Avant Garde (La Nouvelle)

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PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS ! »
LA NOUVELLE
GDE
Numéro 1 JUIN 1968 Prix : 1 franc Contacter les militants
Abonnements 12 numéros : Pli ouvert : France, 11 F ; Etranger, 15 F ; Pli fermé France, 19 F ; Etranger, 25 F ; Soutien, minimum, 20 F
MA11968: UNE RÉPÉTITION GÉNÉRALE
EDITORIAL
REFLUX ?
La grève générale s'est emparée en quel-
ques jours, sans directeur ni directives, de
tout le pays et de toutes les couches de la
population. Le pouvoir était à prendre : les
travailleurs ne l'ont pas pris. Ils ont été
TRAHIS.
Le reflux qui s'amorce aujourd'hui, orchestré
par les briseurs de grève de tous horizons,
a cassé pour un temps la révolution montante,
mais n'a pas émoussé la combativité des tra-
vailleurs et le potentiel révolutionnaire de
l'Europe capitaliste.
Le reflux qui s'amorce aujourd'hui est pro-
visoire, ambivalent, contradictoire : il n'exclut
pas rrïais implique au contraire de nouvelles
flambées révolutionnaires, sporadiques ou du-
rables, isolées ou généralisées. Le feu couve
aussi longtemps que la colère flambe. Il faut
étendre le foyer.
Le reflux qui s'amorce aujourd'hui : la re-
prise réticente contrainte et forcée du travail
dans certains secteurs est le produit de la
contradiction entre l'extraordinaire combativité
du prolétariat et l'absence de perspectives ré-
volutionnaires : l'absence d'une direction ré-
volutionnaire des luttes.
Et le vide ainsi créé par les directions offi-
cielles de la classe ouvrière et l'isolement de
i'avant-garde peut laisser le terrain libre à la
contre-révolution parlementaire.
S'ORGANISER
POUR VAINCRE
La révolution s'est heurtée à l'absence d'un
parti révolutionnaire capable de tracer les pers-
pectives, de formuler les mots d'ordre, d'or-
ganiser les masses autour d'un programme.
Nos mots d'ordre, nos perspectices relève-
ront de la magie et resteront des conjurations
expiatoires tant que nous resterons impuis-
sants à organiser les masses autour d'eux —
et non des secteurs limités : on ne démontre
pas la trahison des directives staliniennes
sans combat, en mimant la lutte de classes
jusqu'à ce qu'elle passe par nous, en cons-
truisant une politique alternative à coups ds
motions et d'appels pathétiques mais inau-
dibles.
Tout le pouvoir est à la grève générale
quand elle s'organise en contre pouvoir ouvrier
dans des comités de grève élus et révocables
à tout moment, fédérés entre eux à tous les
échelons. Or les éléments d'avant-garde im-
plantés dans la classe' ouvrière n'ont eu l'ini-
tiative de ces formes de lutte que dans des
secteurs limités : ils doivent renforcer leur
audience.
Le temps presse. La révoluton s'est estom-
pée, mais ne s'est pas éteirte. Les révolu-
tionnaires ne peuvent pas choisir de faire la
révolution quand ils seront frets ! Mais ils
doivent être prêts quand écl.itera à nouveau
la crise révolutionnaire. Les conditions sont
mûres : avant qu'elles ne lecommencent à
pourrir, il faut s'organiser.
REGROUPEMENT
DES FORCES
REVOLUTIONNAIRES
Aujourd'hui les éléments d'un parti révolu-
tionnaire existent. Il s'agit de contribuer à un
premier regroupement, n'obéiiisant pas à des
schémas préétablis, mais respectant des ryth-
mes complexes de développement.
De ce groupement, la nécessité a été ex-
primée et définie par un comitt d'initiative pour
un mouvement révolutionnaire. Certes, un mou-
vement révolutionnaire ne saurait être l'addi-
tion de quelques individus à quelques organisa-
tions. Mais aucun regrouperrent durable ne
peut se constituer à partir de a prise de cons1
cience progressive des militants. Il faut hâter
le processus, y compris de l'extérieur. Certes,
la révolution de Mai a liquicé (sinon en fait
du moins en droit), les avant-gardes auto-pro-
clamées :-c'est pourquoi le mouvement révo-
lutionnaire ne saurait être jne organisation
auto-constituée. Il est en regroupement pro-
visoire dont la vocation est de faire accéder
un courant encore confus au stade de l'orga-
nisation.
Il ne suffit pas de proclamer un mouvement
révolutionnaire pour qu'il existe : sa construc-
tion passe par d'autres combats. Nos tâches ?
Ne pas être à l'initiative de C3 qui existe déjà
— un mouvement révolutionne ire diffus, c,ui se
rencontre au hasard des barricades — mais
de ce qui doit exister : un regroupement
transitoire vers le parti révol Jtionnaire.
LES COMITES D'ACTION
Le lieu de regroupement dss militants poli-
sés dans la lutte est aujourd'hui le comité
d'action ou ses équivalents. La nature de ces
comités est double : embryons de double pou-
voir, organisant à la base i n contre-pouvoir
alternatif au pouvoir bourgeois, les C. A. sont
(au même titre que les comités de grève, mais
sous des formes différentes) des formes de
regroupement à la base et dans l'action de
l'ensemble de la population. Mais dans la me-
sure où l'unité des comités n'existe pas (cer-
tains mouvements des masses conservant leur
autonomie organisationnelle comme appendi-
ces de groupes politiques) ; dans la mesure
où les tâches de ces comités relèvent aussi
de la direction de la lutte sur un minimum d'ac-
cord politique, dans la mesure où l'évolution
de la grève de grève politique et grève reven-
dicative change l'axe de leur intervention, les
C. A. sont plus que de simples comités de
masse.
Embryons d'organisation politique, les C. A.
reproupent les militants révolutionnaires qui
veulent poursuivre le combat jusqu'au bout ;
et leur évolution confirme et approfondit cet
aspect.
La double nature des C. A. (qui s'estompe
progressivement) est l'expression de l'absence
d'un parti révolutionnaire.
Pour nous, il est clair que, partout où ils
existent, les C. A. sont les embryons d'un
mouvement révolutionnaire et que la place des
militants révolutionnaire est en leur sein.
Pour nous, il est clair également qu'il y a
place pour un mouvement national des convtès
d'action : pour peu qu'ils se donne une réelle
direction (et non des bureaucraties, occulïes)
sous peine de disparaître avant même d'avoir
existé.
ET LA SPONTANEITE ?
La spontanéité fut, pour un temps, la meil-
leure garantie du mouvement. Sa richesse lui
vient essentiellement d'avoir brisé les carcans
idéologiques et politiques hérités du stalinisme.
La spontanéité fut — et reste dans une
certaine mesure le meilleur agent de l'irrup-
tion violente des masses dans l'histoire. En
cela nous devions et nous devons encore en
respecter les fruits. Mais quand la spontanéité
est opposé à l'organisation, elle nous fait cou-
rir les plus grands dangers.
Le mouvement étudiant a joué, d'un certain
point de vue, le rôle provisoire de direction
révolutionnaire en traçant la seule voie possi-
ble : la rue, la grève, la violence révolution-
naire. Ce rôle il ne l'a pas usurpé sous pré-
texte qu'il trahirait quelque schéma préétabli.
Il l'a usurpé, c'est vrai : aux directions stali-
niennes du mouvement ouvrier. Mais ce rôle
est devenu un substitut dangereux quand la
vague révolutionnaire a gagné la classe ou-
vrière.
La bourgeoisie n'improvise pas. Elle agit
selon une stratégie de classe longuement mûrie
et expérimentée. Elle trouve des alliés objectifs
au sein du prolétariat qui obéissent à une
logique de caste implacable : la bureaucratie
syndicale et politique.
Pour répondre coup pour coup, heure après
heure, il n'y a pas place pour des dirigeants
irresponsables qui, au nom de la spontanéité,
renoncent à donner une direction au mouve-
ment, et l'entretiennent dans l'improvisation
parce qu'ils le dirigent en fait. Il n'y a pas
place pour les bureaucraties occultes et inamo-
vibles qui se constituent sans contrôle sous
prétexte que le mouvement n'est pas mûr pour
se donner une direction.
Nous avons combattu l'opportunisme politi-
que sur le terrain de la lutte de classe — et
nous avons partiellement gagné.
Nous devons aujourd'hui combattre l'oppor-
tunisme organisationnel qui sévit dans nos
propres rangs.
RENFORCER LA
ORGANISER EN
DIVERSIFIANT
J.C.R.
En brisant le rituel instauré entre les grou-
pes d'avant-garde, en dépassant les débats
stériles et les polémiques détachées de l'ac-
tion, en organisant même la suspicion et les
cabales contre le « chapeautage groupuscu-
laire », le mouvement de mai a placé le débat
politique sur son véritable terrain : vérifier
dans la pratique les divergences d'orientation.
Mais c'est sous-estimer dangereusement le
rôle joué par ces groupes dans le déclenche-
ment de la crise et son approfondissement. I!
faut comprendre que les courants politiques
qui s'expriment sous la forme d'organisations
séparées représentent les composantes essen-
tielle? du mouvement ouvrier international. Leur
indépendance organisationnelle est le meilleur
garant d'un débat politique clarifié pour peu
que ces organisations mettent tout en œuvre
pour réaliser l'unité à la base, dans l'action.
Leur indépendance organisationnelle est partie
intégrante du processus de construction d'un
parti révolutionnaire.
La J. C. R. pour sa part, ne saurait se
.dissoudre en l'absence de ce parti : elle de-
meurera, fraction organisée — limités certes,
mais durable — du mouvement ouvrier.
NOS TACHES
Les tâches qui nous incombent sont claires :
contribuer au renforcement de l'avant-garde ré-
volutionnaire en participant à la construction
d'un mouvement révolutionnaire. Prendre l'orga-
nisation non comme bien, mais comme moyen :
renforcer l'avant-garde révolutionnaire en ren-
forçant la J. C. R. — en contribuant à la cons-
titution de groupes communistes révolutionnai-
res, regroupant sur des bases politiques pro-
ches de celles de la J. C. R. les militants
adultes travailleurs de toutes catégories dé-
cidés à poursuivre notre combat.
La jeunesse communiste révolutionnaire af-
firme qu'elle ne postule pas la direction mo-
nolithique d'un mouvement que ses militants
ont contribués à développer, à organiser et à
diriger à la mesure de leur force.
