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N° 372/16 MAI 1968 / PRIX 0,70 F
HEBDOMADAIRE DU PARTI SOCIALISTE UNIFIE
V '.* *^*
LE POINT DE NON-RETOUR
EXCLUSIF
Depuis dix jours, la révolte des
étudiante a profondément
ébranlé les structures de la
vieille Université pour déboucher sur
une contestation radicale de la so-
ciété française. Si la population a
spontanément manifesté sa sympa-
thie au combat des étudiants et sa
révolte contre la répression policière,
elle n'a pas toujours saisi exacte-
ment l'ampleur du mouvement et de
ses objectifs. Nous donnons donc la
parole aujourd'hui à Jacques Sau-
vageot, vice-président de l'U.N.E.F.
en lui demandant de préciser pour
« T.S. » le sens de la lutte étudiante.
Jacques Sauvageot
*
**
T.S. — Quelles sont les causes
profondes de la révolte étudiante ?
s Sauvageot. — n est clair
que si iîr répression policière a été
la cause immédiate des manifesta-
tions étudiantes de ces derniers
jours, le mouvement étudiant éprou-
vait depuis longtemps un profond
mécontentement et un grand malaise.
La répression peut rendre compte de
la radicalisation et de l'ampleur de
notre mouvement, mais elle n'a été
que l'occasion de l'explosion. L'an-
goisse que les étudiants et les jeunes
ressentent en face de leur avenir, les
incertitudes que les étudiants éprou-
vent quant au sens de leur travail
à l'Université ont depuis des années
créé un lourd malaise.
En fait le mouvement étudiant a
toujours plus ou moins consciem-
ment récusé le modèle universitaire
qui lui est imposé ; il a toujours pins
ou moins consciemment récusé le
modèle de société qui sert de sup-
port à l'Université. Il s'agit donc
d'un double refus : à la fois d'an
certain type d'Université et d'un
certain type de société. Jamais ce-
pendant la prise de conscience n'avait
été aussi nette que maintenant.
Les interventions étudiantes ont
toujours pris des formes différentes,
plus spontanées, plus radicales, que
celles des mouvements traditionnels
lancés par les partis politiques. On
l'avait bien vu lors de la guerre d'Al-
gérie et le phénomène s'est reproduit
à propos de l'agression américaine an
Vietnam. Il faut en effet tenir
compte de la situation du travailleur
étudiant, de son rôle d'intellectuel
qui lui donne une indépendance
d'esprit, une capacité de création ori-
ginale, alors que précisément les
structures dans lesquelles il vit limi-
tent ses possibilités d'expression.
Cette contradiction du système uni-
versitaire, créatrice d'un climat ex-
plosif, est aujourd'hui plus réelle que
jamais.
T.S. — Quelle liaison faut-il éta-
blir entre le mouvement français et
les mouvements étudiants de Tétran-
ger?
J. S. — Les mouvements étudiants
d'Allemagne, d'Italie et de France
sont de même nature et répondent à
on type de crise propre aux pays
capitalistes avancés. Chaque fois, la
cote d'alerte a été atteinte lorsqu'à
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SPÉCIAL ÉTUDIANTS
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partir d'une critique des structures
de l'Université : système des exa-
mens, contenu et finalité de l'ensei-
gnement, la contestation a atteint le
système social lui-même. C'est à ce
moment que partout les gouverne-
ments se sont décidés à frapper. Tel
est le processus qui s'est développé
en Allemagne à partir de l'Universi-
té critique de Berlin ; c'est aussi
d'après ce schéma que s'est déve-
loppé le mouvement italien, c'est en-
fin une évolution du même genre
qui s'amorçait à Nanterre lorsque la
Faculté a été fermée. Dans tous les
cas, il s'agit donc- d'une mise en
cause d'abord partielle, mais qui très
vite devient globale et idéologique.
De ce point de vue, on peut dire
qu'il n'y a pas de différence fonda-
mentale avec les mouvements étu-
diants qui se sont produits dans l'Eu-
rope de l'Est et qui traduisent eux
aussi le refus d'un certain moule
idéologique imposé aux étudiants.
Il n'en est pas moins vrai que le
mouvement étudiant en France a con-
nu des caractères qui lui sont pro-
pres. Un certain nombre de faits ont
retardé l'explosion qui s'est produite
chez nous plus tardivement qu'ail-
leurs : d'abord l'existence du ré-
gime gaulliste et du projet cohérent
de celui-ci sur l'université : ce gou-
vernement a paru longtemps assez
habile pour éviter les affrontements
violents. On a bien vu ces derniers
jours que cette attitude variait du
tout au tout dès qu'il voyait remis
en cause les principes essentiels de
la société capitaliste. Il faut aussi
remarquer que le mouvement étu-
diant français est fortement politisé
et fractionné ; ce morcellement en
petits groupes opposés a incontesta-
blement freiné dans un premier
temps la prise de conscience d'une
grande partie des étudiants, encore
peu politisés ; il a fallu le dévelop-
pement et la radicalisation de l'ac-
tion pour permettre le dépassement
de ces petits groupes et l'unification
du mouvement.
Enfin, un phénomène important et
propre à la France, réside dans l'exis-
tence de l'U.N.E.F. Alors qu'en Italie
par exemple il n'existait qu'un syn-
dicat de type corporatiste qui a été
balayé dès le début du mouvement,
l'U.N.E.F. elle, parce que depuis des
années elle avait su remettre en
cause le système de l'enseignement et
d'une manière plus générale, la so-
ciété capitaliste, a pu se trouver en
tête du mouvement et a su lui don-
ner une grande ampleur. C'est elle
qui a permis le développement du
mouvement en province par le rôle
de ses militants dans les A.G.E. ;
c'est elle qui en fonction du travail
intersyndical établi depuis des mois
avec le S.N.E.-Sup, a pu établir la
liaision entre les étudiants et de
nombreux enseignants, comme avec
les lycéens organisés dans les C.A.L.
(Comités d'Action Lycéens) ; c'est
l'U.N.E.F. enfin qui a symbolisé la
lutte des étudiants aux yeux de tou-
te la population dont les marques
de solidarité ont été souvent émou-
vantes. Ainsi le syndicat étudiant a
été le courant unificateur de toutes
les luttes ; il est aussi le seul qui
puisse donner un prolongement à
celles-ci.
T.S. — On n'ose plus beaucoup
prononcer le nom de « groupuscu-
les ». Que faut-il pourtant penser de
ceux-ci ?
J. S. — Je n'ai absolument rien
contre Tes groupuscules ; je critique
la ligne politique de certains d'entre
eux qui ne leur a pas permis de
s*adapter à une situation qu'ils
n'avaient pas su prévoir et qui les a
empêché de jouer un rôle moteur.
Prenons par exemple la F.E.R. (Fédé-
ration" des Etudiants Révolution-
naires! ou l'U.J.C.M.L. (marxistes-
léninistes) ; s'ils ont des positions
différentes, ils se rejoignent dans
une commune rigidité qui les a em-
pêché de s'intégrer dans la dynami-
que du mouvement. Les militants de
la F.E.R., le vendredi soir 10 mai,
ont déserté le lieu de la bataille,
parce qu'ils jugeaient aventuriste la
décision de rester au quartier latin ;
c'est pourtant là que s'est produite
la bataille décisive et elle s'est pro-
duite sans eux. Eux qui pendant des
années ont toujours mis en avant des
mots d'ordre de débordement des or-
ganisations syndicales, n'ont cessé de
prôner l'alignement sur les positions
des directions syndicales, fort en re-
trait par rapport aux nécessités de
l'heure. On voit à quelles équivoques
a conduit cette ligne. De même les
pro-Chinois, gênés par un mouve-
ment dont l'ampleur menaçait leur
autonomie, n'ont pas su reconnaître
le caractère exemplaire du mouve-
ment étudiant puisqu'ils prétendent
que seule l'action de la classe ou-
vrière peut être significative. Ils ont
donc été hors du coup, comme déjà
à Nanterre.
Toute différente a été l'attitude
d'autres groupes politiques comme
la J.C.R. (Jeunesse Communiste Ré-
volutionnaire) , les E.S.U., le « Mou-
vement du 22 mars » à Nanterre.
Parce que ces groupes ont su com-
prendre la signification des luttes
étudiantes, parce que malgré tout ce
qui les sépare, ils possèdent un fond
politique commun en ce qui concerne
la lutte anti-impérialiste, la lutte
anti-capitaliste par exemple, ils ont
su s'intégrer dans le mouvement, en
être des éléments moteurs et poser
de façon valable le problème du pro-
longement de nos luttes.
T.S. — // faut tout de même par-
ler de l'U.E.C. (Union des Etudiants
Communistes).
J. S. — II n'y a pas de position
propre de l'U.E.C., il y a celle du
parti communiste et il faut en effet
en parler. Depuis un certain temps
de nombreux étudiants pensaient
que le P.C. n'était plus un parti ré-
volutionnaire et que dans la période
actuelle, il ne souhaitait pas la re-
mise en cause des structures capita-
listes. Le développement du mouve-
ment étudiant a apporté la confirma-
tion de ce jugement. Pendant toute
la première partie de notre lutte,
les communistes ont été opposés à
notre mouvement et nous ont atta-
Jacques Sauvageot
que. Ils n'ont changé d'attitude
que quand le mouvement a pris
une telle ampleur que le main-
tien de leur attitude hostile les
amenait à être balayés de toute res-
ponsabilité, comme cela s'était déjà
produit dans de nombreuses A.G.E.
de province. Il y a eu alors retourne-
ment du parti communiste, mais ce
tournant a conservé la forme et non
le fond. Le P.C. a axé toute sa cam-
pagne sur la lutte contre la répres-
sion, en ne mettant en avant que des
revendications catégorielles et corpo-
ratistes, sans jamais s'attaquer aux
structures de l'Université, encore
moins à celles de la société. De plus,
l'ampleur du soutien qu'il a effecti-
vement apporté dans cette dernière
période, a fait craindre à de nom-
breux étudiants qu'il ne vise qu'à le
confisquer pour des intérêts parti-
sans.
T.S. — Que penser de fattitude
du P.S.U. au cours de ces dix jours ?
J. S. — II est un fait, c'est que le
P.S.U. a été la seule force politique
française à soutenir dès le 3 mai le
mouvement étudiant et à appeler
l'ensemble de ses militants à soute-
nir les mots d'ordre étudiants quelles
que soient les formes d'action dé-
cidées par le mouvement. Ce choix
qu'a fait le P.S.U. l'a distingué des
forces traditionnelles, mais il n'est
pas suffisant, il ne lève pas les am-
biguïtés qui aux yeux de beaucoup
pèsent encore sur ce parti et expli-
quent la défiance de certains à son
égard, comme à l'égard de toutes
les forces politiques. Le P.S.U. n'a
pas à chercher à être le bénéficiaire
de ce mouvement ; il a mieux à faire,
confronté qu'il ««t. à une certaine réa-
lité, en s'insérant véritablement dans
les luttes contestant radicale; lient la
société capitaliste : il se io'it de trou-
ver les formes qui permettront de ré-
soudre le difficile problème de la
jonction des luttes étudiantes avec
celles de la classe ouvrière, dans le
contexte français d'aujourd'hui. Tel
est le choix essentiel qu'a à faire le
P.S.U. ; il concerne l'ensemble de ses
militants dont je suis.
T.S. — Le mouvement étudiant
apparaît donc comme remettant en
cause les forces politiques tradition-
nelles. N'y a-t-il pas là un danger
d'apolitisme ?
J. S. — Notre mouvement a très
vite été amené à remettre en cause
le jeu traditionnel des forces poli-
tiques dans la mesure où celui-ci
n'attaque pas directement la société
capitaliste. Nous ne croyons pas
qu'une contestation valable puisse
s'inscrire dans le cadre du jeu parle-
mentaire, du projet des forces démo-
cratiques. C'est un fait que notre
lutte n'a été comprise qu'à partir du
moment où nous sommes descendus
dans la rue. C'est un fait que nous
avons eu conscience au moment dif-
ficile de nous battre presque seuls.
C'est encore un fait que nous n'ac-
cepterons pas de voir les forces poli-
tiques tenter de récupérer une vic-
toire qui n'appartient qu'à nous pour
renforcer leur opposition au gaul-
lisme au seul bénéfice de la social-
démocratie et sans remettre en cause
par un choix politique clairement dé-
fini la société dans son ensemble.
Il n'y a plus pour notre mouve-
ment aucun danger d'apolitisme ;
l'affrontement a été trop violent ; la
prise de conscience trop nette. Cer-
tains pourraient, être tenté de croire
que le mouvement étudiant, porteur
en lui-même de son dynamisme, au-
rait mission de remporter des vic-
toires décisives. Nous savons bien
que c'est faux et que nous n'avons
remporté qu'une victoire partielle.
Nous sommes parfaitement cons-
cients du fait qu'aucun succès décisif
ne pourra être gagné sans la classe
ouvrière qui est la seule force déter-
minante. Cela veut dire que le mou-
vement étudiant, autonome dans un
premier temps, ne pourra se dévelop-
per que s'il résoud le difficile pro-
blème de s'a jonction avec le combat
des travailleurs.
T.S. — Mais pratiquement, quelles
sont les perspectives actuelles ?
J. S. — On peut tirer trois conclu-
sions de ces journées de lutte. La
première c'est que le gouvernement
a subi une défaite importante. Pour
nous le tournant essentiel s'est situé
dans la nuit du 10 mai, lors des bar-
ricades sur le boulevard Saint-Mi-
chel. Nous avons subi une défaite
sur le terrain, mais nous avons rem-
porté une victoire politique et le dis-
cours de Pompidou nous en a appor-
té la preuve le lendemain soir. La
seconde conclusion c'est la modifica-
tion qui s'est opérée au niveau des
étudiants et des enseignants : nous
ne sommes plus un petit groupe,
nous avons derrière nous la majorité
des étudiants ; notre degré de contes-
tation et notre niveau de conscience
politique ont changé. La troisième
conclusion c'est que notre combat
est maintenant partagé par de nom-
breux travailleurs. La grève générale
du 13 mai a constitué un pas impor-
tant vers l'union des Etudiants et
des Travailleurs.
Il nous faut maintenant donner de
nouveaux mots d'ordres et fixer de
nouveaux objectifs. D'abord nous
maintenons l'ordre de grève et nous
affirmons qu'il n'y aura pas de re-
prise des cours et pas d'examens tant
que les dernières mesures de répres-
sion n'auront pas été rapportées.
16 mai 1968
SPÉCIAL ÉTUDIANTS
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Nous exigeons l'amnistie pour tous,
étudiants et non étudiants, français
et étrangers, sans accepter qu'aucune
différence soit faite entre nos cama-
rades. Nous savons depuis hier soir
que lors de l'attaque du boulevard
Saint-Michel, des gaz toxiques C.S.
ont été employés contre les étudiants,
comme au Vietnam. Nous exigeons
que des comptes soient demandés aux
responsables.
Tant que nous n'aurons pas satis-
faction sur ce point, la grève conti-
nuera mais elle s'accompagnera de
l'occupation des locaux universi-
taires. Nous allons nous organiser. Le
bureau national de l'U.N.E.F. appelle
les militants étudiants à constituer
dans chaque Faculté des Comités de
lutte ; il convoque pour le jeudi
23 mai une Assemblée générale des
représentants des Comités de lutte
tant de Paris que de province.
Quand nos revendications seront
satisfaites et seulement alors, nous
serons prêts, comme nous l'avons
toujours dit, à engager la discussion
sur le fond. Il va sans dire qu'il ne
peut être question pour nous, à un
moment ou à un autre, d'accepter un
quelconque marchandage occulte
dans le cabinet d'un ministre.
L'U.N.E.F. réclame la libre expres-
sion politique et syndicale dans
toutes les instances de l'Université.
Elle souhaite que s'engage partout
une discussion publique sur le sens
et les formes d'un enseignement cri-
tique, sur la jonction qui doit s'éta-
blir entre le combat des étudiants et
celui des travailleurs, sur les moyens
qu'ont les étudiants de poser le pro-
blème d'une transformation des con-
ditions de vie des travailleurs. C'est
poser tout le problème de la culture
et des connaissances.
L'U.N.E.F. met en cause tout le
système des examens. Dans l'immé-
diat et dès cette année elle propose
que leur forme traditionnelle soit
modifiée ; que les épreuves soient
passées avec les cours et les livres ;
que les oraux prennent la forme de
travaux en commun ou de discussion
en groupe ; que l'examen perde sa
forme d'un test unique pour devenir
le résultat de tout le travail de l'an-
née. A terme, nous pensons que tous
les étudiants doivent obtenir leurs
examens et nous nous prononçons
donc pour leur suppression. Dès cette
année, l'U.N.E.F. se prononce pour
le boycott des examens, partout où
le rapport des forces le permettra.
