.
Certes, on ne peut plus écrire au-
jourd'hui, comme Trotsky le fai-
sait en 1938 : « Les forces produc-
tives de l'humanité ont cessé de
croître. Les nouvelles inventions et
les nouveaux progrès techniques ne
conduisent plus à un accroissement
de la richesse matérielle. »
Mais l'abîme entre ce que les
moyens de production, la technique
et el savoir permettraient de réali-
ser dans le cadre d'une société so-
cialiste et ce que l'organisation capi-
taliste permet d'obtenir, n'a fait
que s'approfondir.
Il ne s'agit pas simplement des
quantités d'objets produites. Ce
n'est pas parce qu'il est insuffi-
samment productif que le système
actuel est appelé à disparaître, mais
parce qu'il est capitaliste. La diffé-
rence entre capitalisme et socialis-
me n'est pas seulement quantita-
tive, elle est avant tout qualitative.
Il est vrai que, appliqués dans le
cadre actuel, les découvertes et les
procédés techniques ne peuvent pas
donner les résultats théoriquement
possibles. Mais l'essentiel reste que
ces découvertes et ces procédés
(Suite page 6)
( 1 ) « Programme de transition ».
Ed. La Vérité, p. 7.
1. — L'évolution du capitalis-
me moderne montre que la clas-
se dominante n'arrive pas à
maîtriser le développement des
forces de production et qu'elle
ne peut pas parvenir graduelle-
ment à une unification et à une
planification mondiales.
Le capitalisme monopoliste
d'Etat, pas plus que le capita-
lisme concurrentiel ou que le
capitalisme des monopoles, n'est
capable de surmonter le con-
flit entre le développement des
forces productives et les rap-
ports de production capitalis-
tes, c'est-à-dire les rapports
qui fondent la nature de classe
de la société moderne.
Dans la phase du capitalisme
monopoliste d'Etat, ce conflit
se manifeste par des contradic-
tions au niveau de la classe do-
minante, au niveau de la pro-
duction et dans les rapports
entre pays développés et Tiers
Monde. Ces contradictions ten-
dent objectivement à provoquer
une intensification de la lutte
de classe du prolétariat et de
la lutte des masses exploitées
du Tiers Monde ; ces luttes se-
ront un. des facteurs détermi-
nants des nouveaux déséquili-
bres vers lesquels s'achemine la
société capitaliste.
a) L'intensification de l'ex-
ploitation du travail, condition
de la poursuite de l'expansion,
suscite et suscitera encore da-
vantage dans les années à venir
des luttes de classe s'opposant à
cette intensification et tendant
à la freiner. Dans le cadre de
la concurrence, la seule répon-
se pour les capitalistes est d'ac-
célérer encore le processus de
rationalisation, de concentra-
tion, d'accroissement de la pro-
ductivité du travail — et donc
d'augmentation du capital fixe
Plateforme politique de Pouvoir Ouvrier
— processus dont les conséquen-
ces sociales ne pourront que
renforcer la résistance des tra-
vailleurs.
Les revendications sur les sa-
laires expriment la tendance
du prolétariat à s'opposer à
l'exploitation. En période d'ex-
pansion, le capitalisme peut
faire des concessions sur les sa-
laires, mais, dans les condi-
tions de la concurrence, l'aug-
mentation du niveau de vie ne
peut être uniforme ni continue;
de toutes façons, les capitalistes
sont forcés de compenser les
augmentations de salaires par
un accroissement de la produc-
tivité du travail qui, dans l'en-
semble, se traduit par une dé-
térioration du sort des travail-
leurs au cours du processus
productif : conditions de tra-
vail, horaires, déclassements,
transferts, licenciements, etc.
C'est ainsi que l'expansion crée
elle-même les conditions pour
que l'axe des luttes se déplace
vers les conditions mêmes de
l'activité productive. A mesure
que les contradictions du capi-
talisme dans sa nouvelle phase
revêtiront une plus grande in-
tensité, à mesure que se déve-
lopperont leurs conséquences
sociales au niveau de la produc-
tion, les revendications sur le
salaire et les revendications sur
le travail tendront à former un
tout portant sur tous les as-
pects de la domination capita-
liste ; les revendications se
heurteront de façon encre plus
nette aux besoins de la classe
dominante et de l'Etat. Ces lut-
tes revendicatives, qui consti-
tueront un des éléments déter-
minants de l'aggravation des
déséquilibres vers lesquels s'a-
chemine le capitalisme mon-
dial, poseront alors, si elles s'ap-
profondissent, le problème des
structures économiques et so-
ciales et, par là même, celui du
rôle de l'Etat. C'est au cours de
ces luttes que les conditions ap-
paraîtront pour la formation du
parti révolutionnaire, car la
pratique des travailleurs se
heurtera sur une large échelle
aux partis et aux organisations
traditionnels.
b) Le développement de l'in-
tervention de l'Etat dans l'éco-
nomie entraînerait à la longue
sa transformation en un « capi-
taliste collectif idéal ». Cela si-
gnifierait une transformation
radicale de la classe dominante
actuelle. Or, l'Etat est organi-
quement lié à cette classe. Une
telle transformation ne pour-
rait avoir lieu qu'au prix de
crises sociales et politiques gé-
nératrices de graves déséquili-
bres dans l'économie. Mais la
poursuite de l'expansion sans
cette intervention de plus en
plus importante de l'Etat appa-
raît également comme étant im-
possible, et d'autant plus im-
possible que les antagonismes
concurrentiels entre les diffé-
rents pays avancés subsistent et
semblent même se renforcer.
c) La politique impérialiste
des grandes puissances a pour
effet d'augmenter l'écart entre
le Tiers Monde et les pays avan-
cés. L'exploitation des masses
du Tiers Monde par l'impéria-
lisme fournit aux nations in-
dustrialisées une partie de la
plus-value nécessaire à la pour-
suite de l'expansion. Mais la
résistance que, sous des formes
diverses, les masses exploitées
opposent à l'impérialisme tend
à rétrécir cette source de plus-
value. Dans la mesure où elle
suscite ou renforce la résistan-
ce et même la révolte des mas-
ses, la politique impérialiste
crée objectivement des obsta-
cles à l'expansion des pays
avancés.
