Le mouvement étudiant

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LE MOUVEMENT
ETUDIANT
ENTRE
LA LUTTE CONTRE
L'EXPLOITATION
DU PROLETARIAT
ET
LA CRITIQUE
DE LA SOCIETE
DE CONSOMMATION
TEXTE REDIGE PAR DES MILITANTS DU C.R.I.R.
CORRESPONDANCE : C.R.I.R. - 13, rue Pascal - PARIS (5è)
PRIX : 1 F.
V
Cs t^te, qui a été écrit entre le 3 et le 15 mai 1963, vise à :
- souligner la crise théorique du mouvement ouvrier révolutionnaire
qui nous semble être la racine des ambiguïtés de la crise politique actuelle,
dans lesquelles se débat le mouvement de révolte étudiants ;
- apporter des éléments dans la discussion sur le caractère de classe
de l'enseignement et sur les rôle des couches moyennes qu'il a pour tâche
de former ;
- poser le problème des modalités de la participation éventuelle de ces
couches moyennes à la lutte révolutionnaire ;
- lever l'hypothèque du f.aux dilemne : critique de la société de consom-
mation ou soutien auc luttes ouvrières ;
- en déduire quelles tâches actuelles nous semblent prioritaires.
PLAN
1. Ce que révèle le mouvement étudiant.
2. Quelle est la place des couchas moyennes dans les rapports de production.
2.1. L'échec de l'analyse marxiste traditionnelle.
2.2. Une tentative de critique économique : rôle des couches moyennes
dans les réponses capitalistes à la menace de crise de surproduction.
3. Le système idéologique.
3.1. Description de l'idéologie dominante.
3.2. Les dysfonctionnements du système ; mécanismes de fuite et de
réintégration.
3.3. Un exemple : les étudiants.
4. Quelles sont nos tâches.
CE QUE REVELE LE MOUVEMENT ETUDIANT.
Bien que les diverses manifestations de solidarité tendent aujourd'hui
à le masquer, il est clair que personne n'avait prévu, et d'ailleurs per-
sonne n'aurait pu prévoir, ce que les étudiants ont fait.
Et cela pour la bonne raison que ce mouvement a été l'expression mo-
mentanée à l'intérieur de l'Université d'un refus total de la plupart des
valeurs et des catégories communément ad/nises dans la société en géné-
ral et des types de comportement qui en découlent = que ce soit ceux des
professeurs les plus "modernistes", eaux des dirigeants ouvriers les plus
puissants aujourd'hui, ou ceux que les étudiants eux-même ont adopté
jusqu'ici = il en est ainsi des aspirations en lesquelles une partie d'entre
eux voient maintenant une intégration au système, depuis le mode de vie
petit»bourgeois (c'est-à-dire la "mode"), jusqu'au désir de "réussir"
une belle carrière professionnelle, et l'humanisme n'est pas rangé très
loin du carriérisme, avec ô combien de raisons ; ce refus est donc cuto.-
critique du syndicat étudiant, de son incapacité à replacer ses revendi-
cations universitaires dans un cadre général ; critique des formules ma-
giques avancées la F.E.R. (étudiants et travailleurs, tous révolutionnai-
res, dans un "front uni"!!!) et de la nature réformiste, voire réaction- -
naire des principaux mots d'ordre de ce mouvement (pour le plein emploi,
contre la sélection !)
On reprochera sans doute à ce qui précède d'outrepasser les mots d'or-
dre formulés par les étudiants ; ce reproche sera significatif de l'ambi-
guïté du soutien que les étudiants ont reçu, du détournement GUE ce sou-
tien tente d'opérer = soutien des professeurs qui souhaitent ramener au
bercail du dialogue universitaire (et constructif) las brebis enrageas, et
qui vont jusqu'à faire la théorie de ce détournement - la contestation com-
me facteur de croissanc-e !!! (cf. les découvertes de Monsieur Touraine,
exposées dans Le Monda) ; soutien des dirigeants ouvriers soucieux d'af-
firmer la présence d'une opposition au gaullisme.....au lendemain des
massacres !
Ceux qui tentent ainsi de réduire le mouvement jouent sur la confusion
des mots d'ordre.
Ils refusent de voir que cette confusion provenait d'un mélange, et mê-
me de deux typas de mélanges :
» mélange des mots d'ordre de chacun des groupes qui prétendent appor-
ter aujourd'hui un programme politique au mouvement étudiant ;
• mélange de ces mots d'ordre avec des questions qui les dépassent pro-
fondément :
. rôle du sociologue dans l'entreprise, le sondage d'opinion
et le conditionnement publicitaire,
. rôle des enseignants dans la diffusion de l'idéologie,
. rôle des scientifiques dans leurs rapports avec l'armée et l'in-
dustrie .
Celui-là ment qui prétend aujourd'hui - après les barricades - que la
réponse à ces questions se trouve dans un programme politique formulé
ou près de l'être. 11 ment et prend une certaine responsabilité =• celle de
ne plus laisser aux participants du 10 mai qu'une alternative = le déses-
poir ou le cynisme d'une part» le conformisme ou le repli dans le secta-
risme, d'autre part.
Nous-même n'avons pas de programme politique à défendre, at pour cela,
nous croyons parler le même langage'• que les "enragés". C'est sur la base
du même refus que nous, c'est-à-dire quelques anciens militants du mouve-
ment étudiant, avons entamé depuis un moment une recherche théorique et
pratique des raisons et des formes de la lutte révolutionnalra, recherche
qui constitue en elle-même une autocritique sévère de notre pratique pas-
sée et de notre situation présente.
Les étudiants, par la violence et l'importance numérique de leur mouve-
ment, ont réussi à provoquer un débat dont l'enjeu nous semble capital au-
tant que complexe, un débat que nous avons été jusqu'ici incapables de sus-
citer nous-mêmes dans les larges masses qu'ont ébranlées les étudiants.
Nous est-il possible, et serons-nous capables d'être révolutionnaires ?
Nous voulons, nous aussi, contribuer à ouvrir cette voie, si elle existe,
entre le désespoir et l'intégration - la différence entre les étudiants et
nous - pour l'instant - c'est que nous avons eu une mauvaise expérience
de la politique, qu'elle a certainement laissé des stigmates profonds dont
il faut que nous apprenions à nous débarasser.
Entre eux et nous', sont venus les situationnistes avec leur entreprise
de démystification de la vie quotidienne, du travail et de la politique, leur
volonté de mettre à jour l'idéologie de production/consommation ; est ve-
nu le mcol'sïic avecile souci qxie nous y voyons d'échapper aux détermi-
nismes économiques et d'engager un combat radical contre eux sur le plan
idéologique, sans pour autant quitter le terrain concret de la vie quotidien-
ne, celle des masses.
