Tribune socialiste

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Tribune socialiste
N° 371 / 3 MAI 1968 / PRIX 0,70 F
HEBDOMADAIRE DU PARTI SOCIALISTE UNIFIÉ
USA : Les Noirs
voteront-ils ?
Henri Rosengart
13 Mai : au-delà de
la constitution
Lucien Saintonge
La confrontation
de New Delhi
Manuel Bridier
La victoire des
Marc Heurgon
Les flammes
étudiants de
l'Amérique Latine
Claude Roire
Avant tout il faut comprendre
et pour cela répondre à des
questions précises.
Le gouvernement gaulliste porte
seul la responsabilité de la répres-
sion, moins sans doute par une
volonté consciente que par une in-
croyable suite de maladresses. Du
même coup, voilà arraché le masque
de ce « pouvoir libéral » suffisam-
ment adroit pour laisser se déve-
lopper des manifestations sans faire
intervenir sa police. Tant qu'il
s'agissait de manifestations sur le
Vietnam, injuriant Johnson et amu-
sant de Gaulle, fort bien ; tant qu'on
n'avait à faire qu'à des processions
politiques ou syndicales, sur des par-
cours autorisés, donnant un aspect
bon enfant aux revendicat ons popu-
laires, passe encore ; mais dès que
la révolte étudiante, partie d'une
contestation des structures univer-
sitaires, a débouché sur une mise
en cause radicale de la société éta-
blie, le gouvernement a l'ait savoir
qu'il ne tolérerait aucun dialogue.
Quelle part ont obtenu dans ces
circonstances l'orgueil offensé d'un
vieux militaire, la press.on d'une
bourgeoisie apeurée et aussitôt re-
conciliée, du « Figaro » .1 Jacques
Baumel, pour retrouver lîs accents
de l'ordre moral ? On ne sait, mais
dès lors, les provocations allaient se
multiplier. Voilà ce pauvre Grap-
pin fermant une nouvelle fois l'Uni-
versité de Nanterre, puis descen-
dant les derniers degrés de l'obé-
dience gaulliste en acceptant d'être
à la fois plaignant et juge devant
le conseil universitaire. Voilà cet
homme qui fut recteur et qui res-
tera désormais celui qui a fermé la
Sorbonne aux étudiants -pour y ins-
taller les C.R.S. Voilà la bêtise su-
prême qui a consisté à attirer dans
une souricière l'état-major du syn-
dicat étudiant pour s'étonner hy-
(snite page 3)
La culture au
Creusot
Bernard Sizaire
Citroën :
syndicats bannis
Jacques Ferlus
page 2
ACTUELLES
tribune socialiste
|__| La négociation
n'est pas la paix
Les délégations nord-vietnamienne
et américaine se rencontreront
sans doute vendredi 10 mai à
Paris. « Vous estimerez sans doute
avec moi, que cela n'était pas tout
à fait imprévu » devait déclarer M.
Pompidou aux journalistes à l'an-
nonce de cette nouvelle. Il est vrai
que la diplomatie gaulliste était fort
active depuis plus de cinq semaines
et qu'elle avait un certain beau rôle.
« La France ne prétend pas jouer
les arbitres. Si elle peut rendre ser-
vice elle le fera » disait-on dans les
milieux proches de l'Elysée. Et tan-
dis qu'Hanoi et Washington se ren-
voyaient la balle et repoussaient tour
à tour une quinzaine de lieux de ren-
contre, on assistait, depuis la décla-
ration de M. Couve de Murville de-
vant la commission des Affaires
étrangères de l'Assemblée nationale,
le 18 août dernier, à un chasse-croisé
d'émissaires entre le quai d'Orsay et
la rue Leverrier — siège de la délé-
gation nord-vietnamienne à Paris...
« Si les Américains n'ont jamais par-
lé de Paris, c'est qu'ils savaient que
les Nord-Vietnamiens en parleraient
un jour » laissait-on entendre du côté
des Français.
Mais il ne faut pas se leurrer. Peu
importe au fond, que ce soit Paris
plutôt qu'une autre ville. L'ouverture
d'un dialogue, ne conduit pas à la
paix. Tout au plus risque-t-on de voir
s'amorcer une difficile désescalade,
qui pourrait conduire d'ici quatre
ou cinq semaines, à l'arrêt effectif
des bombardements sur le Nord, et
à l'annonce d'une prochaine confé-
rence de Genève.
Le problème vietnamien n'en sera
pas pour autant résolu car la paix
c'est aussi la continuation d'une
même politique par un autre moyen
...que la guerre.
« II faudra bien, écrivait Pierre
Mendès France, quintervienne un
jour cette grande confrontation entre
la Chine et les Etats-Unis pour que
la paix soit établie non seulement au
Vietnam mais dans tout le Sud-est
asiatique. »
Tunisie :
répression sans frein
Juin 67 : à l'occasion d'un mouve-
ment de masse voulu à la fois
par le pouvoir et l'opposition et
qui dégénéra en un pogrom que per-
sonne n'avait souhaité, on voulut in-
timider en faisant un exemple : on
inventa un « meneur » étudiant.
C'est ainsi que Ben Dennet, boursier
de la faculté de Théologie (mais en
réalité étroitement lié aux cercles
marxistes de la faculté des Lettres)
fut condamné, à l'issue d'un procès
sommaire, à vingt ans de travaux for-
cés.,
Le 15 mars dernier, un meeting de
solidarité pour Beri Jennet a'regrou-
pé la totalité des étudiants présents
ce jour-là à l'Université.
Le pouvoir voulut le disloquer par
la force, au moyen de barbouzes in-
filtrées dans l'Université Vingt étu-
diants sont arrêtés. Un nouveau mee-
ting répond en décidant une grève
de trois jours. Le lendemain, la grè-
ve est totale, accompagnée de bagar-
res, les professeurs tentent de proté-
ger leurs étudiants contre des com-
mandos de « militants ». Le lundi 18
mars la grève reste totale. Un modus
vivendi est conclu entre les étudiants
et le prorecteur.
Mais le soir même la répression se
déchaîne : deux étudiants sont enle-
vés et roués de coups pendant une
heure dans< les locaux du Comité des
étudiants destouriens. Le lendemain,
cinq étudiants sont appréhendés à la
porte du bureau rectoral. Des mani-
festations de solidarité dans les ly-
cées sont brutalement ré Brimées par
la police.
Etudiants, professeurs, chercheurs,
intellectuels sont incarcérés en nom-
bre. Des polices parallèles entrent en
action : Attia, maître assistant de
géographie, le Dr Essafi professeur
à la faculté de Médecine, sont enle-
vés, injuriés, passés à tabac par des
sbires en cagoule ; Smaoui, sociolo-
gue, est lui aussi enlevé e ; se voit sys-
tématiquement torturé déns une villa
ad hoc (acide sur la plante des pieds,
électricité appliquée aux parties
sexuelles, etc.).
Le 3 avril, le gouvernement publie
le nom de 34 personnes arrêtées :
parmi elles, Sethom, agrégé de géo-
graphie, maître assistant à la faculté
des Lettres (un des meilleurs élèves
de Pierre George), Clarfi, docteur en
droit, Mahfoud, Ben Mustapha et
Chabbi, avocats, Naccadie et Ben
Khader, ingénieurs agronomes, plu-
sieurs professeurs et étudiants, dont
certains des condamnés de l'an der-
nier (Charfi, Zeghidi, etc.) et les se-
crétaires des corps de Médecine et
de Lettres.
Aujourd'hui, plus de 150 person-
nes ont séjourné plus ou moins long-
temps dans les locaux ds la police.
Une soixantaine est encore détenue
au secret, sans qu'aucune inculpation
n'ait été définie. De plus, le témoi-
gnage formel de personnes relâchées
depuis établit que certains détenus
ont subi de graves sévices.
La violence de cette répression
marque un pas de plus dans l'esca-
lade vers un totalitarisme de plus en
plus lourd. Son sens véritable ne
peut se comprendre que par référen-
ce à la situation générale de la Tuni-
sie actuelle et au problème de la suc-
cession de Bourguiba, qu'on analy-
sera ultérieurement. D
n Sarthe :
des conservateurs
de gauche
A en juger aux dernières délibé-
rations du Conseil général de la
Sarthe — majorité F.G.D.S. —
la période des amours électorales avec
le P.C. a vécu dans ce département,
jusqu'aux prochaines élections sans
doute ! Les fédérés ont entrepris en
effet, lors de la récente session du
Conseil, de prendre — d'une curieuse
manière — du lest. A se demander
si la fameuse plate-forme commune
recèle quelque signification pour les
S.F.I.O. et radicaux emmenés par
Christian Pineau.
L'ancien ministre a en effet com-
battu le projet des trois conseillers
communistes visant à instaurer dans
la Sarthe une taxe additionnelle à
la valeur locative des locaux à usage
professionnel. Pour les communistes
il s'agissait de percevoir auprès des
gros industriels et gros commerçants
un impôt tendant à compenser Je
surcroît de dépenses du budget dé-
partemental. L'on peut à juste titre
s'étonner que la F.G.D.S. n'ait rien
trouvé de mieux que d'emboîter,
quant à son argumentation, le pas
aux thèses gaullistes soutenues par
le député U.D. Ve, Le Theule. L'on
vit ainsi au terme du débat cette
chose admirable, le giscardien d'Ail-
lières se rallier avec beaucoup de
« sens social » à un vœu pieux et
totalement inopérant émis par le
radical Renauld. Et pour cause.
Les fédérés eussent pu au moins
— leur sincérité 'ne pouvant être
mise forcément en doute — éviter,
soit en ne prenant pas part au vote,
soit en s'abstenant de tous commen-
A NOS LECTEURS
13 mai 1958 - 13 7101 1968, c'est l'occasion d'un bilan. Bilan d'une
politique et d'une contre-politique. Sur le sens de ce double bilan, le
P.S.U. s'expliquera le 13, lors du meeting de la Mutualité.
C'est également l'objectif de notre journal avec les moyens qui sont
les siens. D'où les deu:; numéros spéciaux que nous publierons à partir
de la semaine prochaine. Dans le premier nous nous efforcerons
d'illustrer quelques-uns des thèmes principaux de Y actualité. Ce sera le
travail de toute l'équipe de rédaction de « Tribune ».
Le second sera beaucoup plus consacré aux axes et aux positions
de notre politique. Il sera le fruit des travaux des commissions du P.S.U.
des travaux des commissions du P.S.U.
Inutile de rappeler à nos lecteurs que ce double essai s'inscrit dans
l'effort permanent de notre hebdomadaire, tant du point de vue de
sa qualité rédactionnelle que du point de vue de sa diffusion.
taires, de mêler leur voix et argu-
ments aux thèses gaullistes et réac-
tionnaires. Or M. Christian Pineau
n'a pas manqué d'apporter de l'eau
au moulin de M. Dronne qui, en
1954, fut du triste complot anti-men-
désistes, à l'Assemblée. On peut re-
connaître aux fédérés les droit démo-
cratique de ne pas partager toutes
les options communistes mais on ne
saurait leur pardonner de ne pas
avoir proposé de contre-projet plus
constructift et surtout d'avoir tacti-
quement fait le jeu de la droite. En
réalité il n'est pas douteux que dans
la Sarthe seule la question laïque
permet de situer à gauche Pineau
et son équipe. Ce n'est tout de même
pas suffisant pour se proclamer so-
cialiste !
(De notre correspondant au Mans,
Alain DANJOU.)
Greffes
gogo
Nous l'avons échappé belle ! A
quelques jours près, les profes-
seurs Cabrol et Guiraudon
n'eussent pas été les premiers en
France, la France n'eut pas été la
première en Europe à pratiquer une
greffe de cœur.
Cela valait bien de prendre quel-
ques risques (pour l'opéré). Le pro-
fesseur Mercadier nous a révélé dans
une conférence de presse que l'opé-
ration de La Pitié n'avait pas eu lieu
dans les meilleures conditions possi-
bles et que, pour cette raison, on
avait préféré tenter cette difficile
opération sur un sujet âgé et artério-
scléreux plutôt que sur un sujet jeu-
ne, autrement dit le critère suprême
du choix du « volontaire » n'a pas
été la gravité de l'évolution sponta-
née de son affection, mais son âge.
Qu'en pensent les vieux de soixan-
te-six ans ?
Par ailleurs, la multiplication sou-
daine des greffes de cœur, de foie
— pour commencer — repose avec
plus de force le problème déjà soule-
vé ici par J.-Ph. Deremne (T.S. n°
356) : le budget de la S.S. ayant for-
cément des limites, jusqu'où pour-
ra-t-il, jusqu'où devra-t-il prendre en
charge de telles interventions ?
Ne vaudrait-il pas mieux utiliser
les mêmes sommes à la prévention de
l'artériosclérose et à celle de l'in-
farctus du myocarde ? Le problème
n'est pas simple quand on sait que
dans la genèse de ces maladies en-
trent en ligne de compte les erreurs
alimentaires (alimentation trop ri-
che) , l'intoxication tabagique, la vie
trépidante et inhumaine de nos gran-
des agglomérations modernes.
Dans la mesure où l'on ne peut tout
faire, le choix est difficile, mais les
usagers-contribuables devront proba-
blement dire un jour quel pourcenta-
ge du budget Santé ils désirent voir
affecter au remplacement des organes
et quel pourcentage à la prévention
des maladies et à l'amélioration des
conditions de vie qui détériorent ces
mêmes organes.
9 mai 1968
ÉDITQRIAl
page 3
La victoire des étudiants
(suite de la page 1)
pocritement ensuite que les mani-
festants du quartier Latin réagis-
sent avec brutalité à ce guet-apens.
