Noir et Rouge: Cahiers d'études anarchistes, no.41

Thumbnail
NOIR
ET
ROUGE
cahiers d'études
anarchistes.
NM1 Prix : 1,70 F MAI 1968
Cahiers d'études Anarchistes
PERIODICITE : TRIMESTRIELLE
DES MOTS...
...Et rien que des mots ! Voilà ce que l'on entend souvent comme' reflexion
à la sortie des conférences et meetings, ceux des « autres » mais aussi ceux
des anarchistes. Et pourquoi y aurait-il grande différence au fond quand, devant
les problèmes de l'action et de la reflexion, on s'en tire par un péremptoire :
«Croyez en l'anarchie et tous unis nous vaincrons» asséné par le grand orateur
de service.
Nous avons déjà dit que le doute est révolutionnaire, que la remise en
question permanente est inséparable de l'indispensable prise de conscience pour
toute action révolutionnaire valable, nous disons, répétons et répéterons que le
mythe d'une idéologie infaillible, fût-elle anarchiste, le mythe de l'orginisation-
qui-amène-la-Révolution-et-résout-tous-les-problèmes, fût-elle anarchiste, sont
des notions non seulement fausses (et en ce cas on pourrait les t'aiter par
l'indifférence) mais aussi nuisibles et que nous devons combattre.
Nous pensons que devant les problèmes qui se posent dans le monde actuel,
on ne peut répondre au jeune s'interrogeant comme nous-mêmes sur la valeur
de son combat, ouvrier et étudiant, qu'il lui suffit d'entrer dans l'On;anisation
ou de lire Pierre Besnard à propos du Monde nouveau...
Si nous, anarchistes, procédons ainsi, nous ressemblons à toutes les organi-
sations, tous les partis que nous prétendons combattre. Quelle diffère ace alors,
sinon des mots, sinon une étiquette, sinon un emballage (consommez, la saveur
libertaire est plus agréable au palais...) ? Pourquoi pratiquer un avant-gardisme
ou un néo-blanquisme dont tout le monde (et les jeunes peut-être plus que
d'autres, n'en déplaise aux gens « d'expérience » ) a plus qu'assez ?
Nous entendons souvent les mots « Anarchisme », «Organisations, «Fédé-
ralisme» et parce que les anarchistes eux-mêmes refusent de répondre aux
vraies questions et se réfugient dans le passé ou les recettes, il n'y a plus chez
nous ni anarchisme, ni organisation, ni fédéralisme et les pleurs de tegret n'y
feront rien.
Chaque jour, on peut se trouver au cœur de l'action : la situation sociale
amène des grèves et des conflits de tous ordres (ex : Caen), les étudiants re-
muent un peu partout, et ne serait-ce qu'en France, à Nanterre, et des camara-
des entraînés dans le tourbillon se retrouvent agitateurs et exerçant de fait,
le rôle d'une minorité agissante quelconque. Devant les problèmes qui se posent,
et que d'ores et déjà ces camarades se posent allons-nous, à la place de confron-
tations et d'études réelles, continuer à répondre par des mots ?
NOIR et ROUGE
AUTOGESTION : quelques conclusions
iiijiiiiiimiiiiiiiiiiiumimiiiiiiiiiiimii
Nous avons fait dans plusieurs numéros des articles sur les mouvements vers
l'autogestion. Plusieurs camarades nous ont reproché de ne pas, avoir rassemblé
le résultat de ces études, voici donc un essai de conclusion.
Les mêmes idées sont exprimées différemment, sans qu'on précise d'impor-
tantes nuances, d'où la vigueur de certaines querelles apparemment oiseuses :
on opposera autogestion, contrôle de l'économie par les travailleurs, pouvoir
ouvrier, conseils, soviets : ne parlons pas de termes plus vulgarisés mais encore
moins clairs de collectivisation, socialisation, ou coopérât!visme (1).
Ce que nous voulons dire par autogestion, c'est que les élusses aujourd'hui
sans pouvoir - ouvriers, paysans, employés - sont aptes à gérer l'économie (donc
la société) sans la classe dirigeante (formée de plus en plus de techniciens dont
les idées politiques s'effacent pour consolider leur domination 3e classe) : mais
cette gestion, qui s'organise globalement, est fondée sur une appropriation collec-
tive directe des unités de production (ou de travail) de base C2).
Selon les préférences, on peut, si on est d'accord sur le contenu, appeler
cela le contrôle ouvrier, les conseils, les soviets, c'est à dire dans tous les cas
une'unité économique librement formée et fédérée à d'autres. Dans tous les cas
il ne s'agit pas d'une utopie destinée à être réalisée dans le calme plus tard,
une fois la. révolution faite, mais bien d'un mouvement réel, • expression maté-
rielle des classes exploitées dans la période d'organisation de la révolution, en
pleine crise ; autrement; dit dans la fameuse «période transitoire».
1) II importe de définir schématiquement ces fameux concepts :
La collectivisation a deux sens principaux : a) pour les marxistes s'est une économie
entièrement régie par l'organe de la collectivité ( = le peuple), c'est à lire l'état, b) pour
les anarchistes, chaque groupe économique s'organise de son propre içré en collectivités
qui se fédèrent de bas en haut, sans corps dominant.
La socialisation a la même sens que la collectivisation avec les mêmes divisions
idéologiques. (Pour les marxistes, l'étatisation a aussi le même sens).
Le coopérativisme a trois grands sens : a) pour les capitalistes : iaçon de promettre
le socialisme en ne donnant pas grand chose; b) pour la gauche : façon de s'initier au
socialisme et de concurrencer légalement le capitalisme; c) en période révolutionnaire,
les révolutionnaires nomment généralement la collecnvisation coopérativisme pour ne
pas effrayer les capitalistes (qui en général sont plus au courant des réalités et des
peurs à avoir que les révolutionnaires).. En échange toute mesure vagiement sociale, est
saluée par le capitalisme comme un pas vers le coopérativisme.
2) Pannekoek : « les conseils ouvriers sont la forme d'organisation de la période de
transition pendant laquelle la classe ouvrière lutte pour le pouvoir, détruit le capitalisme
et organise la production sociale » (cité dans : Cahier de discussion pour le socialisme
des conseils) (sept 1965, n° 6)
Malatesta; «la révolution comme nous la voulons doit être le commencement de
la participation active, directe et véritable des masses, c-a-d de tous à l'organisation et
la; gestion de la vie sociale ».
Kropotkine : «la part du peuple dans.la révolution doit être positive en même temps
que destructrice. Car lui seul peut réussir à réorganiser la société sur des bases d'égalité
et de liberté pour tous. Remettre ce soin à d'autres serait trahir la cause même de la
révolution. »
Nous ne voulons pas dire que les Conseils ouvriers, l'Autogestion soient
limités à la période transitoire, mais nous voulons insister sur une remarque
qui est la suivante : - la critique matérialiste de la société capitaliste est souvent
commune à tous les révolutionnaires : - de même, les grandes lignes de la société
future (stade communiste) sont en théorie communes à tous (même les .staliniens
peuvent dire : « au fond, nous autres et vous, les « anarchistes », nous: sommes
d'accord...»). Seulement, entre le purgatoire d'aujourd'hui et le Paradis de
demain, il faut affronter l'Enfer : la crise ; il y a une période dite de tr insition :
le renforcement de l'Etat «au service du Peuple» n'aboutit qu'à la cristallisa-
tion d'une nouvelle classe dirigeante d'anciens bourgeois et de nouveaux arrivis-
tes ex-travailleurs, et le dépérissement de l'Etat n'a aucune justification histo-
rique ou théorique (3) alors que la prise en main de la société par les exploités
s'est toujours jusqu'ici exprimée par la généralisation de l'autogestion.
Les exemples historiques
Les premiers mouvements de gestion ouvrière apparaissent en Bussie en
1905. Ensuite nous avons Ancone en Italie en 1914 (présence des anarchistes) et
les nombreux et puissants mouvements qui suivent la première guerre mondiale :
Spartakistes en Allemagne, ouvriers hongrois, russes (soviets de 1917) et italiens;
en Amérique latine, les «ejidos» mexicains (communautés agraires). Toutes ces
expériences ne durèrent au maximum que quelques semaines. Les ejidos n'eurent
un véritable_ développement qu'en 1936.
La période 1918-20 voit l'élaboration théorique de ces mouvements qui
n'avaient été prévus par personne. Mis à part Lénine qui les subordonne lu parti,
la plupart des penseurs les mettent justement en valeur : Voline er Russie,
Fabbri, Malatesta et le marxiste - hétérodoxe à ce moment - Gramsci en Italie,
le marxiste, fondateur du communisme de conseil, Pannekoek en Hollande.
La deuxième guerre mondiale est précédée du mouvement espagnol 1936-39.
L'après-guerre est marquée de mouvements vite étouffés en France (usines
Berliet), Pologne, Bulgarie. Ces essais sont aussi d'une durée très restreinte, sauf
en Espagne (juillet 1936/mars 1939, mais en fait août 36/décemfare 38). Au
Mexique, les ejidos continuent d'exister - aujourd'hui aussi -, mais ils sant très
concurrencés par le secteur privé. En Israël, les kibboutzim sont off cialisés.
Plus récemment nous avons la Yougoslavie vers 1950, la Hongrie en 1956 et
l'Algérie en 1962.
Ce catalogue historique ne prétend pas être complet; il nous permet de
tirer certaines conséquences ;
Les faits ont précédé la théorie ;
—lorsque le capitalisme n'assume plus la responsabilité de la productio:i (crise
économique ou politique; pour la Yougoslavie, voir plus loin), spontanément,
3) «Lorsqu'un homme est arrivé à la vieillesse, il va vers sa fin: il en est ce même
pour un parti politique. Quand les classes auront disparu, tous les instruments de la
lutte de classes, partis politiques et machine d'Etat, n'ayant plus de rôle à jouer n'étant
plus nécessaires dépériront graduellement, achèveront leur mission historiqus et la
société humaine accédera à un stade supérieur». (Lapalisse ou Mao-Tsé-Toun? : «De
la dictature démocratique populaire, 1949, Ecrits choisis, Maspero 1967).
sans qu'il y ait eu de propagande en ce sens; le prolétariat prend la direction
des usines;
—toute une série de mouvements de 1917 à 1936 sont la conséquence de l'étale-
ment de la crise mondiale. En Israël, en Yougoslavie, en Hongrie et en Algérie,
il s'agit de crises plus délimitées.
—la spontanéité ne dépasse pas certaines limites de temps et d'espace, l'élabo-
ration de la théorie est son prolongement inévitable. En effet, la théorie met
l'accent sur 2 plans : politiquement défendre les avantages acquis du fait de la
possession des moyens de production, économiquement assurei les échanges entre
les usines, leur ravitaillement, celui de la population, etc...
Il nous semble que deux constatations ressortent de cet;e analyse, sponta-
nément le prolétariat peut faire l'autogestion de même qu'il peut faire la
révolution, l'organisation, la conduite à long terme dépendent d'un plan, d'une
vision d'ensemble ; pratiquement nous aurons donc des pays où la propagande
pour l'autogestion se conjuguera avec l'apparition spontanée de cette idée dans
le prolétariat à la faveur d'une crise.
Quatre exemples privilégiés
Après une crise économique (conséquence de 1929) et un CDUP d'Etat politique
et plusieurs années de propagande pour la collectivisation Surtout anarchiste
ek en partie socialiste) les ouvriers et les paysans espagnols, c.ans de nombreuses
régions prennent possession des usines et des terres. La ma;;se est préparée, la
collectivisation est appliquée de bas en haut, entérinée au dér art par les gouver-
nements de Madrid et de Barcelone. Les secteurs collectivisés sont les transports,
l'industrie lourde, l'agriculture et une partie du tertiaire.
Après une crise économique et politique en Palestine i.ne propagande en
faveur du collectivisme, des îlots économico-militaires sont crées; lorsqu'Israël
se forme, les kibboutzim étant composés de nationalistes, ils se soumettent
entièrement à l'Etat qu'ils n'ont jamais mis en question. Le secteur collectivisé
est l'agriculture et quelques industries de transformation installées postérieure-
ment.
En Yougoslavie après une crise politique (rupture aveo le Komintern et
liquidation de l'opposition interne) et économique (pas de commerce avec les
autres pays dits socialistes), sans qu'il y ait eu de propagande collectiviste, l'Etat
instaure l'autogestion pour s'assurer une base sociale. Le secteur collectivisé
touche les domaines modernes de l'agriculture et de l'industrie.
En Algérie, après une crise politique et économique (guerre et départ des
colons), sans propagande préalable, les fellahs s'emparent dei; terres; le gouver-
nement reconnaît la situation. Le secteur moderne de l'agri culture et quelques
secteurs de l'industrie (8% des'travailleurs) sont collectivisés.
Sur le plan général, trois leçons nous paraissent se dégager :
En Espagne, en juillet 1936, le président de la Généralité de Catalogne
(organe régional du gouvernement central) Companys, offiit aux travailleurs
et aux anarchistes en armes, et vainqueurs des fascistes, so: t de démissionner,
soit de rester. Des anarchistes acceptèrent que l'organisme d'Etat continue, avec
leur participation. Et en mai 1937, la police et les troupes de la Généralité atta-
quèrent ces mêmes travailleurs et anarchistes, tentant notamment c'enlever le
central téléphonique de la ville, autogéré.
En Allemagne, certains conseils laissèrent en place les organisées d'Etat,
provisoirement inoffensifs. Quelques semaines plus tard, ces derniers avaient
rassemblé leurs forces apeurées, et se trouvaient à pied d'œuvre pour la répres-
sion la plus sanglante.
En Algérie un appareil d'Etat d'abord inefficace avait accepté l'autogestion.
Une fois renforcé il n'hésita pas dans certains cas à essayer de la supprimer
par la force : à El-Achour en Mitidja, l'armée intervient, confisque les fonds et
met 3.000 ouvriers agricoles en chômage. Ces derniers temps, on aurait fusillé
des « meneurs ».
La coexistence est une duperie. Si l'on veut supprimer l'appareil d'Etat,
c'est dans les premiers jours qu'il faut le faire, violemment et systématiquement.
