Elections bourgeoises ou action revolutionnaire?

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ELECTIONS BOURGEOISES
ou
ACTION REVOLUTIONNAIRE ?
La révolte étudiante et la mobilisation ouvrière avaient surpris
les uns et déconcerté les autres. Mais aujourd'hui, elles font peur.
Tout d'abord à la bourgeoisie, de plus en plus inquiète. Elle o.
tué, assassiné. Et ce n'est pas le chantage à la guerre civile, m
la perspective des élections législatives qui cacheront les respon-
sabilités.
Ensuite aux politiciens et dirigeants de « la gauche fran-
çaise ». « Assez de violence ! s'écrient-ils. La démocratie exige que
la campagne électorale se déroule normalement ! »
La bourgeoisie a choisi. La « gauche » traditionnelle aussi.
Quant à ceux qui situent leur action dans le domaine extra-parle-
mentaire, ils poursuivent le combat. Les militants révolution-
naires — qu'ils soient ouvriers, enseignants ou étudiants — con-
tribueront au développement des comités d'action de quartier, de
faculté, d'entreprise, et chercheront à mettre les responsables
syndicaux et politiques face à leurs responsabilités.
L'élaboration politique doit prendre corps. Ce texte se veut
partie prenante à la discussion en cours, afin de dégager des
perspectives révolutionnaires.
UN MOUVEMENT SPONTANE, PUISSANT
Après les premières barricades du vendredi 3 mai, la France,
endormie, avait haussé les épaules avec dédain. Une « poignée
d'enragés » n'en méritait pas plus. Mais les affrontements se
firent plus violents, plus nombreux. Le lundi 6 mai, plus de
10.000 manifestants prêtaient main forte aux révoltés. Le lende-
main, ils étaient 30.000. Et la nuit des barricades — du 10 au 11
mai — fut un coup de tonnerre. La France ne comprenait tou-
jours pas, mais elle devenait inquiète : la bourgeoisie avait
envoyé ses forces de police contre ses propres flics. Les travail-
leurs — quant à eux — étaient prêts à se jeter dans la bataille.
Plu sde quinze jours de grèves, des millions de grévistes, des
milliers d'usines occupées : une lutte ouverte s'engageait, met-
tant en évidence la profondeur du mécontentement.
Depuis plus de deux ans, la « gauche » en montrait la réalité
par les démonstrations de rue et par la progression qu'elle enre-
gistrait aux élections. Mais jamais, la mobilisation n'avait été
aussi puissante, jamais le réveil politique aussi fort. La révolte
étudiante s'est exprimée en dehors de toute organisation, en
dehors de tout syndicat. D'un seul coup, tous les groupes poli-
tiques étudiants ont été mis devant le fait accompli. D'un seul
coup, le milieu étudiant s'est embrasé. Tous les schémas organi-
sationnels classiques ont été balayés. Et en quelques jours, les
révoltés ont résisté aux forces de police, découvrant ainsi, par
l'expérience directe, par l'action concrète, la force d'un mou-
vement de masse, aussi peu structuré qu'il soit.
Les jeunes travailleurs — syndiqués ou non — ont montré
la même détermination. Les grandes manifestations de ces deux
dernières années (17 mai 66, l01' février 67, 17 mai 67...), les
grandes grèves de février-mars 67 n'avaient pu empêcher que
le gouvernement prenne les pleins pouvoirs. Les atermoiements
des directions syndicales, depuis la rentrée d'automne 67, ne
pouvaient plus satisfaire la base. Pendant plus de deux ans, les
batailles catégorielles, débouchant sur des revendications par-
tielles, mettant à nu les limites de la politique des états-majors,
appelaient une réaction. Ce fut le 13 mai. La grève fut politique,
même si les états-majors ont cherché à la retourner dans une
protestation contre la répression. Car c'était bien par millions
que les manifestants accusaient le pouvoir et remettaient en
cause le gouvernement. En quelques jours, les divisions sont
tombées, les revendications catégorielles mises à l'écart. Le car-
can dans lequel on enserrait les mouvements de protestation
éclatait. La dimension politique que toute lutte revendicative
possède apparut au grand jour. Les jeunes furent nombreux à
passer outre aux directives syndicales et prirent à bras le corps
tous les problèmes qui se posaient à eux. Dans de très nom-
breuses petites entreprises, la grève prit corps.
Des millions de grévistes se sont jetés dans la bataille, bien
que les perspectives stratégiques n'aient pas été claires. C'est que
tous avaient compris que pour obtenir satisfaction (au niveau
revendicatif), seule la lutte sur les lieux de travail menait à la
victoire, tout comme la mobilisation des étudiants avait fait
reculer le gouvernement.
Spontanément, et malgré les pressions des états-majors, les
travailleurs ont tiré ces leçons des premières batailles étudiantes.
L'engagement qu'ils avaient pris — aussi flou soit-il quant aux
résultats concrets — les a mené au combat. Et c'est par cette
lutte que la conscience de classe a progressé et progressera
encore.
La violence bourgeoise a appelé la violence des masses. A
chaque fausse manœuvre de la bourgeoisie, les étudiants et les
ouvriers ont répondu ; que ce soit après les premières arresta-
tions étudiantes, que ce soit après la répression policière contre
les manifestants du Quartier Latin ou encore après les assassi-
nats que la bourgeoisie a commis. C'est bien la meilleure école
qui soit.
Si l'affrontement avec la police est resté désordonné, en ne
suivant aucune consigne stricte, en donnant lieu à des combats
éparpillés, sans préparation tactique, le courage des manifes-
tants, la détermination des combattants a pallié aux insuffi-
sances. Il n'y a jamais eu de commandos de guerrilla urbaine, il
n'y a jamais eu de directives strictes pendant les batailles de
rues : cela la bourgeoisie ne pourra jamais le comprendre. Elle
est obligée de voir derrière chaque groupe combatif un petit
nombre de chefs, déniant aux premiers toute initiative. Comme
si pas un seul des révoltés n'avait été capable de déterminer
l'attitude à suivre sans un encadrement central. Au fur et à
mesure des combats de rue, la réponse aux brutalités policières
s'organisait : les coktails molotovs lancés des toits en témoi-
gnent.
En acculant le pouvoir, les grévistes ont révélé à tous sa
vraie nature et sa capacité réelle de résistance. En occupant les
usines, ils ont rompu avec les schémas tactiques traditionnels,
entretenus par les états-majors. Le pouvoir patronal s'est trouvé
en jeu, car c'était bien l'ensemble de l'appareil de production que
les grévistes ont bloqué. La structure patronale dans l'entreprise,
la légitimité bourgeoise ont chancelé car la présence des ouvriers
sur les lieux de travail leur est un véritable défi.
En organisant la grève, le soutien aux grévistes, des mil-
liers de gens ont appris à travailler ensemble, ont découvert et
apprécié la solidarité, le combat collectif. En un mois, des
milliers et des milliers d'expériences diverses ont été vécues, ont
pénétré les milieux familiaux les plus fermés, ont révélé l'oppor-
tunisme des uns, les qualités des autres. C'est la lutte vivante
qui forge la conscience de classe.
Les statisticiens de l'IFOP pourront faire de nouveaux son-
dages, pourront essayer à nouveau de chiffrer le degré de mé-
contentement et de combativité. Mais jamais ils ne pourront
résumer la prise de conscience par quelques données numéri-
ques ; jamais ils ne pourront mettre en équation le processus
révolutionnaire. La lutte de classe ne peut être planifiée, pro-
grammée. Elle reste vivante, complexe, contradictoire. La spon-
tanéité ne doit pas être brisée car c'est par elle que les mouve-
ments de masse s'affirment et se développent.
Séguy a dû déclarer : « II n'est rien arrivé de spontané :
l'explosion d'un mécontentement longtemps accumulé reflétant
des aspirations légitimes trop systématiquement bafouées par un
patronat rapace et un gouvernement réactionnaire devait néces-
sairement tôt ou tard se produire. » La dégradation sociale est
la toile de fond de la crise qui vient de survenir. Personne ne
peut le nier. Mais en rester là, c'est, volontairement, laisser de
côté les hésitations des appareils et laisser dans l'ombre toutes
les réactions contre les dirigeants. Cela, dans l'espoir de se
disculper, de mettre à l'écart la détermination des salariés,
comme ceux d'Hispano-Suiza, de Renault ou de Sud-Aviation
par exemple, qui ont poursuivi la lutte après la mise au point
du protocole de Grenelle.