Dans les principaux pays
sous-développés du monde — y
compris la Chine — les luttes
de classes entrent progressive-
ment dans une nouvelle phase.
Dans les pays qui ont accédé à
l'indépendance politique au
cours des dernières décades, les
contradictions des classes que
la lutte pour l'indépendance
avait masquées se découvrent
peu à peu.
Les niasses ouvrières et pay-
sannes font l'expérience aussi
bien de régimes de type bour-
geois ou pseudo-bourgeois plus
ou moins dominés par l'impé-
rialisme que de régimes bureau-
cratiques dits anti-impérialis-
tes. Dans les uns comme dans
les autres, elles sont soumises
à une intense exploitation par
les classes dirigeantes locales
— déjà constituées ou en voie
de consolidation. C'est ainsi que
mûrissent les conditions d'une
nouvelle étape au cours de la-
quelle les mouvements et l'or-
ganisation des masses exploi-
tées des principaux pays du
Tiers Monde se situeront à un
niveau qui leur permettra — si
le prolétariat des pays avancés
s'est à son tour engagé dans
un processus de reconstitution
du mouvement politique révolu-
tionnaire — d'être reconnus par
les travailleurs des zones déve-
loppées et de s'intégrer à la lut-
te mondiale pour le socialisme.
2. — Le prolétariat reste la
seule classe révolutionnaire de
la société capitaliste. Les chan-
gements de structure qu'il subit
dans les pays avancés ne con-
duisent nullement à sa trans-
formation en une « catégorie »
sociale hybride. La tendance à
la réduction relative du nom-
bre d'ouvriers manuels s'accom-
pagne d'un accroissement ra-
pide de couches d'employés et
de techniciens dont la position
dans la production ne diffère
pas fondamentalement de cel-
le des ouvriers manuels. Ces
nouvelles couches sont partie
intégrante du prolétariat mo-
derne, comme leur participation
de plus en plus active aux lut-
tes revendicatives le prouve
quotidiennement.
3. — Les syndicats ne sont ni
« des rouages de l'Etat » ni « des
compagnies d'assurances » ni
des simples « organisations de
défense des travailleurs ».
La tendance de la bureaucra-
tie syndicale à s'intégrer à l'ap-
pareil d'Etat est constamment
freinée par la nécessité pour el-
le — et pour la classe dominan-
te elle-même — de contrôler
et de canaliser les revendica-
tions et les luttes ouvrières.
L'intégration des syndicats à
l'Etat signifierait que la bu-
reaucratie syndicale et le pa-
tronat se sont résignés à ad-
mettre une dangereuse exten-
sion des grèves sauvages.
A l'étape présente, dans la
plupart de pays capitalistes,
les syndicats exercent objecti-
vement une double fonction :
— défendre contre le patro-
nat les intérêts immédiats des
salariés ,
(suite page 5)
Plateforme politique de Pouvoir Ouvrier
(suite de la page 4)
—• défendre la société capi-
taliste, dont ils acceptent les
bases, contre tout mouvement
des travailleurs qui pourrait la
mettre en difficulté.
La bureaucratie qui dirige les
syndicats tire sa force à la fois
du fait qu'elle « représente »
les travailleurs et du fait qu'el-
le s'efforce constamment de fai-
re collaborer les salariés au
fonctionnement du système.
La bureaucratie syndicale, in-
contrôlable et inamovible, n'est
pas un « accident », mais le ré-
sultat de l'évolution même du
système capitaliste et du mou-
vement ouvrier. La bureaucra-
tisation des syndicats est dé-
sormais irréversible.
4. — Les partis « socialistes »
et « communistes » ont cessé
d'être des partis ouvriers au
sens où l'on pouvait l'entendre
autrefois.
Même s'ils regroupent une
partie de la classe ouvrière —
dont ils reflètent les aspirations
à une amélioration du sort du
travailleur et même, dans le
cas du P.C., à un changement
dans la société — ces partis ont
cessé d'être ouvriers dans la
mesure où leur réformisme ne
s'appuie plus sur une opposition
de classe au capitalisme en tant
que système social.. Leur réfor-
misme n'a plus pour but, mê-
me lointain, d'opérer graduel-
lement une transformation qui
aboutirait pacifiquement à l'a-
vènement d'une société socia-
liste. En effet, la transforma-
tion graduelle qu'ils envisagent
avec plus ou moins de fermeté
selon les circonstances, abouti-
rait, si elle se réalisait, à une
simple substitution de la bour-
geoisie classique par une bu-
reaucratisation économique et
politique exerçant des fonctions
dirigeantes. Dans la mesure où
ils proposent encore un autre
type de société — ce qui, en fait,
concerne de moins en moins les
partis « socialistes » —• le mo-
dèle qu'ils conçoivent : proprié-
té étatique, planification, di-
rection des entreprises et de
l'éconmie confiée à des spécia-
listes, hiérarchie sociale fondée
sur « la compétence », adapta-
tion du producteur aux exigen-
ces de la production, prise en
charge par l'Etat de toutes les
activités sociales et culturelles,
reste un modèle de société d'ex-
ploitation fondée sur des rap-
ports de production de type ca-
pitaliste. Leur politique quoti-
dienne d'alliance avec les par-
tis de gauche bourgeois et
« technocratiques », de colla-
boration des classes dans le ca-
dre de l'appareil d'Etat et des
institutions légales à tous les
niveaux, correspond aux inté-
rêts de la bureaucratie « ré-
formiste » en général — partis
et syndicats — et reflète la
mentalité démocratique petite
bourgeoise de larges couches
d'intellectuels, d'ouvriers quali-
fiés et de fonctionnaires.