Autre provocation, la condamnation
rapide des étudiants arrêtés et pour
certains d'entre aux de lourdes pei-
nes de prison ferme ; on sait main-
tenant qu'à porter un couteau dans
sa serviette lorsqu'on distribue des
tracts, on risque l'emprisonnement ;
on sait encore que la légalité impose
à un étudiant de tendre poliment sa
nuque au flic protégé et casqué qui
l'assaille à coups de matraque ; s'il
se défend avec ce qu'il trouve sous
la main,' pavé ou barre de fer, il
est un enragé qu'il faut enfermer.
Répression brutale a-t-on dit.
Comment en aurait-il été autrement?
Le régime a lâché ses flics qu'il te-
nait depuis longtemps en laisse ;
ceux-ci ont fait leur métier de bru-
tes ; ils sont faits pour ça. Le res-
ponsable réel, c'est celui qui a pris
la décision ou qui, ayant le moyen
de le faire, n'a pas donné à temps
l'ordre d'arrêter. Dans ce régime, on
nous a appris que les .décisions im-
portantes n'appartenaient qu'à un
seul. Cela fait donc partie du bi-
lan.
Comment s'est produite
l'accélération du mouvement ?
Un slogan martellé par 15.000 étu-
diants lundi soir dominait la mani-
festation : « Nous 'sommes un grou-
puscule ». Par là les étudiants, quel-
ques instants avant l'affrontement le
plus dur et le plus résolu qu'ait
connu Paris depuis la Libération,
donnait la preuve de l'accélération
rapide de leur mouvement. Comment
en quelques jours a-t-on pu passer
de l'expérience de Nanterre à cet
immense rassemblement ?
Tous les moments importants de
l'histoire ont toujours été préparés
par des minorités résolues ; à la
condition bien sûr que celles-ci
soient capables d'analyser sérieuse-
ment la situation de leur milieu et
de formuler les questions, sinon tou-
jours les solutions, qui répondant
aux aspirations de ceux qui en ral-
liant le mouvement sont capables
de lui donner une grande ampleur.
C'est autour de l'action du S.D.S.
et de la pratique de l'Université cri-
tique de Berlin que s'est construit le
mouvement universitaire allemand.
C'est autour de groupes structurés
d'étudiants (parmi laesquels les jeu-
nes du P.S.I.U.P. ont joué un rôle
important) et par la contestation du
syndicat étudiant droitier, que s'est
bâti le mouvement universitaire ita-
lien. De même en France, c'est à
partir d'expériences partielles, dont
celle de Nanterre mais pas seule-
ment elle, que se sont préparées les
échéances de ces derniers jours.
Ces diverses expériences étudian-
tes, dans des pay's où l'Université
n'a ni la même structure ni les mê-
mes facultés d'adaptation (la Fran-
ce est incontestablement <:n avance
sur l'Italie et surtout sur l'Espagne),
ont réagi naturellement les unes sur
les autres car toutes elles possèdent
des caractères communs. Partout la
révolte est partie d'objeetifs uni-
versitaires (droit d'exprsssion à
l'Université, mise en cause de la pé-
dagogie traditionnelle comme du sys-
tème des examens, refus des mesu-
ras de sélection) pour déboucher
très vite sur un refus global de la
société capitaliste et don<: sur un
élargissement du champ d'interven-
tion, posant le problème ds l'articu-
lation du mouvement étudiant avec
les luttes ouvrières,
Partout le mouvement étidiant est
apparu comme le fer de lance es-
sentiel de la lutte universil aire, par-
ce qu'il est le seul à ressentir à la
fois la crise structurelle et la crise
idéologique de l'Uni versi:é, parce
qu'aussi il est le seul à pouvoir con-
tester avec une force suffisante le
message délivré par l'enseignement
et qui reste celui de la classe domi-
nante. C'est autour du mouvement
étudiant que les lycéens, les cher-
cheurs, les enseignants ont pu bâtir
une alliance solide basée sur une
véritable contestation de 1 enseigne-
ment. Il n'est que trop évi dent que
les mouvements uniquement limités
au corps enseignant n'arrivent pas
à sortir des revendications catégo-
rielles et restent profondément inté-
grés à la société actuelle.
Mais le mouvement étud: ant fran-
çais comporte une originalité qui
vient de révéler toute son importan-
ce au cours de la crise de ces der-
niers jours. Alors que cela n'est
vrai ni en Allemagne, ni en Italie,
il existe an France un syndicat étu-
diant progressiste, l'U.N.E.F. Malgré
les difficultés rencontrées lepuis la
fin de la guerre d'Algérie, le syndi-
cat étudiant n'a jamais cessé de por-
ter au sein de l'Université la con-
testation sur les problèmes de fond.
Du même coup l'U.N.E.F. s'est révé-
lée lors de l'explosion le seul orga-
nisme capable de prendre la direc-
tion des manifestations, de fondre en
son sein l'action de groupes divers,
d'organiser la lutte avec résolution.
Sans Faction de l'U.N.E.F le sou-
tien si important des enseignants du
S.N.E. Sup. n'aurait sans coûte pas
connu un tel dévelop peiner t et l'ac-
tion étudiante aurait pu se trouver
isolée. Sans- l'existence des struc-
tures du syndicat étudiant que cer-
tains s'empressaient d'enterrer trop
vite, la révolte parisienne n'aurait
pas trouvé avec une telle rapidité et
une telle concordance le :-elai im-
portant de toutes les villes univer-
sitaires, des milliers d'étudiants se
mettant en grève et descendant dans
la rue, de Rouen à Bordeaus, de Tou-
louse et de Marseille à Strasbourg.
On a fait grand bruit depuis quel-
ques temps autour de l'agitation des
syndicats jaunes du mouvement étu-
diant la F.N.E.F. et la F.N.A.G.E. ;
personne n'en a plus entendu parler
au moment de l'affrontement. Le
gouvernement lui-même ne s'y est
pas trompé.
Que dire de l'attitude
du Parti Communiste ?
Une malédiction pèse sur le Parti
Communiste qui l'empêche réguliè-
rement de comprendre les pulsations
du mouvement étudiant et d'y pren-
dre la place qui pourrait être la
sienne. Il y a huit ans, le 27 octobre
1960, le P.C.F. n'avait pas compris
que le moment était venu des gran-
des manifestations contre la guerre
d'Algérie ; la démonstration organi-
sée par l'U.N.E.F., se fit sans lui.
De nouveau les 6 et 7 mai 1968 les
étudiants communistes ont été tenus
hors du coup par l'attitude de leur
parti.
Il faut même aller plus loin et po-
ser à la direction du P.C.F. les
questions que chacun formule. J'ai
sous les yeux « L'Humanité » du
vendredi 3 mai, alors que Nanterre
était déjà fermée ; j'y trouve un ar-
ticle de Georges Marchais, membre
du bureau politique. Celui-ci ne pou-
vait pas ignorer la répression déclen-
chée contre « le mouvement du 22
mars » et particulièrement contre Da-
niel Cohn-Bendit, traduit devant le
conseil de l'Université et menacé
d'expulsion ; Georges Marchais ne
pouvait pas ignorer non plus l'infâ-
me campagne raciste déclenchée par
« Minute » contre ce militant étu-
diant ; il présente cependant le mou-
vement comme « dirigé par l'anar-
chiste allemand Cohn-Bendit ». Cet-
te phrase est-elle oui ou non un en-
couragement à l'expulsion ?
On peut ou non partager les thèses
d'Herbert Marcuse ; encore est-il évi-
dent qu'elles méritent discussion. Ce
n'est certes pas un débat qu'engagé
Georges Marchais à partir des trois
courtes citations qu'il en fait. Mais
que veut dire cette petite phrase
pleine de sous-entendus « philosophe
allemand qui vit aux Etats-Unis » ?
L'article en question n'a pas huit
jours d'existence et déjà chacune de
ses phrases a été démentie par les
faits : « ces groupuscules, quelques
centaines d'étudiants » ; « ces faux
révolutionnaires, objectivement, ser-
vent les intérêts du pouvoir gaullis-
te et des grands monopoles capita-
listes » ; « il s'agit en général de fils
de grands bourgeois... qui tentent de
jeter le trouble, le doute, le scepti-
cisme parmi les travailleurs et no-
tamment, les jeunes. »
Le Parti Communiste a tout fait
pour restreindre la portée .du mou-
vement. A prendre « L'Humanité »
de ces derniers jours, on ne trouve
qu'un long palmarès des A.G.E. de
l'U.N.E.F. ou des sections du S.N.E.
Sup., sous influence communiste et
qui au mépris de toute discipline
syndicale, refusaient de suivre les
mots d'ordre de grève ou tentaient
d'en édulcorer la portée. Mal en a
souvent pris à l'Union des Etudiants
Communistes dans des villes comme
Grenoble ou Rouen où des comités
de grève ont au pied levé .remplacé
les A.G.E. défaillantes et organisé
de vastes manifestations suivant les
mots d'ordre du bureau national de
TU.N.E.F.
Le Parti Communiste et c'est en-
core le plus grave, a tout fait pour
isoler le mouvement étudiant de la
classe ouvrière alors que la volonté
constante des dirigeants du Mouve-
ment était au contraire d'affirmer
que leur combat ne prendra tout son
sens que s'il s'inscrit dans la réalité
de la lutte des travailleurs. Les
50.000 manifestants qui le 7 mai ont
remonté les Champs-Elysées étaient
précédés par une unique banderolle
qui portait pour seul slogan « Les
étudiants avec les travailleurs ».
Alors, de quel côté est l'isolement ?
Cette attitude du P.C.F. s'inscrit
en fait dans la stratégie globale de
ce parti. S'il se trouve hors d'état de
peser sur la révolte étudiante, c'est
qu'à des revendications qui mettent
en cause toutes les -structures de
l'édifice universitaire, il Rapporte
comme réponse que des revendica-
tions quantitatives, nécessaires mais
insuffisantes ; c'est qu'il ne pro-
pose comme modèle qu'une « uni-
versité démocratique » qui n'est en
fait que la vieille université libérale
reblanchie. Prisonnier d'une concep-
tion mécaniste de la classe ouvrière,
tout occupé à maintenir sur elle ses
prétentions à un contrôle exclusif,
le Parti Communiste reste inapte à
comprendre l'importance de forces
qui dans la lutte pour le socialisme
peuvent apporter aux travailleurs un
concours précieux : il est désarmé
devant le mouvement étudiant com-
me il l'est devant le mouvement pay-
san. Plus généralement, parce qu'il
ne croit pas à la possibilité de met-
tre dès maintenant en cause les
structures dm capitalisme français,
le P.C.F. se condamne à récuser par
des moyens contestables l'apport de
tous ceux qui n'acceptent pas de li-
miter leurs perspectives à une res-
tauration démocratique et bourgeoi-
se. Il ne semble pourtant pas que les
événements de ces derniers jours
puissent faire considérer comme né-
gligeables des forces qui viennent
de montrer à quel niveau elles
étaient capables de situer leur com-
bat. D
. ;/•. ; :; •"•-.. ;
.• •.'••'.••.• .'-• m
page 4
POLITIQUE ÉTRANGÈRE
tribune socialiste
U.S.A.
Les Noirs boycotteront-ils
les élections ?
Henri Rosengart
Après l'entrée en lice d'Hum-
phrey et celle de Rockefeller,
la course à la présidence offri-
ra, comme son nom l'indique, l'at-
trait d'une grande compétition spor-
tive. Déjà, les Américains attendent
avec iînpatience le match Kennedy-
McCarthy, qui se tiendra le 9 mai
dans l'Indiana... Si l'intérêt sportif
de la campagne présidentielle n'est
pas douteux, son intérêt politique
est, en revanche, beaucoup plus limi-
té : quel que soit le président qui
sortira des urnes, il serait naïf d'at-
tendre de lui automatiquement une
révision déchirante de la politique
présente. Ceci n'empêche pas d'illus-
tres « columnists » d'affirmer que
tout ira mieux après le départ de
Johnson et son remplacement par
Bob Kennedy ou McCarthy...
Comment devenir président ?
La réalité américaine a malheureu-
sement ses raisons que le cœur libé-
ral semble ignorer. Car n'est pas
président qui veut, au pays de la
Liberté. Le choix est simple : sans
appuis financiers et politiques, il est
impossible à un candidat, supposé
« de gauche », de se présenter devant
les Conventions des partis démocrates
et républicains ; et avec ces appuis,
il est évidemment impensable que le
candidat en question puisse entre-
prendre les réformes chères à ses
désirs. Les groupes influents sans
lesquels aucune politique n'est con-
cevable (Congrès, Pentagone, milieux
industriels et financiers, etc...) for-
ceront le nouveau président à des
actes qui seront la résultante des
pressions qui s'exerceront sur lui. En
d'autres termes, il n'y a jamais eu
de président « de gauche » aux Etats-
Unis, y-en-aura-t-il un jour ? Ni
même de président « pacifiste » :
McCarthy, en l'honneur duquel cer-
tains hippies acceptent de se faire
raccourcir les cheveux, n'est pas un
pacifiste. Il parle de paix, ce qui est
très différent. Son seul avantage sur
ses adversaires, c'est qu'il apparaît
comme moins politicard, moins sou-
tenu aussi financièrement ; donc, il
devra s'endetter; donc, dans la me-
sure où sa politique se révélera un
peu trop non conformiste, on saura
le rendre plus « compréhensif ». Le
cas d'Humphrey, libéral à l'origine,
conservateur aujourd'hui, est un
excellent exemple de ce processus.