UNE PRISE DE CONSCIENCE —
ENCORE CONTRADICTOIRE
Le réveil politique a été brutal. Tout le système de l'in-
formation, de l'éducation a été remis en cause. La pensée bour-
geoise, la culture bourgeoise ont été ridiculisées. Les tabous, les
interdits sont tombés. Mais la pensée politique, malgré une mul-
titude d'expériences très riches, s'est révélée très disparate et
très contradictoire. Les théories les plus fumeuses, les plus er--
ronnées ont germé et se sont rapidement développées.
Pour certains, nous étions, et nous sommes encore, dans
une période de « dualité de pouvoir ». Entendons par là que la
base a dit non au système bourgeois et que de ce refus est né
un courant qui mènera au pouvoir des travailleurs. La révolution
est en marche. Les étudiants (par le pouvoir étudiant), les ou-
vriers (par le pouvoir ouvrier), les paysans (par le pouvoir pay-
san) vont gérer, bientôt, leurs propres affaires et la bourgeoisie
n'aura qu'à se taire et s'en aller. En un mot, le socialisme es":
pour bientôt.
Malheureusement, ce verbiage escamote tous les problèmes
fondamentaux et va conduire à de nombreuses désillusions et
échecs graves.
Tout d'abord, la dualité de pouvoir se développe très excep-
tionnellement, pendant de très courtes périodes, au cours des-
quelles le pouvoir central, le pouvoir bourgeois est désarticulé,
et détruit par les exploités, organisés de la base au sommet,
dirigés par des militants révolutionnaires. Cela suppose à la fois :
une mobilisation de l'ensemble des salariés sur la base de l'usine,
du quartier ; une lutte générale et violente contre le système
bourgeois, c'est-à-dire contre son administration, sa police,
contre tous ses défenseurs, une direction révolutionnaire admise
par les masses et banissant toute perspective de conciliation.
Or, si l'organisation des travailleurs à la base s'est déve-
loppée, elle n'a jamais écarté tous les appareils réformistes de
gauche. Lors de l'occupation des locaux, peu de piquets de grève
ont permis aux non-syndiqués de se joindre à ce début d'or-
ganisation. C'est dire que, malgré une remise en cause profonde
de la politique de la gauche parlementaire, le débordement des
états-majors est resté localisé, la grève n'a été que très rarement
une grève active, mettant dans le coup tous les grévistes.
De plus, l'affrontement avec le pouvoir d'Etat n'a jamais
été général, global. Certes, il y a eu l'attaque de la Bourse des
valeurs à Paris, l'attaque de nombreux commissariats et préfec-
tures à Paris et en province. Ces faits prouvent la combativité
des manifestants, leur intention de dépasser le cadre de l'usine
afin de viser les responsables nationaux, afin de mettre à nou-
veau la bourgeoisie au pied du mur. Mais ils concrétisent bien le
niveau atteint par la lutte. L'affrontement est resté partial, peu
construit, peu élaboré. Les combats de rue n'ont jamais tournô
à l'avantage des manifestants, condition pourtant essentielle si
l'on veut que l'état oppressif soit brisé. La bourgeoisite n'est
pas défaite.
Enfin, le mouvement, n'ayant jamais pu se dégager totale-
ment des appareils parlementaires et réformistes, n'a jamais eu
de direction révolutionnaire. Aucun plan de lutte, aucune pers-
pective stratégique concrète, n'ont été proposés et réalisés. Il
faudra encore bien des luttes, bien des regroupements pour qu'ap-
paraisse un mouvement structuré, ayant un programme politique
révolutionnaire compris et mis en pratique par les masses ou
vrières.
Non, il n'y a jamais eu éclatement de l'apparpeil d'Etat ; il
n'y a jamais eu dualité de pouvoir. Car, en aucun cas, les ouvriers
n'ont été à deux doigts de prendre à leur compte l'ensemble de
l'appareil de production.
Car ne confondons pas la capacité des ouvriers, paysans et
étudiants à s'organiser eux-mêmes avec le pouvoir effectif acquis
au cours de la lutte.
Dans certains endroits, dit-on, la gestion ouvrière a été
réalisée. Il est vrai qu'à Brest, en particulier, les ouvriers ont
cherché à remettre en route la production, au profit des gré-
vistes. Donc, il y a bien eu début de contrôle — localement. Et
ces expériences concrètes sont encore, à nouveau, une très bonne
école. C'est ainsi que l'organisation interne de l'entreprise peut
être bouleversée. Plus de mouchards, plus de salariés au service
du patronat, plus de cadres exerçant à la fois un rôle technique
et un rôle policier. Chacun se révèle et choisit son camp.
Mais les limites surviennent immédiatement. Qui contrôle les
investissements ? Qui dirige tout ce qui se passe en amont de la
production ? (c'est-à-dire l'embauche, la recherche, la mise au
point de la fabrication, l'approvisionnement en matières pre-
mières, en produits semi-ouvrés, en produits finis). Qui contrôle
l'écoulement et la distribution des produits fabriqués ?
Tant que ces expériences resteront localisées à quelques
entreprises marginales, c'est-à-dire à celles dont la production
n'est en rien décisive pour la marche globale de l'industrie, elles
tourneront court. Et en aucun cas, elles ne signifient que les
ouvriers ont mis la fabrication sur la voie menant au socialisme.
Il ne s'agit pas, par là, de minimiser ce qui a été tenté. Car,
c'est en fait, le seul chemin concret par lequel on tirera des
leçons et des enseignements capitaux. Mais, au contraire, il
s'agit d'apprécier la situation à sa juste dimension.
La conscience de classe s'est affirmée, s'est concrétisée par
les expériences et batailles que nous venons de mentionner. Seu-
lement, ce n'est qu'un début, qu'une première épreuve. L'affron-
tement avec le pouvoir, affrontement que nous désirons tous, ne
se réalisera que lorsque cette prise de conscience débouchera
sur des perspectives et une organisation révolutionnaire. Et cela
exige une longue préparation politique, liée à la lutte jour-
nalière.
La lutte des classes a montré sa force, a révélé la puissance
des masses ouvrières malgré le carcan imposé par les directions
réformistes, a bousculé tous les schémas préétablis. Même si le
reflux redonne au climat social son visage habituel, mai 196S
restera pour des millions de travailleurs une expérience sans
précédent, digne des meilleurs exemples historiques.
LA BOURGEOISIE A REAGI
Les millions de grévistes ont posé, malgré leurs incertitudes
la question du pouvoir et ont contraint le gouvernement à pren-
dre les mesures visant à rétablir « l'ordre public ». L'économie
a été bloquée pendant plus de quinze jours alors que les échéances
du Marché commun approchent à grands pas. Toute la restruc-
turation de l'industrie a été arrêtée alors que la concurrence se
fait de plus en plus exigente. Des charges supplémentaires de-
vront être acceptées par le patronat alors que celui-ci cherche
à se garantir un profit maximum. C'est dire que l'ensemble des
revendications en matière de salaires, d'horaires ont mis on
cause l'équilibre précaire que la bourgeoisie française visait à
maintenir.
Depuis plusieurs années, l'économie européenne est dans une
passe difficile, car il s'agit pour elle de réadapter sa production
en fonction des nouvelles techniques à introduire, des nouveaux
marchés à acquérir. Et cette transformation économique, qui
s'effectue au profit des plus forts, doit se poursuivre, coûte que
coûte.
C'est pourquoi, le mouvement de grève devait être brisé,
cassé, stoppé. C'est pourquoi il fallait accorder quelques com-
pensations passagères (augmentations de salaires) afin que la
production se remette en route rapidement. C'est pourquoi il
fallait donner quelques avantages pécuniers, quitte à les annuler
bientôt par l'augmentation des prix et d'autres pressions finan-
cières (impôts...).
Le protocole de Grenelle est, dans cet esprit, une victoire
patronale. L'augmentation réelle des salaires de l'ordre de 3 à
5 % de diminution des horaires de 1 à 2 heures, l'obtention des
40 heures en 1971, la récupération de toutes les journées de
travail perdues : voilà autant de fausses concessions acquises
grâce à la complicité des états-majors syndicaux.