Ces partis se situent désor-
mais dans le camp des forces
politiques qui défendent la so-
ciété d'exploitation.
5. — Le socialisme n'est pas
l'étatisation de l'économie et de
la vie sociale, mais avant tout
la transformation des rapports
de production capitalistes en
rapports de production socia-
listes. Seule la gestion des en-
treprises et de l'économie par
les travailleurs organisés en
conseils peut assurer cette
transformation.
La gestion de la production
et de l'économie ne peut être
assumée par le prolétariat que
s'il détruit en même temps le
pouvoir de la classe dirigeante
—l'Etat — et exerce son propre
pouvoir en remplaçant les or-
ganismes de direction politique
de la classe exploiteuse par ses
propres organisme politiques :
les soviets ou conseils des tra-
vailleurs.
6. — Le socialisme est impos-
sible dans un seul pays, et d'au-
tant plus impossible si ce pays
est un territoire économique-
ment arriéré. La seule classe
révolutionnaire est ie proléta-
riat. En l'absence d'une acti-
vité créatrice du prolétariat,
d'une participation croissante
des plus larges niasses à l'ac-
tivité politique, économique et
sociale, le processus d'édifica-
tion du socialisme ne peut pas
se développer. La construction
du socialisme exige l'extension
de la révolution prolétarienne au
moins à plusieurs pays avan-
cés comme première étape de la
révolution mondiale.
7. — La société russe actuelle
est un capitalisme bureaucrati-
que d'Etat. Le socialisme ne
pourra être instauré en U.R.S.S.
que par la lutte révolutionnaire
du prolétariat. La nouvelle ré-
volution russe sera une révolu-
tion sociale, car elle brisera les
rapports de production de type
capitaliste sur lesquels se fonde
l'exploitation du prolétariat par
la bureaucratie, et les rempla-
cer par îles rapports de produc-
tion socialistes, en même temps
que la dictature exercée par la
classe dirigeante actuelle au
travers de l'Etat et du parti se-
ra remplacée par une nouvelle
organisation soviétique s'ap-
puyant sur les masses.
Les régimes bureaucratiques,
soumis à la pression de l'impé-
rialisme d'une part, à celle du
prolétariat et de la paysanne-
rie d'autre part, se trouvent
dans une situation d'instabilité
politique qui reflète l'ampleur
des difficultés économiques et •
sociales auxquelles ils ont à
faire face. Les réformes écono-
miques en cours, qui visent es-
sentiellement à relever la pro-
ductivité du travail, auront
pour effet de renforcer les an-
tagonismes des classes.
En même temps que les ten-
dances centrifuges se dévelop-
pent au sein du « bloc bureau-
cratique », le stalinisme, en tant
que mouvement international,
est en train de se décomposer.
Les partis « communistes » de-
viennent des partis réformistes
et se détachent peu à peu de
Moscou. Les conséquences d'une
telle transformation par rap-
port aux luttes dans les pays
avancés et par rapport aux
mouvements des masses du
Tiers Monde, se feront sentir de
tout leur poids à mesure oue se
manifesteront les conséquences
économiques et sociales des
contradictions du capitalisme
monopoliste d'Etat.
8. — Entre le capitalisme et
le communisme, il ne peut pas
y avoir plusieurs régimes de
transition dont le sstructures
économiques, sociales et politi-
ques seraient différentes parce
que fondées sur des rapports
différents entre les classes.
La destruction de l'Etat capi-
taliste par le prolétariat, l'ins-
tauration du pouvoir politique
des conseils et de la gestion de
la production et de l'économie
par les travailleurs ouvre la
phase de transition entre capi-
talisme et communisme en sup-
primant l'exploitation et le sa-
lariat dans le secteur socialisé.
Aucune autre classe que le pro-
létariat ne peut assurer cette
transition. Les sociétés dites de
trasition du type « Etat ouvrier
dégénéré », « démocratie popu-
laire », « Etat ouvrier et pay-
san », f-tc., ne sont en réalité
que des variantes du capitalis-
me bureaucratique d'Etat.
9. —• La dictature du proléta-
riat —• nécessaire dans la phase
de transition du capitalisme au
communisme — n'est pas la
dictature du parti révolution-
naire .mais celle que le prolé-
tariat organisé en conseils exer-
ce sur les autres classes et grou-
pes sociaux conservateurs.
Le parti révolutionnaire ne
peut pas se substituer au prolé-
tariat. 11 n'est pas la classe ré-
volutionnaire, mais seulement
une fraction de cette classe, n
ne peut donc pas accomplir des
tâches que seul le prolétariat,
placé au cœur de l'activité pro-
ductive, est capable de réaliser.
Mais le parti, creuset où fusion-
nent les expériences et les ap-
ports des différentes catégories
de travailleurs manuels et in-
tellectuels, organe d'orientation,
de coordination et de lutte dans
la période pré-révolutionnaire
est l'instrument indispensable
pour que la lutte du prolétariat
aboutisse, au cours de la révolu-
tion à l'instauration du pouvoir
des travailleurs.
Le parti bolchevik est mort.
Il a représenté une étape de la
lutte du prolétariat pour son
émancipation. Le programme
du nouveau parti révolutionnai-
re ne sera pas la simple réédi-
tion — même améliorée — des
conceptions bolcheviques. Sans
l'expérience de la révolution
russe, du bolchévisme et de la
Illème Internationale — et la
critique de cette expérience —
ce programme ne pourrait
jamais voir le jour. Mais l'his-
toire du prolétariat — et du
capitalisme — ne s'est pas arrê-
tée en 17, ni en 23, ni en 38.