L'U.N.E.F. réaffirme son refus in-
transigeant de toute forme de sélec-
tion, que ce soit à l'entrée de l'En-
seignement Supérieur — nous posons
le problème du bac — que ce soit
dans le cours des études supérieures.
Nous demandons en revanche le dé-
veloppement d'une formation pro-
fessionnelle égale pour tous, mettant
fin à Factuelle répartition des étu-
diants entre cycles courts et cycles
longs.
En un mot, c'est à une réforme to-
tale de l'enseignement français que
l'U.N.E.F. appelle les étudiants. C'est
dire que notre lutte ne fait que com-
mencer.
(Propos recueillis par Rémy Grillaut)
Les 10 jours
qui ébranlèrent
l'Université
• Vendredi 3 mai : à 9 heures, la
faculté des Lettres de Nanterre est
fermés jusqu'à nouvel ordre par le
doyen Grappin avec accord du rec-
teur de l'académie de Paris et du
ministre de l'Education nationale.
En début d'après-midi, manifestation
à l'intérieur de la Sorbonne. A
16 h 45, sur ordre du recteur Roche,
la police fait évacuer la Sorbonne,
embarque les étudiants. A 19 h et
pendant 6 heures, violentes bagar-
res.
• Samedi 4 mai : le recteur de
l'académie de Paris suspend les cours
à la Sorbonne et l'annexe Censier.
Le S.N.E. Sup appelle les enseignants
à la grève. L'U.N.E.F. maintient une
manifestation prévue pour le lundi.
L'Humanité dénonce l'aventurisme
politique de certains qui, « par leurs
agissements, leurs violences, leurs in-
jures ont provoqué cette situation ».
(G. Bouvard.)
• Dimanche 5 mai : le ministère de
l'Education nationale dans un com-
muniqué dénonce « les groupes or-
ganisés qui veulent provoquer par
leurs violences l'interruption du
fonctionnement de certaines institu-
tions universitaires. Il ne saurait ad-
mettre l'état de troubles perma-
nents... ».
• Lundi 6 mai : Grèves et manifes-
tations (organisées par l'U.N.E.F.).
Heurts violents. 20 professeurs des
SPECIAL ETVDIÀNfS
Cette enquête a été réalisée
par nos collaborateurs i Jacque*
Brûson, Alain Echegut, Jacques
Ferlus, André Louée,
de ; Pierre CoUombert et ÊUe
facultés des Sciences, dont M. Kast-
ler, prix Nobel de physique, et Lau-
rent Schwartz, appellent au soutien
de la grève. Dans la matinée, Cohn-
Bendit et sept de ses camarades sont
traduits d.evant une commission dis-
ciplinaire, à la suite de « l'agita-
tion » de Nanterre.
L'Humanité, par l'intermédiaire
de G. Bouvard, dénonce « les agis-
sements aventuristes des groupes
gauchistes... ». Complaisante énumé-
ration des quelques A.G. qui ne sui-
vent pas le mouvement. A 15 h et
jusqu'à 18 h de violents accrochages
opposent manifestants et service
d'ordre (C.R.S. appelés de province),
place Maubert. À 18 h 30, rassem-
blement place Denfert-Rochereau, la
manifestation se dirige Bd Saint-Ger-
main. Jusqu'à 1 heure du matin, du-
res batailles : barricades, voitures in-
cendiées.
En province, manifestations à Gre-
noble, Strasbourg, Caen, Rouen. Grè-
ve totale en science et lettres à Cler-
mont-Ferrand.
• Mardi 7 mai : au cours de la pré-
sentation protocolaire du nouveau
bureau de l'Assemblée nationale au
Président de la République, le géné-
ral de Gaulle déclare : « II n'est pas
possible de laisser s'installer à l'inté-
rieur dé l'Université, les opposants
à l'Université. Il n'est pas possible
d;e tolérer les violences dans la rue... »
Premier bilan : plusieurs centaines
de manifestants blessés dont 60 admis
à l'hôpital. Des grèves limitées ont
lieu dans plusieurs lycées : Miche-
let, Ivry, Montreuil.
A l'appel de l'U.N.E.F., une lon-
gue marche de 18 h 30 à minuit, ras-
semble 30.000 jeûnas à travers Paris.
« L'Internationale » est chantée sous
l'Arc de Triomphe. Après minuit et
jusqu'à 3 h 30, violentes bagarres au
quartier latin.
En province, Toulouse, Bordeaux,
Lyon, Marseille, Le Mans : défilés et
meetings.
• Mercredi 8 mai : au Conseil des
ministres, M. Peyrefitte déclare : « Le
gouvernement ne peut admettre le
fanatisme et la violence ». L'U.N.E.F.
et le S.N.E. Sup rappellent les trois
conditions préalables pour repren-
dre le dialogue : a) départ des forces
de police du quartier latin ; b) libé-
ration et amnistie des étudiants
condamnés ; c) lever du lock-out des
Facultés. Débats à l'Assemblée natio-
nale. 20.000 personnes participent à
18 h au meeting de la Halle aux Vin,<
et au défilé. Pas d'incidents. A Mar-
seille, 3.000 personnes dont des tra-
vailleurs défilent dans la rue.
• Jeudi 9 mai : 11 heures, la grève
continue. 14 h 30, la fermeture de la
Sorbonjrs est levée. A 15 h, Jac-
ques Sauvageot, vice-président de
l'U.N.E.F., déclare : « l'ordre de grè-
ve est maintenu ». A 20 h, M. Peyre-
fitte décide de laisser la Sorbonne
« fermée jusqu'au retour du calme ».
21 h 45, le S.N.E. Sup, solidaire des
étudiants. Minuit, M. Roche déclare
que le Conseil de l'Université ne sié-
gera pas.
En province, manifestations, occu-
pations des Facultés à Dijon, Lyon,
Toulouse, Rennes.
• Vendredi 10 mai : reprise des
cours à Nanterre. Fin d'après-midi,
manifestation place Denfert-Roche-
reau.
A 17 h, 5.000 lycéens se rendent au
rassemblement. 18 h 30, arrivée des
étudiants et enseignants. 19 h 30, un
cortège de 20.000 personnes se dirige
vers la prison de la Santé. 20 h 40,
les responsables de la manifestation
se réunissent. 22 h 05, le recteur fait
savoir qu'il est disposé à recevoir les
responsables des étudiants, dialogue
à la radio. 0 h 15, Cohn-Bendit, des
étudiants et professeurs sont reçus
par le recteur Roche. A 1 h 15, le vi-
ce-recteur Chalin déclare : « Nous
avons essayé de négocier. Nous avons
échoué... » La pseudo-discussion est
consumée. Face au traquenard tendu
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SPÉCIAL ETUDIANTS
tribune socialiste
par le gouvernement, il ne reste
plus qu'une solution : se replier der-
rière les barricades (commencées à
21 h 15). Toutes les issues sont blo-
quées. A 2 h 15, les forces de police
déclenchent leur sauvage répression.
La bataille sera terminée à 5 h 30.
• Samedi 11 mai : la police est maî-
tresse du quartier latin. 10 h 30, les
manifestants sont accueillis par des
grenades lacrymogènes.
En province : Strasbourg, occupa-
tion de la faculté des Lettres. Bor-
deaux, Grenoble, Lyon, Tours, Lille,
occupations et nianifestations.
13 h, conférence de presse de MM.
Sauvageot, Geismar et Cohn-Bendit,
condamnant la répression policière
et proclamant à nouveau les 3 points
pour entamer le dialogue.
Un ordre de grève générale est lan-
cé par tous les syndicats pour lundi.
• Dimanche 12 mai : M. Pompidou,
rentré de l'Afghanistan, au cours
d'une allocution, déclare que la
Sorbonne sera réouverte lundi. Les
syndicats maintiennent l'ordre de
grève générale. n
|~~J Les témoins de la nuit
Voitures incendiées, chaussées
dépavées, panneaux de signali-
sation arrachés, vitres brisées,
débris de planches, branches d'ar-
bres jonchant les trottoirs. Tel était
le visage du quartier latin le samedi
11 mai au matin.
Remontant la rue Cardinal-Lemoi-
ne jusqu'à la place de la Contrescar-
pe, parcourant la rue de l'Estrapade,
la rue d'Ulm, la rue Gay-Lussac jus-
qu'au Luxembourg, nous avons inter-
rogé les habitants des quartiers,
écouté parler les badauds avec les
étudiants, essayant de définir la réa-
lité des faits à la une des quoti-
diens (*).
A travers les témoignages recueil-
lis, il est possible d'avancer plusieurs
éléments, que seule l'image pourrait
nous montrer d'une façon réaliste.
En premier lieu, l'esprit qui anima
ces jeunes étudiants, leur sang-froid,
leur ingéniosité dans la bagarre ;
c'était vraiment leur révolution.
Deuxièmement, la brutale répres-
sion du service d'ordre, n'hésitant
pas à violer les appartements pour
rechercher les étudiants. En dernier
lieu, la population des quartiers, sur-
prise par l'ampleur de la révolte,
mais de plus en plus solidaire au fur
et à mesure des manifestations.
A.F.P
Daniel Cohn-Bendit
Place de la Contrescarpe, un com-
merçants dont 75 % d'étudiants for-
ment la clientèle, est surpris par
l'ampleur des dégâts : « Ils n'ont ja-
mais fait ça. Les vieux, les jeunes,
ça ne peut plus aller. Ah ! les gens
ont peur ; ce matin on faisait des
provisions pour deux ou trois jours. »
Un peu plus loin, nous interrom-
pons le bavardage de trois vieilles da-
mas.
T.S. — Vous avez vu la bagarre de
cette nuit ?
— C'était la fin, vers 5 h 30. Ce
n'était pas beau, Monsieur. Les C.R.S.
sont arrivés par là (rue Cardinal-Le-
moine), les étudiants étaient là sur
la place.
T.S. — Certains étudiants se sont
cachés dans les immeubles ?
— Oui, à côté. Mais la police jetait
des grenades, même dans l'apparte-
ment à côté, là, les gens étaient aux
fenêtres. Ça piquait ce machin-là,
une fumée, ah ! ce n'était pas joli. •»
En remontant rue de l'Estrapade,
deux 2 CV entièrement calcinées ;
nous bavardons quelques instants
avec un curé : « Tout le problème
da la société est remis en cause. Les
étudiants sont restés calmes jusqu'à
2 heures du matin, essayant de dia-
loguer avec le service d'ordre. Le
problème de l'emploi se pose de plus
sn plus tragiquement à la jeunesse.
Je ne suis pas optimiste. »
Au premier barrage de police, nous
entamons facilement le dialogue avec
un gardien de la paix, les yeux rou-
gis: « ... Vous savez la radio, les jour-
naux, tous pareils. Il y en a marre,
ce n'est plus des manifestations... Ils
étaient là-haut Monsieur (désignant
le toit d'un immeuble), ils nous bom-
bardaient de tout, et ça fait mal Mon-
sieur. Où l'on va ! La Révolution
culturelle, toutes ces modes ! ! ! En-
fin, pour des gens intelligents, je ne
sais pas. Vous savez, ils ne sont pas
malheureux, ces fils de bourgeois. »
T.S. — II y a eu beaucoup de bles-
sés graves ?
— Oui ! des deux côtés... Mais
vous savez, j'ai une fille de dix-neuf
ans, elle prépare son bac technique,
jamais elle n'aurait eu l'idée de faire
ça. Puis, entre nous, les blousons
noirs des banlieues étaient montés. Il
n'y avait pas que des étudiants. »
Rue d'Ulm, nous bavardons avec
une habitants d'un immeuble: « Les
étudiants étaient grimpés sur l'im-
meuble en construction, ils avaient
mis les casques et les vestes jaunes
des ouvriers. »
T.S. — Les C.R.S. sont entrés dans
les appartements ou dana les immeu-
bles ?
— Pas ici, Monsieur.
Devant « l'Amitié franco-libanai-
se » transformée en poste de secours
Croix-Rouge. Entre deux haies de
gardes mobiles, des ouvriers dé-
blaient la chaussée. Un contrôleur
des P.T.T. nous explique l'attitude
de la police : « Métro Mabillon, il
était une heure du matin, je me bala-
dais en spectateur neutre, j'ai été
interpellé par la police : « Qu'est-ce
que tu fais là espèce de branleur ?
Barre d'ici ! » II y en a un qui m'a mis
un coup de pied au derrière, un au-
tre voulait me filer un coup de ma-
traque, je me suis sauvé. »
A l'intérieur du Franco-libanais,
j'interroge le chef du poste de la
Croix-Rouge ; mutisme complet :
« Pas da blessés graves. Au plus, une
ou deux fractures, mais accidentel-
les. »
T.S. — On a dit que des blessés
avaient été matraqués sur les bran-
cards ?
— Non, pas ici. » Et ailleurs ?...
Au bout de la rue d'Ulm, la rue
Gay-Lussac est barrée. Carcasses de
voitures incendiées, chaussée com-
plètement dépavée, avec la pluie qui
tombe, une boue noirâtre se forme.
Mousqueton en bandoulière, les gar-
des mobiles impassibles barrent la
rue.
Après bien des détours, évitant les
dispositifs de police, nous pénétrons
dans le périmètre. Une vieille dame,
habitante d'un immeuble, a peu dor-
mi cette nuit : « Les voitures incen-
diées ; avec la chaleur les vitrines
éclataient. C'était affreux. »
T.S. — Des étudiants se sont réfu-
giés dans l'immeuble ?
— Oui, mais la police venait les
chercher.
T.S. — // y a eu des blessés gra-
ves
— Oui ! Ce n'était
pas
beau,
non !.. »
Un peu plus loin, un concierge
nous fait entrer dans sa loge, autour
d'une tasse de café explique ce qu'il
a vu : « C'était un gars de l'U.N.Ê.F.,
j'avais discuté avec lui avant l'atta-
que. Ce sont les C.R.S. qui l'ont pous-
sé dans les vitres de la porte. Il
priait : « Sauvez-moi, pitié. » Les
C.R.S. l'ont tiré, il avait le cou ar-
raché : « Sale vache, je vais le faire
voir ce que ça donne ». Qu'est-ce
qu'ils lui ont mis ! ! !
T.S. — Les C.R.S. sont rentrés
dans les appartements ?
— Je certifie et affirme qu'ils sont
rentrés à l'intérieur. Il y a eu viola-
tion de domicile.
T.S. — Vous avez aidé les étu-
diants ?
— Oui, Monsieur. Quand la police
a employé les gaz, les étudiants ont
demandé des chiffons ; les gens en
ont envoyé par centaines... Moi, je
suis un ancien, je ne peux pas expli-
qusr tout cela. Ils ont un idéal, car
pour attaquer les C.R.S. armés jus-
qu'aux dents, il faut être gonflé. »
En descendant le Bd Saint-Michel,
des groupes d'étudiants et des ba-
dauds engagent des discussions. Par-
fois tout cela se passe à quelques me-
tr.ss du service d'ordre impassible,
étonné, parfois cynique dans le re-
g-ard.
Un petit vieux qui travaille depuis
longtemps dans le quartier, ne com-
prend pas : « Moi, les étudiants, je
les connais bien. C'est pas eux qui
ont fait ça. »
T.S. — Vous étiez au courant des
manifestations ?
— Oui, mais je ne m'attendais pas
à ça... Vous savez je suis vieux, ma
retraite on en parle jamais de cel-
le-là ! »
Ces manifestations ont regroupé
des étudiants, mais aussi des lycéens
et des jeunes travailleurs. Nous les
avons vus. Non, ce n'était pas un mo-
nôme, ni un défilé classique de la
République à la Bastille. C'était tout
autre chose, le constat d'échec d'un
système, d'un régime, la réponse
d'une jeunesse face à l'ordre établi.
16 mai 1968
SPÉCIAL ÉTUDIANTS
page 5
ignorant ou voulant ignorer l'acuité
îles problèmes. Aujourd'hui le quar-
tier latin. Et demain ?... ;
1*1 Samedi 11 mars dans l'après-midi.
I | Les lycéens aussi
Des milliers de lycéens sont des-
cendus la semaine dernière
dans la rue, pour manifester
leur solidarité avec leurs camarades
étudiants. Professeurs en tête, ils ont
défilé de la gare de l'Est au Quartier
Latin. Quelques jours plus tôt, les
plus déterminés d'entre eux se fai-
saient matraquer sur les barricades
de la rue Gay-Lussac ou de la rue
d'Ulm.
Simple effervescence ? Non. Le
temps des monômes et des chahuts
est maintenant dépassé. De Rennes
à Strasbourg et de Lille à Marseille,
plus de 40.000 adolescents, de la troi-
sième à la classe terminale sont dé-
sonnais solidaires d'un même com-
bat. Quel est-il ? Qui sont-ils ? Et
que veulent-ils ? C'est avec le sérieux
des jeunes gens, qui se sentent déjà
des hommes et des femmes respon-
sables, que les lycéens, membres des
Comités d'Action ont répondu à ces
quelques questions.