Aujourd'hui la J. C. R. appelle tout les mK
litants d'avant-garde à intensifier l'activité des
comités d'action. C'est là que tout militant doit
à présent faire ses preuves ; .de là dépend
en effet l'issue des événements. Si, face à la
répression sanglante de Flins et de Montbé-
liard, la grève continue et se politise, si les
secteurs ouvriers ramenés à grand peine par
la C.G.T. vers les voies parlementaires du
P. C. reviennent à l'action directe et repren-
nent la grève, alors il n'y aura pas d'élections.
« L'ordre bourgeois » sera baffoué une nouvelle
fois, l'inanité des solutions électorales une fois
encore démontrée.
Ne pas laisser confisquer la lutte de classe
au profit du bulletin de vote, voiià la tâche de
l'heure. Elle est encore de l'ordre du possible.
LUNDI 10 JUIN.
vive
la lutte révolutionnaire
des étudiants
et des travailleurs
Les barricades de mai 1968 à Paris
ont fait justice d'un conte que bour-
geois et réformistes avait beaucoup
répété et même fini par croire : dans
notre société moderne, la révolution
est impossible. Pour les réformistes,
elle était impossible, théoriquement;
mais pour les bourgeois — qui con-
servent quand même un sens de
classe plus aigu — il fallait aussi
qu'elle soit impossible pratiqi ement :
de très larges masse ont appris
brusquement, quelquefois à lîurs dé-
pens, quels stocks impress armants
de grenades, de flics, de matériel de
répression en tous genres avaient
été accumulés (mieux vaut prévenir
que guérir) pendant Sa période « cal-
me » précédente. Les Facultés
étaient fermées mais c'est un véri-
table cours sur l'Etat qui fut admi-
nistré. Donc, en théorie et on prati-
que, la bourgeoisie était prêle : elle
avait une direction (et même une di-
rection de rechange) armée et cons-
ciente de ses intérêts.
Ce n'était pas le cas de h classe
ouvrière. Elle disposait pourtant bien
d'une direction. Mais cette direction
n'a pas dirigé : elle n'a pas eu l'ini-
tiative des luttes, elle n'a pas su
leur fixer d'objectif politique autre
que des victoires électorales à un ré-
férendum ou à des législatives sui-
vant le bon vouloir du régime. Cette
direction s'est même flattée de
n'avoir jamais appelé à la grève gé-
nérale. En fait, avant toute chose,
elle a seulement cherché à contrôler
le mouvement ; pour diriger ces lut-
tes, il aurait fallu au moins être ca-
pable d'exprimer les aspirations des
masses qui mettaient en cause le
pouvoir, c'est-à-dire avoir un pro-
gramme révolutionanire,
L'OPERATION MENDES
Car la situation était révolutionaire : ce
< mouvement de masse d'une ampleur iné-
galée » rituellement évoqué par le P.C.F. lors
de ses Congrès était là. H avait déferlé sur
toute la société avec une violence inouie ;
il avait posé non seulement la question du
pouvoir politique central, mais aussi la ques-
tion de tout le pouvoir : et c'est par dizaines
de milliers que patrons, directeurs et autres
despotes locaux avaient senti leur position
vaciller. Des milliers d'individus qui jusque là
subissaient passivement l'exploitation et l'op-
pression capitalistes ont eu le sentiment de
s'être libérés ; cette prise de conscience s'est
faite à tous les niveaux de la vie sociale
et sur une échelle peut-être unique dans
l'histoire. D'ores et déjà, il est certain qu'il
y a là un phénomène en profondeur qui mar-
quera le caractère des prochaines luttes, indé-
pendamment des périodes de flux et de re-
flux qu'elles connaîtront.
D'un point de vue économique et financier,
la situation du capitalisme français n'était pas
catastrophique. Il y avait donc la place pour
une solution bourgeoise de rechange per-
mettant de sauver l'essentiel : le capitalisme
monopoliste d'Etat, en échange de quelques
réformes de structure. Tel est le sens g'o-
bal de l'opération Mendès-France qui n'est pas
du tout une variante réformiste classique.
Mendès — quand il est au pouvoir — se fait
du Parlement une idée certainement plus réa-
liste qu'un Mollet ou un Déferre, sans par-
ler d'un Waldeck. De plus, à cause de la
position ultra capitularde du P.C.F., le champ
était largement libre à sa gauche. La manœu-
vre de grande ampleur tentée par Mendès
était d'utiliser, au profit de cette restructura-
tion capitaliste, l'élan d'une partie du mouve-
ment révolutionnaire qui s'était placée à la
gauche du P.C.F. (1) Ensuite, bien sûr, on
aurait dis'cuté avec le P.C., mais un P.C.
coincé sur sa gauche et sur sa droite.
L'opération a provisoirement échoué. Es-
sentiellement parce qu'elle a semblé aléa-
toire à une bonne partie de la bourgeoisie
qui sait, qu'à la différence de 36, elle ne
dispose pas de partis bourgeois ou réfor-
mistes d'audience à coup sûr suffisante pour
contre-ba!ancer le poids d'un Parti Commu-
niste dont on sait mal s'il est apprivoisé.
(1) II y aurait long à dire sur les similitudes
entre gaullisme et mendèsisme. L'un et l'autre
sont centrés sur des hommes providentiels,
des Bonaparte. L'un s'appuie délibérément sur
la partie de la population la plus arriérée poli-
tiquement, l'autre cherche à s'appuyer sur une
partie au moins du mouvement ouvrier. La ma-
nœuvre de Mendès est en fait la symétrique
de la manœuvre de De Gaulle en 58. En 58,
De Gaulle a utiilsé un mouvement d'extrême-
droite ; dix ans plus tard, Mendès utilise une
poussée d'extrême-gauche.
LA CONTRE-OFFENSIVE
DU GAULLISME
II a alors sufff que l'appareil d'Etat gaul-
liste, s'appuyant sur les quelques dizaines de
milliers d'individus qui lui doivent tout et
qui savent pertinemment qu'ils n'ont aucune
perspective avec un autre gouvernement, fasse
preuve d'audace et mette y compris la bour-
geoisie devant le fait accompli, pour qu'un
certain ressaisissement s'opère.
L'appareil d'Etat qui était à deux doigts de
la décomposition s'est restructuré ; une partie
de la petite bourgeoisie, les patrons et
même la police reprenaient confiance : après
avoir sué d'angoisse pendant près de quinze
jours, tout ce joli monde est descendu —
comme les ouvriers — dans la rue. Le thème
de la mobilisation était simple, c'était la dé-
fense de l'ordre établi, de l'acquit, bref des
privilèges. Pour l'instant, De Gaulle a réussi
son opération, qui était de regrouper sur la
base de l'anticommunisme tous ceux qui y
étaient socialement intéressés.
Le mouvement de grèves est loin d'être ter-
miné. La combativité des travailleurs est in-
tacte et il est sûr qu'à la moindre provoca-
tion du gouvernement ou du patronat, elle
peut à nouveau exploser ; mais il ne faut
pas se cacher qu'on a largement désamorcé
le mouvement : ce n'est plus maintenant par
la grève générale qu'est posée la question
du pouvoir. Les syndicats, C.G.T. en tête, ex-
pliquent aux travailleurs : vous avez des
revendications économiques, continuez la
grève pour obtenir satisfaction ; les partis
politiques, P.C.F. en tête disent : nous avons
des revendications politiques, en avant pour
la campagne électorale ! Mais on a affaibli
ce qui était éminemment détonnant : la mobi-
lisation de dix millions de travailleurs et étu-
diants, dans la rue et dans les usines occu-
pées qui, eux, comprenaient les rapports
étroits existant entre leurs revendications éco-
nomiques et leurs revendications politiques
et ne se faisaient aucune illusion sur le Par-
lement.
Depuis plus de trente ans, on avait opposé
à chaque revendication particulière des tra-
vailleurs, soit la raison, soit la force de l'Etat;
et particulièrement depuis dix ans en France,
on s'était ingénié à bâtir un Etat fort, derrière
lequel la bourgeoisie se réfugiait à chaque
fois que ses profits étaient menacés. C'est
donc l'expérience rui a fait comprendre aux
travailleurs la vanité des attaques partielles et
en ordre dispersé -. les patrons menacés se
réfugient derrière l'Etat, alors attaquons cet
Etat ! Mais ce n'est que tardivement et timi-
dement que le Parti Communiste a osé faire
de la politique en réclamant « un gouverne-
ment populaire » (mais qui pourrait réclamer
un gouvernement impopulaire ?) Tout ce qu'on
sait d'un tel gouvernement, c'est que les
communistes devraient y participer, comme en
1945. I! n'y a rien sur la façon d'arriver à un
tel gouvernement, rien sur son programme.
L'ETAT BOURGEOIS,
VOILA L'ENNEMI !
La grève générale a révélé à la classe ou-
vrière sa force réelle, en même temps qu'elle
a mis a nu la fonction répressive de l'Etat (2)
qui se dissimule en temps normal derrière des
apparences gestionnaires. Les comités de
grève et les comités d'action se sont substi-
tués aux pouvoirs bourgeois défaillants ; ils
étaient l'embryon d'un pouvoir prolétarien.
Toutes les révolutions ont vu naître sponta-
nément, face à l'Etat bourgeois en décompo-
sition, ces instruments de pouvoir autonome
de la classe ouvrière. Si en période « nor-
male », seule une minorité est organisée dans
les partis et les syndicats, en période révo-
lutionnaire, c'est une masse énorme de tra-
vailleurs qui se sent concernée et ces comités
représentent la forme d'organisation ad hoc.
De tels comités ne se créent pas en oppo-
sition aux partis et aux syndicats, comme le
pensent les bureaucrates timorés, à moins que
partis et syndicats ne soient réellement à
l'arrière-garde. En 1917, les bolcheviques
étaient minoritaires, mais ne craignaient pas
de lancer : « Tout le pouvoir aux Soviets ».
Ce n'est pas en juxtaposant aux revendica-
tions immédiates quantitatives des masses une
propagande abstraite pour le socialisme que
l'avant-garde de la classe ouvrière pourra
transformer une situation révolutionnaire en
révolution. Il ne suffit pas non plus d'affir-
mer que toute conquête de la classe ouvrière,
toute concession faite à un moment donné du
rapport des forces ne sera jamais acquise de
façon certaine tant çue survivra le régime
capitaliste. Encore faut-il que les masses
prennent conscience, au cours de la lutte, que
le problème de la prise du pouvoir est la
question décisive.
Pas de salaire en-dessous de 1.000 F ?
Soit, mais qui va garantir la fixité des prix ?
Pas les capitalistes bien sûr. Alors les travail-
leurs devront exiger le contrôle des prix.
Des cadences et des horaires plus humains ?