Mais par leur mouvement, les étudiants révèlent que même ces réponses
qui dépassent - et de loin - ce que fut la politique des années 60, sont in-
suffisantes , au moins pour notre pays, et sans doute pour tous les pays
développés industriellement.
Elles sont insuffisantes car elles ne leur disent pas comment, dans un
pays où le prolétariat ne dépasse pas 35 % de la population, il faut consi-
dérer les autres couches, autres que la bourgeoisie (nous nous proposons
de définir précisément les termes que nous employons ici en introduction):
sont-elles potentiellement révolutionnaires (la nouvelle gauche) ou réac-
tionnaires (la base sociale du révisionnisme, de la restauration du capi-
talisme) ?
C'est la question d'extrême urgence pour eux, les étudiants, qui sont
à l'Université pour devenir membres de ces couches. Elle l'est autant
et plus encore pour nous qui le sommes déjà.
La recherche que pour notre part nous avons tentée, a eu essentielle-
ment, pour l'instant, l'aspect d'une réflexion théorique. Nous n'avons pas
voulu continuer à considérer le marxisme comme un trésor prêt à servir
le jour où.....
Nous avons^ ouvert le coffre, nous y avons perdu des illusions mais nous
y avons gagné en ce qu'aujourd'hui la théorie ne nous parait plus si éloi-
gnée de l'action, si coupée d'elle, même si elles restent toutes deux en-
core problématiques.
Au moment où le mouvement étudiant est à la croisée des chemins, au
lendemain d'une action qui a changé bien des choses, qui a en particulier
ouvert la possibilité d'affronter avec quelque enthousiasme des questions
difficiles, nous livrons à la critique les résultats que nous avons obtenus.
Que cette critique nous aide à échapper aux risques inhérents à la méthode
que nous avons choisie (scientisme, académisme et sans doute paternalis-
me).
QUELLE EST LA PLACE DES "COUCHES MOYENNES"
DANS LES RAPPORTS DE PRODUCTION ?
Nous n'allons pas ici résoudre un problème où tout le monde a échoué.
Nous allons seulement énoncer un échec, celui de l'économie politique
marxiste traditionnelle, en chercher les racines et proposer une hypothèse.
ECHEC DE L'ANALYSE MARXISTE TRADITIONNELLE.
Le marxisme définit une classe par sa place dans les rapports de produc-
tion. Encore faut-il préciser les critères utilisés :
- propriété des moyens de production,
- production, ou plutôt création, de valeurs Ces marchandises) dont une
partie est appropriée par d'autres, la plus-value,
- pouvoir de décision, et de répression...
La bourgeoisie est définie comme propriétaire des moyens de production
employant des travailleurs salariés. Cette définition suppose que sont
définis sans ambiguïté, les moyens de production, la production elle-mS-
me, ce qu'il n'est pas possible de prétendre aujourd'hui, devant l'impor-
tance prise par le secteur dit improductif = les propriétaires d'entrepri-
ses aussi puissantes que MANPOvVER (travail temporaire) ou PUBLICIS,
détiennent-ils là des moyens de production (ou bien ne seraient-ils pas
des bourgeois D.Certes, on peut opposer à cela que Marx attribue au
capital commercial et au capital financier, c'est-à-dire à la bourgeoisie,
le rôle de créer les instruments nécessaires à la commercialisation des
marchandises, à la réalisation de la plus-value. Mais ce statut bâtard
dans la théorie ( qui introduit presque une analyse marginale) ne sous-
entend-il pas que la part relative de ce secteur ne doit nécessairement
rester assez faible ? On verra que cette question apparaît avec suffisam-
ment de force sur tant de points qu'il n'est pas possible de l'écarter.
Le prolétariat est constitué par l'ensemble des producteurs salariés, c'est-
à-dire de ceux qui, par leur travail; créent des valeurs et n'en reçoivent
qu'une partie en guise de salaire. Le reste est la plus-value, fruit de l'ex-
ploitation du travail prolétaire par le capital. Nous retrouvons alors la mê-
me question : où s'arrête la production, la création de valeurs et de plus-
value, biens matériels seulement, ou services ? Et une seconda question:
tous les salariés produisent-ils tous de la plus-value, n'y a-t-il pas de
salariés exploiteurs (les P.D.G. sont'Salariés'!)
Si Marx s'est contenté de ces approximations, c'est en partie parce qu'
elles étaient opératoires à son époque (les P.D.G. salariés n'existaient
pas encore). C'est aussi parce qu'il prévoyait une bipolarisation en deux
classes sociales : la bourgeoisie sans cesse réduite par le processus de
concentration, et le prolétariat toujours croissant, dont le travail devien-
drait de plus en plus simple, de plus en plus homogène. Or le système capi-
taliste n'a pas évolué dans ce sens =
1) Un nombre toujours plus grand de gens travaillent dans les secteurs
considérés comme non productifs dans les catégories de Marx : le secteur
de gestion et de distribution, le système d'éducation (il existe 10 % de corn.
merçants, 12 % d'employés, 10 % de cadres moyens environ). Nous ne sa-
vons donc pas les placer dans les rapports de production : ils sont presque
tous de simples consommateurs de la plus-value produite par'les
prolétaires.
Sans pour l'instant parler de leur'utilité'^ou de leur "inutilité, il faut
d'abord enregistrer ce fait : la théorie marxiste ne nous permet pas de
situer sur la base des intérêts économiques, l'un par rapport à l'autre,
le publiciste et l'ouvrier du bâtiment, pas plus que l'ingénieur en marketing
et la vendeuse des grands magasins. Elle nous interdit d'aller jusqu'à dire
que l'un est exploité par l'autre. Cela nous semble constituer un premier
échec.
2) Dans l'industrie proprement dite, nous buttons sur ceux des salariés
occupés à des tâches qualifiées, sur les techniciens, sur les ingénieurs.
La hiérarchie de salaires que nous connaissons et qui pénètre peu à peu
les pays socialistes d'Europe, ne peut Être ni justifiée (comme le fait le
P.C.F.), ni contestée à l'aide des concepts de la théorie marxiste :
-que ce soit celui de travail complexe
multiple du travail simple de référence ;
-que ce soit celui de force de travail
le salaire.
le travail complexe étant un
que le capital achète en payant
11 n'existe aucun instrument satisfaisant pour opérer cette décompo-
sition du travail complexe en travail simple .-Sur cette base on ne peut pas
évaluer l'apport d'un salarié à la production.
11 n'existe pas non plus d'instruments pour évaluer la force de travail,
pour distinguer entre ce qui est nécessaire (pour vivre, reproduire sa for-
ce de travail) à un ouvrier et ce qui est nécessaire à un cadre.
