Analyses et Documents

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Numéro 155
SPÉCIAL MAI 1968
analyses
et
documents
DE L'OCCUPATION
_.' , DES USINES
Fiches classées de
Documentation A LA CAMPAGNE
ÉLECTORALE
29, rue Descartes, Paris (5e)
MED. 55-20
C. C. P. 18 462 71 Paris

bimensuel
7 Juin 1968
1,00
Nc
155
SPECIAL MAI 1968 (II)
7 JUIN 1958
SOMMAIRE -
Après le 15 Mai 1968
Les accords de Grenelle
Les prises de position à travers le déroulement
de la lutte (suite)
L'organisation de la grève dans les entreprises
L'organisation de la lutte en milieu étudiant
L'intervention des groupes politiques dans la
lutte étudiante
Las conséquences poD.itiques
page 1
11 3
" 10
" 18
3-1
Le but d'ANALYSES & DOCUMENTS est de fournir aux militants
ouvriers et révolutionnaires :
- une documentation pratique sur fiches, classées en rubriques,
permettant de préparer rapidement un exposé ou un article, en appli-
quant aux faits une méthode dialectique de clarification et d'analyses ^
- un moyen de poser les problèmes concrets et quotidiens de la
politique dans un cadre théorique capable d'en éclairer le contenu et
les perspectives ;
- les éléments, faits et arguments, leur permettant d'en tirer
eux-mêmes les enseignements et le choix raisonné d'un comportement
politique.
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r
PRIX CE L'ABONNEMENT
Annuel (20 numéros) - France : 50 F - Etranger
C.C.P. : E.D.I. - PARIS 18.^62-71
ko F
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APRES LE 13 MAI 1968 -
Nous avions tenté dans le dernier numéro de rendre compte
de la naissance de l'extraordinaire bouleversement social qui devait
aboutir à l'état de fait d'une grève générale illimitée qui a surpris
et dérouté les militants et toutes les organisations syndicales, poli-
tiques, ouvrières ou étudiantes.
Il peut sembler surprenant qu'une telle offensive qui a
menacé directement le système économique et le pouvoir ait pu être
aussi sensiblement freinée.
L'analyse approfondie de ce phénomène appelle le recul
du tempsv Mais, dès maintenant, la connaissance de certains faits
nous permettent de découvrir des causes essentielles de ce palier :
- à travers le déroulement de la grève et la nature des accords
de Grenelle ;
ANALYSES ET DOCUMENTS - K° SPECIAL MAI 1968
- à travers l'attitude des partis traditionnels (PC, sociaux-
démocrates et appareils syndicaux) ;
- à travers les difficultés des militants étudiants à s'ins-
crire dans la lutte à partir du 13 Mai ;
- à travers la politique des avant-gardes confrontées à une
lutte qu'elles avaient préparées mais qui ont commis, à notre avis,
un certain nombre d'erreurs, dont la critique devait amener à remettre
à l'ordre du jour la nécessité et le rôle historique du parti révolu-
tionnaire et ses définitions politiques et organisationnelles.
Les étudiants qui ont fait l'expérience de la force de
répression des appareils, ressentent déjà confusément que la classe
ouvrière doit jouer "maintenant le rôle prépondérant qui est par
nature le sien", (cf. A & D N° 15*f - JEU. 309).
-o-o-o-o-o-
Les fiches d1 ANALYSES & DOCUMENTS sont ordinairement classées
par rubriques dans des chemises spéciales, fournies aux abonnés.
Etant donné le caractère exceptionnel de ce numéro, comme
du précédent, dont les articles concernent deux rubriques :
"Luttes ouvrières et SYNdicalisme" et les "JE Une s dans la
Société" sont indissociables, nous laissons aux abonnés le
choix du classement.
-o-o-o-o-o-
Petit lexique des abréviations concernant les mouvements (suite du
d ' ANAL YSB S & DOCUMENTS
G. A. P. : Comité d'Action Populaire (P.S.U.)
G .D..E. : Comité de Défense de la République (gaulliste)
C.V.N« : Comité Vietnam National
I . P . K . : Institut Pédagogique National
0.0,1. : Organisation Communiste Internationaliste (iVème Inter-
nationale, tendance LAMBERT)
P .G , I . : Parti Communiste Internationaliste (iVèrae Internationale,
tendance FRANK)
V.O» : Voix Ouvrière (tendance trotskyste).
-o-o-o-o-o—
Imprimerie Spéciale d'ANALYSES & DOCUMENTS,
29, rue Descartes - PARIS - 5èrae.
Le Directeur-Gérant
Jean RISACKSR.
LUTTES OUVRIERES ET S_Y_N DIGALISME - 391
LES ACCORDS ,rfe CffiEfNgtl.?! Du 2? MAI 1968 -
LES CIRGONST^TGSS DE L'ACCORD .
Les grèves avec occupation d'usines, décidées spon-
tanément par les travailleurs dans les jours qui suivirent la mobili-
sation du 1J Mai 1968 contre l'Etat policier, ont obligé le gouverne-
ment et le patronat à engager une négociation avec les Centrales syn-
dicales, les 26 et 27 Mai.
Les Centrales syndicales ont accepté ces négociations,
qu'elles réclamaient depuis plusieurs années, tout en essayant de les
maintenir &ans le droit fil du paritarisme , c'est-à-dire en se refusant
de faire peser sur elles tout le poids de 9 millions de gréviste®:.
FO est lancée depuis longtemps dans la politique des accords paritaires.
Quant à la CGT et à la CFDT, elles réclament, depuis leur accord de
Janvier 1966, des contacts avec le patronat et le gouvernement. Ces
appels à la "bonne volonté" du gouvernement et du patronat, accompagnés
depuis des années par des "journées d'action" ou des luttes partielles
donnant la mesure du refus de mobiliser les travailleurs, se sont
concrétisés par l'accord du 22 Février 1968 sur l'indemnisation du
chômage partiel (cf. A & D N° 150 - SYN. 380 à 390) dont le vide est
la caractéristique essentielle. Cet accord marquait la prééminence du
"syndicalisme assis" par rapport au "syndicalisme debout". L'accord
du 2? Mai devait être du même ordre.
Le 17 Mai, le comité confédéral national de la CGT
refuse de donner le mot d'ordre de grève générale. Au cours d'une
conférence de presse, SEGUY défend cette position en déclarant que :
"... cette grève générale se prépare sans que nous ayons eu à
"lancer le mot d'ordre et qu'elle se prépare sous la responsabilité
"des travailleurs eux-mêmes...".
Il ne croyait pas si bien dire : l'absence de mot
d'ordre de grève générale ne fut pas un frein, les travailleurs conti-
nuaient à déborder les organisations syndicales.
La CGT maintenait en même temps à la grève un carac-
tère strictement revendicatif. SEGUY expliquait ainsi le mot d'ordre
"jusqu'au bout" :
"Jusqu'au bout, pour nous syndicalistes, signifie la satisfac-
tion des revendications pour lesquelles nous avons toujours combattu."
Dans la même conférence de presse, citée par L'Huma-
nité du 20 Mai 68, SSGUY, qui laisse pourtant la grève générale se
préparer "sous la responsabilité des travailleurs eux-mêmes" refuse
d'envisager la fédération des Comités de grève et la création d'un
Comité national de grève :
"... les confédérations peuvent prendre elles-mêmes en charge
"les tâches qui leur incombent. Elles existent, elles sont structurées,
"elles ont leurs responsables..."
A un comité national de grève, il oppose un "front
syndical eommun". Les choses sont donc claires : la CGT refuse la
A & D 155 - 7 JUIN 1968 -• 3
LUTTES OUVRIERES ET S Y N DICALISMS - 392
radicalisation des luttas en les laissant se développer spontanément,
mais les garde sous son contrôle organisationnel pour leur conserver
un aspect strictement revendicatif.
Quant à la CFDT, elle porte l'accent, le 18, sur la
"démocratisation des entreprises" qu'elle met en parallèle avec la
"démocratisation de l'enseignement". C'est le vieux cheval de bataille
de la "participation contestataire".
FO, le 20 Mai, demande à ses syndicats de veiller à ce
que le mouvement soit maintenu sur le plan revendicatif et à ce que
soit préservé "l'outil de travail".
A la FEN, les mots d'ordre manquent de précision. Le
SNES demande aux professeurs de "cesser leurs cours", le SNI est en-
core plus vague :
"à compter du 20 Mai, l'enseignement ne sera plus donné selon les
"emplois du temps habituels..."
C'est le lendemain que la FEN lance un ordre de grève
pour tout le personnel de l'Education nationale.
Le 22 Mai, à la suite d'une rencontre CGT-CFDT, ces
deux Centrales demandent que la négociation porte sur leur plate-forme
d'accord du 10 Janvier 1966 (plus l'abrogation des ordonnances sur la
Sécurité Sociale), ignorant ainsi délibérément les nouveaux rapports
de force.
Le 23, la CGT s'impatiente devant l'absence de réponse
gouvernementale :
"... il est inadmissible de perdre davantage de temps et de pro-
longer les conséquences de la grève uniquement pour donner de l'im-
"portance au discours du chef de l'Etat."
Le 25 Mai à 13 heures, les négociations commencent.
FRACHON, qui préside la délégation de la CGT, indique tout de suite
avec prudence que le travail ne reprendra pas sur l'ordre de la CGT,
mais après consultation des travailleurs.
LES CLAUSES DE L'ACCORD.
Accord ou constat ?
Le Monde du 28 Mai parle de "protocole d'accord", ce
qui lui vaut d'être traité de menteur par L'Humanité du même jour, de
même que les autres organes d'information ayant parlé d'accord. L'ar-
ticle du Monde disait : "les dirigeants de la CGT n'ont pu convaincre
les militants de reprendre le travail". A l'issue des négociations,
POMPIDOU a également parlé d'accord, en ajoutant que les syndicats
maintenaient des revendications. De même, le CNPF a déclaré qu'il
était prêt à appliquer l'accord, mène après leur rejet par les tra-
vailleurs. Ni l'un ni l'autre ne devaient être démentis par les orga-
nisations syndicales. S3GUY lui-même devait déclarer, avant d'aller
chez RENAULT : "II reste encore beaucoup à faire, mais les revendica-
A & D 155 - 7 JUIN 1968 - *f
LUTTES OUVRIERES ET S Y N DICALISME - 393
"tions ont été retenues pour une grande part et ce qui a été décidé
"ne saurait être négligé." Il est donc clair qu'il y a eu accord et
que les organisations syndicales auraient souhaité l'appliquer.
Les clauses quantitatives.
- Le SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti) est porté
de 2,22 Frs à 3 Frs, soit un minimum mensuel de .519 Frs pour 173 heures
(l'équivalent de kO heures par semaine) les zones de salaires étaient
supprimées dans le décret du 31 Mai 68. La revendication des syndicats,
depuis 1906, portait sur un salaire minimum mensuel de 600 Frs. L'aug-
mentation du SMIG touche 250.000 travailleurs au niveau le plus bas
(20.000 pour la Région parisienne) nais a des répercussions sur plus
de 2 millions de travailleurs de l'agriculture et de l'industrie.
L'augmentation des "salaires las plus défavorisés" est une vieille
revendication de la CFDT. On peut y voir la volonté d1accorder une
augmentation spectaculaire (35 %) pour une incidence minime sur la
totalité des salaires distribués, avec les répercussions, k milliards
de Frs soit 1 % du revenu national. Autre caractéristique de cette
mesure : paradoxalement, elle sert les intérêts du grand capital, dans
la mesure où elle frappe les entreprises marginales, dont beaucoup ne
subsistaient que grâce au niveau incroyablement bas du SMIG. Un cer-
tain nombre de petites entreprises, notamment en province, seront éli-
minées, et la concentration facilitée d'autant.
- L/augmentation générale des salaire s. Elle est fixée à ? % au
1er Juin, plus 3 % au 1er Octobre, pour le seul secteur privé. Mais
il faut déduire de ces pourcentages les augmentations déjà accordées
(ce qui est joliment appelé ratissage), (environ k % ce qui laisse
6 % nets. En 1936, la moyenne était de 11 %}. Ces augmentations sont
hiérarchisées sans discrimination. Les syndicats ne se sont pas même
battus pour une augmentation uniforme qui aurait quelque peu tassé
l'éventail des salaires. On était pourtant en'droit d'attendre une
telle revendication d'organisations ouvrières. Mais la CGT souhaite
attirer les cadres et "autres couches de la population laborieuse"...
Dans les secteurs nationalisé et public, des négociations par
secteurs ont eu lieu dans la semaine du 2? au 31 Mai, les organisations
syndicales ayant accepté de scinder la discussion. Toutes avaient
échoué au 30 Mai, sauf dans les Charbonnages, où un accord s'est fait.