Un phénomène de génération
spontanée
Mouvements de revendications qua-
si spontanés — du, moins sans gran-
de préparation — les C.A.L. sont nés
des grèves intersyndicales des mois
derniers. L'exclusion d'un de leurs
camarades du lycée Carnot a cristal-
lisé leur action. Depuis, ils s'organi-
sent.
Personne ne s'y attendait. Pour la
première fois depuis des années, le
4 décembre dernier, dans huit lycées
parisiens, un mouvement de grève est
lancé par des élèves et largement sui-
vi. Au réfectoire de Louis-le-Grand,
par exemple, un comité de grève se
Conseil aux proviseurs :
« D'abord l'ordre »
constitue et décide de soutenir la
manifestation organisée par la
C.G.T., la C.F.D.T. et l'U.N.E.F., pour
protester contre la politique gouver-
nementale des ordonnances. Le mou-
vement fait boule de neige. A Turgot,
Decour, Buffon, Camille Sée, Con-
dorcet, 90 % des élèves de première
et des classes terminales n'assistent
pas aux cours du 13 décembre. Par
l'intermédiaire des Comités Vietnam,
des dizaines de jeunes gens et de
jeunes filles sont prévenus. A Buffon,
200 d'entre eux se heurtent violem-
ment aux forces de police. Il y a des
blessés.
Des réunions, auxquelles partici-
pent de nombreux professeurs se mul-
tiplient. Un comité d'action de ly-
céens se constitue au lycée Jacques
Decour. Mais ce n'est qu'un début.
Pour protester contre le sous-dévelop-
pement et la mauvaise adaptation
actuelle de l'enseignement du second
cycle, première et classes terminales
des lycées, les syndicats de profes-
seurs du second degré affiliés à la
Fédération de l'Education nationale,
appellent le 26 février leurs adhé-
rents à une grève de 24 heures. « Ces
revendications nous concernent. Les
professeurs manifestent pour nous.
Nous devons assurer la réussite totale
de la grève au mépris des cours que
certains professeurs tiendraient à as-
surer » proclament les tracts diffu-
sés par les élèves. Spontanément, des
lycéens se regroupent, s'organisent,
rencontrent leurs professeurs. Béné-
ficiant de l'appui des maîtres et des
surveillants, des C.A.L. se multi-
plient.
L'affaire
Pour demander la réintégration
d'un élève de Condorcet, menacé
d'exclusion pour avoir incité ses ca-
marades à venir en classe le 11 jan-
vier afin de récupérer les journées de
vacances des 21 et 22 décembre, près
de 400 lycéens manifestent dans le
quartier Saint-Lazare. De part et
d'autre, les passions s'échauffent. Fi-
nalement, Nicolas B. expulsé de Con-
dorcet, sera réintégré quelques jours
plus tard au lycée Voltaire, sur in-
tervention du ministère de l'Educa-
tion nationale.
Encouragés par l'extension que
prend leur mouvement, les lycéens
organisent des stages de formation, et
commencent à élaborer le program-
me d'une campagne nationale d'ac-
tion. Un collectif provisoire, d'une
vingtaine de membres, est chargé de
coordonner la lutte des comités lo-
caux. Un véritable bulletin d'agita-
tion, « Liaisons », tiré à 250 puis à
300 exemplaires est envoyé dans tous
les lycées de France.
Après les événements des jours
derniers, des C.A.L. existent désor-
mais dans tous les lycées, et com-
mencent à se créer jusque dans les
établissements privés.
Non au lycée prison
Groupes de pression, qui n'ont ni
l'idéologie d'un parti politique, ni la
structure d'un syndicat, même si leurs
sympathies de gauche sont nettement
affirmées, les comités d'action de
lycéens s'insurgent d'abord contre les
perles des règlements scolaires, que
l'on prétend leur imposer.
Sous prétexte de discipline, on veut
faire en effet des lycéennes et des
lycéens d'aujourd'hui, les parfaits
modèles des écoliers du début du siè-
cle. La rigidité du pli d'une jupe, et
la rigueur d'un nœud de cravate, sont
presque aussi importants que les
notes obtenues dans le travail sco-
laire. L'appartenance au Comité Viet-
nam risque désormais de conduire
l'élève devant le conseil de discipline.
La liberté d'opinion et la liberté
d'expression devraient pourtant fi-
gurer dans les règlements intérieurs
de nos lycées. Il est inconvenable, en
plein XX' siècle, de refuser à un
adolescent de 18 ans de s'ouvrir aux
problèmes d'un monde qui le concer-
ne, même s'il doit en débattre avec
un brin de passion et de romantisme.
En août, les rapports entre l'admi-
COMMUNIQUE DU P.S.U.
Paris, le 9 mai 1968 - 20 h
Le gouvernement gaulliste continue
à jouer avec le feu ; il porte l'écra-
sante responsabilité de prolonger à
l'Université une situation tendue qui
peut à tout moment dégénérer en af-
frontements violents. Pour se tirer
d'une passe difficile, le ministre Pey-
refitte a laissé entendre hier soir que
les Facultés de Nanterre et de Paris
pourraient être rouvertes aujourd'hui.
En fait, il ne songeait qu'à mettre en
place un système de filtrage par les
C.R.S. et à imposer la reprise des
cours en présence et sous le contrôle
des agents de la répression. Certaines
forces politiques qui n'ont pas hésité
à insulter les étudiants pendant que
ceux-ci se battaient, tentent aujour-
d'hui avec impudeur de changer le
sens de leur combat afin de s'appro-
prier leur victoire.
A l'appel de l'U.N.E.F. et du S.N.E.
Sup, les étudiants, les lycéens et de
nombreux enseignants, ont fait hier
soir la preuve de leur sang-froid et
de leur patience. On se tromperait
lourdement si l'on voulait voir dans
cette attitude un manque de résolu-
lion ; on prendrait des risques graves
à vouloir prolonger le petit jeu de 1«
division entre étudiants ou de l'isole-
ment de ceux-ci par rapport à une
opinion publique qui comprend de
mieux en mieux le sens de leur
combaî.
L'U.N.E.F. a posé trois conditions
préalables à toute discussion. Aucune
de ces conditions n'est remplie. En
conséquence, la lutte ne peut que
continuer et que s'intensifier.
Le P.S.U. assure les étudiants de
sa solidarité totale. Il appelle ses mi-
litants dans les Facultés et dans les
Lycées à se mobiliser toujours plus
intensément sous la direction que le
mouvement étudiant s'est donnée et
qui est seule qualifiée pour détermi-
ner les formes de son combat.
nistration, les professeurs et les élè-
ves n'ont guère changé depuis Na-
poléon. Le lycée, n'est pas le lieu
principal de l'épanouissement de
l'adolescent. Il veut cesser d'être un
assisté et devenir un responsable, au-
quel on reconnaît le droit de partici-
per à la gestion de son établissement.
page 6
SPÉCIAL ÉTUDIANTS
tribune socialiste
Contre la sagesse démagogique
du Conseil intérieur
La plupart des proviseurs, n'auto-
risent pas encore la participation de
leurs élèves aux assemblées intérieu-
res des lycées dont l'importance
n'échappe pourtant à personne. Com-
posé le plus souvent du directeur, du
censeur, d'un surveillant général, de
professeurs élus par leurs collègues,
et d'un représentant des agents, le
Conseil intérieur des lycées par
exemple, règle une fois par mois, la
vie matérielle et intellectuelles des
lycées. Les emplois du temps, la date
des compositions, les réparations à
effectuer sont de sa compétence. On
comprend toute leur importance.
Mais avoir un strapontin est une cho-
se, et avoir le droit de présenter ses.
revendications en toute quiétude
en est une autre. Or jusqu'à présent,
quand l'administration a convoqué
des élèves, c'est pour désamorcer des
menaces d'agitations trop bruyantes,
en pratiquant la politique de la ca-
rotte et du bâton.
Contre l'arbitraire de la sélection
de Vorientation
Mais l'entrée des élèves au sein des
conseils internes, implique que leur
soit aussi reconnu le droit de contes-
ter des méthodes d'enseignement,
qu'ils réprouvent. La sélection à l'en-
trée dans le second cycle prévue par
le plan Fouchet, soulève leur indi-
gnation. D'autant, disent-ils, qu'elle
est le plus souvent arbitraire. « La
création de barrages successifs de la
sixième à la classe terminale, permet-
tra seulement à une minorité d'accé-
der aux études longues ; la majorité
d'entre nous ne recevra qu'une for-
mation professionnelle étroite. Cela
est inadmissible » ont-ils depuis long-
temps constaté.
Leur participation massive aux ma-
nifestations étudiantes de ces derniers
jours, souligne leur inquiétude face
à des problèmes qui demain seront
leurs. Leur lucidité et leur courage,
ont fait en tout cas des comités d'ac-
tion lycéens, l'un des éléments de la
contestation globale d'une quiétude
qui se meurt. D
Q L'élan de la rue
Depuis dix jours le rythme de
notre train-train quotidien a
été brisé. Pendant quelques
journées nous sommes passés du rôle
de témoins à celui docteurs. Nous
avons fait de l'histoire.
La nuit de vendredi à samedi a été
le point culminant de ces jours de
fièvre. Ça n'était pas 'a révolution.
Pourtant, la quasi-totalité de ceux
qui, d'une manière ou d'une autre,
ont participé aux combats contre les
« chiens de garde » du régime bour-
geois, ont connu cet « élan vital »
qu'évoquait, la semaine dernière, lors
du colloque consacré à Marx par
l'Unesco, le philosophe Herbert Mar-
cuse, impitoyable analyste des con-
tradictions, des maladies, des fantas-
mes de la « Société industrielle. »
II y a eu durant cette nuit des minu-
tes exaltantes. Une mutation mysté-
rieuse, rare, s'est opérée dans les es-
prits et les cœurs. Ceux qui ont élevé
les barricades n'oublieront pas de
sitôt l'espèce de joie profonde, l'es-
pèce de vertige sans limites qui se
sont emparés d'eux.
C'était comme si brutalement un
couvercle sautait, libérant des éner-
A.F.P
gies depuis toujours réprimées.
C'était comme si une longue solitude
prenait fin. Une fois encore preuve
était donnée que l'homme n'est pas
la création de la nécessité, mais la
création du désir. Admirable et tra-
gique spectacle à la fois ! Moment
de vérité unique. Soudain tout était
aboli : l'angoisse, la peur de la mort,
l'inquiétude de la vie. Le regard de
chacun balayait un vaste horizon pos-
sible dans le frémissement des (Jra-
peaux rouges. La négation devenait
affirmation. Affirmation d'un monde
nouveau, urgent, absolument néces-
saire. Ce n'étaient pas des trognes de
flics complètement paumés que les
pavés visaient : c'était tout ce qu'une
jeunesse, étudiante et travailleuse,
brutalement révélée à elle-même, une
jeunesse éclatée hait de toute la vio-
lence de ses poings. Le désespoir hur-
lait l'espoir. Nous montions vérita-
b1 jment à l'assaut du ciel.
Parfois, les peuples s'arrachent aux
chaînes des tabous, émergent des té-
nèbres, pénètrent en pleine lumière,
créent spontanément la vie. Ici, je
songe aux admirables pages que
Jacques Berque a consacrées dans
Dépossession du monde aux fêtes
de l'indépendance algérienne. Un
peuple, ivre, lâché dans les prairies
de la liberté. Je songe encore aux
témoignages sur la Commune de Pa-
ris, sur la révolution allemande de
1918. Les hommes font la fête. La fête
est une nécessité humaine. Ceux de 89
l'avaient compris qui ont tenté de
substituer aux rites chrétiens, des
rites nouveaux.
Aujourd'hui, dans nos sociétés où
nous vivons le « cauchemar clima-
tisé » dénoncé par Henry Miller, la
fête est interdite. Les interdits so-
ciaux engendrent des interdits mo-
raux. Le citoyen mutilé hante un
royaume d'apparences. Etranger à
lui-même, il affronte un irrationnel
que les mass-media tentent de « ra-
tionaliser ». L'« absurde » est pré-
senté comme une catégorie du « nor-
mal ».
L'individu révolutionnaire, isolé,
minoritaire, accablé par le silence
des masses, n'ose plus croire que la
fête soit encore accessible. Puis, sou-
dain, les faits s'enchaînant, faits po-
litiques, quotidiens, apparemment
simples, il devient fragment de fou-
le. II donne sa fièvre et reçoit colle
des autres. 30.000 individualités in-
ventent un seul être, en proie aux
fulgurantes obsessions. Miracle : La
vie change, le monde se transforme.
Le projet devient réalité. La vieille
terreur enfouie au plus noir de l'es-
prit, est noyée par une aube sans
nom. Polices du monde, craignez
ceux qui ont touché le cœur brûlant
de la liberté. H
D Dans
les quartiers ouvriers
Les discussions allaient bon train
dans le petit café de banlieue
samedi dernier. Pour une fois
on avait autre chose que le tiercé
ou les faits divers du « Parisien li-
béré ». Ce journal connaissait d'ail-
leurs quelques critiques de la part
de ces lecteurs : « Ils déforment
tout ce qui s'est passé, moi je ne
peux j>as croire que ce sont les jeu-
nes qui ont mis le feu aux voitures...
— Et si tu crois qu'à la télé... ? —
Oh, moi dans des cas comme ça,
je ne la regarde plus... »
Mais peu à peu les propos dépas-
sent le stade du fait divers on es-
saie de comprendre pourquoi tout
cela s'est produit : « Des excités.
Laurent Schivartz
fhonneur
A.F.P.
vous n'allez pas me dire qu'on ac-
cepte de se faire bourrer la g... toute
une semaine pour le plaisir. S'ils en
sont arrivés là c'est qu'ils ont une
raison. — Mais à la télé ils ne font
jamais parler les étudiants... — Ils
ont reçu des ordres, c'est sûr. — Moi,
j'ai écouté la radio toute la nuit, s'il
n'y avait pas eu ma femme, je serais
parti au quartier latin. — Qu'est-ce
que tu aurais fait, pourquoi — Je
n'en sais rien, mais je sens qu'ils ont
raison et qu'on n'a pas le droit de les
laisser seuls .»
Puis on parle des étudiants :
« Tiens, mon fils, on se saigne pour
ses études, mais je. me demande à
quoi va lui servir tout ce qu'il ap-
prend. On ne lui demande que de
réussir des examens, mais son diplôme
à quoi ça va lui servir ? — 11 faudrait
qu'on puisse discuter avec «les étu-
diants, mais il faut que ça se calme
un peu. — Tu crois que tous les étu-
diants sont du même avis ? Si ceux
qui manifestent ern... les autres, tant
mieux, ça les fera réfléchir. Peut étri-
qué plus tard il y aura moins de ces
types qui en ont plein la bouche
quand ils prononcent le mot cadre. »
Sur un ton admiratif un ouvrier
syndiqué tire la conclusion : « Ils
sont quand même gonflés. Ils
ont fait ce que le.» ouvrira auraient
COMMUNIQUE DU P.S.U.
Paris, te 10 mai 1968 - 12 h.
Parce que le P.S.U. n'a jamais ac-
cepté la moindre tentative de confis-
cation par les appareils extérieurs du
mouvement étudiant,
Parce que, dès le vendredi 3 mai, le
P.S.U. s'est affirmé solidaire des lut-
tes étudiantes, sans restriction,
Parce qu'aujourd'hui les communi-
qués et les déclarations ne suffisent
plus, que les provocations policières
voulues par le gouvernement devien-
nent de plus en plus intolérables pour
les universitaires, qu'en conséquence
les risques d'affrontement sont grande,
Le Parti Socialiste Unifié appelle
tous ses militants de la région pari-
sienne, tous ses sympathisants à re-
joindre la manifestation convoquée à
18 h 30 à Denfert-Rochereau par
l'U.N.E.F. et le S.N.E.Sup. Ces mili-
tants et sympathisants suivront en tout
point les mots d'ordre et consignes
des responsables étudiants. D
r
16 mai 1968
SPÉCIAL ÉTUDIANTS
page 7
dû faire depuis longtemps. Deux fois
par an on use nos godasses entre la
République et la Bastille et ça ne
sert à rien. Eux en huit jours ils ont
tout changé. Moi je reprends confian-
On t'élimine
Au quartier latin l'ambiance est
diférente. C'est samedi, nombreux
sont ceux qui sont venus voir. Et
tout le long du boulevard Saint-Mi-
chel, encadrés par les forces de poli-
ce, des petits groupes se constituent
et discutent. Il y a là des étudiants et
des travailleurs.
« Non, ce n'est pas nous qui avons
commencé les violences. — D'accord
avec vous, les flics je les ai suffisam-
ment pratiqués au moment de la
guerre d'Algérie. » Ailleurs on es-
saie de savoir ce que veut le mou-
vement étudiant : « C'est contre le
gouvernement que vous vous bat-
tez ? — Oui, et contre, tous ceux qui
ne font rien pour que ça change.