Très bien, mais qui décide de l'organisation'
du travail ? Pas les travailleurs bien sûr.
Alors les ouvriers devront exiger un contrôle
sur l'organisation du travail et donc sur l'or-
ganisation de la production. Mais de tels
contrôles ne peuvent être réels dans une
société dont le moteur est la recherche du
profit maximum. La société ne peut pas fonc-
tionner suivant deux logiques.
La spontanéité des masses a nécessaire-
ment ses propres limites ; c'est une tâche du
Parti d'avant-garde que de mettre en avant
des mots d'ordre transitoires. Mais il serait
dogmatique d'en déduire que le préalable ab-
solu au développement du mouvement révolu-
tionnaire est l'existence d'un parti d'avant-
garde déjà constitué ; on pourrait alors long-
temps attendre sa formation... Aujourd'hui, ce
sont les étudiants qui, à leur façon, ont joué
ce rôle. Ce n'est évidemment pas fortuit : on
retrouve cela dans presque tous les pays où
monte la révolution. Dans le regroupement ré-
volutionnaire qui s'impose et est aujourd'hui
possible, les étudiants auront un rôle impor-
tant, non seulement par la place qu'ils pren-
nent dans le mouvement actuel, mais aussi
parce qu'ils sont les plus directement sensi-
bles au contexte international.
Il ne faut pas oublier que la guerre du
Vietnam a été à l'origine de leur politisation
ainsi que l'appel et l'exemple du Che. Il
faut voir dans la violence de leur lutte un
écho de la violence systématique dont l'or-
dre bourgeois international doit aujourd'hui
faire usage pour se maintenir.
Mai 68 marque la rupture des vingt années
de stabilisation du capitalisme en Europe occi-
dentale. Une nouvelle période s'est ouverte
de luttes et de combats révolutionnaires pour
ie socialisme. 3 jujn ,968
Thomas LECRET.
(2) Ceci est particulièrement éclatant pour
la • Justice » : on convoque, un dimanche,
des juges pour condamner de toute urgence
des étudiants, une semaine plus tard, on les
réveille à nouveau pour les amnistier. Voilà
ce qu'est l'indépendance du pouvoir judiciaire.
Notons que cet épisode n'a pas peu con-
tribuer à démoraliser la police.
UNE
NOUVELLE
GENERATION
REVOLUTIONNAIRE
Une nouvelle génération politique est née.
Une nouvelle génération révolutionnaire est
entrée en force dans l'histoire. Le mois de
mai aura été la répétition générale de ce
qu'elle peut faire.
Un mouvement étudiant qui, libéré des ver-
rouillages réformites, est capable de mener
l'affrontement avec l'Etat jusqu'au bout :
faire éclater toutes les tensions sociales.
Un milieu ouvrier entraîné dans la grève
générale par ses jeunes. Ce sont eux qui
prennent spontanément l'initiative du mouve-
ment. Ce sont les jeunes qui donnent à la
grève son caractère de grève dure, qui dé-
veloppent à bien des égards des formes d'ac-
tion sans précédent, avant la reprise en
main progressive par les appareils syndicaux.
La démonstration ne s'arrête pas là.
Une nouvelle génération politique a fait
irruption dans la conscience collective. Mé-
connaissable, elle a fait resurgir avec elles
toutes les possbilités d'une révolution en
marche, elle les a développées dans son
sillage, leur a redonné couleur et vie.
Révélateur du possible, elle a retrouvé les
sources et les formes d'action ce la révo-
lution occidentale. Ou plutôt elle est en train
de les réinventer et de les retrouver au fur
et à mesure qu'elle agit.
Les étudiants sur les barricades ant réveillé
le pouvoir de la rue. Leur fonction : tenir le
Quartier latin même si. régulièrement, les étu-
diants doivent céder le terrain au bout de
plusieurs heures. Les barricades ont politi-
quement sinon militairement libéré le Quartier
latin. Elles inspirent les barricadîs érigées
par les paysans à Nantes au début de la
grève, les barricades de Sochaux le 10 juin
où un ouvrier combattant trouve U mort.
Une fois les usines occupées, le mouve-
ment étudiant parvient à couper le cordon
ombilical qui le fixe au Quartier latin. Il
rayonne dans les quartiers et les banlieues.
Il y trouve un second souffle qui a lime à son
tour les usines. Le mouvement enfin élargi
à toute la génération politique }u'il repré-
sente — ce n'est pas une pure et simple
question d'âge — se dote de nouveaux orga-
nes des luttes : les comités d'actioi.
A leur niveau, avec la faiblesse relative à
toute organisation naissante, avec ces moyens
réduits et aucune expérience préalable, ils
réussissent en quinze jours un vé'Stable tour
de force.
Pour la première fois, de façon systéma-
tique, un mouvement de grève est soutenu
activement et politiquement par la population
à la porte même des usines.
En juin 36, les femmes de grévistes leur
apportaient des gamelles et la -écolte de
quêtes gigantesques.
En juin 1968, le mouvement de grève prend
une dimension nouvelle.
L'élan est pris à Billancourt, devant les
usines Renault où est organisée au début
de la grève la première manifestation étu-
diante qui ait jamais eu lieu devant une usine
en France.
La portée de cette action sym jolique est
immense, même si diminuée de fait par la
méfiance des syndicats. A Billancourt, la
manifestation est accueillie poing levé, mais
derrière des portes fermées.
On mesure la distance parcourue lorsque,
trois semaines plus tard, à Flins, ouvriers et
étudiants mêlés organisent enserrble la ré-
sistance politique et physique contre les CRS
qui « gardent » les usines et patrouillent ia
ville, 10.000 hommes, armes en bandoulière,
qui font la chasse à l'étudiant.
Tandis que le P.C.F. et la C.G.T. condam-
nent les provocations des groupes GEISMAR,
étudiants et ouvriers fraternisent. Paur la pre-
mière fois, dans une grève ouvrière, dans un
meeting ouvrier, des représentants étudiants
prennent la parole à la demande même des
grévistes, contre le refus des dirigeants syn-
dicaux.
Pour la défense politique de la grève, étu-
diants et ouvriers ont réalisé leu- jonction.
Ils ont ensemble, en dépit des consignes
syndicales, donné à l'affrontemen' des gré-
vistes contre l'Etat son envergure et sa si-
gnification politique.
Un lycéen de 19 ans assassiné a tragique-
ment symbolisé cette union, ce eune mili-
tant de l'U.J.C.M.L. venu à Flins assommé
à coups de crosse par les C.R.S. et noyé à
Meulan. Il est mort le 10 juin, le jour même
où mourait un ouvrier sur les barricades de
Sochaux.
Au-delà de la tragédie et du symbîle, malgré
ses lacunes, ses faiblesses et ses erreurs, une
nouvelle génération révolutionnaire a donné
son inspiration véritable à l'histoire des mois
de mai et de juin.
Elle a inauguré et retrouvé des traditions.
Elle a lancé l'amorce d'une jonction étudiants-
ouvriers brisant l'étau du réformisme, les car-
cans staliniens. C'est toujours sur une base
politique précise, l'exigence de poursuivre
la lutte que s'est réalisée cette jonction.
Au fur et à mesure même de leur inter-
vention, les comités d'action ont dégagé les
possibilités que paralysaient un certain type
d'organisation de la grève.
Meetings et manifestations des comités
d'action ont rendu la grève constamment pré-
sente dans les quartiers, ont alerté l'opinion
(P.T.T. avant le week-end de Pentecôte) puis
contre les offensives d'abord parcellaires
généralisées du gouvernement. La reprise ne
s'est pas engagée dans ce climat d'ordre et
de sécurité réclamé à grands cris par les or-
ganisateurs des législatives.
Rendre la grève constamment présente à
la population du quartier, et d'une usine à
l'autre, où des marches sont organisées.
Décloisonner la grève : à leur échelle, les
comités ont très souvent réussi à devenir
le terrain de rencontre d'ouvriers représen-
tant toutes les entreprises en grève d'un
quartier.
Ils ont pu faire discuter de chaque problè-
me, celui du vote secret, notamment en fonc-
tion des perspectives de la grève générale
et non pas au niveau d'une seule usine.
Les seuls meetings interentreprises réalisés
au cours de la grève l'ont été à l'initiative
des comités d'action.
Une fois ouverte, cette perspective a tou-
jours rencontré l'appui et le concours des
comités de grève locaux .
La multiplicité de ces initiatives sonde
l'ampleur du possible. Un exemple précieux
est donné à Nantes au début. Les grévistes
éditent leur propre monnaie, des bons-crédit,
des bons-ravitaillement acceptés par les com-
merçants.
A Paris, les étudiants mettent sur pied un
circuit de distribution parallèle.
Le C.LE.O.P., comité de liaison étudiants-
ouvriers-paysans, organise des convois de
ravitaillement approvisionnés auprès des coo-
pératives agricoles, qui distribuent les pro-
duits dans les usines ou les leur vendent au
prix coûtant (poulets à 80 centimes, œufs à
11 centimes par exemple). Cela n'est pas
réalisé à grande échelle mais suscite au ni-
• veau des quartiers des réalisations similaires.
Des grévistes offrent des camions de leur
entreprise. Conduits par les chauffeurs pro-
posés par une autre usine, ils ravitaillent
toutes les boites du quartier.
Dans la grève générale de 10 millions d'ou-
vriers et employés, une grève que la crise
politique ouverte par l'affrontement des étu-
diants et du pouvoir avait suscitée, une nou-
velle génération a fait ses premières armes.
Ses initiatives ont créé l'embryon d'une
organisation révolutionnaire de la grève gé-
nérale, en fonction d'une perspective de
double pouvoir, celui du gouvernement en
place, celui des grévistes soutenus par la
population.
Dans plusieurs usines, en dehors des direc-
tions syndicales, pour qui la grève imprévue
ne devait pas compromettre des succès atten-
dus et remis aux élections, les ouvriers ont
réorganisé eux-mêmes leur grève. Ils ont créé
des comités de base où se regroupaient syn-
diqués et non syndiqués pour prendre les dé-
cisions, tracer les perspectives de la grève.
Une nouvelle génération révolutionnaire a
fait ses premières armes, avec un instinct
politique très sûr, éprouvé dans l'action. C'est
d'elle que va sortir une nouvelle direction
révolutionnaire.
Elle s'est exprimée à travers l'intervention
des comités d'action. Il est décisif de com-
prendre leur rôle spécifique.
P. B.
LA REVOLU!
En Mai 1968, le pouvoir est à por-
tée de la main.