Des lors comment éviter de céder à l'empirisme? La tendance est alors
d'accepter la théorie marginaliste, et de prétendre donner aux gens des
salaires proportionnels à leurs productivités marginales (alors que ces pro-
ductivités dépendent intris èquement de l'organisation actuelle du travail,),
ou à postuler que la productivité est proportionnelle à la longueur des étu-
des, coup de force théorique purement réformiste.
Pour l'analyse des couches moyennes le marxisme nous propose un au-
tre concept pertinent qui n'est plus directement économique, celui de le.
division technique et de la division sociale du travail. La première est
l'expression de la seule nécessité technique de la production, la seconde
exprime les exigences politiques et idéologiques du maintien des structu-
res sociales et en particulier des rapports de classe. Les postes de la
division technique sont dans l'état actuel des forces productives, et quel-
que soient les structures sociales indispensables au maintien de la pro-
duction à son état actuel. Les autres au contraire (le. contremaître,le flic,
l'idéologue bourgeois) peuvent être supprimés dans une autre structure:
ainsi se trouve réintégré la problématique de l'indispensable et de l'inu-
tile qui ne coïncide pas avec celle de la production. Ces notions
sont peut-être simplistes : il n'est pas sûr par exemple, qu'il existe' à.un
moment donné une répartition technique des tâches bien déterminée } mais
cette notion n'est peut-être pas un cul de sac théorique. Elle n'a jamais
progressé pour des raisons politiques que nous verrons plus loin. Sa der-
nière utilisation en France fut malheureuse: en 1964 Althusser expliquait
dans la Nouvelle Critique que le rapport étudiant-professeur était un rap-
port purement technique. Les bureaucrates de la théorie, les marxistes
académiques ont refoulé deux ans la questioniils n'ont pu l'enterrer,
CONSEQUENCES DE L'INCAPACITE THEORIQUE.
Cette incapacité théorique a eu des conséquences graves dans le mou-
vement ouvrier. Dans les pays capitalistes les Partis Communistes n'ont
retenu que les éléments de la théorie marxiste qui favorisaient leur mou-
vement de social-démocratisation. Ainsi ils ont utilisé le modèle de la bi-
polarisation, fondé sur l'hypothèse d'un travail de plus en plus simple,
pour"isoler les monopoles" : l'ennemi de classe se réduit aux 2OO famil-
les en I93S. Il se réduit aujourd'hui à une poignée de monopolistes, on in-
vente les concepts "d'intérêts de la nation" et "d'intérêts du peuple."
L'emploi de la notion de peuple peut avoir un sens en Chine et au Viet-
namou il peut être défini comme la réunion des paysans et des ouvriers
( 9O % de la population selon Mao )tEn France ce ne peut être qu'un fourré-
tout réformiste. Le PCF a donc basé sa stratégie sur le soutien aux re-
vendications de toutes les couches non-monopolistes; il s'oppose à la ré-
duction de l'échelle de salaires en disant que les cadres ont des besoins
spéciaux, en particulier en loisirs! L'ingénieur de Sceaux a plus besoin
de la nature que l'ouvrier de Vitry... .En d'autres termes il légitime et
cautjpnne toute la structure sociale actuelle sauf les titres de propriété
des capitalistes sur leurs usines. Ce faisait il prépare au mieux un capi-
talisme d'Etat où se reconstruirait, à partir de tous les avantages hié-
rarchiques de pouvoir, de savoir, une bourgepisie sans statut juridique,
mais une bourgeoisie fonctionnelle. C'est pourquoi les inquiétudes des
étudiants sur le contenu de la tâche qu'ils exerceront plus tard, leur dé-
nonciation de l'Universit^ bourgeoise et leur critique des fonctions répres-
sives, heurtent profondément tout le schéma stratégique électoraliste
du PCF.
Il est pourtant clair que cela est vital aujourd'hui. Qu'apportera de fon-
d mental un socialisme où les mêmes ouvriers iront tous les matins, soumis
aux mêmes slogans publicitaires, vers les mêmes usines où ils trouveront
les mêmes tâches aux ordres dea mêmes contremaîtres ? Ile ont vidé l'idée
du socialisme.
Dans les pays socialistes le slogan "à chacun selon son travail" qui
fixe le principe de distribution socialiste, s'est trouvé vide de sens quand
il s'agissait de déterminer le salaire da l'ingénieur par rapport à celui de
l'ouvrier. On s'en est tenu à des intuitions approximatives : payer mieux
les personnels qualifiés. La hiérarchie des salaires soviétiques diffère
surtout de la nôtre par les faibles revenus de certains ouvriers (médecins,
enseignants).
En fonction des rapports de force idéologiques et en particulier de
la force des représentations du socialisme dans la conscience des ouvriers,
les dirigeants des pays de l'Est adoptent des politiques très différentes.
Les mouvements récents en Tchéquoslovaquie sont marqués par la
revendication de salaires plus élevés par les cadres, qui veulent, à côté
des revendications de libéralisme, aligner leur standing sur celui de leurs
homologues occidentaux, L'Humanité (Mai 1968) explique que la crise écono-
mique Tchèque a pour cause une hiérarchie des salaires trop fermée : elle
était bonne en 1948 mais, maintenant, pourquoi travaillerait-on davantage
si cela ne doit pas entraîner d'amélioration de niveau de vie (autre que gé-
néral). Effectivement que de progrès en 20 ans !
Castro au contraire, engage Cuba dans une lutte radicale contre l'éco-
nomiszne.
La Chine est un . autre contre-exemple. Elle limita sa hiérarchie des
salaires dans un éventail de 1 à 3 et la Révolution Culturelle a eu pour fin
d'empêcher la reconstitution d'une sorte de bourgeoisie fonctionnelle, tout
au moins d'une hiérarchie bureaucratique rigide. On ne prétend pas fixer
les salaires par des variables économiques, mais compte tenu des risques
idéologiques et politiques. La Révolution Chinoise représente sur le plan
théorique une rupture avec l'éconotnisme.
Cela apparait clairement dans les explications données par l'U.J.C.