Les Séguy, Frachon, Descamps pouvaient alors applaudir 'es
ouvriers qui ont dit non à cet accord, car ils savaient bien qu'en
enferrant les grévistes dans des négociations secteur par secteur
c'était en réalité la fin de la grève. Car pour dépasser réellement
les résultats acquis à Grenelle, seule la lutte au niveau national
pouvait déboucher.
Et la bourgeoisie a su frapper au bon moment. Le discours
du général de Gaulle en est la preuve. Tout d'abord il a fallu
faire peur. Au nom de l'unité nationale, le chantage à la guerre
civile a commencé ; une répression calculée a été mise au point.
En donnant tous les pouvoirs au préfet, le gouvernement se pré-
parait à frapper là où la résistance allait s'organiser.
La grève commençait à pourrir. Il fallait l'achever en la dis-
loquant par le biais de négociations partielles, locales et sec-
torielles. Il fallait aussi se donner les moyens de détruire tous les
foyers encore décidés à poursuivre la grève : intervention des
forces de police, soutien aux « jaunes », constitution des C.D.R.
permettant au pouvoir de bâtir une organisation de masse, dé-
vouée corps et âme à son bon vouloir. Là est la force du gaul-
lisme à qui avait manqué, jusqu'à présent, un soutien populaire
organisé.
LE POIDS DE LA LEGALITE
Le deuxième volet de l'intervention de la bourgeoisie : ce
sont les élections. Le pouvoir s'est aperçu que les salariés cher-
chaient à aller au-delà de la satisfaction de leurs revendications.
Et il fallait bien vite ramener cette contestation dangereuse
dans le cadre de la légalité bourgeoise. Il a su, d'ailleurs, trou-
ver des alliés précieux, car, en dissolvant l'Assemblée nationale,
le général de Gaulle a fait d'une pierre deux coups :
1. La tradition parlementaire pèse lourd dans le compor-
tement de la démocratie française. Les conceptions « démocra-
tiques » sont fortement ancrées, cela, grâce en partie, à la poli-
tique de la gauche. Et même si le Parlement ne fait qu'entériner
les décisions prises ailleurs (dans les commissions spécialisées...)
il reste le meilleur instrument de conciliation, il reste le meilleur
moyen pour discréditer à nouveau tous les politiciens de gau-
che. Car le pouvoir sait que la gauche parlementaire utilise la
tribune de l'Assemblée nationale non pas en vue simplement de
faire connaître ses positions, mais bien en jouant le jeu, c'est-
à-dire en se prêtant à toutes les combinaisons de couloir et d?
coulisses (à l'occasion par exemple du vote d'une motion de
censure).
2. Il isole ainsi la minorité qui cherche une voie extra-parle-
mentaire et peut alors la mater. Il vise à canaliser le mouvement
de grève en le détournant de ses objectifs réels et en le faisant
dériver dans les méandres de Pclectoralisme.
La bourgeoisie n'est pas battue. Elle a su répliquer aux mil-
lions de grévistes. Elle a su utiliser à son profit toute la légis-
lation en vigueur, tout le poids des institutions en place. Elle a
su disloquer le mouvement en proposant aux Français de retourner
aux urnes afin que la légalité bourgeoise s'impose à nouveau.
LA GAUCHE PARLEMENTAIRE A CHOISI
Les premières critiques à l'égard de la révolte étudiante ont
été violentes, le P.C.F. donnant le ton. Les qualificatifs les plus
divers ont été donnés : « gauchistes », « aventuriers », « agents
de la bourgeoisie », « renégats ». Certains militants communistes
n'ont pas apprécié cette attitude, et il est probable que les re-
mous ont atteint le bureau politique. Mais il serait vain de
spéculer sur une division profonde au sein de l'appareil.
Tout d'abord, parce que l'orientation réformiste donnée par
le XVII-' congrès est profondément ancrée chez les militants du
parti. Le soutien à la candidature Mitterrand, la politique élec-
torale de ces dernières années n'ont suscité que peu de discus-
sions, sauf dans certains secteurs (étudiants et intellectuels, en
particulier). Le passage pacifique au socialisme, pourtant tota-
lement contredit par les derniers événements, reste la voie tra-
cée et admise.
D'autre part, parce que les militants de base du P.C. se font
de plus en plus rares, les cellules ont une vie politique de plus
en plus irrégulière, débouchant pour celles des quartiers sur
l'activité électorale uniquement. Les décisions sont prises ailleurs
Au sommet, bien sûr. Mais avec la complicité de l'appareil tout
entier, qui s'appuie sur les bureaux des sections. C'est donc à
l'appareil que l'on se heurte immédiatement.
Enfin, parce que les divergences concernent beaucoup plus le
style de l'intervention que son contenu. Les jeunes cadres de l'ap-
pareil chercheront sans doute à évincer la vieille garde stali-
nienne et opportuniste. Mais ce n'est pas à nous de soutenir
Leroy contre Marchais, Garaudy contre Fajon, de soutenir les
modernes contre les anciens.
Il est vrai que des militants ont quitté le parti ou sont sur
le point de le faire, que des intellectuels ont émis leur désaccord
publiquement. Mais ce sont seulement les symptômes d'une crise
naissante, exprimant la détermination d'une frange du parti.
Cette crise va se développer, va subir le déroulement de la
lutte de classe. Cependant, pour l'instant, il est inutile de spé-
culer sur une scission ou une division irrémédiable.
Le travail essentiel est de poursuivre l'explication politique
déjà entreprise. Le parti a parlé des « commandos Geissmar >>
lorsque les étudiants sont allés à Flins. C'est son droit. Seule-
ment, les ouvriers avaient réclamé que la parole soit donnée aux
étudiants, et cela, contre l'avis des dirigeants syndicaux. Les
étudiants ont pu s'exprimer. Et les travailleurs ont pu juger l'ap-
préciation que le P.C. a donné sur les « commandos organisés
pour l'action de guérilla ».
Le Parti s'enferre. W. Rochet a déclaré le 12 juin à PO.R.T.F..
« Des groupes ultra-gauchistes nous attaquent et nous insultent
parce que nous avons désavoué, dès le début, leur recours à la
provocation et aux violences aveugles susceptibles de nuire au
mouvement populaire et de faire le jeu du pouvoir gaulliste •>>.
Et nous savons maintenant que : « voter communiste, c'est voter
pour la démocratie, le progrès social, l'ordre et le socialisme ».
(Titre de l'Huma du 13 juin.)
L'appareil est resté fidèle à ses premières appréciations, car
il ne peut et ne pourra jamais tolérer qu'une partie des grévistes,
des étudiants affirment et concrétisent des positions révolution-
naires. Le réformisme a ses exigences : celle d'abattre les cou-
rants réellement de gauche et de se rapprocher des représntant=
de la social-démocratie.
L'accord P.C.-F.G.D.S. n'est pas simplement une maiiœuvr--
électorale afin de tromper le petit bourgeois.. Non, Ce qui est en
jeu, c'est un gouvernement de gauche qui recevra alors l'appui
d'une partie de la bourgeoisie. Car en cherchant à aménager
le système capitaliste, le choix est implicite.
La relève du gaullisme est en cours. Il est vrai que les poli-
ticiens de gauche ont été pris au dépourvu, que pour eux, la cri<-e
est venue trop tôt. Les divergences (au niveau international en
particulier) sont fortes. Le programme de gouvernement n'existe
pas "encore. Malgré cela, à terme, la gauche sera au pouvoir car
elle saura utiliser à son profit les scissions au sein de la bour-
geoisie et la mobilisation ouvrière.
La phraséologie du P.S.U. est plus subtile. En utilisant un
sigle, celui de l'U.N.E.F. (alors que cette organisation n'est pas
structurée et n'est en rien responsable de la prise de conscience
actuelle) il a cherché à montrer qu'il avait prise sur les événe-
ments. Mais cela ne peut cacher le choix qu'il lui reste à faire :
ou bien il choisit la voie extraparlementaire allant jusqu'à la
dualité de pouvoir, c'est à dire l'affrontement violent avec l'ap-
pareil bourgeois, ou bien il conserve son programme de réformes
de structures, visant « à transformer la société actuelle par un
grignotage » constant en direction « des centres de décisions >.
Les faits prouvent que le P.S.U., comme le P.C. et la F.G.D.S
ont exigé le retour au calme pour que « de véritables négocia-
tions puissent s'engager », pour que, enfin, les élections aient
lieu «normalement».