Le Capitalisme français se trouve
paralysé par la plus puissante vague
gréviste de son histoire. Dix mil-
liens de travailleurs ont brusquement
fait irruption sur la scène politique
et réclament des comptes. Le dra-
peau rouge flotte sur les entreprises
occupées. JLes armes de la critique
sont braquées sur l'ancien ordre des
choses. La iutte se situe d'emblée
sur le plan politique. Les travailleurs
ont conspué les dirigeants syndicaux
qui prétendaient vendre leur révolte
contre un plat de lentilles. Us se bat-
tent pour que « ça change ». Ils veu-
lent la peau du régime.
L'Etat bourgeois est en pleine désa-
grégation. Les possédants, les offi-
ciels, les galonnés, tous les despo-
tes locaux, flairant la trempe, ren-
trent dans leur coquille. Le pouvoir
gaulliste accumule gaffes sur gaffes.
Vendredi 24 mai, avec l'annonce d'un
nouveau plébiscite, tous les records
sont battus. Un vent de panique se
lève dans les hautes sphères. Les
ministres songent à démissionner.
Des hauts fonctionnaires s'interro-
gent sur l'avenir politique du régime.
Dans le doute, ils rompent les négo-
ciations avec les Centrales ouvrières.
Les syndicats de la Police protestent
publiquement contre la légèreté avec
laquelle le gouvernement engage les
forces de l'ordre dans une répression
que personne n'approuve et mena-
cent de passer à « l'action directe »
pour satisfaire leurs revendications !
Dans les milieux bien informés on
s'attend à la démission du chef de
l'Etat. Des bruits alarmistes circu-
lent, concernant un putch militaire...
1
Volonté profonde de changement à la base,
paralysie du pouvoir au somnet, large union
dans la lutte entre ouvriers, intellectuels, petits
paysans, la crise sociale qui « branle la France
répond à merveille au schéma léniniste de la
situation révolutionnaire.
Le rapport des forces entr; les classes ne
cesse d'évoluer au profit de:, travailleurs. Le
13 mai 1968, la classe ouvrière a pris cons-
cience de sa force, en mêrre temps qu'elle
mesurait la faiblesse réelle du pouvoir. A me-
sure qu'elle s'engage dans la lutte, son niveau
d'exigence s'élève. Ce qui lui semblait inac-
cessible hier, lui paraît aujourd'hui un minimum
sur lequel on ne saurait traisiger. Pour des
millions de travailleurs le centre le gravité
des luttes se déplace des re vendications pu-
rement quantitatives et professionnelles à des
objectifs de luttes politiques qui débouchent
directement sur la question du pouvoir. D'abord
sur la défensive (manifestation du 13 mai con-
tre la répression), le mouvement passe à l'of-
fensive (grève généralisée avec occupation
d'usines) et s'oriente vers l'npreuve de fores
avec l'Etat bourgeois. Le processus objectif de
la révolution est allé aussi loin que possible.
A un certain stade, il aurait fallu qu'une force
consciente et structurée oriente et organise le
mouvement spontané des masses sur la voie
du soulèvement insurrectionnel. Cette force
consciente et structurée s'appelle le Parti Ré-
volutionnaire. Comme chacun sait, elle fait au-
jourd'hui cruellement défaut. _e Parti Commu-
niste et la C.G.T. sont parvsnus très vite à
reprendre le contrôle de la grève. Loin d'orga-
niser le mouvement de masse pour l'épreuve
de force avec le pouvoir, les dirigeants « com-
munistes » n'ont ménagé aucun effort pour
désamorcer la bombe et dénobiliser les tra-
vailleurs.
Le Général de Gaulle a ;ait preuve d'une
bien basse inqratitude en tonnant, jeudi soir,
contre « le parti de la subversion totalitaire ».
Il est vrai qu'il annonçait er même temps la
dissolution de la Chambre.
Campagne électorale oblige; !
LES DIRECTIONS OUVRIERES
FACE AU MOUVEMENT
La direction du parti (et de la C.G.T.) n'a
ni prévu, ni déclenché, ni compris le mouve-
ment. Jusqu'au vendredi 10 mai, elle attaquait
violemment * l'agitation étudiante », réduite
aux tribulations d'une minorité irresponsable.
Elle n'a jamais lancé le mot d'ordre de grève
générale. Dans la plupart des grandes entre-
prises, ce sont les jeunes ouvriers, souvent
inorganisés qui spontanément ont pris l'initia-
tive de la grève et imposé l'occupation des
locaux. La masse des travailleurs a approuvé
leur action, contraignant ainsi les directions
syndicales à emboîter le pas. Encore n'ont-elles
pas saisi la nature du mouvement. Les respon-
sables syndicaux ont voulu voir dans la grève
un simple mouvement revendicatif particulière-
ment puissant. Pourtant les travailleurs s'étaient
jeté dans la lutte sans même s'être préoccupé
de formuler leurs revendications syndicales.
C'est la question du pouvoir qui se trouvait
posée. La grève se situait d'emblée sur le ter-
rain politique.
Ces détails ont complètement échappé aux
dirigeants confédéraux. Aussi se sont-ils em-
pressés d'avoir les négociations avec le gou-
vernement Pompidou, considéré comme - inter-
locuteur valable - au moment même où dix
millions de travailleurs ne reconnaissaient plus
son autorité et luttaient pour sa démission. Le
protocole d'accord, conclu avec ce gouverne-
ment et le patronat a reçu l'accueil que l'on
sait de la part de la base ouvrière. Les ou-
vriers, qui ne se battaient pas pour des miettes,
mais pour que « ça change >, ont conspué les
dignitaires syndicaux venus leur présenter com-
plaisamment ces « victoires >.
En dépit de l'absence de mot d'ordre de
grève générale, la grève s'est généralisée
comme jamais. Des millions de travailleurs inor-
ganisés s'éveillaient à la conscience de classe
et entraient activement dans la lutte. Le pro-
blème de la mobilisation et de l'organisation
de ces millions de combattants nouveaux, se
posait avec acuité. Non seulement les direc-
tions du P.C.F. et de la C.G.T. n'ont pas assu-
mé l'organisation à la base des masses ouvriè-
res récemment venues à l'action politique, mais
encore elles se sont opposées aux tentatives
allant dans ce sens et se sont ingéniées à dé-
truire les formes d'organisation spontanée qui
avaient surgi ici et (à.
Les responsables du parti et du syndicat,
dans les entreprises occupées, ont « conseil-
lé » aux travailleurs de regagner leur foyer.
L'occupation de l'usine, la marche de la -grève
devant resté l'affaire du syndicat. Ce sont les
délégués syndicaux qui formeront le Comité
de grève. Rares sont les Comités de grève ré-
gulièrement élus par tous les travailleurs en
lutte et responsables devant eux. Le plus sou-
vent, ils sont composés des habituels bonzes
syndicaux. Dans ces conditions, l'occupation
d'usine devient quasiment symbolique : les
« occupants » ne constituent que des piquets
de grève élargis. Rares sont les usines où les
militants profitent de la situation pour assurer
l'éducation politique de la masse des travail-
leurs. Dans les ateliers déserts, quelques ou-
vriers syndiqués tuent le temps en parties de
belote. Des millions de grévistes restent dis-
persés, chacun chez soi, suspendu à son tran-
sistor. Sur ces travailleurs dispersés, les me-
naces gaullistes, la campagne d'intoxication de
8
i
ION TRAHIE
oc
la presse, auront beaucoup plus d'impact que
sur des ouvriers regroupés dans les entrepri-
ses. De même les Comités de grève seront
d'autant plus vulnérables aux attaques des
commandos gaullistes et des gardes mobiles,
que les occupants se trouvent peu nombreux
et coupés de la masse des travailleurs.
CRETINiSME
PARLEMENTAIRE
Tout au long de la crise, le gouvernement
va s'efforcer de transposer la lutte sur le ter-
rain électoral. Pour la classe dominante, il
s'agit de substituer la compétition électorale
aux manifestations de rue et aux occupations
d'usine. Il s'agit d'attirer la classe ouvrière
sur un terrain où la bourgeoisie se sait forte.
Elle a élaboré des lois électorales à ses me-
sures. Elle a réalisé d'astucieux découpages de
circonscription. Elle va faire donner à plein
son appareil de propagande. A ses yeux, le
résultat ne saurait faire de doute.
Mais surtout, la consultation électora e impli-
que un prompt retour au calme. On ne peut
faire campagne lorsque les Postes, le; trans-
ports, les usines ne fonctionnent pas. Accep-
ter la perspective des élections, cela signifie
en clair accepter de brader rapidenent la
grève.
Apparemment la direction du P.C. ne s'est
pas laissée arrêter par ce type de considéra-
tion. Elle s'est précipitée sans problène dans
toutes les manœuvres gouvernementales. Le
Bureau Politique a relevé sur-le-champ le défi
gaulliste du référendum. Non pas potr flétrir
le procédé et proclamer que le plébisc te n'au-
rait pas lieu, comme un vulgaire Meidès ou
même un Mitterand. Mais pour appeler les
Françaises et les Français à déposer in bulle-
tin « Non » dans les urnes, le 16 juin ! Quel-
ques jours plus tard, la résolution des travail-
leurs minait la manœuvre gaulliste.
Ce ne fut que partie remise. Jeudi 13 mai,
le chef de l'Etat proférait l'allocution agressive
que l'on sait. Entre deux menaces, il ainonçait
des élections générales. Il semble que c'est le
seul aspect du discours que les dirigeants
communistes aient retenus. Au plus fort de la
grève, sans une seconde d'hésitation, ils quit-
tent l'étalon fougueux de la lutte des classes,
pour enfourcher la pitoyable rosse de l'élec-
toralisme.
Dès lors, les clairons de la C.G.T. sonnent
la reprise du travail. Les ouvriers doivent re-
venir à leur poste dès que satisfaction partielle
a été obtenue. Il ne faut pas compromettre les
élections générales. Les délégués centraux mul-
piplieront les pressions et les manœuvres pour
faire voter la reprise. Ils iront d'entreprise à
entreprise en affirmant que les usines voisines
ont voté la fin de la grève — alors que les
travailleurs de ces usines ont repoussé la
reprise du travail à 80 %. Ils expliqueront que
les derniers sont les meilleurs, mais qu'ils sont
tout à fait isoler. Ils feront voter, 3, 4, 5 fois
jusqu'à obtention de la majorité. Ils convoque-
ront ou cautionneront des assemblées non re-
présentatives. Ils détruiront des bulletins de
vote. Vieux roublards du syndicalisme, ils fini-
ront par avoir raison de la fermeté des tra-
vailleurs. Ainsi dans de nombreuses branches,
9
les ouvriers rentreront, la rage au ventre, sa-
chant pertinemment qu'ils se sont battus trois
semaines pour fort peu de choses.