(m.l) sur la Révolution Culturelle. La bourgeoisie n'y est plus 'définie"
par un critère de propriété, mais par des critères multiples : pouvoir,
travail intellectuel, idéologie. Cependant ces définitions sont extrêmement
floues..et .sans rigueur. Parfois il est fait allusion aux mécanismes différen-
ciateurs qui persistent dans la société socialiste. Parfois la bourgeoisie
nouvelle est présentée comme un reste hisJtQriau&dvLcapitalisme. Ces dis-
cours sont restés sans aucune rigueur-théorique. Ils ont été oubliés par nos
camarades M.L. quand ils paVlent de la réalité française : or il est clair
que les mécanismes différenciateurs (en particulier l'inégalité du savoir)
sont déjà à l'oeuvre dans les pays capitalistes comme ils jouent dans les pays
socialistes, et qu'il n'y a aucune raison d'en parler pour la Chine et non pour
la France. Les Camarades M.L. n'ont donc rien dit de pertinent depuis 6
mois sur l'Université : leur plateforme du 10 mai (50 % de fils d'ouvriers,
paysans, à l'Université, alphabétisation par les enseignants, travail manuel
périodique pour les intellectuels) plaquait au dernier moment quelques idées
de la Révolution Culturelle sur une situation toute différente et leur donnait
une allure réformiste absurde. Ces errements révèlent le fait qu'il est aujour-
d'hui impossible, pour avoir une pratique révolutionnaire adéquate
(en Chine comme ici^de se définir simplement Comme marxiste-léninistes,
gérants d'une théorie déjà faite. Ceux qui ne reconnaissent pas aujourd'hui
la crise de la pensée socialiste iront à l'échec ou resteront des groupus-
cules .
Nous allons maintenant présenter un essai d'interprétation critique du
rôle des couches moyennes dans l'Economie. Nous n'insisterons pas sur
leur rôle technique, celui des chercheurs, des ingénieurs et des techniciens
dans la mise en place de l'innovation technique et le développement des for-
ces productives . Parce que c'est un thème chéri de l'idéologie dominante,
le leitmotiv des réformistes apologétistes et de la flatterie électoraliste du
P.C. Parce que nous ne tenons pas à faire un discours académique équilibré
mais à donner les éléments d'une critique toujours refoulée. Parce que la
question d'aujourd'hui est la suivante ; en quoi les couches moyennes sont-
elles au service de la bourgeoisie, en quoi l'Université qui les forme est-
elle bourgeoise ? Enfin nous ne reprenons pas • le postulat marxiste se-
lon, lequel une classe ne peut être révolutionnaire que quand elle incarne le
développement des forces productives (cf la paysannerie en Chine) : il faut
et il suffit qu'elle soit profondément insatisfaite du présent et qu'elle se dé-
couvre un intérêt dans un modèle de société viable et jugé supérieur par les
couches sociales dont elle a besoin comme alliées. _I1 n'est pas possible de
s'en tenir à l'intprprétation mécaniste qu'on a trouvé chez Marx: l'idéolo-
gie d'une classe est révolutionnaire parce que cette classe incarne les for-
ces productives.
PU doit cependant bien . reconnaître comme problème inévitable :
quels sont les rapports entre l'idéologie d'une classe et son rapport aux
forces productives? Quelles raisons spécifiques à tello ou telle classe de
formuler les objectifs correspondant au modèle supérieur ? Une réponse
correcte à cette question passe par l'élimination du schéma marxiste qui a
enduit à l'idée réformiste: les intellectuels techtniciens sont la classe ré-
volutionnaire parce que liés au développement actuel des forces productives.
Elle permettrait de cerner mieux néanmoins l'intérêt politique et la
généralité des contradictions éprouvées par ces couches sociales.
UNE TENTATIVE DE CRITIQUE ECONOMIQUE : ROLE DES COUCHES
MOYENNES DANS LES REPONSES CAPITALISTES A LA MENACE DE
CRISE DE SURPRODUCTION.
Ce chapitre est inspiré du livre de 2 marxistes américains Baran et
Sweezy'Monopoly Capital, non traduit en français. Nous nous éloignons de
leur présentation mais reprenons une de leurs hypothèses principales : les
couches moyennes sont souvent des parasites, des "chômeurs" bien payés,
destinés à maintenir le niveau de la demande solvable, limiter le nombre des
prolétaires et d'éviter la réduction du temps de travail. Ces idées paraf-
tront-iîxcessives: nous les versons dans le débat en cours comme hypothèse
vraisemblable d'une extrême importance.
La criss.de surproduction devait résulter pour Marx d'un déséquilibre entre
l'offre de biens manufacturés et la demande solvable (des entreprises pour
les biens dé production , des particuliers pour les biens de consommation).
La bipolarisation bourgeoisie—.prolétariat et laPaupérisation du prolétariat
devaient limiter la capacité d'achat des masses: la production croissait donc
plus vite que la consommation, au moins dans le secteur des biens de con-
sommation et }& crise était inévitable. Ce schéma supposait que les
capitalistes - en concurrence parfaite - étaient incapables de prévision
et de coordination et ne sauraient trouver les moyens de limiter la produc-
tion et de faire croître suffisamment la consommation. En d'autres termes
que les entrepreneurs n'étaient sensibles qu'au gain de demain et aveugles
à la crise d'après demain. A ces aspects de surproduction relative (sous-
consommation) se superposent aujourd'hui, dans certains secteurs, (agri-
culture - alimentation par exemple) des aspects d'une surproduction absolue
correspondant à la saturation des besoins élémentaires,
Les crises ne sont pas entièrement surmontées (cf. la crise actuelle),
mais très limitées. Il ne suffit pas de dire que la monopolisation, la plani-
fication et le secteur statique facilitent les mécanismes anticrises - encore
faut-il voir comment ont été limitée l'offre at élevée la demande par rapport
à la logiqus immédiate du capitalisme.
On peut limiter la production en n'utilisant pas à plein la capacité pro--
ductive (c'est le suréquipement des aciéries américaines qui ne fonctionnent
qu'à 70 % de leurs capacités), en réduisant le nombre d'heures de travail.
Pour cela on peut jouer sur le nombre d'heures par ouvrier (réduction de
la durée de la journée de travail, augmentation de la durée des congés
payés), ou sur le nombre d'ouvriers. On peut enfin favoriser les produc-
tions cul-de-sac qui, sans être strictement de consommation,ne conduisant
à aucune production nouvelle ( les armements : la part de l'armée dans
le P.N.B. américain est passée de 0,7% en 1927 à 1,4%en 1933
et !O,3%yn 1957)' La science, en particulier sous la forme de la recher-
che spatiale (dont il n'y a que très peu à attendre) est une forme de dépense
du surplus.
Augmenter la consommation par l'augmentation des salaires (et effecti-
vement les pouvoirs d'achat des ouvriers eux mêmesont cru), mais aussi
par la multiplication de certains emplois de gestion de représentation, de
distribution, qui ne sont pas absolument nécessaires mais qui occupent des
gens et à qui l'on redistribue le surplus.
Le Capitalisme peut par exemple, se permettre de maintenir le volume
des couches sociales techniquement retardataires. C'est ainsi qu'on expli-
que, par une volonté à la fois économique et politique (masse électorale
conservatrice) le maintien prolongé jusqu'au milieu du XXè siècle en France
d'une petite paysannerie surnuméraire. Même à l'heure actuelle, après
l'exode rural massif des 20 dernières années, on évalue à 800.000 person-
nes environ au lieu de 1.700.000 actuellement employées le nombre de per-
sonnes requises pour maintenir la production au niveau actuel. Le capita-
lisme dispose donc de degrés de liberté importants qu'il utilise au mieux de
ses intérêts. Le désavantage du maintien d'un trop grand nombre de paysans,
c'est qu'ils ne consomment pas, en raison de leurs faibles revenus, et qu'ils
ne peuvent jouer un rôle idéologique organique au service de la bourgeoisie.