— On en a un plein dos d'être trai-
tés comme, des minus. — Oh tu sais,
dans ma boîte c'est pas mieux.
Dès que tu te permets d'avoir une
petite idée on t'élimine. — Alors
il faut venir avec nous, vous battre
avec nous. — Je n'ai pas le courage,
et puis vous, vous n'avez rien à per-
dre. »
Un peu plus loin, un autre groupe.
Un ouvrier parle : « Vous aurez du
mal à vous faire entendre, toute la
politique est pourrie. — Pas toute,
réplique un étudiant. — Mais si, vous
pouvez les prendre tous, regardez ce
qu'ils écrivent dans « l'Huma ». Wal-
deck a' peur. Et Guy Mollet ? Si on
leur disait : enlevez-vous de là on va
mettre des jeunes, eux aussi iraient
chercher les flics. — Alors il faut
faire la révolution ? Commencez par
faire sauter la télé et ça ira mieux. »
C'était vraiment un meeting per-
manent qui se tenait samedi sur les
débris des barricades. Dimanche les
« bourgeois » endimanchés déambu-
laient à nouveau sur le boulevard
Saint-Michel entre deux haies de
gendarmes décorés comme des ma-
réchaux soviétiques et personne
n'osait leur dire qu'ils avaient mené
une bien triste bataille. D
I j Les armes employées
Au cours de la conférence de
presse du samedi 11 mai, les
responsables étudiants ont dé-
noncé l'emploi par les forces de police
de grenades à gaz C.S. (utilisé aux
U.S.A.), particulièrement dangereux,
pouvant provoquer la mort, interdi-
tes par la Ligue des Droits de l'Hom-
rne.
Certains témoins ont affirmé avoir
vu des grenades offensives et des gre-
nades au chlore :
— la grenade explosive offensive,
utilisée en Algérie, d'une portée de
25 à 35 mètres. Son rayon d'efficacité
est d« 8 à 10 mètres. Elle a un effet
de souffle.
— la grenade au chlore, utilisée la
première fois en 1914, attaque les
muqueuses. Le chlore est suffocant
et très irritant. D
Les médecins affirment
11 :est peut-être encore tôt pour
dresser le bilan définitif des bles-
sés. Lundi 13 mai, la situation se
résumait ainsi : trois blessés graves
à l'hôpital Cochin, blessures occa-
sionnées par l'explosion des détona-
teurs de grenades : amputation
d'une main, et deux fractures ouver-
tes à la jambe et au pied. A l'hôpi-
tal Laennec, nombreux brûlés et ris-
que de cécité partielle dans certains
cas.
Dimanche 12 mai à 21 heures, le
Dr Khan a tenu une conférence de
presse à l'amphithéâtre 32 de la
faculté des Sciences, quai St-Bernard.
Il a porté des accusations contre les
autorités ayant permis l'utilisation
d'un gaz particulièrement dangereux
le C.S. : « Au Foyer libanais, de
nombreux intoxiqués présentaient
des symptômes sévères : irritations
oculaires et bronchites, vomissements
et nausées incoercibles. Le CS est un
produit extrêmement dangereux, sur
lequel il n'existe aucune toxicologie
connue en France. J'ai avisé l'Assis-
tance publique qu'un toxique avait
. été utilisé dans les rues, que les mé-
decins ne possédaient aucune docu-
mentation sur ce gaz et j'ai deman-
dé une enquête de l'A.P. auprès des
médecins responsables de la préfec-
ture de police. A 18 h, l'A.P. a ob-
tenu l'aveu formel : trois sorte de
grenades ont été utilisées, dont cer-
taines au chlorocétophénane (produit
pris pour du chlore) et des projecti-
les au C.S. »
M. Grimaud, quant à lui, n'a rien
vu, ni senti : « Un seul typ-f de gre-
nades ». L'essentiel, il est vrai, était
de maintenir l'ordre à tout prix. Du
gaz C.S. au coup de feu, il n'y a
qu'un pas. D
D LE P.S.U.
et les luttes
universitaires
Nous publions ici le rapport présenté par
Abraham Béhar au Comité politique natio-
nal, rapport qui avait été écrit le 1 mai
1968, avant les événements que l'on sait.
Nous le publions tel qu'il était, la réso-
lution jointe donnant l'appréciation du
parti, compte tenu des derniers dévelop-
pements.
La stratégie d'alternative socialis-
te suppose notre engagement
dans toutes les luttes qui com-
portent une contestation du pouvoir
établi et du type de société qu'il per-
pétue. C'est pourquoi, au même titre
que les luttes sociales (ouvrières et
agricoles), le combat pour le droit
à la santé, etc., le champ universitai-
re est un terrain d'action très impor-
tant et de plus largement spécifique.
Que se passe-t-il
dans l'Université ?
En Europe, dans toutes les capita-
les, le mouvement étudiant est passé
à l'action. La fraction progressiste de
COMMUNIQUE DU P.S.U.
Paris le 11 mai 1968, 7 heures
Pour la seconde fois en une semai-
ne, de Gaulle a jeté le masque. Il sa-
vait fort bien que la manifestation de
la nuit dernière se déroulerait dans
le calme s'il prenait l'engagement for-
mel de relâcher les étudiants empri-
sonnés et ouvrait totalement les lo-
caux universitaires. Les directions
syndicales de l'U.N.E.F. et du S.N.E.
Sup en avaient donné la preuve en
acceptant mercredi de retarder de
deux jours la réalisation de leur ob-
jectif, le retour à la Sorbonne, en si-
gne de responsabilité politique et en
attente d'un geste d'apaisement gou-
vernemental que le ministre avait an-
noncé à l'Assemblée nationale.
Au lieu de quoi, le régime a tapé.
Délibérément, il a choisi la voie de la
répression sanglante. L'Université de
France est morte hier soir, elle est
remplacée par la police. Le régime en
outre a menti sur trois points : la po-
lice n'a pas été attaquée, c'est elle qui
a allumé tous les incendies, c'est elle
aussi qui a employé des gaz à base
de chlore.
Cette sauvagerie délibérée doit ou-
vrir les yeux à tous les Français :
l'admirable combat des étudiants et
des professeurs est aujourd'hui leur
affaire.
Le P.S.U. a participé depuis le 3 mai
et toute cette nuit au combat des étu-
diants. Il appelle aujourd'hui tous ses
militants et tous les travailleurs à
manifester leur solidarité avec les
étudiants sur le plan matériel com-
me sur le plan politique, et à se tenir
prêt à participer à l'immense protes-
tation collective que vont organiser
les dirigeants du mouvement étu-
diant.
page 8
SPÉCIAL ÉTUDIANTS
tribune socialiste
Les Ittirriradrs du {térimètre
celui-ci a pris l'initiative, soit seule
(Berlin, Rome, Londres, Paris, etc.),
soit en liaison avec les travailleurs
(Madrid, Prague, etc.)- Si apparem-
ment les objectifs semblent différents
(contestation de l'Université libérale
ici, d'une bureaucratie étouffante
ailleurs...), on peut noter cinq élé-
ments convergents :
1. — Le point de départ des ac-
tions est universitaire, et résulte
d'une prise de conscience du statut
d'aliéné que réserve l'enseignement
supérieur aux étudiants : partout la
condition étudiante est rejetée, parce
qu'elle est celle de sujets de seconde
zone, d'assujettis, tant par les métho-
des d'enseignement (la connaissance
étant un privilège que ses détenteurs
consentent à exposer doctrinalement
sans acceptation de critiques) que
par le sens même de cet enseigne-
ment, trop souvent calqué sur l'idéo-
logie dominante.
2. — Les premiers objectifs sont
aussi universitaires et portent sur la
mise en place de structures de contes-
tation (contre-examens, contre-uni-
versité, etc.) ; dans l'ensemble tons
les raccourcis négligeant les problè-
mes des facultés (par ex. : tout appel
limité au soutien de la révolution
cubaine ou tout ouvriérisme) n'ont
pas abouti.
3. — Mais les premiers objectifs
sont très vite dépassés ; il v a une
radicalisation rapide des luttes étu-
diantes. En effet, derrière l'institu-
tion universitaire, c'est toute la so-
ciété qui est remise en cause.
4. — La répression anti-étudiante
a élé sévère, avec de véritables ap-
pels %u meurtre As-, la presse réaction-
naire (par ex. en Allemagne ou en
France où Minute appelle ouverte-
ment au massacre des étudiants). Des
enseignants conservateurs appelant
au secours la police. Mais devant
l'épreuve de force l'institution uni-
versitaire s'effondre et laisse agir la
répression policière. Il y a donc une
petite nuance avec le caractère im-
placable et institutionnel de la ré-
pression anti-ouvrière (dont rentre-
prise se charge pour une grande
part).
5. — Ce sont les mouvements étu-
diants franchement politiques, dont
les objectifs dépassent le cadre de
l'université, qui ont su se mettre à la
tête du mouvement : ainsi, le S.D.S.
en Allemagne, les étudiants du
P.S.I.U.P. et les marxistes-léninistes
en Italie, ont réussi à entraîner l'en-
semble des courants progressistes,
sauf les étudiants communistes dont
la ligne politique revient à une ac-
ceptation de fait de l'Université
conservatrice.
En France, on retrouve bien sûr
le reflet de cette crise, et l'acharne-
ment mis à réprimer le mouvement
de Nanterre et les manifestations de
rUJï.E.F. et du S.N.E. Sup est très
significatif à cet égard. Mais deux
raisons essentielles expliquent le vi-
sage particulier, spécifique des luttes
universitaires françaises :
1. — La France possède un syndi-
cat progressiste étudiant sans équiva-
lent en Europe. L'UJÎ.'E.F. a depuis
longtemps analysé et compris l'im-
portance de la crise et en a tiré les
conséquences. Bien plus, elle a su
trouver des alliés dans le corps en-
seignant, tout spécialement parmi les
syndiqués du S.N.E.-Sup (F.E.N.).
Un tel mouvement permet un type
d'action mieux coordonné et plus ef-
ficace que dans les autres pays.
2. — Le Gouvernement gaulliste a
un projet universitaire qui est cohé-
rent à l'origine. Que ce soit la réfor-
me Fonchet (qui porte sur la scola-
rité) ou les projets Peyrefitte (por-
tant sur la sélection des étudiants et
l'adaptation de la pédagogie) au dé-
part ces réformes sont destinées à ré-
soudre la crise structurelle de l'Uni-
versité dans un sens favorable au
néo-capitalisme ; dans l'application,
des compromis sont passés avec les
potentats de l'enseignement supé-
rieur. Mais néanmoins, dans la me-
sure où le gaullisme entre en lutte
pour appliquer ses réformes avec
l'Université libérale, le mouvement
étudiant est obligé de se battre en
France sur deux fronts.
(Juels .son/ les enjeux
de In halaille ?
1. — C'est dans l'enseignement su-
périeur que se trouve à la ^pis la for-
mation des chercheurs et des techni-
ciens hautement qualifiés, et les or-
ganismes de recherche scientifiques
publics. Or, dans la compétition in-
ternationale, ce qui compte de plus
en plus comme facteur de développe-
ment et comme moyen de concurren-
ce, c'est le niveau scientifique moyen.
La rcherche en effet commande en
grande part la productivité des en-
treprises (en introduisant de nouvel-
les techniques) et peut être enfin
génératrice elle-même de nouvelles
industries (comme l'informatique).
Le contrôle de l'Université est donc
un enjeu fondamental et pour le gou-
vernement et pour les capitalismes
extérieurs (le « marché des cer-
veaux » devient aussi important que
le marché des matières premières).
2. — Mais pour être pleinement
utilisable, il faut non seulement
prendre le contrôle de l'Université,
mais aussi résoudre sa crise interne.
Or, les structures sont totalement ar-
chaïques ou inadaptées. Non seule-
ment le cloisonnement persiste et le
mandarinat se développe, mais le
flux croissant des étudiants fait cra-
quer l'institution de toute part. A la
prochaine rentrée, cette crise struc-
turelle sera au maximum, et les ré-
formes gouvernementales n'y pour-
ront rien.
Surtout qu'à côté de cette crise,
somme toute soluble par nos gouver-
nants, se développe une crise bien
plus profonde, touchant le message
même que délivre l'institution. Les
enseignants y croient de moins en
moins, et surtout les étudiants le
contestent de plus en plus. Ici, c'est
l'idéologie même, fabriquée par
l'Université, qui vacille. Cette crise,
qui transparaît dès maintenant et
qui s'aggravera à la rentrée, le gou-
vernement gaulliste ne peut en au-
cun cas la résoudre.
Les enjeux sont ainsi délimités :
— pour l'Université libérale conser-
vatrice, c'est la lutte pour la vie,
et le refus de toute remise en
cause ;
— pour le gouvernement, la mise en
place rapide de mesures réglant
la crise structurelle en particulier
en aggravant l'élimination des
étudiants dès l'entrée dans le su-
périeur, et en contrôlant totale-
ment la recherche ;
— pour les forées de contestation^
principalement étudiantes, une ac-
tion à la fois sur les structures,
mais aussi une contestation île
l'idéologie officielle, et ceci avant
même la rentrée prochaine, reste
la seule voie offerte.
(hte douent faire
les militant* l'.S.l'.
pour i elle rentrée '
II revient aux V'.S.U. d'être le mou-
vent (l'avant-garde de l'action étu-
diante et ceci y compris dans leur
syndicat, l'U.N.E.F. Pour assurer ce
rôle ils ont à appliquer dans l'Univer-
sité la stratégie globale du Parti, et
à s'appuyer sur les besoins de chan-
gement profonds des structures pour
contester radicalement l'idéologie
dominante dans l'institution. Cette
ligne, qui revient à donner au P.S.U.
un rôle prédominant dans les luttes
universitaires, n'est possible :
a) que si toute alliance avec les
forces de conservation est rejetée.
Or, dans l'Université, la F.G.D.S. est
quasi absente en tant que groupe ac-
tif ; par contre, le P.C. et son appen-
dice bien contrôlé : l'U.E.C. joue un
rôle important. Or, en faisant cons-
tamment dévier les luttes étudiantes
dans la seule réclamation quantita-
tive (des locaux, des crédits, des res-
taurants...) ; en volant au secours des
pires réactionnaires de l'Université
dès qu'ils sont en péril (comme à
Nanterre) ; en proposant une réfor-
me de l'Université qui ne remet ja-
mais en question l'idéologie domi-
nante, le P.C., dans le domaine uni-
versitaire, se comporte donc objecti-
vement comme une grand défenseur
de l'institution libérale. De plus, son
attitude devant la répression policiè-
re aggrave encore cette impression.
b) que toute tentative ouvriériste
ou au contraire de repli sur soi-mê-
me soit rejetée.
16 mai 196S
SPÉCIAL ÉTUDIANTS
page 9
c) que des objectifs clairs soient
assignés dès maintenant aux mili-
tants du 'P.S.U. pour la rentrée :
— outre le nécessaire travail d'expli-
cation politique des enjeux de la
bataille ;
— outre les propositions de réforme
de structures très profondes à pro-
poser (cf. Programme) — en sa-
chant qu'ils ont des limites, la for-
ce d'assimilation, de digestion,
d'intégration de l'institution est
incommensurable — ;
— outre la nécessaire métiance de-
vant toute cogestion avec l'Etat
actuel (véritable alliance du pot
de fer et du pot de terre) ;
— outre le renforcement de l'orga-
nisation étudiante, l'U.N.E.F., qui
est très largement représentative ;
C'est aussi une contestation idéo-
logique qu'il faut maintenant organi-
ser sur des bases solides. Elle devra
être animée, soutenue, étendue pro-
gressivement, grâce à des structures
adaptées. Ce peut être, selon les pos-
sibilités locales et le niveau de
conscience des étudiants :
1) des comités enseignants-étu-
diants (ce qui permet, dans des struc-
tures de dialogues, de scinder le
corps enseignant en partisans de la
contestation étudiante et en adver-
saires) ;
2) les universités critiques, c'est-à-
dire la démonstration effective qu'un
autre enseignement avec un autre
contenu et d'autres méthodes est pos-
sible (en sciences, en créant de toute
pièce un enseignement technologique
contestant les grandes écoles, par
exemple ; en lettres en mettant à l'or-
dre du jour les grandes questions ac-
tuelles — impérialisme, capitalisme,
presse aux ordres, etc. — dans tous
les cas en liant la connaissance à ce
que sera réellement la profession et
son contenu social, etc.). Mais sur-
tout le rôle des militants P.S.U. de-
vrait être de faire déboucher les
« universités critiques » en « univer-
sités créatrices » c'est-à-dire porteu-
ses de véritables solutions à la crise
culturelle globale de la société.
3) dans le même ordre d'idée, et
en liaison étroite avec les étudiants,
les comités d'action de lycéens pour-
raient aussi trouver des structures
de critiques massives et des solutions
nouvelles à leur enseignement.