Le programme du nouveau parti
révolutionnaire ne pourra être
formulé qu'à partir de l'expé-
rience du prolétariat dans le
monde actuel, sous le capitalis-
me monopoliste d'Etat et sous
le capitalisme bunreaucratique
d'Etat, et qu'à partir de l'ana-
lyse des sociétés d'exploitation
d'aujourd'hui.
La nécessité d'une organisa-
tion marxiste d'avant-garde et
l'importance décisive de son in-
tervention avant et après la ré-
volution sont un des enseigne-
ments fondamentaux de la ré-
volution d'Octobre 1917 et de
tous les mouvements révolu-
tionnaires qui ont eu lieu de-
puis lors : Allemagne, Europe
centrale, Italie, Ch'ne, Espagne,
Allemagne de l'Est, Pologne,
Hongrie.
LES CONSEILS DES TRAVAILLEURS
(Extrait de P.O. ns 18 et 19
mai et juin 1960)
Qu'est-ce qu'un conseil ouvrier ?
C'est d'abord un organisme, un co-
mité, formé de délégués élus par
TOUS les travailleurs d'une entre-
prise ou d'un groupe d'entreprises,
sans aucune distinction politique
et syndicale, pour exprimer leurs
revendications et pour les repré-
senter, Pour qu'un conseil ouvrier
puisse fonctionner, il faut que tous
les ouvriers participent aux assem-
blées, luttent en permanence pour
imposer leurs objectifs. Une telle
activité des travailleurs ne peut
exister que dans des périodes d'ex-
trême tension sociale, qucnd le
conflit entre dirigeants de l'écono-
mie et de l'Etat et travailleurs de-
vient si aigu qu'il ne peut être ré-
glé que par la force, quand ce
conflit lui-même ne concerne pas
seulement l'usine, mais embrasse
toute la société, quand la question
qui se pose est : qui doit comman-
der dans le pays, les exploiteurs
ou les exploités ? En dehors d'une
telle période révolutionnaire, le con-
seil ouvrier n'arrive pas à se main-
tenir : il disparait ou il se trans-
forme peu à peu en un organe inof-
fensif, de type syndical.
En fait, chaque fois que la classe
ouvrière n fermé des conseils, ces
organismes sont rapidement deve-
nus, face ru pouvoir de l'Etat et
de la classe dirigeante, l'expression
ci'un deuxième pouvoir : le pouvoir
des masses ouvrières, autour du-
quel se sont rassemblées toutes les
autres couches sociales opprimées
ou appauvries (employés, artisans,
paysans).
Dans une période où la question
du pouvoir clans la société est ain-
si posée, le conseil ouvrier surgit
comme la réponse à un besoin ob-
jectif des masses : celui d'avoir un
organisme qui, prenant appui sur
l'entreprise, soit capable de ras-
sembler TOUTE LA POPULATION
TRAVAILLEUSE en surmontant les
divisions politiques, syndicales, ca-
tégorielles, régionales, de créer
ainsi partout les conditions d'une
action unie.
En octobre 1956, en Hongrie, au
cours de l'insurrection contre le
régime îlalinien, les ouvriers ont
constitué des conseils qui ont pra-
tiquement exercé le pouvoir dans
beaucoup de villes, organisant la
production, le ravitaillement, la lut-
te armée. Sur le plan de l'entre-
prise, leur but était la gestion ou-
vrière, ia détermination des nor-
mes de travail par les travailleurs
eux-mêmes, la diminution des
écarts des salaires.
C'est en 1905, en Russie, que sont
apparus les premiers « soviets »
constitués par des délégués élus à
raison d'un délégué par 500 tra-
vailleurs ; ils ont dirigé les grèves
de cette époque qui ont failli ren-
verser le régime tsariste. En 1917,
les « soviets » sont réapparus. For-
més, au cours de la révolution, par
des délégués élus par les ouvriers,
par arrondissements dans les gran-
des villes, directement dans les
petites localités, ils ont rapidement
pris non seulement les pouvoirs
des municipalités, mais tous les
pouvoirs de l'Etat. En même temps
se constituaient dans les usines des
« comités de fabrique » qui dispu-
taient la direction de l'usine au
patron. Le mot d'ordre des bolche-
viks était à l'époque : « Tout le
pouvoir aux soviets ». Et. en effet,
les « soviets » (qui englobaient aus-
si les soldats et. dans les campa-
gnes, les paysans pauvres» ont
renversé en Octobre la République
bourgeois? de Kcrensky et exercé
pendant quelque temps le pouvoir,
tout en organisant la guerre révo-
lutionnaire contre les troupes
« blanches » des capitalistes et des
grands propriétaires.
Un an plus tard, la révolution
éclatait en Allemagne. Des conseils
d'ouvriers et de soldats se consti-
tuaient dans les villes. Dans les
usines, des comités d'usine étaient
élus. Quel était le rôle de ces
conseils d'ouvriers et de soldats et
de ces comités d'usine ? Voici ce
qu'en pensait le Parti communiste
allemand lors de son congrès cons-
titutif (30 décembre 1918-ler janvier
1919) :
« Suppression de tous les parle-
ments et de toutes les municipali-
tés. Leurs fonctions seront assu-
mées par les Conseils d'ouvriers
et de soldats, et par les comités et
organes qui en relèvent.
— Elections aux Conseils d'ou-
vriers dans toute l'Allemagne, avec
la participation de toute la popu-
lation ouvrière... sur la base de
l'entreprise. De même, élections
aux conseils de soldats... Droit pour
les ouvriers et les soldats de révo-
quer en tout temps leurs délégués.
— Election par les délégués aux
conseils d'ouvriers et de soldats de
toute l'Allemagne d'un Conseil
central des Conseils, qui aura à
nommer en son -sein une Déléga-
tion Executive, comme instance
suprême du pouvoir à la fois légis-
latif et administratif.