11 n'est donc pas étonnant que le capitalisme tende plutôt à engendrer des
emplois parasitaires dans le. secteur tertiaire où il peut leur donner une
fonction idéologique moderniste. Ce faisant, il gagne sur les deux tableaux :
il limite la croissance du nombre de prolétaires (qui impliquerait soit l'aug-
mentation de la production, soit la réduction du temps de travail), et fait
croître la demande solvable, et ceci d'autant plus que ces cadres sont en
général bien payés. Ce faisant, il crée une couche tampon, politiquement
associée par ses privilèges - prestige du travail intellectuel et salaires-.
On a donc pu employer à leur égard le terme de chômeurs bien payés.
Bien sûr l'analyse est shématique. Mais il suffit de regarder quelques
professions extrêmes pour se rendre compte que ce schéma recouvre une
réalité : La publicité par exemple est un phénomène important : 1% du PNB
en France, plus de 2% aux USA (par comparaison le budget militaire fran-
çais représente 4% du PNB). Ce secteur n'est pas çroductif, même au sens
margimliste ; au niveau de la branche : la publicité de Schell, iisso, Elf,
ne fait rien consommer de plus. Si ces entreprises n'en faisaient pas (par
un accord) elles vendraient autant d'essence. Mais que feraient-elles de
leur surplus ? De même pour les firmes pharmaceutiques qui innondent
chaque matin chaque médecin de 2 à 3 kg de publicité, revues luxueuses,
qu'il ne décacheté même pas. La publicité ne joue pas même le rôle d'orien-
tation vers la nouveauté : elle est surtout développée dans les secteurs,
alimentation, vêtement, automobile, qui sont au bord de la surproduction
absolue. Elle a donc pour seule fonction économique de maintenir ce que
les keynesieiisappellent la propension à consommer, c'est-à-dire la possibi-
lité'au système à fonctionner identique à lui même, à produire pour produi-
re.
Il y a de même une inflation de la bureaucratie : dans l'agriculture même,
secteur en régression,les fédérations de producteurs groupent une adminis-
tration pléthorique, qui sous couvert d'enquêtes, statistiques etc.. .,
jouent surtout un rôle politique. La bureaucratisation réglementaire peut
servir à créer des emplois parasitaires privés : ainsi l'obligation artificiel-
le de suivre des leçons d'auto-école.
11 existe enfin une inflation du secteur de gestion et de distribution propre-
ment dit. On maintien dans certains secteurs (habillement par exemple) de
nombreuses boutiques, ou de nombreux intermédiaires. Multiplication des
postes de distribution (essence), inflation des postes de gestion et de re-
présentation. Comparez à cet égard les 3 secrétaires de la chaîne Leclerc,
aux centaines des chaînes Prisunic, Printemps, etc..
Il apparait donc que la capitalisme a des choix potentiels, qui ne sont
d'ailleurs jamais explicités, jamais conscients. Le "choix" s'opère en ver-
tu, non pas d'un objectif économique comme il la prétend, mais en fonction
des intérêts politiques et idéologiques de la bourgeoisie. Ainsi il pourrait
a priori, surtout avec l'automation et le progrès technique , soit réduire
le temps de travail - ce qui a l'inconvénient d'élever le nombre de prolé-
taires - soit créer de nouveaux emplois de "chômeurs payés". Il a aussi
des degrés de liberté dans la ventilation des salaires (qui présente d'as-
sez grosses variations d'un pays à l'autre). Ceci témoigne du fait que les
apologistes mentent quand il nous présentent constamment la croissance
capitaliste comme l'unique (et la meilleure) voie de développement, quand
ils présentent le contenu de cette croissance comme déterminé par des lois
économiques nécessaires. Plus largement ceux qui refusent de passer à la
critique du contenu de cette croissance cautionnent la substance même du
système : l'économisme est ici cortme en Chine une forme du réformisme.
Il a des racines profondes jusque dans l'oeuvre de I/.arx : nous savons
aujourd'hui comment les investissements militaires , déterminés par des
choix politiques et idéologiques, orientent la recherche scientifique et par
là le contenu de l'innovation technique, donc le contenu du développement
des forces productives. Le socialisme ne peut pas ïtr-e aujourd'hui défini
seulement comme l'instrument d'un développement supérieur des forces
productives.
10
LE SYSTEME IDEOLOGIQUE.
En résumé, le rôle économique des couches moyennes présente des as--
pects très différents, qui ne. sont pas exempts d'une certaine ambiguïté.
En effet, on trouve dans leurs activités des aspects techniques évidents :
qui pourrait construire un barrage en ciment sans calculer son épaisseur ?
Toutefois la part de technique est variable dans l'activité suivant les caté-
gories socio-professionnelles.
Certaines d'entre elles ont un rôle dans la production. ; mais beaucoup
d'autres ont un rôle dans le maintien de la demande, et dans l'organisation
de la production dans le cadre de finalités imposées (planification, urbanis-
me, études de marchés).
Dans tous les cas on a vu que les couches moyennes ont en commun un
rôle important dans la résolution du problème de la surproduction (gonfle-
ment des salaires, inflation numérique, buts explicites de l'activité).
Elles jouent également un rôle important dans le maintien des rapports de
production, bien que ce rôle soit très différencié suivant les catégories!
elles maintiennent la hiérarchie sociale en contribuant à exclure des pou-
voirs de décisions ceux qui ne sont pas détenteurs de qualification.
Peut-on, pour autant, parler d'une unité idéologique des couches moyen-
nes ? Pour cela, il est nécessaire d'examiner si elles se situent de façon
univoque par rapport à l'idéologie dominante.
L'IDEOLOGIE DOMINANTE.
C'est une idéologie qui justifie la place qu'occupé chacun dans la pro-
duction et la consommation. Elle a une prétention universelle et totale :
elle peut tout expliquer.
Actuellement, une de ses composantes essentielles est la notion de progrès.
Elle affirme :
- au niveau social : le caractère univoque du développement des forces
productives dont l'expression est un accroissement quantitatif de biens.
Ce développement est assuré de façon optimale par la répartition actuelle
des tâches, tâches qui correspondent à des qualifications différentes et
n'impliquent aucun privilège dans le reste de la vie ( égalité devant la loi
par exemple) : c'est là "démocratie du travail". La justice sociale, c'est
l'égalité de tous devant l'instruction. Sa réalisation est inscrite dans le
développement même du système.