En (fiioi fes objectif»
concernent-ils tout le l'arti '.J
Ce n'est pas seulement parce que
nos adversaires ont choisi le champ
universitaire pour leur politique que
nous devons y être présents, c'est
aussi parce que toute action socia-
liste, toute possibilité d'alternative
au pouvoir actuel passent par une dé-
finition et une politique de la scien-
ce et une politique d'éducation ef-
fectivement socialiste.
Sur le plan tactique de plus, le ter-
rain universitaire permet une percée
plus rapide que sur les autres ter-
rains.
Le grand risque serait de laisser
s'installer une coupure totale entre
luttes étudiantes et luttes ouvrières.
Résolution
du Comité politique
national du P.S.U.
Dix ans après le coup de force du
13 mai 1958, le régime gaulliste mon-
tre sa véritable nature : après avoir
détruit toute possibilité de débat dé-
mocratique sur les problèmes essen-
tiels à la vie du pays, il ne fait fact
aux expressions d'une crise aggravée
et généralisée par cet autoritarisme,
que par l'usage de la force.
Face aux paysans, face aux mi-
neurs, face aux jeunes travailleurs
touchés par la crise de l'emploi,
l'Etat répond de plus en plus par la
répression. Devant les étudiants,
étant absolument incapable de ré-
pondre, il a déchaîné sa police, uti-
Les professeurs Kastler et Monod au cours de la nuit du 10 au 11 mai
Si une assimilation abusive des
unes et aux autres n'est pas la solu-
tion, c'est dans l'explication récipro-
que que l'ensemble du parti doit
s'atteler.
Dans un premier temps, la signifi-
cation des luttes étudiantes doit être
expliquée aux camarades, et au-delà
aux travailleurs engagés dans d'au-
tres luttes.
Le parti a aussi à entraîner les en-
seignants et les chercheurs socialis-
tes dans la lutte étudiante ; cette lut-
te est pour l'instant la plus claire et
la plus simple pour séparer les ensei-
gnants progressistes des conserva-
teurs.
Il ne suffit pas de s'affirmer soli-
daire des luttes des E.S.U., il faut
aussi tous ensemble s'y engager, de
la même manière que les E.S.U. se
trouvent engagés par l'ensemble de
l'action du parti. D
lise des gaz de combat et tout un ar-
senal de guerre civile; il a poussé à
des procédures expéditives pour s'as-
surer de sanctions judiciaires plus
lourdes et plus nombreuses.
Cette répression aboutit à établir
un rsmpart policier autour d'une
institution universitaire dont on s'ac-
corde de plus en plus souvent à dire
qu'elle ne correspond ni dans ses
méthodes, ni dans son contenu, ni
dans ses finalités au rôle qu'elle
pourrait jouer. Plus personne ne
peut faire confiance au gouverne-
ment gaulliste dans ses intentions
proclamées de changement, quand on
voit la façon dont il entend établir
le dialogue : par l'affirmation d'une
autorité absolue au service de l'Uni-
versité bourgeoise. Ce sont les étu-
diants eux-mêmes qui ont posé les
questions essentielles ; c'est avec eux
et dans les conditions qu'ils ont
créées qu'il conviendra désormais
d'y répondre. Ces questions sont :
• — le droit au débat politique et
syndical dans l'Université.
— la transformation du contenu de
l'enseignement pour faire cesser la
pression sociale actuelle, permettre
à chaque étudiant de jouer un rôle
positif dans l'évolution d'une société
développée, mettre en cause les fon-
dements d'une société de consomma-
tion qui ne peut s'inspirer, dans les
conditions actuelles, que du modèle
américain.
— la place de l'enseginement supé-
rieur par rapport à un système de
production qui repose sur l'exploita-
tion capitaliste :
L'Université doit servir à la mise
en cause de ce système qui s'appuie
sur des procédés d'intégration et de
répression dont les examens, dans
l'enseignement même, sont à la fois
l'instrument et le symbole.
Les mécanismes de l'Université li-
bérale et technocratique se trouvent
aujourd'hui bloqués : démissions de
professeurs, grève des examens, occu-
pation des locaux, débats à l'inté-
rieur ou à l'extérieur des facultés ou
des grandes écoles, pour critiquer les
cours ou créer de nouveaux types
d'échanges entre professeurs et étu-
diants. Dans de telles conditions, il
n'est plus possible d'en revenir à la
situation antérieure. Ce mouvement
qui se développe dans d'autres pays
européens ne peut que grandir en
France ; il est essentiel qu'il se dé-
veloppa encore.
Le P.S.U. engage donc l'ensemble'
de ceux qui comprennent l'enjeu de
la lutte étudiante à trouver les for-
mas les plus concrètes pour manifes-
ter leur appui :
— en empêchant toute tentative de
« récupération » partisane qui em-
pêcherait de donner au mouvement
étudiant sa pleine signification poli-
tique.
— en développant des comités de
soutien à l'U.N.E.F., principale for-
ce de rassemblement et de représen-
tation des étudiants : solidarité fi'
nancière, diffusion des mots d'ordre
appel aux manifestations, etc. Ces
comités doivent se développer à tous
les niveaux, dans les écoles, les ly-
cées, mais aussi dans les quartiers et
sur les différents lieux de travail.
— en faisant déboucher les mani-
festations liées à la grève générale
du 13 mai 1968 sur une semaine d'ac-
tion pour le soutien des luttes étu-
diantes.
— en associant à ces luttes les orga-
page 10
VIE MILITANTE
tribune socialiste
nisations de jeunes et, particulière-
ment, celles qui réunissent les jeunes
travailleurs.
Il est essentiel que ces luttes soient
reliées étroitement au combat que
mène l'ensemble des travailleurs
pour la mise en cause du système.
• dans l'entreprise, soumise à l'au-
torité patronale.
• dans leur emploi, entièrement dé-
pendant des mécanismes de réali-
sation du profit capitaliste
• dans leur vie familiale, en tant
que parents condamnés à voir
leurs enfants enfermés dans des
mécanismes qui les élimineront
au profit des fils de la bourgeoi-
sie.
• dont leur vie entière, soumise aux
pressions d'une « société de
consommation dont justement les
étudiants contestent à la fois les
formas cutlurelles et économiques.
Dans cette perspective, le P.S.U.
appelle l'ensemble de ses militants
et toutes les formes socialistes a ré-
pondre massivement le 13 mai 1968
à 'appel des syndicats pour donner
toute son ampleur à un mouvement
qui ne doit pas se limiter à la seule
protestation contre la répression po-
licière, mais doit déboucher sur une
large prise de conscience des proble-
mes politiques te sociaux qui sont
mis en évidence par la lutte des étu-
diants.
CD Assises nationales
sur l'enseignement
Les manifestations étudiantes, la
participation croissante des ly-
céens et des enseignants aux lut-
tes universitaires, l'appui que les
grandes centrales syndicales appor-
tent à cette action, l'incapacité du
gaullisme à réagir devant la contes-
tation universitaire autrement que
par la force et la répression mettent
directement en cause l'ensemble du
système d'éducation nationale, dans
son fonctionnement, mais avant tout
dans ses fondements et ses finalités.
A cette situation, le P.S.U. répon-
dra à la fois :
— en soutenant les luttes en cours
pour en développer .toute la signifi-
cation politique et sociale,
— en précisant les objectifs qui
guideront son action continue :
- pour mettre en cause les fonde-
ments du système éducatif édifié
par la bourgeoisie libérale pour
assurer son pouvoir ;
- pour créer les conditions d'une
éducation nationale d'un type
nouveau fondée sur des choix so-
cialistes et liée aux forces de
travail.
C'est à cet effort que répondent les
Assises nationales tenues par le Parti
les 1", 2 et 3 juin 1968 à Paris. Le
C.P.N. lance un appel à toutes les
sections et à toutes les fédérations
pour qu'elles assurent le succès de ces
journées par une large participation
de tous les militants, et de tous les
sympathisants qui se sentent concer-
nés par les luttes universitaires et
l'ensemble du combat pour un ensei-
gnement socialiste. D
Résolution
de politique
générale
La France, comme toutes les autres na-
tions industrielles, connaît les effets de
l'accélération prodigieuse du ryth-ne
des découvertes scientifiques et de l'évolu-
tion des techniques. Cette accélération crée
une véritable crise de civilisation et aggrave
toutes les contradictions de la société. Elle
accentue le risque de voir les pays d'Europe
occidentale tomber dans la dépendance de
la puissance américaine. D'où la nécessité
d'une transformation de structures économi-
ques et sociales, de la planification comme
des structures politiques.
Le régime gaulliste prétend vouloir pro-
céder à cette transformation. Mais les solu-
tions qu'il met en avant sont obérées
par ses liens avec le grand capitalisme et
par les procédés autoritaires et technocrati-
ques qui sont les siens.
C'est ce qui explique l'ampleur des révol-
tes et des contestations auxquelles se heurte
désormais le régime. Le mécontentement at-
teint non seulement la classe ouvrière et une
large fraction de la paysannerie, non seu-
lement des régions entières livrées au sous-
emploi mais il a pris, grâce à la résistance
des étudiants, le caractère d'un grand mouve-
ment de masse de type nouveau.
La Gauche peut et doit traduire en termes
palitiques globaux ce mouvement de mécon-
tentement : c'est une des conditions de sa
victoire. C'est pourquoi elle ne doit pas s'en
tenir aux formules d'hier. Pour que sa vic-
toire ne soit pas aussi éphémère que celles
qu'elle a remportées dans le passé, la Gau-
che doit apporter de véritables réponses aux
problèmes historiques qui sont posés à la
société française comme à celle des autres
pays de l'Europe de l'Ouest ou de l'Est, no-
tamment en Tchécoslovaquie.
Elle doit donc faire des choix et discuter
de ces choix avec la population. Sa démar-
che, à l'opposé de la méthode gaulliste,
doit être celle de la participation de la
base aux décisions qui la concernent. C'est
celle mise en avant par les groupements
et colloques régionaux, associations cultu-
relles, militants syndicalistes et de la jeu-
nesse. C'est une des significations profondes
du mouvement étudiant de ces derniers
jours.
Dans ce contexte, doivent être aujourd'hui
définis les objectifs d'une politique socia-
liste. II est clair que la réalisation de cette
politique est liée à l'évolution des forces
de Gauche. Des idées et des propositions
qui avaient pour objet de hâter cette évo-
lution ont été mises en avant par différents
courants de la Gauche. L'effort constructif
de recherche et de renouvellement auquel
les uns et les autres ont participé depuis
une dizaine d'années doit ouvrir une nou-
velle perspective historique : celle d'une
France récusant l'ordre établi et d'une Eu-
rope socialiste et démocratique dégagée de
''impérialisme.
Dans ces conditions, le P.S.U. est prêt
à participer à toute nouvelle rencontre des-
tinée à faire avancer les idées sur des
points qu'il considère comme importante,
étant entendu qu'il ne s'agira pas d'assem-
blées comportant des liens organiques entre
leurs membres ou supposant une solidarité
politique préalable.
En effet, en même temps que de telles
rencontres, le P.S.U. entend poursuivre la
discussion du programme commun avec le
P.C. et avec la F.G.D.S. Il ne peut, s'agis-
sant de cette dernière organisation, pré-
juger, par un accord de programme avec
une de ses familles, de l'accord qu'il re-
cherche avec la F.G.D.S. tout entière.
Pour ce qui concerne les rencontres en
préparation, le P.S.U. souligne qu'à ses
yeux ces rencontres sont d'autant plus
positives qu'elles rassemblent une partici-
pation plus large. La présence de membres
du mouvement syndical est à cet égard im-
portante, et pour cette raison le C.P.N.
donne mandat au B.N. de répondre posi-
tivement à l'invitation adressée par André
Jeanson à divers membres du Parti.
De même les rencontres de Grenoble, au
sein desquelles le P.S.U. a de nombreuses
fois travaillé aux divers groupes où per-
sonnalités parmi lesquelles des syndicalis-
tes demeurent une structure de dialogue
utile, et qui peut servir de cadre à de
nouveaux travaux.
Dans la mesure cependant où certains
des thèmes dont la discussion apparaît
urgente n'intéresseraient pas tout le mou-
vement syndical, d'autres initiatives sont
possibles. Le colloque de Cachan a montré
que l'élargissement de la lutte pour le
socialisme au niveau européen était une
tâche urgente. Le CP.N. donne mandat
au Bureau national de prendre en France
et à l'étranger les contacts nécessaires pour
que se tienne dès que possible une con-
Irontation des forces socialistes de Gau-
che sur les formes et les modalités de la
lutte socialiste en Europe, face au modèle
de société américain ; confrontation qui
devrait être éclairée par des informations
sur les perspectives des forces socialistes
dans les pays du Marché commun, et sur
les expériences qui se déroulent à l'Est,
notamment en Tchécoslovaquie. "3
Solidarité
avec l'U.N.E.F.
Face à la répression policière, le CO-
MITE POLITIQUE NATIONAL du P.S.U.
appelle tous les travailleurs à manifester
leur soutien aux étudiants et à leur syn-
dicat TU.N.E.F.
Le P.S.U. estime que le soutien des luttes
étudiantes implique également des actions
concrètes.
Pour sa part, il décide d'ouvrir une
souscription nationale de solidarité avec
le mouvement étudiant. Il invite ses mili-
tants à se mobiliser pour donner à cette
action un large écho.
Les fonds sont à verser à : P.S.U., 81,
rue Mademoiselle, Paris (15') - C.C.P. Paris
1402044. Avec la mention : SOLIDARITE
U.N.E.F.
Premiers exemples
Dans la région parisienne, il a déjà
été recueilli plus de 3 millions d'anciens
francs, dans les journées de dimanche et
lundi.
Au cours de la réunion du C.P.N., 62.000
anciens francs ont été versés à la sous-
cription. A Saint-Dié, à l'occasion des jour-
nées de l'Ecole Laïque, la collecte à l'ini-
tiative de notre section a rapporté 135.000
anciens francs.
responsable politique
êtes-vous
BIEN ÉQUIPÉ?
L'homme d'aujourd'hui est sollicité sans
cesse par des messages d'information, de
propagande ou de publicité, qui s'ap-
puient sur les derniers progrès techni-
ques de duplication. De son côté l'infor-
mation syndicale, pour atteindre son
but, a besoin d'un équipement moderne,
rapide et sûr. A l'intention des respon-
sables, Gestetner a mis au point une
ample documentation, véritable tour
d'horizon des procédés modernes de du-
plication, stencil et offset. Les méthodes,
les matériels, leurs rendements, leurs
applications y sont clairement confron-
tés. D'utiles conseils sont également in-
clus pour l'établissement des documents
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54, bd Garibaldi
Paris (15e)
C.C.P. Paris 58-26-65
16 mai 1968
ACTUELLES
page 11
Vietnam :
début de la
négociation
La première réunion officielle
entre délégués américains et
nord-vietnamiens, s'est tenue
lundi 13 mai au matin, à Paris, au
centre des rencontres internationales
de l'avenue Kléber. Tout avait été
mis au point dès la fin de la semaine
précédente par une série de discus-
sions préliminaires. Les deux délé-
gations ne comprendront que des
Américains et des Nord-Vietnamiens,
ce qui signifie que ni le F.N.L., ni
les Sud-Vietnamiens ne seront repré-
sentés. On peut voir-là, la volonté
des deux parties de discuter au som-
met, mais cela ne veut pas dira pour
autant que les voix des alliés de l'un
et de l'autre camp ne seront pas en-
tendues.
Les problèmes de procédure ayant
été réglés dans un climat plutôt fa-
vorable, il reste maintenant à abor-
der les problèmes de fond, et notam-
ment celui de l'arrêt inconditionnel
des bombardements américains sur
le nord. On peut s'attendre sur ce
point à de longs débats, au moment
où les opérations militaires repren-
nent autour de Saigon et où la cons-
titution du gouvernement provisoire
révolutionnaire dans la ville même,
vient directement contester la junte
au pouvoir et peser dans la négocia-
tion, n
Happy birthday
La France a bien célébré le 13
Mai et le général de Gaulle lui-
même ne se doutait pas, il y a
quelques jours qu'ils seraient si nom-
breux à descendre dans la rue pour
lui crier : « Bon anniversaire mon
Général ! »
Ils étaient 20.000 à Nantes, 12.000
à Rennes, 3.000 à Saint-Brieuc. 5.000
au Havre, 4.000 à Besançon. 6.000
à Limoges. 7.000 à Caen. 40.000 à
Lyon et à Toulouse. 15.000 à Stras-
bourg, 20.000 au Mans. 50.000 à Mar-
seille, 9.000 à Aix-en-Provence, etc.
Pour Paris, on ne connaîtra jamais
le chiffre exact, mais on peut affir-
mer qu'il se situe bien au-dessus des
500.000 (800.000 .lisent les organisa-
teurs). Ce sont les plus importantes
manifestations de l'après-guerre.