LES APPAREILS SYNDICAUX ONT CHOISI
Georges Séguy a toujours été très clair. Il l'a confirmé au
dernier comité national de la C.G.T. en déclarant : « Non, les
dix millions de travailleurs en grève ne revendiquaient pas le
pouvoir pour la classe ouvrière, mais de meilleures conditions de
vie et de travail, et l'immense majorité d'entre eux exprimait,
par opposition au pouvoir personnel, leur attachement à la démo-
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cratie. Sous le mot d'ordre : gouvernement populaire ». C'est
pourquoi le bureau fédéral de la C.G.T. avait déclaré le 5 juin .
« Partout où les revendications essentielles ont été satisfaites,
l'intérêt des salariés est de se prononcer en masse pour la reprise
du travail dans l'unité. » Alors, tous les moyens ont été employés
pour que les grévistes arrêtent les occupations et se remettent
au travail. « Toutes les revendications n'ont pas été satisfaites ?
Soit. Mais nous avons l'assurance que les négociations, les con-
sultations vont se poursuivre. » « Même si le travail reprend,
nous continuerons la lutte sous de nouvelles formes. » « Vous
avez fait confiance à vos responsables. Vous devez, afin de main-
tenir l'unité, renouveler votre accord et votre appui. » La déma-
gogie a faussé les débats. Les votes à main levée ont été préci-
pités. Et le désarroi a eu raison des plus forts, des plus déter-
minés.
Depuis l'accord C.G.T.-C.F.D.T., les manifestations avaient
été nombreuses. Comme peu de revendications avaient été satis-
faites, les états-majors avaient appelé à voter « à gauche *.
afin, par là, d'obtenir le reste. A nouveau, la même politique est
imposée. « Nous poursuivons la lutte avec l'objectif de la pro-
longer et de la compléter à la faveur des prochaines élections. »
A nouveau, la lutte politique est coupée de la lutte à la base.
Cette politique a été soigneusement calculée et froidement
appliquée : pas de mot d'ordre de grève générale, laissant chaque
section syndicale isolée, coupant les ouvriers des petites entre-
prises des grévistes, puis tentative de récupération, aussi bien à
l'égard du mouvement étudiant qu'à l'égard des travailleurs les
plus combatifs, enfin dislocation secteur par secteur, brisant
ainsi l'unité acquise dans la lutte.
La position de la C.F.D.T. est plus complexe et plus con-
tradictoire. Les militants de base, pris dans le mouvement, ont
fait entendre leurs intentions. C'est ainsi qu'ils sont restés très
proches du combat étudiant, acceptant de manifester conjoin •
tement. Beaucoup d'entre eux ont posé avec force la question du
pouvoir syndical dans l'entreprise, la question des libertés syndi-
cales. Et c'est un acquis que l'appareil de la C.G.T. voit d'un
mauvais œil.
Mais cela ne doit pas cacher le contenu très contradictoire
des positions, des diverses instances de la C.F.D.T. Gestion,
cogestion, pouvoir dans l'entreprise, réformes de structures : au-
tant de problèmes et d'objectifs opposés. Car il est difficile de
chercher à séduire par le biais de propositions « gauchistes »
en gardant par ailleurs son programme revendicatif et ses vues
contractuelles.
Les difficultés s'ammoncellent. Les contestations internes
ont ébranlé les appareils syndicaux. Et aujourd'hui la C.F.D.T.,
visant par là à rendre responsable la centrale concurrente. De
même, l'état-major de la C.F.D.T., aux prises avec les problèmes
internes de la centrale cherchera d'autres « potiches » afin de
masquer son désarroi. Les polémiques vont donc s'amplifier. Les
« règlements de compte » aussi.
il
Il serait alors dangereux de se mettre en dehors des débats
qui vont se poursuivre. Chaque militant doit continuer son action
au sein des différentes centrales. De nombreux syndiqués et non
syndiqués se sont révélés dans la lutte. Diverses expériences
locales ont été faites. Il serait inopportun d'en rester là. Malgré
les directions actuelles, malgré les objectifs fixés, la lutte doit
s'amplifier au sein des centrales syndicales afin de les ren-
forcer et de demander aux responsables actuels de s'expliquer
devant l'ensemble des syndiqués.
Le choix des états-majors est clair : ils ont ouvert le chemin
de la capitulation. En cautionnant le protocole de Grenelle, les
dirigeants de la C.G.T., de la C.F.D.T., de F.O. et de la F.E.N.
ont accéléré l'intégration syndicale recherchée par le pouvoir. La
gauche parlementaire n'en demandait pas plus. A elle mainte-
nant de préparer les élections que la "bourgeoisie réclamait.
UNE SOLUTION DE RECHANGE
POUR LA BOURGEOISIE ?
La bourgeoisie va chercher à faire face aux nouvelles charges
financières dues à l'augmentation des salaires en rassurant ses
alliés. Pas de dévaluation du franc, a déclaré le nouveau mi •
nistre des Finances. Il est vrai que, dans l'immédiat, ce n'est
pas une solution. Mais dès maintenant l'offensive de la bour-
geoisie va reprendre. La décentralisation, la concentration, les
accords financiers vont se poursuivre. Et les plus faibles vont
devoir payer la note. Le chômage va se développer rapidement,
car les entreprises, qui étaient déjà en difficultés, vont être
soumises à la loi impitoyable de la concurrence. Les petites en-
treprises vont être touchées, comme certains secteurs industriels
n'ayant pas encore introduit les nouvelles techniques, gages d'une
production accrue et donc d'une masse bénéficiaire importante.
De plus, c'est le meilleur moyen de faire pression sur les salaires.
Les contradictions économiques vont donc s'amplifier. Et
toute la bourgeoisie y sera confrontée.
La F.G.D.S. propose d'harmoniser les échanges, la produc-
tion à l'échelle européenne, en spécialisant les divers secteurs
industriels. La constitution d'un pouvoir politique supranational
contribuerait à faciliter l'immense réorganisation économique en
cours, en se mettant ouvertement au service du capital privé. Là
réside l'une des solutions pour la bourgeoisie. Le centre démo-
crate vise lui aussi la construction d'une Europe politique, en
bon rapport avec le capitalisme américain. Et même, si aujour-
d'hui, les polémiques sont violentes entre ces diverses formations
et entre celles-ci et la majorité, les faits et les événements éco-
nomiques auront raison des plus sceptiques et gommeront les
diverses nuances. Avec le développement des inégalités écono-
miques, des nombreuses contradictions, la bourgeoisie cherchera
une nouvelle politique, adoptée aux nouveaux besoins. C'est dire
que la gauche, par le biais de la F.G.D.S., pourra poser dans
quelques temps sa candidature au pouvoir et pourra réussir
dans son opération.
12
Ce sera d'autant plus facile que le P.C.F. coopérera, accep-
tera de mettre à l'arrière plan les désaccords sur les questions
internationales, cautionnera un lourd compromis dans la mesure
où des garanties matérielles seront données aux travailleurs
français. Car en mettant côte à côte les drapeaux rouges et
tricolores, le P.C.F. prépare à sa façon l'après-gaullisme, aux
dépens des millions de travailleurs qu'il mobilisera à nouveau.
Cela sera d'autant plus aisé que la bourgeoisie sera divisée.
Déjà, les positions se nuancent. Edgar Pisani et son mouvement
pour la réforme, est à la recherche d'une nouvelle définition
politique. Giscard d'Estaing poursuit son opération de séduction,
en critiquant les méthodes, le style du gouvernement, en faisant
quelques avances, au Centre démocrate. En soi, les nouvelles
divergences sont peu de choses. Mais elles sont appelées à grandir
rapidement dans la mesure où les élections ne donneront pas
une majorité stable, dans la mesure où les problèmes économi-
ques vont devenir cruciaux.
Car l'avenir proche peut être envisagé ainsi :
1. Le camp gaulliste sort grand vainqueur des élections.
Les attaques portées contre « le totalitarisme communiste » por-
tent leurs fruits. La stabilité politique, élément indispensable,
est assurée. Mais demain, les échéances économiques pèseront
lourd. Le mécontentement explosera à nouveau. Et une nouvelle
fois, il devra faire face aux grèves ; à nouveau, il sera mis en
difficulté.
2. Aucune majorité ne ressort des élections. Les visées auto-
ritaires du gouvernement ne sont pas approuvées. L'instabilité
se développe. Quelques accords de basse politique pourront être
passés ; mais cela ne cachera pas l'ébranlement du régime.