- au niveau individuel : c'est l'idée d'un épanouissement dans la consom-
mation et dans les loisirs.
Cet épanouissement est universel : tous sont égaux devant la consom-
mation (tout le monde peut acheter une télévision par exemple).
1.1
Bien sûr, cette égalité n'est pas parfaitement réalisée maintenant, mais
c'est justement en cela que consistera le progrès : une fois de plus il
suffit d'attendre, car le système actuel est celui qui seul en permettra
la réalisation.
C'est une idéologie "unidimensionnellc" : tout est réduit à la produc-
tion de biens (matériels) d'échange, et à la consommation de ces biens.
Sur cet axe production -consommation, le progrès c'est l'idée d'une trans
formation homothétique qui ne bouleverse pas la structure de la société.
De plus, conséquence de "l'unidimensionnalité", toute contestation est
rétrograde, car le seul progrès est celui que peut assurer le développe.-
ment de ce système .
Bile rend inutile toute analyse spécifique des situations, peu importe
qu'il n'y ait pas assez de fils d'ouvriers à l'Université, car cela se réa-
lisera bientôt.
En fait, elle fonctionne "circulairement"
est lui -même justifié par le fait .
Le fait créé le droit, qui
La majorité des étudiants échouent aux examens , donc il faut une
sélection. La sélection faite, il n'y a plus (autant) d'échecs, ce qui prouve
qu'il fallait faire une sélection. Br-A sûr ce discours n'est jamais aussi
complètement réduit à son squelette. Mais qui peut prétendre savoir com-
parer les COULS des échecs et celui de la sélection ? La justification du
critère des coûts: renverrait d'ailleurs à un raisonnement circulaire.
En résumé, il y a un double mensonge : une telle idéologie n'est pas
une explication, et son discours ne s'applique pas à l'ensemble des pro-
blèmes .
Systèmes de valeurs .
L'idéologie dominante opère sur toutes les couches socio-professionnel-
lesyinais elle s'exprime différemment dans chacune. Chaque groupe valori-
se des aspects particuliers dans l'activité professionnelle telle que la repré-
sente l'idéologie dominante (ainsi la compétence, le pouvoir, ou la proprié-
té). De même, chaque groupe valorise des formes particulières de la con-
sommation (volume, style),
Ainsi, les laborantines , les techniciens non qualifiés, exécutent une
tâche étroitement spécialisée totalement séparée du travail "créateur"
du patron -chercheur; ils perç.oivent un salaire du même ordre que ceux
des ouvriers. Comment ce prolétariat en blouse blanche supporte -t -il le
pouvoir du patron, et le spectacle des avantages considérables que celui-
ci retire de la manipulation de l'image de la compétence scientifique dans
la société (hauts revenus, voyages, rétributions multiples de ses fonctions
d'expert. ) ? C'est qu'il a intériorisé la valorisation, affirmée par l'idéolo-
gie dominante^ de la compétence scientifique exprimée par les diplômes.
Lui-même alors, a besoin d'un système da compensation, et c'est la distinc-
tion qu'il fait entre lui et le prolétariat industriel qui joué ce rôle : inca-
pable de la vivre réellement, il la signifie de manière imaginaire par son
style de consommation et l'affirmation de la supériorité du travail non ma-
nuel.
12
L'ingénieur n'a pratiquement pas de pouvoir de décision sur les investis-
sements et les projets de l'entreprise. Mais c'est lui qui décide de l'orga-
nisation du processus de fabrication qu'accomplissent les techniciens su-
périeurs et les ouvriers. Lui aussi valorise la compétence technique et
par là justifie son propre pouvoir, mais il peut être amené par là même à
réclamer une participation au pouvoir du technocrate. 11 cherche déjà à
s'en rapprocher par son style de consommation (maisons de campagne, bel-
les voitures etc. ..).
Pour lui, le progrès c'est sa future participation à la direction de l'en-
treprise : ce qui, d'après l'idéologie dominante, n'exige que la patience.
A cette perspective réformiste, il n'associe pas ses subordonnés, mais
cherchera à accroître la distance qui le sépare d'eux. Reste à savoir si
devant les refus qu'il essuiera, il intériorisera son échec ou ne sera pas
amené à critiquer certains aspects au moins du système ?
Ainsi chaque groupe est semblable à tous les autres en tant qu'il parti-
cipe de la mSme idéologie dominante, et se différencie au contraire par
son sys.tème de valeur.
Celui-ci est imprimé en lui par l'éducation (comprise au sens large : famille,
école, rue, curés, médecins) qui joue ainsi un double rôle : réalisation
par l'échec du découpage de la société suivant la compétence et justifi-
cation de cette différenciation.
DYSFONCTIONNEMENTS, MECANISMES LE FUITE, REINTEGRATION
Ce système a nécessairement des failles, des ruptures, il porte en lui
ses propres contradictions. Ainsi, il apparaît toujours des décalages en-
tre les systèmes de valeur et la réalité. Un exemple en est fourni par l'ina-
daptation de l'enseignement à l'évolution de la division technique et de la
division sociale du travail que l'on observe en France. Ou encore l'idéo-
logie dominante de la compétence se révèle ne pas décrire la distribution
réelle des pouvoirs.
Ainsi, cette société qui donne en modèle son fonctionnement et qui pro-
pose ses propres valeurs comme normes universelles de développement,
doit rejeter les situations aberrantes qu'elle sécrète : la délinquance,
les bidonvilles et les travailleurs étrangers, les noirs aux U.S.A., les
maladies mentales sont ,dans les sociétés les plus intégrées, la contre- ..
partie nécessaire de la réduction de l'homme "normal" à l'homme uni-di-
mensionnel.
Cependant, il existe des formes de rupture plus subtiles, inSme pour
ceux qu^ le système ne rejette pas en dehors de lui . Le temps n'apporte
pas toujours l'amélioration de l'acquit : l'augmentation du loisir secrète
plus d'ennui que de bonheur. Le chômage actuel, dû à une politique d'ac-
cumulation de devises en prévision d'investissements massifs lors de
l'entrée de l'économie dans le marché commun, s'attaque même aux cadres;
"l'Observateur" décrit la triste histoire du cadre-chômeur qui reste à
la maison pour faire les courses, la vaisselle et donner la biberon.
13
Réponses spontanées aux dysfonctionnements .
Mais le système produit an lui des mécanismes de réduction des rup-
turas locales qui sont ainsi plus ou moins immédiatement récupérées.