Si, comme le remarquait: Nixon il
y a quelques mois, un candidat à la
présidence ne peut espérer être élu
que sur un programme de paix, il
est évident que la campagne actuelle
se fait selon les règles les plus tradi-
tionnelles. Certains avaicent même
déjà que M. Reagan, gouverneur
fasciste de Californie et ancien acteur
de westerns série B, sciait un vice-
président très honorab.e... Ce tan-
dem rappellerait, avec les nuances
d'usage, celui de J.-F. Kennedy-John-
son, qui a permis au premier d'obte-
nir les voix des racistes du Sud.
Le refus des N yirs
En fait, le relatif intérêt de cette
période électorale n'est pas tant dans
le résultat de novembr;, que dans
l'impact des événements qui se pro-
duiront d'ici là sur l'électoral amé-
ricain, c'est-à-dire sur les déclara-
tions des candidats. On peut déjà
noter leur grande prudence à l'égard
du problème noir. L'Amérique a
peur, et il ne s'agit pas le l'effarou-
cher davantage en posant clairement
le problème. Quant à la population
noire, elle constate de plus en plus
que dans un pays aussi fondamenta-
lement raciste que les U.S.A., aucune
intégration n'est possible, et que, par
conséquent — différence notable avec
leur attitude devant les précédentes
élections américaines — peu importe
pour eux le nom qui sortira des
urnes. Un exemple remarquable de
cette prise de conscience : venu à
Newark pour parler de ses vertus
présidentielles aux Noirs de la ville,
McCarthy, actuelle ido' e des libé-
raux et des hippies, a dt. en repartir
précipitamment sous les huées. « II
n'est pas venu pour nous aider, mais
pour ramasser nos voix ! » déclarè-
rent les manifestants qui le chassè-
rent. Les Noirs, de leur côté, ont pris
leurs dispositions. Les organisations
qui se réclament du Pouvoir Noir
font comprendre à leurs frères de
misère l'analogie qui sxisté entre
l'envoi de 500.000 soldats au Vietnam
et la mobilisation de 503.000 gardes
nationaux aux Etats-Unis. Tandis
que les partisans de l'intégration
voient leur audience diminuer, Sto-
kely Carmichael, Rap Brown, Bobby
Seale, James Forman, el des centai-
nes d'autres expliquent à un audi-
toire toujours plus nombreux que
l'évolution technologique des U.S.A.
augmentera le nombre de chômeurs
noirs et ne pourra qu'sntraîner la
lente asphyxie d'une population de-
venue économiquement inutile, qui
se trouvera, au surplus, concentrée
dans les villes que les Blancs auront
quittées. (Une récente étude offi-
encourage him...
rd betieves in free enterprîse. We prefer companies to commune
issars. We know you do, too. That's why we ask you to work with '
mcal skills wntcn tney bnng ngnt back to tne job. bo, bear with us w
a short period. It's a lot, lot better than communes. Thanks. Your H
and discourage him.
Casque
« Monde libre »...
Casque
« Enfer rouge »...
Il ne s'agit pas ici d'un tract, mais
d'une page publicitaire parue dans la
revue technique « Machinerg : Ma-
chines, tools and Materials » (août
1967), donc à l'usage des seuls ca-
dres. Ce texte se passe de commen-
taires. Il dit ceci :
« Votre Garde Nationale a foi en
la libre entreprise. Nous préférons
les Cie aux communes. Nous pré-
férons la coopération aux commis-
saires. Nous savons que vous parta-
gez cette opinion. C'est pourquoi nous
vous demandons de travailler avec
vos employés de la Garde Nationale.
Après tout, ils travaillent pour vous,
même lorsqu'ils sont loin de vous. Ils
protègent votre nation et votre Cie
dans les périodes de crises locales.
Souvenez-vous aussi que vos Gardes
apprennent à être des dirigeants pré-
cieux ; ils apprennent aussi l'habileté
technique qu'ils rapportent ensuite
avec eux à leur retour sur leur lieu de
travail. Aussi bien, soutenez-nous lors-
que nous demandons à vos hommes de
partir pour une courte période. Ceci
est préférable, de loin préférable aux
communes populaires.
Merci. VOTRE GARDE NATIONA-
LE.»
Rappelons qu'il y a aux U.S.A.
500.000 Gardes nationaux prêts à tou-
tes les répressions.
cielle confirme que d'ici dix ans, les
Noirs seront majoritaires dans toutes
les grandes villes — les Blancs les
fuyant pour s'installer en banlieue).
D'où l'urgence de combattre dès à
présent, quand les Noirs représentent
encore une force économique dont le
capitalisme U.S. doit tenir compte.
Pour l'instant, les membres du S.N.
C.C. ou des Panthères noires com-
mencent déjà à distribuer à la com-
munauté noire des armes, afin qu'elle
puisse se défendre contre toute agres-
sion de la police et des commandos
racistes. Cette dernière crainte n'est
pas vaine. Car ce qu'on appelle des
émeutes ne sont souvent que de lé-
gers troubles qu'une répression poli-
cière sans commune mesure amplifie
démesurément. C'est ce qu'a formel-
lement établi le rapport officiel de
la Commission nationale de recom-
mandation sur les désordres civils, à
propos des troubles de Cambridge
(juillet 67). Il est significatif que
cette partie du rapport (devenu un
best-seller aux U.S.A.) ait été cen-
surée par la Maison Blanche.
La répression s'amplifie
Les brutalités policières, tradition-
nelles aux U.S.A., prennent aujour-
d'hui une ampleur qui laisse hélas
prévoir de quoi demain sera fait.
Provocations, arrestations arbitraires,
passages à tabac, tortures, assassinats
camouflés en délits de fuite : telle
est déjà la tactique suivie par la
police U.S. dans un certain nombre
de villes. A Oakland (qu'un pont sé-
pare de San Francisco), la répression
s'exerce directement sur les diri-
geants des Panthères noires, comme
Bobby ELutton (abattu froidement
après avoir été arrêté) ; Eldridge
Cleaver, écrivain et rédacteur dans
la revue « Ramparts » (blessé à la
jambe et gardé au secret) ; Huey
Newton (qui risque la chambre à gaz
à la suite d'un procès commencé le
6 mai) ; huit autres encore, qui parta-
gent le même sort. A Orangeburg
(Caroline du Sud), la Garde natio-
nale a tiré (lé 8 février) sur des étu-
diants qui tenaient un meeting. Bi-
lan : 4 morts, 30 blessés, (tous tou-
chés dans le dos et aux pieds), 30
arrestations, dont une maintenue,
celle de Cleveland Sellers, militant
du S.N.C.C. également blessé.,. Para-
lèllement à ses moyens classiques, la
police et la Garde nationale dispo-
sent à présent de tout un arsenal
nouveau contre les manifestants :
fléchettes chargées de produits pa-
ralysants, utilisées jusqu'alors contre
les animaux sauvages, et qui peuvent
être fatales; pistolets lançant des
solutions à base de poivre d'une por-
tée de dix .mètres; fusils spéciaux
lançant des balles qui déchirent les
intestins, entraînant une mort immé-
diate...
Une fraction croissante des Noirs
commence à comprendre que le ré-
sultat des élections ne mettra pas un
terme à la répression. D'ores et déjà,
le mot d'ordre de boycott électoral
a été lancé par les leaders du Pouvoir
Noir. Et c'est ici qu'apparaît le véri-
table intérêt des élections de novem-
bre : l'importance du boycott per-
mettra de connaître l'influence ac-
tuelle des militants noirs sur une
communauté qu'ils tentent de mobi-
liser.
9 mai 1968
POLITIQUE INTÉRIEURE
page 5
13 Mai
Au-delà de la constitution
Lucien Saintonge
Ce n'est pas le 13 mai mais le
3 juin 1958 que le gouvernement
du général de Gaulle a obtenu
de l'Assemblée nationale une déléga-
tion de pouvoir constituant. Mais
chacun savait — et le discours de
Bayeux sur les institutions était là
pour nous le rappeler — l'impor-
tance que le général accordait aux
problèmes institutionnels et les idées
directrices qu'il chercherait coûte
que coûte à mettre en œuvre.
L'apathie de la population métro-
politaine et de ses députés, la cer-
titude des ministres d'Etat que « de
toute façon on ne pouvait plus con-
tinuer avec les institutions de la IVe
République » devaient dresser bien
peu d'obstacles sur son chemin. C'est
avec plus de 80 % des suffrages que
la constitution de la Ve République
fut adopté, le 28 septembre par le
peuple français.
L'opinion a bien dû changer en
10 ans qui aujourd'hui s'élève con-
tre le « pouvoir personnel ». Cette
transformation du jugement global
de l'opinion n'a sans doute pas pour
cause la prise de conscience progres-
sive que nos institutions fonction-
nent mal. Le gaullisme peut se van-
ter de continuité et de stabilité dans
le domaine d:e ses institutions. Il est
dès lors clair que l'opposition gran-
dissante au pouvoir actuel est moins
une opposition au régime de pouvoir
personnel qu'une opposition au sys-
tème économique et social — le néo-
capitalisme — que le général de
Gaulle incarne aujourd'hui. On ne
peut pas tenter de porter un juge-
ment sur les institutions de la Ve
République sans les saisir en réfé-
rence au niveau de développement
économique et social et au rôle qui
est assigné à l'Etat dans ce domai-
ne.
Le miroir économique
II est inacceptable que nos insti-
tutions politiques soient inadaptées
à la vie économique et sociale con-
temporaine de notre pays. Depuis
1789 la France a connu plus de 20
constitutions. Pour ne se limiter qu'à
la dernière période, depuis 1875, la
France a vécu trois Républiques et
on se plait généralement à montrer
les similitudes entre le régime cons-
titutionnel français de 1875 à 1940
et celui de la IVe République. Les
exégètes gaullistes poursuivent alors
l'explication de l'histoire constitu-
tionnelle de notre pays en affirmant
et soulignant la « Révolution » réa-
lisée par la constitution de 1958
dans le domaine de nos institutions.
Le propos n'est pas absurde mais
sans doute exagéré. Il faut y voir de
plus près. Il faudrait avssi séparer
ce qui dans nos changer lents insti-
tutionnels actuels est ]e fait de
F « équation personnelle » du général
de Gaulle de ce qui provient réelle-
ment du texte constitutio anel.
En réalité depuis 1875 jusqu'à
nos jours, la France est dotée pour
l'essentiel du même typ ; d'institu-
tions. Même la constitution de 1958
n'a pas tenu compte de la profonde
évolution économique et sociale du
pays. Les différentes constitutions
n'ont fait que modifier les rapports,
élargir ou rétrécir les compétences
respectives, du gouvern sment, du
Parlement et du Président de la Ré-
publique. Jamais encore n'a été po-
sé le véritable problème qui est ce-
lui de la création de nouveaux cen-
tres de décision.
Jusqu'à la première guerre mon-
diale on pouvait à la rigueur justi-
fier une telle situation par la nature
des tâches qui incombaient à l'Etat
dans le cadre du régime capitaliste
d'alors : .seuls des choix d e politique
extérieure et ceux conceriant les li-
bertés publiques, les rapports de
l'Eglise et de l'Etat se posaient à un
Etat qui cautionnait le libéralisme
économique le plus outrancier.
L'Etat n'intervenait en ir atière éco-
nomique et sociale que -pour justi-
fier les décisions des groupes d'in-
térêts privés.
L'institution dirigiste
Le malaise qui naît après 1918
vient de ce que les institutions sont
impuissantes à résoudre les nou-
veaux problèmes qui se posent au
pays. La guerre de 14-18 et plus en-
core la crise mondiale des années
trente modifie profondément la pra-
tique économique et sociale des Pou-
voirs publics. A un Etat libéral et
non-interventionniste su ;cède un
Etat qui — sous peine de mort vio-
lente - - doit intervenir de plus en
plus en matière économique et so-
ciale afin de réaliser les grands équi-
libres nécessaires.
La concertation entre l'Etat et le
patronat devient la condi ion même
de la survie du système capitaliste.
A ces nouvelles fonctions de l'Etat
ne correspondent pas de nouvelles
insitutions et c'est ce qui explique
la lente mais certaine dégradation
du système parlementaire bourgeois.
En 1946, nos constituants sentent
ce besoin d'institutions nouvelles ;
mais timides et peut-être jaloux de
leurs pouvoirs — ne vont pas jus-
qu'au bout de leur sentiment : ils
se contentent de créer tn Conseil
économique au niveau national qui
sera consulté pour avis.
A l'écart des véritables centres de décision.
Collombert
La Ve République ne fait aucune
révolution institutionnelle en créant
un « Conseil économique et social ».
La seule différence est que celui de
la IVe était supposé conseiller le
Parlement tandis que celui de la Ve
doit conseiller le gouvernement. Et
cela est significatif quant au trans-
fert de compétences qui s'est réalisé
du législatif à l'exécutif.
C'est finalement là, et sans doute
principalement, que réside la trans-
formation institutionnelle réalisée
par la constitution de 1958. Celle-ci
a consacré en quelque sorte cette
lente dégradation de la démocratie
parlementaire en transférant les
pouvoirs de décision essentiels de
la Chambre au gouvernement voire
au Président de la République (art.
34, 38, etc.). L'Assemblés nationale
jugée incapable d'assurer correcte-
ment la nouvelle concertation néces-
saire à la survie du système s'est
trouvée reléguée à un rôle de
contrôle a posteriori. Du même coup
sont officialisées l'interprétation et
la complicité entre la haute bour-
geoisie d'affaires, la technocratie et
le gouvernement (cf. les Commis-
sions du Plan).