Dans ces conditions, ou bien la majorité se désagrège, s'ef-
frite, ce qui profitera à la gauche parlementaire et réformiste.
Ou bien, une dictature militaire est instaurée, afin d'assurer
la stabilité. Les tractations avec la droite militaire, avec les
groupes factieux, la formation des C.D.R. en prouvent l'éven-
tualité. Des procédures d'urgence seront trouvées. La centrali-
sation augmentera, mettant à nu de nouvelles contradictions. Le
« pouvoir personnel » se renforcera. Mais il se heurtera à main-
tes oppositions libérales, cherchant à combattre une centrali-
sation « abusive » et inefficace, relativement aux réformes éco-
nomiques à réaliser. Une partie de la bourgeoisie plus libérale,
plus « européenne » prendra ses distances vis-à-vis du gouver-
nement et à nouveau le pouvoir sera mis au pied du mur.
Ce n'est qu'un schéma. Il vise simplement à dégager les éven-
tuelles solutions politiques que la bourgeoisie dégagera au cours
de la période à venir. Le gaullisme avait permis à la bourgeoisie
de mieux gérer ses affaires, en commençant, puis en accélérant
le processus de réajustement de l'économie française.
Demain, l'acuité des contradictions européennes et mon-
diales obligeront la bourgeoisie à trouver de nouvelles formes de
gouvernement (dictature, élargissement de la majorité, et en
13
fin de ocmpte à composer avec ceux qui, aujourd'hui apparais-
sent comme ses ennemis et à faire front, face aux travailleurs
qui resteront lésés.
LES COMITES 'D'ACTION EN POSITION DIFFICILE
Nés de la lutte, ils en ont subi tous les événements. Là se
sont retrouvés des militants avertis, mais aussi de nombreux
jeunes se jetant pour la première fois dans une bataille poli-
tique.
Tant que l'action était évidente (affrontement avec la police,
dénonciation des appareils de la « gauche »...) elle pouvait se
faire au jour le jour et donner quelques résultats. La sponta-
néité avait le dessus et elle s'exprimait, au gré des événements.
Certains ont cherché à sortir du ghetto des facultés. Les
comités d'action, créés dans les quartiers, ont connu alors un
développement rapide dans la région parisienne, d'autant plus
que la population était très réceptive. Jamais la nature du régime
n'avait été aussi claire, jamais la politique de la gauche aussi
évidente.
Mais il y a plus d'une ombre au tableau. Les intrigues,
visant à récupérer le mouvement ont été nombreuses, compli-
quant à souhait une situation déjà confuse. Comme s'il suffisait
de se présenter en leader pour se faire acclamer et se faire élire
aux postes de direction d'un mouvement non structuré.
Les débats politiques, dans le cadre des multiples coordina-
tions proposées, ont été plus qu'insuffisants, pour ne pas dire
inexistants. Et nous voici, à quelques jours des élections sans
s'être déterminés sur une plateforme politique.
Les comités d'action n'ont jamais été des organes de contre-
pouvoir. Bien qu'ayant organisé la solidarité avec les grévistes
(collecte, circuits de distribution alimentaire...) ils n'ont jamais
été en mesure de disloquer l'appareil bourgeois, de s'attaquer
à tous ses rouages et ses représentants. Là encore, c'est une
première étape dans l'organisation qui doit être appréciée comme
telle.
L'enthousiasme du début va bientôt tomber. Les effectifs des
comités d'action vont diminuer rapidement. Les désaccords vont
se multiplier. C'est dire l'importance des problèmes qui restent
en suspens.
Pourtant, c'est au sein des comités qu'un premier regroupe-
ment s'est effectué. Il s'agit maintenant d'en conserver l'essen-
tiel, en écartant tout folklore.
LES TACHES DES COMITES D'ACTION
L'expérience a montré qu'elles sont essentiellement au
nombre de trois.
1. Elaboration politique. La lutte au jour le jour, l'enthou-
siasme des premiers combats ont caché un vide politique très
grand. Et maintenant, l'ordre étant revenu, les lacunes appa-
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raissent clairement. Il s'agit de tirer les enseignements des prin-
cipaux événements du mois de mai : l'intervention policière con-
tre les étudiants et les grévistes, la crise de l'université, la crise
sociale, les revendications ouvrières, les premières étapes dans
l'organisation à la base, l'attitude des dirigeants syndicaux et
politiques, les réactions de la population, l'emprise des concep-
tions électorales, le bien-fondé d'un gouvernement populaire, la
nécessité de la violence... Alors, il sera possible d'aller plus loin
et de définir une stratégie extraparlementaire.
2. Propagande. Agitation : Porter tous les débats dans la
rue est une expérience possible et fructueuse. Beaucoup de
comités l'ont déjà fait à maintes reprises. A propos d'un événe-
ment précis (discours du général de Gaulle, l'assassinat des ou-
vriers à Sochaux, les revendications non satisfaites, la prise de
position d'un candidat aux élections...) les militants doivent im-
pulser le travail d'agitation. Et c'est la meilleure école qui soit,
à condition que, constamment, les leçons en soient tirées.
3. Liaison avec les entreprises. Il s'agit de poursuivre et de
systématiser ce qui a déjà été réalisé pendant les heures les
plus chaudes, en faisant connaître aux salariés ce qui a été faif
dans d'autres entreprises, dans d'autres quartiers, en proposant
des thèmes d'action relatifs au chômage, à la formation pro-
fessionnelle, en expliquant la portée de l'extraparlernentarisme.
VERS UNE PLATEFORME POLITIQUE
Quinze jours de grève ont suffi pour que la bourgeoisie ré-
prime efficacement. Le parti de l'ordre a donné tous les pou-
voirs aux préfets. Les principaux groupes révolutionnaires sont
interdits. Et si demain la situation l'exige, la dictature sera
instaurée. La bourgeoisie ne cédera pas devant la mobilisation
à la base. C'est pourquoi la théorie du passage pacifique au
socialisme n'est en fait qu'un paravent, cachant la complicité
et la trahison de ceux qui se prétendent communistes.
Le problème fondamental est pourtant clair :
ou bien l'affrontement avec l'appareil d'Etat est préparé,
recherché, ce qui exige une mobilisation massive, une organisa-
tion à tous les niveaux des travailleurs et le rejet de toute
conciliation ;
— ou bien, profitant d'une crise sociale importante, les poli-
ticiens de gauche, en évitant l'affrontement se mettent au ser-
vice d'une grande partie de la bourgeoisie. Ces dirigeants avaient
déjà choisi cette deuxième possibilité. Leur capitulation du mois
de juin le confirme à nouveau.
L'axe de la stratégie révolutionnaire repose sur la première
possibilité. Et c'est cette direction qu'il nous faut concrétiser par
une plateforme politique.
1. Le parlement reste le lieu de la conciliation permanente.
Il conduit inévitablement aux pires calculs politiques, faits par
des spécialistes, utilisant la bonne foi de leurs mandataires. Il
faut casser ce système en faisant déboucher l'antiparlementa-
15
risme latent. Il faut briser toutes les démarches électoralistes.
Les Guy Mollet, Pompidou, Mitterrand, Duhamel, W. Hochet,
Lecanuet peuvent poursuivre leur jeu subtil. Mais l'important
n'est pas là. Il est facile de ridiculiser ces hommes. Mais cela
laisse de côté les vrais problèmes, c'est-à-dire le contenu de la
politique qu'ils défendent et l'utilisation du mandat qui leur
est donné, utilisation faite aux dépens des électeurs.
Une politique révolutionnaire ne peut être une affaire de
coulisse, ne peut se livrer à des tractations diverses. Et les mili-
tants qui l'appliquent se doivent d'être contrôlables, révocables
au sein de structures non intégrées au système bourgeois.
2. L'extraparlementaire n'est pas un slogan que peuvent re-
prendre à leur compte les candidats aux élections. Il faut choi-
sir : ou le maintien et le renforcement d'une « élite » politique
parlementaire, ou la mise en place de comités à la base capa-
bles d'impulser la lutte dans les usines, les facultés, lutte com-
mencée en mai 68 et qui débouchera sur le combat de rue, sur
l'affrontement à tous les niveaux avec les représentants de la
bourgeoisie. Aux milliers de grévistes qui ont crié « le pouvoir
est dans la rue, dans l'usine », il faut maintenant donner un
programme d'action concret, permettant de poursuivre la lutte
à la base, permettant de faire éclater la structure bourgeoise là
où les travailleurs peuvent s'organiser.