Ces mécanismes de fuite, qui déplacent le conflit objectif sous-jacent
aux ruptures locales vers des objets de fuite différents, font partie des
mécanismes de fonctionnement même du système. Les ruptures locales
sont déplacées, le conflit objectif subsiste. Le système se reproduit.
fonctionnera.
uni-dimensionnel product
la contestation globale.
a) Leur fonction idéologique fait que las élites exécutantes fuient le
plus souvent dans le réformisme qui entretient l'illusion de pouvoir réali-
ser la rationalité parfaite du système techniciste.
Ainsi on suppose que la suppression des monopoles et quelques
nationalisations suffiraient à réaliser le meilleur emploi des ressources
au bénéfice des travailleurs, qu'on suppose Stre le peuple tout entier.
Ces illusions sont reprises par les syndicats ou le P.C.F. Ces revendi-
cations sont doublement mystificatrices lorsqu'elles sont présentées com-
me radicales, car elles donnent l'impression qu'on peut dépasser le capi-
talisme en gardant la rationalité technicienne.
b) Dans les couches moyennes on observe toutes les variations de fuite
sur l'axe production-consommation (cf. l'exemple du technicien). On dé-
clara que la démocratie est atteinte grâce à la mobilité sociale et à
l'égalité de tous devant la consommation (consommation de masse). En réa-
lité, la recherche d'une distinction sociale fait partie des mécanismes de
fuite, et la démocratie n'est qua la possibilité de choisir la manière da
signifier sa distinction (achat de signes).
Certains, dont la position sociale n'offre pas de perspective de pro-
motion directe, peuvent tenter de fuir dans une direction conforme a l'idéo-
logie de la qualification, en suivant des cours du soir (P. S. T. par ex.)
qui préparent en dix ou quinze ans à un diplôme d'ingénieur avec des chan-
ces négligeables de réussite. L'échec qu'ils subiront n'en sera que plus
amèrement ressenti.
Les ouvriers qui sont contraints de renoncer à améliorer réellement
leurs conditions de travail cherchent une évasion dans la satisfaction de
besoins produits par la société ( T .V., voitures) alors que des besoins
plus fondamentaux sont à peine satisfaits. Dans ce cas la répression est
la plus forte : l'ouvrier n'est pas seulement unidimensionnel, mais uni-
directionnel .
c) A l'école ce crée le réflexe d'associer compétence et supériorité.
Lorsque la situation de travail empêcha l'individu de valoriser sa compé-
tence, il cherchera à affirmer sa supériorité dans d'autres domaines, lais-
sant la situation de conflit réel inchangée (recherche du leader-ship dans
différents types de relations sociales, ne serait-ce qu'au niveau de l'éru-
dition cinématographique).
14
d) Enfin lorsque ces possibilité d'évasion ne semblent même pas acces-
sibles à l'individu, il ne lui reste plus que deux possibilités :
- l'intériorisation personnelle de l'échec,
- la contestation radicale du système.
Dans le premier cas qui va du rêve jusqu'à la névrose, il pourra éven-
tuellement être réintégré dans le système avec l'aide des psychiatres et
psychanalystes dont le rôle se limite à réduire certains effets aberrants
du système, et ne va pas jusqu'à en dénoncer les causes sociales.
Agents de la répression et de l'intégration.
La mise en place et l'entretien dt ces mécanismes spontanés de réduc-
tion des conflits constituent un aspect important d'un grand nombre d'ac-
tivités professionnelles.
- La critique de la fonction idéologique des instituteurs et professeurs
est une vieille critique toujours refoulée, en particulier par le milieu
lui-même. Les échecs qu'ont rencontrés' les pédagogues novateurs tien-
nent essentiellement au fait qu'ils ont toujours sous estimé la dimension
politique du rapport pédagogique et de l'idéologie implicite du contenu de
l'enseignement : faute de mener simultanément une critique politique ils
échouent devant les résistances de leurs collègues et de leurs élèves.
- Quelques médecins ont commencé la critique de leur relation au ma-
lade. En fait, le corps médical profite de cette relation pour obtenir un
revenu exceptionnel (1 million d'A.F. par mois en moyenne) et il sera
pratiquement impossible d'enfoncer ce bastion du conservatisme de l'inté-
rieur ; son changement ne se fera que lorsque son prestige aux yeux des
masses aura été détruit par des dénonciations vigoureuses.
- Le mouvement du 22 mars a mis en évidence le rôle des psycho-socio-
logues dans la pratique des entreprises et des sociologues dans l'idéologie
théorisée.
- Le publiciste joue un rôle évident : son travail vise à faire apparaître
des besoins nouveaux, c'est-à-dire à consolider des valeurs qui soient
les plus favorables au système de production-consommation. Il est l'ins-
trument de la réduction des aspirations à celle de l'augmentation de là con-
sommation. Il utilise à cette fin toutes les variétés d^ mensonges.
- Un des cas les plus purs et les plus complexes est celui des scientifi-
ques. La science étant la source du*progrès technique*eet toujours consi-
<_ esi tui eut: que s exprime au puis REIUT pomi L idéologie au savoir et ue
la compétence, c'est elle qui passe pour l'expression la plus noble des va-
leurs technicistes et de leur dimension humaniste : la création.
Les patrons scientifiques acceptent de jouer devant le public le rôle
de figurants de la science et d'utiliser leur prestige de /'.créateur pour
présenter la science et ses valeurs comme la source du progrès pour tou-
te la société.et la poser comme suprême épanouissement de l'individu ; la
déontologie du savoir devient l'éthique sociale (Llonod).
Nous savons que le masque de la compétence cache seulement bien souvent
une plus grande ambition, chance et meilleure conformité au modèle social.
Pour les jeunes scientifiques il ne s'agit plus de revendiquer simplement
un "véritable rapport raéritocratique" niais de refuser le rapport hiérar-
chique traditionnel et la signification sociale de leur travail.
En fait les pontes ds la Recherche échangent un pouvoir illusoire et les
pourboires que leur distribuent les managers et l'appareil militaire
(salaire, voyages touristiques déguisés en congrès) contre l'abandon de
l'orientation de la recherche au profit des exigences des technocrates
(rôle de la "big science" dans la résorption du surplus et développement
des nouvelles techniques de répression comme dans le cas des sociolo-
gues) .
En définitive, en permettant ainsi le développement du secteur tertiaire
et la valorisation financière et idéologique du travail des cadres (plutôt
que de réduire par exemple la durée du travail), ce système capitaliste
réussit à résoudre ses problèmes économiques mais aussi ses problèmes
politiques en donnant aux cadres une fonction tampon, conservatrice,
répressive, assurant la cohésion idéologique du système.
UH EXEMPLE : LES ETUDIANTS.
L'Université a un caractère particulier en ce sens qu'elle condense
de façon latente plusieurs causes de dysfonctionnement.