Attendre d'être plus fort pour l'affronter est irréaliste, car il n'est à natre merci
que pour peu de temps. Le tolérer par «démocratie», c'est tolérer l'Dppression
par quelques-uns au nom de tous : l'Etat n'est pas une opinion polilique, c'est
un système de répression. (4)
II en est de même en ce qui concerne la limitation à un secteur économique :
En Algérie, la reconnaissance légale de l'autogestion a eu comme conséquence
d'en faire un secteur bien délimité dans le cadre presque inchangé de la coloni-
sation dernière manière (Plan de Constantine). La cœxistence d'un puissant
secteur privé et d'un secteur d'Etat avec le secteur autogéré aboutit ;iu dépéri-
ssement à long terme de ce dernier, par son intégration aux lois du marché
capitaliste (la liquidation est d'autant plus consciente qu'ici les bureaucrates
d'Etat sont souvent eux-mêmes nouveaux propriétaires terriens ou industriels
commerçants)
Sur les grands domaines dont les propriétaires sont des bourgeois algériens
rien n'est changé. Rien n'est changé non plus, c'est moins grave à court terme,
sur les misérables parcelles des fellahs. Autogérer les terres des colons cela
permet de masquer l'exploitation par des Algériens et de détpurner l'attention
des profits faits par la nouvelle classe algérienne (cela permet de faire passer
des décrets de restitution de domaines à leurs anciens propriétaires algériens).
Enfin, la persistance des lois du marché explique en grande parti ; que les
entreprises autogérées, isolées, dévient dans une concurrence entre elles et
s'intègrent en définitive au capitalisme. Cette tendance des entreprises est tout
le contraire du fédéralisme. Il ne s'agit plus dans ce cas pour elles que • l'acquérir
le plus possible de bénéfices même, s'il le faut, au détriment des autres conseils
d'usine.
C'est la réapparition du profit et de l'arrivisme capitalistes, avec 3ette dif-
férence qu'il n'y a plus un propriétaire, mais des dizaines, avec une capacité
identique.
4) «En laissant à tous les partis et organisations politiques pleine et entière liberté de
propager leurs idées, l'armée des insurgés makhnovistes tient à prévenir tous les partis
qu'aucune tentative de préparer, d'organiser et d'imposer aux masses labor.euses une
autorité politique ne saurait être admise par les insurgés révolutionnaires, de tels actes
n'ayant rien de commun avec la liberté d'idées et de propagande » Ekaterin >slaw le 5
Novembre 1919 — Signé : le Conseil Révolutionnaire militaire de l'armée de; Insurgés
makhnovistes. (cité, Voline, p. 601).
«A Barcelone, et dans presque toutes les villes, dans les centres industriels
de Catalogne, chaque usine fabriquait et vendait ses produits pour son propre
compte, chacun cherchait ses clients et les disputait à l'usi:ie rivale. Un néo-
capitalisme ouvrier était né... Dans le commerce, le même néo-capitalisme se
manifestait sur une échelle beaucoup plus grande. Dans les u;;ines et entreprises
qui étaient aux mains des syndicats, la production augmenta, ou du moins il n'y
eut pas de déficit; dans la mesure des ressources disponibles, le rendement y
était toujours supérieur. De plus, il n'y eut pas l'immoralité des salaires deux
ou trois fois supérieurs selon les matières premières disponibles et le talent
commercial».. (5)
En Yougoslavie, on avait remarqué que l'Etat patron entietenait la concur-
rence entre les entreprises «autogérées». L'autogestion réduite à l'usine n'est
donc qu'une caricature qui ne change rien au système. Il y aura à faire une
tâche gigantesque de planification fédéraliste pour permettre un développement
socialiste de l'économie, ainsi qu'un gros travail de rassemblament de données
statistiques accessibles à tous.
Pour conclure sur ces trois points, plus le choc initial, la lutte armée, aura
détruit l'Etat et la classe possédante, plus l'autogestion au:ra le temps et le
besoin de s'étendre et de s'organiser, ce qui est essentiel à ;;on maintien et à
son succès définitif.
Leçons techniques
Comme les expériences d'autogestion n'ont jamais dépassé le cap de quelques
années (toujours troublées), les problèmes que nous allons voi:- maintenant sont
très hypothétiques. Cependant, nous considérons que ce sont des problèmes
fondamentaux de l'autogestion.
A) Economie : Le capital de départ et son remboursemer.t, la propriété de
terre et des moyens de production.
En Espagne, bien des collectivités aux ressources économiques sensiblement
identiques prirent un départ très différent par suite de la présence ou de
l'absence de capitaux.
La nécessité d'un fonds commun de crédit devient évidente si l'on pense à
certains villages d'Aragon où l'on ne collectivise guère que la misère. Le problème
de la constitution et l'amortissement du capital, de l'investissement, du rembour-
sement du capital prêté a été la pierre d'achoppement des expériences auto-
gestionnaires que nous avons considérées. Notons aussi que ce problème agite
aussi les économistes « soviétiques » (discussion Libermann) Doit-on intéresser
les unités de production aux « profits » (excédents) qu'elles réalisent? Dans
l'affirmative, deux cas se présentent : ou bien l'entreprise réinvestit ses profits
devient grosse entreprise riche, travailleurs mieux rémunérés stc..., ou bien elle
prête ses excédents monétaires, contre un intérêt, et alors elle se comporte en
capitaliste collectif. Dans les cas que nous avons étudiés, se fais lit toujours sentir
la nécessité d'une banque (centrale, régionale...) pour financer les investisse-
ments des unités autogérées, en régime socialiste; en régime d'autogestion
généralisée, il nous semble qu'il faudrait dépasser même l'idée du crédit gratuit
5) G. Levai « L'attività sindacale nella trasformazione sociale »
6
de la banque mutuelle de Proudhon. La collectivisation totale di; l'économie
devrait entraîner l'appropriation collective des excédents de la production et
leur affectation soumise aux décisions des organes centraux ; af f ;ctation qui
peut (sans clause de remboursement) aller non seulement aux entreprises
« pauvres » mais aux productions non « rentables » (capitalistiquemcnt parlant)
et d'intérêt local, régional, général qui dépasserait l'optique de la seule entrepri-
se. Il n'y a pas de recettes à fournir pour l'avenir mais nous devons lever une
ambiguïté : notre critique des récupérations et des anéantissements de;; expériences
autogérées par l'Etat et le secteur privé de concert ne doit pas faire croire que
nous nous élevions théoriquement contre toute ingérence de la collectivité dans
la gestion d'une unité de production délimitée ; soulignons donc ,:i propos du
problème des investissements qui est particulièrement préoccupant à, cet égard,
que nous ne concevons pas le système autogestionnaire comme li. fédération
et l'affrontement des intérêts particularistes, un nouveau féodalisrre industriel
n'est pas notre modèle, notons encore, cependant, que les mesures « institution-
nelles » ne nous semblent pas épuiser le problème, la solution devant vraisembla-
blement être aussi cherchée dans la « restructuration socialiste de l'homme »
dont parle W. Reich : liquidation des stases névrotiques, comme préalable à
l'émergence d'une éthique socialiste, coopératiste, autogestionnaire. Selon une
période de temps où il sera tenu compte de l'évolution économiqus et sociale
de la collectivité, ce qui implique un contrôle et la possibilité de sanctions, ce
que nous approfondirons plus loin.
La suppression de la propriété de la terre et des moyens de production doit
être obtenue rapidement pour éviter l'équivoque de 1936-39, périoie pendant
laquelle les anciens propriétaires allèrent jusqu'à faire des procès peur expulser
les collectivistes de « leurs » terres. Cette mesure implique la suppre ssion de la
dualité économie collective et non-collective, ce qui est impossible autrement
que par la force.
En Israël, le fonds juif qui acheta les terres, avança aussi l'argent aux
kibboutzim. En Algérie, le problème ne s'est pas ou peu posé dans l'agriculture,
où seul le secteur moderne a été autogéré. Il se serait posé si un mouvement
d'autogestion s'était déclenché dans le secteur traditionnel (pauvre), parmi les
petits fellahs. Une harmonisation des secteurs aurait été nécessaire. D ms l'indus-
trie le faible secteur autogéré a vu se développer une entraide d'usine favorisée
à usine défavorisée.
B) Social
a) planification, sanction, fermeture et déplacement d'usines.
Toutes ces mesures furent approuvées au Plénum économique de Valence en
janvier 1938, la CNT était alors en plein délire réformiste et le droit à la
révocabilité et aux libres élections responsables avait été bafoué et n: était prévu
nulle part.
Mais si la révocabilité manquait, les autres mesures restaient parfaitement
valables : les problèmes de construction de barrages hydrauliques et de dis-
cussions avec les habitants des futurs villages inondés, les fermetures et les
concentrations d'usines, les déplacements de main-d'œuvre et les changements
de métier seront toujours là, puisqu'il y aura toujours des impérasifs écono-
miques.
b) Les fédérations d'industrie.
Le problème s'est posé en Espagne; la collectivisation arrivée, on s'est aperçu
que les transports, par exemple, appartenaient à plusieurs syndicats différents,
mais que les-transports comme organisme pouvant disposer et fournir des
véhicules n'existaient précisément pas : l'organisation syndicale modelée sur
l'organisation ancienne capitaliste ne correspondait plus aux besoins nouveaux.
Elle a eu du mal à dépasser ces cadres anciens.
c) Alourdissement de l'organisation et désintérêt :
Le développement d'un élément de direction entraîne souvent un alourdissement
qui provoque une indifférence de la base : dans les kibboutzim, on constatait
«.une tendance de l'assemblée générale à devenir passive en ce qui concernait
les décisions économiques, depuis que la complexité de ces problèmes est devenue
telle que,, pour pouvoir en juger, il est nécessaire d'en avoir une connaissan.ee
particulière. « (Noir et Rouge n° 23). Même problème à l'échelle d'une coopérative
ouvrière en régime capitaliste : « le contester (le bilan de fin d'année) ça
n'arrive jamais; c'est excessivement difficile car nous n'avons pas les connais-
sances nécessaires pour pouvoir contester» (Enquête radieiphonique sur les
associations, janvier 1964) II est certain que la séparation, r.ormale en société
capitaliste, entre «problèmes techniques» et «problèmes politiques», enlève
beaucoup de leur intérêt aux premiers. Mais aussi, sans la ;ransmission et le
développement des connaissances techniques pour tous, on ne peut plus parler
d'autogestion. On peut aussi envisager des solutions d'organisation (rotativité
des équipes de gestion).
d) Incitation au travail et différenciation salariale :
Les marxistes au pouvoir ont résolu le problème, dès 1918, en reprenant le
système capitaliste de la différenciation des salaires, et proposaient de payer
largement les techniciens parfois indispensables. Même chose en Algérie où
comptables et mécanos étaient très recherchés ; dans certa.nes exploitations
où l'égalité des salaires était complète, ils sont partis dans le secteur privé
(évidemment si on avait supprimé ce dernier...) En Espagne, le congrès économi-
que dont nous avons parlé maintenait les différences, en le;; réduisant. Tous
les métiers étant bien loin d'avoir le même intérêt, il y a aussi m problème.
Nous laissons de côté le problème des techniciens supérieurs, recherche
scientifique, etc. qui ne se pose pas immédiatement lors des premières années
révolutionnaires. (Il faudrait ici approfondir la question de l'éducation).
Et maintenant, on peut se demander : faut-il « faire que! que chose » pour
l'autogestion ? S'il s'agit d'un îlot d'autogestion actuel, le soutenir n'a de sens
que si l'on est dedans : ainsi récemment, les travailleurs de l'usine Pinno-Pax
(machines à coudre) dans la banlieue de Liège, voyant leur usine fermée à la
suite d'un krach frauduleux de la direction, la font marcher eux-:nêmes; l'exemple
est évidemment aussitôt récupéré par les centrales syndicales et les revues
progressistes; mais, ceux de l'usine ont fait ce qu'ils voulaient faire. (I.C.O.
mars 1968).
Mais il serait stupide de penser qu'une propagande pour l'autogestion va
amener la révolution. L'information sur l'autogestion doit s'irtégrer dans une
information sur le capitalisme ici, aujourd'hui, c'est à dire sur le développement
du système d'exploitation et sur la façon dont jusqu'ici la classe dirigeante a
contrôlé tant bien que mal ce développement.
Il pourrait être utile aussi, et possible, de comparer les points de vue d'un
certain nombre de minorités révolutionnaires, qui sont pour les Conseils ouvriers,
ou pour le Contrôle ouvrier etc. (voir notre paragraphe au début sur les divers
termes) et de voir s'il y a vraiment des différences. Informer e; s'informer,
clarifier entre un certain nombre de gens déjà (en théorie) révolutionnaires
comme nous nous prétendons tous, c'est une tâche qui, si l'on veut la mener
à bien parallèlement, à la lutte de tous les jours, ne sera ni facile, ni sans
importance.
SA BADEL1
NANTERRE
Une brochure-dossier va être faite sur les événements de cette faculté. Les
camarades intéressés pourront se la procurer en nous envoyant tn franc en
timbres.
ORGANISATION
Nous sommes en train de terminer une brochure sur la «plateforme d'Archi-
nov» qui décrit les discussions et expose les différentes positions à partir
de textes.français et russes; (envoi contre un franc en timbre).
REPRESSION
Notre rubrique « solidarité » s'agrandit, hélas, à chaque numérc. Après les
cinq camarades dont nous avons souvent parlé, un autre militant de la F.I.J.L.,
David Urbano, a été arrêté fin décembre et écroué lui aussi à Madiid. Il vient
d'être condamné à 6 ans de prison.
Nous apprenons enfin que le camarade Octavio Alberola a été ippréhendé
à Bruxelles en février et est depuis emprisonné à Forêt.
Attention ! Expédier tous fonds au C.C.P. : 15 979 72 — Paris. M. Gérard
SCHAAFS.
FINANCES
Jusqu'à ces derniers temps l'état de notre trésorerie, sans être florissant,
ne nous causait pas d'inquiétude. Mais actuellement, nous avons c.es besoins
accrus... Nous remercions les camarades qui nous envoient déjà de l'argent,
souvent plus que le prix de leur abonnement. C'est grâce à eux que nous avons
pu nous développer.