CE QUI AURAIT PU
SE PASSER...
Qu'aurait pu faire un véritable Parti Commu-
niste pendant la crise de Mai ? Un tel parti
aurait compris la nature révolutionnaire du
mouvement. Il aurait compris que la question
du pouvoir, la question du régime, se trou-
vaient concrètement posées par les masses. Il
ne se serait pas efforcé d'esquiver une fois de
plus cette question en favorisant un retour
précipité au statu quo. Au contraire, il aurait
engagé toutes ses forces en vue de dénouer
la crise révolutionnaire au profit du prolétariat.
»•••€»**•••••••<
CONSTRUIRE
LE CONTRE-POUVOIR
OUVRIER
Un véritable Parti communiste aurait com-
mencé par assumer l'organisation à la base
des millions de travailleurs en lutte.
Dans chaque entreprise, il aurait impulsé
une véritable occupation : l'assemblée générale
des grévistes élit un Comité de grève, regrou-
pant syndiqués et non syndiqués, responsable
devant la base et révocable à tout moment. Ce
Comité dirige la grève dans l'Entreprise.
Les Comités de grève des entreprises d'une
même ville, d'une même région, se fédèrent
et élisent un Comité central de grève chargé
de résoudre au niveau régional les problèmes
qui se posent aux travailleurs en lutte (ravi-
taillement, transport, autodéfense, etc.).Les dé-
légués des Comités régionaux élisent à leur
tour un Comité national de grève. Parallèlement
des Comités d'action sont constitués dans les
localités. Ils ont entre autres fonctions d'assu-
rer i'aide du quartier aux Entreprises en grève.
Le dense réseau des Comités de grèves et
des Comité d'Action, fédérés au niveau régio-
nal et national, constitue l'embryon du futur
pouvoir ouvrier. La première phase de la con-
quête du pouvoir réside ainsi dans la cons-
truction des organes d'un contre-pouvoir po-
pulaire. Au terme de cette première phase,
deux « appareils » opposés exercent chacun
partiellement le pouvoir. D'un côté l'appareil
d'Etat bourgeois en pleine désagrégation, avec
son administration désormais impuissante, son
armée et sa police. De l'autre, la fédération
des Comités ouvriers dont l'autorité s'exerce
sans partage sur les usines et lés faubourgs.
Les deux pouvoirs se trouvent face à face. A
plus ou moins courte échéance l'affrontement
est inévitable.
AVANCER LES
REVENDICATIONS
TRANSITOIRES
Par ailleurs, un Parti Révolutionnaire aurait
mis en avant des objectifs de lutte à la hau-
teur de la combativité des masses. Il ne se
serait pas borné à ressortir la liste plus ou
moins exhaustive des revendications passées.
Il n'aurait certes pas transigé sur le retour
aux 40 heures,, le salaire minimum à 1.000 F,
le droit syndical, l'échelle mobile des salaires,
etc.... Mais dans la période de montée offen-
sive des masses, il aurait formulé des reven-
dications de pouvoir ouvrier dans les entrepri-
ses et dans le pays.
Dans les usines occupées, il aurait exigé
l'ouverture des livres de compte, et organisé
le procès public de la gestion capitaliste. Dans
chaque atelier, dans chaque entreprise les mi-
litants d'avant-garde auraient formulé des re-
vendications visant à instaurer le contrôle des
travailleurs sur l'organisation du travail et la
gestion de l'entreprise. Ces revendications re-
présentent une attaque directe contre le sacro-
saint pouvoir patronal. Elles posent concrète-
ment la question : « qui, des travailleurs orga-
nisés ou du patron, détient le pouvoir dans
l'usine ? » Et le rapport do force existant
permet de trancher ce dilemme au profit des
travailleurs. Finalement, les revendications de
contrôle ouvrier débouchent sir les mots d'or-
dre d'expropriation du capital et de gestion dé-
mocratique de la production i>ar les produc-
teurs.
PROMOUVOIR
L'AUTODEFENSE
DES MASSES
Dans les usines et dans les localités surgis-
sent les organes fédérés du contre-pouvoir po-
pulaire. Organisés dans ce vaste réseau de
comités de base, les travailleurs luttent pour
des revendications mettant en cause les fon-
dements même de la domination capitaliste. La
bourgeoisie peut céder sur les salaires ou la
durée du travail. Elle sait comment reprendre
dans les six mois ce qu'elle a dû concéder.
10
Mais la bourgeoisie ne peut pas céder sur
un ensemble de revendications qui instaurent
le pouvoir des travailleurs dans les usines et
le contrôle ouvrier sur la production. Pour dé-
fendre ses biens et ses prérogatives, elle est
prête à tout. N'en déplaise aux doux rêveurs
du P.C.F., elle n'hésitera pas un seul instant
à lancer contre les travailleurs ses forces de
répressions et ses bandes fascistes. Au seuil
de l'épreuve de force, la principale fonction
des comités ouvriers devient l'organisation de
l'autodéfense des masses et la constitution
d'une milice ouvrière armée, seule capable de
briser la contre-révolution et la résistance de
l'Etat bourgeois. La Révolution sociale est tou-
jours violente. Elle est d'autant moins sanglante
que les travailleurs sont mieux organisés pour
la lutte et plus résolus à vaincre. En période
révolutionnaire la désagrégation de l'Etat at-
teint profondément l'armée et la police. Si elles
sentent le pouvoir chancelant et le peuple ré-
solu les troupes peuvent massivement tourner
casaque. L'organisation para-militaire et l'ar-
mement du prolétariat n'ont pas tant pour objet
de permettre l'affrontement immédiat entre l'ar-
mée bourgeoise et la milice ouvrière, que de
parachever le travail de démoralisation et de
désintégration des forces de répression.
A ce moment, l'affrontement entre les classes
atteint son paroxysme. La question qui se
pose désormais est la question clé de toute
révolution : « Qui l'emportera ? Le prolétariat,
la bourgeoisie ?» A cette question, il n'existe
pas de réponse de Normand. Ou bien la bour-
geoisie l'emporte et écrase le mouvement de
masse — alors s'ouvre toute une période de
réaction — ou bien la classe ouvrière l'em-
porte et érige sur les runies de l'Etat bourgeois
son propre pouvoir, la démocratie des Conseils
ouvriers.
CONSTRUIRE LE
LE PARTI REVOLUTIONNAIRE
Jamais les travailleurs ne se sont sentis si
près du pouvoir. Jamais les militants n'ont
éprouvé aussi nettement l'impression d'avoir
été trahis.
Jamais les appareils du P.C.F. et de la
C.G.T. n'ont aussi clairement démontré leur vé-
ritable nature : rouages ouvriers de la société
capitaliste, ils sont l'ultime rempart de l'ordre
bourgeois contre la montée révolutionnaire
des messes.
Jamais l'absence d'un parti ouvrier d'avant-
garde ne s'est faite aussi cruellement sentir.
La nécessité de construire un véritable Parti
communiste s'est imposée dans la lutte à des
milliers de travailleurs conscients. A travers
les Comités d'action de quartier et les Comités
de liaison ouvriers-étudiants un certain nombre
d'entre eux sont déjà entrés en contact avec
l'avant-garde étudiante. Un premier regroupe-
ment des militants révolutionnaires est aujour-
d'hui possible. Il est d'autant plus urgent qu'une
crise sans précédent ébranle le vieux Parti
communiste et la C.G.T. Nombreux sont les
délégués C.G.T. qui font à contre-cœur la sale
besogne que les directions leur imposent. Nom-
breux sont ceux qui n'en croient pas leurs
oreilles et n'osent plus-se présenter devant leur
base. Si la reprise du travail s'avère difficile ;
si dans certains secteurs-clé le mouvement
connaît des retours de flammé ; si le pouvoir
gaulliste multiplie ses provocations ; la crise
au sein du mouvement communiste peut attein-
dre son point de rupture. Défendre pied à
pied la grève, dénoncer les mystifications élec-
toralistes, repondre du tac au tac aux provo-
cations du pouvoir, œuvrer pour le regroupe-
ment dans l'action de l'avant-garde révolution-
naire surgie de la lutte, tels sont aujourd'hui
les tâches des militants révolutionnaires.
H. W.
Vous AVEZ. AK.ftêT£
Q\)\
OUI
si vov$ AVf*- OfQ/fAyf ceir
AV£2- />« #lVCt/OicATlôt/$
je st/f's VOTAT oéiJeGué
Devez. */£*/ Me ÇA cite#
11
VIET NAM
DE LA GUERILLA RURALE
LA GUERILLA URBAINE
Les négociations sur le Vietnam se
sont ouvertes dans Paris, paralysé
par la grève et sillonné par les ma-
nifestations. La lutte révolutionnaire
des ouvriers et des étudiants fran-
çais représente un puissant soutien
objectif à la révolution vietnamienne.
La révolution française aurait pu
constituer un de ses « plusieurs au-
tres » Vietnam que préconisait le
« Che ». Réciproquement, la victoire
des révolutionnaires vietnamiens
renforce notre propre combat. Entre
autre chose, elle démontre qu'un peu-
ple en arme peut venir à bout d'une
puissance disposant du plus formi-
dable arsenal répressif de tous les
temps. Cette victoire est aujourd'hui
imminente...
LA PREMIERE OFFENSIVE
L'offensive du Têt avait été, on s'en rend
mieux compte à présent, une coûteie, certes,
mais indispensable répétition générale. Au-delà
de ses effets militaires immédiats (destruc-
tion d'une partie importante du potentiel mili-
taire U.S. notamment dans l'aviation), elle avait
permis aux F.A.L. des villes, renforcés d'élé-
ments venus des campagnes, de passer à un
stade supérieur de leur lutte : de l'sscarmou-
che urbaine (attaque de commissariats, de
bases aux roquettes) à la guerre de rue. Elle
avait d'autre part révélé les points fc rts et les
points faibles du dispositif de défense amé-
ricain.
Elle accéléra par ailleurs la désagrégation de
l'administration fantoche et, au pouvoir du
Front dans les campagnes vint s'ajouter, à
Hué, un double pouvoir régional, couionnement
des doubles pouvoirs édifiés à l'échîlon local
(usines, syndicats, police, impôts, enseigne-
ment, médecine étant depuis longtenps sous
le contrôle du Front dans les villes).
Restait aux stratèges du F.N.L. à tirer les
leçons de ces données politiques et militaires.