Une restauration
qui ne suffit pas
Face à une telle évolution — ren-
due nécessaire à la survie du néo-
capitalisme — la gauche ne peut
pas se contenter de lutter pour la
restauration de la démocratie par-
lementaire bourgeoise. Le peuple
français ne peut pas préférer dé-
missionner au profit de 500 députés
plutôt qu'au profit d'une vingtaine
de ministres.
On ne se battra pas pour cela :
le jeu n'en vaut vraiment pas la
chandelle. Une telle lutte enrayerait
sans doute un peu la machine capi-
taliste, mais n:e nous ferait pas avan-
cer d'un pouce vers le socialisme.
La lutte de la gauche ne peut pas
se limiter à être défensive voire ré-
trograde. La nôtre doit se situer ac-
tuellement sur le terrain même où
se prennent les décisions. Mais elle
doit être aussi d'envisager, puis
d'obtenir dès maintenant la créa-
tion de nouveaux centres de déci-
sion économique qui — pour être dé-
mocratiques et rationnels — ne peu-
vent être exercés que par les inté-
ressés eux-mêmes et à tous les ni-
veaux.
Partout, il faut mener le combat
pour le pouvoir : dans l'entreprise,
dans la commune, dans la région et
jusqu'au niveau supérieur par la
création d'une véritable Chambre
économique représentant ces mêmes
forces économiques et sociales res-
ponsables du destin de leur pays. D
Mardi 14 mai à Besançon
Meeting « 4 heures pour le Vietnam »
à 20 h. 30 au cinéma Le Montjoye, organisé
à l'initiative de la section locale du P.S.U.
et du C.V.N., à laquelle se sont associées
13 organisations dont la C.F.D.T., la C.G.T.,
le S.N.E.S., le Parti Communiste, le Mou-
vement de la Paix et les Amis de T.C.
Projection des films : Hanoï, mardi 13
et la 6e face du Pentagone.
Table ronde. Débat avec la participation
d'A. Behar, membre du Comité politique
national du P.S.U. et du Tribunal Russe] 1.
page 6
COMMERCE INTERNATIONAL
tribune socialiste
Victime des inégalités planétaires.
A.D.N P
Pays sous développés et développés
La confrontation
de New Delhi
Manuel Bridier
Nous publions ici les extraits d'une étude de Manutl Bridier
consacrée à la récente conférence de New-Delhi, dont l'intégralité sera
reproduite dans le bulletin n° 6 du CEDETIM.
Si l'on devait résumer en quel-
ques mots le flot de paroles et
l'avalanche de "papier qui se
sont abattus pendant deux mois sur
New-Delhi, on pourrait dire qu'il
s'est agit de deux longs monologues :
le premier où les pays du Tiers-
Monde exposaient leurs revendica-
tions, le second où les pays indus-
triels refusaient de renoncer à, leur
position de force — quelles que
soient les contradictions à l'intérieur
de ces deux groupes.
On pourrait aussi souligner le dé-
senchantement et la résignation qui
auront été la marque dominante de
ces débats, depuis le premier jus-
qu'au dernier jour.
Le secrétaire général de la confé-
rence, Raoul Prébisch, et les orateurs
qui lui ont succédé n'ont pas man-
qué d'invoquer le besoin d'une « stra-
tégie globale » du développement,
mais ce n'était là qu'une exhortation
rituelle. Chacun avait d'abord à l'es-
prit l'échec de la décennis du déve-
loppement et la profonde désillu-
sion engendrée par les institutions
internationales.
Le président de la Banque mon-
diale lui-même, M. Woods, à la veille
de céder son fauteuil à M. McNa-
mara, est venu présenter son testa-
ment politique en termes désabusés.
Le délégué brésilien avait deman-
dé que la conférence se transforme
en « organisation ayant pouvoir de
négociation et d'exécution ». Tous
les pays industriels et de nombreux
pays sous-déyeloppés se prsnoncèrent
contre cette 'demande, faisant, valoir
notamment que « la majorité ne
s'impose pas » et que les décisions
éventuelles ne seraient applicables
dans la réalité que dans la mesure
où elles résulteraient d'un accord
unanime, avec l'assentiment des
grandes puissances écononiques.
Il était dès lors établi que l'on ne
s'acheminerait pas vers une épreuve
de force et que l'on se bornerait à
un compromis « {recommandant »
aux Etats les décisions à prendre.
Le problème de sa compétence
étant ainsi résolu, la conférence allait
aborder les questions techniques à
son ordre du jour, à la fois dans un
interminable débat général et dans
de nombreuses séances de commis-
sions.
La stabilisation des cours
Les accords par produit :
La multiplication des accords par
produit était l'un des points les plus
importants de la Charte d'Alger. Il
existe à l'heure actuelle, un accord
sur le café, sur le blé et sur l'étain,
ainsi qu'un accord sur le sucre (pra-
tiquement caduque depuis le triom-
phe de la révolution cubaine et l'ins-
tauration du blocus américain) au-
quel il faut ajouter un accord de
portée plus restreinte sur l'huile
d'olive.
Sans résoudre tous les problèmes
des échanges internationaux, de tels
accords permettent aux pays expor-
tateurs de réduire les soubresauts
provenant de l'instabilité des cours et
facilitent leurs prévisions de produc-
tion à long terme. Ils ne sont pas
fondamentalement contraires aux in-
térêts généraux des peuples impor-
tateurs mais il est clair qu'ils sont
une gêne au développement de la
spéculation et aux activités parasi-
taires des grandes sociétés d'import-
export, notamment en matière du
marché à terme.
On ne sera donc pas étonné de la
réserve manifestée par la délégation
des Etats-Unis à l'idée de nouveaux
accords par produit. Dans ce do-
maine, comme dans tous les autres,
les représentants américains n'ont
pas manqué de soutenir leur thèse
habituelle selon laquelle la liberté
des échanges sans aucune barrière,
aucune préférence, aucune réglemen-
tation suffit pour assurer le meilleur
emploi et la meilleure distribution
des ressources, par le jeu des équi-
libres naturels dans une économie
mondiale de marché. C'est la thèse
qu'ils avaient imposée au G.A.T.T.
et au monde entier à l'épcfque de
leur plus grande puissance. Il ne
leur en est que plus difficile d'y re-
noncer au moment où leur économie
est sur la défensive.
Pour des raisons un peu différen-
tes, les pays de l'Europe du Nord
figurent également parmi les adver-
saires les plus résolus d'une extension
des accords par produits.
La position la plus ambiguë à cet
égard est certainement celle de la
France, qui cherche désespérément à
faire coïncider la protection de ses
intérêts économiques à court ternie
et le grand dessein politique d'un
rôle mondial accru, comme principal
défenseur des pays du Tiers-Monde
contre les « méchants Américains ».
La logique de sa stratégie mondiale
la conduit naturellement à soutenir
les revendications d'Alger et à se pro-
noncer pour de nouveaux accords
par produits.
Mais il ne faut pas oublier que
certaines productions françaises sont
directement menacées par les pro-
ductions du Tiers-Monde. Les inté-
rêts à court terme des vignerons de
l'Hérault ou des betteraviers de l'Ais-
ne s'accommodent assez mal d'une
organisation contingentaire des mar-
chés pour les produits qui les inté-
ressent. C'est pourquoi le discours
de Michel Debré à New-Delhi, après
avoir chaleureusement approuvé le.
principe des accords par produit,
présente une liste plus réduite que
celle d'Alger, liste où ne figure, bien
entendu, ni le vin ni le sucre de bet-
terave.
Finalement, sur ce premier point
qui n'était apparemment pas le plus
délicat, la conférence n'a pu adopter
qu'un vœu de principe... et le calen-
drier, jusqu'en 1969, des débats à
organiser sur les principaux produits.
Le financement des stocks
L'organisation des marchés de ma-
tières premières pose évidemment le
problème du stockage et de son fi-
nancement.
Une proposition française déjà an-
cienne (projet Pisani - Baumgartner)
consistait à prévoir une hausse des
prix des produits agricoles tropicaux
sur le marché des pays industriels
consommateurs. Une taxe fiscale, pré-
levée par les pays importateurs, se-
rait affectée à la constitution d'un
fond pour le financement du stoc-
kage et des efforts de diversification
des produits. Cette proposition n'a
pas été reprise à New-Delhi sous cette
forme. Elle aboutissait curieusement
à confier aux pays importateurs eux-
mêmes une part des profits de l'ex-
portation pour leur permettre de ve-
nir en aide aux exportateurs... avec
le fruit de leur .propre travail.
La Charte d'Alger prévoyait le fi-
nancement des stocks par la Banque
Mondiale et par le Fonds Monétaire
International, en même temps qu'elle
indiquait, de façon assez vague il est
vrai, le lien possible entre ce finan-
cement et une éventuelle réforme des
liquidités monétaires internationales.
C'est à cette conception que s'est
ralliée en fait la délégation française,
qui trouvai) l'occasion d'un affronte-
ment avec les Etats-Unis, soutenus
en la matière par la Grande-Breta-
gne, le Japon, le Canada et l'Austra-
lie.
La délégation américaine, refusant
à la fois — ce qui est logique — l'or-
ganisation des marchés et le finance-
ment des stocks, proposait que les
pays importateurs puissent accorder
une compensation aux exportateurs
grâce à des « droits de tirage spé-
ciaux » au F.M.I. c'est-à-dire par une
inflation internationale. On retrou-
vait là le conflit entre la France
et les partisans de la création ex
nihilo de liquidités internationales
supplémentaires.
Le problème était trop étroite-
ment lié à l'imbroglio monétaire
évoqué d'autre part à Stockholm
pour qu'aucune décision soit prise
à New-Delhi à ce sujet.
9 mai 1968
COMMERCE INTERNATIONAL
page 7
Le problème des préférences
L'accord s'était fait à Alger pour
ne pas aborder le problème des pré-
férences réciproques, c'est-à-dire des
ententes régionales au sein desquelles
des pays industriels n'accordent à
certains pays du Tiers-Monde une
relative préférence dans leurs impor-
tations qu'en échange d'une préfé-
rence de même nature, comme four-
nisseurs de produits finis et de biens
d'équipement. La question n'en a pas
moins été l'une des plus controver-
sée à New-Delhi, la tactique améri-
caine étant ici de diviser les pays
du Tiers-Monde et d'isoler si possi-
ble la délégation française.
Les préférences réciproques
et les ententes régionales
Dans son rapport introductif,
Raoul Prebisch avait ouvert la dis-
cussion en attaquant le premier les
ententes régionales et en demandant
la suppression des « préférences ver-
ticales », c'est-à-dire des systèmes
d'accords particuliers entre pays ou
groupes de pays du Tiers-Monde et
du secteur industriellement dévelop-
pé.
Les Etats-Unis allaient reprendre
l'offensive en attaquant directement
l'association des Etats africains et
malgaches au Marché commun et en
proposant l'abandon des préférences
réciproques pour des préférences gé-
nérales (accordées sans discrimina-
tion par tous les pays importateurs
à, tous les produits du Tiers-Monde)
sans en préciser toutefois le taux ni
le champ d'application.
La position de la France et celle
des pays du Tiers-Monde étaient l'une
et l'autre assez délicates. Il n'est pas
douteux que le commerce français
est aujourd'hui, bien que d'une ma-
nière décroissante par rapport aux
autres partenaires européens, le prin-
cipal bénéficiaire des relations préfé-
rentielles entre l'Europe et les Etats
associés. Bien que Michel Debré ait
reçu mandat à Bruxelles pour être
à la fois le représentant de la France
et de la Communauté européenne, les
Pays-Bas et la République fédérale
d'Allemagne, pourtant signataires du
traité de Yaoundé n'ont pas dissi-
mulé qu'ils partageaient sur ce point
la thèse américaine. On a vu en re-
vanche la délégation britannique,
alliée des Etats-Unis sur tous les au-
tres points, faire cause commune
avec la France pour défendre les pré-
férences réciproques dont elle béné-
ficie dans le cadre du Common-
weaîth.
Du côté du Tiers-Monde la confu-
sion n'était pas moins grande. Les
préférences générales, sans discrimi-
nation entre les pays sous-développés
eux-mêmes, intéressent surtout le
groupe constitué par les plus déve-
loppés d'entre eux (Inde, Pakistan,
Brésil, Argentine, Mexique, Israël,
Egypte, Fonnose, Hong-Kong) dont
la production et le début d'industria-
lisation sont suffisants pour profiter
de facilités nouvelles. 'Les pays les
plus pauvres au contraire risquent
d'en tirer fort peu d'avantage et de
se voir distancés par le peloton de
tête du Tiers-Monde. Les signataires
du traité de Yaoundé avaient en
outre fait reconnaître à A]ger qu'ils
ne renonceraient à leurs préférences
particulières pour des préférences gé-
nérales que dans la mesure où elles
leurs apporteraient les mêmes avan-
tages.
C'est finalement sur cette recom-
mandation des plus générales que
l'on en est resté à New-Delhi, en lais-
sant à des pourparlers ultérieurs le
soin d'en préciser les forints d'appli-
cation. Autant dire que cette recom-
mandation n'engage personne et
n'engage à rien.
Les préférences générales
et les produits agricoles transformés
Une préférence général; indiffé-
renciée peut s'appliquer à ..a rigueur
aux produits agricoles de b îse. Eten-
due aux pays industriels, elle ne tient
plus aucun compte des inégalités de
développement évoquées plus haut à
l'intérieur du Tiers-Monde lui-même.