VIENT DE PARAITRE
DE MICHEL BAKOUNINE
« FEDERALISME - SOCIALISME - ANTITHEOLOGISIVIE »
Un volume cartonné de 280 pages : 12 F (réduction aux groupes)
Edité et diffusé par G. Natal 25, rue des Boulangers Paris (5e)
C.C.P. 2338387 Paris
Envoyez vos commandes à l'adresse citée.
LES CONSEILS EN RUSSIE 1917-
Le numéro 4 des cahiers de l'autogestion (Décembre 1967) donne une série
d'études très intéressantes sur les problèmes de l'autogestion lars de la révolution
russe de 1917. Ce sont : «Les comités d'usine en Russie à l'époque de la Révo-
lution (1917-18) » Anna Pankratova, qui est le travail d'une historienne contem-
poraine du mouvement et membre du Parti Bolchevik; c'est une étude orientée,
mais qui apporte des informations très précieuses. Viennent ensuite deux études
d'intellectuels «modernes», «Lénine et le contrôle ouvrier» de D. L. Limon, et,
concurremment, «La gestion ouvrière et les positions de Lérlne» d'Y. Sartan :
elles contiennent de nombreux textes bolchevik (pas seulerr.ent de Lénine) et
cela est très utile.
A côté de cela, l'apport de reflexion des deux auteurs est dans la plupart
des cas, une redite maladroite des positions traditionnelles les plus réactionnai-
res sur l'autogestion; je dis maladroite parce que ces positions sont toutes
utilisées, sans qu'on se soucie de voir si elles ne sont pas contradictoires. Enfin
<; Les Soviets, quels soviets ? la théorie marxiste d'Otto Bauer et la pratique
de Lénine» d'Yvon Bourdet, exposant la thèse très discutable .nais ici clairement
exposée, selon laquelle les Conseils n'étaient pas à long terne viables à cause
de_s conditions objectives en Russie et dans le monde. Nous reprendrons ici
quelques points de ces trois dernières études, mais évidemmsnt notre critique,
trop brève, ne dispense pas de les lire.
Pankratova montre nettement l'opposition, dès le début entre une tendance
«réaliste» majoritaire dans le parti, et une tendance qu'elle qualifie d'anar-
chiste, mais qui semble avoir dépassé assez largement le nombre à l'époque très
restreint des militants anarchistes russes (nombre encore plus restreint si l'on
considère que certains « anarchistes » se désintéressaient de ce genre de ques-
tion). La tendance réaliste (celle de Lénine... et de pas mal d'autres profession-
nels !) est bien illustrée dans ce décret qu'elle fabriqua poar «organiser» le
mouvement.
« Article 7 — Le droit de donner des ordres dans la gestion de l'entreprise,
sa marche et son fonctionnement revient au seul propriétaire. La commission
de contrôle (ouvrière) ne participe pas à la gestion de l'entreprise et n'a aucune
responsabilité à raison de sa marche et de son fonctionnement. Cette responsa-
bilité continue à incomber au propriétaire... Art. 9 — La commission de contrôle
peut, par l'intermédiaire de l'organe supérieur de contrôle ouvrier, soulever la
question du séquestre (éventuel) de l'entreprise ou d'autres mesures de contrain-
te envers l'entreprise, mais elle n'a pas le droit de s'emparer de l'entreprisse, ni
de la diriger». l'Art. 14 stipulait que la commission devrait obéir aux instances
supérieures (cité par Limon p. 92).
L'autre position était également claire : la voici telle qu'e'le est décrite par
Pankratova (p. 53) :
«Le contrôle de la production et les commissions de contrôle ne doivent
pas être seulement des vérificateurs mais doivent, à l'heure actuelle être ces
cellules de l'avenir qui dès à présent préparent le transfert de la production
aux mains des ouvriers»; c'est ce que proposèrent les anarchistes dans leur
résolution à la session du premier Congrès Panrusse des comités d'usines, le 20
10
Octobre (1917) «Cette tendance se manifesta dans la pratique du contrôle
ouvrier dès les premiers jours qui suivirent la révolution d'Octobre d'autant
plus aisément et avec d'autant plus de succès que la résistance des capitalistes
était plus forte. Or le prolétariat s'appuyait sur le pouvoir ouvrier ei. par la voie
des organes révolutionnaires soumit les entrepreneurs récalcitrant;;. De l'arbi-
trage obligatoire à l'arrestation des patrons et à la mise sous séquestre (Pankra-
tova veut dire ici «sous autogestion des entreprises»), la classe ouvris-re acceptait
d'utiliser tous les moyens pour briser la résistance des capitalistes. :>
Au Conseil panrusse de Contrôle ouvrier, un porte parole des com.tés d'Usines
(face aux techniciens) déclarait : « les comités d'usine estiment que le contrôle
doit être l'affaire du comité de chaque établissement. Ces comités .se réuniront
ensuite dans chaque ville pour former le comité central pour chaque branche
d'industrie et pour opérer ensuite la coordination dans les organismes régionaux »
et l'un d'eux osait dire, 12 jours après la parution du décret fabriqué lî 16 novem-
bre par ces mêmes techniciens « Chez nous, aux comités d'usine, on élabore des
instructions qui viennent d'en bas pour embrasser toutes les branches d'indus-
trie; ce sont les instructions de l'atelier, de la vie, par conséquent ce sont les
seules instructions qui puissent avoir de la valeur. Elles montrent de quoi sont
capables les comités d'usines et, par cela même, elles doivent domiaer tout ce
qui concerne le contrôle ouvrier.» (cité par Limon p. 74).
Et en réponse au décret, les délégués des comités rédigèrent et diffusèrent,
à partir de ces instructions un «Manuel pratique pour l'exécution du contrôle
ouvrier » dont Limon dit piteusement que la principale caractéristique était de
«confondre» contrôle et gestion; pauvres techniciens qui voyaien; leur sage
« contrôle » dépassé par les délégués. (Ce Manuel est vraiment trè;. bien fait,
et on devrait le rééditer ! il y a des extraits, accompagnés de réflexions veni-
meuses de Limon, genre « chaque fois qu'on a essayé ça, c'était la ça tastrophe »
sans preuve évidemment — voir p. 82 à 86),
Les arguments contre cette conception autogestionnaire sont tous invoqués :
1) C'est la désorganisation, c'est l'anarchie. Exemple : «Au lieu d'me rapide
normalisation de toute la production et la distribution, au lieu de mesures qui
auraient constitué une approche vers une organisation socialiste de la société,
« nous trouvons une pratique qui rappelle les rêves anarchistes de communes
productives autonomes » (Stépanov, bolchevik, cité par Pankratova p. 53)
2) Un pas en avant c'est déjà beaucoup, il ne faut pas aller trop vite : Exemple
«Les communistes de gauche... (qui craignent le capitalisme d'Etat)... me font
rire. Ils n'ont pas songé que le capitalisme d'Etat serait un pas en avant par
rapport à l'état actuel des choses dans notre république des Soviet; : si dans
six mois par exemple, nous avions instauré chez nous le capitalisme d'Etat, ce
serait un immense succès, et la plus sûre garantie qu'un an plus tard dans
notre pays le socialisme sera définitivement assis et immuable. » (mai 1918
«Infantilisme de Gauche», cité par Sartan p. 135) Six mois... Un a:i... 50 ans
après, ce ne sont plus les communistes de gauche qui font rigoler.
3) Objection un peu plus sérieuse : oui, nous faisons une politique bourgeoise,
nous ne pouvons faire une politique révolutionnaire que si l'Allemagne révolu-
tionnaire s'insurge pour nous secourir (voir citations Sartan p. 119). Mais une
tactique bourgeoise à l'intérieur impose bientôt une tactique bourgeoise à
l'extérieur. Pendant qu'on prétextait l'inaction allemande, les diplomates russes
11
soviétiques soutenaient les réformistes allemands et sabota .ent les spartakistes
(«La Commune de Berlin», Prudhommeaux; Ed. Spartacus).
4) L'argument : en voulant aller plus loin, vous divisez le pays et vous ouvrez
«objectivement» la porte à la contre-révolution. Exemple: «Au nom de la
IIIe révolution les anarchistes de Cronstadt d'Opposition ouvrière devait railler
le Parti et condamner l'insurrection) montraient que la révolution russe ne
pouvait par ses seules forces réaliser les fins socialistes qu'elle avait cependant
mises à l'ordre du jour : derrière Cronstadt — et certes les insurgés n'en vou-
laient pas — se profilait la contre-révolution » (De Sartar. lui-même, p. 123.)
On trouvera dans la brochure d'Ida Mett « la commune de Cronstad » (Ed.
Spartacus 1948) de quoi se rendre compte que cette calommle est ancienne et
sans fondement, que les anarchistes étaient très peu non.breux à Cronstadt,
et que les communistes « dô la base» de Cronstadt se battirent jusqu'au dernier
contre les troupes de Trotsky. (La vieille Ida Mett sera jeune jusqu'à sa mort,
le jeune Sartan est un petit vieillard universitaire qui répète sa leçon). C'est
le prolétariat qui a lutté à Constadt, et non une minorité (même la nôtre) pour
son propre compte.
5) Lénine aurait expliqué aux ouvriers : « Vous voulez que votre usine soit
confisquée (aux patrons) ? Bien, les formules de décrets sant là, nous allons
les signer tout de suite, (sic) Mais dites, avez-vous appris à prendre en main la
production, avez-vous calculé ce que vous produisez, connaissez-vous la liaison
entre votre production et le marché russe et international ? :> (dialogue imaginé
par Satan p. 120) Et les ouvriers seraient restés tout bêtes... La réalité était assez
différente; d'abord parce que le dialogue se passait beaucoup plus houleusement :
Un soir, fin 1917, à Petrograd, trois ouvriers de l'usine de pétrole Nobel (4.000
ouvriers environ), se présentèrent au local de l'Union anarcho-syndicaliste et
racontèrent ce qui suit :
L'usine a été abandonnée par les propriétaires, et les ouvriers, après de
multiples réunions et discussions, ont décidé de la faire marcher collectivement.
Ils ont commencé des démarches et se sont adressés au Commissariat du Peuple
au Travail, pour demander l'aide nécessaire. Le Commissariat (organe d'Etat)
leur a déclaré qu'il ne pouvait rien faire pour eux dans les conditions du mo-
ment : ni leur procurer les combustibles, ni les matières premières ni le fonds
de roulement, ni les moyens de transports, et ni, non plus, d? commandes et de
clientèle. On leur dit également que 90 % des usines se trouvaient dans le même
cas et que le gouvernement prendrait sous peu des mesures générales pour
leur remise en marche. (On remarquera que les besoins des ouvriers de Nobel
étaient les mêmes que ceux des travailleurs algériens).
Les ouvriers décidèrent de se débrouiller. Le Comité ouvrier de l'usine fut
alors averti par le Commissariat du Travail, qu'un grand nombre d'entreprises
se trouvant dans la même situation, le gouvernement avait pris la décision de
toutes les fermer, et d'en licencier les ouvriers avec trois mois de salaire. Protes-
tation de l'assemblée générale des travailleurs de l'usine. Le gouvernement, pas
si fort que ça à cette époque, propose une nouvelle assembloe générale, où ses
représentants viendront expliquer le véritable sens de la m;sure prévue et la
nécessité générale de son application.
Les trois ouvriers venus au siège de l'Union anarchiste demandaient qu'un
orateur vienne à cette assemblée pour exposer le point de vue anarchiste; Chose
curieuse, au meeting, ce fut l'orateur anarchiste qui posa les questions que
12
Sartan fait poser à Lénine : avez-vous les moyens techniques, connaissez-vous
le marché, êtes-vous capables de ne pas devenir des patrons, etc. Les réponses
à ces questions montrent que les ouvriers de Nobel avaient déjà envisagé et
prévu tous ces problèmes.
Le commissaire du Travail en personne, le bolchevik Chliapmkoff prit la
parole pour dire « C'est vous la classe ouvrière de ce pays qui av îz voulu que
nous nous occupions de vos intérêts. Dès lors c'est à nous de les connaître, de
les comprendre et d'y veiller. Il va de soi que notre tâche est de nous préoccuper
des vrais intérêts généraux de la classe laborieuse et non de telle o'i telle petite
fraction. Il est logique et naturel que nous établissions des plans pour l'ensemble
du pays, ouvrier et paysan... prendre ou tolérer des mesures de faveur à l'égard
de telle ou telle collectivité serait... criminel vis à vis de la classe ouvrière tout
entière. (Les conditions sont actuellement dures, le gouvernement passagèrement
impuissant)... Les ouvriers n'ont qu'à s'y faire comme tout le monds au lieu de
chercher à créer des situations privilégiées pour tel ou tel groupe de travailleurs.
Une pareille attitude serait essentiellement bourgeoise... Si certains ouvriers,
poussés par des anarchistes ces petits-bourgeois et désorganisateuis par exce-
llence, ne veulent pas le comprendre, tant pis pour eux. Nous n'avons pas de
temps à perdre avec les éléments arriérés et les meneurs. »
Discussion des ouvriers sur le discours de Chliapnikoff : « son discours a
été habile mais faux. Pour nous il ne s'agit pas de créer une situatior privilégiée.
Une pareille interprétation dénature notre vraie pensée. Le gouvernement n'a
qu'a permettre aux ouvriers et paysans d'agir librement dans tout 1<; pays... Un
gouvernement socialiste devrait recourir à d'autres méthodes pour qae la vérité
se dégage. »
Quelques semaines après, l'usine était fermée, les ouvriers licencias. (D'après
Voline, La révolution inconnue, Paris 1938 p. 255 et ss.)
En fait la critique la plus dure que l'on peut faire à la ligne bolcheviste sur
le « contrôle ouvrier » c'est qu'elle était irréaliste, qu'elle ménageait la chèvre
et le chou. Après quatre pages pour montrer que les contradictions de Lénine
«ne sont pas celles d'un petit «Machiavel» mais que «leur tragique et inévi-
table antinomie» fait la «grandeur de ce révolutionnaire professionnel», Limon
résume bien le problème :
« Tel devait être le but du contrôle ouvrier dans chaque entreprise : faire
l'apprentissage de la gestion auprès des techniciens bourgeois, tout en exerçant
sur leur activité la plus vigilante en même temps que la plus instiuctive des
surveillances.