- En même temps qu'elle transmet un savoir technique, elle a un rôle
spécifique dans la transmission des systèmes de valeur. Une première
source de contradiction surgit lorsque le système de valeur n'est pas
adéquat à la tâche ; au niveau des étudiants qui l'appréhendent, la pos-
sibilité de cette contradiction est déjà une source d'angoisse. Cela est
très visible dans le cas des sociologues ou psychosociologues (éduqués
dans les valeurs de "pureté" de la recherche, et de neutralité de la scien-
ce, et qui risquent d'être employés au service des entreprises du régime
capitaliste).
Pour réduire cette contradiction, la; solution parfiitc dans le cadre
du système actuel, serait la bureaucratisation complète (séparation totale
des tâches) accompagnée d'une division correspondante des enseignements
(spécialisation complète). Mais cette solution rencontre des limites, et
en fait, la menace de contradiction est permanente. En effet, la division
des tâches est en perpétuelle évolution. Il y aura toujours des tâches
auxquelles na correspondront pas de systèmes de valeur imprimés à
l'Université. Actuellement, le décalage est aggravé par l'absence d'orien-
tation dans las études, par un système de sélection par l'échec, qui
impose à chacun indistinctement le système de valeur correspondant essen-
tiellement aux tâches traditionnelles auxquelles destine l'enseignement
supérieur (recherche, enseignement).
Dès lors, les étudiants saisissent la nécessité de ce décalage pour
la majorité d'entre eux comme une aberration nécessaire du système. Ainsi
ils échapperont plus facilement à l'intériorisation individuelle du sentiment
d'échec et pourront remettre collectivement en cause le système.
16
- De plus, actuellement, le conservatisme de la structure universitaire
conduit à la juxtaposition desvaleurs du libéralisme (idéologie dominante
ancienne) et du technicisme. Il en résulte que le système de valeurs ré-
gnant à l'Université est en lui-mâme contradictoire, car il est hétérogène.
Au lieu de jouer son rôle de justificateur universel, il peut mettre en évi-
dence le caractère arbitraire de toutes les valeurs dominantes, et peut
donc conduire spontanément à une contestation qui, si elle comporte des
aspects nihilistes, peut également déboucher sur une critique révolution-
naire du système, grâce aux éléments d'analyse quelle contient.
11 y a donc chez les étudiants, et certains étudiants particulièrement,
des causes spécifiques qui ont porté leur révolte à ce point d'intensité.
Et il serait vain de croire qu'elle va s'étendre,sous le simple effet de
formules ravageuses aux murs des vilbes, à l'ensemble de la population.
Mais il est possible de postuler que ce qui nous a mis en branle, les con-
tradictions et les insatisfactions qui nous meuvent, notre haine du menson-
ge, la colère devant ce monde rigide, existent aussi, sous d'autres for-
mes, un peu partout autour de nous et que, dans des mesures diverses,
selon leurs situations de classe, des gens pourront s'y lever pour chan-
ger la société.
17
ET MAINTENANT QUELLES SONT NOS TACHES ?
Nous devons lutter sur deux fronts . Contre l'intellectualisme de ceux
qui voudraient agir comme si un mouvement révolutionnaire peut vivre
dans la seule Université. Contre l'évacuation vers les seuls problèmes
ouvriers, qui abandonne les' intellectuels et les couches moyennes à leur
triste sort.
Nous disons d'abord que le prolétariat a plus de raisons que les autres
classes de se révolter. Si notre analyse est correcte, il supporte le poids
par l'intensité et la longueur de son travail,-de l'inflation des couches
moyennes qui vivent en partie sur son dos. Il est par ailleurs victime des
mêmes réductions, des mêmes mensonges. Il cumule exploitation et alié-
nation. Mais il n'est pas à même, à lui seul, de démonter les justifications
idéologiques faites au nom de la rationalité technique du système. Pour
nourrir dans le prolétariat une idéologie révdulionnaire, il faut réveiller
et battre en brèche le fonctionnement de l'idéologie dominante dont il est
aussi victime. Pour cela il lui est nécessaire de trouver dans les couches
moyennes des alliés qui entreprenant haut et clair la démystification idéo-
logique, qui déchirent le tissu du mensonge, qui modifient donc la vision
respectueuse que les prolétaires peuvent avoir de certaines couches, qui
réinstallent la critique dans la vie.
Ceci est la tâche de critique externe ; ce qui signifie qu'elle ne peut s'ac-
complir dans l'isolement, qu'il est nécessaire de vérifier là compréhension
de nos idées dans les masses, de les corriger et de les enrichir. Il nous
parait donc nécessaire de passer par des expériences qui permettent
d'établir un rapport immédiat avec les conditions de via et les problèmes
des masses de la classe ouvrière. Il faut que de telles expériences trou-
vent un soutien réel, en même temps qu'un aliment théorique, dans la cri-
tique externe que nous nous donnons comme tâche.
Mais il est possible, même s'ils sont aujourd'hui par certains aspects^
les profiteurs d'une situation, que des éléments des couches moyennes fi-
nissent par épouser un projet révolutionnaire qui leur assurerait en fin
de compte une vie plus satisfaisante. Nous avons donné quelques indices
des problèmes internes qui, dansja pratique même de ces couches, peu-
vent être reliées organiquement à des contradictions générales ; le men-
songe y prend des formes particulières .
Pourquoi se priver de la possibilité d'utiliser aussi des contradictions
spécifiques à une couche, reliables à des contradictions plus générales,
pour l'ébranler, éventuellement la diviser et en gagner une partie à un
combat révolutionnaire. Tel peut être le cas du milieu étudiant.
Le mouvement de critique de la société bourgeoise commencé dans l'Uni-
versité doit s'amplifier s'enrichir et s'appronfondir. Il doit se prolonger
dans les diverses couches sociales (enseignants, scientifiques, médecins,
économistes, ingénieurs et techniciens) sur des bases solides : Pas d'ob-
jectifs réformistes, une critique démystificatrice destinée à faire surgir
des motivations révolutionnaires et à modifier la perception que les couches
ont les unes des autres.
18
Quant à l'expression théorique, elle sera le résultat d'une volonté
politique : les sciences humaines devront bien devenir la science des
formations sociales. Pour l'instant toutefois, elles s'orientent selon
des choix où l'idéologie du système est présente dans une grande mesure,
au niveau de la limitation des champs et de la méthodologie par exemple
(cf. les modes, formalisation, structuralisme...)
Ce sera encore l'objectif d'une critique à la fois externe et interne que
d'exercer une pression permanente contre le microscopisme, contre
l'économisme. Mais chaque résultat obtenu, chaque conquête de la pensée
socialiste doit être popularisée, discutée, et critiquée.
POUR ACCOMPLIR CES TACHES
FORMONS DES GROUPES D'ETUDE. DE CRITIQUE ET DE LUTTE.
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Le mouvement étudiant
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