Cette voie exige un programme revendicatif, débouchant
sur une politisation active, et reposant sur les thèmes suivants .
— Echelle mobile des salaires : afin que les augmentations
de salaires ne soient pas grignotées rapidement, l'élévation des
prix doit être compensée immédiatement et constamment par
une élévation des salaires.
— Lutte contre la hiérarchie salariale : l'éventail des res-
sources financières, des salariés doit être restreint afin de pro-
fiter aux plus défavorisés. Une même augmentation pour tous,
ou 100.000 F minimum en sont la concrétisation.
— Lutte contre les divisions entre salariés : les formes de
salaires sont un premier élément de division (opposition entre
horaires et mensuels). Ainsi, réclamer la mensualisation pour
tous, c'est à la fois faire tomber plusieurs barrières encore
solides et cela permet de simplifier toutes les formes de rému-
nérations. Les primes, les avantages divers et préférentiels sont
alors à intégrer dans la rémunération mensuelle.
— Lutte contre le chômage : le chômage ne disparaîtra
qu'avec l'élimination de l'exploitation. Cela n'empêche pas de se
battre pour le maintien des activités industrielles, pour l'ob-
tention
— des 40 heures immédiatement,
— de la retraite à 60 ans, ce qui réduirait d'autant le volant
de chômage.
De plus, cela n'empêche pas d'exiger que lors des déplace-
ments forcés de main-d'œuvre, la qualification du salarié ne se
dégrade pas et qu'il retrouve un poste au moins équivalent. Cav
ifi
ce qui est en jeu, ce n'est pas seulement d'avoir du travail (le
droit au travail), mais bien de posséder les connaissances tech-
niques et générales suffisantes pour être capable, un jour, de
prendre tout le système en main. Donc dans l'immédiat, aux
salariés de refuser les reclassements qui leur sont défavorables.
Aucune de ces revendications n'a été satisfaite au cours de
la dernière période. Car, étant donné l'ampleur du mouvement,
étant donné leur caractère indissociable, le pouvoir n'est pas
capable de les assimiler. C'est par là que le pouvoir a été mis
en question et qu'il le sera à nouveau. Très vite l'insatisfactior
en matière revendicative a conduit les salariés à formuler une
remise en cause globale : « Non au plan Fouchet, non au V= Plan
Gaulliste, à bas les ordonnances, à bas les pleins pouvoirs ».
« Et si le pouvoir ne cède pas, et si nous voulons avoir satis-
faction, il faut donc que nous prenions les mesures nécessaires
pour les faire aboutir, il faut donc que nous prenions le pou-
voir. »
3. Le contrôle par les salariés des principaux secteurs indus-
triels et de l'appareil bourgeois est donc à l'ordre du jour. Des
expériences isolées ont conduit à une gestion partielle. Mais pour
étendre ses expériences, plusieurs conditions doivent être rem-
plies :
— l'appareil bourgeois est démantelé. Alors il est possible
d'annihiler les forces de répression de contrôler tous les cir-
cuits financiers, de planifier la marche de l'économie en fixant
des objectifs prioritaires, de prévoir à très long terme aussi bien
au niveau de la recherche, de l'enseignement qu'au niveau de
l'organisation du travail. Cela signifie que les masses ouvrières,
organisées de bas en haut ont affronté le pouvoir bourgeois,
— la lutte contre l'appareil d'Etat est complété par celle dans
le cadre de toutes les entreprises. La structure d'encadrement,
de commandement du patronat est à détruire. Les mouchards,
les flics d'entreprise, les patrons seront chassés. Les contremaî-
tres, ingénieurs, etc., soumis aux ordres du patron devront se
démettre ou être neutralisés. Les militants politiques, compétents
aussi au niveau technique prendront en main l'appareil de pro-
duction et cela, avec le concours actif des conseils ouvriers. Si
les compétences techniques manquent, le hommes capables en
la matière devront se soumettre aux représentants ouvriers.
C'est alors que la production pourra démarrer sur des bases
nouvelles car dans l'entreprise, la structure interne sera con-
trôlée par les ouvriers, l'organisation technique du travail sera
réenvisagée afin de développer le travail d'équipe, d'améliorer
les conditions de travail ainsi que la sécurité. L'essentiel de la
production, en amont et en aval de l'entreprise, sera sous l'em-
prise de la planification, ce qui sous-entend que les investisse-
ments soient contrôlés par les représentants des ouvriers, que le
marché commercial (avec l'étranger en particulier) soit sous le
contrôle de l'Etat prolétarien.
Les difficultés sont grandes, les dangers sont nombreux.
Tout d'abord, les salariés seront confrontés à une multitude de
17
problèmes : sabotages, détériorations, manque de capacités tech-
niques dans certains domaines. D'autre part, les arrivistes seront
nombreux et chercheront à se mettre en bonne position. La
bureaucratie peut s'implanter. C'est dire qu'il faut dès le début
se donner un moyen permanent de démettre les responsables
avides du pouvoir, visant à sauvegarder leurs intérêts person-
nels.
La perspective du contrôle ouvrier fixe alors le contenu des
revendications touchant le domaine de l'enseignement. La main-
d'œuvre formée aujourd'hui doit se mettre au service du capital.
Si nous voulons que les travailleurs soient à même de prendre
la production en main, une solide formation générale, excluant
la spécialisation mutilante doit être imposée. Mais cela est con-
traire à la fiscalité que poursuit le gouvernement et le corps
enseignant actuel. Là encore se pose la destruction des struc-
tures actuelles.
4. L'organisation à la base est primordiale. Si les conseils
restent l'objectif, diverses étapes sont à dégager :
— Les militants révolutionnaires doivent se regrouper. En •
tendons par là que ceux qui ont dirigé la lutte dans les entre-
prises à la fois contre le patronat et contre les états-majors
syndicaux doivent préparer des réunions de synthèse par secteur
économique. Tout d'abord à l'échelon de l'usine en demandant
la tenue d'assemblées générales des syndiqués, ouvertes aux non
syndiqués, car la parole doit être donnée à tous ceux qui ont
cherché à se joindre aux étudiants, malgré l'interdit des états-
majors, qui ont vu la tentative de récupération menée par les
dirigeants, qui ont dit non aux négociations sectorielles et à ceux
qui ont, en fin de compte, déchiré leur carte syndicale.
Ensuite en se retrouvant dans des conférences sectorielles
pendant lesquelles seraient envisagées la lutte contre toute la
hiérarchie patronale, les perspectives économiques du secteur,
sa finalité au sein de l'économie tout entière, les préalables né-
cessaires à un contrôle sur toutes les activités de la branche.
— La coordination des luttes n'est pas un simple problème
technique. Elle sous-entend une vue globale sur toutes les ques-
tions fondamentales : destruction de l'appareil bourgeois, élimi-
nation des conceptions réformistes, expression politique de la
base ouvrière, attitude par rapport aux couches intermédiaires.
Cela signifie qu'un parti révolutionnaire intervienne. Or, il
n'existe pas. Il naîtra au cours des luttes futures. Mais dès
aujourd'hui, la construction de ce parti doit être posée, doit êtrf
envisagée en se gardant des caricatures actuelles propagées par
de nombreux groupes politiques.
5. Aujourd'hui, les comités d'action doivent inscrire leur
activité dans cette perspective. Par la propagande, par l'agita-
tion soutenue ; ils doivent porter les débats au grand jour :
— en démystifiant l'électoralisme, en polémiquant avec les
candidats de gauche, en attaquant de front toutes les conceptions
justifiant une action parlementaire (c'est-à-dire par la tenue de
discussions publiques, animées par les militants, par la contesta-
tion dans les meetings du P.C., du P.S.U., par l'envoi de lettres
ouvertes aux candidats, par la tenue de réunions-débats des
C.A...),
— en précisant l'apport idéologique et organisationnel fourni
par la crise. L'action directe, le regroupement à la base ont
montré leur efficacité,
— en envisageant l'avenir économique et politique en France
et en Europe (montée des prix, du chômage, des disparités
locales...),
— en luttant contre toutes les tentatives de récupération
de la part des appareils de la « gauche »,
— en luttant contre l'offensive de la bourgeoisie qui cher-
che à intégrer ce qui lui convient parfaitement (cogestion dans
l'enseignement, autonomie des facultés...),
— en aidant, par la solidarité sous toutes ses formes, les or-
ganisations interdites par le pouvoir,
— en développant un programme revendicatif, visant à
mettre le gouvernement au pied du mur,
— en montrant les étapes nécessaires pour atteindre un
contrôle total sur la production.