«Mais les entrepreneurs et les techniciens russes, dans les preiaiers mois
de la révolution d'octobre, ont préféré pour la plupart, se terrer plutôt que de se
laisser contrôler, cependant que là où ils l'auraient accepté, ce furent los ouvriers
qui, emportés par leur élan révolutionnaire, répugnèrent à s'en tenir au contrôle.
«Ainsi le propre réalisme rationnel de Lénine devait-il buter contre l'idéolo-
gie réactionnaire des uns et l'idéal révolutionnaire des autres : deux réalités
bien concrètes qui ne manquaient pas d'ailleurs, chacune à sa manière, d'une
certaine rationalité. »
II nous semble assez bizarre de dire que Lénine a buté sur des idealogies. Si
on le critique d'après son étiquette révolutionnaire, on doit dire qu il a buté
sur des intérêts de classe qui étaient inconciliables; leur combat était précisé-
13
ment la révolution. Exiger par décrets que les patrons restent à leur place et
gèrent pour le compte de l'Etat, moyennant leur bénéfice, e:dger de l'autre coté
que les ouvriers acceptent de laisser se rassurer cette ancienne classe dominante,
sous prétexte qu'elle était contrôlée par un arbitre, l'Etat, espérer se maintenir
«entre la droite et la gauche»... Qui donc a dit «le petit bourgeois dit toujours
- D'un coté... de l'autre coté... » II ne pouvait pas y avoir de demi-mesures en
la matière et la ligne de Lénine fut un échec complet, d'un point de vue révo-
lutionnaire. Pourquoi ?
Deux explications viennent apparemment converger :
Celle d'Otto Bauer, socialiste autrichien (1881-1938) qui déclarait qu'en Russie
on se trouvait en présence d'une « révolution bourgeoise s ans bourgeois » car
«Dans ce pays la République bourgeoise ne pouvait être fondée par la bourgeoisie;
elle ne pouvait l'être que par les ouvriers et les paysans qai devaient d'abord
s'emparer du pouvoir afin de réaliser la grande révolution agraire... » une fois
la révolution agraire réalisée et assurée, «la masse paysanne remettrait la
bourgeoisie à flot, et par là rétablirait la Démocratie bourgeoise » et il concluait
« Dès lors, je considérais la domination transitoire du prolétar-at uni à la paysan-
nerie comme une phase d'évolution nécessaire dans la marche de la Russie à la
Démocratie bourgeoise.» (cité par Y. Bourdet p. 148). Psssons sur quelques
contradictions, qui peuvent venir du fait que nous n'avons que des citations et
non le texte: ainsi «sans bourgeois» et «remettre la tourgeoisie à flot»,
O. Bauer voulait sans doute montrer que la bourgeoisie était relativement
faible en Russie.
Son analyse est simple : les bolcheviks font une Révolution bourgeoise parce
qu'ils ne peuvent pas faire autrement, et personne d'autre : la, révolution agraire
(comme en Angleterre au 18e siècle, et au 19e en France et en Allemagne) qui
devait jeter des milliers de paysans dans les villes où ils fourniraient la main-
d'œuvre nécessaire à la constitution d'une grande et majoritaire industrie, cette
révolution donc, ne pouvait pas se faire par une véritable Révolution, mais par
un régime bourgeois.
C'est une analyse qui se fonde, comme toute analyse sérieuse, sur des faits
qui se sont passés antérieurement : et c'est un danger; à lorce de trop coller
aux faits, à ce qui c'est passé avant, on perd de vue que nous ne connaissons
pas tous les faits, leur «quantité» et leurs combinaisons, on justifie ce qui est;
c'est une illusion bien connue qu'ont les historiens : «ça s'est passé comme ça
donc ça ne pouvait être autrement». D'autant plus que Bautr était évidemment
un copain de Kautsky, le réformiste bien connu, et que sa position aboutissait
en fait, au point de vue tactique à justifier à la fois les positions des bolchevik
en Russie, et les siennes dans le reste de l'Europe.
Quand on commence à confondre le matérialisme, qui est une façon de pen-
ser, de comprendre que la volonté, les volontés, individuel .es, de groupes, de
classes, s'exercent dans le cadre d'un certain nombre de probabilités existantes,
quand on confond ça avec le déterminisme qui est un système prétendant que
tout ce qui est arrivé ne pouvait qu'arriver exactement ainsi, on est mûr pour
consolider l'ordre social existant : le capitalisme.
Jacques le fataliste, un personnage dans un roman de D.derot, ne regardait
pas les cailloux sur les chemins, puisqu'il savait que si les conditions étaient
réunies pour qu'il tombe, il tomberait, et que si elles n'éta.ent pas réunies, il
ne tomberait pas. Puisque Diderot s'en moquait déjà au 18e siècle, on voit que
14
le déterminisme a la vie dure. C'est sans doute parce qu'il est âne caricature
commode du matérialisme, renforçant l'ordre établi. C'est un vieux truc de la
bourgeoisie que de faire croire q'u'elle est inévitable.
Nous avons parlé de deux explications; voici la deuxième :
Pierre Archinoff, cheminot, ex-bolchevik et anarchiste russe, disuit : «II n'y a
pas eu jusqu'ici de révolution que le peuple des travailleurs (c'est à dire les
ouvriers des villes et les paysans pauvres non-exploiteurs) ait résolu en fonction
de ses propres intérêts. Alors que la force principale de toutes les grandes révo-
lutions a été les travailleurs... par contre les dirigeants, les idéologues, ceux qui
ont organisé les formes et les buts de la révolution ont été non d;s ouvriers ou
des paysans, mais un élément latéral, étranger, un élément moyen et incertain,
entre la classe dominante de l'époque mourante et le prolétariat des villes et des
campagnes.
Cet élément est toujours né sur la superficie de décomposition du vieil
Etat, du vieux système de Gouvernement. Par sa formation en classe et sa
prétention à s'emparer du gouvernement, il assume par rapport au régime
politique mourant une position révolutionnaire et devient facilement le guide
des travailleurs asservis, le guide des mouvements révolutionnaires de la masse.
Mais, pendant qu'il organise la révolution et la conduit sous le drapeau des
intérêts exclusifs des ouvriers et des paysans», (voir les extraits Ai discours de
Chliapnikoff, plus haut), «cet élément poursuit en fait ses intérêts restreints
de groupe et vise à capter le mouvement révolutionnaire pour affermir sa propre
position-dirigeante dans le pays. »
«Au début de la Révolution d'Octobre, c'est l'aile droite de lu démocratie
petite-bourgeoise (menchéviks et Socialistes-révolutionnaires) qui avait tenté
de commander. La différence entre eux et les bolcheviks consiste seulement
dans le fait que les premiers ne surent pas organiser le pouvoir et dompter les
masses sous leur autorité.» (P. Archinoff, traduit de l'édition italisnne de son
livre «Histoire du mouvement maknoviste » 1954. Archinoff a fini d'écrire à Mos-
cou en avril 1921. Il disparut en Russie quelques années plus tard, après un pas-
sage en France, où, avec d'autres, il proposa un projet de Plate-formo, discutable,
mais intéressant, que nous espérons publier avec des critiques.) TODOROV
«NR» était à l'impression que nous parvenait un numéro spécial de «Re-
cherches Libertaires » annonçant le « redépart » de cette excellente re vue animée,
pendant ses quatre numéros, par les camarades de la Tribune d'Action Culturelle
(TAC). Ceux-ci ayant renoncé à poursuivre ce travail, « RL » est repris par nos
amis du groupe de Strasbourg, aidés par des camarades d'autres régions, avec
lesquels nous sommes également en relation d'amitié militante, lïien que le
temps et la place nous manquent, nous sommes heureux de saluer immédiate-
ment le gage supplémentaire d'un renouveau anarchiste que constitue la tenta-
tive de « RL », par les études, discussions, échanges voire divergences e; irichissants
que nos contacts renforcés supposeront.
Contentons-nous pour aujourd'hui de signaler le sommaire : une « note
aux lecteurs» suivie d'un substantiel article «pourquoi continuer H. "L » dont
nous conseillons la lecture aux camarades, pouvant être la source d'un fructueux
dialogue. Le numéro se termine par les réponses de lecteurs à une circulaire
expédiée par la, TAC avant sa décision d'interruption de « RL ». Pour tout ce qui
concerne cette revue, adresser correspondance et fonds à :
Annie Piron, 16 rue des Champs — 67 — Strasbourg-Cronenbourg; CCI' 1937 84 Y
Nancy (5 n" : 10 F).
15
POSSIBILISME LIBERTAIRE
(Horacio Martinez Prieto (ex-secretario général de la Conf îderaciôn Nacional
del Trabajo de Espana, ex-ministre de la Repûblica) « Posib lismo Libertario»,
1966, p. 182, copyright Horacio Martine/ Prieto, 50 avenue Pierre Semard, 94
Ivry-sur-Seine).
Avant d'étudier le contenu du livre, dont l'esprit apparaît déjà dans les
titres de secrétaire et de ministre, il faut savoir qui est l'auteur, plus connu sous
le nom de Horacio M. Prieto.
Militant anarchiste depuis sa jeunesse, Prieto a vécu et marqué de son
influence personnelle une partie de la C.N.T., dans ses hommss et son histoire.
Cette influence n'est certainement pas parfaite, mais elle exisie, donc il faut la
connaître.
Prieto effectua un voyage en U.R.S.S., fin 1932 (voir le livre dont nous par-
lons p. 129), et publia une brochure narrant son expérience «Faeetas de la U.K.
S.S. », 1933 (cité par Lamberet, p. 194, Mouvements ouvriers et socialistes,
Espagne) .
La même année, il publie « El anarco-sindicalismo : £<:6mo haremos la
revolucién ? ». Il devient secrétaire général de la C.N.T. et soii; par la force des
choses, soit par son caractère il exerce une influence certaine. Ainsi, Peirats
dans « La C.N.T. en la revoluciôn espanola » cite et donne la photocopie d'un
manifeste du Comité National de la C.N.T. qu'il qualifie de prophétique (p. 104,
112, 113); or ce texte est de Martinez Prieto (M. P.) et il décrit le déroulement
politique futur dès février 1936 : « ...les éléments de droite sont prêts à provoquer
un putsch militaire. (...) Le Maroc semble être le foyer principal et l'épicentre
de la conjuration. (...) Si les conjurés ouvrent le feu, il faut prendre une attitude
d'opposition contre ces mesures extrêmes, sans tolérer que la bourgeoisie libérale
et ses alliés marxistes manifestent le désir d'arrêter le cours des événements,
en supposant que la rébellion faciste soit vaincue dans l'œuf. ( ..) Ou le facisme
ou la révolution sociale. (...) Aux aguets, camarades ! (...) » 14-2-1936, avant
les élections qui virent la victoire du front populaire).
Durant la guerre civile, il participa à la politique de collaboration, choisi-
ssant les ministres anarchistes Peiro, Lopez, Garcia Oliver, Federica Montseny
(selon Bolloten «La revoluciôn espanola» p. 161 note 39). Il fut lui-même
désigné comme candidat ministre avec M. Vazquez et Segundo Blanco en mars
1938 dans le gouvernement Negrin, qui prit Blanco (Peirats, to:ne III, p. 90). Il
participa également à l'accord d'alliance U.G.T.-C.N.T. (Peirats III p. 43).
Cependant, la guerre et les changements qu'elle entraîna dais le mouvement
anarchiste espagnol, amena à définir des idées politiques. Au plénum national
de régionales d'octobre 1938, il exprime sa conviction que «1 action vraiment
décisive ne peut s'exercer qu'à partir des organes du pou voir >, les erreurs de
l'anarchisme espagnol étant dues à « l'esprit de naïveté du Mouvement et à son
manque de plans concrets ». Plus précisément, il s'exclame : « Je ne suis ni
Bakounine ni Malatesta, je ne suis qu'Horace. (...) Le jour où je pense que je ne
suis plus anarchiste, je m'en irai (...) Je n'ai pas inventé l'optimisme kropot-
kinien ; Malatesta et Merlino l'ont qualifié ainsi. » (Peirats, tome III, p. 309)
16
I
M. P. publia sa nouvelle conception dans la revue « Timon » de Barcelone
en septembre 1938 sous le titre de « Estudios polémicos ». Il proposait de trans-
former La Fédération Anarchiste Ibérique (F.A.I.) en parti politique qui repré-
senterait les anarchistes et la C.N.T. (Confédération Nationale du Travail;
syndicat ouvert à tous les travailleurs).
« Pour conserver et développer sa personnalité, le Mouvement évite l'apoli-
tisme et la totalitarisation. L'anarchisme pur, détaché de la KA.L, pourra
continuer à puritaniser (sic) et cela sera un magnifique événement; mais le
Mouvement Libertaire a besoin d'une force homogène, d'un parti qui assume sa
représentation politique, qui ait unifié la majorité des militants et qui soit une
collectivité dont la pureté spirituelle remplisse d'orgueil, et qui dirige la C.N.T. ».
« Avec la création d'un parti socialiste libertaire, nous renforcerions l'auto-
nomie syndicale, nous faciliterions l'unification du prolétariat en une seule
centrale et nous déchargerions la C.N.T. d'un poids énorme, tout en allant de
l'avant en lui laissant tous les aspects de type syndical et économique, la tâche
d'améliorer dans les domaines technique et administratif les collectivités et la
participation aux organes économiques de l'Etat. » (cité par Peirats, tome III, p.
320, 321).
Après la seconde guerre mondiale, M. P. prit parti pour les réformistes lors
de la scission de la C.N.T. en 1945 et il devint ministre dans le gouvernement
républicain en exil.
Ce leng préambule nous amène au livre de M. P. qui est, en dehors de toute
critique, un des seuls théoriciens actuels du mouvement anarchiste espagnol.
Mon premier reproche concerne le livre en lui-même, il ne s'adresse qu'aux
cénétistes, à la rigueur il peut intéresser les autres réfugiés et de tcute façon il
est illisible pour les Espagnols jeunes pendant la guerre d'Espagne eu nés après
(langage difficile, allusions voilées, pas d'exemples précis actuels).