— Réunion du Conseil central
des Conseils, au moins tous les
trois mois pour commencer, avec
chaque fois complète réélection des
membres, de façon à maintenir un
contrôle permanent sur l'activité
de la Délégation Executive et un
contact vivant entre les masses
des conseils locaux... et le plus
haut organe de leur pouvoir. Droit
pour les conseils locaux d'ouvriers
et de soldats de révoquer et de
remplacer à tout moment leurs
représentants au Conseil central...
Droit pour la Délégation Executive
de nommer et de révoquer les com-
missaires du peuple et toute l'admi-
nistration centrale, sous le contrôle
du Conseil central. »
Et sur les comités d'usine : « Elec-
tion dans chaque usine d'un comité
d'usine qui aura à régler les affai-
res intérieures en accord avec les
conseils ouvriers, à fixer les condi-
tions de travail, à contrôler la
production et finalement à se subs-
tituer complètement à la direction
de l'entreprise. »
« Les seules organisations qui
puissent introduire le socialisme
sont donc les comités d'usine qui,
en accord avec les conseils ouvriers
locaux, sauront prendre en mains
l'ordre intérieur des entreprises,
régler les conditions de travail,
contrôler la production et enfin
assumer toute la direction de l'usi-
ne» (1).
La révolution allemande fut écra-
sée, grâce à la social-démocratie
d'alors. Les conseils ouvriers dispa-
rurent ou se transformèrent peu à
peu en organismes de type syndical.
La révolution russe fut détour-
née de ses buts par la bureaucratie
du parti et de l'Etat reconstitué :
les comités de fabrique disparu-
rent, les soviets ne furent plus que
des vulgaires municipalités.
Les conseils ouvriers de la révo-
lution hongroise de 1919. ceux que
les travailleurs italiens avaient
formés en 1920-21 disparurent aussi
sous les coups de la répression
capitaliste.
Mais, quelque vingt ans plus
tard, en 1936, les travailleurs espa-
gnols prenaient effectivement en
mains les usines, luttaient pour
transformer la société. Sous des
formes différentes, des comités
d'usine et df-s comités de milices
se substituaient aux patrons et à
l'ancien Etat et exerçaient locale-
ment le pouvoir pendant des mois.
En 1956, naissaient et luttaient
les conseils ouvriers hongrois.
Les conseils ouvriers ne se sont
pas toujours et partout constitués
de la môme manière ; ils ont pris
souvent une double forme : le co-
mité d'usine s'occupant essentiel-
lement du fonctionnement de l'en-
treprise et le « soviet » ou conseil
exerçant le pouvoir dans un cadre
plus large : celui de l'arrondisse-
ment, de la ville, du pays. Ils n'ont
pas toujours et partout su s'affir-
mer ouvertement comme le seul
pouvoir capable de diriger la so-
ciété et ils ne sont pas parvenus
à empêcher la reconstitution de
l'Etat et de l'exploitation. Mais,
toujours et partout, ils ont exprimé
le même mouvement : organisation
et direction de la production et de
la société par des organismes élus
sur la base des entreprises.
En constituant des conseils ou-
vriers, les travailleurs ont tenté à
plusieurs reprises de s'emparer de
la gestion de l'entreprise et de la
production ; ils ont été amenés, en
même temps, à attaquer et à dé-
truire les anciens organes du pou-
voir bourgeois ou bureaucratique
— l'Etat, "les municipalités — et à
les remplacer par l'organisation
locale et centrale des conseils.
Le pouvoir des Conseils
Ainsi, sous leurs deux formes :
comités ou conseils d'usine prenant
la direction des entreprises, et
conseils constitués sur une base
locale, régionale, nationale, diri-
geant les uffair-.'S de la localité,
de la région, du pays, les conseils
ouvriers visaient à gérer la société
tout entière.
En effet, à cetto tentative d'or-
ganisation de la société par les
conseils ouvriers ont participé éga-
lement des organismes représen-
tant les autres couches de la popu-
lation travailleuse, en premier lieu
les paysans. Cette participation —
dont la révolution espagnole de
1936 constitue le meilleur exemple
— s'explique par le fait que les
intérêts de la majorité des paysans
(suite page 6)
(1) Extraits du Programme adop-
té par le Congrès constitutif du
Parti Communiste Allemand, re-
produit dans la brochure « La
Commune de Berlin », éditions
« Spartacus », oct.-nov. 1949, Paris.
LES CONSEILS DES TRAVAILLEURS
(ouvriers agricoles, métayers, fer-
miers, petits propriétaires) sont ra-
dicalement opposés à ceux des so-
ciétés commerciales et des grands
propriétaires, qui les exploitent sous
des formes multiples. Il est certain
qu'une nouvelle révolution ouvrière,
disposant de l'appui d'une large
fraction de la paysannerie, serait
ainsi à même de résoudre les pro-
blèmes que poserait la coopération
de l'agriculture avec l'industrie.
L'organisation de la société repo-
serait alors inévitablement sur la
population travailleuse, car non
seulement celle-ci serait représen-
tée dans son ensemble, mais en-
core, par le canal des conseils et
des communautés agricoles, exerce-
rait effectivement la gestion de
toutes les activités productives et
sociales.
L'expérience du mouvement ou-
vrier, en particulier celle des
conseils ouvriers hongrois de 1956,
permet d'en établir les principales
articulations :
1) Conseils ouvriers élus sur la
base d'une entreprise ou d'un grou-
pe d'entreprises.
2) Conseils ouvriers locaux et
régionaux formés par les délégués
des conseils des entreprises, ou
groupes d'entreprises, de la loca-
lité ou de la région.
3) Assemblée Centrale des con-
seils ouvriers formée par des délé-
gués élus par les organismes de
base (entreprises, groupes d'entre-
prises, etc.).
4) Gouvernement de conseils élu
par l'Assemblée Centrale des
conseils.