LA DEUXIEME OFFENSIVE
Commencée depuis plus d'un mois, l'offensi-
ve actuelle a largement dépassé en durée
celle du Têt (seuls quelques centras tinrent
alors trois semaines) et né préserte aucun
signe d'essoufflement : partout la pression
des F.A.L. se renforce. C'est, après le boule-
versement de l'offensive du Têt, l'i cquisition
d'un nouvel équilibre stratégique qui signifie
une mobilisation incomparablement plus élevée
dans le camp américain.
Alors que l'offensive du Têt s'était concen-
trée sur les principaux centres urbains, on
assiste maintenant à l'embrasement de l'en-
semble du territoire : aux abords dj 17" pa-
rallèle Gio Linh et Camp Carroll sont encerclés
et l'étau se resserre autour de Khe Sanh.
Pour faire face à ces « concentrations encore
jamais vues de troupes nord-vietnarr iennes »,
Braighton Abrams est contraint de h ire valser
ses réserves des plateaux du centre à la
plaine du Delta.
Mais c'est dans les villes que l'offensive se
montre la plus payante.
LA GUERILLA URBAINE
La théorie en a souvent été faite. Dn savait
que comme toute autre forme de utte, elle
nécessite un travail politique préalable car le
soutien passif, voire souvent actif de la po-
pulation, est indispensable. L'échec ie l'expé-
rience vénézuélienne en témoigne.
On savait déjà, depuis le ghetto de Varso-
vie, les terribles ravages que peut faire une
guérilla urbaine pourtant dotée de peu de maté-
riel [rares fusils, des cocktails molotov, moins
d'une dizaine de bazoukas).
A Saigon, c'est d'importantes forces du Front
(une division selon Hanoï au début 1967... De-
puis...) appuyées par le soulèvement de toute
une population, qui entrent en action. Autant
dire qu'hormis son centre, Saigon est une ville
militairement interdite aux Américains.
Incapables de comprendre le phénomène,
ceux-ci voulurent faire intervenir leurs chars ;
un bazouka camouflé immobilisa le premier de
la colonne et un autre le dernier. En quelques
instants une pluie de cocktails molotov tomba
des toits pendant que les obus de mortier, ti-
rés à 100 mètres du lieu, achevaient de réduire
en cendres les blindés vite désertés par leurs
occupants.
On savait que face à une guérilla urbaine
bien constituée, l'intervention des blindés re-
levait du suicide. Varsovie l'avait prouvé avec
un équipement artisanal. Saigon le consacre
avec un équipement léger mais moderne.
De même, une vingtaine de tireurs d'élite
avec A.K. 47 peut empêcher toute concentration
de troupes, tout quadrillage. Il lui suffit de me-
ner une guerre de toits avec communication
dans les étages par trous creusés dans les
cloisons mitoyennes des édifices, des caves...
Tout déplacement de troupes est encore rendu
plus difficile par l'usage de barricades de
voitures s'enflammant à l'arrivée de l'ennemi,
de rideaux de fumée (pneus, etc.), de nappes
d'essence disséminées...
Face à cette guérilla urbaine, les Américains
n'ont que deux solutions : soit opérer un
quadrillage massif (qu'effectua Massu dans la
casba d'Alger) ; mais Abrams ne dispose pas
pour cela de réserves stratégiques suffisantes;
soit, comme à Varsovie ou Budapest, se retirer
de la ville et l'écraser sous l'artillerie et l'avia-
tion. C'est ce qui est fait à Saigon où pour
la première fois les B-52 pilonnent la ville.
« Une ville se suicide >, écrit « Le Monde ».
Non, on l'assassine !
(Il faut noter ici que l'impérialisme peut dif-
ficilement appliquer une telle tactiçue sur son
propre territoire ce qui laisse ouvertes les pos-
sibilités de guérilla urbaine aux U.S.A.).
LE DOUBLE POUVOIR
II est inutile d'insister sur la désintégration
du gouvernement fantoche, miné de surcroit
par les rivalités entre Thien et Ky et de l'ar-
mée de Saigon.
L'important est que les nouvelles structures
« élargies », déjà mises en place à Hué, s'ins-
taurent actuellement sur l'ensemble du terri-
toire. Au double pouvoir à la base s'ajoute
définitivement un double pouvoir administratif.
Le gouvernement révolutionnaire est de fait en
place.
L'examen de sa composition montre que le
F.L.N. en garde la direction politique ; ceci
est vital pour comprendre l'avenir des négo-
ciations :
En généralisant son offensive, le Front rap-
pelle son existence autonome et que c'est à
lui et à lui seul qu'il faudra s'adresser pour
régler le problème du Sud.
En mettant en place ses structures élargies,
il définit quel type de gouvernement de coali-
tion il peut accepter.
En accentuant la pression sur les Améri-
cains, après avoir montré qu'ils peuvent la des-
serrer (Khe Sanh), les Vietnamiens font com-
prendre qu'ils sont, plus que jamais, en posi-
tion de force sur le terrain et qu'ils n'enten-
dent pas qu'on use des négociations pour mo-
difier ce rapport. Au contraire, on accroissant
sans cesse le déséquilibre en leur faveur, ils
veulent améliorer leur position dans les pour-
parlers.
La défaite militaire américaine n'a pas be-
soin, comme le dit mécaniquement « Pékin In-
formation », d'être totale pour que, désormais,
sa défaite .politique soit écrasante. Telle est la
leçon de la guerre du Vietnam.
H. R.
13
Strasbourg :
autonomie
et autonomie
En proclamant l'autonomie de l'Université,
le Conseil Etudiant entendait signifier la rup-
ture avec le gouvernement central, et l'incom-
pétence en matière d'Education Nationale du
Ministère.
Mais le terme « autonomie » n'a pas été
compris de cette manière par tout le monde.
La presse allemande s'en étant fait l'écho,
le N.P.D. crut qu'il s'agissait là d'une reven-
dication autonomiste alsacienne, et dépêcha
divers émissaires pour entrer en contact avec
les promoteurs de cette entreprise sécession-
niste imaginaire !* Après plusieurs jours de
contacts, on s'aperçut que ce n'était pas un
canular. Les nouveaux personnages qui vin-
rent alors se présentèrent comme des diri-
geants du N.P.D., promettaient l'aide de 6.000
(six mille) hommes armés et demandaient en
échange les locaux nécessaires au stockage
des armes et à l'établissement d'un central
téléphonique. Ils assuraient pouvoir disposer
de chars. Plusieurs centaines d'Allemands de
quarante ans et plus étaient déjà en perma-
nence à Strasbourg sous l'alibi d'orchestres
folkloriques et de tourisme. Par ailleurs, on
voyait apparaître de jeunes Allemands pré-
tendus correspondants de journaux allemands
dans les différents services de presse du
mouvement étudiant ainsi que quelques élé-
ments plus que suspects (certains français,
d'autres non) qui se mêlaient aux groupes de
discussion. L'objectif du N.P.D. était appa-
remment de profiter d'un affrontement avec
la police ou l'armée pour provoquer un dé-
but de guerre civile.
Il va sans dire ique le N.P.D. en a été
pour ses frais, les étudiants ayant discrète-
ment pris les mesures nécessaires pour désa-
morcer ce danger.
D'autres tentent une autre forme de récu-
pération du mot {Tordre d'autonomie : ce sont
les doyens et professeurs conservateurs ou
réactionnaires, qui, profitant de la pression
exercée par le mouvement étudiant sur le
pouvoir centrai, veulent obtenir pour eux-mê-
mes ie droit de gérer librement une • enve-
loppe budgétaire » annuelle — ils seraient
bien entendu assistés de quelques représen-
tants étudiants. Pour justifier le tout, ils pré-
voient une « expérience-pilote - étalée sur
trois ans, et concernant le domaine pédago-
gique (méthodes d'enseignement, examens).
Seulement, pour ne pas perturber le système
national des équivalences, ils suggèrent déjà
que cette expérience prenne pour - loi-ca-
dre »... les structures de la Réforme Fouchet.
Un coup pour rien ?
Groupe J.C.R. de Strasbourg.
14
ELECTIONS-TMHISQN
Après trois semaines de « journées folles »
F.G.D.S. et P.C. respirent : avec la campagne
électorale, ils retrouvent en:in leur terrain
de combat. Pour ces partis réformistes et
électoralistes, la perspective du bulletin de
vote a une valeur magique. A la veille du
mouvement révolutionnaire, les rapports « uni-
taires » étaient relativement lions, ils avaient
été forgés à l'occasion de deux campagnes
électorales, de temps en temps sortait un
texte qui sans être un programme de gouver-
nement n'en était pas moins suffisant pour
se faire élire. C'est alors qu'éclata ce « mou-
vement de masse d'une ampleur inégalée »
tant attendu par le P.C., mais à la grande
déconvenue de nos stratèges, il ne s'agissait
pas d'un raz de marée dans les urnes mais
d'une floraison de barricades et d'occupation
d'usines. Dès lors, cette faneuse unité qui
progresse depuis 15 ans sekn les textes de
tous les congrès du P.C:F. volait en éclat.
Mitterand, paralysé et impuissant, se refusait
à rencontrer le P.C., louchan: vers la droite
en vue de construire une éventuelle combinai-
son de rechange au gaullisme.
La direction du P.C. quant a elle, débordée
sur la gauche, saisissait toules les perches
pour faire rentrer le mouvement dans la léga-
lité républicaine. Dès l'annonce du référendum,
le Bureau Politique n'hésitait pas à, lancer
la campagne du NON, mais le mouvement
dans la rue était trop puissa it et De Gaulle
dut reculer. Aujourd'hui, la fonction des pro-
chaines législatives apparaît clairement. Com-
prenant parfaitement où était h talon d'Achille
des partis ouvriers, Dé Gaulls désamorce ie
mouvement révolutionnaire et casse la grève
générale. La démocratie bourgeoise va faire
le reste, dans le cadre d'une loi électorale
adéquate, à égalité le CRS et l'ouvrier en
grève vont voter alors que les jeunes de
moins de 21 ans, les travailleurs étrangers
qui ont été à l'avant-garde des luttes n'ont
pas le droit de se prononcer. Dans un con-
texte où la prise du pouvoir était possible,
l'acceptation des élections re/ient à caution-
ner la dernière manœuvre d autodéfense de
la bourgeoisie. Il ne s'agit donc pas d'un
scrutin normal en régime bourgeois où les
partis ouvriers se comptent sur un programme
et jugent de leur influence dans la classe
ouvrière. En conséquence, l'att tude de l'avant-
garde face à cette échéance, doit être sans
'ambiguïté.