Le défilé de la République à Den-
fert-Rochereau n'avait rien de com-
mun avec ceux du 14 juillet; ni même
avec les traditionnelles manifesta-
tions de Bastille à République ou de
République à Bastille de ces der-
niers mois. C'était une vaste démons-
tration de l'opposition des Français
au régime gaulliste et un extraordi-
naire témoignage de solidarité à l'ac-
tion des étudiants.
Dans cette manifestation avant
tout politique les pancartes revendi-
catives sur les salaires, l'emploi et la
Sécurité sociale n'avaient pas droit
de cité. Et ceux qui les portaient
paraissaient s'être trompés de mani-
festation. Tout comme ceux qui scan-
daient « Chariot des sous » ou chan-
taient « Pompidou navigue sur nos
sous»; on était là) pour défendre quel-
que chose à la fois plus général et
plus précis : la liberté, la démocra-
tie, la justice. Et les « C.R.S.-S.S.! »,
« Dix ans ça suffit », « De Gaulle
aux archives », « U.N.R. groupus-
cule ! » donnaient le ton et le thème.
Etudiants et travailleurs ont fait
la preuve de leur force. Même si les
étudiants reprochent aux syndicalis-
tes leur timidité à repousser aux
deuxième rang les leaders politiques
et à se débarrasser des traditions de
leurs manifestations, même s'ils leur
reprochent de trop vouloir parader
au premier rang, il n'en demeure pas
moins vrai que cette manifestation, et
celles de province, sont une grande
victoire de l'unité.
La violente semaine des étudiants
et son impact sur l'opinion ont donné
une physionomie particulièrement
réjouissante à cette journée, du 13
Mai 1968. On ne pourra plus défiler
comme avant entre République et
Bastille. « Enfin on a de nouveau de
l'espoir » disait un manifestant. ' "1
Belgique
toujours
l'impasse
Depuis quatre mois, le pouvoir
est vacant en Belgique. Après
la démission du gouvernement
Vanden Boynantes en février, après
les élections générales de la fin mars
et les tractations qui se poursuivent,
la solution de la crise, loin de pro-
gresser recule. Affaiblies par le scru-
tin du 31 mars, prisonnières de leur
clientèle et de leur tradition, le»
grandes formations politiques se ré-
vèlent, moins encore qu'auparavant,
capables de constituer, séparément
ou ensemble, une formule gouverne-
mentale apte à mettre en œuvre les
réformes indispensables que requiè-
rent la situation économique et le
conflit linguistique. Cette situation
est grave et depuis six semaines, sur
la scène politique de Bruxelles, se
joue le ballet des prétendants. Le
comte d'Alcantara, social-chrétien,
fut d'abord chargé de constituer un
gouvernement, puis le président du
parti socialiste, M. Collard. Mais à
l'échec de l'un a succédé l'échec de
l'autre. La responsabilité, pour une
grande part, en incombe au parti so-
cialiste. On ne peut le lui reprocher:
s'il refuse l'union tripartite, sociaux-
chrétiens socialistes et libéraux, c'est
qu'il n'accepte pas de s'allier avec les
tenants du plus intransigeant libéra-
lisme économique, c'est qu'il affirme
indispensable la présence d'une op-
position active. L'expérience alle-
mande semble porter ses fruits.
Aussi, le 7 mai, le roi a-t-il, de
nouveau, fait appel à M. Vanden
Boynants. Il aura besoin de tout son'
prestige personnel pour mener à bien
une tâche difficile. La seule solution
qui s'offre à lui est la reconduction
de l'alliance avec les libéraux et leur
accord est loin d'être acquis. Quel
parti, en effet, accepte facilement,
surtout après un net recul électoral,
de partager la responsabilité de me-
sures aussi impopulaires qu'un assai-
nissement financier »?
Quoiqu'il en soit, en tout domaine,
économique ou linguistique, des
choix déterminants pour l'avenir de
la Belgique doivent être, faits. Que
les formations traditionnelles tardent
trop et le réveil sera brutal. Les par-
tis fédéralistes, wallons et flamands,
accentuent leur pression et le peuple
soit qui, par-delà le jeu parlemen-
taire, décide en fin de compte. Cl
Le Brésil du
IVe Reich
Jusqu'ici le cinéma avait accré-
dité, avec plus ou moins de bon-
heur, la légende de « colonies
pénitentiaires » nazies, au Brésil.
C'était à mettre sur le compte du
mystère invérifiable des territoires
d'Amazonie; peut-être aussi sur celui
des régimes sud-américains, notoire-
ment bienveillants à l'égard des exi-
lés du HT Reich. Aujourd'hui la réa-
lité dépasse la fiction. Un organisme
de tutelle des populations indiennes,
le S.P.I.. est accusé au Brésil, par le
ministère de l'Intérieur et la presse
d'avoir exterminé systématiquement
les tribus dont il assurait la protec-
tion. Le dossier de l'accusation (120
kilos de rapports) fait état d'un ré-
pertoire terrifiant de procédés de li-
quidation : torture*, noyades, pen-
daisons, inoculation de maladies épi-
démiques. empoisonnements collec-
tifs u l'arsenic (au cours de « popotes
charitablement organisées par les
fonctionnaires du S.P.I.I, mitraillage
par hélicoptères, etc. Le scandale
engage la responsabilité du directeur
du S.P.I.. le major Luis Vinhais Ne-
ves, et de centaines de fonctionnai-
res du gouvernement. 11 ressort de
l'instruction que la plupart des « fa-
/enderos » (gros propriétaires ter-
riens) et des spéculateurs fonciers
se sont livrés à de véritables campa-
gnes « d'assainissement », avec la
complicité du général Moaeyr Ribci-
ro Coehlo, et l'aide de mercenaires
professionnels. Plusieurs tribus ont
été ainsi décimées, dans les Etats de
Para et de Maranhoo. Tout indique
même que la chasse à l'Indien ait une
tradition bien établie dans le Matto
Grosso, si l'on tient compte de la
stupeur des accusés qui s'indignent
du brusque changement d'attitude,
en haut lieu, à leur égard.
Singuliers pionniers de la mar.che
au progrès brésilienne! En définitive,
si l'immensité et les conditions objec-
tives n'expliquèrent que relativement
l'absurdité de ces faits, il y aurait
tout lieu de penser que les nazis réfu-
Tribune Socialiste
Hebdomadaire du
Parti Socialiste Unifié
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Directeur Politique
Christian Guerche
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Claude Glayman
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Eric Bergaire
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Publicité générale au Siège
de r administration
Directeur de la Publication
Roger Cérat
MORIAME - PARIS 1968
giés de l'Argentine au Venezuela
aient manifesté dans cette contrée
privilégiée un regain d'idéalisme
expérimental. Ils ne doivent pas être
parés à caresser, dès maintenant, le
rêve d'instaurer dans cette partie du
inonde un modèle de IV" Reich, à
usage des pays en voie de développe-
ment.
Fourquet le
«grand»
Comme le laissait prévoir sa no-
mination, le général Fourquet.
chef d'état-major des armées,
a obtenu les pouvoirs accrut- que
réclamait déjà son prédéce^eur le
Général Ailleret.
Au terme de deux décret-, publiés
au « Journal officiel » du 27 avril,
le chef d'état-major des armées
aura désormais autorité sur les chefs
d'état-major des trois armes (terre,
air, mer), il « prépare et notifie
les directives, plans et décision,» d'em-
ploi des forces ». Il exercera en outre
« un pouvoir permanent d'inspection
sur les unités de» armes et services
des trois armées ».
Les projets de développement des
forces seront définis « avec la coll^i-
boration du délégué ministériel à
l'armement et du secrétaire général
à l'administration ». Cette mise à éga-
lité entre le militaire et le politique
est renforcée par un second décret
qui permet au chef d'état-major des
armées de convoquer le Comité des
chefs d'état-major qui était « jus-
qu'ici du domaine réservé du minis-
tre des armées.
Cette extension des pouvoirs du
général Fourquet lui permettra, n'en
doutons pas, de faire, appliquer les
directives gouvernementales pour
l'application de la forme de frappe.
C'est pure logique. rl
page 12
MOUVEMENTS SOCIAUX
tribune socialiste
Emploi
Les journées du Nord
et de l'Ouest
Jacques Ferlus
Les manifestations étudiantes
ont fait passer un peu au
deuxième plan de l'actualité
les mouvements revendicatifs des dé-
partements du Nord et de l'Ouest, la
semaine dernière, pourtant la jour-
née du 8 mai dans l'ouest et celle du
11 dans le nord, sont d'une impor-
tance capitale, à la fois poux le mou-
vement ouvrier et le mouvement
paysan, de même que pour la prise
de conscience régionale.
Georges Pompidou, qui se rend
cette semaine dans le Nord, devra
contrôler ses propos car il trouvera
en face de lui des interlocuteurs dis-
posés aussi bien au plus franc des
dialogues qu'à la plus dure des oppo-
sitions.
Un million
de travailleurs en grève
La journée du 8 mai dans l'Ouest
a été préparée avec soin à la fois par
la C.G.T. et la C.F.D.T. qui rapide-
ment établirent des liens avec les
organisations paysannes. La F.E.N.
ne tarda pas à rejoidre les promo-
teurs de cette journée. Quelques
unions départementales ou syndicats
F.O. ralliaient eux aussi le mouve-
ment.
Quatre mots d'ordre servaient de
thème à cette manifestation : la dé-
fense de l'emploi, la garantie des
ressources, l'amélioration du pouvoir
d'achat, la reconquête de la sécurité
sociale.
Plus d'un million de travailleurs
et d'agriculteurs ont cessé le travail,
plusieurs centaines de mille ont ma-
nifesté dans les principales villes de
la région. Il y a bien longtemps que
l'ouest n'avait connu un événement
d'une telle envergure. Même si un
peu partout des prêtres et des reli-
gieuses participaient aux manifesta-
tions, celles-ci n'avaient rien de com-
mun avec des processions. •« L'ouest
veut vivre », c'est le slogan qu'on a
retrouvé sur toutes les bouches, sur
de nombreuses banderoles.
Depuis toujours les habitants de
TRIBUNE SOCIALISTE
Abonnements
6 mois ............ 18 F
1 an .............. 35 F
Soutien à partir de 70 F
54, boulevard Garibaldi - Paris (15e)
C.C.P. Paris 58.26.65
cette région, et plus particulièrement
les bretons sont présentés comme des
gens en retard d'une génération par
rapport à leurs contemporains. On
aime colporter une image de la Bre-
tagne des binious, des coiffes et des
crêpes, qui fait plus de tort que de
bien à cette région. Aujourd'hui,
face aux revendications, ce que l'on
offre aux gens de l'ouest est un ave-
nir de parc national. Et de cela ceux
qui y vivent encore ne veulent pas.
La décentralisation
a échoué
De temps à autre un ministre, et
souvent le Premier vient faire un
joli discours plein de promesses et
les choses en restent là. Mais la ma-
nœuvre est de moins en moins effi-
cace. Depuis l'été dernier les mani-
festations ont succédé aux manifes-
tations, que ce soit à Redon, à Fou-
gères ou à Quimper. La colère monte
chez les bretons.
La grande leçon de la journée du
8 mai, c'est que les travailleurs et les
agriculteurs ont démontré qu'une
conscience régionale pouvait exister
et qu'elle pouvait se préoccuper des
intérêts immédiats de la région et de
son avenir. Ce qu'a toujours affirmé
le P.S.U. se trouve ici démontré.
Il y a peu de risques de voir le
gouvernement abandonner son ac-
tuelle politique de décentralisation.
On a beaucoup parlé de la grande
réussite de Rennes. Il est vrai que ces
dernières années de nouvelles usines
sont venues s'y implanter et qu'elles
ont largement contribué au dévelop-
pement de la ville et même du dé-
partement. Mais on ne dit pas que
depuis un an, Rennes marque le pas.
Dans cette ville « en expansion » on
n'embauche plus dans les usines, cer-
taines licencient.
Mais c'est une chose bien connue
que l'on met plus de faste à célébrer
les baptêmes que les enterrements.
C'est le cas pour cette usine de Nan-
tes, travaillant pour l'équipement
atomique, et qui inaugurée il y a
tout juste six mois a déjà licencié 22
ouvriers. Il y a aussi le cas de Re-
nault qui emploie environ 500 per-
sonnes après avoir promis pendant
des années 5.000 emplois.
Quant à l'agriculture, la situation
est pire. Les ruraux vont chaque jour
grossir les rangs des manœuvres dé-
jà trop nombreux. Ceux qui restent
à la terre ne savent plus ce qu'ils
doivent faire devant l'absence de po-
litique de M. Edgar Faure. Et ils
soient à la mesure du problème po-
sé. Il faut en plus ajouter que le
favoriser par rapport aux gros agri-
culteurs du centre et de la région pa-
risienne. Sous l'impulsion de Bernard
Le Nord et FOuest : la vie en rosé.
Agip
Lambert, le mouvement paysan de
l'ouest est un des plus ardents au
combat. Son union dans l'action avec
les syndicats ouvriers lui est profi-
table ne serait-ce que pour mieux
poser les problèmes et les difficultés
des petits agriculteurs.
Le Nord se cherche
Le Nord est .bien différent de
l'Ouest, pourtant les problèmes qui
s'y trouvent posés sont encore plus
graves. Si l'Ouest a besoin de se dé-
velopper, le Nord doit se reconvertir.
Et dans l'un et l'autre cas, cela pro-
voque bien des drames.
A Lille et dans la région on a éga-
lement manifesté le 11 mai dernier.
Ils étaient 50.000 à Lille. On assiste
dans cette région à de nombreuses
fermetures d'usines, à des licencie-
ments, des réductions d'horaire. La
crise est très grave chez les jeunes
qui détiennent ici la triste palme du
chômage. Les mines de charbon vont
fermer très rapidement et des mil-
liers de travailleurs quitteront le car-
reau de la mine pour se retrouver sur
celui du chômage.
II faut donc reconvertir le Nord.
Les travailleurs y sont prêts, mais on
ne pourrait en dire autant des indus-
triels qui hésitent à venir s'installer
dans la région. Malgré ses efforts le
gouvernement ne peut arriver à faire
reculer les entreprises à plus de cent
kilomètres de Paris. Il est vrai que
la province est bien sous-équipée
administrativement pour attirer des
entreprises.
M. Pompidou va annoncer à Lille,
dit-on, des changements « révolution-
naires ». Il est peu probable qu'ils
savent bien que l'entrée en vigueur
du Marché commun va encore les dé-
Nord ne pourra être sauvé, que dans
la mesure où le patronat de combat
dont l'incapacité est l'une des causes
majeures de la situation, sera attaqué
comme il le mérite. Rien n'est pos-
sible tant qu'il sera en place.
Naissance
de la conscience régionale
On peut se poser la question de
l'efficacité des manifestations comme
celles de l'Ouest et du Nord. Pour
nous elles sont la preuve évidente de
l'éveil des consciences dans les ré-
gions. Le gaullisme tient la province
colonisée. Il n'y aura pas de solutions
valables tant que celles-ci ne seront
pas élaborées par ceux qui vivent
sur et de la région qu'il faut trans-
former. L'Ouest et le Nord prouvent
que les Français sont prêts à le faire.
Certes le travail sera long et difficile
mais quand on connaît le but on ne
perd jamais l'espoir. Le Nord et sur-
tout l'Ouest viennent de nous donner
raison. G
BULLETIN D'ADHÉSION
Nom
Prénom
Adresse
Profession ........................
déclare vouloir adhérer au Parti
Socialiste Unifié et demande à être
mis en contact avec la section la
plus proche.
(Bulletin à retourner au siège du
PSU, 81, rue Mademoiselle, Poru-15')
16 mai 1968
LETTRES ARTS SPECTACLES
page 13
Livres
Le défi de
Claude Glayman
Une banale chronique de livres
ne saurait épuiser un titre si
ambitieux. A vrai dire s'il y
a défi de l'urbanisme — et qui le
contesterait — il importe de sans
cesse en réexaminer les données. La
publication de plusieurs ouvrages, les
uns récents, les autres moins, nous
en fournit l'occasion.
Nouveauté
de la sociologie urbaine
Un petit livre paru il y a peu et
trop passé inaperçu nous offre une
bonne synthèse de cette nouvelle dis-
cipline (1). Raymond Ledrut, maître-
assistant à la Faculté de Toulouse,
nous propose de ses préoccupations
la définition suivante : « La tâche
la plus haute qui incombe aujour-
d'hui à la sociologie urbaine est de
contribuer à faire de l'urbanisme une
action consciente des collectivités
urbaines sur elles-mêmes, c'est-à-dire
une pratique véritable ». L'auteur
part de l'idée que le développement
de la société industrielle et du capita-
lisme au 19e siècle s'est traduit par
une crise profonde sur le plan de
l'urbanisme, crise qui demeure en-
tière aujourd'hui et dont la solution
s'impose.