A chaque échelon, les délégués
sont élus et révocables en perma-
nence, A chaque échelon, ces orga-
nismes ne seront pas seulement
représentatifs mais auront des fonc-
tions de gestion et d'organisation.
« Démocratie » bourgeoise
et démocratie socialiste
Un tel système n'a rien à voir
avec la «démocratie» bourgeoise :
il en est la négation.
La « démocratie » bourgeoise si-
gnifie voter tous les quatre ou cinq
ans pour des programmes qui ne
concernent que des questions se-
condaires — jamais le travail des
gens, l'exploitation, la vie réelle
des travailleurs. Elle signifie voter
pour des individus ou des partis
qu'il est impossible de contrôler
ensuite. Dans une société où tous
les moyens d'information : presse,
radio, télévision, cinéma, sont dans
les mains de la classe dominante,
où la pression bourgeoise se fait
sentir à tous les niveaux — à
l'école, au bureau, à l'atelier, à la
campagne — dans un régime où
l'argent règle toute l'activité hu-
maine, les consultations électora-
les ne sont que le moyen de faire
accepter aux travailleurs des solu-
tions contraires à leurs intérêts.
Dans la démocratie des conseils
— la démocratie socialiste — non
seulement la pression bourgeoise
sera éliminée avec la bourgeoisie
elle-même, mais les moyens d'in-
formation seront dans les mains
des organismes ouvriers. Dans la
démocratie socialiste, ce n'est pas
tous les quatre ou cinq ans que
les travailleurs seront appelés à se
prononcer, ils pourront se pronon-
cer en permanence ; ils ne se pro-
nonceront pas sur des questions
secondaires, mais sur les questions
essentielles, c'est-à-dire aussi bien
sur leur travail, leur niveau de vie,
que sur le logement, l'éducation ou
les questions générales concernant
la vie de tout le pays. Dans la
démocratie socialiste, les représen-
tants des travailleurs seront contrô-
lés en permanence et pourront être
révoqués à tout moment par ceux
qui les ont désignés.
Un tel système suppose, bien en-
tendu, l'information au service de
la population, non l'endoctrinement
systématique ou le mensonge quoti-
dien à longueur d'ondes et de co-
lonnes. La population travailleuse
pourra ainsi se prononcer, non sur
des « slogans », mais sur la base
de données, à la fols simples, suf-
fisantes et fidèles, exprimant l'es-
sentiel des problèmes qui se posent.
ELLE POURRA SE PRONONCER
EN CONNAISSANCE DE CAUSE.
La diffusion d'informations sous
cette forme sera faite à tous les
niveaux — aussi bien par le conseil
d'une entreprise que par le Gou-
vernement des conseils — qui dis-
poseront pour cet échange conti-
nuel entre les plus hauts organes
du pouvoir ouvrier et l'immense
réseau des conseils d'entreprise, de
tous les moyens de communication
que la technique moderne offre à
l'homme : radio, télévision, ciné-
ma, etc.
Les Conseils
dans l'entreprise
Mais comment des conseils élus
et révocables, des organismes « si
simples », pourront-ils se substituer
à l'appareil technique d'une usine,
à l'appareil complexe de l'Etat mo-
derne ? Telle est la principale
objection de ceux qui, tout en
approuvant l'idée du pouvoir des
conseils, contestent la possibilité de
son application pratique.
Or, c'est cette objection elle-
même qui est fausse, car la fonction
des conseils ouvriers n'est pas de
remplacer des appareils techniques
ou des administrations complexes.
Tout d'abord, sur !e plan de l'en-
treprise, en régime capitaliste, il
est déjà possible de faire la diffé-
rence entre organismes techniques
et organismes de direction. Ces der-
niers ont pour tâche principale
d'exploiter au maximum la force
de travail des ouvriers, d'organiser
l'usine dans ce but ; ils ont aussi
pour tâche de fixer les objectifs de
production de l'entreprise suivant
la demande d'un « marché », non
les besoins réels des gens, et en
vue de réaliser un profit, non de
satisfaire ces besoins.
Dans l'entreprise capitaliste, les
organismes techniques sont soumis
aux organismes de direction, même
si, le plus souvent, les uns et les
autres se trouvent mêlés. La tech-
nique elle-même est orientée en vue
de faire produire plus et plus vite
à chaque ouvrier, non de diminuer
son effort, et en vue d'obtenir des
produits plus faciles à vendre, non
des meilleurs produits.
La première tâche de la révolu-
tion dans l'entreprise sera de pro-
céder à une énorme simplification
dans ce domaine (comme d'ailleurs
dans tous les domaines de la vie
productive et sociale). La direction
proprement dite — les responsables
de l'exploitation des ouvriers en
somme — sera purement et simple-
ment supprimée. Mais une partie
des services aujourd'hui appelés
« de direction » sera également sup-
primée dans la mesure où ces ser-
vices ne s'occupent que de publicité,
de marché, etc., l'autre partie étant
transformée en simples services
d'approvisionnement et de livrai-
son. LA DIRECTION DE L'EN-
TREPRISE SERA ASSUMEE PAR
UN CONSEIL OUVRIER ELU ET
REVOCABLE.
La tâche de ce conseil, sur la
base des discussions et des déci-
sions prises dans les assemblées
d'atelier, de département, de bu-
reau, etc., consistera à organiser
l'exécution des objectifs de produc-
tion et à déterminer les conditions
du travail : horaires, méthodes, vie
du travailleur dans l'entreprise en
général. Le conseil ne remplacera
pas les organes techniques, il les
modifiera simplement pour que
leurs fonctions restent strictement
techniques. Les solutions proposées
par les techniciens seront exami-
nées quant à leurs conséquences :
1) sur les objectifs de production
de l'entreprise ; 2) sur le travail
des producteurs. Une coopération
étroite entre techniciens et ouvriers
s'instaurera dans l'organisation
pratique des fabrications.