Mais là encore, les travailleurs ont refusé de reprendre le travail,
malgré l'imprudent ordre de reprise de la très gaulliste et très catho-
lique CFTC "maintenue".
~ --? paiement des jours _de_ grève. On a pu croire que 50 % des
journées de grève seraient payées. Il ne s'agit que d'une ambiguïté
voulue. En réalité, une avance de ce montant sera accordée aux gré-
vistes, qui devront récupérer la moitié des journées de grève.
" ^'exercice du droit syndical dans les entreprise_s. Il n'y a
pas eu accord sur ce point, mais énumération d'un certain nombre
d'éléments qui deva-ient faire l'objet de discussions ultérieures. Dans
cette énumération, dont nous ne pouvons faire le détail, il y a deux
A & D 155 - ? JUIN 1968 - 5
LUTTES OUVRIERES ET S Y N DICALISME - 39^
orâres d'idées très différents. D'abord, celui qui vire à permettre
l'existence de l'organisation syndicale et la protection de ses délé-
gués dans les entreprises. Le patronat estime qu'une protection spé-
ciale est inutile, puisqu'elle l'empêcherait de licencier les délégués
syndicaux à sa guise, comme cela se fait encore dans beaucoup d'entre-
prises (CITROEN, MICHELIN ,...). Les syndicats demandent aussi la sup-
pression des primes liées à l'absence, qui sont supprimées en cas de
grève et sont donc très justement qualifiées de primes anti-grève.
Mais la CFDT veut aller plus loin que la protection des délégués
syndicaux, ou la défense du droit de grève dans l'entreprise. Ce
qu'elle demande, c'est le "pouvoir syndical". Comme cette revendica-
tion ne s'accompagne pas de l'appropriation collective des moyens de
production, il ne peut s'agir que d'une entreprise de collaboration
avec le patronat, par laquelle le syndicat serait appelé à être l'in-
terlocuteur entre les patrons et les travailleurs. Ainsi, en cas de
licenciements, le syndicat serait appelé à expliquer aux travailleurs
les nécessités qui l'imposent... moyennant quoi il aurait un droit
d'existence reconnu dans l'entreprise, tous les moyens étant mis à sa
disposition par le patronat.
Dans Le Monde du 28 Mai, Pierre DROUIN remarque l'intérêt que la
bourgeoisie peut retirer de cette orientation :
"Les "grèves sauvages" que les syndicats ont fini par couvrir, la
"résistance de la base Lundi matin, ne démontrent-elles pas qu'un réel
"pouvoir syndical" est indispensable et que sa force ne peut venir que
"du noyau de l'entreprise ?"
Le danger de cette orientation est d'autant plus grand que les
dirigeants de la CFDT ont affirmé que leur désir de "démocratiser
l'entreprise" était du même ordre que celui des étudiants de démocra-
tiser l'enseignement. On voit vers quelle voie de garage on engage
ainsi travailleurs et étudiants.
- Ce qui n'est pas prévu dans l'accord. L'importance des points
sur lesquels il n'y a pas eu accord s'ajoute à l'insignifiance - par
rapport au mouvement actuel - des avantages acquis.
- Sécurité Sociale. Seul résultat obtenu : le ticket modérateur
serait réduit de 5 $t passant de 30 à 25 %• On mesure le chemin par-
couru, puisque les organisations syndicales exigeaient au départ
l'abrogation des ordonnances, aussi bien sur l'augmentation des coti-
sations et la diminution des prestations que sur la nomination des
conseils d'administration des Caisses (cf. A & D N° 1^0 - §YN. 335 à
3^1)* Mais il est vrai que, avant la négociation, MOYNOT avait déclaré
au nom de la CGT, qu'il ne s'agissait pas d'un préalable... Peut-être
la CGT n'a-t-elle pas voulu gêner FO, qui s'est pratiquement attribué
la représentation syndicale de toutes les Caisses, sans aucun scrupule,
du fait que la CGT et la CFDT avaient refusé de s'y faire nommer.
e mobile des salaires. En l'absence d'une clause d'échelle
mobile des salaires, l'augmentation de 10 % sera rapidement grignotée
par les augmentations de prix qui ne manqueront pas de se produire.
L'augmentation du SMIG elle-même n'est pas à l'abri d'un tel processus.
A & D 155
7 JUIN 1968 - 6
LUTTES OUVRIERES ET S Y N DICALI3KE - 395
En effet, le SMIG est lié à l'indice des 173 articles, qui est souvent
manipulé par la gouvernement, notamment par des subventions aux pro-
duits inclus dans cet indice, pour que ces produits n'augmentent pas.
Il faut ajouter que la concurrence des pays du Marché Commun peut
être un frein aux augmentations de prix, mais cela suppose que la sup-
pression totale des droits de douane soit effective au 1er Juillet.
&3 3-a durée du travail et_avancement de l'âge de
la retraite. L'absence d'accord dans ces deux domaines va maintenir
et mène augmenter le nombre de chômeurs, c'est-à-dire permettre à la
bourgeoisie de continuer à jouer d'une importante armée industrielle
de réserve, pour faire taire les revendications des travailleurs ayant
un emploi.
Les heures de travail libérées par le retour aux ^0 heures, les
années de travail libérées par l'avancement de l'âge de la retraite
auraient eu le même résultat : répartir la quantité de travail dispo-
nible entre un. nombre plus grand de travailleurs, c'est-à-dire résorber
le chômage. Or, on estime que le norabre de chômeurs est actuellement
de 1 million. Mais ce nombre sera sûrement dépassé, du fait de 1' aug-
mentation du SMIG et de la diminution du produit national brut en 1968,
du fait ds la grève.
On comprend bien que la bourgeoisie n'ait pas cédé sur ce terrain,
de même que sur celui de l'échelle mobile des salaires. On comprend
moins que les organisations syndicales ne se soient pas battues. En
effet, la revendication des syndicats portait sur un retour aux ^0
heures échelonné en trois ans, alors que le patronat proposait cinq
ai-s. 3 ans ou 5 ans, cela ne changeait pas grand-chose. Qui ne comprend
que c'est tout de suite qu'il faut arracher ces revendications, qui
sont communes à tous les travailleurs, et qui ne pourraient pas être
reprises en quelques mois ?
LE lasrus
TRAVAILLEURS -
Dans ces conditions, l'empressement avec lequel les
organisations syndicales ont signé l'accord, même s'il n'était pas
accompagné d'une demande expresse de reprise du travail, cachait mal
leur désir de ne pas utiliser la puissance du mouvement des travail-
leurs.
Ceux-ci ne se sont pourtant pas laissa abuser et ont
parfaitement compris que leurs représentants syndicaux ne leur rap-
portaient que des broutilles. Leur refus a été massif et brutal. Quel
que soit la suite des événements, ce refus pèsera lourd dans le rapport,
de forces.
Dès maintenant, il oblige la bourgeoisie française à
changer de politique économique. Obligée qu'elle est de lâcher du lest,
la politique déflationniste suivie depuis plusieurs années n'est plus
possible. Des économistes (dont CHALANDON) demandaient déjà depuis
plusieurs mois une relance de la consommation. Le départ de DSBEE des
Finances semble bien signifier qu'une politique inflationniste va être
instaurée par ses successeurs (COUVE de MURVILLE aux Finances, CHALANDON
à l'Industrie).
A & D 155 - 7 JUIN 1968 - 7
LUTTES OUVRIERES ET S Y N DICALISME - 396
Dès la signature des accords du Châtelet, et malgré le
refus brutal que lui opposèrent les travailleurs, las organisations
syndicales, CGT en tête, commencèrent à casser le mouvement da 10
millions de grévistes, en lançant le mot d'ordre de négociations par
branches séparées, revenant ainsi à la tradition déjà ancienne du
"tous ensemble les uns après les autres". La Commission administrative
de la CGT communiquait le 27 Mai, à 16 heures :
"Ce que le gouvernement et le CNPF n'ont pas consenti à l'échelle
"nationale interprofessionnelle, il faut le leur imposer aux autres
"niveaux dans le cadre des négociations qu'il faut exiger immédiatement
"par branche d'industrie et secteurs professionnels et qui se poursui-
"vent dans les secteurs nationalisé et public."
Dans cette seconde phase, les travailleurs opposèrent
encore une résistance à laquelle beaucoup ne s'attendaient pas. Ces
résistances arrachèrent au finish des résultats qui dépassent très
largement ceux obtenus à Grenelle, surtout dans les secteurs publics
dont la reprise était la condition, pour le patronat, du retour à
l'ordre.
L'électricité et les communications étant les secteurs
vitaux, c'est à l'BDF-GDF, à la SNCF, à la RATP et aux PTT que les
résultats sont les plus significatifs. Soulignons toutefois, aux PTT,
les tentatives gouvernementales de couper court à la résistance ouv-
rière par l'expulsion des piquets de grève, et à la RATP la volonté de
laisser pourrir, en refusant des concessions accordées aux autres,
tentatives ayant généralement échoué. Signalons aussi que c'est à
11EDF-GDF et à la SNCF, secteurs à majorité CGT, qu'il y eut le moins
d'opposition à la reprise, du moins à ce qu'il apparut au grand jour.
Même dans les secteurs où elle est majoritaire, la CGT
dû faire le forcing pour imposer la reprise. Témoin l'article de
L'Humanité du 6 Juin sur lec cheminots :
"Quelques-uns boudent encore. Il est assez curieux de constater
"aussi que c'est souvent les plus chauds partisans de l'inaction qui
"se montrent maintenant les plus exigeants... Mais en ayant, avec les
"autres grévistes, obligé le gouvernement à recourir à des élections,
"ils se sont ménagés une nouvelle chance de voir garanti ce qu'ils
"viennent d'obtenir par la lutte. Cette deuxième chance ne doit pas
"être compromise...
"Peur garder toutes ses chances pour la "deuxième manclie", celle
"qui se jouera le 23 Juin avec les cartes d'électeur, il faut que la
"reprise s'effectue avec la même unanimité."
Pendant toute cette période, les mises en garde et aver-
tissements- se multiplient chaque jour contre les agissements des maoïs-
tes, trotskystes, anarchistes,... qui "calomnient" le PCF.
Le 5 Juin à 17 heures, l'appel de la CGT à la reprise
se fait plus pressant : "... les travailleurs doivent prendre leur
"décision en fonction des réalités et apprécier à leur juste valeur
"les reculs imposer aux gouvernement et patronat."
A ce .moment, le patronat des branches déterminantes du
secteur privé, notamment la métallurgie et l'automobile, n'a toujours
A & D 155 - ? JUIN 1Ç6S - 8
LUTTES OUVRISSES ET S Y N DICALISME - 397
pas esquissé le moindre geste et s'en tient aux accords de Grenelle.
De même, le gouvernement n'a pris aucun engagement sur le plan de
RENAULT et de l'Education nationale. Ce qui n'empêche pas les organi-
sations syndicales de donner pratiquement un ordre de reprise du tra-
vail.
La reprise est donc effective le 6 Juin, dans de nom-
breux secteurs, non sans que d'ultimes résistances de la base ne se
manifestent, notamment à la RATP.
Comme par hasard, c'est le jour choisi par le gouver-
nement peur expulser le piquet de grève de RENAULT à Flins, et entre-
prendre ainsi de briser, après le lâchage des organisations syndicales,
ceux qui furent ea flèche dans le mouvement. Pour masquer ce lâchage,
la CGT organise, à partir du 7 Juin, une campagne de solidarité pour
"les camarades contraints de poursuivre la grève". Autre réponse à la
répression policière qui s'abat sur RENAULT : SEGUY pose à DE GAULLE
une question : "Pourquoi le gouvernement'refuse-t-il aux ouvriers de
la Régie nationale RENAULT ce qu'il a dû accorder aux personnels des
autres entreprises nationales ?"
La réponse à cette question est simple : le gouver-
nement, contraint de reculer à plusieurs reprises sous la poussée de
10 millions de grévistes, n'a pu reprendre la direction des opérations
que lorsqu'il a été assuré que la CGT, et avec elle les autres organi-
sations syndicales, les remettrait au travail, en morcelant les luttes
d'abord, puis en les stoppant tout à fait. Et il n'a engagé l'épreuve
de force avec les derniers grévistes, ceux de RENAULT, que lorsqu'ils
furent icolés par leurs organisations.
La manière éhcntée dont celles-ci ont dévoilé leur
rôle de collaboration de classes et de mainteneurs de l'ordre bour-
geois, les résistances constantes opposées par les travailleurs, ne
peuvent disparaître. Elles laisseront des marques profondes dans la
conscience ouvrière.