Est-ce à dire que des options nous
sont proposées ? En vérité l'auteur
se livre beaucoup plus à un recense-
ment et à une analyse des thèmes de
l'urbanisme passé et présent plutôt
qu'à une quelconque révélation sur
ce que pourrait être un « autre ur-
banisme ».
D'où un chapitre portant sur la
chronologie des types urbains à tra-
vers l'histoire qui montre que la
centralisation urbaine est liée à la
centralisation nationale et que dans
le contexte capitaliste « la ville est
devenue un instrument d'accumula-
tion ». D'excellentes pages sont consa-
crées aux problèmes de la planifica-
tion urbaine dont l'évolution en
France a abouti pour l'instant à une
conception « encore trop statique ».
K. Ledrut plaide en faveur d'une pla-
nification plus « créatrice », moins
« autoritairement imposée du
dehors ».
L'auteur s'arrête longuement sur
la notion (Je « mobilité urbaine » où
il perçoit l'une des grandes raisons
du faible intérêt porté par la popu-
lation « à la chose urbaine ». Un ré-
cent colloque a montré l'importance
de cette mobilité (2), pour notre part
nous ne sommes pas sûrs que sous
certaines conditions cette mobilité ne
soit pas à la racine d'une prise de
conscience et d'un dynamisme dont
plusieurs villes ont donné l'exemple.
En conclusion R. Ledrut inter-
roge : « Existera-t-il un seul type de
personnalité urbaine » ?'Question ca-
pitale, car si nous sommes bien
convaincus qu'il se produit un pro-
cessus général d'urbanisation, celui-
l'urbanisme
ci peut être infléchi dans un sens ou
dans un autre selon l'orientation que
lui feront subir les hommes. Il faut
définitivement dissocier les termes
d'urbanisation et de passivité ; à ce
titre R. Ledrut est une très opportune
introduction à une action clair-
voyante.
La vie des équipements sociaux
« Equiper et animer la vie sociale »
est un livre déjà ancien (3). Pour-
tant on ne saurait trop remercier les
auteurs H. Thery et M. Garrigou-
Lagrange pour le terrain qu'ils ont
déblayé à notre intention. Trop de
banalités et d'imprécisions sont le lot
de cet aspect de l'urbanisme pour
que nous ne conseillions pas ce guide
utile.
Problème délicat qui nous est posé
aujourd'hui, st qui explique bien des
ambiguïtés: « les valeurs de l'équipe-
ment sont communes à des hommes
d'idéologies différentes » et l'on
pourrait ajouter à des hommes de
conditions « socio-économiques » dif-
férentes. C'est là l'une des grandes
difficultés à l'élaboration d'une doc-
trine « socialiste » en matière d'ur-
banisme. On la retrouve par exemple
lorsque les auteurs s'interrogent sur
le point de savoir pourquoi des
« équipements ouverts à tous » sont
limités au niveau de la fréquentation.
« Parce que destinés à tous, ils sont
fermés à certains », le paradoxe ne
suffit pas à répondre, pas plus que
l'observation par ailleurs exacte
d'une « ségrégation due à la premiè-
re vague d'usagers ». L'ouvrage de
H. Théry et M. Garrigou-Lagrange
permet un recensement assez com-
plet de tous les équipements sociaux
et socio-culturels existants et un coup
d'œil sur des textes législatifs et offi-
ciels dont on pourrait peut-être sou-
vent faire un plus ample usage (les
textes sur les « locaux résidentiels
collectifs » sont vraisemblablement
assez mal connus, on, pourrait pour-
tant en tirer un profit non négligea-
ble) . Car comme le notent les au-
teurs « la socialisation de l'homme
moderne est et sera en rapport avec
les jalons mis en place par les amé-
nageurs ».
Tabous de la culture :
en deçà ou au-delà ?
Nos colonnes se sont maintenant
assez ouvertes aux mouvements de
la décentralisation culturelle, aux
problèmes qui en découlent, pour
que l'on puisse conseiller un livre que
plusieurs des animateurs concernés
contestent mais qui présente l'avan-
tage d'être le premier, sinon l'unique
ouvrage consacré aux « Maisons de
la Culture » (4). Il est vrai que le
propos d'André de Baecque touche
un peu à tout et pas assez aux « Mai-
sons de la Culture ». Paru il y a un
an le livre d'A. de Baecque ne pou-
RAYMON» LIDRUT
SOCIOLOGIE
URBAINE
SLIP
vait tenir compte de phénomènes qui
nous sont apparus plus clairement
dans l'intervalle ; d'autre part l'on
attend les démentis sur les chiffres
avancés par l'auteur et que jusqu'à
preuve formelle du contraire l'on
considère comme recevables. Car
c'est l'atout le plus sérieux de l'au-
teur : les chiffres. Presque tous re-
tiennent l'attention : le 0,4 % du
budget consacré à la culture sous la
Ve République contre le 0,1 % sous
la IVe ; les intentions des IV et Ve
Plans et les crédits effectivement
consommés ; les pourcentages de fré-
quentation et de représentation, etc.
En outre les biographies des diverses
« Maisons » sont rappelées qui remet-
tent en mémoire ce que le lecteur a
peut-être oublié. La radiographie est
convenable et précieuse, si la ré-
flexion ne va pas très loin. Retenons
les problèmes d'un nouveau réper-
toire, ceux de la formation des ani-
mateurs culturels, l'importance de la
recherche et de la contestation qui
doit toujours être mise en évidence,
la critique du cloisonnement que
souvent l'on déplore entre les res-
ponsables des « Maisons de la Cultu-
re » et ceux des différents équipe-
ments décentralisés.
Dans le fond ce qui importe c'est
que l'on prenne conscience du pro-
cessus qui se déroule, à partir de là
les critiques et les contre-proposi-
tions doivent être fournies ; en deçà
le refus de participer au combat pour
un autre modèle culturel n'est que
démission. Au terme de la lecture du
de Baecque l'insuffisance et l'ambi-
guïté sont patentes ; mais n'est-ce
pas le privilège de ceux qui défri-
chent les réalités nouvelles. Or, les
équipements culturels appartiennent
bien à ces nouvelles réalités que nous
devons prendre en charge dans le ca-
dre d'une politique globale de l'ur-
banisme.
Le club Jean Moulin
et la réforme communale
Alors que le Parlement va prochai-
nement débattre du projet gouverne-
mental de « réforme communale »,
le Club Jean Moulin publie un ou-
vrage sur le même thème (5). De
nombreux arguments sont avancés
par Jean Moulin pour justifier les
transformations qu'il propose et qui
sont essentiellement de deux ordres :
un redécoupage de fond de la carte
administrative du territoire et une
transformation assez radicale du sys-
tème des finances locales.
Retenons qu'une certaine tutelle
est incompatible avec les méthodes
modernes d'information et que pa-
rallèlement au mouvement général
de concentration il est nécessaire de
mettre en place des centres de déci-
sion secondaires. Retenons également
l'idée que la très contestable régiona-
lisation du Plan tient entre autres
motivations au fait que dans leur
état actuel les collectivités locales ne
peuvent intervenir dans l'élaboration
et l'application de la planification.
Dès lors Jean Moulin suggère un
découpage de son choix que l'on
pourrait discuter à perte de vue. Il
est proposé une hiérarchie dégradée
de types de collectivités locales en
rapport avec la dimension territo-
riale et les fonctions. Une révision
périodique de l'articulation est de-
mandée, en vertu du principe qu'à
une mobilité des structures et des
individus doit correspondre une mo-
bilité des données administratives.
En matière de finances locales
Jean Moulin recherche surtout à éta-
blir un mode de prestations qui soit
plus fonction des activités économi-
ques locales. Si ce principe est en
effet souhaitable, on peut se deman-
der s'il est bien facile aujourd'hui
de délimiter une stricte localisation
géographique des activités économi-
ques ?
Le bilan de l'ensemble des réfor-
mes soumises devrait être discuté plus
en détails à une autre occasion et
permettrait de dégager de nombreux
points de convergence. Il reste que si
Jean Moulin est bien inspiré lors-
qu'il observe « qu'aucune force so-
ciale n'est porteuse d'une réforme
de l'organisation communale », on
demeure en droit de l'interroger sur
le prolongement pratique de tant de
vœux réformateurs. Car il convient
de se demander si les forces politi-
ques ne sont pas précisément tout
indiquées pour cristalliser une vo-
lonté de réforme communale que l'on
ne saurait abandonner dans les seu-
les mains de l'administration et dont
l'application permettrait de mieux
répondre à de multiples revendica-
tions sociales. Mais sur le « débouché
politique », Jean Moulin est muet !
Est-ce le seul fait du hasard ? H
(11 Raymond Ledrut : «Sociologie
urbaine » - PUF, 223 p., 9 F - (2) Colloque
de démographie qui s'est tenu à Grenoble,
Lyon et St-Etienne. - (3) H. Théry/M. Gar-
rigou-Lagrange : « Equiper et animer la
vie sociale ». Editions du Centurion, 275 p.
- (4) - André de Baecque : « Les Maisons
de la Culture» - Seghers, 213 p. - (5) •
Club Jean Moulin : « Les citoyens au pou-
voir : 12 régions, 2.000 communes » - Le
Seuil, 186 p., 15 F.
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LETTRES ARTS SPECTACLES
tribune socialiste
Décentralisation culturelle
Cormeilles ou la percée
Dominique Yvoire
ACormeilles-en-Parisi», 17 km de
Paris, 15 minutes de la gare
St-Lazare, c'est encore la cam-
pagne, avec les villes voisines : La
Frette, Herblay, Montigny. Petite
ville de 13.000 habitants, elle n'a pas
encore été touchée par les gçands
ensembles. Dans les traditionnels pa-
villons de banlieue, entourés de jar-
dinets, vivent des retraités, des em-
ployés, des ouvriers qualifiés. A
l'écart, groupés autour de la grande
carrière de gypse à ciel ouvert, les
ouvriers manœuvres de l'usine à plâ-
tre et de la carrière, pour la plupart
immigrants ou fils d'immigrants
(chinois, polonais, arabes, portu-
gais) .
Au point de vue politique, cela
donne une très faible majorité pour
la droite (100 à 150 voix) et cela
explique les options politiques de la
majorité : des rues bien entretenues,
un stade, ce qui n'est pas négligea-
ble, mais à peu près rien au point de
vue culturel, pas une salle de réu-
nion pour les sociétés. C'est dans ce
« désert culturel » qi>'est né notre
Cercle, il y a 8 ans déjà ! En avril
1960, un professeur et poète frettois,
Jacques Gaucheron, avec quelques
amis décidèrent de se rencontrer, une
fois par mois, pour échanger des
idées. Nous avons adhéré à « Travail
et Culture » qui, en nous faisant pro-
fiter d:e son service théâtre, élargit
notre champ d'action. Très vite, no-
tre petit groupe eut envie de confron-
ter ses idées avec des auteurs, des
hommes de théâtre, des cinéastes, des
scientifiques et le 29 avril 1960, nous
recevions Michel Rouze. Directeur de
la Revue « Diagrammes » : le sujet
de la conférence était « L'Homme et
le monde des astres ». Mais avant de
parler de nos activités, cédons la pa-
role à Jacques Gaucheron, notre Pré-
sident d'Honneur. Qui mieux que lui
peut présenter le Cercle ?
« Plaisir de connaître » a une vi-
sée : raccourcir la distance entre
Cormeilles et Paris, faire bénéficier
notre banlieue du grand rayonne-
ment culturel dont nous sommes les
voisins. A des conditions exception-
nelles, des Cormeillais assistent à des
représentations de théâtre.
Chaque mois, le sensationnel est
dans nos murs.
Nous nous appelons « Plaisir de
connaître », plaisir de connaître les
problèmes de notre temps dans leur
diversité ; connaître les hommes qui
illustrent la culture dont nous som-
mes les contemporains. Plaisir aussi
dé se connaître entre gens qui habi-
tent le même lieu. A cela est dû le
succès de notre cercle et son au-
dience croissante. » (Ecrit en 1964
pour répondre à un journal local de
droite qui attaquait le Cercle.)
Depuis 8 ans, chaque mois, nos
adhérents sont invités à venir s'en-
tretenir avec une personnalité du
théâtre, des arts, des lettres, des
sciences, de la presse. Le « sensation-
nel », comme dit Jacques Gaucheron,
c'est Armand Gatti ou Arthur Ada-
mov, Maurice Jarre, Joseph Kosma
ou Pierre Paraf, Gianfranco de Bosio
ou Mohammed Boudia.
Pour avoir une vue complète de
nos activités, il faudrait parler aussi
de nos soirées littéraires, de nos ex-
positions, de nos séances cinéma et
nos voyages organisés, de nos débats-
actualités.
Tous les deux mois, nous adres-
sons à nos adhérents une « feuille
théâtre », sélection des meilleures
pièces, ce qui nous permet d'organi-
ser des sorties de groupe à des prix
très avantageux, car nous faisons nô-
tre la pensée de Giorgio Strehler, Di-
recteur du « Piccolo Teatro de Mi-
lan » : « II ne s'agit pas d'un théâtre
expérimental, ni d'un théâtre d'ex-
ception, mais au contraire d'un théâ-
tre d'art pour tous » — un théâtre
qui veut devenir une nécessité de no-
tre vie quotidienne par la rencon-
tre public-créateurs, et par la pré-
sentation de spectacles d'un niveau
artistique élevé.
Enfin, tous les mois, un mini-bul-
letin, ronéotypé — que nous nous
efforçons de rendre attrayant, ren-
seigne nos adhérents sur la vie du
Cercle.
Peut-être allez-vous penser qu'une
telle activité et de tels programmes
ont amené à notre Cercle une grande
partie des Cormeillais et que les or-
ganisateurs sont pleinement satisfaits
de ces 8 années d'effort !
Et bien, la franchise nous oblige à
répondre « pas entièrement ». Sans
doute, le Cercle vit depuis 8 ans et
ses effectifs augmentent doucement
chaque année : de 15 que nous étions
au départ, nous atteignons la cen-
taine.
Pas pleinement satisfaits.
Il vit libre, car, depuis 8 ans, il n'a
touché aucune subvention d'aucune
sorte.
Il vit malgré l'hostilité des jour-
naux locaux de droite qui s'obstinent
à chercher des raisons obscures à no-
tre action, incapables qu'ils sont de
comprendre que lorsqu'on a eu la
chance d'accéder à la culture, on
puisse désirer donner ce bonheur à
tout le monde. Alors, direz-vous, tout
L'origine sociale de nos adhérents
vous expliquera cette déception,
va bien ; pourquoi n'êtes-vous pas
pleinement satisfaits ?
Enseignants .......... 29 %
Etudiants ............ 16: °/c
Cadres moyens ........ 14,5 °fc
Petits patrons et artisans 12,8 %
Ingénieurs ............ 6,4 %
Sans profession ........ 6,4 %
..... 4,8 %
..... 1,6 %
Fonctionnaires
Ouvriers .....
Pour expliquer l'absentéisme des
ouvriers aux manifestations culturel-
les, tout a été dit maintes fois : la
fatigue de 8 heures de travail haras-
sant, la longueur du trajet pour re-
venir à la maison dans des métros
et des trains bondés, l'effort énorme
qu'il faut pour s'astreindre à s'ha-
biller après le dîner et repartir,
l'obligation de se lever d;e bonne
heure le lendemain matin — et aussi
pour le théâtre l'idée que c'est un
spectacle bourgeois pour lequel les
ouvriers ne se sentent pas concernés.
Pour les jeunes, ceux qui ont
quitté l'école à 14 ou 16 ans et qui,
des soirées entières s'agitent autour
des appareils à sous dans les cafés,
les raisons ne sont pas les mêmes.
Pour désirer se cultiver, il faut déjà
avoir un minimum de culture et il
semble que les programmes actuels
de l'Enseignement primaire et se-
condaire ne donnent pas aux enfants
ce désir d'en savoir plus. M. Lichne-
rowicz, Professeur au Collège de
France, note : « Notre école fran-
çaise fait livrer aujourd'hui à la so-
ciété une énorme majorité de jeunes
gens malheureux, désadaptés, dé-
pourvus de formation sociale comme
de formation culturelle et ne sachant
véritablement ni travailler, ni se di-
vertir ». (Colloque d'Amiens — mars
68.)
Comment amener ces jeune» à ré-
fléchir ? à s'intéresser aux problè-
mes qu'ils auront à résoudre demain
comme citoyens ? Comment déjà les
faire assister à nos réunions ? Il faut
dire aussi que le contact avec les jeu-
nes est rendu plu» difficile par les
conditions dans lesquelles nous som-
mes obligés de travailler : nous
n'avons aucun local pour établir une
permanence où les jeunes pourraient
venir consulter des revues de théâ-
tre, de cinéma, de voyages, de litté-
rature, où ils pourraient venir se ren-
seigner sur les spectacles. Nous ne
pouvons faire part de nos activités
que par des affiches, plus ou moins
lues, par notre bulletin que nos fai-
bles ressources ne nous permettent
pas de distribuer partout.