La production industrielle varie en-
tre 1 et 8 % du produit intérieur
brut des Etats africains mais elle se
situe entre 20 et 30 % du P.I.B. pour
des pays comme l'Argentine, le Mexi-
que ou le Brésil. Aussi a-t-on évoqué
une « modulation » des préférences
tarifaires, tendant à favoriser les
plus pauvres parmi les pauvres. Nul
doute que les discussions ultérieures
sur ce point ne permettent aux pays
industriels de jouer habilement sur
les pays du Tiers-Monde.
Quant aux produits agricoles trans-
formés ils posent aussi un problème
délicat. Les pays Scandinaves, dont
les positions sont en général assez
souples, se sont défendus farouche-
ment contre l'application \ la mar-
garine du principe des préférences
générales. Ils ont invoqué la néces-
sité de « clauses de sau\egarde »
pour protéger leur prodiction de
beurre.
D'une façon générale, les difficul-
tés sont très grandes lorsque les pays
de la zone tropicale et d«: la zone
tempérée sont en concurrence sur le
plan de leurs productions agricoles.
C'est le domaine où les économies de
grandes puissances sont le plus vul-
nérables, faute d'une politiq ue à long
terme, et le moins susceptibles de re-
conversion. Une recommandation
d'Alger prévoyait une « participa-
tion minimale » des pays s,ous-déve-
loppés aux marchés en cas c e concur-
rence avec les pays développés.
Une telle recommandation n'a au-
cune chance d'aboutir dans la situa-
tion actuelle de l'agriculture euro-
péenne et du rapport dus forces.
Rien n'a pu être décidé à New-Delhi
dans ce domaine, même soun la forme
d'une recommandation platonique.
Les transferts et les échanges
Le financement des investissements.
Les critiques contenues dans la
Charte d'Alger sur le coût excessif
des prêts et sur l'insuffisance des
concours financiers ont été reprises
par l'a plupart des orateurs, y com-
pris par le président de la Banque
Mondiale, dont le taux d'intérêt ve-
nait de passer de 6 à 6,25 % le 1er
janvier 1968.
Le débat principal devait opposer
une fois de plus la délégation fran-
çaise et la délégation américaine sur
la question des financements com-
plémentaires, que les Américains
voulaient régler par la création de
nouvelles liquidités, tandis que Mi-
chel Debré tonnait contre le risque
d'une inflation mondiale.
Finalement, comme toute la presse
Fa souligné, la seule décision de New-
Delhi en la matière est la fameuse
recommandation des « 1 % ». La
conférence de New-Delhi, reprenant
les propositions d'Alger, va plus loin.
Il s'agit cette fois de consacrer au
Tiers-Monde 1 % du Produit Natio-
nal Brut (revenu national -f- impôts),
ce qui représente une somme plus
importante. Mais les Etats-Unis ont
aussitôt fait savoir que leurs diffi-
cultés monétaires ne leur permet-
taient pas de mettre en pratique cette
résolution. Aussi bien aucune date
n'a-t-elle été fixée pour son applica-
tion.
Il faut d'ailleurs se rappeler que
la première recommandation des
1 % n'a été suivie par aucun pays
du monde, à l'exception de la France.
On ne voit vraiment pas pourquoi la
seconde aurait plus de succès alors
que la situation économique mon-
diale s'est détériorée.
Les relations avec l'Est
On a beaucoup parlé, enfin, d'une
résolution invitant les pays socialis-
tes à accroître leurs importations en
provenance du Tiers-Monde. Ces pays
socialistes, qui ont joué en général un
rôle assez effacé à New-Delhi — bien
que ,défendant pour l'essentiel les
thèses d'Alger — ont eu d'autant
moins de peine à prendre cet enga-
gement que leur commerce actuel
avec le Tiers-Monde — à l'exception
de Cuba — est d'une importance mi-
nime. L'application probable de cette
décision ne semble pas devoir mo-
difier sensiblement les structures du
commerce international.
Les discussions politiques
On a beaucoup parlé aussi, généra-
lement pour les critiquer, des discus-
sions purement politiques dont la
conférence est émaillée.
Le plus important de ces incidents
allait être soulevé comme on pouvait
s'y attendre, par la présence de la
délégation sud-africaine. Chaque fois
que les représentants du gouverne-
ment raciste de Pretoria prenaient
la parole, la salle se vidait et la
séance se poursuivait en l'absence de
tous les délégués africains et asiati-
ques ainsi que des représentants des
pays socialistes.
En fait, par delà ces affrontements
symboliques, le problème politique
véritable était celui de l'attitude gé-
nérale envers les résultats de la con-
férence.
Plus les débats s'attardaient, dé-
passant de plusieurs jours la date
initialement prévue pour la clôture
de la conférence, plus il devenait évi-
dent que l'on courait à la faillite. Le
secrétaire général, Raoul Prebisch,
inquiet d'un échec possible multi-
pliait les conciliabules pour aboutir
à, un compromis formel de dernière
minute. On retrouvait exactement
l'atmosphère et la situation qui
avaient marqué la fin de la confé-
rence de Genève.
Du moins la résolution de Genève
contenait-elle un fait nouveau, la
création de la Commission des Na-
tions-Unies pour le Commerce et le
Développement, dont on pouvait
alors espérer qu'il serait un instru-
ment de travail utile. Le projet de
résolution élaboré « en catastrophe »
à la fin des travaux de New-Delhi ne
contenait rien de tel. Nous venons
de voir rapidement les principales
questions évoquées. Ce qu'il en reste
dans la résolution est d'une minceur
consternante :
— le « principe » des préférences
générales non réciproques, est
limité aux produits manufactu-
rés et semi-manufactures (pro-
duits d'origine agricole non
compris) ;
— le calendrier des consultations
pour les accords par produit est
limité au cacao (mai 68), aux
oléagineux, a u caoutchouc
(1968) et au sucre (fin 1969);
— les autres recommandations, de-
puis le 1 % jusqu'à la confé-
rence des armateurs, ne sont
que des vœux ou des promesses
de nouvelles discussions.
Devant cet échec total de l'effort
qu'ils avaient préparé à Alger, les
pays du Tiers-Monde avaient deux
attitudes possibles. Leur manifesta-
tion contre l'Afrique du Sud leur
montrait qu'ils détenaient un moyen
de pression assez considérable : la
possibilité de priver la conférence
de quorum en refusant de participer
au vote. La rencontre de New-Delhi
se serait alors terminée sur une véri-
table mise e:a accusation des pays ri-
ches par les pays pauvres et sur la
constatation publique, officielle et
spectaculaire du caractère fallacieux
des institutions internationales.
L'autre attitude consistait à accep-
ter le compromis comme un pis aller,
et à reprendre le chemin des négo-
ciations perpétuelles dans l'espoir
d'aboutir un jour à quelques avanta-
ges partiels.
Comme à Genève, le groupe des 77
s'est alors divisé entre les partisans
de la rupture dramatique (Algérie,
Tanzanie, Yougoslavie) et les parti-
sans du compromis (Inde, Pakistan,
Amérique latine). Comme à Genève
certaines positions sont étonnantes et
s'expliquent par des situations inté-
rieures complexes : ainsi la présence
des Philippines parmi les « durs »
et de la République Arabe Unie dans
le camps des conciliateurs.
Comme à Genève enfin, ce sont
les « mous » qui l'ont emporté. On
n'a rien fait — mais on continue. D
page 8
TIERS MONDE
tribune socialiste
• 111
•::V::.'V": - • 7 •' • ' • ^ . :
Une preuve de rinévitabilité des luttes armées
A.F.P.
Amérique Latine
Depuis Punta del Este
et l'O.LA.S.
Claude Roire
Les projecteurs de l'actualité ont
provisoirement quitté le conti-
nent sud-américain : ce peut
être l'heure des bilans, l'occasion de
faire le point. Pourtant les réalités
économiques et politiques qui
avaient provoqué les événements de
la fin 1967 demeurent et évoluent.
Un an après la conférence de Punta
del Este où le Président Johnson
avait mis au point, avec ses dévoués
serviteurs de Caracas à Buenos Aires,
une stratégie globale contre les peu-
ples d'Amérique Latine; huit mois
après la réunion de l'Olas à la
Havane, où les révolutionnaires du
continent avaient tenté de coordon-
ner la riposte et la contre-attaque
générale, six mois après la mort de
Guevara, où en est-on ?
Accordant une interview en juillet
1967 au journal cubain « Granma »,
le leader communiste Uruguayen
Rodney Arismendi déclarait notam-
ment : « nous désirons pour notre
pays, comme pour n'importe quel
autre pays d'Amérique Latine, le che-
min le moins douloureux ». Considé-
ré comme l'un des dirigeants révo-
lutionnaires les plus écoutés du con-
tinent, Arismendi apparaissait encore
l'an dernier comme l'homme « char-
nière » entre les tenants de de l'iné-
vitabilité de la lutte armée dans tous
les pays d'Amérique Latine, et ceux
du renoncement, an moins provisoire.
à la guérilla. Se basant sur la situa-
tion prévalant encore à l'é poque dans
son pays — la démocratie parlemen-
taire du Président Gestido, mort en
décembre dernier — Ariimendi dé-
veloppait la thèse de la d versité des
formes de lutte, tout en estimant que
seule l'insurrection armée pourrait
un jour définitivement lib ;rer l'Amé-
rique Latine de l'emprise nord-amé-
ricaine et du sous-développement.
Aujourd'hui l'Uruguay e:>t au bord
d'un coup d'état militaire, le succes-
seur de Gestido et son gouvernement
sombrant dans les scandales finan-
ciers et les délices de l'inflation : il
y a un an le dollar valait 98 pesos,
il en vaut maintenant, après la der-
nière dévaluation, 254... Les ouvriers
uruguayens multiplient les grèves,
les manifestations tournent à
l'émeute. L'autre tentative démocra-
tique du continent, celle du prési-
dent Frei au Chili, est à l'heure des
choix décisifs : le nouveau ministre
des Finances, M. Raul Saez, l'un des
« neuf sages » qui mit £u point en
1960-61 la vaste opération de « pou-
dre aux yeux » de « l'Alliance pour
le Progrès », réussira-t-il à imposer
son plan de réduction dss dépenses
publiques et d'encouragement aux
investissements privés nord-améri-
cains. A Santiago comme à Monte-
video, les illusions parlementaristes
tombent.
Au même moment, les régimes de
dictature s'enfoncent dans la violence
et leurs contradictions intestines : au
Venezuela, l'ancien Président Bettan-
court revient au pays pour préparer
les prochaines élections, mais il ne
circule plus qu'en voiture blindée.
Au Guatemala la police et l'armée
sont gangrenées par les équipes de
tueurs de la « Main Blanche » : la
terreur a fait déjà plusieurs centai-
nes de victimes, tandis que la gué-
rilla (bien que réunifiée en 1967
après accord entre les groupes de
Y on Sosa et de César Montes) perd
du terrain et se réfugie dans les
villes. En Bolivie, les généraux de
La Paz en sont à arrêter les hauts
fonctionnaires civils : M. Jaime
Zambrana, par exemple, chef de la
sécurité sociale au ministère du Tra-
vail, accusé d'avoir hébergé Juan
Lechin, ancien vice-président de la
République et leader des mineurs
d'étain.
L'inflation endémique :
« Longtemps l'Eglise a été une
force aliénée et aliénante. C'est la
vérité. La religion ne doit pas être
l'opium du peuple, mais elle doit
contribuer à la libération des hom-
mes. Dès maintenant... » Ainsi parle
l'évêque des « favellas » du Brésil,
Don Helder Camara : son pays, véri-
table sous-continent dont l'évolution
peut être décisive pour le reste de
l'Amérique Latine, se débat dans la
misère, sous la férule de ses géné-
raux sans imagination aujourd'hui
attaqués de toutes parts, y compris
par la droite classique (mais intelli-
gente) qu'incarné Lacerda. Le mal
endémique de l'inflation a pris au
Brésil des proportions effarantes de-
puis la prise du pouvoir par Castelo
Branco en 1964 : le coût de la vie
a augmenté de 45,4 % en 1965; de
41,4 % en 1966; de 25 % encore
en 1967. On meurt de faim dans
l'Etat du Nord-est, tandis qu'à Rio et
Brasilia, le ministre des Affaires
Etrangères, Magalhaes Pinto, tra-
vaille à ... la « réconciliation natio-
nale » entre les différentes familles
politiques qui ont pris le pouvoir en
avril 1964 et ne songent qu'à se
disputer la succession de Costa e
Silva. A gauche, tandis que Luis Car-
los Prestes et son Parti Communiste
ne cessent de répéter depuis quatre
ans que « la résistance populaire à
la dictature militaire s'amplifie », les
sociaux démocrates tentent de réor-
ganiser le Parti Travailiste, sous la
direction des « exilés », Joao Goulart
et Leonel Brizzola. Pour de nom-
breux observateurs le fait le plus
important reste l'évolution d'une
partie du clergé brésilien : l'usage
de la violence comme seul moyen
possible pour la libération des masses
n'est plus exclu par les prêtres vi-
vant en milieu ouvrier, et Mgr Ca-
mara, qui est un peu le Pasteur King
du Brésil, déclarait récemment :
... « J'espère que cette transforma-
tion pourra se faire par des moyens
pacifiques. Je suis contre la violence.
Mais je comprends la violence. Je
respecte les hommes qui ont choisi
la violence. » Ce genre de déclara-
tions, le fait aussi que les policiers
de Costa e Silva ont multiplié dans
la dernière période les mesures de
répression dans les milieux catholi-
ques progressistes, font penser qu'à
plus ou moins long terme un mouve-
ment révolutionnaire d'un type nou-
veau éclatera au Brésil, avec l'appui
et la participation d'une partie du
clergé c'est-à-dire l'une des seules for-
ces d'encadrement des couches les
plus misérables de la population bré-
silienne, en particulier chez les In-
diens.