*
*- *
P.S. - Dans cet article, les accords sont appelés "accords du
Châtelet" ou "accords de Grenelle". Il s'agit bien entendu
des mêmes accords.
A & D 155 - 7 JUIN 1968 - 9
LES JEUNES DANS LA SOCIETE - 310
LESJPRISE5 DE POSITION A TRAVEES LE DEROULEMENT DE LA LUTTE DU
"J3'MAI' AU'50 MAI 1966 '(suite du N° 154 d'A & D) -
Lr.ndi 13 Mai : P^.U^ ' Au cours du maeting qu'il organise à la Mutua-
lité, le P.S.U. se déclare "prêt à participer à toutes nouvelles
rencontres au sein de la gauche"... et manifeste par ailleurs la
volonté d'empêcher toute tentative de récupération partisane du
mouvement étudiant. "... le gouvernement agite le spectre de
l'anarchie pour isoler ceux qui ont tenté calmement de remettre en
cause l'Etat fondé sur l'injustice et la répression... le PSU...
appelle tous les hommes libres à rejoindre ses rangs pour renfor-
cer le grand courant socialiste qui, parti des barricades de la
rue Gay-Lussac, doit s'étendre à toute la France et à tous les
pays capitalistes."
Mouvement du 22 Mars : A ce même meeting, COHN-BENDÏT déclare
"François MITTERRAND n'est pas un allié, mais il peut simplement
à la rigueur nous servir. Ce qui m'a fait plaisir cet après-midi,
c'est d'être en tête du défilé où les crapules staliniennes étaient
dans la remorque."
Mercredi 1|? Mai : FT.E.R. : le Bureau national de la F.B.R. "salue les
centaines de milliers d'ouvriers et d'étudiants qui, le 13 Mai,
ont, par leur unité dans la rue, fait reculer le gouvernement...
le combat continue ! A l'exemple des travailleurs Nantais, les
étudiants et les travailleurs doivent créer leurs comités de grève
et s'organiser pour la résistance !... dénonce la kermesse orga-
nisée par les Cohn-Bendit et société à la Sorbcnne."
Jeudi 16 Mai : Le mouvement jie^ grève générale spontanée avec occupa-
tion des lieux de travail s'étend à tous les secteurs importants
0.3 l'économie.
La marche sur l'ORTF est repoussée au lendemain puis annulée.
L'initiative en revenait à l'UFEF, au 22 Mars, et aux CAL. D'ail-
leurs dénoncée par le PCF, cette manifestation est remplacée par
une marche étudiante sur Billancourt qui a lieu après plusieurs
ordres et contre-ordres lancés à la Sorbonne. Finalement, SAWAGEOT
y participe peur l'UNEF, ainsi que la JCR, et d'autres militants.
1j heures : trois communiqués du gouvernement concernant les exa-
mens, la mise en place d'un comité de réflexion pour l'Université
et le maintien de l'ordre public sont lus par GORSE.
21 H 30 : allocution radiotélévisée de POMPIDOU taxant de "provo-
cateurs" les trois porte-paroles étudiants : COEN-BENDIT, SAWAGSOT
et GEISMAR. Le PC et la CGT ont la mêmejpo3ition.
Vendredi 17 Mg.1 J La manoeuvre qui consistr.it à faire voter à bulletin
secret sur la question des examens échoue, à Nanterre sous l'im-
pulsion du 22 Mare et des enseignants comme elle avait échoué deux
jours plus tôt à la Faculté des Sciences grâce au comité de grève.
Conférence de presse de GEISMAR et SAWAGEOT : instauration immé-
diate du Pouvoir étudiant réel dans les facultés avec droit de
veto sur toutes les décisions prises. Autonomie, extension de la
lutte à l'information, jonction réelle evec les lutt3S ouvrières
et paysannes.
A & D 155 - 7 JUIN 1968 - 10
LES JEU 'S E S DANS LA SOCIETE - 311
A ce jour, les centrales CFDT et PO s'affirment satisfaites de
la solidarité entre étudiants, enseignants et travailleurs.
g.N.E.Sup : "Le Pouvoir a peur. Il sème inconsidérément un mouve-
ment de panique dont il porte l'entière responsabilité. Nos mou-
vements ont toujours été pacifiques et la violence est toujours
provenue des forces de répression."
Samedi 18 Mai : "La question du pouvoir est posée. C'est sur le plan
politique le plus large que se situe aujourd'hui la lutte à laquelle
totis les enseignants se doivent de participer." (SNESup)
PjJ^F^ : L'Humanité déclare le 18 Mai : "La classe ouvrière est
majeure elle n'a pas besoin de tuteur... Il est clair que le
déclenchement du mouvement étudiant a été favorisé par le déve-
loppement de l'union et par la montée des luttes ouvrières et démo-
cratiques contre le pouvoir gaulliste PU cours de ces dernières
années. "
Par ailleurs, et toujours dans L'Eumanité, R. ANDRIEU accuse COHS-
EEN.DIT de faire le jeu de M. POMPIDOU. "L'objectif de 1? tactique
du Premier ministre c'est de diviser le mouvement et de l'isoler
de la classe ouvrière en utilisant les excès de ceux qui s'appel-
lent eux-mêmes "les enragés"."
_Samedii 1P et
Dimanche 19 Mai : Les Etats généraux de l'Université sont ouverts
dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, à l'appel de l'Ul\TEF.
Dimanche, ils se transforment en "réunion d'information", les
délégués de province étant peu nombreux et non représentatifs.
L'occupation des locaux universitaires se poursuit : (IPN et
plusieurs lycées).
L'Union Communiste (Voix Ouvrière), le PCI (4ème Internationale,
tendance P. FRAîTK) et la JCR annoncent la formation d'un "Comité
permanent de coordination entre leurs trois organisations". Ce
comité appelle toutes les organisations se réclamant du trotskysme
à s'associer & cette initiative. Dans un tract commun ces trois
organisations déclarent : "Etant donné les développements de la
situation actuelle fa.isant ressortir cruellement l'absence d'une
direction révolutionnaire, et considérant qu'il est indispensable
d'unifier la lutte des organisations qui se réclament du trots-
kysme" décident la formation de ce comité.
Depuis, dans les premiers jours de Juin, la, tendance Marxiste-
Révolutionnaire de la 4ème Internationale (PABLO) s'est jointe
au comité.
18 heures : P. HEUDES-FRANCE fait une déclaration t "... le Pouvoir
a créé une situation révolutionnaire... Il ne peut plus rendre
qu'un service au pays : se retirer."
J_.O..R._ : (supplément N° 12, "Avant-Garde Jeunesse", 18 Mai 19^8).
Ce texte illustre d'ailleurs la position fondamentale de ce groupe.
La JCR pose le problème du parti révolutionnaire regroupant les
militants d1avant-garde sans distinction d'origine sociale, et
pense que le mouvement actuel est original dans la mesure où il
tend précisément à résoudre ce problème "jadis insurmontable".
A & D 155 - 7 JUIN 1968 - 11
LES JEU NES DANS LA SOCIETE - 312
Dans ce contexte, la JCR dénonce comme "inopérante" l'attitude
de certaihs groupes:
1) "le parasitisme politique" : la JCR classe dans ce groupe la
FER (ex-CLER) pour les raisons suivantes : la FER n'agit que par
slogans, "mises en demeure verbales", elle "gonfle sa baudruche
par un processus de dénonciations (des bureaucrates), escalade
qui ne peut exister que par rapport à autrui, au détriment de
l'initiative propre."
2) "Servir le peuple" : "Se contenter d'annoncer que le proléta-
riat est seul résolu à mener la lutte jusqu'au bout, c'est se
contenter d'une abstraction théorique là où nous avons un pro-
blème politique concret à résoudre, c'est prendre la politique
pour un simple reflet de l'économie, c'est... ravaler le marxisme
au rang d'un économisme vulgaire."
3) "De la théorie à la pratique". "Ce n'est donc ni avec l'appa-
reil, ni avec des individus isolés que s'est opérée la jonction
avec la classe ouvrière mais au travers de l'action avec les
militants d'avant-garde de la classe ouvrière... A présent, en
poursuivant son action, le mouvement étudiant peut accélérer la
crise du régime et des partis de gauche... Maintenant nous nous
battons... pour la démission de FOUCHET et GRIMAUD, c'est-à-dire
contre l'Etat gaulliste lui-mêjie."
Lundi 20 Mai
_______ Conférence de presse commune UNBF-CFDT.
E. DESCAMPS : "la démocratisation de l'Université et la démocra-
tisation des entreprises vont de pair, et la co-gestion et l'auto-
gestion doivent être instaurées partout."
SAU^AGEOT : "la démocratisation de l'Université est un mythe s'il
n'y a pas de changement des structures socio-économiques."
Le soir, manifestation Occident gare Saint-Lazare, entraînée par
TIXIER-VIGNAHCOURT. Des piquets de grève sont attaqués à l'Opéra,
à Saint-Lazare. Le lycée Condorcet et Sciences Politiques sont
menacés.
COHW-BENDIT va de Nantes à Amsterdam. L'entrée en Belgique lui
est refusée.
Mouvement du 22 Mars : Daniel COHN-BENDIT au Nouvel-Observateur
(édition spéciale)."La force de notre mouvement c'est qu'il
s'appuie sur une spontanéité "incontrôlable", qu'il donne l'élan
sans chercher à canaliser, à utiliser à son profit l'action qu'il
a déclenchée.... En utilisant les moyens d'action traditionnels
du mouvement - la grève, l'occupation de la rue et des lieux de
travail - nous avons fait sauter le premier obstacle : le mythe
selon lequel "on ne peut rien contre le régime"... Je ne crois
pas que la révolution soit possible comme ça du jour au lendemain.
Je crois qu'on ne peut obtenir que des aménagements successifs...
qui ne pourront être imposée que par des actions révolutionnaires.
P. S . U. : "Seul un appui populaire massif permettra de tenter de
la résoudre (crise de la société capitaliste) en mettant en place
de nouvelles structures de pouvoir. C'est le travail des Comités
d'Action Populaires que de contribuer à donner ainsi sa pleine
signification au mouvement."
A & D 155 - ? JUIN 1968 - 12
LES J S ïï NES DANS LÀ SOCIETE - 313
Mardi 21 Mai : La F.E.N. donne enfin l'ordre da grève pour le 22 Mai,
Le Syndicat des chercheurs scientifiques demande l'instauration
de "l'autogestion de la recherche, sur crédits d'Etat directement
attribués à des organismes directement élus." C'est la première
fois qu'un contenu non réformiste est donné à cette revendication.
Ouverture du débat de censure à l'Assemblée Nationale.
COKN-BENDIT est déclaré interdit de séjour en France.
F.S,ïï. (tract) : Le PSïï propose : Pouvoir ouvrier - Pouvoir paysan
Pouvoir étudiant. Il faut exiger :
1) une information au service des travailleurs,
2) une politique culturelle de caractère socialiste,
3) une organisation régionale.
"Le PSÏÏ verse cet ensemble de propositions dans les débats libres
des C.A.P." (Comités d'Action Populaire).
Mercredi 22 Mai : La censure est repoussée.
Manifestation étudiante du Quartier Latin à l'Assemblée Nationale
gardée par les C.R.S.. Mots d'ordre : "COÏÏH-BENDIT à Paris" -
"Nous sommes tous des juifs-allemands" - La censure est dans la
rue" et le mot d'ordre de toutes les manifestations désormais :
"Ce n'est qu'un début, continuons le combat".
Incidents notables : attaque, rue de Solférino, du siège des
C.D.R. (Comités de Défense de la République) - bagarres réduites
et dispersées jusqu'au matin.
S . N. E.Sup : GEISMAR à la fin de la manifestation déclare : "Nous
n'avons pas l'intention de faire pression sur des débats qui ne
débouchent sur rien. Notre terrain n'est pes celui de l'Assemblée,
mais celui de la rue, des facultés et des usines. C'est sur ce
terrain que nous manifesterons demain."
Jeudi 23 T'Igi : à 18 H 30, bagarres spontanées place Saint-Michel
alors qu'aucun mot d'ordre n'avait été lancé. Le service d'ordre
UNEF-SHESup essaie d'éviter l'extension des heurts.
Les Centrales syndicales CGT et CFDT choisissent la négociation
s an s d o nne r 1 e m o t d'ordr e d e gr gvg générale.
jjiformations Ouvrières, rattaché à l'O.C.I. (N° spécial) : "La
grève, au moment où .nous écrivons ces lignes, le 23 Mai, apparaît
de par la volonté des dirigeants comme une addition de grèves et
non comme la grève générale. Les dirigeants».- s'efforcent de
particulariser au maximum les revendications, cherchant à leur
donner le plus possible un contenu localisé... Unifier, souder
en un bloc le front de lutte des travailleurs est une condition
nécessaire à la victoire... Dans chaque entreprise un comité de
grève ; dans chaque localité un comité de grève interprofession-
nel ; à l'échelle nationale, fédération de ces comités de grève
et constitution d'un comité de grève central."