Il s'agira alors de coordonner les diverses initiatives en pro-
posant des thèmes de campagne, afin de donner un cadre précis
à la propagande, afin de faire face au reflux actuel (exemple :
action en direction des chômeurs, qui restent inorganisés).
Le reflux a commencé. « Tout rentre dans l'ordre » dit-on.
La preuve ? Les « gangsters » ont repris leurs activités et ont
déjà dévalisé plusieurs banques. L'ordre bourgeois retrouve son
aspect quotidien. Les habitudes reviennent. La campagne élec-
torale bat son plein. Le capital a sa logique.
Mais la lutte de classe a la sienne. Rien ne l'arrêtera. De
nouvelles grèves, de nouvelles explosions auront lieu quel soit
en France ou dans les autres pays européens. Car la société
européenne est bien malade. Déjà la révolte étudiante avait
surpris l'Italie, l'Allemagne. La bourgeoisie belge reste toujours
très divisée, incapable qu'elle est de résoudre les problèmes ré-
gionaux. Wilson est chaque jour plus contesté. L'Espagne a
dû dévaluer sa monnaie. La récession est là. Tout cela parce
que « l'âge d'or » du capitalisme européen est terminé. Si de
1950 à 1963 environ ,il avait pu gagner de nouveaux marchés,
consolider ses structures politiques et administratives, depuis
plusieurs années il n'en est plus de même. La convenance entre
les USA et les pays européens, comme entre ces derniers s'est
accrue ; la révolution est en bonne voie au Vietnam, elle prend
corps en Amérique Latine. Demain, c'est à une situation explo-
sive que tous les capitalistes devront faire face. L'europe y sera
durement confrontée.
Des millions de salariés diront non ! Des milliers de mili-
tants révolutionnaires seront chaque jour plus nombreux, plus
décidés, plus combatifs, plus organisés. Les violences, les inter-
dits se multiplieront à leur encontre. Mais peu importe !
19
La solidarité se développera. La conscience de classe s'affir-
mera. L'organisation ouvrière prendra corps. L'internationa-
lisme prendra le dessus.
VERS UN MOUVEMENT REVOLUTIONNAIRE?
Après les journées de mai, ïa vie politique ne pourra plus
reprendre son cours normal, son traincrain habituel. Les élec-
tions, sans doute, marquent un recul temporaire des possibi-
lités révolutionnaires ; elles ouvrent une période où les épiciers,
les agrégés et les officiers vont de nouveau croire à l'éternité
de leur France. Mais chacun sait, en son iort intérieur, que les
contradictions sont insurmontables et que le mouvement redé-
marrera. Et les méthodes employées au cours des journées les
plus combatives — la lutte dans la rue, les barricades, l'occu-
pation des lieux de travail, etc. seront reprises, développées,
améliorées par les ouvriers et les étudiants dès que l'occasion
leur sera donnée d'entrer massivement en action : ces méthodes
de combat font maintenant partie des traditions du mouvement
ouvrier français.
Une telle certitude ne doit pas être accompagnée d'un opti-
misme inconditionnel : le mouvement renaîtra sûrement, mais
sûrement aussi, il sera battu par la bourgeoisie, qui a déjà tiré
les leçons de l'explosion de mai 68, s'il ne trouve à s'organiser,
à se donner une direction politique. La démonstration a été faite
que des situations révolutionnaires pouvaient exister dans les
sociétés capitalistes que les théoriciens modernistes décrivaient
comme immuables. L'ampleur et la vigueur de l'initiative des
masses a été réaffirmée à ceux qui l'avaient oublié. Les révo-
lutionnaires doivent enregistrer ces faits positifs et les rappe-
ler lorsque le reflux démoralisera certains. Mais leur rôle n'est
pas de s'extasier ; il est de déceler les faiblesses d'un mouve-
ment, pour aider à les corriger. Or, la faiblesse du mouvement
de mai a été le revers de sa force des premiers jours : la spon-
tanéité est devenue improvisation et, de jour en jour, on a vu
les conséquences graves des manifestations sans objectifs, des
barricades éparses, des affrontements isolés. Oui, demain, à
nouveau le pouvoir sera dans la rue ; mais il n'y demeurera
victorieusement que si Pavant-garde qui l'y a amené est unifiée
et rassemblée.
Cette conclusion s'impose d'autant plus que les journées de
mai 68 ont marqué aussi la faillite ou les limites des organisa-
tions existantes. Faillite certaine, dont les conséquences se feront
sentir à long terme, du P.C.F. et de la C.G.T. Limites de tous les
groupes et mouvements d'extrême-gauche qui, même lorsqu'ils
furent présents à toutes les étapes de la lutte — ce qui fut
le cas de quelques-uns d'entre eux — ne purent jouer le rôle
d'un centre organisateur du mouvement. Tout au long des jour-
nées de manifestations, les étudiants et les jeunes travailleurs
firent preuve d'une extrême méfiance à l'égard de ce qui pou-
vait apparaître comme traditionnel, d'un souci de démocratie
poussée à l'extrême. On peut chercher beaucoup d'explications
20
à cet état d'esprit, qui s'est accompagné d'une floraison de dra-
peaux noirs aans les manifestations. On peut évoquer la jeu-
nesse de la majorité aes maniiestants, son hostilité Justifiée à
l'égard ues failles des générations précédentes ; on peut se réfé-
rer aux traces profondes laissées par quarante ans ae stalinisme.
L'important n'est pas là. L'essentiel est de constater qu'une
avant-garde s'est dégagée, Qu'elle n'est ni ne sera regroupée
dans aucune organisation existante, qu'elle se méfie encore de
toute formule exagérément centralisatrice,
C'est pourquoi il serait vain de chercher à répondre aux be-
soins d'organisation qu'ont révélé les journées de mai par la
simple réaïfirmation de la nécessité d'un parti révoultionnaire.
De cette nécessité, nous sommes convaincus. Mais un parti, ce
n'est pas seulement un programme pari alternent êlaooré, ni une
presse et les moyens d'agitation répandus massivement ; c'est
aussi le rassemblement d'un nombre suïiisant ae militants im-
plantés dans les secteurs essentiels du mouvement ouvrier. Un
tel résultat ne peut être atteint en quelques semaines, à partir
de rien ou de très peut. Or, aujourd'hui, même s'ils rassemblaient
tous leurs contacts, les groupes d'extrême-gauche sont proches
du zéro en ce qui concerne leur implantation dans la classe
ouvrière. Il faut donc maintenir la perspective à long terme
d'rfn parti ouvrier révolutionnaire, mais se refuser, dans l'in-
térêt même de cette perspective, à jouer au parti, en maniant
des sigles, en jonglant avec des effectifs squelettiques. Le seul
résultat serait de déconsidérer pour longtemps la notion même
du parti. La tâche du moment est d'envisager les étapes concrè-
tes, correspondant à l'état actuel du mouvement, par lesquelles
s'effectuera le rassemblement de l'avant-garde et sa liaison avec
les travailleurs.
L'étape la plus proche devra être la constitution d'un mou-
vement, suffisamment large dans ses formes d'organisation pour
que tous les militants, tous les groupes qui ont combattu dans
la rue puissent s'y retrouver. Ce mouvement serait l'acquit de
la lutte de mai, la conclusion organisationnelle du combat des
étudiants et des travailleurs. C'est dans ce cadre que pour-
raient être tirées les conclusions des semaines de grève et de
manifestation, que pouvaient être menés les débats et les con-
frontations sur le programme et les méthodes de lutte à venir.
Pareille tentative n'est évidemment pas sans dangers. Der-
rière le projet de « mouvement » peuvent s'affronter des concep-
tions très différentes : celles des partisans d'un simple front
des groupes existant, sans véritable organisation commune ;
celles des amateurs d'appareil qui, issus en général du P.C.F., en
critiquent la politique mais n'en ont pas abandonné les concep-
tions organisationnelles et pensent qu'un sigle, un local et quel-
ques centaines d'adhérents peuvent être à l'origine du recru-
tement rapide de millions de militants. Dans la confusion qui
risque de naître de toute imprécision sur ce:; questions peuvent
se développer des tendances très néfastes. Les amateurs de
publicité personnelle, pour lesquels la politique est une réédition
du tiercé, consistant à placer dans le désordre Ho Chi Minh.