Ma deuxième critique s'adresse au manque de clarté des objectifs généraux
de l'auteur. En effet tout le livre est un dialogue de sourds puisque les critères
sont diamétralement opposés, ce que le lecteur comprend vers le milieu du
volume.
Je vais exposer maintenant de façon très schématique les object fs de M. P.
L'homme est mauvais (aucune évolution morale p. 31, 32; s'il y aval; perfection
morale, l'homme demanderait un serpent p. 58; «fatalité biologique» p. 135)
et l'expérience de l'anarchisme qu'a M. P. vaut pour l'Anarchisme en général
(«Qu'on ne m'objecte pas que je m'appuie trop sur mon expérience espagnole»,
p. 108). Les conséquences sont simples : son expérience anarchiste est mauvaise
l'homme est mauvais, donc il faut un certain autoritarisme politique et gou-
vernamental.
M. P. use même de mauvaise foi (par souci dé paradoxe?) en réduisant la
phase finale de l'anarchisme à la «prise sur le tas» (p. 25 et 33; Kropotkine,
au début du siècle avait imaginé que l'abondance, le tas, serait le corimunisme)
et en oubliant les critiques de Malatesta et Merlino. qu'il connaît pourtant,
puisque j'ai donné plus haut une citation où il les évoque.
Pourquoi, pensera-t-on, tellement de pages et de lignes sur un auteur avec
lequel nous (anarchistes puristes) nous n'avons rien de commun? M. P. a la
franchise de poser les problèmes et de détruire les tabous (p. 142), même s'il
le fait dans un but contestable, nous n'avons pas à fermer les yeux devant nos
carences.
17
C'est dans cet esprit que je vais isoler quelques points, en donnant la posi-
tion de M. P. et la nôtre.
Le collectivisme M. P. donne son opinion sur la col-lectivisation espagnole.
Il commence par une critique : « La bonne foi des collectivistes espagnols fut si
proverbiale que nous pouvons la qualifier de foi de naïfs, tant au 2ommence-
ment qu'à la fin de la guerre. (...) (après la suppression de l'argent) la majorité
des îlots collectifs ne pouvaient établir le troc des produits puisqu'il y avait les
mêmes dans les environs; la hâte les obligeait à vendre aux villes, qui payaient
avec l'argent et qui faisaient payer les marchandises vendues aux paysans; et
comme ceux-ci ne voulaient pas d'argent et ne pouvaient payer autrement ce
qu'ils achetaient, ils perdaient toujours dans les transactions; et si une collectivité
industrielle, ou un syndicat ou un établissement de commerce entrait en rapport
avec eux, il le faisait en spéculant au détriment des camarades sur la production
et les besoins paysans, comme aurait pu le faire un ex-maquignon 01 un gros-
siste du commerce agricole. (...) Quelques semaines de réalisme révolutionnaire
suffirent à réhabiliter l'argent si maudit. (...) » (p. 36, 37).
Il reconnaît tout de même que « II fut fait contre les collectivités agraires
et industrielles et les entreprises socialisées une guerre terrible depuis le pouvoir
et avec l'appui de tous les secteurs politiques. On leur mit toute sorte d'entraves
légales pour juguler le commerce extérieur, pour rendre impossible l'importation
de matériel pour le travail; (etc......) (p. 75)
Le grand reproche, à mon avis, que fait M. P. est : « ...les collectivités liber-
taires apparurent sans demander le conseil des organismes directeurs de la
Confédération Nationale du Travail (C.N.T.) qui n'aurait pu le donner parce
qu'elle n'était pas prête à une situation aussi exceptionnelle. Ce fut 1 implanta-
tion subite des collectivités qui empêcha la C.N.T. de pouvoir mettre sur pied
quelque chose de sérieux et de positif dans l'ordre de la reconstructi an écono-
mique. » (p. 75)
Nous avons déjà publié dans les N et R n° 30 - 31 un témoignage d'un
collectiviste qui montre que s'il y eut naïveté, elle évolua vite. D'un point de vue
général, je ne suis pas d'accord sur la première citation parce que c'est une
affirmation subjective qui ne s'appuie pas sur une étude de la colléetivisation,
étude en cours, difficile justement parce que les opinions sans preuves abondent
alors que les témoignages manquent. De toute façon, il faut envisager la collec-
tivisation selon trois plans : le lieu, l'atmosphère hostile, les relations dans la
C.N.T. Pratiquement chaque collectivité eut un aspect différent, car on plus il
faut ajouter parfois le rôle des leaders, les changements des fronts, et;.
L'opinion de M. P. sur l'absence de préparation de la C.N.T. est surr renante :
n'est-ce pas lui qui écrivait «Ou le facisme ou la révolution sociales» (11-2-1936).
L'objectivité m'amène à constater un divorce entre la tactique de la C.N.T. de
1931 à 1936 et les décisions du mois de juillet 1936 (voir aussi Peiratf N et R.
n° 36-38). Personnellement je ne vois pas d'explications claires de ce revire-
ment : il y avait rupture de fait entre deux groupes, les insurrectionnels (Durruti
et autres) et les politiques (Peiro et autres), pourquoi ont-ils agi de co:icert par
la suite? C'est justement sur ce point que le témoignage de M. P. seraii, intéres-
sant parce qu'il l'a vécu, alors qu'il ne fut qu'un spectateur de la collectivisation.
Le fédéralisme M. P. explique d'abord l'atmosphère de la C.N.T. : « ses
comités ne possédaient pas de pouvoir exécutif et c'est seulement dans des cir-
constances exceptionnelles que la base organique leur accordait des pouvoirs
18
limités à des cas urgents; on évitait le vote dans les réunions et les assemblées
des organismes professionnels, on épuisait les arguments pour qu'il n'y eût pas
de minorité vaincue; le bon accord devait présider toute chose, en convainquant
les hommes sans la force des majorités; on votait quand on ne pouvait faire
autrement, tant dans les commissions et les comités que les assemblées gênera'-
les; mais comme cela était rare du fait de la clandestinité forcée et presque
permanente de l'organisation, c'étaient les comités et les groupes c.e militants
qui donnaient les solutions selon leur savoir et leur compréhension loyale. Après
avoir organisé tant de grèves, de subversions partielles, de combat contre les
tueurs à gage de l'organisation patronale et contre l'Etat, ils créèrent une psy-
chologie spéciale : celle des militants et de leur réunions préalables, ou exclusi-
ves, qui dans les périodes pacifiques délibéraient par avance poui mener les
masses où ils le voulaient; les militants constituaient un parti non organisé
à l'intérieur de la C.N.T. » (p. 67)
Cette constatation me semble une des meilleures du livre. Elle est valable
pour toute organisation de tous pays. La clandestinité n'est pas compatible avec
une organisation qui laisse place à la discussion et où une tactique n'est pas
suivie pas l'ensemble des groupes. En outre, dans la clandestinité, il y E. un ennemi
bien défini, ce qui devrait limiter la discussion. En Espagne, la rigueur de la
répression obligea certains militants à devenir des professionnels de la révolu-
tion (Durruti et ses amis, parmi les plus connus) tandis que la C. N.T., à partir
de 1930, redevenait légale, la superposition de ces deux activités et .a « psycho-
logie» do"nt parle M. P. (qui existait aussi en 1950, par exemple, chez d'anciens
maquisards, membres de la Fédération Anarchiste de France) ont très certaine-
ment bien amoindri la portée du fédéralisme, qui exista cepeiidart : exemple
de la fédération des Asturies favorable, sauf une de ses fédérations locales,
contre l'ensemble de la C.N.T. à un accord avec le syndicat socialiste de l'U.G.T.
Autres critiques de M. P. : le provincialisme et l'esprit de chapelle, l'absen-
ce de définition des militants « qui le sont selon le goût des comités qui appellent
(en assemblées) selon la proportion et la qualité qui lui conviennent.» (p. 103);
« un comité peut entreprendre n'importe quelle action absurde, pour grande
qu'elle soit, s'il peut devant prouver à l'opinion (des camarades) cu'elle a été
prise dans une réunion de militants. » (p. 106)
M. P. se fonde sur son idée que l'homme est mauvais pour condamner le
fédéralisme : « l'impréparation humaine embarassée dans le système fédéraliste
fut inapte à se donner des objectifs utiles». Il reste et nous l'avors vu que le
fédéralisme ne saurait convenir à chaque situation (repression et clandestinité).
De plus le fédéralisme est bien loin d'être un élément typique de l'anarchisme,
c'est un des slogans de certains partisans du marché commun et c'est bien
entendu le fleuron de la propagande soviétique; comme le fait remarquer jus-
tement Gaston Levai les Etats-Unis (voir N et R n° 21, 38 p. 14) sont une répu-
blique fédérale. Le fédéralisme est une théorie qui n'a de valeur pour moi que
dans une organisation sociale opposée à l'exploitation de l'homme par l'homme.
Mon dialogue avec M. P. porte d'abord sur le fédéralisme en tant qu'organisation
révolutionnaire : il a échoué dans l'anarchisme espagnol et donc partout selon
M. P.; selon moi, le fédéralisme ne saurait en lui-même supprimer l<;s arrivistes,
mais c'est une garantie indispensable, dans la plupart des conditions, contre
le déviationnisme. Ainsi les marxistes, lorsqu'ils sont expulsés du parti se sou-
viennent du fédéralisme : Joan Comorera, secrétaire du Comité Central du
P.S.U. de Catalogne et membre du Comité Central de P. C. d'Espagne, expulsé
19
comme «traître», «titiste», «ennemi de l'Union Soviétique», disait dans un
bulletin où il s'obstinait à se déclarer fidèle à l'U.R.S.S. (répondant à «Nuestra
Bandera», 1950, n° 4) «Pourquoi mentent-ils et ne disent-ils pas aux militants
qu'une direction qui refuse la critique et l'autocritique, usée par le carierrisme,
par l'aventurisme, par l'opportunisme de certains de ses membres, par l'ambian-
ce de provocation qui l'entoure et l'asphyxie, tout cela recouvert d'un orgueil
invraisemblable, par l'esprit destructeur d'un centralisme corrosif ne p;ut méri-
ter le crédit et la confiance des communistes conscients... » (bulletin bimensuel
du P.S.U. de C. Paris, juin 1950, p. 42).
Depuis Comorera (qui semble-t-il mourut de chagrin quelque temps après)
et sa polémique avec le groupe de la Pasionaria (que Comorera évite de citer
nommément), Togliatti et son testament montrent que le fédéralisme le rejet
d'un comité central ommnlpuissant sont une nécessité organisationnelle.
Réformisme M. P. n'emploie pas ce mot, c'est donc moi qui intei prête sa
pensée en regroupant sous ce chapitre plusieurs annotations.
«Humanisme» (p. 117, 131, 135, 168, 175) ce mot m'a frappé car il est d'un
emploi particulier en politique et évoque fortement la droit, d'où cette citation
qui ne s'adresse pas à M. P. : « Sous l'étique d'« humanitarisme » et de «démo-
cratisation », les révisionnistes ont jeté par dessus bord l'esprit du parti du
prolétariat et des idéaux révolutionnaires.» (Communistes espagnols pro-chinois,
« Revoluciôn espanola» n° 1 p. 69).
« Révolution » « Si la société est saine, il est infantile de l'attaqi; er avec
une suggestion idéologique quelconque parce que les propagandes révolution-
naires se dilueront dans l'indifférence populaire : et si la société est malade,
la théorie n'est pas indispensable pour que la révolution apparaisse, » ,'p. 120)
«Donc, l'intuition du moment révolutionnaire et la décision qu'on prend de le
dominer sont plus positives que la théorie maniaque de la révolution perma-
nente; » (p. 121) «La révolution faite sans tenir compte qu'elle n'est pas un
élixir de bonheur, mais un mal indésirable, ne représente que rancœur et
erreur qui font de toutes choses l'objet des vindicatifs et des marchands de
nouveauté; » (p. 124)
Nous avons déjà exprimé dans un éditorial de N. et R. (n° 30, 3l.1 notre
position sur la révolution (sans majuscule), c'est une hypothèse de trsvail et
non pas une fin, puisque les problèmes, de nouveaux problèmes se poseront
alors. Cependant, la position de M. P. me semble, dans le style, discuta oie. La
révolution, en effet, n'est pas forcément synonyme de guérillas (nous parlons
de la France), mais constater que les grèves sont sévèrement contrôlées ;?ar les
syndicats et la police et que les revenus des classes sociales accentuent une
différence au détriment des travaileurs, voilà des évidences qui, à certains
moments, peuvent être dangereuses pour le pouvoir. Enfin, constater comme le
fait M. P. que la révolution aboutit à régler des comptes personnels « rancœur
et erreur», c'est vrai, la révolution française et la Libération en ont fourni des
milliers d'exemples, mais le patronat en se refusant à appliquer les nomes de
sécurité pour produire plus, et une partie des ouvriers en se laissant gagn;r par
le souci de l'argent (parce qu'ils cèdent à une publicité créée pour les forcer
à acheter davantage) fait tuer plusieurs milliers de personnes par an.
« La grève » Après avoir remarqué que la grève est interdite dans les pays
dits socialistes, M. P. ajoute : «La vérité sans euphémisme est que la grève est
protestataire mais destructive à la fois, dans un régime comme dans l'autre»
20
(p. 130) Aussi propose-t-il: «la grève doit œuvrer en vue de finalités populai-
res plus que strictement ouvrières, en les cpordonnant avec la propagande et
l'action parlementaire. Plus que de la grève constructive (très relative et tou-
jours accidentelle), le prolétariat doit tenir compte de ce qu'il fait lui-même;
s'il n'échoue pas en faisant face aux faits, cela aura une valeur constante plus
grande que ce qu'il pourra éventuellement arracher par la coaction à la mau-
vaise volonté du capitalisme; le prolétariat doit démontrer qu'il esl capable de
produire mieux à meilleur marché, en ayant, à la fois, une plus grande promo-
tion sociale, une prédisposition qui, si elle n'apparaît pas danc la société
bourgeoise, convaincra difficilement de sa supériorité dans son futur idéo-
logique; » (p. 132)
En quoi les accords syndicats-patronat en France prévoyant une hausse
de tant %, en échange de l'absence de grève (c'est-à-dire en produisant «mieux
et à meilleur marché») diffèrent-ils de ce que propose M. P.? Actuellement il
ne s'agit pas de réglementer les grèves, mais de supprimer l'exploitation, à
l'Est comme à l'Ouest.