I.O., cite par ailleurs des exemples de division dans le front
de lutte des travailleurs : le refus, de la direction syndicale
Renault-Billancourt de recevoir une délégation de Renault-Flins,
les propositions de la CGT et CFDT d'installer des "bomités de
gestion" à•la Sécurité Sociale, etc...
A & D 155 - 7 JTJM 1968 - 13
LES JEU NES DANS LA SOCIETE - 314
Vendre<li_JLâ._Mai. : "Son discours on s'en fout".
La manifestation organisée par l'UNEF à partir de cinq endroits
de Paris se concentre à la g'ore de Lyon. Elle avait pour but de
protester contre l'interdiction de séjour faite à COHN-BFNDIT,
de dénoncer le pouvoir gaulliste aussi bien qu'un éventuel gou-
vernement MITTERRAND et affirmait : "Le pouvoir aux travailleurs"
"Ouvriers, étudiants, tous unis".
Il faut noter la participation d'un nombre important de déléga-
tions ouvrières mais aussi de BURON (Objectif 72), la Convention
des institutions républicaines, etc.. l'allocution de DE GAULLE
annonçant le référendum est accueillie par divers slogans :
"Adieu de Gaulle", "Son discours on s'en fout" et le chant de
1'Internationale.
A la suite de l'appel unitaire de l'UNEF, la CGT appelle à deux
défilés dans Paris, avec l'intention délibérée d'empêcher ses
troupes de rejoindre les étudiants. Très précisément d'ailleurs
son efficace service d'ordre ordonne la dispersion avant le
point d'arrivée prévu, et empêche la jonction de se faire au
pont d1Austerlitz.
Les forces de l'ordre avaient les mains libres pour encercler et
attaquer la manifestation UWEF. Ce qu'elles firent - bagarres
et barricades dans tout Paris, toute la nuit.
L'Humanité continue d'attaquer COEN-BENDIT et le mouvement étu-
diant en général t "Faire confiance aux leaders de cette espèce
serait creuser la tombe du mouvement ouvrier."
FO et CFDT par contre, le clivage s'accentue, réaffirment leur
solidarité et protestent contre l'interdiction de séjour.
Samedi 25 Mai : Intervention de POMPIDOU : "tout rassemblement ayant
caractère de manifestation sera énergiquement dispersé."
Le soir, meeting du Mouvement du 22 Mars, à la Cité Universitaire.
Mouvement du 22 Mirs °, "l'heure n'est plus aux barricades, à la
lutte frontale dans la rue contre les forces de répression : une
telle stratégie risque d'apporter des voix au gaullisme lors du
référendum... l'heure est à l'organisation d'un front révolution-
naire, à la coordination des Comités d'action."
Un des 'orateurs dénonce l'opportunisme et la bureaucratisation de
l'UNEF : "Si nous avons déclenché le mouvement à Nanterre c'est
contre l'UH-EF. Si nous le poursuivons à la Sorbonne et ailleurs
et surtout dans la rue, c'est en dépit des manoeuvres dilatoires
et des tentatives de négociations de l'UNEF que la "Pouvoir s'ef-
force de renforcer contre nous. POMPIDOU cherche à faire de l'UNEF
la CGT étudiante. Prenons garde à l'UNEF."
^.GFX?_§^!!i,^:lLi±;.'Jl!iE. (ouvert le Jeudi 23) : le rapport présenté
par GEICMAR est approuvé par 2,106 mandats contre 218, 280 abs-
tentions et 461 refus de vote.
GEISMAR : "Nous entendons unir tous cetix qui veulent que quelque
chose change dans l'Université et par IL mêaie dans la société."
Pour cela les dirigeants proposent que soient définies des contre-
propositions, qiie des expériences pédagogiques soient mises en
A & D 155 - 7 JUIN 1968 - 14
LES JEU NES DANS LA SOCIETE - 315
pratique et que tous les défenseurs de la tradition soient dénon-
cés et combattus. Ceci contraste énormément avec les revendica-
tions traditionnelles "davantage de maîtres, de locaux et de
crédits ."
Le lendemain (a,près les "bagarres de la nuit contenues par le
service d'ordre de l'UNEF et du SNESup), l'opposition en majorité
communiste fait adopter, à force de pressions multiples, une mo-
tion qui vise à ce que le congrès désavoue la direction actuelle
(GEISMAR). Motion adoptée par 1-548 mandats contre 1.363 et qui
consiste à aligner le SNESup sur la CGT.
Le Samedi, le SKESup (Bureau national) déclarait : "le problème
de fond est clair pour tous : l'Université est une université de
classe. De même la fonction sociale et idéologique de l'enseigne-
ment fait de l'Université un très puissant facteur d'intégration
sociale et le véhicule privilégié de l'idéologie dominante... La
crice de l'Université c'est la crise du système économique et
social. "
Depuis ce congrès les tendances s'affrontent ouvertement partout.
Lundi 27 Mai ' "Ne signez pas" , c'est la réponse de la base à FRACÏÏON,
SEGUY et DESCAMPS. C'est la politisation nette de la grève.
Le soir, meeting au stade Charléty qui rassemble tous les motive-
ments étudiants et les Comités d'action en tant que tels, à l'ap-
pel de l'UNEF. Y participent le PSU, la FEN, CFDT et plusieurs
fédérations FO (ainsi que des militants CGT). Le Mouvement du 22
Mars organise parallèlement des meetings d'explication dans Paris.
Fo\'!V"ment &\\^22 Mars : le 22 Mars précise qu'il n'appelle pas au
meeting ce l'UlTEF du Quartier Latin à Charléty. En fait, il s'y
rend et déclare : Nous n'avons rien à perdre, mais tout à gagner.
Organisons -nous dans les quartiers, à la base avec les travail-
leurs. Formons des Comités d'action et de lutte.
F_.E_,R_,_ : Etudiants, travailleurs, paysans, ouvriers "nous combat-
tons le même ennemi : là bourgeoisie et son Etat... ensemble nous
réaliserons avec toutes les organisations de la classe ouvrière
le Front unique ouvrier pour abattre le gouvernement du capital."
P .G J? _._ : édition spéciale de L'Humanité sous forme de tract.
"Contre toute manoeuvre - satisfaction des revendications - Gou-
vernement populaire et d'union démocratique... Nous appelons donc
à ne pas participer aux manifestations organisées par l'UNEF."
"La cause du peuple" N° 5) : "Au meeting de
.
Charléty, devant 25.000 personnes... la CFDT... grassement sub-
ventionnée par le pouvoir du grand capital, se paya le luxe d'at-
taquer implicitement la collaboration de classe de la direction
de la CGT, et de se gargariser des luttes à mener en commun avec
les étudiants pour réaliser une société socialiste !.. BARJONET
fait de la propagande pour la théorie de ses nouveaux amis du
PSU : il faut imposer la structure des doubles pouvoirs et les
sornettes réformistes du pouvoir étudiant à l'Université et ouv-
rier dans l'entreprise. FO, syndicat jaune fondé par la C.I.A.,
fait de la surenchère sur la "démocratie économique et sociale
qui n'est pas à négocier mais à conquérir". Non, messieurs les
A & D 155 - 7 JUIN 1968 - 15
LES J__j:_U NES DANS LA SOCIETE - 316
réformistes et démagogues de la CFDT et du PSU, non messieurs
les jaunes de FO, les millions d'ouvriers en colère contre SEGUY
et ses complices n'iront pas renforcer vos rangs ! les syndica-
listes prolétariens mobilisent les larges masses ouvrières pour
reconquérir leurs syndicats CGT de luttes de classe, pour "balayer
les traîtres capitulards à tous les niveaux."
4ème Internationale, (tendance PABLO) : "La Révolution socialiste
en France vient de commencer pc,r des voies inédites... Faute d'une
organisation révolutionnaire unique qui reste à construire, il
faut créer la direction révolutionnaire provisoire sous la forme
d'un Conseil révolutionnaire... (qui) s'appuiera sur des Comités
de base agissant comme de véritables organes dans leur domaine
respectif... Substituez-vous partout à l'Etat capitaliste défail-
lant..."
Mardi 28 Mai : Réunion UFEF - CGT en vue d'une potion commune. La CGT
refuse d'accepter comme un des mots d'ordre le retour de Daniel
COHN-BENDIT à Paris. CFDT et FEN n'acceptent de participer qu'à
la condition que l'UNEF soit présente.
S.N,E.Sup : GEISMAR abandonne la direction du syndicat national
pour se consacrer à l'activité politique, en fait dans les Comités
d'action.
BARJONET, J.-P. VIGIER, MDT.Y (PCMLF), GEISHAS, Mouvement du 22
Mars et JCR se réunissent à Paris pour coordonner leur effort.
Aucun accord.
BARJONET : il faut réaliser l'unicn de toutes les forces authen-
tiques de la révolution, de tous ceux qui, à l'intérieur du PCF
et de la CGT, se réclament de TRCTSKY, de MAO, de l'anarchie, du
situationnisme ou de rien du tout mais qui veulent la révolution..,
il ne s'agit pas de créer un nouveau parti mais un lien.
GEISMAR : il faut créer partout des Comités d'action et que se
dégage "une résonnance au niveau national de l'action des comités
révolutionnaires".
VICIER : il faut aboutir à "quelque chose d'un type nouveau qui
surgisse de la volonté révolutionnaire et qui empêche toute ten-
tative de récupération du mouvement".
MURY : propose la création d'un "comité de liaison" des forces
révolutionnaires.
Le Mouvement du 22 Mars et la JCR, pourtant parties prenantes des
Comités d'action, n'ont pu se mettre d'accrrd sur les formes' d'as-
sociations proposées par les autres participants.
Cette tentative débouche, fin Mai, sur la création d'un Comité
d'initiative et de coordination pour un mouvement révolutionnaire.
Y participent certains Comités d'action, la JCR (dont BEN SAID,
du Bureau national, également membre du 22 Mars), et quelques
personnalités dont J.-P. VICIER (du Comité Vietnam National) :
A & D 155 - 7 JUIN 1968 - 16
LES JEU NES DANS LA SOCIETE - 31?
"Tout est possible lorsque les travailleurs restent unis et
solidaires. Sous devons écarter la manoeuvre qui veut nous di-
viser. Pas d'accords séparés, pas de reprises fragmentaires1'...
à propos de l'organisation de la grève : "Assurons nous-mêmes
partout... le ravitaillement et le contrôle des prix. Fédérons
les Comités de grève et les Comités d'action."
(COHN-BENDIT, GEISMAR et BARJOHET parmi d'autres pensent que ce
mouvement est prématuré).
Mercredi 29 Mai : Manifestation CGT, Bastille-Gare Saint-Lazare. La
CGT tente de récupérer la base pour canaliser la volonté de lutte
des grévistes sans avoir à lancer le mot d'ordre de grève géné-
rale illimitée. Les Comités d'action s'y joignent ; le 22 Mars
et d'autres étudiants y vont à titre individuel ainsi que le
PCMLF, avec le mot d'ordre "Vive la CGT pour la lutte de classe"
"Révolution Socialiste".
F,E.F.. -0,G . I. : Pour la première fois cas deux organisations
essaient de lancer le mot d'ordre "Tous à l'Elysée" qui deviendra
"1 million de travailleurs à l'Elysée".
Voix Ouvrière (supplément N° 28) :
"Les travailleurs auront-ils la force de continuer la seule lutte
qui peut leur donner satisfaction, la seule qui puisse abattre
le régime gaulliste et ouvrir la voie qui les portera aux respon-
sabilités de la gestion de la société sur des bases socialistes.
C'est une question de détermination.
S'ils savent, s'ils peuvent continuer la lutte, s'ils savent,
s'ils peuvent la porter à un niveau plus élevé, en ne se limi-
tant pas à la cessation du travail mais commençant par organiser
la vie du pays en remettant en marche l'économie sans les capi-
talistes et leurs valets, alors oui, ils emporteront la victoire
car le régime qu'ils construiront dans cette lutte sera le leur...
En tout cas nous pouvons être sûrs que si par une surestimation
des forces de l'adversaire et une sous-estimation des nôtres
nous lâchons notre arme qu'est la grève, ce n'est pas un bulletin
de vote qui pourra la remplacer."