Lorsque les révolutionnaires de
l'Olas affirment que les conditions
objectives d'une offensive générale
contre l'impérialisme nord-américain
et contre la misère sont réunies en
Amérique Latine, ils s'appuient sur
certaines constatations qui, malgré
la pauvreté et l'imprécision de l'ap-
pareil statistique disponible, confir-
ment l'échec de la politique améri-
caine au sud du Rio Grande. Depuis
1961 le taux d'expansion du produit
intérieur brut du continent a été de
1,4 °/o par an, alors que le taux con-
sidéré comme un minimum par les
« neuf sages » de l'Alliance pour le
Progrès était de 2,5 % ; et que la
croissance démographique s'est main-
tenue au rythme de 3 % l'an. L'Amé-
rique Latine n'a reçu que la moitié
environ de l'aide financière globale
promise par Kennedy. En ce qui
concerne les investissements indus-
triels nouveaux d'origine étrangère
(Etats-Unis principalement) ils n'ont
dépassé 400 millions de dollars par
an qu'en 1965; au cours de la der-
nière période, alors qu'un volume de
2 milliards par an était considéré
comme un objectif souhaitable. En-
fin la société sud-américaine a vu
s'accentuer les décalages sociaux en-
tre une minorité de haute bourgeoi-
sie intéressée à l'exportation des pro-
duits bruts du continent (les produits
manufacturés ne représentent que
20 % environ des exportations sud-
américaines) et une masse dont la
paupérisation n'a pas été enrayée et
où les 70 raillions d'indiens (sur une
population totale de 250 millions)
constituent un sous-prolétariat au
bord de la misère physiologique gé-
néralisée.
Ces dures réalités font que les
Etats-Unis n'ont plus d'autre « so-
lution », pour maintenir leur em-
prise sur l'Amérique Latine, que de
multiplier les écoles de « bérets
verts » pour la lutte anti-guérilla. On
assiste certes, depuis plusieurs mois
à un reflux assez général des mou-
vements insurrectionnels, mais la
phase actuelle, qui est celle du repli
et de la réflexion sur les causes de
certains échecs, comme celui du ma-
quis de Vallegrande en Bolivie, de-
vrait déboucher, dans les mois à ve-
nir sur une nouvelle vague insurrec-
tionnelle. « Les flammes de la lutte
armée s'étendent sans cesse en Amé-
rique Latine », écrivait en juin 1967
le journal nord-vietnamien « Nhan
Dan » : sans doute faut-il remettre
cette phrase au futur. Mais ce qu'elle
annonce semble inéluctable. d
9 mai 1968
ETUDIANTS
page 9
Répression
Sentences sur mesure
Rémy Grillault
Communiqués du B.N.
Samedi 4 mai, 20 h 30, Monsieur
le Substitut de la 10e Chambre
correctionnelle fait des heu-
res supplémentaires. Son réquisi-
toire, beau comme un éditorial de
l'Aurore s'achève. Il tend son doigt
accusateur vers sept étudiants serrés
dans le box entre les gendarmes et
dit aux magistrats : « Montrez-leur
qu'ici, on frappe! »
On frappe au Tribunal, comme on
à frappé_ dans la rue vendredi et
comme on a frappé lundi. Lorsque
les bras des flics sont las, les magis-
trats ont toujours su prendre le re-
lais. Vieille tradition bourgeoise.
Ils sont sept dans le box, deux
filles et cinq garçons. Port d'armes
prohibé. Un morceau de bois, un
lance-pierre, un boulon, une matra-
que dans une serviette, un canif, etc.
On cherchait, dit le rapport de po-
lice, des manifestants du mouvement
Occident. On en a arrêté quelques-
uns mais tous ont été relâchés. Et
ce sont leurs adversaires qui sont là
dans le box. Ils ont été arrêtés ven-
dredi à Nanterre, avant toute mani-
festation du quartier latin. Qu'im-
porté, Monsieur le Substitut vient
d'exalter le courage de la police. Il
s'agit de prouver que la manifesta-
tion de vendredi était préméditée.
C'est absurde mais efficace pour obte-
nir des sanctions. Le sursis sera dif-
ficile à arracher.
La nuit portera conseil à Monsieur
le Président et dimanche, enfin,
Monsieur le Substitut pourra échan-
ger avec les policiers de service un
sourire satisfait. Des étudiants cou-
cheront à la Santé.
Jamais le dimanche
Car le Tribunal siège le dimanche,
malgré les usages immémoriaux. Les
étudiants n'ont pas seulement secoué
les fondements de la vieille univer-
sité, ils viennent de renverser la tra-
dition judiciaire. Ils seront jugés un
dimanche.
Il y a sept « violents » dans le box.
Pour chacun d'eux un dossier séparé.
Mais pour créer l'ambiance on fait
venir les responsables de l'ordre
vendredi. M. Grosperrin, par exem-
ple, sous-directeur de la Préfecture
de police qui insiste sur le fait que
c'est le recteur qui a fait rentrer la
police à la Sorbonne. Pressé de ques-
tions par les avocats des prévenus,
nos camarades Michel Blum et Henri
Leclerc, il avoue que les arrestations
ont eu lieu alors qu'aucune violence
n'avait été encore exercée et cela sur
un ordre dont il a refusé de préciser
l'origine ; il avoue ignorer le nom-
bre de victimes étudiantes qui, dit-il,
« ne se sont pas fait connaître au
service d'ordre... et ont fort bien
fait. »
Puis chaque cas est examiné. Pour
seul témoin dans chacune des affai-
res : un agent, sûr de lui, triom-
phant. Jean Clément, président
du centre Richelieu est là dans le
box. Il nie avoir jeté des pierres,
mais un agent l'accuse. En :re la pa-
role d'un agent de police et ;elle d'un
étudiant responsable catholique, le
Tribunal n'hésite pas plus que n'hési-
terait n'importe quel citoyen norma-
lement conformé. Deux mois de pri-
son ferme à l'étudiant.
Marc Lemaire, lui est ouvrier, il
a 18 ans, il s'est joint aux étudiants
parce que dit-il « la liberté, cela
concerne toujours les ouvriers et j'ai
entendu crier Vive les libertés uni-
versitaires ». Il dit avoir lancé du
plâtre mouillé, mais un « en bour-
geois » prétend avoir reçu un pavé
sur la jambe et il est certain que
c'est ce jeune homme qui l'a lancé.
Le policier est fort guilleret, mais il
était fragile et devra cesse: son ser-
vice pendant huit jours. Entre la
parole d'un policier et celle d'un ou-
vrier, le Tribunal n'hésitera pas plus.
Deux mois de prison ferme.
Comme il n'hésitera pas ;i envoyer
Guy Marnat-Dames et ^ ves Les-
crouart en prison pour deux mois.
Un pâtissier vint à passer
Cela n'était pas assez. Or avait dit
à la radio que cinq étudiants avaient
des couteaux à cran d'arrêt, ce n'était
pas vrai, aucun étudiant arrêté n'en
avait. Heureusement pour la police
et malheureusement poui lui, un
brave garçon pâtissier avail été raflé
alors qu'il se promenait pacifique-
ment, ce qui n'était conteste par per-
sonne. Il avait sur lui un couteau
à cran d'arrêt. On le met; dans le
box aux étudiants en espérant que la
presse n'y verrait que du feu. Mais
la presse le voit et ricane; Alors dès
lundi matin on arrête un étudiant à
Boulogne. Il distribue des tracts
UNEF. Dans sa serviette, un couteau
avec tournevis, tire-bouchon, ouvre-
boîte et une lame qui se Moque. A
la sauvette on le traîne devant un
Tribunal dès lundi après-midi pour
le faire condamner et clamer le
lendemain que trois étudiai! ts ont des
couteaux à cran d'arrêt. La manœu-
vre est déjouée en derniers minute
seulement.
Lundi soir, des centaines de bles-
sés, mais aussi des centaines d'arres-
tations. Plus d'une vingtaine de ma-
nifestants comparaîtront jeudi de-
vant le Tribunal.
Comme tous ceux qui se sont
trouvés ainsi traînés devant es Tribu-
naux par le pouvoir contre lequel ils
avaient osé se dresser, ils s eront de
véritables accusateurs et les vérita-
bles accusés seront le pouvoir, l'uni-
versité croulante, le recteur Roche,
la police et les magistrats même qui
prononceront la sentence. Car pas
plus que les brutalités policières, la
répression judiciaire ne fera reculer
les étudiants. D
Le Sureau National du Parti So-
cialiste Unifié constate que la seule
réponse que le pouvoir a trouvée pour
régler la crise universitaire est la
répression policière brutale.
Il s'élève avec véhémence contre
toutes les arrestations et en particu-
lier celles de ses propres militants
engagés dans les luttes étudiantes. Il
s'indigne du maintien dans les locaux
de la police de responsables syndi-
caux comme le Vice-Président de
I'U.N.E.F.
Il appelle tous les socialistes au-
thentiques à soutenir activement la
riposte universitaire au lock-out d*-
Nanterre, de la Sorbonne, de la Fa-
culté des Sciences et aux poursuites
maintenues contre des étudiants.
Le Bureau National du P.S.U. s'af-
firme par là solidaire du Mouvement
étudiant dont le point de départ a été
la contestation de l'institution uni-
versitaire de Nanterre.
Ni les injures, iii les amalgames
n'empêcheront la Gauche française
d'exprimer son soutien total à ce
mouvement. Paris, le 4 mai 1968.
Le Général de Gaulle et son régime
vieillissent de plus en plus mal. A
quelques jours du 10e anniversaire
du 13 mai, l'ampleur de la révolte
étudiante, le soutien qu'elle reçoit
de la part de nombreux lycéens,
chercheurs, enseignants, l'écho
qu'elle rencontre dans toute la popu-
lation, sont la preuve que ceux qui
ont pour tâche de forger l'avenir
de ce pays n'attendent plus rien d'un
régime qui pour eux appartient déjà
au passé.
L'Université du dialogue que prône
M. Peyrefitte, c'est l'image d'un rec-
teur qui se conduit en officier de
police, c'est l'arrestation de respon-
sables du syndicalisme étudiant cou-
pables de tenir un meeting au sein
de l'Université, c'est la répression
policière et judiciaire brutale et
aveugle. Comme les gouvernements
de Rome ou de Bonn, celui de la Ve
République entend répondre par la
force aux problèmes que pose l'ina-
daptation des structures de l'Univer-
sité. Aucune discussion n'est possi-
ble dans les circontances présente.
Le P.S.U. affirme sa solidarité avec
les étudiants de I'U.N.E.F. et les en-
seignants du S.N.E.Sup. La révoca-
tion du recteur Roche, la libération
immédiate des étudiants emprison-
nés, l'arrêt de toute procédure disci-
plinaire à l'Université, constituent
des exigences préalables.
Ensuite, mais ensuite seulement,
pourra s'ouvrir la discussion sur l'or-
ganisation d'une Université d'un type
nouveau dans ses structures et son
contenu.
Paris, le 6 mai 1968.
13 mai 20H3I]
13 MAI
et après MUTUALITE
MEETING PSU
AVEC
Manuel Bridier
Marc Heurgon
Serge Mallet
et le secrétaire national
page 10
DÉCENTRALISATION CULTURELLE
tribune socialiste
Le Creusot
Schneiderville
Bernard Sizaire
A l'un des sommets du vieux trian-
gle industriel de la Saône-et-
Loire, le Creusot, 35.000 habi-
tants, de Schneider, apparaît soudain
au creux d'une dépression entre les
monts du Charolais et les hauteurs
du Morvan. D'emblée, la présence
des usines s'impose. C'est vers 1830
que commença l'essor du Creusot,
Eugène Schneider, fondateur de cette
grande -dynastie de maîtres de for-
ges achètera les deux tiers des 1.800
hectares qui allaient constituer le
territoire de la ville.
Le Creusot, qui faillit s'appeler
Schneiderville, vécut au rythme de
son patron. On naissait chez Schnei-
der, on étudiait dans ses écoles, on
travaillait chez lui avant de finir ses
jours dans ses asiles.
Parmi les nombreuses statues de
papa Schneider qui agrémentent les
places publiques, il en est une, émou-
vant symbole de piété filiale, qui
montre le patron entouré d'enfants,
de travailleurs et de vieillards, tous
vêtus de l'uniforme Schneidérien.
A la veille de la guerre, la moitié
des logements de la ville apparte-
nait encore aux Schneider, ainsi que
la plupart des bâtiments publics
(églises, écoles, hôpital, etc.). La
mairie ne dut elle-même qu'à un
tour de passe-passe d'être propriété
publique.
La Maison des Arts et Loisirs, inau-
gurée le 28 septembre 1967 est le
premier bâtiment creusotin construit
avec les centimes additionnels et mis
à la disposition de tous. Elle est à la
fois le résultat d'une évolution et un
facteur possible de changement appa-
ru avec les premières lézardes de
l'entreprise Schneider.
Une crise de confiance
Après la mort du dernier Schnei-
der mâle, l'usine est devenue la SFAC
(Société des Forges et Ateliers du
Creusot), société anonyme où les
nécessités productives ont vite relé-
gué les techniques et la psychologie
paternalistes. D'où une première crise
de confiance qu'aggravèrent les mé-
thodes technocratiques de jeunes in-
génieurs et de cadres neufs venus de
l'extérieur. Des licenciements massifs
(1.839 emplois supprimés de 1965 à
1968) provoquèrent ensuite une
flambée de colère qui concerna pour
la première fois plusieurs milliers
d'ouvriers.