««L'Etat» M. P. ne consacre pas de chapitre spécial à cette question, mais
il l'admet (p. 40, 135, 165, 168, 179), ainsi que le «parti» (p. 139, 142. 153). Il est
vrai que dans des ouvrages précédents il a abondamment défendu ces points.
Un aspect du livre est surprenant, c'est qu'il critique certaines déviations
réformistes de la C.N.T. — F.A.I..: «les notables anarchistes qui conseillèrent
(...) en 1931, de ne pas créer de conflits au régime durant deux ans; de pré-
parer la révolution et de la gagner : (...) simples arguments justificatifs (...)
la révolution, avec le temps, c'est la réaction faciste qui la fit (...) (p. 110)
M. P. fait allusion aux Trentistes (voir N. et R. 36 p. 28). «... (à propos de cer-
tains anarcho-syndicalistes) quelques enthousiastes qui espéraient déterminer
la politique parlementaire de l'Espagne post-franquiste par leur présence massive
au Parlement. » (p. 138) Nous ne savons pas à qui il pense.
Il me semble qu'un des premiers aspects du livre de M. P. est qu'après un
siècle d'anarchisme en Espagne (1868-1968) et plus d'un siècle dans le monde,
il y a des points discutés et peu clairs.
D'un autre côté, je vois dans la réalité quotidienne que la société d'exploi-
tation demeure, au moins aussi forte et organisée qu'auparavant (écrasement
de la Commune, des Spartakistes, des Hongrois, etc.).
Donc les raisons de militer sont en gros les mêmes. Mais quelles sont les
raisons de la persistance du réformisme ?
Je vois une cause dans la différence entre les aspirations des minorités
révolutionnaires et celles des masses : «Un programme, un mai ûfeste, une
manifestation, les conclusions d'un meeting, un vote, une émeute, même si par
leur importance matérielle elles ont un caractère révolutionnaire, re signifient
rien si leur interprétation est abusivement à la charge de ceux qui les inspirent
et les dirigent, alors que c'est le peuple lui-même qui est sensé en l'énéficier et
les appliquer.» (Anselmo Lorenzo «El proletario militante», tome II; écrit vers
1905 à propos des années 1868^80 en Espagne).
Cependant, dans la société d'exploitation où l'éducation et la propagande
sont dirigées par elle, il y aura une séparation de prise de conscience entre
les minorités révolutionnaires et les masses. Donc toute organisation révolution-
naire, toute révolution (qui ne veut pas dégénérer) doit conserver le plus de
liens avec la masse.
21
Mais, la plupart des réformistes ont noté que la masse est «iluctuante»,
instable, acclamant les révolutionnaires ou les antirévolutionnairos (Agustin
Souchy « Coopérât!vismo», Habana, 1960, p. 255); que l'homme en général est
mauvais... On en arrive à la théorie de faire le bien et de l'impo;!er : depuis
Platon jusqu'à nos jours, on a chassé les poètes, liquidé les Arméiiiens et les
Kurdes (Turquie), certaines ethnies (U.R.SS.), les Juifs et les Tziganes (Nazis)
pour le bien de l'humanité et de la culture !
Cet « abus de pouvoir » est inévitable du fait de l'essence, de la fonction de
la responsabilité : celui qui l'a, cherche à en avoir plus, celui qui n'en a pas
beaucoup, cherche à en avoir moins (surtout- si la «clique» dirigeante change
rapidement). Cette analyse est absolue.
Que faire ?• (comme disait le romancier russe Nekrassov dont Lénine prit
le titre).
Personnellement, je connais des révolutionnaires idéalistes anarchistes et
du parti communiste (il y en a de temps en temps) que quelques années de pouvoir
ont amenés à penser que puisque tout le monde (c'est-à-dire les révolutionnaires
«pratiques») se remplissait les poches par le vol, la gabegie, le «copinage», ils
n'avaient qu'à en faire autant. Le fait que la masse était sévèremen; contrôlée
par le rationnement économique d'une part et le quadrillage politique d'autre
part, c'est-à-dire que les révolutionnaires accaparaient les postes de responsa-
bilité «pour défendre la Révolution», impulsait cette tendance.
C'est seulement en supprimant les privilèges des minorités révoli.tionnaires
que la révolution peut avancer et intéresser la masse. Or les changer lents trop
brusques traumatisent les gens et les font fuir : les expropriations des bour-
geois, la destitution des fonctionnaires réactionnaires faites à coups ie plumes
par les lois et d'armes à feu par les militants amènent toute la population à se
sentir visée. Il faut donc nécessairement une période provisoire qui définisse
les modalités des alliances avec les autres secteurs politiques et surtout qui
établisse une structure de contact minorité révolutionnaire-population.
Une des conséquences de cette affirmation est que la révolution s'adresse
à la masse tout en s'opposant aux privilèges des classes ou groupes <iui ont le
pouvoir actuellement. Autre conséquence, la révolution ne peut être qie violen-
te : Les directeurs des usines et les membres des comités centraux (qui sont
les directeurs d'usines à l'Est, à Cuba, en Asie) sont des exploiteurs qui n'ont
jamais cédé leur pouvoir.
Dans tous les cas le réformisme nous semble erroné. Il n'y a aucune logique
à penser que l'homme est mauvais, tout en donnant à certains individus plus
de pouvoir (renforcer l'Etat), ils seront encore plus mauvais. Au contraire, si
tous les citoyens peuvent se contrôler, l'exploitation est réduite (comme je
parle de l'avenir, je ne peux affirmer).
Pour résumer ma position, je dirai que le réformisme est un théorie fausse.
Mais à partir de la révolution, une profonde méfiance envers la pureté «auto-
matique » des révolutionnaires, les mesures prises sans accord de la masse
simplement parce que «Lénine, Bakounine, Mao l'ont pensé», etc., est une
garantie de plus d'efficacité. L'anarchisme doit établir ou délimiter un« position
sur la pratique révolutionnaire, car son absence incite les camarades désireux
d'objectifs plus clairs à se tourner vers d'autres idéologies.
Israël RIINOF
22
LES ANARCHISTES ET L'ORGANISATION
liiiiimiiiiiimiiiiiiiiiiiiiiimiiiiimi
Un projet existe actuellement d'un congrès international, un camarade de
langue anglaise discute ce projet en reliant la discussion à une critique du mou-
vement. L'article a été traduit de la revue anglaise The Woodenshoe (42 New
Compton Street, London W. C. 1). Avant de donner le texte de l'article nous
donnons des extraits (forcément partiels et partiaux) du projet de Congrès,
afin que le lecteur sache de quoi il est question. Ensuite nous donnons la traduc-
tion et enfin 2 remarques en conclusion.
Le Projet : « Lors du congrès de la Fédération Anarchiste Italienne (nov. 1965)
il avait été convenu que la FA Italienne aurait la responsabilité d'organiser au
printemps 1967 un Congrès Anarchiste Mondial qui pourrait avoir lieu i, Carrara
(Italie). Le Secrétariat de la CIA de Londres (1) le comité intercontinental de
la Fédération Anarchiste Ibérique et L'Union des Anarchistes Bulgares en Exil
avaient fait connaître leur accord sur le lieu choisi, ainsi que sur la date de mai
1967... le congrès de la F.A. Française confia au Secrétaire aux Relations Inter-
nationales la responsabilité de représenter la FAF dans la commission prépara-
toire... Forment la Commission Constituante Préparatoire du Congres Interna-
tional : X de la Fédération Anar. Italienne, X de l'Union des Anar. Bulgares
en exil, X de la Fédération Anarchiste Belge, X et X pour la Fédération A.
Ibérique, X représentant la Fédération A. Japonaise et X, Fédération A. Fran-
çaise... Nous demandons donc à tous les militants du mouvement anarchiste
mondial de préparer ce congrès...» (Bulletin de la commission prépaiatoire au
Congrès Anarchiste International p. 1)
« ...II est demandé que ne soient admises au Congrès avec caractère délibe-
ratif que les organisations nationales. Les groupes non fédérés au sein des
organisations nationales ne pourraient assister aux débats qu'à titre informatif.
Cependant pour les pays où n'existent pas de Fédérations Nationales, les groupes
libertaires de ces territoires auraient la possibilité de participer au Congrès.
La Commission Préparatoire souhaite que les problèmes intérieurs du Mou-
vement Libertaire Espagnol soient résolus avant le Congrès, et étend es souhait
à toutes les organisations gui pourraient être dans les cas du M.L.E.
1) Ce «Secrétariat» est actuellement composé du seul «secrétaire» qui n'est plus
depuis longtemps mandaté par personne. Le Secrétaire vit en Angleterre rr.ais paraît
être souvent inconnu des camarades anglais. L'article qui suit montre que Iss groupes
Londoniens ignorent son existence. Nous correspondons avec lui, bien que1 nous ne
soyons pas de son avis (puisqu'il considère la religion, et même l'église catholique, comme
quelque chose de positif).
23
Devant le problème qui est posé par les groupements libertaires non fédérés
au sein des organisations nationales, (2) et en considérant que le tout premier
but de notre Congrès est d'ordre organisationnel : réorganiser internationale-
ment notre mouvement, la Commission Préparatoire, dans un but d'efficacité
propose que le Congrès soit un « CONGRES DES FEDERATIONS ANARCHIS-
TES» ...II est bien entendu que la constitution d'une International•; des Fédéra-
tions Anarchistes ne dénie à aucun groupement ou individualité le titre d'anar-
chiste... que les individus ou groupes qui ont des difficultés avec leur Fédération
respective les résolvent...» (p. 17) (Les majuscules sont dans le texte, mais les
soulignés sont de NR, les notes aussi.)
LES ANARCHISTES ET L'ORGANISATION
Très souvent lorsque l'on parle d'anarchisme, on tombe sur la critique : « les
anarchistes sont contre l'organisation; » On réplique aussitôt qu'il ne faut pas
confondre l'organisation libertaire d'une part et l'organisatior autoritaire
d'autre part. Pourtant même parmi les anarchistes on a parfois de la peine à
comprendre que le rejet de l'autorité ne s'accompagne pas forcément d'un rejet
de toute forme d'association.
Et en un sens il n'est pas surprenant que ceux d'entre nous qui sont
influencés par des idées nettement autoritaires, puissent penser qus s'ils rejet-
tent l'autorité, ils abandonnent toute possibilité pratique de s'organiser, puisqu'ils
n'ont pas d'expérience concrète d'organisation libre.
Paradoxalement, sont dans le même cas ceux d'entre nous qui réduisent un
anarchisme dilué à un courant sociologique progressiste, élégam:nent teinté
d'extrémisme, et baignant dans un confortable sentiment de protestation per-
manente; ils ne voient pas non plus la nécessité de s'organiser, puisque rien ne
peut être fait, sauf ce qui va dans les sentiers battus du libéralisme.
Le mouvement Anarchiste proprement dit ne doit pas être identifié à ces
excroissances parasitaires; il affronte aujourd'hui un problème d'organisation,
et pas d'organisation de la Société Future, mais bien de sa propre organisation.
2) Rappelons qu'il existe par exemple en Italie des « Groupes anarchistes fédérés », et
des groupes isolés, en France une «Union des groupes anarcho-commu:listes», une
« Union anarchiste-syndicaliste », et une liaison de discussion formée par une dizaine
de groupes récemment sortis de la Fédération Anarchiste Française, et par quelques
autres qui n'y avaient jamais appartenu, également une «Fédération ibérique des
jeunesses libertaires»; que la «Fédération des anarchistes bulgares en Exil» ne repré-
sente précisément que ceux de ces camarades qui ne se sont pas intégrés au travail fait
en France, qu'il existe des groupes non formés en Fédération Nationale en Australie,
en Amérique, etc. Qui représentera «son pays»? ceux dont le titre comporte le mot
Fédération ? Si le futur congrès se définissait comme une tendance avec un minimun
de définitions, on comprendrait, mais l'idée d'une «représentation nationale » est absur-
de et indigne d'un travailleur révolutionnaire. Faudra-t-il appeler ce congrès celui de la
tendance National-anarchiste? Dans ce cas il faudrait constater que le «notre mouve-
ment» auquel fait allusion le texte cité n'a rien en commun avec un mouvement
anarchiste, quelles que soient ses tendances.
Notons aussi qu'il semble que parmi les organisations contactées pour « r sprésenter »
un pays, un certain nombre, qu'il faudrait préciser, sont en fait opposées à ce système.
Il ne faut donc pas se désespérer, il n'y a tout de même pas que des nationalistes dans
le mouvement anarchiste. Mais il est vrai aussi que ce sont eux qui ont réussi à faire
le plus de bruit pour se rendre précisément «majoritaires» et «représentatif; ». Notions
tout juste bonnes pour des parlementaires bourgeois.
24
On parle de préparer un congrès international; la discussion concernant
l'ordre du jour demeurera stérile tant que nous n'aurons pas réponiu à la
question de base : » A quoi servira ce congrès ? » :
Servira-t-il à préparer une «Fédération des Fédérations Nationales ? »
comme le suggère la commission préparatoire de Paris, et comme l'exposent tout
du long les camarades de la Fédération Bulgare, qui ont soigneusement expliqué
comment au juste les groupes devraient s'unir pour former des fédérations loca-
les, puis les fédérations locales s'uniraient en fédérations nationales et enfin les
fédérations nationales pourraient se fédérer. Tout ça, il faut le dire tout de
suite, sur le papier.
Le mouvement anglais a relevé le défi. On demande un petit effort de
pensée, pour se poser la question : «QU'EST-CE QU'UNE FEDERATION ? ». Car
la CNT espagnole et la FA bulgare présentent bien des plans clairs montrant
comment une Fédération « doit » fonctionner, mais comme exilés, ils ont peu
d'occasions de mettre tout cela en pratique.
QU'EST-CE QU'UNE FEDERATION ? '
L'idée adoptée par la Commission Préparatoire du congrès, (commission
qui s'est débrouillée pour éviter toute participation anglaise à ses travaux)
c'est que les anarchistes qui ne font pas partie d'une Fédération Nationale ne
pourront participer aux débats. Il n'est pas question de nier qu'un débat ne peut
parfois, arrivé à un certain point, se continuer que par le départ d'une fraction.