._l0_Jlâi '• Discours de DE GAULLE (dissolution de l'Assemblée
Nationale). Le PC et la CGT saisissent la perche pour substituer
à uns grève devenue politlque malgré_eux j__ 1 a_bjvtaà. 11 e e 1 eotqraj|_e_.
Il s'agit là d'un tournant déoisif, marquant le coup d'arrêt
donné à la grève. Les négociations se feront tant bien que mal,
à l'échelon sectoriel. La résistance des grévistes est^souvent
très dure - dans les secteurs les plus politisés, là où se
trouvent les militants que le PC dénonce et pourchasse.
* •*•
*
A & D 155 - 7 JUIN 1968 - 17
LUTTES OUVRIERES ET S Y N DICALISME
398
L'ORGANISATION DE LA GREVE DANS LES ENTREPRISES -
Sans revenir en détail sur la nature de la grève, il faut
constater que la CGT, la CFDT et FO se sont bien gardées de donner le
mot d'ordre de grève générale, ce qui leur a permis d'échapper à la
nécessité d ' orgar i 3 er la f^cèv e .
Des Comités de grève se sont constitués partout, suivant
la tradition dans le mouvement ouvrier, d'autant plus naturellement
qu'il y avait occupation des lieux de travail. Là aussi, la tactique
des directions syndicales - et principalement de la CGT - a été de
"contrôler" la grève : c'est ainsi que les exemples sont nombreux de
Coaités de grè^e gui n'ont pas été élus, et de Comités centraux de
grève (à l'échelle d'un secteur) auxquels on a substitué une Inter-
syndicale (exemple : O.R.T.P.).
Dans la tradition du mouvement ouvrier, le Comité de grève
réunit l'ensemble des travailleurs grévistes - syndiqués et non syn-
diqués - sur les lieux de travail. Le .Comité est élu et ses membres
révocables à tout instant par la majorité. Dans le cas où des délégués
syndicaux se font élire au Comité .de grève (d'où 'le danger de "noyau-
tage" par la direction syndicale), la procédure d'élection et de révo-
cabilité fait que la pression de la base s'exerce plus directement.
Son rôle est d'organiser la grève : piquets, sécurité,
charte des revendications..., d'amener à la syndicalisation. A un plan
supérieur, la nécessité s'impose de coordonner les Comités de grève
par branches d'industrie, par régions..., jusqu'à l'échelle nationale.
Exemples de Comités de grève.
proposons :
"2) le maintien de la prise en charge, par les grévistes, de tous
les rouages de la vie économique et sociale (communications, approvi-
sionnement, etc...) ;
3) la socialisation des grandes entreprises et des banques d'af-
faires ;
4) LA REMISE EN CAUSE DES FONCTIONS, DU CONTENU ET DES STRUC-
TURES DU SYSTEME EDUCATIF PAR TOUS LES INTERESSES (TRAVAILLEURS,
PARENTS, EDUCATEURS, ETUDIANTS ET ELEVES), LA MISE EN OEUVRE ENFIN
D'UNE POLITIQUE DE L'EDUCATION QUI PERMETTE LE PASSAGE AU SOCIALISME
ET QUI EN SOIT L'EXPRESSION VERITABLE."
"(Ce tract a été tiré par le personnel en grève du Service Central des
Statistiques et de la Conjoncture du Ministère de l'Education Natio-
nale)"
"BIEN QUE LA l'AJORITE DES TRAVAILLEURS PRESENTS SE SOIT
PRONONCEE CONTRE... 4 délégués Pu ont pris la responsabilité contre
la volonté du piquet de grève et sans qu'aucun vote ait eu lieu, de
faire sortir les 8 citernes."
"(Les travailleurs en grève de la S.A.M.D.S., 2? rue Mollis, 15ème)".
31 Mai 1968
A & D 155 - 7 JUIN 1968 - 18
LUTTES OUVRIERES ET S Y N DICALISME - 399
"A Nantes et à St Nazaire le Comité de grève se subs-
titue à l'administration :
- sur le marché de nouveaux "inspecteurs" sont apparus : ce
sont les grévistes qui contrôlent les prix ;
- les femmes des grévistes ont institué la distribution des
légumes directement du producteur au consommateur ;
- les pompes à essence ont été réquisitionnées et l'essence dis
tribuée sous le contrôle des grévistes ;
- le PRISUNIC est occupé et les épiceries portent ces pancartes
"Ici, les prix sont vérifiés par le Comité de Grève".
"Le gouvernement voudrait lancer l'alarme sur la grève
en dénonçant le "chaos". Mais, en passant de la grève passive à la
grève active, les travailleurs ont montré qu'ils pouvaient prendre
en mains et organiser eux-mêmes les services publics, sociaux et les
moyens de production, c'est-à-dire faire fonctionner sans patron ni
exploiteur d'aucune sorte la machine économique du pays au service
des travailleurs."
L'organisation des communications, du ravitaillement,
etc... - condition de la survie de la grève - est ainsi possible.
C'est là la seule forme d'organisation. qui peut débou-
cher sur le pouvoir ouvrier (type Soviets de 1917)»
Et c'est Mea là la raison pour laquelle les directions
syndicales ont partout essayé et souvent réussi d'imposer aux lieux
et place des Comités de grève, des Comités intersyndicaux ou de
pseudo-comités, de grève farcies des précédents, afin de conserver une
meilleure emprise sur le déroulement de la lutte.
C'est pourquoi sans souvent poser directement la question
de l'organisation dans la grève, les travailleurs se sont partout
heurtés aux dirigeants syndicaux, qui cherchaient à les isoler, à les
couper des étudiants, voire à les contraindre à reprendre le travail.
A _la G.G.C.T.. (Compagnie Générale de Construction Télé-
phonique), cette entreprise du trust I.T.T. emploie plus de 1.500
personnes dont 600 ouvriers.
Dès le 17 Mai, un groupe d'ouvriers discute avec des
étudiants. La C.G.T. prévoyait une réunion pour le 21 ; un ingénieur
CGT demande que les délégués de son syndicat expliquent devant les
étudiants l'attitude de la CGT en face des étudiants. L'attaque contre
les étudiants de la part de la CGT et d'un secrétaire du PC (l5èiae)
regroupe des isolés. Acculée, la CGT parle d'une éventuelle occupation
de l'usine.
Le 20, la CGT et la CFDT proposent 1/4 d'heure de dé-
brayage. Alors de petits groupes décident de faire grève et réunissent
bientôt une majorité qui vote la grève illimitée avec occupation de
l'usine. Les syndicats proposent de créer un Comité de grève et s'y
A & D 155 - 7 JUIN 1968 - 19
LUTTES OUVRIERES ET S Y N DICALISIIE - 400
joignent» Par la suite les syndicats tenteront d'isoler la minorité
(1/10) de non grévistes des grévistes. Cette minorité se ralliera
au mouvement malgré les délégués opposés au dialogue entre les deux
groupes.
A-^-JLJi'JLvïi (Compagnie Industrielle de Télécommunications)
près de 2.000 ouvriers, employés et cadres.
Le lundi 20 Mai, la CGT de l'entreprise dépose un cahier
de revendications qui, malgré le mouvement qui se développe dans tout
le pays n'appelle pas à la grève. C'est un petit groupe d'ouvriers
décidés qui pousse à la grève qui est adoptée finalement à la majo-
rité. Les délégnjs syn.fi±.~anx ge^rp.llient au mouvement mais laissent
la grande masse des ouvriers rentrer chez eux, évitant de leur pro-
poser une participation active à la grève.
Le Comité de grève désigné viendra coiffer les ouvriers
les plus durs qui organisent les piquets de grève. Le Comité de grève
mettra deux jours à se réunir et les ouvriers qui restent chez eux
(plus de 9/10) ne seront pas politisés par la lutte puisque tenus à
l'écart des noyaux durs.
Notons parmi les revendications du Comité de grève de la
C.I.T. ce point révolutionnaire imposé par les"durs": outre le salaire
minimum mensuel de 1.000 Fr, une augmentation uniforme des salaires
de 150 Fr par mois, (tract du 2? Mai 6e).
A 1'école materneIle de la rue Paul Dubois (3ème).
Un Comité de défense des parents d'élèves des écoles
publiques du Marais s'étaib'constitué avant la grève pour lutter contre
des discriminations et des abus frappant certains élèves, en parti-
culier les enfants de travailleurs étrangers. En accord avec le Comité
d'action des Arts Appliqués, professeurs et élèves, le 24 Mai, l'école
de la rue Paul Dubois est occupée par le Comité de défense des parents
d'élèves, et la directrice reléguée dans ses appartements. Malgré la
grève, en effet, l'école continuait de recevoir les enfants de parents
non grévistes et poursuivait ses discriminations, interdisant la can-
tine à certains élèves. Le S.N.I. vient reprocher au piquet de grève...
de briser la grève alors même qu'il la renforce*- par tous les moyens :
le 25 en forçant le piquet de grève, lors du meeting du 28 en s'oppo-
sant au dévoilement des abus, les instituteurs du S.W.I. cherchent à
casser le mouvement.
* •*
A & D 155 - 7 JUIN 1968 - 20
LES JEU NES DANS LA SOCIETE - 318
L'ORGANISATION DE LA LUTTE EH l'JLIEïï ETUDIANT -
Si l'on analyse le déroulement de la lutte dans les
facultés, on est amené à distinguer deux directions différentes :
l|_une_ politique, selon laquelle il n'est de solution aux problèmes
universitaires que sur le terrain de la lutte des classes, au-delà
de l'Université, j.^a.utr^e q\ii cherche à mettre en place au plus vite
les nouvelles structures d'une Université "moderne", "rénovée"
(Médecine, Droit et Sciences Economiques, Sciences, etc...). Celle-ci
élabore d'épais dossiers de réformes dans de nombreuses Commissions
de travail, où l'on retrouve mêlés anciens "majos", militants de
l'U.E.C, et étudiants peu politisés, celle-là cherche à créer une
Organisation révolutionnaire capable de diriger les luttes : d'où le
paradoxe, inquiétant dans certains secteurs, de l'absence en faculté
des étudiants qui pourraient être des militants politiques dans leur
milieu, et qui se contentent de balayer, sous l'accusation de "corpo-
ratisme", tous les travaux des Commissions.
Des Comités de grève, ont été mis en place dans plusieurs
secteurs (CAPES, Grenoble, Clernont-Perrand, Espagnol et Psychologie
à Paris, etc...). De nombreux étudiants cependant ne comprennent ni
leur nécessité en milieu étudiant, ni leurs rapports avec les "Comités
d'Action".
Qq' est-ce qu'un Comité de grève en milieu étudiant ?
Cjmme en milieu ouvrier, le Comité de grève est un
iroyen de c*éfens3 des travailleurs : en ce sens, il représente une
baso de défense minimum à partir de laquelle la grève s'organise. Un
Comité de grève en faculté est formé d'étudiants, syndiqués et non
syndiqués, élus, et permet de décider démocratiquement de l'action à
mener. Le Comité de grève, qni est un lien entre étudiants organisés
et inorganisés a une double tâche, en tant que direction de la grève :
- assurer la sécurité, occuper les locaux et les défendre contre
le vandalisme qui vise à discréditer le mouvement (vol de livres dans
les bibliothèques, des clés des locaux syndicaux, détériorations
diverses. . . ) ;
~ .élaborer une plate-forme^ revendicative (abrogation des décrets
de sélection à l'entrée des Facultés, etc..) et mettre tout en oeuvre
pour défendre les intérêts des étudiants. Mettre en place de nouvelles
structures de travail (commissions, A, G,..) et les faire fonctionner.
A un stade plus élevé de la lutte, les Comités de grève
doivent se fédérer localement, regionalement , nationalement.
Mais, dans la pratique, la carence de 11U.N.E.F. n'a pas
permis qu'il y ait des Comités de grève systématiquement élus. Les
militants de l'UNEF ne les ont pas organisés partout où cela était
possible (car ce ne peut venir de la seule initiative dl étudiants qui
n'ont jamais milité).
A & D 155 - 7
1?68 - 21
LES J_E ïï NES DAHJ LA SOCIETE - 319
Le mo\ d'ordre de Comité de grève et do Comité central
national interprofessionnel et intersyndical de greva a été défendu
dans tous les ëec*,eurs par les militants de la F.E.R. ; l'opposition
systématique de certains militants ou groupes politiques ajoutée à
des interventions naladroites, a suscité la méfiance de nombreux
étudiants à l'é^ari de ces Comités de grève, Certains d'entre eux
se sont regroupéa d\ns des Coirités d'action.
LES COMITES IV ACTION.