L'installation d'industries moder-
nes à Chalon, mieux placé au con-
fluent de grands itinéraires interna-
tionaux, achevait de briser la con-
fiance des ouvriers du Creusot.
Des besoins nouveaux
La situation devenant favorable à
un affranchissement moral et psycho-
logique, il n'est pas inutile de remar-
quer que l'attitude des cadres jeunes
ou importés a contribué à accélérer
ce désir d'émancipation. Elle a mo-
difié en effet les termes dans lesquels
se posaient jusqu'ici le problème des
loisirs et des distractions. Jusque-là,
quatre cinémas et une salle de spec-
tacles privée (appartenant à la
SFAC) ) prodiguaient la :nanne cul-
turelle. Les spectacles ce la salle
St-Quentin, généralement représen-
tatifs de l'esthétique des p sûtes villes
isolées des grands courants intellec-
tuels s'adressaient prioritairement
aux employés de la SFAC. Quelques
courts de tennis recevaient les ingé-
nieurs et mesdames leuis épouses.
C'est d'abord dans le dcmaine des
sports aristocratiques que de nou-
veaux besoins se firent sentir. Pour
le reste, Lyon était à moins de deux
heures de route.
Mais un théâtre municipal avait
existé. Sa destruction par 'es Anglais
donna droit à des don mages de
guerre qui arrivaient à expiration.
C'est alors qu'une partie des cadres
a joué un rôle important dans la
constitution d'un bureau d'études
chargé d'examiner les tec iniques et
le fonctionnement des Ma: sons de la
Culture. Il en résulta un bâtiment
moderne avec un équipement scéni-
que complet, destiné avec sa salle de
spectacle (1.000 places, to ites excel-
lentes), sa salle d'exposition, ses lieux
d'accueil et sa cafétéria à devenir un
lieu de rencpnjtre et de réflexion
pour tous les Creusotins.
Vers la gestion par les usagers
Ainsi le Creusot se libérait de la
tutelle schneidérienne eîi matière
culturelle. Pas totalement cependant,
car on peut soupçonner dans la con-
vention liant la ville à la SFAC en
échange d'une subvention 3e celle-ci,
le désir de maintenir la Maison des
Arts et Loisirs dans une dépendance
insidieuse. La libéralisation, se con-
crétise par un statut origin al qui fait
de cette maison la première Maison
de la Culture Municipale le France.
La ville a en effet confis pendant
trois ans la responsabilité totale de
la Maison à L.A.R.C. (Loisirs, Arts,
Rencontres, Culture) association de
gestion à laquelle une subvention est
accordée.
Il est évident que l'assemblée gé-
nérale de l'Association et ses organes
administratifs (dont le maire et le
directeur de la S.F.A.C. sont mem-
bres de droit) reflètent 1; désir de
maintenir un contrôle par notables
interposés.
Un Conseil culturel a été créé, au-
quel participent plusieurs centaines
de Creusotins. Chacune d<? ses côm-
La maison des Arts et Loisirs du Creusot.
missions de travail- prenant en charge
un des aspects de la vie de la mai-
son, il doit permettre aux usagers de
s'exprimer et de prendre leurs res-
ponsabilités en participant progres-
sivement à la gestion. Le Directeur
Charles Nugue semble le souhaiter
lorsqu'il parle « d'associer les utili-
sateurs à la vie et à la gestion de la
Maison ».
L'Etat au pied du mur
Depuis six mois, spectacles, expo-
sitions, concerts se sont succédés,
attirant plus de 200.000 visiteurs.
Succès soudain ,et inattendu qui a
poussé le directeur à s'interroger sur
ses besoins et ses devoirs : nécessité
d'augmenter la fréquence des spec-
tacles, afin de multiplier les possi-
bilités de choix et développer ainsi
l'esprit critique, sans lequel toute
participation demeure stérile.
L.A.R.C. s'est donc tourné vers
l'Etat, posant aux Affaires Culturel-
les un problème délicat : le Minis-
tère ne peut se désintéresser d'une
expérience d'une telle ampleur dans
une ville ouvrière mais ne veut faire
aucune entorse à ses principes qui
excluent en fait les amateurs et les
sociétés locales des Maisons de la
Culture. L'Etat semble donc disposé
à accorder une aide sélective aux
seules activités conformes à sa pro-
pre conception de la vie culturelle.
La Maison des Arts et Loisirs en
est aux balbutiements prometteurs.
Son mode d'existence et ses contra-
dictions peuvent permettre d'enrichir
le dossier de la décentralisation cul-
turelle. D
A écouter
, DISQUES A PRIX REDUIT
• Depuis un an la collection 30/18 (*) s'est
imposée parmi les séries à prix modique
par l'originalité de son catalogue et la
qualité de ses interprétations. Du haut
Moyen-Age à Beethoven elle permet de dé-
couvrir des œuvres rares comme la musique
de Pérotin le 'Grand qui déroulait ses
vocalises post-grégoriennes dans la toute
neuve cathédrale de Paris, à la fin du XIIe
siècle (HM 30-823).
• Le 3e Concerto Royal et les Sonates de
Couperin prennent un relief nouveau grâce
aux instruments anciens de l'ensemble Ri-
cercare (HMO 30-718).
• La Cantate du mariage et la Cantate
italienne de J.-S. Bach bénéficient de l'ai-
sance vocale et de la fraîcheur lumineuse
d'Elly Ameling (HM 30-400).
• Quant au plus doué des fils, Cari-Philip-
Emmanuel Bach, il est l'auteur avec le
Magnificat d'une des plus fortes pages de
la musique religieuse du XVIIIe siècle. Le
disque lui rend enfin pleine justice (HM
30-821).
• II faut accorder une mention spéciale au
d^ggue des « Orgues historiques ». C'est
avec les plus vénérables instruments de
France, d'Italie, d'Espagne et d'Allemagnt
une splendide démonstration des richesses
et de la diversité de l'orgue. Un panorama
où chaque instrument conserve le charmt
et la personnalité de la grande époqut
organistique (HMO 30-580).
Une collection à suivre de très près
D
(*) Harmonica Mundi - 18 F.
PAIITHÉOn
13, rue Victor-Cousin
«ODE. 15-04
Permanent de 14 h. à 24 n.
TRI (Youg.) V. O.
9 mai 1968
LETTRES ARTS SPECTACLES
page 11
Cinéma
Vérités
de la caméra
Jean-Paul Fargier
• e cameraman » est une re-
flexion sur le cinéma, sur
^"ceux qui le font, sur ceux
qui y vont. Chaque image où la ca-
méra sst présente provoque des ré-
sonnances extraordinaires, et son ab-
sence même finit par être lourde de
signification.
Rosselini, dit-on, est venu au ci-
néma pour l'amour d'une fille : en
l'accompagnant chaque jour au stu-
dio où elle travaillait, il eut envie
d'entrer dans le métier et peut-être
aussi de la filmer. Car les plus bel-
les déclarations d'amour d'un cinéas-
te se font au cinéma. C'est un peu
l'histoire du cameraman Buster. Il
ne dit pas : « Je vous aime », mais
« J'aimerais prendre une photo de
vous. » Impossible de ne pas pen-
ser au Petit Soldat qui mitraille
Anna Karina avec son Leica, en lui
posant des questions.
Puis en changeant son vétusté ap-
pareil photographique contre une
antique caméra, Buster découvre
certainement que si « la photo c'est
une fois la vérité par seconde, le
cinéma, c'est 24 (ou 16) fois la
vérité par seconde ». Cette fonction
de vérité le cinéma l'assure pour lui
lorsque la bobine tournée par le
singe pendant le sauvetage de Sally
fait triompher son amour et éclater
la vérité. Mais c'est le privilège des
grands films de faire éclater la nôtre
aussi et de nous atteindre dans not-
re attitude même de spectateurs.
Lorsque le patron du cameraman vi-
sionne ses films, l'écran soudain de-
vient miroir et c'est nous qui nous
exclamons quand il s'écrie : « C'est
le meilleur reportage que j'ai ja-
mais vu. » L'ambiguité de cette ré-
flexion est géniale, car elle peut tra-
duire indifféremment un goût du
sensationnel ou un assentiment à la
beauté d'un geste vrai. Deux prises
en effet se succèdent : la fantasti-
que bataille du quartier chinois et
le sauvetage de Sally. A laquelle
s'adresse ce jugement ? Et à quel
niveau de compréhension corres-
pond-il ? Jamais nous n'avions mieux
compris l'ambiguïté d'un enthousias-
me, même soit disant - critique. Ja-
mais non plus nous ne pourrons
mieux saisir les liens qui ur lissent le
public et la production d'un film
que dans ce reflet des spectateurs
que nous montre Keaton en la per-
sonne du producteur : intor-prêtre
d'une foule Moloch dévoreuse d'ima-
ges.
Au milieu d'une société de con-
sommation déjà marquée par un be-
soin d'images, Buster se promène
avec un détachement ante-lumièrien.
Il vit presque comme si le cinéma
n'avait pas encore été imenté. A
un reportage au quartier chinois il
préférera toujours un dimanche à
la piscine avec Sally, et aus specta-
culaires images d'une noyade, le rôle
d'un sauveteur. Entre la vie et le
cinéma, il choisit la vie et l'amour.
Jusqu'à ce qu'il découvre a la fin,
que le meilleur cinéma donne tou-
jours la vérité de la vie.
Méfions-nous des écrans qui ne
sont ni fenêtres ni miroirs. ( Fardons-
nous aussi des cinéastes qui ont une
caméra à la place des yeux ! Pas
de danger avec Keaton. Il a, au con-
traire, greffé sur l'objectif ses pro-
pres pupilles. Rivez votre l'égard à
celui de Buster. Tout est dans ces
yeux tantôt tendres, tantôt craintifs,
très souvent ingénieux, quelquefois
crocodilesques comme lorsqus il s'ap-
prête à ravir le pantalon de la
grosse baigneuse. D
Semaine TV
• HOMMAGE A C.-T. DREYER. La
soirée débute avec « La passion de Jean-
ne d'Arc », le film le plus célèbre du
maître danois récemment disparu. (Diman-
che 12 mai, 1" chaîne, 20 h 45), puis se
continue par une émission réalisée par
Eric Rohmer pour la série « Cinéastes de
notre temps », consacrée à l'auteur « d'Or-
det » et de « Jours de Colère », l'un des
plus authentiques génies du T art. (22 h.\
• TISIANA. Ce reportage, qui se veut
« exploration dans le temps, l'espace et la
couleur » a été réalisé à Venise et à Bru-
ges autour d'une jeune vénitienre vedette
de son prochain film par Marcel Hanoun
qui vient de remporter le Prix de Vingt
Ans aux Rencontres d'Hyères pour « Le
procès de Cari-Emmanuel Jung » (Diman-
che 12 mai, 2e chaîne, 16 h 45.)
• NOUVEAU THEATRE: « Lettre Mor-
te » est la première pièce portée à la télé-
vision de Robert Pinget-, l'un des grands
noms, aux côtés d'Alain Robbe-G rillet, Mi-
chel Butor, de ce que l'on a appelé
<t l'Ecole du Nouveau Roman >. (Jeudi
16 mai, 2e chaîne, 20 h 35.)
Opéra
Un chef wagnerien
Marc Echeverry
Depuis la disparition de Knap-
perstbusch et de Furtwangler
on attendait un chef qui sut à
la fois détailler la partition et res-
tituer la prolifération des thèmes
sans les isoler du courant orchestral.
Si Parsifal et Tristan avaient trou-
vé avec Boulez et Karl Bohm des
interprètes convaincants, la Tétralo-
gie continuait à se chercher un maî-
tre. Je crois qu'il est enfin trouvé :
Lorin Maazel dont on a déjà vanté
ici l'exactitude et l'efficacité, s'est
affirmé à la tête de l'Orchestre Na-
tional comme aujourd'hui le seul
capable de faire sonner le Crépus-
cule des Dieux et de nous en livrer
les respirations les plus fortes com-
me les plus intimes.
La prochaine retransmission de
Prestige de la Musique devrait con-
firmer cette impression.
Une caricature d'opéra
J'ai dit souvent que la musique
devrait jouer un rôle essentiel dans
le renouvellement théâtral. On sait,
par exemple, que le film musical et
l'opéra ont largement stimulé l'ima-
gination des décorateurs et des met-
teurs en scène en faisant éclater les
cadres dans lesquels leur art avait
tendance à se figer.
Je n'en suis que plus à l'aise pour
déplorer le lamentable spectacle que
vient d'offrir l'Opéra de Paris avec
Médée de Darius Milhaud. N'ayant
pas présenté d'opéra contemporain
depuis longtemps, il se devait, après
les folles dépenses de Turandot, de
nous donner une représentation con-
forme aux exigences scéniques mo-
dernes. Le choix était déjà con-
testable d'une œuvre sincère, mais
vieillie, dont le livret comporte de
ces naïvetés qui font la joie des dé-
tracteurs du théâtre lyrique. Mais
que dire des décors et des costumes
d'André Masson ? Comment ne pas
s'esclaffer devant ce Créon solen-
nel dont la robe souligne l'ample
bedaine, comment ne pas ricaner
aux ronds de jambes du grassouil-
let ténor chargé d'incarner (!) Ja-
son, comment ne pas rire des choris-
tes pétrifiés, vêtus de la pèlerine de
nos grand-mères et coiffés d'un bon-
net de plage que refuseraient même
les bambins des colonies maternel-
les.