Mais ce n'est pas le cas ici, et on en arrive à une situation telle qu'ur. groupe
n'a qu'à s'intituler Fédération Nationale pour être reconnu comme tel; un
groupe plus nombreux, arrivant pour se déclarer après l'autre, sera lépoussé.
Ce procédé a hanté pendant des années l'Internationale syndicaliste-révolu-
tionnaire, et l'a fait disparaître là où elle avait des possibilités légales 3'action,
ses mouvement « en exil » restant seuls pour la préserver.
Mais qu'on nous permette de jeter un regard critique, pour la première fois
je pense, sur la notion de «mouvements anarchistes en exil». J'ai plusieurs fois,
dans des articles parlé de la situation « tragi-comique » des réfugiés politiques,
et chaque fois, l'imprimeur, n'en croyant pas ses yeux, a changé le mot en
«tragique». Et certainement, le sort des réfugiés, en France en 193Î./50 par
exemple, était très aléatoire et dangereux; ce fut peu le cas en Angleterre, où
l'exil politique sombrait dans la gérance de cafés, et où les réfugiés, r« gardant
derrière eux vers leur ancien pays, pétrifiés en sel comme la femme de Loth, ne
pouvaient que rarement être pris au sérieux en tant que force politique; des
« Autrichiens libres » alliés aux Russes blancs.
Les réactionnaires Polonais peuvent se considérer comme des exiles; mais
comment des anarchistes qui rejettent la Nation-Etat, peuvent-ils être nulle
part en exil ? Les Australiens, nombreux dans le mouvement à Londres se
tordraient de rire si on leur suggérait qu'ils forment un « Mouvement Australien
en exil» mais les quelques anarchistes bulgares en Australie se considèrent
sérieusement comme un «Mouvement Bulgare en exil». Il est vrai qu'ils sont
des expatriés forcés alors que les Australiens sont des expatriés voloitaires...
Mais les Irlandais, de toutes tendances politiques, s'en vont à l'étranger « volon-
tairement», -- c'est à dire pour des raisons économiques -- pourtart ils se
proclament toujours exilés de l'Irlande. Qu'a à faire ce sentiment dans l'action
anarchiste ? On comprend qu'un nationaliste irlandais dise que les Irlandais
en Angleterre ont besoin d'organisations syndicales distinctes; on ne comprend
25
pas que nos camarades espagnols, dont beaucoup ne retourneront jamais en
Espagne, et qui, loin d'être nationalistes, ont précisément risqué leir vie contre
les Nationalistes, on ne comprend pas, dis-je, pourquoi ils s'accroch iraient après
28 ans d'exil (ne parlons pas des jeunes qui n'ont jamais été en Espagne) à la
notion d'« exilé» au point d'avoir besoin d'organisations séparées. Après 28 ans
d'exil on n'est plus un réfugié politique, pas plus qu'on n'est encore un adoles-
cent. « Un réfugié » à cet âge est aussi tragi-comique qu'un adolescent qui a la
quarantaine.
QUE PEUVENT FAIRE LES EXILES ?
Mais direz-vous le mouvement en exil a un but. Je souhaiterais de savoir
lequel : préparer une expédition à la Garibaldi vers la mère-patrie ? Revenir
en colonnes de marche, et reprendre les cités perdues dans la retraite ? (3). Etre
invité à revenir par un mouvement révolutionnaire pour en prendre la tète ?
Soyons sérieux.
Il est vrai que les réfugiés Autrichiens en 39/44 se maintinren; fermement
organisés, en Parti, et retournèrent dans leur pays avec les armées alliées, pour
former à la fois le gouvernement et l'opposition, en restant très lies. Mais ceci
serait évidemment inconcevable pour des anarchistes. Il y a eu pourtant des
voix pour suggérer la formation d'un «parti anarchiste» aux Cortes, sans doute
pour prendre part, une fois encore, à un gouvernement-bidon dam; une Répu-
blique-bidon.
Un mouvement en exil peut-il rester en contact avec le mouvement de
l'intérieur ? Certainement. Mais quels liens a-t-il que les autres, parmi nous,
n'ont pas ? Ceux du sang ? oui mais il les a avec l'oppresseur aussi.
Lé mouvement en exil aurait été plus efficace s'il s'était intégrt au mouve-
ment local, avait apporté ses expérience pour aider à son développement, et créé
ainsi en même temps l'appui des travailleurs du pays pour le mouvement
clandestin dans leur pays d'origine. Ce fut pendant de longues années l'attitude
des anarchistes italiens. Ils formèrent des mouvements de langue italienne, pas
des mouvements en exil, et leurs militants prirent part à la formation de mou-
vements anarchistes locaux partout dans le monde.
Ils aidèrent le mouvement en Espagne, en Argentine, en France, en Angle-
terre, tout en gardant leur intérêt pour les affaires d'Italie (voir par exemple
les tentatives pour supprimer Mussolini.) Mais pas au point de tomber dans
le nationalisme. Des anarchistes russes en firent autant : Bakoanine, bien
qu'il vînt, à l'origine, d'une conception pan-slaviste, devint un internationaliste
à tous crins; Kropotkine était critiqué par les révolutionnaires russes patriotes,
parce qu'il «abandonnait» la Russie en s'intégrant aux mouvements français
ou anglais. Et Emma Golman raconte (dans « Vivre ma vie») que qu£,nd Alexan-
dre Berkman et elle, après leur expulsion des USA, voulurent parlsr dans un
meeting composé de Russes, ils s'aperçurent avec étonnement qu'ils ne savaient
olus parler russe, (leur séjour aux USA avait duré à peu près autar.t que l'exi'
du mouvement espagnol).
3) Pourtant, en 1945, des colonnes de partisans du Sud Ouest de la France, où les
réfugiés Espagnols étaient nombreux se dirigèrent dès la libération, avoc armes et
bagages vers la frontière espagnole — il est vrai qu'à l'intérieur, beaucoup d'Espagnols
se préparaient encore au soulèvement — les colonnes furent stoppées per les Alliés,
les groupes de l'intérieur se soulevèrent et furent massacrés. Franco, dont l'avion était
pourtant prêt pour la fuite, se rassura; le bail était renouvelé. (J. HEBMANOS — La
fin de L'Espoir).
26
Lénine évidemment se tenait plus au courant de la Russie que cela, et il
a réussi; mais il avait l'intention de former un gouvernement de politiciens.
Si le réfugié politique a l'intention de retourner dans son pays pour le gDuverner,
ramené par des armées étrangères, ou par un chimérique, «rappel du peuple»,
il a certainement intérêt à ne pas oublier sa langue maternelle.
Mais, pour un libertaire, choisir de rester un réfugié politique (c'est à dire
choisir de le rester une fois que son domicile ou ses occupations l'ont fixé
quelque part) cela trahit une tendance au nationalisme incompatible avec le
rejet complet du leaderisme imposé. Geci n'est pas écrit pour dévaloriser les
anarchistes bulgares ou espagnols; ils peuvent remarquer eux-mêmes de telles
tendances dans leurs rangs.
Et à vrai dire dans l'idée même d'une fédération « serrée » il y a la croyance
qu'une telle organisation doit garder les exilés «ensemble»... Sefior ce Mada-
riaga peut rêver que les Certes stimulés par l'Europe libérale, insister pour qu'il
revienne et devienne président de la République. Mais un réfugié nt libérera
jamais son pays; ou il se libère lui-même ou il reste dans la servitude L'empe-
reur Haïlé Sélassié est revenu à Addis Abeba : la ONT de Toulouse ne rêve
sûrement pas qu'elle va de cette manière retourner dans ses anciens bureaux
de la rue Layetana ?
UNE FEDERATION EST-ELLE UN PARTI ?
Quand les anarchistes parlent d'une fédération et renoncent à l'idée de cons-
tituer un parti politique, ils doivent garder à l'esprit que les mots son; souvent
sans importance. S'appeler Fédération Anarchiste, et pourtant perpétuer les
mêmes processus de bureaucratie, et d'abdication de responsabilité, 3e cartes
de membres, d'imposition des décisions majoritaires à un congrès etc. c'est
jouer sur les mots. Si ça n'est pas un Parti, alors qu'est-ce qui l'est ?
Oui, c'est facile aussi de ne pas avoir de bureaucratie, pas de carte de
membres, mais une bonne petite appartenance, des décisions prise sans congrès
pour les approuver, et sans intention de les concrétiser, tout ça se rencontre
aussi !
Une «Fédération des Fédérations» gênera simplement la coopération inter-
nationale par la création d'un faux organisme qui ne sera qu'une nouvelle
bureaucratie. Au pire, elle pourrait même devenir quelque chose comme l'Inter-
nationale trotskyste .qui accorde son investiture à ceux qui sont dan:; la ligne
et se sert de l'internationale comme d'une force disciplinaire contre ceux qui
n'y sont pas. Internationale d'ailleurs devenue une farce puisque la ligne
«officielle» est devenue moins nombreuse que la ligne «non-officielle >.
Pour qu'une organisation puisse raisonnablement se nommer « f édération
anarchiste», c'est à dire une union de groupes anarchistes, il faut qu'elle soit
composée de groupes qui aient une vie réelle et active, et plus leui vie sera
active, moins ils abdiqueront, ou même délégueront leurs responsabilités. Une
telle fédération ne pourrait que correspondre avec les données réelles de la
situation actuelle, ses groupes seraient de véritables groupes et pas une panoplie
de carton-pâte.
A vrai dire, on peut se demander, et comprendre qu'on se demande si les
groupes ne sont pas superflus, puisque la révolution est à sa naissance quelque
chose de spontané; mais en même temps, que la révolution ne peut être que
l'œuvre des travailleurs eux-mêmes, la conscience de l'anarchisme ne peut
venir que de ceux qui ont accepté cette idée.
27
Lorsqu'on regarde la composition des conseils ouvriers (4), dans la mesure
où ils existent dans l'industrie aujourd'hui, on voit qu'ils reflètent malgré
tout le type de conseils qui surgiraient lors d'une crise révolutionnaire. L'ensem-
ble des travailleurs d'une usine y sont représentés; mais les conseiis les plus
actifs sont appuyés par des organisations extérieures, avec des partis et des fac-
tions. Les anarchistes doivent-ils aussi s'unir, en dehors de l'usine ave: ceux qui
sont opposés à l'autorité ? C'est seulement dans cette vue qu'on souhaite une orga-
nisation d'anarchistes : une organisation mettant en contact ceux qui sont
décidés à résister à l'autorité, avec un soutien nécessaire, matériel et moral,
pour s'opposer à ceux qui souhaitent imposer une autorité.
Empêcher une organisation quelle qu'elle soit, même anarchiste, c.e devenir
une bureaucratie est une tâche herculéenne; elle ne peut être menée è bien que
par la révocabilité immédiate; nous sommes tous conscients que des groupes
fonctionnels peuvent devenir bureaucratiques; c'est un fait, et si le prablème se
pose dans le cadre d'un groupe local où tous au moins en théorie peuvent être
rassemblés en un moment, il devient beaucoup plus sérieux dans le cas d'une in-
ternationale qui se réunit peut-être tous les cinq ans. C'est un triste fait que la
FAI et le mouvement libertaire en général n'ont pas pu se débarrasser de la
bureaucratie imposée en 1936, alors qu'elle s'est compromise d'une façon in-
croyable.
C'est le même problème qu'affronté la formation d'une internat! Dnale. Et
pourtant, si_ nous pouvions créer un mouvement international non-bureaucra-
tique et libertaire, nous serions capables de montrer que l'anarchisme n'est pas
impossible. Or jusqu'à présent, et depuis longtemps, le mouvement anarchiste,
et plus particulièrement l'air raréfié du mouvement international et des mou-
vements en exil, a ressemblé surtout à une Loge Maçonnique, dont les initiés
gardent des secrets qui ont depuis longtemps cessé d'être. Il faut espérsr, peut-
être avec trop d'optimisme, qu'enfin nous arriverons à passer au travers, à créer
une situation où des anarchistes peuvent discuter de problèmes mu;uels, ou
même d'actions concertées, critiquer leurs mouvements respectifs sans soulever
des accusations d'« interférence » (5). Une situation où profiter ensemble des
succès comme des erreurs. l'Internationa iste.
4) En Angleterre les assemblées d'usines ou de chantiers, et leurs shop-stewa rds, c'est
à dire, délégués de boîte, d'atelier, entrent assez souvent en conflit avec les syndicats.
5) En avril 1966, un groupe libertaire Espagnol, le groupe 1er Mai, réussissait une
action qui eut un grand retentissement, l'enlèvement d'un prélat espagnol sn Italie
- L'action était immédiatement desavouée par le secrétaire général de la CNTE — la
presse bourgeoise s'empressait de rendre public ce «désaveu». Plusieurs groupes français
envoyèrent une lettre au Secrétaire disant notamment: «...vous ne pouvez condamner
l'initiative d'un groupe de base, sur le simple argument qu'il ne vous en a pas référé
avant de l'entreprendre : c'est nier ce que nous appelons l'autonomie des group;s... vous
exprimez un jugement catégorique sans le fonder explicitement sur aucune déclaration
d'orientation qui ait pu être discutée par ceux qui vous ont confié un mandat... Mais
surtout nous pensons à la lumière des révolutions et des mouvements ouvriers tout au
long de ces dernières années que les arguments de l'orthodoxie, quels qu'ils s aient, se
sont révélés profondément vicieux et conservateurs... Quelle leçon politique vont en tirer
ceux qui ont pu lire votre déclaration ? Vous avez profité d'une action qui suscitait
l'intérêt, parfois l'enthousiasme des masses, jusqu'aux travailleurs non-politis is, pour
donner une leçon politique qui est en contradiction totale avec le fondement de notre
intervention en tant que mouvement libertaire...» Certains camarades de langus espag-
nole ont alors approuvé ce texte, certains autres ont envoyé des lettres de menace quasi
hystériques aux signataires, la plupart ont observé un silence désapprobateur, et se sont
laissé influencer par une campagne de calomnie sur « les jeunes qui... ».