Les Comités d'action sont réellement nés de la révolte
étudiante. Ils apparaissent dans les deux trois jours qui suivent
l'occupation de la Sorlnnne, c'est-à-dire après la grève générale du
13 Mai, à l'initiative à''anciens responsables de l'UNEF, KRAVEïZ et
PENINOU. Lsur principe résulte de cette analyse : dans les luttes de
rue des jours écoulés, urie forte proportion des participants n'appar-
tenait ni à l'UNEF ni aux "groupuscules", bien que l'une et les autres
aient joué un rôle important dans la. lutte. Pour retenir cette masse
d'inorganisés, pour catalyser leur spontanéité, il importe de trouver
une forme souple d'organisation qui n'implique ni appareil, ni plate-
forme définie à priori, qui risqueraient de les éloigner. En effet,
leur présence dans la lutte, en tant qu'inorganisés a révélé leur
volonté de lutte mais de lutte dans des formes qui ne sont pas celles
des groupes ou de l'UNEP. Les C.A. devraient donc trouver au fur et
à mesure des jours et des situations leurs formes d'intervention poli-
tique, leurs perspectives, etc...
Au 31 liai, suivant leur comité de coordination, il y aurait
460 Comités d'action, pour la Région parisienne. Ce qui les lie entre
eux c''est, sans doute, la même méfiance pour les "récupérations" de
leur lutte par les organisations traditionnelles, la même hostilité
pour une solution à la crise politique actuelle considérant le gouver-
nement POMPIDOU comme un interlocuteur, une même exigence d'un pouvoir
ouvrier. Mais les quatre Assemblées générales tenues déjà par'les C.A.
ont révélé des'divergences. L'ambiguïté de leur forme même a jusque-là
empêché que soit privilégiée une forme d'intervention. Certains se
confondent par certains aspects à des Comités de grève - nombre de
C.A. prennent comme point d'appui les amphis, les facultés, c'est-à-
dire partent d'une bnse réunie professionnellement, d'autres se voient
1'embryon/d'une organisation politique. Des C.A. se cantonnent à une
tâche de ëoutien matériel aux grévistes, d'autres se voient l'agit-
prop d'usé extension de la grave, d'autres fonctionnent comme couver-
ture d'organisations politiques pour étendre leur influence (notamment
des C.A'. de quartier).
/
/ Le parti communiste a installé un contre-feu à ces C.A.
en impulsant ses comités d'action pour un gouvernement populaire, le
P.S.U. avarice désormais les siens ce qui indique, malgré les confusions
soulignées, que les C.A. sont actuellement pour ses militants un moyen
d'atteindre une plus large base.
A & D 155 - 7 JUIN 1968 - 22
LES J_EJl NES DANS LA SOCIETE - 320
Textes des Comités d'Action.
JL5_Mai : tract "Que faire " des C.A. travailleurs-étudiants de Censier
(faculté) Y
"La question du pouvoir est maintenant posée. Il ne s'agit
pas du remplacement d'un gouvernement par un autre, ni même
d'un régime par un autre. Il s'agit de l'instauration du
Pouvoir de toute la classe travailleuse sur toute la société,
de l'abolition de la société de clr-sse... le Pouvoir d'état
fait planer en permanence la menace de désordres sanglants et
de guerre civile. Il faut détruire dès maintenant les sources
mêmes de ce pouvoir en organisant partout le pouvoir des tra-
vailleurs... il faut tiansformer la grève, qu'elle devienne
active... Il faut détruire la source du pouvoir en rendant
la bourgeoisie inutile. En prenant nous-mêmes en mains l'or-'
ganisation de la production et de la distribution dans le
pays . "
Suit une énumération des mesures à prendre r organisation de
la production par et pour les travailleurs, organisation aussi de la
riposte armée à toute provocation.
31 Mai : tract du Comité d'Action Italien - Sorbonne :
"l) La réponse (à la fascisation du régime) est l'intensifi-
cation de la lutte aux comités civiques gaullistes, il f-°.ut
opposer les C.A.R..
2) Tous les prolétaires unis doivent partager la même lutte
contre le pouvoir capitaliste dont le gaullisme est l'expres-
sion.
3) II faut élaborer et réaliser une seule ligne politique
révolutionnaire qui doit jaillir des C.A. ouvriers étudiants
et non pas d'un appareil bureaucratique encore en fonction.
4) Les C.A.R. ouvriers-étudiants... doivent être l'avant-garde
révolutionnaire organisée seule capable de conduire la lutte
et d'assurer le dépassement de la phase spontanée ; ils doi-
vent éliminer le danger de céder au réformisme.
5) Les heurts, les barricades et toutes les formes de lutte
doivent être guidées par cette juste ligné révolutionnaire.
6) La situation est arrivée à un tournant. Il faut défendre
la grève générale et l'intensifier... Le mot d'ordre doit
être : tout le pouvoir aux Comités d'action ouvrier s -étudiants."
Un ereaple du travail des Comités d'Action
ports - Paris - 15ème).
la S I . A .M .
(Trans-
Entreprise comportant 260 ouvriers et chauffeurs. Le
Vendredi 31 Mai, le patron essaie de briser la grève. La majorité des
ouvriers vote la poursuite de la grève. Pourtant quatre délégués PO,
décides à se satisfaire du protocole de Grenelle, contre la volonté
du piquet de grève, prennent la responsabilité de faire sortir huit
camions-citernes. Aussitôt des ouvriers de la S.A.M.D.S. soutenus
par des oxivriers d'une dizaine d'entreprises du 1 5ème arrondissement
réunis, en l'absence de Comités interprofessionnels de grève, par
A & D 155 - 7 JUIN 19^8 - 23
LES «TJLJÏ NES DANS LA SOCIETE - 321
les Comités d'action travailleurs-étudiants, décident de soutenir la
lutte des travailleurs de la SAMDS. Ils publient un premier tract, puis
un second. Les délégués FO reconnaissent leur "erreur". L'un d'eux dé-
missionne. Les camions ne sortent plus de l'entreprise. Devant le dur-
cissement de la ba.se et la nécessité de remettre ses camions en service
le 4 Juin le patronat accepte les revendications des travailleurs :
- augmentation de 170 Pr mensuels pour tous (23^ pour les bas salaires),
- paiement intégral des jours de grève et même des jours fériés,
- I3ème mois.
* * *
LES COMITES D'ACTION LYCEENS.
La tentative d'implanter dans les lycées des "Comités d'Ac-
tion Lycéens" est récente : elle ne date pas à proprement parler de la
révolte étudiante, mais la précède. D'anciens membres des Comités Viet-
nam de base, à partir de Décembre 67, envisagent de trouver des moyens
de politiser les élèves des classes terminales (première, seconde). Ils
s'inspirent de l'exemple de la S.D.S. allemande qui, partant de la con-
testation des règlements intérieurs des lycées et collèges, sont par-
venus à créer un mouvement d'agitation. A la mi-Février, ils tentent
d'organiser une semaine d'études, grâce à laquelle pensent-ils ils
pourront définir une plate-forme de lutte.
L'affaire de Condorcet (le renvoi par la direction d'un
lycéen accusé de faire de la politique) a déjà cristallisé un petit
noyau de jeunes. Plusieurs manifestations dans la rire ont rassemblé de
cinq à huit cents jeunes, mais un meeting a révélé aussi les dissen-
sions qui se produisaient dans l'embryon de CAL, menacés d'être noyautéf
par les organisations politiques déjà implantées dans les lycées. La
semaine d'études devrait apporter le fondement du travail à mener : les
responsables envisagent alors l'étude critique des programmes scolaires,
une dénonciation du caractère de classe de l'idéologie des programmes,
la lutte contre les examens, contre les règlements intérieurs. Ils s'in-
terrogent aussi sur la nécessité ôe lancer une enquête socio-politique
dans les lycées, de manière à atteindre tous les jeunes. Presque rien
de tout cela sera réalisé. Simplement l'agitation menée par les CAL
pendant le 1er trimestre aura créé un terrain favorable au mouvement
étudiant : il est évident que dès les premiers jours, dès les manifes-
tations de rue, à Denfert-Rochereau, à la Halle-aux-Vins, les lycéens
sont là, très nombreux, pas encore organisés en CAL, comme ils seront
là encore plus nombreux aux barricades de la rue Gay-Lussac, Vers le
15 Mai, les responsables estiment qu'il existe de 150 à 200 CAL. Leur
nombre augmentera encore, après le mot d'ordre de grève générale lancé
le 21 par la FEN et les C^L deviennent alors, de fait, les substituts
des Comités de grève. Leurs buts divergent singulièrement d'un lycée à
l'autre, suivant leur recrutemant et aussi la manière dont l'adminis-
tration a réagi. On cite le cas d'un lycée où la directrice a pris elle-
même l'initiative de la constitution d'un CAL, installant à sa tête
des membres du groupe d'extrême-droite Cccident. D'autre part, les dis-
cussions sur les modalités de la réforme du bac ou, plus généralement,
de l'enseignement, ont pris le pas sur la lutte politique dans la plu-
part des cas et, à l'heure où nous écrivons ces lignes (31 Mai), la
direction provisoire se trouve pratiquement minoritaire par rapport à
sa base. *
•* *
*
A & D 155 - 7 JUIN 1968 - 24
LES JEU N S S DANS LA SOCIETE - 522
L'INTERVENTION DES GROUPES POLITIQUES DANS LA LUTTE ETUDIANTE -
Nous commençons par le Mouvement du 22 Mars qui est né au cours
des luttes universitaires à Nanterre, depuis la rentrée de
Novembre 196?, pour analyser ensuite l'intervention des groupes
politiques qui existaient avant le 3 Mai 1968.
Le Mouvement du 22 Mars.
C'est sur la promesse de Ir. présence à Nanterre de COHN-
BENDIT qu'une conférence de presse était convoquée le 29 Mai et aux
journalistes présents cinq membres du 22 Mars expliquaient que "COHN-
BENDIT c'est eux", qu'au Mouvement du 22 Mars, tout le monde est COHN-
BENDIT. Il ne s'ngit pas d'une boutade : le mouvement considère tous
ses membres comme à part entière, susceptibles également ^'exprimer
les positions discutées par tous. Cette société d'égaux est donc le
contraire de ce qu'elle apparaît au grand jour, une organisation tour-
nant autour d'un pôle celui que L'Humanité appelait l'allemand COE1T-
BfiNDIT.
L'hsitoire du 22 Mars est courte : elle couvre la période
suivant le 22 Mars. En fait, le 22 Mars trouve d'autres racines que
l'occupation d'un amphi à Fanterre, le 22 Mars 68. C'est, partant des
étudiants en Sciences humaines à Nrnterre une contestation par les
étudiants de l'enseignement d'une sociologie répressive, par exemple
le refus des théories de Michel CROZIER (l'auteur du Phénomène bureau-
jgratique), de celles de Alain TOURAINE (,La_ sociologie de l'action) vues
comme l'expression d'une analyse toute entière tournée vers l'accepta-
tion de la société américaine (aménagée, certes). A Nanterre, à TOU-
RAINE et à CROZIER, les étudiants posent la question : et le Vietnam ?
En substance ils estiment qu'on ne peut détacher comme une "science
en soi" cette sociologie de l'acceptation des structures répressives
dont l'autre pondant est l'impérialisme, la politique menée en Amérique
latine, la guerre du Vietnam, etc... Cette mise en cause du contenu de
l'enseignement passe aussi par une mise en cause du rôle que fixe à
l'Université la bourgeoisie ; les étudiants seront les cadres, c'est-
à-dire les complices de la société capitaliste. Enfin s'il s'agit de
mettre en lumière les structures aliénantes de la société capitaliste
il faut la contraindre, par-delà son masque démocratique, de se dévoiler,
Le Mouvement du 22 Mars à sa naissance, à Nanterre, ras-
semble en son sein des militants issus de différents horizons poli-
tiques (JCR, E3U, Socialisme ou Barbarie, Pouvoir Ouvrier, Situation-
nistes) déjà organisés ou non conservant la double appartenance ou
ayant rompu avec leur ancienne organisation. En Assemblée générale
sont discutées les formes praticues qui permettront le "dévoilement",
la recherche de "situations" durant lesquelles les cadres répressifs
agiront comme tels. Dans cette perspective, on voit ainsi que l'occu-
pation d'un amphi à Nanterre suscite l'intervention de la police qui
suscite elle-même l'attitude de l'administration universitaire qui
suscite un partage nouveau de la masse étudiante devant la répression.