Après tout, Milhaud méritait
mieux ! Seules les dames par leur
véhémence et leur générosité vraie
tirent leur épingle de ce méchant
jeu.
Avec près de 25 ans de retard, le
« Prisonnier » de Dellapicola entrait
à l'Opéra. Cfiuvre solide et toujours
lyrique malgré l'emploi du vocabu-
laire moderne. Malgré quelques er-
reurs de détails, le metteur en scène,
R. Gérôme et le décorateur, ont
fidèlement traduit cette œuvre for-
te et déjà classique qui méritait
d'être accompagnée par, une œuvre
vraiment représentative de l'opéra
contemporain. D
Festivals
• NANTERRE
— Dans 5 préaux d'écoles, des pièces
de théâtre de Ghelderode, Ionesco, Molière
et Régnard, montées par la Compagnie
Pierre Débauche.
— Au cinéma de la Boule, des films
d'Art et d'Essai, projetés régulièrement tous
les mardis, à partir du mois de mai.
— A la Faculté des Lettres de Nanterre,
un concert Stockhausen, dirigé par Stock-
hausen lui-même.
— Dans les écoles, les concerts de l'Oc-
tuor de Paris, liés à l'initiation musicale.
— Organisé avec les commerçants de la
ville, un spectacle de variétés.
— Enfin, dernière de ces « dix manifes-
tations du mois de mai » une exposition de
peinture moderne sous le titre « Peinture
vivante ».
Pour tout renseignement : Maison de la
Culture en préfiguration, 2 boulevard de
Balzac, 92-Nanterre. BOL 37-13.
• CHATILLON
Châtillon-des-Arts, mois de la culture,
se déroulera du 30 avril au 31 mai 1968,
à Châtillon-sous-Bagneux.
Au programme figureront des journées
de courts métrages, de musique contem-
poraine, des représentations théâtrales, des
expositions (Pignon, Hemandez, Lora,
sculptures de Viseux, gravures de Miro).
Participeront, Maria Casarès, Alain Cuny,
les Percussionnistes de Strasbourg, le Do-
maine Musical, le Groupe de Recherches de
l'O.R.T.F., les Swingle Singers, Germaine
Montero.
Patrice Chereau donnera » L'héritier de
village », de Marivaux, l'Aquarium, troupe
de l'Ecole Normale Supérieure et la Co-
médie Moderne de la Sorbonne créeront
leur adaptation des « Héritiers » d'après
Bourdieu et Passeron.
Guy Kayat définira trois démarches
dramatiques avec « Turandot » de Gozzi,
« Dans l'ordre ou dans le désordre » de
Claire-Lise Charbonnier, et son « Théâtre-
laboratoire » dont ce sera la première
création publique.
En bref
Pierre de T.S. Collombert, photo-
graphe de T.S. expose ses photos à la
Maison des Jeunes et de la Culture
14, rue Thomas-d'Orléans, à Co-
lombes (92).
Ouverte jusqu'au 31 mai, du lun-
di au vendredi de 12 h à 14 h et de
18 h à 21 h.
Le samedi de 15 h à 21 h.
9 mai 1968
ENQUÊTE
tribune socialiste
Libertés dans l'entreprise
Citroën :
la chasse aux syndicats
Jacques Ferlus
Une campagne de publicité dans
la presse révèle les cinquante
détails de la sécurité des véhi-
cules Citroën. Un cinquante-et-
unième détail pourrait être ajouté,
celui de « la paix sociale » : pas
de grève depuis quinze ans. C'est
pour la direction un élément de sé-
curité non négligeable. Mais cette
soit disant « paix » est acquise au
détriment des travailleurs qui subis-
sent les pires brimades. Le travail
s'accomplit dans un véritable climat
de dépersonnalisation et les syndi-
calistes prononcent souvent les mots
de : fascisme, Mussolini, gestapo,
Franco...
La direction de Citroën, avec les
dernières élections des délégués du
personnel (début avril), a eu une
nouvelle occasion de démontrer l'ef-
ficacité de ses méthodes.
*
**
En 1967 les délégués n'avaient pas
été élus par usine mais par groupe
d'usines. Ainsi des ouvriers de Cli-
chy étaient représentés par un dé-
légué travaillant quai Javel à Paris.
Ceci étant contraire à la loi, les
élections furent annulées, ce qui
eut pour conséquence de priver les
délégués sortants de liberté de mou-
vement pour la campagne des nou-
velles élections.
La direction, elle, s'en donna à
cœur joie. Presque tous les travail-
leurs furent avisés personnellement
que s'ils allaient voter ils seraient
licenciés. Ceux qui étaient surpris
parlant avec des syndicalistes étaient
le plus souvent changés de poste de
travail. Résultat : 70 % d'abstentions
au premier tour.
Au deuxième tour apparaissent
les candidats de la direction. Des or-
dres sont donnés afin de voter pour
les « bons » candidats. Certains re-
çoivent pour consigne de voter
C.G.T. «n rayant les têtes de listes.
Il a suffi d'en trouver treize pour
qu'un militant actif ne soit pas
réélu. Avec de tels procédés, Ci-
troën fait élire 25 de ses candidats,
contre 17 en 1967.
Traqués et espionnés
Pourtant la majorité des travail-
leurs est favorable aux organisa-
tions syndicales. Mais dans cet uni-
vers à part il est bien difficile de
ne pas accepter, même à contre-
cœur, la politique maison. Il suffit
de chantonner ;en travaillant pour
écoper d'un avertissement. L'ouvrier
dont on veut se débairasser subit
une série de brimades qui aboutis-
sent à le faire démissionner. Car
chez Citroën il n'y a pas de licen-
ciements. La direction dispose de
tout un réseau d'espions, de mou-
chards, d'interprètes (5l) % de tra-
vailleurs étrangers) qui rapportent
les moindres faits et gestes de cha-
que ouvrier. A Levallois même dans
les locaux de la Bourse du Travail,
il faut se méfier des espions.
Dans un atelier travaillant pour
l'armement, un travailleur étranger
est appelé par son chef. Celui-ci lui
explique qu'étant étranger il n'a pas
le droit de travailler pour l'arme-
ment. On va donc le licencier. A
moins qu'il ne soit élu iéléguê « li-
bre », ainsi il sera protégé. Suite
à quelques pressions supplémentai-
res l'ouvrier est obligé d'accepter,
pourtant depuis dix ans il est syn-
diqué à la C.F.D.T.
A condition de rentrer dans le
« moule » Citroën, c'est la réussite
et la promotion assurées. Effective-
ment il y a des cas d'O.S. devenus
cadres. Mais il faut passer par tant
de concessions, de compromissions...
« Je me demande comment ces ty-
pes peuvent dormir tranquilles » di-
sait un militant C.F.D.T.
Epié et traqté
Etre syndiqué chez Citroësn, cela
veut dire qu'on accepte d'être épié
et traqué tant qu'on ne décide pas
de se rendre. Cela veut dire que l'on
accepte de ne jamais a''oir de pro-
motion, d'être augmenlé au strict
minimum. Ici un militint ne peut
être qu'un homme excejjtionnel car,
ainsi que le remarquait l'un d'entre
eux : « Les travailleurs qui ont un
peu la « tripe ouvrière » ne restent
pas longtemps.» Et c'est, bien le
courage -de ces homme:> qui accep-
tent de se battre au ne m d:e la di-
gnité des travailleurs qu'il faut sa-
luer. C'est le cas pour ce militant
de la C.G.T. qui depuis 19 ans con-
tinue la lutte.
On reconnaît le syndicaliste à sa
voiture : il ne possè le pas une
Citroën. La direction n'accepte de
vendre des véhicules qu'aux bons
ouvriers, c'est-à-dire ceix qui ne la
combattent pas.
A l'intérieur de l'usine seuls les
délégués élus jouissent l'une certai-
ne liberté de mouvement. Encore
que pour leurs déplacements ils bé-
néficient d'une escorte d'agents de
la direction, chargés de les surveiller.
Lorsque le délégué pénètre dans un
atelier, il est bien rare qu'un ou-
vrier se décide à lui parler. L'escor-
te relèverait son nom et au mieux,
la direction le gratifierait d'un aver-
tissement. Il risque aussi une muta-
tion, à mokis qu'on ne lui demande
sa démission.
Quant au délégué lui-même, on
lui accorde avec beaucoup de réti-
cence le droit de remplir son man-
dat. Dans le travail on l'isole des
autres et malheur à celui qui sera
pris lui adressant la parole.
Succès de la méthode Bercot
Dans ces conditions, le syndicalis-
me n'a pour ainsi dire pas de prise
directe sur les travailleurs. Il est im-
possible d'appeler au moindre dé-
brayage, au plus court des arrêts
de travail. Alors que dans de nom-
breux secteurs les signatures de pé-
titions sont considérées comme des
actions désuètes et dépassées, chez
Citroën c'est un succès lorsque 8.000
signatures sont recueillies à propos
des ordonnances sur la Sécurité so-
ciale, lorsque 12.000 autres réclament
une prime à l'occasion de la sortie
d:e la Dyane (prime d'ailleurs refusée
par la direction).
Monsieur Bercot, P.D.G. de Ci-
troëen, déclare bien que le seul mo-
teur de l'homme est le profit, mais
son principe ne s'applique pas aux
travailleurs. Qu'on en juge d'après
cette démonstration de la C.G.T. :
« En 1957, un PI gagnait 8.000 F
par an (soit la valeur de deux 2 CV)
et produisait cinq véhicules dans
l'année. En 1967, un PI gagnait
dans la même période 12.800 F (soit
toujours la valeur de deux 2 CV)
et produisait dix véhicules dans l'an-
née. Pour être dans les mêmes nor-
mes qu'en 1957, le revenu annuel
d'un PI devrait être équivalent à
quatre 2 CV. »
Mais c'est là un raisonnement que
ne peut entendre Monsieur Bercot.
D'après lui si les travailleurs ne sont
pas heureux de leur sort c'est qu'ils
l'ont bien voulu. Ils n'ont qu'à deve-
nir entrepreneurs, patrons...
Une chose est certaine, Citroën est
une entreprise dynamique dont le
développement, au cours des der-
nières années, est incontestable. Par
le biais des accords passés avec des
entreprises allemandes et italiennes,
elle a préparé sa place sur le marché
européen. Cela lui a permis de ga-
gner la confiance du gouvernement,
ce qui explique la neutralité, pour ne
pas dire la démission, de certains
ministres dans les conflits qui oppo-
sent la direction aux travailleurs. On
prête même l'intention à Monsieur
Pompidou de profiter de la réussite
de Citroën pour opérer des change-
ments de structures et de méthodes
chez Renault.
Fort de ses appuis, Monsieur Ber-
cot peut en toute tranquillité se li-
vrer à son sport favori : la chasse
aux syndicats ; ces empêcheurs de
vivre en paix qui veulent avoir des
idées sur tout, ces suppôts de la
subversion.
Briser Citroën
L'exemple d:e Citroën pourrait
fort bien donner des idées à d'au-
tres entreprises. Pourquoi continue-
raient-elles à supporter les revendi-
cations des syndicats, à essuyer tou-
tes les grèves, alors que la méthode
Bercot assure la tranquillité, une
paix sociale intéressante ? Si l'on n'y
prend pas garde, ce qui se passe
chez Citroën pourrait avoir des con-
séquences graves sur l'ensemble du
mouvement ouvrier.
Pour l'instant le « cas Citroën » a
rarement été évoqué en dehors des
usines. Les élections des délégués
concernaient bien plus de 50.000
travailleurs, cela fait plus de mondé
qu'à Bastia et c'est pour le moins
aussi important. On en a beaucoup
moins parlé.
C'est seulement « la minorité de
la minorité » des travailleurs de chez
Citroën qui est syndiquée. Face aux
méthodes fascistes utilisées par la
direction il est bien difficile qu'il
en soit autrement. On peut donc
psnser qu'actuellement Citroën ne
peut être mis en difficulté, voire en
échec, que de l'extérieur. Il n'est pas
utopique de penser qu'il y a là ma-
tière à une vaste action d'envergure
menée en commun par les organisa-
tions syndicales et politiques die gau-
che (*). Les syndicats étudient la
possibilité d'un certain nombre de
pressions économiques, il faut effec-
tivement s'y intéresser. D
(*) Dans plusieurs communes à l'occa-
sion des dernières élections de délégués,
des comités de soutien se sont mis en
place. Partout le P.S.U. y était présent.
Ces comités ont alerté l'opinion sur la
situation des travailleurs de Citroën. Ils
auront une nouvelle occasion de se mani-
fester fin mai pour les élections des co-
mités d'entreprises.
responsable politique
êtes-vous
BIEN ÉQUIPÉ ?
L'homme d'aujourd'hui est sollicité sans
cesse par des messages d'information, de
propagande ou de publicité, qui s'ap-
puient sur les derniers progrès techni-
ques de duplication. De son côté l'infor-
mation syndicale, pour atteindre son
but, a besoin d'un équipement moderne,
rapide et sûr. A l'intention des respon-
sables, Gestetner a mis au point une
ample documentation, véritable tour
d'horizon des procédés modernes de du-
plication, stencil et offset. Les méthodes,
les matériels, leurs rendements, leurs
applications y sont clairement confron-
tés. D'utiles conseils sont également jn-
clus pour l'établissement des documents
et pour la gravure des stencils ou pla-
ques. Demandez le Cahier n" 337 à
GESTETNER, 71, rue Camille-Groult,
94-VITRY. Tél. : 48247-85.
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no.371
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no.371