Nous ne cautionnerons d'aucune façon cette
opération de mystification, ne us ne voterons
pas cette fois-ci pour le P.C qui a accepté
de vendre la lutte révolutionnaire de dix mil-
lions de travailleurs pour quelques millions
de bulletins de vote. Et si l'an nous accuse
alors de faire le jeu du gaullisme nous répon-
drons au Waldek-Rochet, au Mitterrand et
autre Mendès, qu'en acceptait cette masca-
rade dans une période révolu ionaire, ce sont
eux qui, en fin de compte, aurait permis au
gaullisme de se maintenir. Djrant la campa-
gne électorale, la J.C.R. tiendra partout des
meetings pour expliquer le seis de ces élec-
tions, elle montrera comment il était possi-
ble d'en finir avec le gaullisne et le capita-
lisme, elle expliquera où mène la politique
de capitulation des partis réformistes de fa-
çon à éduquer, et à renforcer la nouvelle
avant-garde révolutionnaire qui s'est dégagée
dans les luttes et à en fains une force de
frappe décisive pour les prochains combats.
Outre les meetings, la J.C.R. organisera des
manifestations de rue où se ^trouveront tous
les jeunes qui, s'ils ne peuvert pas voter, ont
clairement montré sur les barricades quelles
étaient leurs aspirations. Les révolutionnaires
ne resteront pas chez eux, ils iront aux urnes
pour déposer un bulletin indiquant qu'ils ont
déjà voté pour le socialisme rue Gay-Lussac
et à travers l'action directe dans les usines
occupées : ils manifesteront ainsi qu'ils n'at-
tendent rien de cette opération de récupéra-
tion.
A. K.
même en médecine
Lénine disait qu'une situation devient révolu-
tionnaire à l'évidence lorsque même les gar-
çons de café et les coiffeurs se mettent en
grève.
Les étudiants en médecine étaient classique-
ment les garçons de café et les coiffeurs du
Quartier Latin.
Soumis à un « cursus universitaire » où la
brimade et l'abrutissement font bon ménage
pendant une petite dizaine d'années de "leur
vie, tous ces fils de la bonne bourgeoisie
(pour 95 % d'entre eux) semblaient résolus à
mpnnayer leur progression dans la carrière
comme autant de salive dépensée à lécher
les bottes des mandarins, grands patrons,
grands seigneurs de la médecine française.
Or, après une première participation (minori-
taire) aux barricades de la rue Gay-Lussac, le
lundi 13 mai, la Fac est occupée. Des commis-
sions s'installent et travaillent ; un comité d'ac-
tion fonctionne. Mais le naturel est difficile à
chasser : le climat est à la « contestation »,
pas encore à la révolution : si les grands pa-
trons sont destitués de leur fonction et rem-
placés par des collégialités associant person-
nel infirmier et administratif, étudiants, méde-
cins et enseignants ; si le Conseil de l'Ordre,
qui mérite bien son nom, est quelque temps
occupé, avant que les médecins réactionnaires
ne soient réintroduits par la police ; les as-
semblées générales se font houleuses lorsque
de la réforme hospitalo-universitaire on passe
à la révolution dans la société.
Mais à -la faveur du travail qui est entrepris
dans les hôpitaux, une nouvelle division so-
ciale voit le jour : à rencontre de l'ancienne
répartition-personnel d'un côté, médecins et
futurs « collègues » de l'autre — se forme
ce bloc impensable jadis, entre les étudiants
et les infirmières, infirmiers, les élèves dé-
sormais majoritaires contre le bastion forte-
ment ébranlé des patrons, agrégés, et autres
sommités.
La mentalité de l'étudiant en médecine est
bouleversée; ses modèles sacrés se sont dé-
considérés à ses yeux en quelques jours. Dans
les AG il vote aux acclamations la « solida-
rité active avec les travailleurs en lutte » et
ne conçoit plus la réforme que comme l'un
des aboutissants du combat livré dans la
rue contre la bourgeoisie — et même si le
réformisme l'imbibe encore quelque peu, il se
dit révolutionnaire et accepte avec enthou-
siasme de voir la bannière rouge flotter sur
sa faculté.
Un livre blanc est publié où toute l'orga-
nisation de la santé en France est désinté-
grée au profit d'une médecine sociale et
non de caste.
Contre tous les" réformismes, le problème
du pouvoir est posé par ceux-là même que
la bourgeoisie croyait ses enfants choyés et
qu'elle essaiera sans doute de réintégrer au
bercail. C'est le bercail qu'il faut faire sauter.
Quand bien même il ne le ferait tout de
suite, une telle expérience est ineffaçable.
Elle a montré aux étudiants en Médecine
quels étaient leurs alliés : non pas ceux qui
les méprisaient du haut de leur chaire et
dans leur service hospitalier, mais ceux qu'ils
côtoyaient tous les jours dans les hôpitaux.
L'acte révolutionaire que constituait l'oc-
cupation des facultés et la destitution du
mandarinat médical a engendré l'engagement
dans le processus général de la Révolution
et enfin la prise de conscience que, quel que
soit l'issue immédiate du combat, c'est dans
un tel combat que les étudiants en médecine
pourraient enfin l'exprimer librement.
C. M.
LES VACHES
MAIGRES
( une nouvelle période
d'instabilité économique s'ouvre
en Europe occidentale )
La crise révolutionnaire actuelle
intervient dans une période difficile
pour le capitalisme français : tout
d'abord, l'économie française sort à
peine d'une récession et la conjonc-
ture demeure incertaine. Mais, sur-
tout, |a bourgeoisie française a à
faire face à une concurrence inter-
nationale extrêmement dure, tant
avec l'impérialisme américain que
dans le cadre du Marché Commun.
Dans une telle lutte, ce n'est pas
telle ou telle entreprise qui risque
de disparaître, mais des pans et des
secteurs entiers du capitalisme fran-
çais. C'est dire que la marge de ma-
nœuvre de la bourgeoisie française
est faible et que, de ce seul fait, les
germes de crise sont importants.
Mais, surtout, la crise révolution-
naire actuelle intervient dans une pé-
riode très difficile pour le capitalis-
me international.
Ceci se manifeste surtout au ni-
veau monétaire.
Pour comprendre cela, écrivons très rapide-
ment le système monétaire international exis-
tant aujourd'hui encore.
Ce système s'édifie sur la base de la pré-
pondérance américaine, au lendemain de la
Seconde Guerre Mondiale, avec le dollar
comme pièce centrale. Le système fonctionne
de façon plus ou moins satisfaisante pendant
toute la période de reconstruction et même
au-delà. Mais, à la fin de cette période, si le
capitalisme américain s'était encore renforcé
(par rapport à la situation d'après-guerre), les
autres pays capitalistes développés (Europe,
Japon), s'étaient renforcés relativement beau-
coup plus. L'écart entre Etats-Unis et autres
pays capitalistes cféveloppés demeurait évi-
demment important, mais il s'était quand mê-
me réduit depuis l'après-guerre, puisque l'éco-
nomie de ces pays développés était passée
de la destruction la plus complète à la puis-
sance que l'on connaît aujourd'hui. Dès lors,
(et c'est là le point décisif), le système moné-
taire international, créé au lendemain de la
guerre sur une base donnée des rapports
de force économiques entre bourgeoisies, ne
correspond plus aujourd'hui à la nouvelle
structure de ces rapports de force économi-
ques.
Autrement dit, les rapports entre monnaies
ne reflètent plus les rapports de valeur. Un
rééquilibre doit évidemment s'opérer, mais
dans le système capitaliste, il ne peut s'opé-
rer que de façon brutale, violente, à travers
une crise. La manifestation concrète de cette
crise est la suivante : il y a près de 30 mil-
liards de dollars en circulation dans le mon-
de et il n'y a que 10 milliards, sous forme
d'or, pour les gager, aux U.S.A.
Cette crise s"est déjà manifestée, par la
dévaluation de la Livre, par les diverses
« ruées spéculatives » sur le dollar. Le sys-
tème monétaire international est donc d'une
fragilité extrême ; d'où l'impact que peut
avoir la situation française. Tout d'abord, si
le franc faiblit, cela n'implique pas de renfor-
cement parallèle de la livre ou du dollar ; cela
signifiera probablement une méfiance encore
plus grande à l'égard du système monétaire
international actuel, les achats spéculatifs d'or,
d'amples mouvements de capitaux d un pays à
l'autre et donc de très graves problèmes de
fonctionnement de ré'conomie capitaliste. Si une
dévaluation intervient en France, elle entraînera
très probablement des dévaluations de la li-
vre et du dollar, ce qui peut signifier, tout
simplement, l'effondrement du système moné-
taire international, avec les conséqi ences que
l'on imagine sur l'ensemble du système capi-
taliste.
Par ailleurs, la situation du dollar ctant extrê-
mement précaire, son raffermissement est né-
cessaire depuis longtemps déjà. Ce raffermis-
sement implique le rééquilibre de a balance
des paiements américaine (actuellement systé-
matiquement déficitaire), lequel à scn tour im-
plique l'écrasement du niveau de vie du peuple
américain, la réduction des investissements, le
chômage massif, etc. Ces mesures ne peuvent
être prises en période pré-électorale. Elles de-
vraient l'être après les élections, quoi que soit
le Président élu.
De telles mesures, accompagnées ou pas
d'une dévaluation du dollar, entraîneront non
seulement la renaissance de luttes de classes
très dures dans la citadelle de l'inr périalisme
les Etats-Unis, mais aussi la propegation de
germes de crise à l'échelle mondiale, surtout si
là-dessus viennent se greffer les effets de la
crise spécifique française.
Cette crise révolutionnaire française peut
connaître un reflux temporaire. Mai:i tous les
dévelopements antérieurs incitent à p înser que,
dans ce cas, il ne s'agirait pas de la fin d'une
période, mais seulement de la fin d'u i épisode,
dans le cadre d'une crise générale qui est
maintenant largement ouverte.. Si nois voulons
que cette crise soit effectivement exploitée, si
nous voulons bâtir un monde nouveau, celui
des travailleurs, il nous faut absolurient (l'ex-
périence récente nous l'a cruellement montré)
créer un regroupement des militant:! d'avant-
garde, sur des bases politiques clairss, dispo-
sant d'une direction politique ferme, capable
de mener les très dures luttes qui n sus atten-
dent, et de les mener jusqu'à la victoire.
Pierre JOUVAIN.
que restera-t.il des
conquêtes de €8 ?
L'ampleur, la dureté dés luttes ou-
vrières et étudiantes ont fa t chan-
celer le pouvoir bourgeois ; pendant
quelques jours, ce pouvoir était à
prendre, et seule l'absence d une vé-
ritable organisation révolut onnaire
a permis à la bourgeoisie de ressaisir
ce qu'elle était en passe de perdre.