De Nanterre à l'occupation de la Sorbonne.par la police appelée par
le recteur ROCHE, des défilés dans la rue à la construction des barri-
cades, l'intervention des CRS, 'la grève générale provoquée par l'appel
A & D 155 - 7 JUIN 1968 - 25
LES
JEUNES
DANS LA SOCIETE
523
des syndicats c'est une escalade graduelle qui, comme le disent les
militants du 22 Mars contraignent les appareils, les militants à pren-
dre position. Ils ne dénoncent pas, par exemple, l'appareil de la CGT
ou du PCF : ils cherchent les situations qui le feront apparaître comme
frein ou menace contre la lutte révolutionnaire. Tout en se réclamant
du marxisme dans l'analyse de la société, les membres du 22 Mars refu-
sent toute analyse globale de la lutte qui déboucherait sur l'organi-
sation d'un parti révolutionnaire. Ils estiment que celui-ci engendre-
rait de nouveau sa propre bureaucratie, qu'il ne s'agit pas de s'implan-
ter dans la classe ouvrière, pour impulser ses luttes mais de permet-
tre à ce que la combativité de 1? base ouvrière contrecarrée par les
appareils s'exprime. La tentative de ceux-ci de les enfermer dans le
carcan des luttes catégorielles réclame la création de situations où
la base elle-même balaiera ses directions et trouvera ses propres
formes d'organisation.
Dans la pratique si l'on peut considérer que le Mouvement
du 22 Mars a, jusqu'au 13 Mai, agi et fait agir suivant son analyse,
il faut bien voir qu'à partir de la grève générale la situation évolue
indépendamment de lui, beaucoup plus suivant les tactiques des diffé-
rents appareils. Le 22 Mars lui-même s'est trouvé écartelé .• le 28 Mai,
fallait-il répondre oui à l'UNEF, se joindre au meeting de Charléty,
le 22 Mars répond non, propose des meetings de quartier... mais à
Charléty un militant du 22 Mars vient néanmoins porter le message du
mouvement. Fallait-il, le 29, rejoindre le défilé de la CGT : non,
pas de soutien dit le 22 Mars, mais ses militants rejoignent néanmoins
le défilé, près du comité de coordination des Comités d'action.
* * *
La situation de l'U.E.C. (Union des Etudiants Comimniste_s)
est inverse de celle des "groupuscules". Non pas qu'elle soit la plus
ancienne, mais parce qu'elle est totalement à la remorque du PCF. Parce
que c'est la stratégie générale du PCF qui lui donne sa ligne & l'in-
térieur du mouvement étudiant, ses mots d'ordre ne sont jamais exacte-
ment adaptés à la période.
Efficacement épaulés par les assistants du SNESup membres
du PC,dans certains secteurs, ils sont inexistants ailleurs.
L'U.E.C. est intervenue pour la constitution de commissions
paritaires (50 % étudiants, 50 f° enseignants, + personnel de la faculté),
pour une session d'examen en Juin ou Juillet, pour que l'oral de l'agré-
gation ait lieu, etc..., c'est-à-dire pour tout ce qui pouvait permet-
tre que le mouvement ne prenne un caractère politique réel. (Leur pré-
texte : la défense des étudiants les plus défavorisés).
On connaît leurs mo'ts d'ordre, calqués sur ceux du PCF,
depuis longtemps :
- libertés politiques et syndicales à l'intérieur de l'Université,
- allocations d'études,
- des moyens matériels nécessaires au fonctionnement de l'Univer^ibé
démocratique.
Ils proposent également de créer, dans toutes les disci-
plines, des "Comités d'Action pour un gouvernement populaire et démo-
cratique". . ,
A & D 155 - 7 JUIN 1968 - 26
LES JEUNES DANS LA SOCIETE
324
Même si leurs intentions sur c? point ne sont pas en-
tièrement claires, il est intéressant de souligner qu'ils souhaitent
un renforcement de l'UNEF.
De tous les "groupuscules", l'U^^^J^L^ est sans
doute celui qui frappe le plus par l'inadaptation de ses mots d'ordre
à la situation : celui de la création de "Comités populaires de dé-
fense contre la répression". Partant de l'analyse selon laquelle les
objectifs des luttes étudiantes sont, nécessairement, petits-bourgeois,
l'ÏÏJCML n'est présente à l'Université que par ses tables de vente, car
il faut que les étudiants•aillent dans les usines et soient "au ser-
vice deM la classe ouvrière. Le Bureau National de l'UNEF est "la
marionnette des trotskystes", seule la CGT doit être renforcée
aux étudiants aussi de l'expliquer.
c'est
Les étudiants "pro-chinois" se caractérisent donc
essentiellement par leur non-intervention an milieu étudiant (Assem-
blées générales, Commissions, Comités de grève...).
Les anarchistes ont sans dout« trouvé un regain de
faiseur| en particulier par leur présence aux premiers rangs des bar-
ricades. Leur implantation est cependant minime en milieu étudiant,
aussi bien celle des anarchistes-individualistes que celle des commu-
nistes-anarchistes aux mots d'ordre souvent proches de ceux du S.D.S.:
"Le pouvoir est dans la rue", "Comités de lutte extra-parlementaires",
etc... Persuadés qu'il est possible de passer directement de la spon-
tanéité créatrice aux Conseils ouvriers, ils sont donc très loin de
ceux qui cherchent à construire un parti révolutionnaire capable d'or-
ganiser les luttes.
Tel est un des points essentiels du programme de la
J.C.R. (Jeunesse Communiste Révolutionnaire ) et de la F.E.H. (Fédé-
ration des Etudiants Révolutionnaires, ex-CLER).
Cependant, si leur façon de poser les problèmes est,
sur certains points, similaire (critique des appareils, nécessité de
s'organiser,..), leurs mots d'ordre aussi bien que leur tactique d'in-
tervention les séparent profondément. Prenons comme exemple le pro-
blème des examens, qui se posait il y a quelques semaines et qui va
sans doute réapparaître :
- La F,E,S» se refusait absolument à prendre position sur un
problème jugé "dépassé" ou "corporatiste", hors de la lutte politique
oontre le Plan Fouchet, alors qu'avant le 13 Mai, les examens préoc-
.cupaient la grande majorité des étudiants. Cela contribua, en partie,
à couper ses militants du reste des étudiants.
- La. J.C.R. tentait au contraire de politiser le problème, en le
liant par exemple à la démission des "rainistres-flics".
S'il est prématuré de porter dès maintenant un jugement
définitif sur l'action politique de ces deux organisations, certaines
constatations s'imposent cependant.
A & D 155 - 7 JUIN 1968 - 27
LES JEUNES DANS LA SOCIETE - 325
Tandis que les militants de la J.C»R. ne prennent pas
"> jsitJ •.. n^-gi g - à-vi 3 ^de l'Ui'IEF et appellent uniquement à créer des
Comités dvaction"Têt des Comités de grève, mais seulement dans las
usinée), la F.E.R. défend l'UNSF, appelle à la renforcer et à créer
p-'rtcnj: des Comités de grève qui doivent se fédérer : la réalisation
du "Front Unique Ouvrier" passe par la constitution d'un "Comité
Central de Grève".
L'analyse de la J.C.R. est différente et particulière-
ment optimiste et est à rapprocher de celle du P.G.I. (FRANK) :
"Contrairement à 1936 et à ÎV^k-kB, il y a cette fois-ci un facteur
"nouveau dans la montée révolutionnaire (...) : la présence d'une large
t:avant-garde jeune résolument anti-capitaliste (...). Dans-ces condi-
tions, les chances que la montée révolutionnaire ne soit pas cassée
"cette fois-ci sont réelles (...). Il s'agit de créer des éléments de
"dualité de pouvoir dans'les entreprises et dans les quartiers, sous
"forme de Comités qui s'arrogent des droits acquis de fait dans la
"phase actuelle de lutte et que le pouvoir ne pourrait plus arracher
"à brève échéance, sans provoquer une épreuve de force qui se tradui-
"rait par un nouvel élargissement de la montée révolutionnaire. Ces
"droits devraient être : le contrôle d'une information objective à
"l'O.R.T.F., l'accès des organisations révolutionnaires aux'grandes
"imprimeries de la presse bourgeoise et officielle... etc..." Et de
conclure : "Le tocsin de la révolution socialiste a commencé de sonner
en France."
Pour la F.fl.R., l'abrogation du Plan Fouchet et de toute
forme dç sélection reste à l'ordre du jour. Leurs tracts dénoncent la
"cogestion" et "l'autonomie" qui risquent fort de se retourner contre
les étudiante dès lors que le rapport de force leur deviendrait défa-
vorable.
La F.E.R. met en avant la double nécessité d'insérer ses
militants dans la lutte de classe, à l'Université comme ailleurs et
d'y sélectionner une avant-garde dans la perspective de la construc-
tion d'un parti révolutionnaire.
De ce fait, ses mots d'ordre semblent avoir le caractère
d'ultimatums et les militants qui, pour une raison ou pour une autre,
n'en comprennent pas la nécessité à telle étape de la lutte, sent
considérés comme des adversaires.
En outre, le schéma de leurs interventions, souvent ma.la-
droit et rigide, a été un obstacle certain à leur audience dans les
Assemblées générales, môme si par ailleurs leurs mots d'ordre s'avé-
raient le plus souvent justes, leur jtac_tique_ d'intervention s'est
révélée particulièrement inopportune à plusieurs reprises : ainsi
lorsqu'un Comité de grève étudiant est parvenu à organiser la première
réunion commune avec des délégués de Comités de grève du 13ème arron-
dissement (P.T.T., Gobelins, Air-France, etc...) : toutes les inter-
ventions des militants de la F.E.R. demandaient que ces Conitct> de
grève se fédèrent immédiatement. On imagine l'embarras et la surprise
A Se D 155 - 7 JUIN 1968 - 28
LES JEU N E S DANS LA SOCIETE - 326
de militants venus pour la première fois et non sans réticences et à
qui l'on propose une forme élevée de lutte sans qu'ils en aient jamais
discuté dans leur Comité de grève et en comprennent la nécessité.
Cette réunion fut la première - et la dernière.
Enfin, ce qui a le plus contribué à leur isolement
est sans nul doute leur absence à certaines bagarres. Même si elle
se justifiait dans leur analyse politique, le fait de ne pas avoir
partagé par exemple le corûbat des barricades du 10 Mai, au nom du
mot d'ordre "500.000 travailleurs au Quartier Latin le 13 Mai", a
été certainement fort préjudiciable à leur influence ultérieure.
* *
*
A & D 155 - 7 JUIN 1968 - 29
LUTTES OUVRIERES ET S Y ET DICALISME - 401
LES CONSEQUENCES POLITIQUES -
On ne peut Apprécier correctement la revendication poli-
tique d'un "gouvernement populaire et démocratique" mis en avant par
le PCF et la FGDS, bien qu'elle le soit traditionnellement depuis
plusieurs années, hors d'une analyse du mouvement de la lutte sociale
actuelle, révélée ppr la révolte étudiante, catalysée par le débrayage
de deux ou trois entreprises pilotes (Sud-Aviation, Renault...), où
le rôle des militants révolutionnaires d'avant-garde est décisif,
comme l'ont montré déjà les luttes de ces dernières années, à Berliet
et Rhodiaceta, par exemple en 196?.
Les possibilités de combat et l'extension de la grève
illimitée a surpris tous les bureaucrates syndicaux et politiques
pour trois raisons :
- participation déterminante des jeunes ouvriers et.des militants
d'avant-garde,
- détermination à se battre de couches importantes d'ouvriers,
- spontanéité de l'extension immédiate de la lutte.
Devant ce débordement caractérisé, les appareils ont
réagi en tentant dans une première phase de car.aliser le mouvement
revendicatif.
La CGT communique, le 16 Mai à 21 heures, alors que les
usines de Billancourt, Cléon, Flins, etc... sont occupées :
"La CGT salue les travailleurs et particulièrement ceux de la
"Régie Renault, qui, répondant à son appel, ont décidé la grève avec
"occupation des usines."
En même temps, un tract de la CGT (16 Mai) déclare :
"Agissez sans attendre, participez à la détermination des reven-
dications et des modalités de l'action (sic) dans vos entreprises..."
ce qui est tout de même plus proche de l'aveu de SEGUY dft même jour
(voir page 3 do do numéro).
Dans une seconde phase, les appareils tentent de porter
le mouvement au niveau politique, dans le schéma classique de l'alter-
native gauche au gaullisme. Le 27 Mai, le Bureau politique du PCF
déclare dans une édition spéciale de L'Humanité :
"II faut ouvrir la voie à la démocratie et au socialisme en
"^.LâEEJiZâîli sur ^-e mouvement immense des travailleurs en grève, en
"cimem;ant l'union des forces de gauche pour exiger la satisfaction
"des revendications ouvrières et imposer un gouvernement populaire et
"d'union démocratique."