Le plan de production
général
Les décisions des conseils d'usine
ou d'entreprise seront prises dans
le cadre d'une orientation générale
de la production définie, elle, pour
l'ensemble du pays, par l'Assemblée
Centrale des conseils ouvriers.
Celle-ci, en effet, disposera de tou-
tes les informations économiques
et techniques qui, sous une forme
simplifiée mais substantielle, lui
seront fournies par les organismes
spécialisés chargés d'élaborer et de
proposer le Plan de production
général.
L'orientation générale de la prc-
tmction définie par l'Assemblée
Centrale des ouvriers — sous ror-
me d'un Plan de production géné-
ral — sera soumise aux assemblées
d'entreprises dans tout le pays.
Pour que la discussion de ce Plan
puisse se faire EN CONNAISSAN-
CE DE CAUSE, il faudra condenser
en quelques points l'essentiel de
son contenu.
Il s'agira donc de décider : a) du
temps de travail que la population
veut consacrer à la production ;
b) de la partie de la production
existante qu'elle veut consacrer res-
pectivement à la consommation in-
dividuelle, à la consommation pu-
blique (hôpitaux, écoles, habitat,
services, etc.), à l'investissement.
Le plan soumis aux travailleurs
devra donc spécifier :
1) La durée de travail qu'il im-
plique.
2) Le niveau de la consommation
pendant la première période.
3) Les ressources consacrées à
l'investissement et à la consomma-
tion publique.
4) Le rythme d'augmentation de
la consommation pendant les pé-
riodes à venir.
5) Les tâches de production in-
combant à chaque entreprise.
Chaque plan sera accompagné de
plusieurs « variantes » offrant un
choix aux travailleurs. Par exem-
ple : si l'on diminue la durée de
travail de tant, le niveau de la
consommation ne pourra, à son
tour, augmenter que de tant ; si
les ressources consacrées à l'inves-
tissement atteignent tel chiffre, la
consommation individuelle aug-
mentera de tel pourcentage pen-
dant telle période, mais son pour-
centage d'augmentation sera plus
grand pendant la période suivante,
etc.
La gestion de l'économie
Le travail d'élaboration du plan
et de ses « variantes », confié à des
organismes spécialisés, strictement
techniques, sera énormément sim-
plifié par l'emploi des méthodes
modernes de calcul économique et
des machines électroniques.
Les mêmes méthodes modernes
de calcul, les mêmes outillages per-
fectionnés seront utilisés dans la
gestion des différents secteurs de
l'économie. En effet, une gestion
ouvrière de la production, non plus
au niveau d'une entreprise particu-
lière, mais au niveau de secteurs
industriels et de l'ensemble de
l'économie, n'est possible que si
les tâches de direction ont subi
une simplification telle que les pro-
ducteurs et leurs conseils peuvent,
là aussi, décider EN CONNAIS-
SANCE DE CAUSE. C'est ainsi que
le développement technique au lieu
de rendre les problèmes plus com-
plexes servira à les clarifier, à en
dégager les points essentiels sur
lesquels le choix ne peut être fait
que par des hommes, mais le reste
sera fait par des machines.
Dans le cadre du Plan de produc-
tion général adopté, la coopération
entre les entreprises sera effectuée,
horizontalement, par des comités
de branches d'industrie formés de
délégués désignés par les conseils
des différentes entreprises, et ver-
ticalement par des comités de pro-
duction représentant les étapes suc-
cessives de la production (par
exemple : sidérurgie — industrie
des machines-outils — industrie
mécanique).
Mais les décisions fondamentales,
les décisions politiques dans le vrai
sens du mot, seront toujours du
ressort des cellules de base de la
société : les conseils ouvriers d'en-
treprise, les communautés pay-
sannes.
Les conseils et la gestion
de I' « Etat »
En ce qui concerne l'ensemble
des fonctions aujourd'hui assumées
par les municipalités, elles seront
du ressort des administrations lo-
cales et régionales, sous le contrôle
des conseils ouvriers locaux et ré-
gionaux.
Il en sera de même pour un
grand nombre de fonctions aujour-
d'hui exercées par l'appareil de
l'Etat, fonctions que les adminis-
trations intéressées continueront
d'exercer sous le contrôle de l'As-
semblée Centrale des conseils et
du gouvernement.
Il faut constater, en effet, que
l'Etat a cessé depuis longtemps
d'être exclusivement un appareil de
répression et de direction politique.
Même dans les pays d'Occident où
tout n'est pas étatisé — comme
c'est le cas en U.R.S.S. et dans les
pays de l'Est — l'Etat exerce une
foule d'activités d'ordre économique
et social. En France, des nombreu-
ses administrations produisent des
objets ou fournissent des services :
les hôpitaux, les H.L.M., les che-
mins de fer, les transports en com-
mun, les postes, les charbonnages,
l'E.D.F.. les entreprises nationali-
sées comme Renault, les chantiers
navals, les manufactures de l'Etat,
etc., sont des véritables entreprises.
Elles seront donc reconnues pour
ce qu'elles sont et, tout comme les
autres, elles seront gérées par des
conseils élus. Intégrées dans les
grands ensembles d'industries et de
services qui fonctionneront dans le
cadre du Plan de production gé-
néral, le rôle de ces « administra-
tions » sera limité à l'exécution des
tâches qui leur sont propres.
Mais une grande partie de l'admi-
nistration actuelle sera purement
et simplement supprimée. Cela con-
cerne aussi bien la défense natio-
nale que la police, la magistrature
et mille autres organismes dont le
rôle véritable aujourd'hui est sim-
plement d'exercer un contrôle et
une surveillance de la population
par la classe capitaliste.