D'un commun accord, gouvernement
gaulliste et direction réformiste des
partis et syndicats ont ramené la
lutte sur le terrain puremen : reven-
dicatif. Il n'est pas dit einconi que la
manœuvre réussisse. Mais, à sup-
poser qu'il en soit ainsi, on psut être
assuré que les avantages matériels
que les travailleurs retireront de la
crise d'aujourd'hui leur seront très
vite dérobés.
Une expérience historique se présente immé-
diatement à l'esprit : celle de 1936. les direc-
tions syndicales de l'époque avançaient aussi
des revendications ne remettant pas en cause
l'ordre établi : réduction de la semaire de tra-
vail à 40 heures sans réduction d; salaire,
hausses des salaires, reconnaissance du droit
syndical, etc. On découvre aujourd'hui, avec
surprise que, 32 ans après, ce sont exactement
les mêmes revendications que les directions
syndicales mettent en avant -!
II ne faut pas croire, d'ailleurs, que tant
d'années ont été nécessaires pour que la bour-
geoisie récupère les avantages un moment
concédés aux travailleurs : deux années ont
suffi ! Le pouvoir d'achat réel (compte tenu
de la hausse des prix) du salaire hebdomadaire
moyen du travailleur est exactement le même
en mai 1936 et en mai 1938, malgré les haus-
ses de salaires dues aux Accords Matignon.
Parallèlement, de mai 1936 à mai 1938, le
pouvoir d'achat de la semaine de travail fémi-
nin est en forte baisse ; il en est de même
pour les salariés agricoles et pour les fonc-
tionnaires. (Toutes ces données ne sont pas
tirées de l'imagination fébrile d'un enragé
quelconque, mais bien de l'ouvrage de l'au-
teur bourgeois Sauvy : * Histoire Economique
de la France entre les deux guerres >.)
La conclusion des dévelopements antérieurs
s'impose immédiatement : tous les. avantages
qui peuvent être concédés par la bourgeoisie
dans une conjoncture donnée sont, à plus ou
moins long terme, récupérés, si la bourgeoisie
demeure au pouvoir, à la tête de l'Etat et sur
les lieux de production (ceci ne signifie évi-
demment pas qu'une certaine hausse du ni-
veau de vie des travailleurs est impossible
sous le capitalisme, mais cette élévation de-
meure incertaine, soumise aux aléas de la
conjoncture). C'est ici qu'il faut rappeler le
cadre politique du Front Populaire : ce Front,
constitué par le Parti Communiste, la S.F.I.O.
et le Parti Radical, s'était réalisé sur les bases
politiques de la petite et moyenne bourgeoisie
et non sur les bases de classe du prolétariat :
il n'était pas question d'exproprier le capitai,
d'abattre le pouvoir d'Etat bourgeois et de le
remplacer par le pouvoir des travailleurs. Dans
un tel cadre politique, l'échec était déjà con-
tenu, à l'avance.
Il en est de même aujourd'hui. Les « miet-
tes ' qui ont été concédées aux travailleurs
dans lle protocole des accords de Grenelle re-
présentent, selon les premières estimations,
près de 15 milliards de francs de dépenses de
consommation supplémentaires (ce chiffre doit
être d'ailleurs déjà dépassé). On peut être sûr
que, comme en 1936, les lois du capitalisme
joueront et que, par leur intermédiaire, la bour-
geoisie rejettera le coût de l'opération sur !a
classe ouvrière. Les phénomènes sont'connus :
hausse des prix, chômage, etc. Déjà, dès au-
jourd'hui, les prix ont commencé à monter
et l'on voit les directions syndicales se la-
menter, protester verbalement, comme si un
tel phénomène n'était pas parfaitement pré-
visible, à l'avance.
La hausse des prix entraînera probablement
un déséquilibre de la balance commerciale
lequel peut, à terme, imposer une dévaluation
du franc. Le sens social d'une telle mesure
est très net : c'est la classe ouvrière qui
« payera » la dévaluation, qui fera les « sa-
crifices nécessaires « pour permettre aux
capitalistes français de reconquérir les mar-
chés intérieur et extérieur. En effet, d'une
part, les hausses des prix des produits im-
portés, dues à la dévaluation, se répercutent
rapidement sur les prix des biens de consom-
mation ; d'autre part, la politique de . dé-
t.ation », c,ui accompagne toujours nécessai-
rement une dévaluation, en limitant consom-
mation et investissements, crée le chômaqe
la baisse des revenus, etc. Ceci étant dit il
est évident qu'il n'y a pas de solution
- technique > a un tel problème : le problème
de savoir dans quelle mesure la classe ou-
vrière fera les frais de l'opération se rèqle
en définitive sur le terrain de la lutte des
classes. C'est sur ce terrain que s'est livré
jusqua présent, le combat ; c'est sur ce
même terrain qu'il doit se poursuivre aujour-
dhui ; c'est sur ce terrain que se reposera
un jour maintenant très proche, le problème
décisif, celui du pouvoir d'Etat, pouvoir du
capital ou pouvoir ouvrier.
Pierre JOUVAIN.
APPEL DU I5°RIMCA DE KOTZIG
(Régiment d'infanterie mécanisée)
« ON TE DONNE UN FUSIL, PRENDS-LE. »
Nous faisons nôtre ce mot d'ordre parce que
nous pensons qu'une société authentiqueraient
démocratique n'a pas besoin de corps spé-
ciaux armés. Le droit égal de tous à être ins-
truits dans l'armement et les techniques de
combat n'existe pas et pour cause.
La bureaucratie militaire, avec ses traditions
surannées, est recrutée selon un mode sélectif
socialement pour le maintien des couches so-
ciales possédantes. L'instruction des armes
extrêmement rudimentaires donnée au contin-
gent exprime la volonté selon laquelle les
couches populaires ne seraient que des trou-
pes de manœuvres dociles dans un conflit
éventuel.
Les rapports hiérarchiques et les pressions
ultra-autoritaires auxquels sont soumis les ap-
pelés perpétuent les méthodes actuelles d'en-
seignement et tous les interdits contre lesquels
la jeunesse commence à lutter. Ils sont en
même temps la garantie de la séparation entre
décisions et exécutions dans une société où la
gestion de la production sociale est le privi-
lège de quelques-uns.
Le droit égal pour tous à recevoir une ins-
truction des armes ne justifie nullement un en-
casernement de 14 à 16 mois. Ce chômage
voilé scandaleux est peut-être justifié par de
pseudo-raisons économiques, mais ce n'est
pas notre affaire puisque nous n'avons aucune
part réelle dans la gestion de la société fran-
çaise. Des centaines de milliers de jeunes sont
ainsi légalement réduits chaque année à une
semi-détention dégradante. Celle-ci ne saurait
être justifiée par le fait que le service militaire
actuellement conçu représente une promotion
réelle, mais extrêmement parcellaire et com-
bien coûteuse sur le plan du développement
de la personnalité pour quelques couches so-
cialement retardées de la jeunesse, ni par l'en-
traînement physique, qui d'ailleurs ne fait que
combler, dans des conditions assez irrationnel-
les, les insuffisances de l'Education Nationale
et de l'environnement social.
Il faut démystifier l'opinion très répandue
dans les couches populaires selon laquelle le
service militaire et sa discipline obsessionnelle
sont une phase nécessaire d'entrée dans la
vie adulte. Cette opinion n'est que l'expression
idéologique d'un sado-masochisme culpabilisé
produit de l'éducation et ciment des rapports
sociaux actuels.
L'instruction militaire doit être un droit égal
pour tous. L'instruction militaire et l'éducation
sexuelle doivent être intégrées administrative-
ment, géographiquement et chronologiquement,
dès les plus jeune âge, à l'ensemble de l'Edu-
cation Nationale et régies selon les mêmes
principes actuellement revendiqués par les étu-
diants et les lycéens : dialogues et cogestion.
A BAS L'ENCASERNEMENT
Nous corstatons que la réduction du service
militaire à 12 mois fait partie du programme
de certain ;s organisations ouvrières, mais
qu'elle n'a jamais fait l'objet de mobilisations
sérieuses. Nous estimons cette revendication
insuffisante en elle-même et parce qu'elle ne
rend aucun compte des conditions naturelles
et psychiqies d'existence des appelés.
Nous, comités d'action des soldats du 153e
RI MEC A, stationné à MUTZIG, avons voté à
l'unanimité cet appel et souhaitons que toutes
les organisations ouvrières et de jeunesse,
sans sectarisme, le diffusent largement parmi
les travailleurs, étudiants et soldats.
Comme tous les appelés, nous sommes con-
signés dans nos casernes. On nous prépare
à intervenir en tant que forces répressives. Il
faut que Us travailleurs et la jeunesse sa-
chent que es soldats du contingent NE TIRE-
RONT JAMAIS SUR LES OUVRIERS.
Nous comités d'action, nous opposerons à
tout prix à l'investissement d'usines par les
militaires.
Demain du après-demain, nous sommes cen-
sés investir une usine d'armement que veulent
occuper 303 ouvriers qui y travaillent.
NOUS FRATERNISERONS
Soldats lu contingent, formez vos comités !
Nos revendications immédiates sont :
— Service militaire réduit à 8 mois avec ins-
truction militaire effective.
— Abolitio i de la discipline obessionnelle non
nécessaire au contenu de l'instruction mi-
litaire.
— Liberté d'organisation politique et syndicale
du cont ngent.
— Réforme pédagogique basée sur le dialogue
de l'instruction militaire et cogestion de
toutes l'is activités avec les instructeurs.
VIVE LA SOLIDARITE
DES TRAVAILLEURS,
SOLDATS, ETUDIANTS
ET LYCEENS
VIVE LA DEMOCRATIE
OUVRIERE
VIVIE LA JOIE, L'AMOUR
ET LE TRAVAIL CREATEUR !
LE 22 MAI 1968.
DOCUMENTS
DISPONIBLES
Editeur responsable : E, Van Ceulen, 111, av, Seghers, Bruxelles 8
Imprimerie spéciale
de la nouvelle Avant-Garde
Texte de référé ice politique
(1" Congrès national), 2* édi-
tion.
Mouvement ouvrier, stalinisme
et bureaucratie (H. Weber) en
réédition.
DOCUMENTS DIFFUSES
— Où était le Parti ?
— Lettre ouverte au Parti Ouvrier
Polonais (Kuron et Modzelew-
sky).
Contacter les militants
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Avant Garde (La Nouvelle)
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