Le 29, la CGT organise une grande manifestation de pres-
tige, de la Bastille à Saint-Lazare, qui sert d'exutoire à la volonté
de lutter, de manifester dans la rue que la base, en grève depuis
"bientôt quinze jours, exprime,
Ainsi, les appareils du PCF et de la CGT faisaient la
preuve qu'ils restaient les meilleurs gp;rants de la légalité bourgeoise,
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LUTTES OUVRIERES ET S Y ïï DICALISME - 402
En limitant au cpdre électoral l'explosion de la lutte sociale, ils
utilisaient la grève à leur profit, alors que cette grève illimitée
et spontanée représentait en fait une mise en accusation du rôle
contre-révolutionnaire des "bureaucraties et menaçait le processus du
"passage pacifique au socialisme", donc la stratégie de la coexistence
pacifique.
Mais, pour assurer le succès d'un gouvernement démocratique,
il fallait aux MITTERRAND et MOLLET élargir vers la droite classique
une coalition gouvernementale et en exclure le PCF. En effet, le rap-
port de forces FGDS-PC? étant en faveur de ce dernier, la FGDS devait
chercher des alliances au centre. C'est cette tactique qui a provoqué
la lenteur des pourparlers en vue du fameux programme commun, tactique
qui est apparue clairement dès le 27 Mai, date à laquelle MITTERRAND
répond publiquement à WALDL1CK-ROCEET qu'il ne peut avancer la réunion
commune prévue le 28 Mai, en raison de la convocation du Bureau poli-
tique de la FGDS. En fait, il est à peu près certain que la FGDS a
rencontré des centristes (DUHAMEL) à oette date, le projet de la
Grande Fédération de DEFERRE n'ayant jamais ét5 totalement abandonné.
La réponse du PCF (Humanité du 29) confirme cette quasi-certitude :
"Nous n'entendons pas non plus frayer la voie à un régime inféodé à
la politique américaine." "Les travailleurs exigent un gouvernement
populaire d'union démocratique à participation communiste."
Pour conserver le contrôle de la situation sociale et sous
peine de se déconsidérer, il fallait aux WALDECK-ROCHET et SEGUY ten-
ter d'imposer cette participation communiste, que l'appel à MEÏTDES-
FRANCE ne pouvait aider à réaliser. Témoin le communiqué du Bureau
politique du PCF, le 29 Mai : "Le peuple de France a affirmé sa vo-
"lonté d'un véritable changement de régime donnant la garantie qu'on
"ne reviendra ni aux expériences de prétendues "3ème force" qui romè-
"nernient toutes les erreurs et tous les malheurs du passé, ni aux
"illusions d'un nouvel "homme-miracle" qui ne sernit qu'une variante
"du régime qui, en dix ans, a conduit notre pays à la faillite ac-
tuelle."
Et, tandis que 10 millions de grévistes soutenaient un dur
combat, chausse-trappes et croc-en-jambes se succédaient, entre cen-
tristes, FGDS et PCF. En fait, de même que les travailleurs avaient
su et pu imposer aux bureaucraties la dénonciation des accords de
Grenelle, comme étant une provocation, étant donné l'ampleur de la
grè-O-e, DE GAULLE put imposer, par son appel nationaliste et dictato-
rial du JO Mai, la cessation des grandes manoeuvres des partis "de
gauche", sur la base d'un appel à la mobilisation de Comités d'action
civique et de la menace du recours à l'armée.
; Dès lors, la CGT en revint à l'exigence revendicative pure
et simple, pour atteindre ce sommet de la trahison que constitue le
titre de L'Humanité du 4 Juin :
"Gouvernement et patronat prolongent la grève !"
"La CGT appelle la classe ouvrière et la population à une vaste
"solidarité matérielle pour ceux qui sont contraints de poursuivre
"leur mouvement."
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LUTTES OUVRIERS ET S Y H DICALISME - 403
De la reprise en ir.ain de la grève à son sabotage, i.,1
n'y a, pas loin. Le Figaro l'a bien compris, Michel EAMELET ne déciatt-
t-il pas (Figaro, 1/2 Juin 68) : "Av^nt même cette intervention d4ci
'ïsive (celle de DE GAULLE-NELR), Georges SEGTJY avait laissé entendre'
"à sa manière qu'il fallait aujourd'hui, comme Lïaurice THORSZ l'avait
"proclamé en 1936, savoir terminer une grève."
Il citait une interview de SEGTJY à Radio-Luxembourg,
du 30 Mai : "Quelle que soit l'issue qui interviendra, nous pensons,
Veii tant qu'organisation syndicale, qu'il serait regrettable de pro-
longer le conflit, la grève, c'est-à-dire de différer les négocia-
tions indispensables sur les revendications qui restent à satisfaire,
"qui restent en suspens, sur lesquelles un désaccord subsiste dans
"l'attente de cette issue..."
Et Michel EAMELET poursuivait : "L'impératif politique
"l'emportait de_s lors sur les exigences sociales. Cependant, on ne
"peut demander aux organisations syndicales, qui ont animé et aussi
"discipliné, ne l'oublions pas, l'énorme marée des grèves, d'obtem-
"pérer aux injonctions du pouvoir."
Cette décision est un coup de poignard dans le dos dea
métallos, cheminots, postiers, etc.., qui, par centaines de milliers,
dans les Assemblées générales du personnel, réclament de leurs diri-
geants la poursuite et l'amplification du mouvement revendicatif,
impliquant l'instauration d'un gouvernement ouvrier. Toute la vindicte
du PCF est dirigée, non contre le gouvernement, mais contre les "gau-
chistes, aventuriers, etc..." que L. SALIN! appelle à détruire physi-
quement dans L1Humanité-Dimanche du 26 Mai.
* •*
-*
La tactique du PSU et de la CFDT, s'appuyant sur les
étudiants inorganisés et d'autres éléments, pour être plus subtile,
n'en est pas moins dangereuse. "Constatant" la volonté délibérée du
PCF et de la CGT de morceler les luttes, d'isoler les étiidiants, de
canaliser le mouvement social, ils évitent de poser clairement, devant
les travailleurs, la question de la responsabilité des directions ouv-
rières et oeuvrent à la construction de divers comités, regroupements,
substituts à une organis-aticn réelle du mouvement dans la lutte de
classes. Peu importe ce que sont ces Comités ; les travailleurs en
lutte sont ailleurs, dans les syndicats, les Comités èe grève, ....
Car toute action visant à substituer aux organes élus
dans la lutte les regroupements hétérogènes n'ayant aucune assise
réelle dans la grève al.o-j.tit en fait à faire dévier la lutte mène.
Pourtant, si le travail tlans le cadre des Comités d'action divers
risque de masquer la nécessité primordiale d'une organisation unitaire
au niveau des Comités de grève, et si leur inorganisation les expose
a se faire "récupérer", il faut soulignor aussi que, dans la situation
nouvelle que r.ous vivons, en l'absence d'organisations révolutionnaires
suffisamment implantées, d-es militants révolutionnaires ont permis, au
travers de certains Comités d'action, que se fasse un travail d'infor-
mation au niveau du quartier et de roue ou Ire enir^ les militants de
différents comités de grève.
*
•* *
A & D 155 - 7 JUIN 1968
LUTTES OUVRIERES ET S Y N DICALISHE - 404
On a déjà glosé sur les remous au sein de la CGT et du PCF.
Ce qu'on sait moins, c'est que, dans presque toutes les A,G. de per-
sonnel ou des Comités de grève, les dirigeants du PCP sont isolés et
ne réussissent que difficilement, sinon plus du tout, à contrôler le
mouvement, depuis le discours de DE GAULLE, comme en témoigne ce re-
portage des événements de Plins, du 8 Mai :
"Le meeting organisé à 8 H par la CGT et la CFDT; place de Miireaux,
"devant l'usine Renault de Flins, en diversion n'a réuni que 50 perma-
"neftts. Pour les ouvriers, le lieu du combat se trcuve devant l'usine,
"nofc, à 6 km. Les permanents ont donc été obligés de ramener le meeting
"prè's de l'usine, place de l'Etoile à Elisabethville. Près de Flins-
"Renault, 2.000,a J.QOO participants. Discours des représentants syn-
"dicaUx. Ne pap tomber dans la provocation, etc...
"Les représentants syndicaux ont été obligés par la "base de recon-
"naître publiquement le rôle des étudiants. En effet, les ouvriers
"réclament- avec insistance que les étudiants parlent au meeting. Un
"camarade di^ 22 Mars parvient à prendre la parole. Il répète : nous
"ne sommes pas venus, nous, étudiants pour donner des leçons à la
"classe ouvrière, nous sommes là pour montrer notre solidarité corn-,
"plète. Brouhaha, un responsable syndical reprend le micro, camarades,
"le meeting est fini, dispersez-vous. Cris : GEISMAR, laissez parler
"GEISMAR. Dans \P foule : démocratie, laissez parler. GEISMAR prend
"le micro : nous ne venons pas vous donner de leçon. Nous sommes avec
"vous pour la solidarité concrète, vous luttez, comme une partie des
"étudiants pour renverser le régime capitaliste. Nous sommes avec vous,
"nous,, étudiants, nous avons montré qu'on pouvait faire reculer les
"CRS, nous sommes avec vous jusqu'à ce que vous réoccupiez vos usines
"par des grèves de solidarité.
"... Une grenade explose sur l'angle d'un bâtiment. Grenadage
"quas,î ininterrompu de 10 H 30 à 11 H. Des responsables CGT : camarades
"nous allons envoyer une délégation, pas de violences, "à une provoca-
tion on répond par une manifestation pacifique". Charges et grenada-
"ges : les responsables se sauvent. On exhibe un homme en complet avec
"rusétte de la légion d'honneur, le maire des Mureaux, il va essayer
"d'intervenir. Charge. Il fuit avec les autres. En l'espace d'une demi-
"hei&re, environ dix blessés. Tout de suite ouvriers et étudiants ont
- "commencé à s'organiser pour riposter......"
"Discussions avec les responsables du PC et de la CGT, qui parlent
"de la solidarité régionale des ouvriers de Pcissy mais pas d'un mou-
"yement plus largo, II faut négocier : mais les patrons ne veulent pas
"jeurf répond-on,. La police a essayé BI^S succès d'isoler ouvriers et
"étudiants, croyant pouvoir compter sur le pacifisme de la CGT. Mais
"ceUJte-ci, qui avait essayé d'organiser des chaînes entre ouvriers
"'étudiants d'un côté et CRS de l'autre pour empêcher la riposte contre
"le^ grenades lacrymogènes, n'est plus reconnu par les ouvriers et les
"étudiants comme leur organe de défense. "Ils nous défendent, mais de
"$.oin", disent les ouvriers de Plins." ....
j "A Boulogne-Billancourt, lec délégués syndicaux recevaient leurs
"mots d'odre et leurs informations et déformaient totalement la vérité. .
A & D 155
7 JUIN 1968 - 34
LUTTES OUTRIEHES ET S Y II DICALISME - 405
"- Ils affirmaient que le meeting était organisé par l'ITNEP
"alors qu'il avait été entièrement préparé par les syndicats CGT et
"CFDT.
"- Pour eux seuls, les étudiants ont répondu aux provocations
"des CRS alors que les grenades ont éclaté dans un groupe de travail-
leurs .
"- Ils affirment que les ouvriers étaient en dehors de la
"manifestation et qu'ils formaient même une chaîne entre CRS et étu-
"diants.
"- Les délégués syndicaux prennent à la légère la lutte de
"leurs camarades qui paient de leur personne leur désir de réoccuper'
"1'usine.
"A Flins, il n'est pas question de reprise du travail.11
Paradoxalement, si l'on assiste à des démissions de la
CGT (BARJONET a montré cet exemple d'abandon de poste) on remarque
aussi des syndicalisations en masse, d'éléments qui cherchent à forcer
las dirigeants à ne pas abandonner.
La crise au sein du PCP atteint une telle ampleur que
la vague d'adhésions qui a suivi 1936 ne se renouvelle pas en 1968.
Exclusions et sanctions se multiplient. La crise atteint le Bureau
politique, au point que les grandes décisions, depuis le discours de
DE GAULLE, doivent être prises par le Comité Central. La. hureaucratie
a été _ogntrajLnte_, cette fois, de montrer son vrai visage.
Cette très importante question nécessiterait une longue
analyse que nous nous réservons de faire ultérieurement.
-o-o-o-o-o-o-o-
A & D 155 - 7
1968 - 55
Vous avez été intéressé par les positions exprimées
dans "ANALYSES ET DOCUhSNTS".
Mais, étant donné le caractère particulier de ce numéro
spécial, comme du précédent, qui ne traitent que de deux rubriques,
vous ne connaissez pas vraiment cette publication qui propose régu-
lièrement à ses lecteurs une douzaine de rubriques.
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