Dans une première phase, la
défense du nouveau régime socia-
liste sera assumée par les milices
ouvrières armées qui se seront
constituées au cours de la lutte
elle-même. Les tâches de « police »
seront confiées à ces milices et à
des détachements formés par des
travailleurs, dont les effectifs, four-
nis par les entreprises, seront en-
tièrement renouvelés périodique-
ment. La justice sera administrée
par des «tribunaux populaires»
élus par les travailleurs sur une
base locale et périodiquement re-
nouvelés.
CAPITALISME ET SOCIALISME
i — (suite de la page 4)
n'ont pas pour but de satisfaire
les besoins de l'homme.
Il ne suffit donc pas de dire que
le socialisme permettra une meil-
leure utilisation des inventions, des
progrès plus rapides de la techno-
logie et que, par suite, la produc-
tion connaîtra un développement
sans commune mesure avec la crois-
sance actuelle. C'est l'orientation
j même de la recherche appliquée, le
contenu même de la technologie qui
seront transformés dans la mesure
où recherche et technologie ne vise-
ront plus à obtenir du travailleur le
rendement maximum, mais tendront
à assurer avant tout les meilleures
conditions de travail et la plus gran-
| participation du producteur à l'or-
ganisation et à l'exécution de ce
travail. La gestion collective de la
production permettra ainsi, par
exemple, en mettant les immenses
possibilités de l'automation au ser-
vice des travailleurs, de suppri-
mer les normes et le travail aux
pièces, d'éliminer progressivement
les travaux répétitifs du type
« chaîne de montage », de réduire
considérablement la fatigue et les
accidents, tout comme elle permet-
tra de s'acheminer vers la dispa-
rition de la division entre le tra-
vail manuel et le travail intellec-
tuel, disparition dont une condi-
tion nécessaire est la réduction ra-
dicale du temps de travail.
Ce qui est vrai dans le cadre
strict de l'activité productive l'est
aussi dans celui plus vaste de la
vie sociale.
Il ne suffit pas de dire, par
exemple, qu'on pourrait résoudre
le problème du logement en peu
d'années si l'industrie du bâtiment
était libérée des entraves du pro-
fit, c'est le problème même du
type d'habitat, de l'existence de
villes de plusieurs millions d'habi-
tants, de la vie épuisante du cita-
din qui pourrait être posé et ré-
solu, tout comme on pourrait po-
ser et résoudre celui des zones
« déprimées » et des zones à trop
forte concentration urbaine et in-
dustrielle... C'est un bouleverse-
ment complet des conditions de
travail et de vie de l'homme que
le potentiel productif, .technique
et scientifique actuel pourrait per-
mettre. Et l'extraordinaire essor
culturel qui résulterait de la ré-
duction de la journée de travail
multiplierait par dix et par cent
ce potentiel matériel et humain.
Le socialisme ne se réduit donc
pas à l'organisation collective de
la production. Il est le seul mo-
dèle de société que l'on puisse op-
poser au système actuel, à ce sys-
tème d'oppression qui tend à ins-
taurer dans tous les domaines de
la vie sociale des rapports sembla-
bles, sinon identiques, à ceux qui
régnent dans l'entreprise.
En effet, que ce soit dans le do-
maine de la culture ou du loge-
ment, de la vie familiale ou de
l'éducation, des loisirs ou de la
santé, tout l'effort de la classe
dirigeante vise à réduire le travail-
leur à une attitude purement pas-
sive, à lui enlever toute initiative,
à l'encadrer, le cloisonner, l'intoxi-
quer, et à briser par la persua-
tion ou par la force toute tentative
de révolte contre les mœurs et les
idées dominantes.
Asservi dans l'exercice de son
activité productive et sociale, le
travailleur des pays industrialisés
l'est tout autant cela va sans dire,
dans son activité de « citoyen » :
1>3 pouvoir politique est monopo-
lisé à tous les échelons par les
membres de la classe dominante
et par leurs agents ; en tant que
« citoyen », le travailleur n'est
qu'une simple machine à voter.
Mais la barbarie que le capita-
lisme impose aux populations tra-
vaileuses des pays avancés sous
une forme « climatisée », les ou-
vriers et les paysans des pays
sous-développés la subissent, eux,
brutalement. Et la barbarie rè-
gne aussi au niveau des rapports
entre les peuples et les nations.
Pourtant, ce monde n'existe que
parce que le prolétariat le fait
exister : la classe travailleuse est
le producteur collectif de la société
moderne.
Si le prolétariat prend conscience
de sa force, s'il arrive à se donner
de nouveau des structures politi-
ques de classe, son projet révolu-
tionnaire — le socialisme — appa-
raîtra aux plus larges couches de
la population comme la seule solu-
tion à la crise du monde actuel.
Ce projet s'appuyera désormais
sur deux idées fondamentales :
1. Le socialisme aujourd'hui ce
n'est ni la nationalisation, ni la pla-
nification, ni la direction de l'éco-
nomie et de l'Etat par une couche
de spécialistes séparée de la po-
pulation. Le socialisme aujourd'hui
c'est avant tout la gestion de la pro-
duction par les travailleurs eux-
mêmes.
2. Cette gestion n'est possible que
si le prolétariat gère la société tout
entière, que s'il conquiert le pou-
voir politique en détruisant par la
violence les anciennes institutions
et en les remplaçant par ses pro-
pres créations.
La gestion de la production et de
la société par les travailleurs n'est
ni une utopie ni une invention des
« sectes ultra-gauches ». C'est le
but pour lequel le prolétariat a com-
mencé à lutter dès que la société
industrielle est entrée dans sa pha-
se de grande concentration. C'est le
contenu qu'il a tenté de donner lui-
même au socialisme, et toujours
avec plus de force, chaque fois que
des crises révolutionnaires ont
ébranlé la société. Et à ce contenu,
il a également donné une forme, un
moyen de le réaliser : les conseils
ouvriers.
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