28
NOS REMARQUES
Nous sommes d'accord avec cet article. Nous avions déjà pris une position
analogue, mais très brève, dans Noir et Rouge n° 38, nous la répétons de nou-
veau : la participation et les débats à un congrès ne doivent pas être limités
par des critères formalistes et bureaucratiques, mais doivent être orientés par
des critères idéologiques, larges peut-être, mais clairs, explicites, publics.
Il n'était pas inutile de souligner comme l'ont fait les camarades, que les
exigences les plus sectaires viennent de Fédérations qui ont les plus graves
difficultés intérieures, et qui préfèrent dès le départ assurer «l'exclusivité» de
la représentation à leurs leaders.
Sur les problèmes d'organisation nous sommes aussi d'accord pour nous
élever contre deux « excroissances parasitaires » :
D'un coté 1' « anarchisme dilué », et identifié à une vague protestation
pseudo-philosophique et individualiste sans contenu social, avec ure prétention
humaniste (en acceptant donc l'idéal de coexistence des classe!)), un refus
permanent de tout type d'oganisation, ou bien d'une associatio a-famille de
tout et de n'importe quoi.
De l'autre côté (mais en fait du même côté, comme le montre le projet de
congrès où les partisans du syndicat FO, les individualistes-philosophes, avocats
de la libre entreprise, les apologistes de la défense du monde litre, etc. font
cause commune) l'accent mis presque exclusivement sur l'aspect-erg anisationnel,
en sacrifiant tout à l'organisation, elle-même ramenée à une organisation-
symbole; drapeau, quelque chose comme un miracle capable de résoudre tous les
problèmes, mais en réalité les étouffant tous pour sauver la façade; c'est-à-dire
une mauvaise copie d'exemples déjà mauvais, du type des partis politiques et
autoritaires.
Mais le refus de ces attitudes ne suffit pas. Il faut aller à la recherche et
à la pratique de l'organisation révolutionnaire souple, non-exclusr'e, où seront
effectivement pratiqués et vivants l'autonomie des groupes et le i egroupement
des efforts de type fédéraliste, la formation des individus et la responsabilité
et le contrôle collectif. Cette organisation ne sera évidemment pas créée de
manière idéale, ce sont nos expériences, nos exigences, nos besoin;;, et la com-
préhension des possibilités ou des impossibilités pratique de tel rr.ornent, à tel
endroit, qui feront se réaliser et vivre, une organisation anarchists absolument
indispensable pour coordonner et confronter, critiquer aussi, les quelques efforts
dispersés actuels.
Une dernière remarque, concernant les exilés :
En tant qu'émigré moi-même, j'ai eu souvent à discuter de css problèmes,
et il faut dire qu'à quelques exceptions près, la critique des camarades anglais
est valable
Un exilé est souvent mal adapté et « étranger » dans un aut ce pays : son
attitude de repliement sur lui-même et sur son passé, son refus de chercher une
adaptation dans le milieu où il vit, le conduisent à un comportera 3nt psycholo-
gique et social absoluement anachronique, cette attitude est encore moins com-
préhensible dans le cas d'un anarchiste et d'un internationaliste.
Mais il faut dire aussi que la tâche d'adaptation (dont il ne faut pas sous-
estimer la difficulté) n'est pas toujours facilitée par l'attitude 3es « autoch-
tones » qui collent une étiquette d' « étrangers » aux exilés, ne les adoptent pas
intégralement, et se conduisent eux-mêmes en nationalistes; et !CL aussi, l'atti-
tude est encore plus incompréhensible quand il s'agit d' «anarchistes».
THEO
29
DANS NOTRE COURRIER
Du camarade G. de Paris :
L'article de Nanterre est bon, mais il n'aurait pas fallu le mettre en pre-
mier. Placé là il prend presque la valeur d'un édito, alors que ce n'est qu'un
fait divers par rapport au reste de l'actualité (Viet-Nam par exenple dont
l'article aurait dû passer en premier).
A propos de cet article sur le Viet-Nam, pas mal non plus, je orois qu'il
aurait fallu préciser davantage dans quel contexte il se place, ou platôt dans
quelles conditions il a été réalisé et comment. L'explication du début 3st insuf-
fisante pour quelqu'un qui n'est pas au courant. C'aurait été une bonne occasion
de parler du C.L.J.A. (Comité de Liaisons des Jeunes Anarchistes) et de la
façon dont nous avions décidé d'aborder les problèmes, et la manière dont cela
s'est poursuivi dans l'Hydre (partir de faits concrets, les analyser, voir comment
ils s'insèrent dans l'ensemble du système, déterminer nos possibilité;- d'action
et leur efficacité, etc.). Je pense que ça aurait pu faire un pré-article dont
l'article aurait été illustration.
Les articles sur l'Espagne sont bons et ils arrivent à point, étant donné le
remue-ménage actuel du mouvement espagnol. Notamment l'article d'Israël Renof
qui met pas mal de choses au point; même si certaines choses sont ce innues, il
est parfois bon de se mouiller et de les mettre sur le papier, à plus forte raison
quand le problème est important et tabou.
Pourtant, les extraits de «l'Espagne Nouvelle» auraient gagnés à être précé-
dés d'une courte note résumant les événements dont il est question : tout le
monde n'est pas obligé d'être au courant...
L'article d'Alberola sur le syndicalisme ne m'a pas frappé. Il est lion mais
n'apporte pas grand chose de nouveau, peut-être parce que nous aviDns déjà
eu l'occasion de discuter de ce problème plusieurs fois ?
Les notes de livres sont, elles aussi, très intéressantes. Rien d'au;re à en
dire pour le moment...
Je ne suis pas d'accord, par contre, avec la page des lecteurs : il est très
maladroit, surtout en ce moment et après l'introduction («Aux camarades»)
de ce même numéro, de ne publier que des lettres favorables à N.R. ou ci 1 tiquant
la F.A. et les anarchistes «officiels» français. Ça fait vraiment racolage. S'il
n'y avait que des lettres favorables, il aurait mieux valu ne rien passer plutôt
que de donner cette impression aux lecteurs de province qui, eux, ne :;ont pas
tellement dans le coup.
D'autre part, cette impression peut être accrue par la première page où
vous vous dites prêts à «toute nouvelle fusion avec groupes ou individus de
province ou de Paris», et qui peut être comprise d'une manière ambiguë, même
par des copains de l'Hydre : une fusion à l'échelle nationale et non plus de
Paris seulement, ne se justifie pas pour la publication d'une revue. Du moins
s'il n'y a que la revue. En présentant votre groupe comme une fusion Sestinée
à élargir le cercle des camarades chargés de la rédaction de N. R., vous créez
une sorte de confusion, car le groupe ne s'occupe pas uniquement de la revue,
je devrais même dire qu'il s'en occupe moins que d'autre chose; en fait, le
30
regroupement s'est fait pour militer de manière différente, pour expérimenter
une nouvelle forme d'organisation (d'après le n° 4 de l'Hydre). Je pense qu'il
faudrait expliquer les choses plus clairement dans un prochain nvméro car,
en présentant ainsi les faits, vous n'avez pas seulement l'air de racoler des gens,
mais de « doubler » en quelque sorte le rôle de l'Hydre.
Je précise bien que ce n'est pas ce que je pense, mais j'essaie de me placer
au maximum dans la situation de ceux qui sont moins bien informés qu'à
Paris de toutes les salades hydresques ou de la F.A. (et même des isoles de Paris
ce qui doit être le cas de pas mal d'abonnés de N.R.). Je crois qu'en ce moment
on a tout intérêt à peser nos mots et à prendre le maximum de précautions
pour que tout soit clair et sans équivoques...
N.D.L.R. Sans plus nous étendre sur le passé, nous sommes d'accord avec la
plupart des critiques du camarade... et nous l'en remercions.
Du camarade C. de Nice :
Je résumerai mon impression ainsi : enfin, on parle d'événeme:its actuels
d'un point de vue anarchiste ! Bien sûr, c'est limité aux deux premiers articles,
sans doute du même auteur. Mais cela équilibre le numéro où l'on retrouve
toujours la Révolution espagnole. Celle-ci, et pour la plupart des tendances
marxistes et marxistes-léninistes la Révolution russe, font à mon a,vis l'objet
de trop de littérature. Des jeunes m'ont dit, et encore tout récemment écrit, que
tous les groupes s'occupaient un peu trop des révolutions faites p ir d'autres
— ancêtres ou bureaucrates du tiers-monde — et pas assez de ce qu: les préoc-
cupe dans cette France moderne.
Reconnaissons que ces jeunes ont raison. Nous ne sommes pas des historiens,
que diable ! A nous de savoir leur distiller les enseignements du passé en les
appliquant à la compréhension du présent. Ça aura une autre efjicacité que
d'apporter des nouvelles pièces au dossier des Révolutions espagno.e et russe.
C'est toute la différence entre le boulot d'historien et celui de militint, l'un et
l'autre pouvant se compléter.
Je reviens à ces deux premiers articles du n" 39. Celui sur le V:et-Nam est
particulièrement bon et opportun, car tout le monde s'excite en ce moment et
on « bouffe de l'Amerloque » comme on « bouffait du Boche » au temps de l'an-
tifascisme. Maintenant, c'est l'anti-impérialisme qui sert et pourrait nous mener
droit au casse-pipe avec la fleur au fusil.
Du camarade J. de Maçon :
J'ai beaucoup apprécié le texte de Nanterre «sur le Viet-Nam», qui apporte
une bonne lumière sur l'attitude des P.C. dans toutes les tentatives révolution-
naires. Ce que je comprends moins, c'est que l'auteur du texte se heurte encore
au «Mythe de l'organisation» et réclame la nécessité d'éclairer ce problème.
Le débat n'est pas neuf mais je crois surtout qu'il est à base de confusions.
Après tout, qu'est-ce qu'une organisation sinon une « manière dont les parties
qui composent un être vivant sont disposées pour remplir certaines fonctions » ?
La définition est claire et pose d'emblée le rôle, la structure, les fonctions, les
objectifs. Elle n'implique pas nécessairement le concept de «para» ni celui
«d'autorité », et je n'ai jamais compris les grimaces crispées des anarchistes ,à
31
la simple idée d'une « organisation anarchiste » comme si les deux termes
étaient antagonistes par définition.
Autre opinion à propos de «La révolution par paliers». On sait que cette
conception marxiste est celle des partis socialistes et communistes, les premiers
sous l'expression réformiste, terminologie plus douce destinée à ne pas effarou-
cher la bourgeoisie, les seconds sous forme « révolutionnaire » pour conserver la
coloration rouge aux mêmes réformes. Il fut.un temps où le groupe N.R. issu
des G.A.A.R. (Groupe Anarchiste d'Action Révolutionnaire) avait substitué à
cette notion celle de « Révolution permanente » qui met l'accent sur la conti-
nuité nécessaire de l'effort d'émancipation sociale quelle que soit la situation
historique d'une époque ou d'une révolution (avant, pendant, après;.
La lutte des classes est à ce jour l'unique assise historique vérifiable et
qui justifie la .« révolution permanente». Dans cette perspective, l'Histoire en-
tendue comme déroulement chronologique, n'a pas de direction spécifique (elle
n'avance pas, elle EST; et semble se dérouler sous l'œil des générations humai-
nes). Seule l'humanité coupée d'elle-même par ses contradictions nées de l'auto-
rité, de l'économie et de ses fantasmagories religieuses, peut progresser en se
libérant de ces entraves qui tendent à renaître sans cesse. Si elle y parvient,
les degrés successifs d'émancipation constituent moins un développement histo-
rique donnant l'illusion d'une spécificité de l'histoire que d'une série de repères
dans le temps...
Autre « problème » amplement discuté semble-t-il et qui revient sur le tapis :
celui du soutien aux « peuples » qui mènent un combat contre un impérialisme.
J'admets bien que la lutte de tous les travailleurs pour leur propre émanci-
pation et où qu'ils se trouvent, est propre à aider indirectement l'effort des
pays qui luttent contre un impérialisme étranger, mais il me paraî; non moins
nécessaire de participer d'une manière plus directe à cet effort.
Qu'on le veuille ou non, il semble bien que l'émancipation sociale des peuples
doive en passer par la constitution en nations. C'est regrettable i, nos points
de vue mais c'est un fait et qui s'explique. Après tout, les peuples semblent bien
naître et se développer comme des êtres vivants, à ceci près que les sociétés
humaines croissent également au fil des générations. Les aider à acquérir la
conscience de cette UNITE ORGANIQUE que constitue une natior est propre
à liquider le degré d'exploitation que constitue le colonialisme et ù ouvrir des
perspectives sociales nouvelles.
Je pense également qu'un soutien direct n'est pas étranger à la lutte des
travailleurs : il tient en éveil, donne à réfléchir, maintient la disponibilité pour
tout combat d'émancipation et affaiblit les positions des impérialismes.
Bu camarade M. des Alpes-Maritimes
La qualité analytique, documentaire et critique de N.R. serait de grande
qualité, plus efficiente, si les recherches entreprises donnaient lieu à des con-
clusions constructives. Mais il est évident que, jusqu'à ce jour, ce périodique
tient à dissimuler son attitude individualiste sous des études critiques dont
la répétition savamment orchestrée pourrait laisser croire qu'en fait il ne
poursuit que la démolition des thèses révolutionnaires du communisme libertaire,
seule expression concrète de la pensée anarchiste.
32
SOMMAIRE
Page
EDIÏO
AUTOGESTION
LES CONSEILS EN RUSSIE TO
POSSIBILISME LIBERTAIRE 16
LES ANARCHISTES ET L'ORGANISATION 23
NOS REMARQUES 29
NOTRE COURRIER 30
Noire adresse est : Lagant, B.P. 113, Paris (18e) (ne pas mentionner «Noir
et Rouge»),
Pascale CLARIS. ;
Paris, C.C.P. 20.020.93.
Prière de nous signaler tout changement d'adresse.
Prix du numéro : 1,70 F,
Abonnement de quatre numéros : 6 F.
Abonnement de soutien : selon vos possibilités.
Directeur de la publication : Pascale CLARIS
Imprimerie « LA RUCHE OUVRIERE » - 10, rue de Montmorency - Paris (3e)
Category
Author
Title
Noir et Rouge: Cahiers d'études anarchistes, no.41
Date