Ceci nous oblige à limiter notre ac-
tion jusqu'à des temps meilleurs où,
grâce à un local, nous pourrons en-
fin faire de notre Cercle le véritable
foyer de culture vivante dont nous
rêvons. D
Lyon : Un nouveau partenaire
Marie Bellour
La mise en route à Lyon du théâ-
tre municipal du 8e arrondisse-
ment (*) vient de poser de façon
nouvelle le délicat problème des rap-
ports Etat-Municipalité-Animateurs
et a introduit dans la discussion un
nouveau partenaire : le délégué des
collectivités. Le président du Conseil
d'Animation du théâtre — conseil
composé de représentants des syndi-
cats, comités d'entreprises, associa-
tions culturelles, enseignants, étu-
diants et qui mène depuis plusieurs
mois avec les futurs directeurs, Mar-
cel Maréchal et Jean Sourbier, le
dialogue avec la mairie — a récem-
ment été reçu par M. Raison. Ainsi
a été manifesté officiellement que le
théâtre concerne — aussi — le pu-
blic.
M. Pradel à qui les Lyonnais re-
prochent le non-aboutissement du
projet de Maison de la Culture
confiée à Roger Planchon, s'est mon-
tré en l'occasion plus compréhensif
des intérêts culturels de la ville en
confiant à Maréchal la direction du
nouveau théâtre. Compréhensif éga-
lement en acceptant de renoncer au
système de régie directe en faveur
du système de la concession seul es-
timé par les Affaires culturelles
convenir pour une troupe qu'elles
subventionnent au titre de troupe
permanente de décentralisation. En-
fin, l'antique cahier des charges des
théâtres municipaux a été modifié de
façon à permettre une suffisante
liberté de création.
Cependant tout n'est pas gagné.
Les moyens financiers manquent sans
lesquels il n'est pas possible, quels
que soient le talent et l'énergie dé-
ployés, d'animer correctement un
grand théâtre dans un quartier neuf
culturellement non équipé. « Nous
prenons le pari, a dit Marcel Maré-
chal au cours de la dernière réu-
nion du Conseil d'Animation qui
groupait de très nombreux délégués.
Nous entrons dans ce théâtre qui est
un bel instrument. Mais c'est comme
si on nous donnait une Buick avec
seulement cinq litres d'essence dans
le*réservoir. Nous avons demandé 70
millions anciens de subventions en
calculant au plus juste, et la muni-
cipalité nous en accorde 30. Avec une
subvention dérisoire nous courons à
la catastrophe. Et si nous demandons
cet argent c'est pour être au niveau
de vos exigences, à vous specta-
teurs ! »
Ne pas donner ses justes chances
à une entreprise importante pour
l'avenir de la ville et dans laquelle
les Lyonnais ont mis tant d'espoir
équivaudrait à la condamner. Espé-
rons que M. Pradel le comprendra.
Les spectateurs, désormais, sont vigi-
lants, n
(*) Voir TS du 25-1-68.
16 mai 1968
LETTRES ARTS SPECTACLES
page 15
tives éparses qu'il faut coordonner
en accordant une attention particu-
lière à l'animation préalable. Les
gens se dérangent difficilement,
même pour une vedette, s'il n'existe
;pas une animation, un mouvement
d'intérêt. Il m'est arrivé de chanter
devant 30 personnes dans une
grande commune banlieusarde et de-
vant 200 dans un village des Côtes-
du-Nord où existait une animation
locale.
En fait, partout les gens chan-
tent. Il faut leur donner la possibi-
lité de le faire dans des conditions
décentes en les faisant participer à
un véritable spectacle. En multi-
pliant les Hootenany, en faisant ap-
pel aux artistes locaux, il est possi-
ble de donner une impulsion formi-
dable à la renaissance des circuits
parallèles.
Le Hootenany est la formule la
plus libérale qui soit. Il suffit pour
y chanter de s'inscrire 24 heures à
l'avance. Pas d'audition ! Les mau-
vais s'éliminent d'eux-mêmes et ne
Lionel Rocheman
Folk song
Hootenany
Lionel Rocheman
Depuis 5 ans plusieurs centai-
nes de jeunes et de moins jeu-
nes se réunissent chaque mardi
soir au Centre Culturel américain (1)
pour entendre Lionel Rocheman et
les chanteurs amateurs ou profes-
sionnels qu'il présente dans un spec-
tacle improvisé. Activité patiente et
discrète en marge des circuits tradi-
tionnels de la chanson (cabaret, mu-
sic-hall, tournées) à laquelle la pa-
rution d'un disque et la création
d'une collection (2) devrait imprimer
un rythme nouveau. Lionel Roche-
man, créateur du Club Hootenany,
est un passionné de musique popu-
laire. _^_
« II existe en grande musique un
respect pour les œuvres du passé. En
matière de chanson tout se passe
comme si la chanson de la veille
chassait celle de l'avant-veille. La
masse historique de nos chansons est
oubliée ou méprisée sans prétexte
que «. ça fait folklore ». Or, il y a des
chansons anciennes parfaitement
chantables et actuelles qui consti-
tuent une source d'enrichissement
possible pour la chanson d'au-
jourd'hui. La responsabilité de Pin-
terprète est alors capitale : il doit
présenter ce répeirtoire d'une ma-
nière vivante et sincère en se gar-
dant à la fois de la préciosité et de
la démagogie.
Il existe aujourd'hui parmi les
jeunes Français un goût prononcé
pour le folklore anglo-saxon. Il faut
leur montrer l'existence de qualités
et d'intérêts similaires dans les vieil-
les chansons françaises. Il est signi-
ficatif que des jeunes qui auraient
été autrefois « yé-yé », s'occupent
aujourd'hui de la chanson populaire
française. »
Lionel Rocheman, à la robuste
moustache noire, me montre alors
son impressionnante collection de
chansons populaires. Plus de 300 vo-
lumes, parmi lesquels des recueils ra-
rissimes du second Empire.
C'est alors au créateur du Hoote-
nany Club que je m'adresse. D'où
vient ce nom, quel est ce club ?
« Aux Etats-Unis, dans les années
trente, au moment de la renaissance
du folk song, les habitants des pe-
tites villes et des villages prirent
l'habitude de se réunir pour chanter.
C'était un mouvement spontané qui
donna naissance au Hootenany qu'il-
lustrent particulièrement Pète Seeger
et Jean Baez. Ni formules, ni struc-
tures. C'est donc très librement que
je m'en suis inspiré pour créer ce
club.
Pour de jeunes chanteurs honnê-
tes et valables que leurs exigences
empêchent de parvenir vite au som-
met de l'actualité, la vie devient de
plus en plus difficile. Il y a dans la
chanson comme ailleurs une explo-
sion démographique que le malthu-
sianisme des cabarets et des music-
halls rend dramatique. D'où l'engor-
gement et un risque de marasme car
tout chanteur a besoin d'un public.
Comme les circuits purement com-
merciaux, alimentés par quelques
professionnels du spectacle jouent
un rôle conservateur, il faut créer
d'autres circuits. Il existe des tenta-
s'obstinent guère. Par contre, un pu-
blic vigilant soutient et encourage
les débutants timides et maladroits
parmi lesquels s'affirment progres-
sivement d'authentiques auteurs-
compositeurs et un intérêt croissant
pour la chanson populaire fran-
çaise.
n
Propos recueillis par Bernard
Sizaire.
(Il American Center, 261, bd Raspail,
Paris-14', tous les mardis à 20 h 45 (en-
trée 3,00 F).
(2l Le Hootany-Club — Le nouveau
chansonnier (au Chant du Monde).
• CHANSOKS ET COMPLAINTES DE
SOLDATS.
Quatorze vieilles chansons d'une moder-
nité stupéfiante dont « Le Déserteur » ou
« Le Condamné à mort » par ces Boris
Vian anonymes du 18* siècle, possédant le
sens de l'image la plus immédiate et la
plus naturelle. Merci à Lionel Rocheman
de les avoir ressuscitées et de nous les
chanter avec un grand art simple et direct.
Un des deux ou trois grands disques de
chansons de l'année ! (1 x 30 cm • Chant
du Monde.)
Cinéma
La sorcellerie à
Jean-Paul Fargier
travers les âges
Les très belles scènes fantastiques
du film de Christiansen n'en
font cependant pas une œuvre
que l'on peut regarder en esthètes
comme s'il s'agissait d'une simple
animation des tableaux de Jérôme
Bosh. Il est impossible que le spec-
tateur ne se sente pas plus concerné
que par Nosfératu ou Caligari. Quel-
que chose de différent se passe qui
tient à la nature du film : L'enchan-
tement du fantastique est brisé par
l'allure didactique de la composi-
tion.
Le plus étonnant n'est pas la mise
en scène déjà remarquable mais la
« mise en film » très moderne de
ces gravures d'époque, de ces scè-
nes reconstituées, de ces instruments
de torture et de ces documents mé-
dicaux contemporains unis dans un
commentaire efficace. Le seul spec-
tacle de ces images du sabbat suscite
dans l'esprit de celui qui le contem-
ple une résurgence de l'inconscient
collectif dont ces diableries font par-
tie. Que nous le voulions ou non,
nous sommes nés dans cette civilisa-
tion occidentale et chrétienne. Et il
se passe un phénomène de mise ^i
jour et de confrontation d'images de
notre passé mental conscient ou in-
conscient.
Phénomène semblable à celui au-
quel donnerait lieu le spectacle d'une
juste représentation de Socrate dis-
cutant avec ses disciples. Phénomène
qui s'est déjà produit à la vision de
« la prise de pouvoir par Louis
XIV ». Car le cinéma a ce pouvoir
merveilleux de nous mettre en face
de notre passé le plus enfoui et appa-
remment le moins personnel.
Impossible de prendre une atti-
tude de juge méprisant et hautain
car nous serions alors encore plus
concernés : c'est en effet d'abord le
procès des juges que fait Christian-
sen. Leur comportement qui relève
d'une mentalité magique (épreuve de
l'eau, du plomb, du parchemin aux
paroles sacrées) _est la véritable
cause de la prolifération de la sorcel-
lerie. Nous sommes renvoyés à nos
propres superstitions, à nos sorciè-
res respectives. L'image de la carto-
mancienne est le symbole anodin de
toutes nos attitudes irrationnelles.
Mais il serait malhonnête de limiter
la portée de ce film à cette banale et
facile dénonciation. On peut dire
sans forcer le propos de l'œuvre,
mais simplement en suivant son mou-
vement, qu'il atteint nos juges en sor-
cellerie modernes : ceux qui empri-
sonnent les Juifs, les Noirs, les Com-
munistes, les Catholiques, les Révi-
sionnistes, enfin tous ceux sur les-
quels on a d'abord collé une éti-
quette infamante pour mieux pou-
voir ensuite les exterminer.
Et le film devient alors peu à peu
un percutant plaidoyer pour le droit
à l'erreur, le droit de penser noir
quand tout le monde dit blanc, le
droit de crier non quand la plupart
font oui. L'image de cette femme
balançant un berceau qui est le leit-
motiv d' « Intolérance » de Griffith,
et que Christiansen reprend, indique
bien dans quelles perspectives fina-
les il veut se placer : la dénonciation
absolue de tous les jugements idéolo-
giques qui prétendent arbitrairement
à l'exclusive. D
16 mai 1968
P.S.U.
tribune socialiste
Collombert
Meeting du 13 mai
Le désordre nécessaire
Rémy Grillault
Le tout est de tout dire. Et
je manque de temps, et je
manque d'espace... » Si je
songe à ce vers de Paul Eluard, c'est
parce que à la fin de ce numéro,
consacré pour l'essentiel aux luttes
étudiantes, je ressens la difficulté de
conclure. Je crois bien d'ailleurs que
je ne le souhaite pas, convaincu que
dans les jours et les semaines à venir,
surviendront de nouveaux développe-
ments.
Au sein de l'immense foule qui dé-
filait sur les chaussées de Paris, une
crainte nous envahissait : allions-nous
une fois encore assister à des espèces
de funérailles, à l'enterrement des
luttes qui venaient de se dérouler.
Je crois bien que le gouvernement
y comptait quelque peu. Les apaise-
ments de Pompidou à la télévision,
se voulaient rassurants. Tant et si
bien que la manifestation risquait
de s'enliser dans le « train-train »
familier des défilés qui traversent
de temps à autre les quartiers de Pa-
ris, pour prouver et se prouver que
l'on est une force avec laquelle, il
faut toujours et désormais compter.
Mais précisément, ce qui venait de
se passer, prouvait qu'il était possi-
ble, de faire mettre les pouces au
gouvernement, sur la base d'une ac-
tion résolue, mettant en cause une
institution aussi vénérable que dépas-
sée : l'Université. Au-delà, nous le
sentons bien, c'était le système qui
'était attaqué. Et pas seulement sous
son aspect gaulliste, mais bien dans
ses fondements économiques et insti-
tutionnels.
L'immense défilé a gardé un peu
de l'euphorie des jours précédents.
La délégation du P.S.U. était
conduite par Michel Rocard, autour
duquel on notait la présence de P.
Mendès France, Depreux, Martinet,
Guerche, Dubois, Fontes, Bridier,
Mallet, Malterre, Chapuis, Frachon,
Ringuet, Longeot et les membres du
C.P.N. présents à Paris.
On s'étonnera de ce terme d'eu-
phorie. Et pourtant tous ceux qui
ont participé, ne serait-ce qu'une
fois, à ces manifestations, en retien-
nent essentiellement, l'opportunité,
la combativité, la fraternité retrou-
vée.
A savoir que le soir même la Sor-
bonne était occupée par les étudiants,
et qu'il s'engageait un immense dé-
bat, prouvait que sous d'autres for-
forme, la lutte engagée continuait.
On est loin d'en avoir tiré les
leçons.
**
Les premières, toutes provisoires,
ont cependant été esquissées. A la
Mutualité, une salle comble et en-
thousiaste, en applaudissant Serge
Mallet, Manuel Bridier, Marc Heur-
gon et Michel Rocard, manifestait
non seulement sa solidarité avec les
luttes étudiantes, mais aussi les rai-
sons qui avaient conduit notre parti
à les soutenir dès le premier jour.
Elles n'étaient pas le fait du ha-
sard.
On aime dire que notre parti est
isolé. Mais curieusement, chaque fois
qui se déroulent les batailles et les
affrontements sérieux, dans des sec-
teurs aussi divers que les luttes
paysannes, le Vietnam, le combat
pour un développement régional, il
retrouve un poids qu'il n'a pas, cela
est vrai, sur le plan parlementaire. Il
en a été de même dans ces luttes
étudiantes. Et il ne nous est pas in-
différent, de constater que chaque
fois que le régime a pris un coup
sérieux, le P.S.U. n'avait pas manqué
d'être comme on dit dans l'affaire
dès le premier jour. Que ceux qui ai-
ment nous faire la leçon, y réfléchis-
sent.
Mais peut-être que l'élément le
plus significatif du meeting a été la
participation à la fin, d'un représen-
tant des Comités d'Actions lycéennes,
de Daniel Cohn-Bendit, et de Jacques
Sauvageot, vice-président de l'U.-
N.E.F.
Nous avons toujours dit, et nous
l'avons réaffirmé lors de notre der-
nier Conseil national, que le dialo-
gue entre partis et syndicats, ne pou-
vait être fructueux que dans la mesu-
re où les différents partenaires pou-
vaient discuter sur un pied d'égalité,
et dans la plus grande liberté de pro-
pos et d'analyse. Chacun affirmant
pour son compte, ce qu'il estime né-
cessaire, et chacun ayant en même
temps le souci d'aboutir à un langage
et à un combat commun.
En faisant le procès des partis de
gauche, y compris le P.S.U., Daniel
Cohn-Bendit, montrait dans la viva-
cité de son propos, qu'il avait com-
pris le dialogue que nous lui propo-
sions. Il était franc et ouvert.
En affirmant le sens de la lutte que
l'U.N.E.F. mène en ce moment, Jac-
ques Sauvageot, soulignait dans le
même temps, le rôle que pouvait
jouer un parti comme le nôtre.
En réaffirmant notre soutien, et
notre souci du dialogue, Michel Ro-
card pouvait, au nom du P.S.U.,
tracer les perspective de notre ac-
tion.
D'aucuns, ici et là, incapables d'en-
treprendre et d'affronter une discus-
sion de ce type, ont parlé de désordre.
Nous les laissons à leurs rites. Il est
de» désordres nécessaires. d
PAHTHEOfl
13. rue Victor-Cousin
ODE. 15-04
Permanent de 14 h. à 24 h.
Charlie Bubbles
(Ang.) V.O.
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Tribune socialiste
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no.311
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no.311