2l
Fidel Castro et Che Guevara dans des discours
peuvent se servir d'un mouvement dont les
seraient imprécises. Les observateurs sagaces,
l'Université, qui n'ont pas pris part à la lutte,
dans l'adhésion à un regroupement informe le
carance dans l'action.
para-électoraux,
bases politiques
nombreux dans
peuvent trouver
palliatif de leur
II faut donc préciser sans ambiguïté quelques points.
1 — Le regroupement des révolutionnaires qui se sont révé-
lés dans la lutte de mai aurait dû, pour connaître une
efficacité maximum, se réaliser dans les jours où la
grève et les manifestations atteignaient leur point
culminant (du 13 au 20 mai environ). Il était possible
alors de s'entendre sur des tâches immédiates, dont
l'accomplissement aurait accéléré la rupture de nom-
breux militants avec les organisations traditionnelles.
La chose fut rendue impossible par les atermoiements,
les manœuvres, les manipulations bureaucratiques d'une
partie de ceux que les premiers jours de lutte avaient
mis en position de «leaders». Une occasion a été man-
quée. Il n'est pas trop tard pour travailler à la consti-
tution d'un mouvement. Mais chacun doit comprendre
que, pour quelque temps, les événements ne facilitent
pas notre tâche. Il faut remplacer par une plus grande
précision politique le stimulant que, momentanément,
ne fournit plus la lutte extraparlementaire.
2 — Un mouvement révolutionnaire doit rassembler le plus
grand nombre possible des étudiants et des travailleurs
qui ont combattu sur les barricades. Dans l'immédiat,
en dépit de leurs faiblesses, malgré leur avenir incer-
tain, les comités d'action constituent le lieu où peuvent
être tirées collectivement les leçons de l'expérience ré-
cente. Un mouvement révolutionnaire digne de ce nom
doit être l'expression des comités d'action. Il ne doit se
donner aucune structure d'organisation — d'ailleurs
plus apparente que réelle — qui le fasse apparaître com-
me rival des comités d'action, tant que ceux-ci pour-
suivent leur expérience politique.
3 — Le rassemblement de l'avant-garde d'étudiants, de jeu-
nes qui ont fait la grandeur de mai 68 est une étape
indispensable. Mais le mouvement révolutionnaire ne
progressera de façon significative, que l'orsqu'il aura
rassemblé des militants ouvriers en nombre suffisant.
Des expériences intéressantes ont été réalisées, à Paris et
en province, par le biais des divers comités de liaisons
ouvriers-étudiants. Elles doivent être poursuivies, élar-
gies — autant que possible. Mais il faut noter qu'en
général ce sont des travailleurs sans grande responsa-
bilité dans le mouvement syndical, des ouvriers d'entre-
prises secondaires qui se sont joints au mouvement étu-
diant. Le phénomène est parfaitement normal et l'intérêt
du travail qui peut être poursuivi à partir des noyaux
constitués dans la lutte n'est pas diminué pour autant.
22
Mais un objectif majeur subsiste : gagner les militants
qui, dans la CGT et aussi souvent dans CFDT, constituent
les cadres réels du mouvement ouvrier dans l'entreprise
— les délégués, les responsables de base. Mai 68 a apporté,
dans ce domaine, une donnée nouvelle : la contestation
de la politique des directions syndicales et politiques s'est
faite largement dans la classe ouvrière même. Des dis-
cussions, parfois violentes, ébranlent la CGT ou des sec-
tions du PCF. Toutefois, ces discussions n'aboutiront pas
immédiatement à des ruptures organisationnelles massi-
ves. Il faut un processus assez long à des militants d'en-
treprise pour remettre totalement en cause l'organisa-
tion qui sert de cadre à leur lutta. Un mouvement révo-
lutionnaire doit inscrire au premier point de son plan
de travail la tâche d'organiser cette rupture. Ce qui im-
plique un travail de propagande, de liaison et d'action
autour d'un programme de lutte tel que celui dont nous
avons esquissé plus haut quelques lignes essentielles.
Dans de telles conditions, le regroupement révolutionnaires
qui demeure à l'ordre du jour doit se consacrer d'abord :
— à des campagnes de propagande, par les voies des affi-
ches, des tracts, des réunions publiques. La dénon-
ciation des perspectives électorales, des illusions sur
les voies pacifiques ; le développement des thèmes in-
ternationalistes (luttes anti-impérialistes, coordination
des combats à l'échelle européenne et la lutte contre
la répression ; l'explication des nécessités d'une orga-
nisation révolutionnaire, distincte des partis existants :
tels peuvent être les thèmes de ces campagnes ;
— à des discussions politiques, les plus larges et les plus
publiques possibles, sur la stratégie que devront adopter
les révolutionnaires pour aborder les prochaines étapes
de la lutte.
Il devient évident, dans cette perspective, que l'instrument
essentiel du combat devra être un journal de masse. Ce journal,
dont la publication devrait être précédée de l'adoption d'une
plateforme politique commune à tous les participants, serait
à la fois la tribune libre des comités et des militants ouvriers,
l'organisateur des campagnes de propagande et le Heu d'une
confrontation permanente sur tous les problèmes que pose l'ave-
nir des luttes. Ainsi conçu, il atteindrait une diffusion qui dé-
passerait largement les limites actuelles du recrutement d'un
mouvement révolutionnaire. Mais, en même temps, en proposant
des thèmes d'action aussi bien que des perspectives politiques,
il serait un instrument d'organisation, préparant les étapes
futures du regroupement révolutionnaire.
Ces propositions peuvent sembler bien minimes après les
luttes exaltantes du mois de mai. Elles sont pourtant celles qui
correspondent à l'état actuel du rapport des forces entre la
bourgeoisie et les appareils bureaucratiques d'une part, les mi-
litants d'avant-garde de l'autre. La répression, les désillusions
consécutives aux échecs, la confusion née des tentatives mal
conduites vont, pendant un temps, rendre difficile la tâche des
révolutionnaires. C'est une raison supplémentaire de persister
à lutter pour ces objectifs qui constituent la base de départ à
partir de laquelle pourra se rassembler l'avant-garde en vue
de préparer les nouveaux mai 68.
Nous sommes entrés dans une nouvelle période de crise gé-
nérale du capitalisme. L'ampleur des luttes de masse surprendra
ceux qui confortablement croient à la pérennité des « miracles »
économiques de la bourgeoisie, ceux qui pieusement vivent sur
les souvenirs d'Octobre 17 qu'ils ont enfermés dans les placards
de leurs bureaux.
A nous tous, à tous ceux qui ont trouvé le chemin de la
lutte dans la rue, il incombe de préparer pour demain l'organi-
sation révolutionnaire qui tirera les leçons des luttes récentes
et préparera les nouveaux combats.
Et demain, ce sera la révolution !
Paris, le 17 juin 68
Le 23 mai, nous avons publié un premier texte, sous le
titre « Révolte étudiante, mouvement politique, chute du pou-
voir ? » La crise politique et la crise économique se sont révélées
dès les premiers jours par l'inadaptation de l'université bour-
geoise ,puis par l'ampleur du mouvement de grèves. Dès le début,
la « gauche » a traduit, puis exploité afin d'imposer à tout le
pays son alternative démocratique. A cela, les militants avaient
répondu pour la création des comités d'action ! pour la consta-
tation de la politique des syndicats. Telles sont les idées essen-
tielles présentées par la première brochure.
TABLE DES MATIÈRES
Un mouvement spontané, puissant .................... 3
Une prise de conscience — encore contradictoire ...... j
La bourgeoisie a réagi ................................ 7
Le poids de la légalité.................................. 3
La gauche parlementaire a choisi...................... 9
Les appareils syndicaux ont choisi ................... 10
Une solution de rechange pour la bourgeoisie ? ........ 12
Les comités d'action : en position difficile ............ 14
Les tâches des comités d'action...................... 14
Vers une plateforme politique .......................... 15
Vers un mouvement révolutionnaire ? ................ 20
Pour toute commando, rcnrc à. < La Voi^i * B.P. 21 77
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Imp. « E.P. », 232, r. de Charenton, Paris-12e
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Elections bourgeoises ou action revolutionnaire?
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